CA Rennes, 7e ch prud'homale, 9 octobre 2025, n° 22/03518
RENNES
Arrêt
Autre
7ème Ch Prud'homale
ARRÊT N°333/2025
N° RG 22/03518 -
N° Portalis DBVL-V-B7G-S2DF
S.A.S. NEXITY LAMY
C/
Mme [M] [A]
Sur appel du jugement du CPH - Formation de départage de [Localité 7] du
RG : 20/00196
Copie exécutoire délivrée
le : 9 octobre 2025
à : Me HAUGER
Me LE GUILLOU-RODRIGUES
Copie certifiée conforme délivrée
le:
à:
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 09 OCTOBRE 2025
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,
Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,
Assesseur : Monsieur Bruno GUINET, Conseiller,
GREFFIER :
Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et Madame Françoise DELAUNAY lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 30 Juin 2025
En présence de Monsieur [J] [T], médiateur judiciaire,
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 09 Octobre 2025 par mise à disposition au greffe date à laquelle a été prorogé le délibéré initialement fixé au 02 Octobre 2025
****
APPELANTE :
La S.A.S. NEXITY LAMY prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège social :
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Jean-Luc HAUGER de l'AARPI LEGALIS, Avocat au Barreau de LILLE
INTIMÉE :
Madame [M] [A]
née le 07 Juin 1969 à [Localité 6] (29)
demeurant [Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Dominique LE GUILLOU-RODRIGUES de la SELARL SELARL LE GUILLOU RODRIGUES, Avocat au Barreau de QUIMPER
EXPOSÉ DU LITIGE
La SAS Nexity Lamy, filiale du groupe immobilier Nexity, exploite un réseau d'agences immobilières ( 380) implantées sur l'ensemble du territoire national, ayant pour activité l'administration de biens, la gestion de copropriétés et la négociation à la vente ou à la location de tous biens immobiliers. Elle applique la convention collective nationale de l'immobilier.
Le 1er avril 1997, Mme [M] [A] a été embauchée en qualité de secrétaire, coefficient 241 dans le cadre un contrat de travail à durée déterminée par l'agence immobilière Cabinet [Z]-Guirriec située à [Localité 7]. A compