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Décisions

CA Toulouse, 4e ch. sect. 1, 10 octobre 2025, n° 23/02461

TOULOUSE

Arrêt

Autre

CA Toulouse n° 23/02461

10 octobre 2025

10/10/2025

ARRÊT N° 25/

N° RG 23/02461

N° Portalis DBVI-V-B7H-PSAA

CGG/ACP

Décision déférée du 13 Juin 2023

Conseil de Prud'hommes

Formation de départage de FOIX

P. DUTEIL

CONFIRMATION PARTIELLE

Grosse délivrée

le

à

Me Alessandro PEROTTO

Me Jacques MONFERRAN

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

4eme Chambre Section 1

***

ARRÊT DU DIX OCTOBRE DEUX MILLE VINGT CINQ

***

APPELANTE

Madame [B] [G]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Alessandro PEROTTO de la SCP DEDIEU PEROTTO, avocat au barreau d'ARIEGE

INTIM''E

S.A.S. TARAMM

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représentée par Me Jacques MONFERRAN de la SCP MONFERRAN - ESPAGNO - SALVADOR, avocats au barreau de TOULOUSE

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Mai 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant C. GILLOIS-GHERA, président, chargé de rapport et M. DARIES, conseillère.

Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

C. GILLOIS-GHERA, président

M. DARIES, conseillère

A.-F. RIBEYRON, conseillère

Greffier, lors des débats : C. DELVER et lors du délibéré : A.-C. PELLETIER

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

- signé par C. GILLOIS-GHERA, présidente, et par A.-C. PELLETIER, greffier de chambre

FAITS - PROCÉDURE - PRÉTENTIONS DES PARTIES

Mme [B] [G] a été embauchée le 22 février 2016 par la SAS Taramm en qualité de comptable suivant contrat de travail à durée déterminée régi par la convention collective nationale de la métallurgie Midi-Pyrénées.

Par avenant du 20 mai 2016, le contrat s'est poursuivi à durée indéterminée.

La SAS Taramm emploie plus de 10 salariés.

Un audit comptable réalisé au mois d'août 2019 a révélé diverses malversations.

Par courrier du 10 octobre 2019, la SAS Taramm a convoqué Mme [G] à un entretien préalable au licenciement fixé le 24 octobre 2019 avec mise à pied à titre conservatoire.

Mme [G] a été licenciée le 15 novembre 2019 pour faute grave.

Mme [G] a saisi le conseil de prud'hommes de Foix le 18 juin 2020 pour contester son licenciement, solliciter que son contrat de travail soit reconnu comme étant irrégulier, et demander le versement de diverses sommes.

Le conseil de prud'hommes de Foix, section industrie, par jugement de départition du 13 juin 2023, a :

- rejeté la demande de la SAS Taramm de sursis à statuer,

- écarté des débats la pièce 50 produite par Mme [G],

- rejeté la demande de Mme [G] tendant à voir écarter. des débats les pièces relatives à la procédure pénale concernant M. [N],

- débouté Mme [G] de sa demande de nullité du licenciement,

- dit que le licenciement de Mme [G] pour faute grave est fondé,

- débouté Mme [G] de sa demande au titre de la remise tardive des documents de fin de contrat,

- débouté Mme [G] de sa demande au titre des repos compensateurs,

- condamné Mme [G] aux dépens,

- condamné Mme [G] à payer à la SAS Taramm la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

***

Par déclaration du 6 juillet 2023, Mme [B] [G] a interjeté appel de ce jugement, dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas contestées.

***

Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 29 septembre 2023, Mme [B] [G] demande à la cour de :

- infirmer le jugement de départage en ce qu'il :

* écarté des débats la pièce 50 qu'elle a produite,

* rejeté sa demande tendant à voir écarter des débats les pièces parcellaires du dossier pénal de M. [N] produites par la société Taramm en l'absence d'une communication intégrale du dossier pénal,

* l'a déboutée de sa demande tendant à juger son licenciement pour faute grave nul ou, subsidiairement, sans cause réelle et sérieuse et, en conséquence l'a déboutée de ses demandes à voir condamner la société Taramm au paiement des sommes suivantes :

20 339 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul et subsidiairement 13 559 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

7 950,53 euros nets au titre de l'indemnité de licenciement,

5 690,26 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 569,02 euros bruts au titre des congés payés y afférents,

3 892,27 euros bruts à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire outre 389,22 euros bruts de congés payés y afférents,

1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour remise tardive des documents de fin de contrat,

20 000 euros au titre du préjudice moral subi,

895,46 euros bruts à titre de rappel de salaire sur repos compensateurs outre 89,54 euros bruts de congés payés y afférents.

* l'a déboutée de sa demande tendant à obtenir la remise des documents de fin de contrat conformes au jugement à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de retard,

* l'a déboutée de sa demande tendant à condamner la société Taramm à la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

* l'a déboutée de sa demande tendant à condamner la société Taramm aux entiers dépens,

* l'a condamnée à payer à la société Taramm la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

* l'a condamnée aux entiers dépens.

Statuant à nouveau :

- juger irrecevables les pièces parcellaires du dossier pénal de M. [N] produites par la société Taramm en l'absence de communication de l'intégralité du dossier pénal,

- juger que son licenciement est nul ou, subsidiairement, sans cause réelle et sérieuse,

- en conséquence, condamner la société Taramm à lui payer les sommes suivantes :

20 339 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul et subsidiairement 13 559 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

7 950,53 euros nets au titre de l'indemnité de licenciement,

5 690,26 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 569,02 euros bruts au titre des congés payés y afférents,

3 892,27 euros bruts à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire outre 389,22 euros bruts de congés payés y afférents,

1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour remise tardive des documents de fin de contrat,

20 000 euros au titre du préjudice moral subi,

895,46 euros bruts à titre de rappel de salaire sur repos compensateurs outre 89,54 euros bruts de congés payés y afférents,

5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Aux entiers dépens

- ordonner la remise des documents de fin de contrat conformes au jugement à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du 8ème jour suivant la notification du jugement à la société Taramm.

***

Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 29 décembre 2023, la SAS Taramm demande à la cour de :

- la recevoir en ses écritures et l'y déclarer bien fondée,

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

* écarté des débats la pièce n° 50 produite par Mme [G],

* rejeté la demande de Mme [G] tendant à voir écartées des débats les pièces concernant la procédure pénale concernant M. [N],

* débouté Mme [G] de sa demande de nullité du licenciement,

* dit que le licenciement de Mme [G] pour faute grave est fondé,

* débouté Mme [G] de sa demande au titre de la remise tardive des documents de fin de contrat,

* débouté Mme [G] de sa demande au titre des repos compensateurs,

* condamné Mme [G] aux dépens,

* condamné Mme [G] à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- infirmer le jugement en ce qu'il n'a pas fait droit à sa demande de voir écarté le compte-rendu d'entretien préalable de Mme [G] rédigé par M. [L] [M] (pièce adverse n° 8),

Et statuant à nouveau,

- écarter des débats le compte-rendu d'entretien préalable de Mme [G] rédigé par M. [L] [M] (pièce adverse n° 8),

En tout état de cause :

- débouter Mme [G] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires,

- rejeter les demandes de Mme [G] tendant à obtenir 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et à la condamner aux entiers frais et dépens de la procédure,

- condamner Mme [G] au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de ses frais d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens.

***

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance en date du 25 avril 2025.

***

Il est fait renvoi aux écritures pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

I/Sur la recevabilité des pièces de la procédure pénale concernant M. [N]

Mme [G] demande que soient déclarées irrecevables les pièces adverses issues du dossier pénal visant M. [N], dont la production partielle viole le principe de l'égalité des armes, en l'empêchant de les apprécier dans un contexte global, dès lors qu'elle n'est pas poursuivie dans le cadre de ce dossier et n' y a donc pas accès.

En vertu du principe de liberté de la preuve en matière prud'homale, les parties peuvent produire toutes pièces qu'elles estiment utiles au soutien de leurs prétentions.

Le fait que Mme [G] n'ait pas eu accès à l'intégralité du dossier pénal n'est pas de nature à créer une rupture dans l'égalité des armes, alors que les pièces versées ont donné lieu à un débat contradictoire et qu'il revient à la juridiction d'apprécier leur valeur probante dans le contexte évoqué, en tenant compte de l'ensemble des pièces et moyens des parties.

Il convient par ailleurs de relever que l'appelante tout en souhaitant voir les pièces en cause écartées des débats, n'a présenté aucune demande de production forcée ni de communication sous astreinte des documents qui lui font prétendument défaut, alors que le premier juge a relevé de manière pertinente qu'elle produit elle-même en pièce 106 le procès-verbal d'audition de M. [R], ce qui tend à démontrer qu'elle a eu accès, au moins pour partie, aux pièces pénales de ce dossier.

Non fondée, la demande d'irrecevabilité des dites pièces sera rejetée, par confirmation de la décision déférée .

II/ sur le rejet des comptes-rendus d'entretiens préalables

La société Taramm sollicite le rejet du compte-rendu d'entretien préalable produit aux débats par Mme [G] (pièces 8 ) dont elle conteste le contenu.

Pour autant l'appréciation du contenu de cette pièce ressort de leur valeur probante dans le cadre de l'examen au fond des prétentions au soutien desquelles elle est produite, sans qu'il y ait lieu de l'écarter des débats.

Le premier juge a par contre écarté des débats le compte-rendu d'entretien préalable de M [N] produit en pièce 50 sans critique de cette mesure en cause d'appel et qui sera par la même confirmée.

III/Sur la rupture du contrat de travail

Mme [G] poursuit la nullité de son licenciement en se prévalant d'une part du statut de lanceur d'alerte, d'autre part de l'atteinte portée à sa liberté d'expression.

A titre subsidiaire, elle prétend que son licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse en invoquant en premier lieu la prescription des faits fautifs et en second lieu l'absence de tout manquement professionnel .

La société Taramm objecte tout à la fois l'absence de dénonciation d'une infraction pénale par la salariée et sa mauvaise foi l'empêchant de bénéficier du statut revendiqué et l'absence de violation de la liberté d'expression au détriment de Mme [G].

Elle affirme pour le surplus l'absence de prescription des faits fautifs et le bien fondé du licenciement pour faute grave de la salariée .

Sur la nullité du licenciement

* sur le statut de lanceur d'alerte

Aux termes de l'article L. 1132-3-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, aucun salarié ne peut être sanctionné ou licencié pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions.

Ce même article prescrit qu' en cas de litige, dès lors que la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu'elle a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, il incombe à la partie défenderesse, au vu de ces éléments, de prouver que sa décision était justifiée par des éléments étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressé.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En vertu de l'article L. 132-4 du même code, toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance des dispositions précédentes est nul.

Il se déduit des textes précités que deux conditions cumulatives sont nécessaires pour prétendre au statut de lanceur d'alerte : l'intéressé doit dénoncer un délit ou un crime au sens pénal et être de bonne foi.

A ce titre, il doit agir de manière désintéressée, le signalement devant servir l'intérêt général et non viser une situation personnelle ou la satisfaction d'un intérêt particulier.

Il doit également respecter la procédure de signalement mise en place par l'article 8 de la loi du 9 décembre 2016, en agissant de manière graduée et proportionnée.

Ainsi, le signalement devra être transmis au supérieur hiérarchique qui transmettra au référent-alerte dans des conditions garantissant sa confidentialité et informera l'auteur de la transmission.

En l'absence d'un retour du référent-alerte ou de sa hiérarchie dans un délai raisonnable , l'auteur du signalement peut saisir directement une autorité administrative ou judiciaire ou un ordre professionnel compétent.

En dernier ressort, à défaut de traitement dans un délai de 3 mois ou en cas de danger grave et imminent ou en présence d'un risque de dommage irréversible, le signalement pourra être rendu public.

Le contexte de l'alerte, la qualité et les responsabilités du salarié dénonciateur, la nature des propos tenus, les circonstances de temps et de lieu de la dénonciation querellée, les circonstances dans lesquelles est intervenue la revendication de cette qualité sont autant d'éléments pris en compte pour reconnaître ou non le statut de lanceur d'alerte.

En particulier, le bénéfice de ce statut doit être rejeté lorsque le signalement survient soudainement et opportunément en réaction à l'engagement d'une procédure disciplinaire, sans que le salarié concerné ait préalablement invoqué ce statut.

En l'espèce, Mme [G] se prévaut des 'premières alertes du directeur de site, M. [N]' qui aurait soulevé les pratiques professionnelles contestables de Messieurs [P] et [T] [I], ce dernier mettant la société Taramm à contribution au profit de son entreprise Gamma Tial en usant de surfacturation de prestations, vente de machine à un prix minoré et vente au prix de revient.

Pour autant, s'agissant d'un droit individuel, les démarches éventuellement entreprises par M. [N] ne sont pas de nature à justifier de son propre exercice ni à lui permettre de revendiquer à son profit le statut de lanceur d'alerte.

Les multiples échanges de mails entre M. [N] et Messieurs [P] et [T] [I] sur lesquels elle fonde ses prétentions sont donc inopérants.

S'agissant de ses propres alertes, elle argue de 'plusieurs alertes verbales restées vaines', que l'analyse des pièces versées ne permet pas de corroborer.

S'agissant de son refus exprimé par mail du 10 avril 2019 à M. [P] [I] de modifier les numéros et dates de factures, elle informe son interlocuteur de ce qu'elle ne peut 'prendre en compte ces factures en annule et remplace, elles restent en date du précédent envoi afin de respecter la réglementation sur les délais de paiement, ce à quoi son interlocuteur lui répond 'c'est une erreur que je vais faire rectifier' (pièce 40 salariée).

Par mail du 19 juin 2019, Mme [G] ,en sa qualité de comptable de la Sas Taramm, s'adressait à M. [P] [I] en ces termes 'je réitère mes propos en vous rappelant que les factures impayées de la société Gammatial créent un trou de trésorerie (...) Ce mail est motivé par l'inquiétude de la santé financière de la société Taramm, sujet déjà évoqué verbalement'.

Il ne résulte de cet échange aucune volonté de dénoncer des faits constitutifs d'un délit ou d'un crime.

Dans son mail du 1er juillet 2019 en réponse à M. [P] [I], Mme [G] s'exprime dans les termes suivants :

'(...) Comme indiqué lors de notre réunion , au sujet de mon mail en date du 19/06/2019, cela se réfère à une inquiétude par rapport à la situation financière de la société Taramm mais aussi suite au mail ci-dessous de M. [V] qui écrivait : 'Pour finir je ne sais pas ce qui se passe derrière tout cela, la seule certitude que j'ai, c'est qu'en continuant comme cela c'est l'entreprise (et donc son personnel) qui en fera les frais, les événements commençant à se précipiter...'. Ce à quoi se cont rajoutées des réflexions de part et d'autre sur la situation à venir d'ici la fin de l'année.

Désolé si mon mail vous a déranger, mais il n'a pas été fait pour vous déranger mais comme je vous l'ai dit lors de notre réunion, pour vous alerter sur certains aspects financiers.

D'ailleurs je vous avais déjà alerter verbalement auparavant sur le sujet sans que cela ne pose problème. A chacune de vos visites, nous échangeons sur les problématiques de Taramm et/ou sur les échanges Taramm/Gammatial ce qui permet de solutionner les problèmes pour partie me concernant.

Comme indiqué lors de notre réunion, je ne souhaite pas, si la situation devient plus critique, que l'on vienne me reprocher de ne pas avoir alerter; de plus je pense, sauf erreur, que le fait d'alerter relève aussi de mon poste.' (pièce 108 salariée).

Cet échange illustre à nouveau les inquiétudes de la salariée quant à la santé économique de la société mais ne comporte pas la moindre alerte concernant des faits délictueux qu'elle entendrait porter à la connaissance de son interlocuteur.

Elle se félicite au contraire de la qualité de leurs échanges qui permet de régler les difficultés pouvant être rencontrées.

Dans la suite de ce mail, M. [P] [I] confirme le 7 août 2019 à Mme [G] que son 'mail ne (l'a) pas dérangé car il est effectivement de (son) entière responsabilité de rendre compte devant des comportements qui sont en opposition avec les normes comptables (dépenses personnelles, fausses factures, prélèvements sur le compte de la société, abus de biens sociaux...)', regrettant ensuite que 'pour l'affaire [E]' cela ne lui ait pas été soumis car il s'y serait opposé, en concluant qu'il 'est évident que ces alertes sont maintenant trop tardives'.

Bien plus, par mail du 23 juillet 2019 M; [P] [I] demandait à Mme [G], 'suite au contrôle de (la) brigade financière' de préparer impérativement divers documents comptables avant le 29 juillet suivant , ce à quoi celle-ci répondait 'je ne vois pas pourquoi je dois fournir les éléments de Taramm pour un contrôle sur Gammatial (...)' puis le 24 juillet 'ce n'est pas que vous ayez à me justifier de vos demandes ce que le temps restant pour préparer tout cela est très court...'.

Le positionnement de la salariée aux termes de ces échanges est en contradiction avec sa volonté affichée de dénoncer des comportement frauduleux, alors que l'occasion lui en était donnée dans le cadre de l'enquête annoncée (pièce 35 salariée).

La nature des propos tenus aux termes des écrits précités, se rapportant à la santé financière de l'entreprise, ne permet pas de caractériser la dénonciation d'un crime ou d'un délit, le sens des' alertes' adressées par Mme [G] à M [P] [I], président associé de la société Taramm.

D'ailleurs, il ressort du courrier du 4 octobre 2019 portant demande de réunion extraordinaire du Comité social et économique, dont le président est M. [N], que l'ordre du jour portait ur la 'mise en oeuvre d'une procédure du droit d'alerte économique', au motif que 'la situation économique et financière de l'entreprise est très préoccupante en termes d'activité'.

Cette procédure d'alerte régie par les dispositions de l'article L. 2312-63 du code du travail et ouverte au seul Comité social et économique est sans rapport avec le statut et le régime de protection instaurés pour les salariés par la loi 2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

Au regard des éléments analysés, Mme [G] ne présente pas d'éléments de fait permettant de présumer qu'elle a relaté ou témoigné de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, sans qu'il y ait lieu de se prononcer sur l'exigence supplémentaire de bonne foi.

Enfin, la Sas Taramm fait valoir de manière pertinente que Mme [G] ne s'est pas prévalue du statut de lanceur d'alerte avant la saisie du conseil de Prud'hommes le 18 juin 2020, 8 mois après le licenciement intervenu.

Il n'y a donc pas lieu de lui reconnaître le statut de lanceur d'alerte et la protection qui s'y trouve attachée.

* sur la liberté d'expression

Aux termes de l'article L. 1121-1 du code du travail, sauf abus, le salarié jouit dans l'entreprise mais également à l'extérieur de celle-ci de sa liberté d'expression, à laquelle seules des restrictions justifiée par la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché, peuvent être apportées.

Mme [G] prétend qu'à la suite de son mail du mois de juin 2019, Messieurs [I] ont mis en place une stratégie pour les licencier, elle et M. [N], en ayant recours à un audit organisé les 19 et 20 août 2019 par un expert-comptable venu de Touraine, M. [F], dans des conditions douteuses.

Pour autant, par une motivation exempte de critique que la cour adopte, le premier juge a retenu que le licenciement litigieux est intervenu au mois de novembre 2019 après une mise à pied le 10 octobre 2019, sur le fondement d'une lettre de licenciement faisant état de griefs précis distincts des alertes émises par Mme [G] depuis le mois de juin 2019.

Le lien entre l'inquiétude pour la santé financière de la société Taramm, exprimée par la salariée dans son mail du 19 juin 2019 et la mesure de licenciement dont elle a fait l'objet sur la base de faits fautifs étrangers à cette prétendue « alerte » n'étant pas établi, le moyen sera rejeté.

Ce faisant, Mme [G] sera déboutée de sa demande tendant à voir déclarer son licenciement nul, par confirmation de la décision déférée.

Sur la cause réelle et sérieuse

Tout licenciement doit être fondé sur une cause à la fois réelle et sérieuse.

Aux termes de l'article L. 1232-6 du code du travail, l'employeur est tenu d'énoncer dans la lettre de licenciement, le ou les motifs du licenciement.

La lettre de licenciement fixe les limites du litige.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ou la poursuite du contrat de travail.

La charge de la preuve de la faute grave incombe à l'employeur.

En cas de doute, celui-ci profite au salarié.

Aux termes de l'article L. 1332-4, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.

Ainsi, il appartient à la société qui a procédé au licenciement pour faute grave de Mme [G] de rapporter la preuve de la faute qu'elle a invoquée à l'encontre de cette dernière.

Aux termes de la lettre de licenciement, il est reproché en substance à la salariée :

- des pratiques comptables trompeuses,

- un non respect de ses obligations professionnelles sur la pratique irrégulière en matière de paye,

- une dissimulation d'informations.

Mme [G] oppose la prescription des faits fautifs et l'irrégularité de la procédure, tout en soutenant l'absence de tout manquement professionnel.

* sur la prescription

Aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuite pénales.

Mme [G] fait valoir que l'ensemble des griefs évoqués au soutien du licenciement sont prescrits pour être antérieurs de plus de deux mois à la convocation à entretien préalable.

Elle souligne que l'exercice comptable est clôturé au 31 décembre de chaque année et que le bilan est établi au 30 juin au plus tard de sorte que Messieurs [I] avaient connaissance de l'ensemble des éléments au plus tard au 30 juin 2019.

La Sas Taramm objecte qu'en raison de la période Covid et des événements ayant impacté la direction de la société, le bilan de l'année 2019 a été validé en juin 2021.

Elle ajoute que les faits fautifs lui ont été révélés et confirmés par un audit dont le compte rendu a été établi le 29 août 2019.

Sur ce,

Par une motivation exhaustive exempte de toute critique, que la cour adopte, le premier juge a pu à bon droit retenir que la prescription des faits n'était pas acquise lors de l'engagement de la procédure disciplinaire le 10 octobre 2019, dès lors que si certains faits étaient déjà connus de Messieurs [I], seul l'audit réalisé au mois d'août 2019 a permis d' en avoir une connaissance précise et complète, ou sont de même nature que ceux découverts lors de l'audit.

S'agissant de la prise en charge des dépenses personnelles de M. [N] par la société, l'absence d'observation émise par l'agent contrôleur de l'Urssaf en 2017 est indifférente, les faits visés étant postérieurs (dépenses de vacances aux Etats-Unis au mois d'août 2018, surfacturation des prestataires...).

Il n'est aucunement démontré par les pièces produites que les dépenses personnelles de M. [N] auraient été autorisées par M. [P] [I] ni que cette prise en charge par la société permettait 'de rémunérer illégalement Monsieur [D] [N] et de soustraire ces sommes aux prélèvements sociaux' tel que l'affirme l'appelante.

Il n'est pas plus justifié que M. [P] [I] avait donné son accord pour la prise en charge des frais de voyage en famille de M. [N] aux Etats-Unis, celui-ci ayant seulement admis avoir accepté la prise en charge d'un billet d'avion au cours de l'audit.

La réponse de M. [P] [I] à la lettre d'observation de l'Urssaf le 26 septembre 2017 ne démontre pas sa connaissance de la pratique des prêts accordés aux salariés ce dernier venant contester le fondement juridique et les redressements opérés de ce chef, tout en indiquant avoir mis en demeure les personnes concernées de rembourser.

Si Mme [G] soutient que 'de manière générale, (elle) demandait l'autorisation pour valider des avances et prêts sollicités par les salariés' il n'est pas indifférent de souligner qu'elle n'en référait qu'à M. [N] (pièces 96, 97 et 100 salariée).

Il en va de même pour la prise en charge des contraventions routières par la société pour laquelle M. [P] [I] n'a nullement donné son accord dans sa lettre d'observation en réponse à l'Urssaf mais seulement exprimé son acceptation quant au montant des régularisations infligées.

Par ailleurs, Mme [G] ne peut raisonnablement se dédouaner des irrégularités relevées en matière de paie sur M. [R], expert-comptable auquel elle se contenterait de transmettre les données utiles, alors qu'en sa qualité de comptable de l'entreprise, il entre précisément dans ses fonctions de préparer la paye (cf article 4 'fonctions' de son contrat de travail), ce qu'elle confirme d'ailleurs dans son curriculum vitae (pièce 2) sous l'intitulé ' traitement et suivi des éléments de salaire, comptable et fiscal de la paye'.

A ce titre, elle transmet certes des chiffres à l'expert-comptable, mais assure la charge préalable de la collecte, du contrôle et de la vérification des éléments ainsi communiqués.

Il peut d'ailleurs être constaté un traitement différencié des notes de frais traitées par Mme [G], dont il ressort à l'occasion que leur contrôle entrait bien dans ses missions.

En effet, celle-ci n'hésite pas à procéder à des vérifications approfondies et à contester les notes de frais de M. [P] [I] (mail du 25/09/2019 pièce 30 employeur) et de son fils M. [T] [I] (mails du 17/10/2018 pièce 31), voire à refuser la prise en charge d'une note de frais présentée par M. [V], responsable qualité ( mail du 19/08/2019 pièce 32), alors qu'elle explique dans le même temps s'agissant des dépenses personnelles de M. [N] (qui valent à ce dernier des poursuites pénales), qu'elle ne faisait qu'appliquer les consignes, selon lesquelles celui-ci 'a toujours fait inscrire par la comptable de l'entreprise ses dépenses professionnelles et dépenses personnelles autorisées, dans la comptabilité de la société', ce dont 'il ne s'est jamais caché', tout en affirmant dans le même temps qu'elle 'n'a jamais été au courant des accords entre M. [I] et M. [N]', ce qui aurait précisément dû susciter de sa part une vigilance accrue.

Il s'en déduit qu'en procédant de la sorte, Mme [G] a contribué à occulter les irrégularités commises et à retarder leur découverte.

Enfin, contrairement aux affirmations de Mme [G], les éléments versés ne démontrent pas que 'M. [P] [I] contrôle chaque mois les dépenses, y compris celles associées à la carte bancaire' au regard notamment de la réponse qu'elle apporte à l'interrogation de ce dernier dans un échange de mails du 16 novembre 2018 ( 'concernant les frais CB (...) Ce compte varie de mois en mois, je mets un montant estimatif') (pièce 102 salariée).

L'ensemble de ces éléments tend à confirmer que les faits fautifs évoqués dans la lettre de licenciement ont été révélés à l'employeur par le rapport d'audit du 29 août 2019 et ne sont par la même pas prescrits, par confirmation de la décision déférée.

* sur la régularité de la procédure

Mme [G] argue à titre liminaire que certains des griefs énoncés dans la lettre de licenciement n'ont pas été évoqués lors de l'entretien préalable, de sorte qu'ils ne sont pas recevables.

Elle s'appuie pour en justifier sur le compte-rendu dressé à cette occasion (pièce 8 salariée).

La société Taramm demande le rejet de cette pièce, en invoquant le manque d'objectivité de M [L] [M], au motif que ce membre du personnel qui a assisté Mme [G] lors de son entretien est le conjoint de Mme [Z] [M] , assistante comptable et collègue de Mme [G].

Elle ajoute qu'elle n'a pas signé ce document et se réfère à la plainte pour faux déposée le 20 septembre 2022 contre le compte-rendu d'entretien préalable de M [N] signé par Mme [K] [M] ( nièce de [L] [M]).

Sur ce,

L'article L. 1232-4 du code du travail prévoit la possibilité pour le salarié de se faire assister lors de l'entretien préalable par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise.

Cette personne est libre de faire un compte rendu, non signé par l'employeur, dont la valeur probante est soumise à l'appréciation de la juridiction.

Au cas d'espèce, la seule proximité familiale entre M. [L] [M] et son épouse, elle-même proche collègue de Mme [G] n'est pas de nature à affecter l'authenticité du compte rendu établi par ce dernier.

Par ailleurs, ce document constitue une pièce distincte du compte-rendu établi par leur nièce au profit de M [N] et argué de faux, qui n'a pas lieu d'être affecté par les vicissitudes de celui-ci.

En l'absence d'élément objectif extérieur permettant de justifier du bien fondé de la demande présentée à ce titre, la société Taramm en sera déboutée par confirmation de la décision déférée .

Pour autant, la cour observe que la pièce 8 communiquée est manifestement incomplète, ne comprenant que le recto des pages, au demeurant non numérotées, comme en témoigne le manque de suivi des échanges.

Ainsi en bas de la première page, la réponse de Mme [G] :

'tout comme pour les acomptes, les demandes de prêts sont soumis a autorisation du directeur d'établissement qui détermine les modalités de remboursement du' ,

est suivi en deuxième page d'une nouvelle réponse de Mme [G]: 'elle souligne qu'elle n'avait pas le détail des dépenses (...).

De la même manière, la troisième page s'achève sur une réponse de M [I] relative au compte courant du directeur de l'usine dans la société et la quatrième débute également par une réponse de ce dernier au sujet de la dernière avance réalisée pour [E].

Ce faisant, il ne peut être attribué de valeur probante à ce compte-rendu pour justifier de ce que certains griefs visés dans la lettre de licenciement n'auraient pas été évoqués au cours de l'entretien qu'il est censé retracer.

* sur la faute grave

Mme [G] revendique son intégrité professionnelle , conteste la valeur probante de l'audit réalisé dont elle demande qu'il soit écarté des débats et réfute les faits fautifs allégués à son encontre, affirmant qu'elle n'avait aucune raison de se rendre complice de pratiques comptables trompeuses dont il n'est pas démontré qu'elle aurait retiré le moindre profit.

Sur ce,

Les attestations de Mme [J], collègue de la salariée (pièce 13) et de Mme [C], secrétaire administrative (pièce 62) qui témoignent de manière générale des qualités professionnelles de Mme [G], comme l'absence de sanction disciplinaire antérieure au licenciement à son égard , ne sont par elles-mêmes pas suffisantes pour venir contredire les manquements techniques précis reprochés à Mme [G].

Il est constant que les griefs opposés à la salariée reposent sur le rapport d'audit réalisé à la demande de l'employeur par M. [F], expert-comptable, daté du 29 août 2019.

L'employeur est en droit de procéder à toute mesure d'investigation utile pour apprécier la réalité d'une situation de nature à affecter le bon fonctionnement de l'entreprise.

La sommation faite par Mme [G] à la société Taramm ,dans le corps de ses écritures au demeurant non reprises dans son dispositif, de produire la facture de l'audit de M. [F] est donc dénuée d'intérêt.

Par ailleurs, le seul fait de contester la valeur probante d'une pièce ne justifie pas de l'écarter des débats.

Pour le surplus, les critiques de la salariée sur la mise en oeuvre de cette mission d'investigation et les conclusions tirées du contrôle réalisé, au seul motif des poursuites pénales engagées par ailleurs à l'encontre des dirigeants, Messieurs [P] et [T] [I], n'affectent en rien la valeur probante du rapport déposé, dont il appartient au juge de vérifier la concordance et la pertinence des constatations avec les autres pièces produites par les parties.

Enfin, il n'est pas nécessaire que Mme [G] ait retiré un avantage personnel des manquements qui lui sont imputés pour caractériser des manquements fautifs à son endroit.

S'agissant des constatations de l'expert mandaté, la cour observe que le premier juge en a dressé un tableau exhaustif, détaillant l'ensemble des points litigieux en rapport avec le poste et les fonctions de Mme [G], auquel il convient de se référer.

M. [F] s'est en effet livré à l'analyse successive de l'organisation du service comptabilité, des modalités de clôture de l'exercice comptable, de la politique de rémunération du personnel ( prêts accordés, avances et acomptes, heures supplémentaires, primes exceptionnelles et primes assiduité), des factures fournisseurs, des frais de déplacement-notes de frais, de la gestion des retraits d'espèces de la carte bancaire, de la récupération de la TVA, du prêt à la société [E], des primes auto-octroyées au directeur de site, de l'outrepassement de la délégation de pouvoir accordée au directeur de site.

Il a ainsi relevé 20 points de difficultés.

Aux termes de ses investigations, il concluait, sans être exhaustif :

- à l'impression globale d'un manque de rigueur avec une tenue de la comptabilité perfectible et une absence de contrôle de certaines dépenses qui n'auraient manifestement pas dû être supportées par la société Taramm,

- le contrôle de la comptabilité et particulièrement l'engagement de certaines dépenses doit être nettement plus performant et professionnel,

- le montant des avances et prêts octroyés est d'un montant tel qu'il ne l'avait jamais vu,

- plusieurs anomalies constatées pourraient être qualifiées d'abus de bien social,

- un traitement comptable immédiat, strict et rétroactif , des dépenses réalisées en carte bancaire ou par retrait d'espèces est recommandé,

- le directeur de site se comporte en directeur général qu'il n'est pas et s'avère très généreux avec la trésorerie de l'entreprise qu'il utilise à son profit ou celui d'autres employés, engageant beaucoup de frais dont certains sont manifestement personnels.

Les griefs invoqués dans la lettre de licenciement, s'agissant des pratiques comptables trompeuses, du non respect des obligations professionnelles sur la pratique irrégulière en matière de paye et la dissimulation d'informations sont corroborées par les constatations opérées par ce professionnel du chiffre .

De manière générale, Mme [G] ne peut valablement se dédouaner en soutenant que M. [P] [I] a toujours eu connaissance de l'ensemble des informations comptables et qu'il travaillait conjointement avec M. [R], expert-comptable de la société, sur l'arrêt et la validation des comptes pour chaque bilan.

Il ressort en effet de nombreux mails échangés que M [I] devait régulièrement solliciter Mme [G] pour obtenir les informations nécessaires ou faire procéder aux modifications conformes à ses attentes.

De la même manière, il n'est pas justifié de ce que les faits reprochés étaient cautionnés, tolérés ou en l'occurrence ordonnés par la direction, au vu des nombreuses demandes de précisions qui lui ont été adressées par M [P] [I] (pièces 34, 41,45, 64 employeur).

Enfin, il n'est pas indifférent de relever la stratégie de défense mise en place par Mme [G] et M. [N], telle qu'elle résulte de leurs échanges de sms au mois de mars 2021 (pièces 70 à 72 employeur), notamment:

- le 7 mars 2021

M [N] :'j'ai oublié de vous écrire qu'il fallait absolument mettre en avant l'idée du complot nous écartant de l'entreprise afin d'avoir les mains libres et montrer comme preuve le mail de PAK (...)'

Mme [G] 'oui oui ça fait partie de mes commentaires... stratégie émanant fils pour prendre votre place et évincé les proches collaborateurs' ,

- le 29 mars 2021 :

M [N] : 'Bonjour, vous avez des nouvelles pour votre passage aux prud'hommes ' J'avais proposé de faire un témoignage pour vous couvrir sur le fait que vous ne faisiez QUE ce que votre direction vous demandait ([P][I] ou moi) et d'autres points si besoin',

Mme [G] :'Bonjour, c'est gentil Merci mais Non pas de nouvelles j'attends le retour de l'avocat suite à l'envoi de mes commentaires et annexes.

D'ailleurs la dessus j'en étais restée sur le fait qu'on devait faire une déclaration croisée... ( ...)'.

***

Au titre des pratiques comptables trompeuses, l'audit a notamment révélé l'absence de nombreuses factures de frais de représentation, comptabilisés à partir des seuls tickets de carte bancaire de la société et des retraits d'espèces non justifiés, qui concernent essentiellement le directeur d'établissement, M. [N].

A cet égard, Mme [G] est malvenue à prétendre n'avoir pu déceler d'éventuelles dérives du fait qu'elle n'a jamais été en charge de la récupération, du traitement ni de l'enregistrement des notes de frais de M. [N], dont la tâche incombait à ses dires en dernier lieu à Mme [M], alors que cette dernière, embauchée en qualité d'assistante comptable le 1er août 2018 après un contrat de professionnalisation (pièces 56 et 56-2), a été formée par Mme [G] et recevait les instructions de cette dernière qui était sa supérieure hiérarchique.

Si elle bénéficiait de son concours dans l'exercice de son activité, il lui appartenait donc de contrôler et valider son travail, étant au demeurant relevé que Mme [M] lui en référait en cas de difficulté comme en témoignent les relevés de carte bancaire annotés (pièces 59 et 60 employeur).

Egalement, l'affirmation selon laquelle M. [I] était parfaitement informé des frais de déplacement de M. [N] est contredite par la pièce 102 sur laquelle elle se fonde, M. [I] l'interrogeant dans un mail du 15 novembre 2018 sur les variations inexpliquées de 'la ligne CB et charges diverses de 15 000 € à 7 000 €. Quel est le détail de ces charges ' Avez-vous un détail CB '' et celle-ci lui répondant 'sur la carte bancaire nous avons les frais de déplacement à [D], les frais de repas client les frais de déplacement tel que avions quand il y en a, etc... plus certains autres achats lorsque les produits que nous souhaitons sont à commander via internet... Ce compte varie de mois en mois, je mets un montant estimatif', illustrant sans équivoque le degré de précision des informations dont il disposait.

Mme [G] ne justifie pas davantage de ce que M [I] aurait donné son accord pour la prise en charge des frais de séjour aux Etats Unis de M [N], au delà de la simple prise en charge d'un billet d'avion.

Ainsi qu'il a été relevé de manière pertinente par le premier juge, l'argument tiré de l'absence d'alerte de l'expert-comptable est inopérant, l'extrait du grand livre mentionnant uniquement 'dépl [N]' et la somme de 13 575 euros.

Mme [G] ne conteste pas que certaines dépenses passées en notes de frais concernent des frais de restaurant en menu enfant et des achats au Disney Resort dont le seul intitulé aurait dû l'alerter dans le cadre de la nécessaire vérification préalable à leur prise en compte aux fins de remboursement.

S'agissant de l'absence d'information de M [I] sur le fait que M [N], directeur d'établissement engageait la société pour des immobilisations d' un montant supérieur à 100 000 euros, Mme [G] ne peut raisonnablement soutenir qu'elle n'avait pas connaissance du plafond précité, reprochant à la société Taramm de ne pas voir produit la délégation de pouvoir plus tôt dans le litige, alors qu'elle vise expressément 'les factures dont l'autorisation de paiement rentrent dans les accords de pouvoirs de Mr [N]' dans le mail adressé le 19 août 2019 en réponse à M. [P] [I] s'inquiétant de ne pas trouver certaines factures dans l'échéancier transmis (pièce 64 employeur).

Bien plus , par mail du 22 septembre 2019 M [P] [I] rappelait à Mme [G] : 'c'est moi qui décide du classement en immobilisation ou en charge des dépenses de Taramm. Je tiens à vous faire remarquer que mon avis n'a pas été demandé depuis plusieurs mois ce qui est anormal. Je vous demande de me préparer pour ma prochaine visite la liste des immos depuis que je n'ai pas donné mon accord', alors même que par un mail précédent du 15 octobre 2018 il signalait à Mme [G] et M [R]' je suis en cours de pointage du tableau des immos de Taramm fin 2017 et je trouve plein de factures d'acomptes immobilisées et amorties... Je demande à ce que le plan comptable et la législation sur la comptabilisation des immos soit respectée (...)' (pièce 41 employeur).

Le fait que M. [N] ait été amené à engager des dépenses supérieures à 100 000 euros bien avant 2019 sans réaction de la direction et que pareilles commandes aient été contre-signées par M. [V], responsable qualité qui ne fait pas l'objet de poursuites, ne dédouane pas Mme [G] de ses propres obligations professionnelles à ce titre.

S'agissant des pratiques irrégulières en matière de paye, Mme [G] ne peut soutenir qu'en sa qualité de comptable elle n'avait ni l'expérience ni les diplômes pour établir les payes, dont letraitement relevait de M. [R], expert-comptable.

Ainsi qu'il a été relevé précédemment, Mme [G] mentionne bien dans son curriculum vitae (pièce 2) disposer des compétences en matière de 'traitement et suivi des éléments de salaire, comptable et fiscal de la paie'.

Elle reconnaît d'ailleurs qu'elle avait pour mission de préparer les payes, de sorte qu'à ce titre elle transmettait les éléments utiles à l'expert-comptable pour leur établissement (mail du 17 septembre 2019 'en effet, c'est bien moi qui donne les éléments de paie ( CP, absences, etc...)' (pièce 99 salariée), de sorte qu'elle ne pouvait ignorer les irrégularités relevées.

Elle ne conteste pas le versement d'acomptes avant le 15 du mois, sans que ne soit démontré l'accord de la direction pour de telles pratiques ni sans qu'il soit nécessaire qu'elles aient porté préjudice à la société.

De la même manière, en ce qui concerne l'octroi de prêts aux salariés (pièces 96, 97 et 100 salariée),elle ne sollicitait que l'autorisation de M. [N] , sans que soit démontré que M [P] [I] en ait été tenu informé, alors qu'en suite du contrôle de l'Urssaf en 2017, M. [I] a répondu le 26 septembre 2017 à cet organisme au sujet des acomptes, prêts et avances non récupérés : 'nous avons mis en demeure ces personnes de nous rembourser', ce qui témoigne à tout le moins de la remise en cause d'une telle pratique.

Bien plus, si Mme [G] soutient qu'elle n'a fait que suivre les consignes de son supérieur (M [N]) dont les prérogatives en qualité de directeur d'établissement lui permettaient d'accorder des prêts, cet argument ne pourrait valoir que s'agissant des prêts consentis aux salariés placés sous l'autorité de M [N].

Il est en revanche inopérant s'agissant du prêt que M [N] s'est attribué à lui-même.

Or, Mme [G] ne justifie pas davantage en avoir référé au président de la société au sujet de ce dernier.

Mme [G] avait pourtant connaissance du caractère anormal de ces faits, au regard des demandes précises et répétées d'explications et de précisions adressées à M. [P] [I], président de la société, s'agissant notamment de ses propres notes de frais et de celle de M [T] [I], actionnaire majoritaire (pièces 30 et 31 employeur) ainsi qu'il a déjà été relevé.

Enfin, la dissimulation d'informations se trouve caractérisée par les arrangements consentis par M [N] au profit de la société [E] aux fins de lui accorder de la trésorerie, sans donner lieu à un signalement au président de la part de Mme [G] qui a participé à ces manoeuvres, ainsi qu'il ressort de :

- l'échange de mails du 12 juillet 2018 entre M [N], M [E] et Mme [G] sous l'objet 'confidentiel'et notamment le dernier de Mme [G] ' c'est noté je vous fais le virement en date de demain sur le nouveau compte' (pièce 76 employeur) ,

- les mails échangés les 31 août et 4 septembre 2019 par M [E] et M [I], ce dernier demandant des explications au premier, qui lui répondait notamment avoir échangé par mail 'avec M [N] et Mme [G], ce sont eux mes interlocuteurs à ce sujet' (pièce 44).

Il n'est pas reproché à Mme [G] d'avoir accordé un soutien financier à l'entreprise [E] mais bien d'avoir contribué à dissimuler les informations afférentes à une opération douteuse.

Par ailleurs, les chèques émis les 21 août 2019 et 19 septembre 2019 au profit de la société TP Quindos (pièce 81 employeur) ont été établis par M. [N] alors qu'il ressort des propres déclarations de ce dernier lors de son audition le 26 août 2020 par les services de police que les chèques étaient habituellement rédigés par' la comptable qui utilisait ce carnet afin de payer les sous-traitants et les fournisseurs (...) Si tout est OK elle me le présente à la signature' (pièce 85 employeur).

Mme [G] qui était donc dépositaire du carnet de chèques de la société ne peut raisonnablement soutenir avoir ignoré les modalités inhabituelles de ces paiements, alors de surcroît que par mail du 23 août 2019 elle a accusé réception de la demande de M [P] [I] aux termes de laquelle un certain nombre de fournisseurs et organismes précisément listés n'avaient pas son aval pour un quelconque règlement (pièce 35 employeur).

Or, l'Eurl TP Quindos figurait au nombre des fournisseurs énumérés et les deux chèques remis à l'encaissement ont été débités du compte HSBC de la société Taramm les 19 et 20 septembre 2019, ce qui devait susciter de sa part, à tout le moins, une information appropriée de M [I].

Il s'évince de ces développements, que les griefs avancés sont matériellement établis, sans qu'il soit nécessaire de suivre les parties dans le surplus de leur argumentaire.

Le licenciement de Mme [G] repose donc sur une cause réelle et sérieuse et les manquements fautifs établis revêtent un caractère de gravité suffisant de par leur multiplicité, leur durée et leur incidence sur la fiabilité et la probité comptable de la société, pour justifier de son licenciement pour faute grave.

Mme [G] sera donc déboutée de ses demandes, en ce compris ses prétentions indemnitaires afférentes à la rupture, par confirmation de la décision déférée.

III/ Sur les demandes financières

Sur la remise tardive des documents de fin de contrat

En vertu de l'article R. 1234-9 du code du travail, l'employeur délivre au salarié, au moment de l'expiration ou de la rupture du contrat de travail, les attestations et justifications qui lui permettront d'exercer ses droits aux prestations mentionnées à l'article L. 5421-2 et transmet sans délai ces mêmes attestations à Pôle emploi.

Mme [G] prétend que la remise de ses documents de fin de contrat le 21 novembre 2019 alors qu'elle a été licenciée le 15 novembre précédent, lui a occasionné un préjudice, d'autant qu'elle se trouvait sans revenus depuis sa mise à pied conservatoire le 10 octobre 2019 et qu'elle a dû relancer l'employeur pour les obtenir.

La société Taramm conteste toute faute de sa part comme l'existence d'un préjudice.

Sur ce,

Il est constant que la société Taramm devait remettre ses documents de fin de contrat à sa salariée

le 15 novembre 2019 en application des dispositions légales précitées et que ces documents lui ont été adressés 4 jours ouvrés après la notification de son licenciement, le 21 novembre 2019.

Néanmoins, il est de jurisprudence établie que la remise tardive des documents sociaux ne cause pas nécessairement un préjudice au salarié auquel il appartient d'en rapporter la preuve.

En l'espèce, en dépit du manquement de la société intimée, Mme [G] ne soumet aux débats aucun document de nature à établir l'existence et l'étendue de son préjudice.

En conséquence, la demande de la salariée ne saurait prospérer et elle en sera déboutée.

Le jugement déféré est donc confirmé .

Sur le préjudice moral distinct

Mme [G] avance avoir été très affectée par la décision de licenciement brutale et vexatoire dont elle a fait l'objet.

Elle s'appuie pour en justifier sur les témoignages de collègues de travail et de proches ( conjoint, soeur, neveu) et un certificat médical de son médecin traitant.

La société Taramm réfute avoir mené une procédure de licenciement hâtive et infondée et met en cause la valeur probante des attestations de ses proches. Elle critique le certificat médical de son médecin traitant qui se fait l'écho de ses dires et demande qu'il soit écarté des débats comme étant contraire aux préconisations de l'ordre des médecins.

Sur ce,

Il est de jurisprudence établie qu'en matière de préjudice moral distinct, il appartient au salarié de caractériser l'existence d'un comportement fautif de son employeur et de rapporter la preuve de la réalité et de l'étendue de son préjudice.

Se référant aux développements qui précèdent, la cour considère qu'il n'est pas rapporté la preuve d'un comportement fautif de l'employeur dans la mise en oeuvre d'une enquête qui a mis à jour de multiples manquements imputables à Mme [G] dans l'exercice de sa profession, et qui serait à l'origine de la détérioration de son état de santé telle que rapportée par ses proches.

La demande présentée de ce chef, non fondée, ne peut prospérer.

Sur le rappel de salaire au titre du solde de repos compensateur

Mme [G] avance qu'au 30 septembre 2019, elle avait acquis 84,30 heures au titre de repos compensateurs, dont seules 25,25 heures lui ont été rémunérées dans le cadre de son solde de tout compte, de sorte qu'il lui reste dû 59,05 heures, représentant un montant de 895,46 euros.

La société Taramm s'oppose à cette demande en relevant que le relevé dont se prévaut la salariée a été établi et signé de sa main et contresigné par M [N].

Elle ajoute que la vérification opérée en interne a démontré que le solde reporté par Mme [G] sur ce document ne correspond pas à la réalité et que celle-ci est défaillante dans l'administration de la preuve.

Sur ce,

Aux termes de l'article D. 3171-11 du code du travail , les salariés sont informés du nombre d'heures de repos compensateur de remplacement et de contrepartie obligatoire en repos portés à leur crédit par un document annexé au bulletin de paie.

Mme [G] argue que le document produit par ses soins ( pièce 19), portant sa signature et celle de M [N] correspond aux exigences légales précitées.

En tout état de cause, l'employeur ne verse aucun document contraire permettant d'objectiver le caractère inexact de ce décompte.

Il n'est pas justifié des éléments l'ayant conduit à retenir 25,25 heures.

Il sera donc fait droit à la demande présentée de ce chef,

La société Taramm sera donc condamnée à verser à Mme [G] la somme de 895,46 euros à ce titre, outre les congés payés afférents, par infirmation de la décision déférée.

IV/ sur les demandes annexes

En l'état de la décision rendue, il convient d'inviter l'employeur à remettre à Mme [G] des documents de fin de contrat rectifiés, et en tant que de besoin de l'y condamner.

Succombant principalement en ses prétentions, Mme [G] supportera la charge des dépens d'appel.

Aucune considération d'équité ne commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties qui seront déboutées de leur demande respective à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort ,

Confirme le jugement déférés, sauf en ce qu'il a débouté Mme [G] de sa demande relative au paiement du solde des repos compensateurs au titre de l'année 2019,

L'infirme de ce chef,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne la société Taramm à verser à Mme [G] la somme de 895,46 euros bruts à titre de rappel de salaire au titre du repos compensateur, outre 89,54 euros bruts au titre des congés payés y afférents,

Déboute Mme [G] de sa demande en réparation d'un préjudice moral distinct,

Invite l'employeur à remettre à Mme [G] des documents de fin de contrat rectifiés, et en tant que de besoin l'y condamne,

Condamne Mme [G] aux dépens d'appel,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par C. GILLOIS-GHERA, président, et par A.-C. PELLETIER, greffier.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

A.-C. PELLETIER C. GILLOIS-GHERA

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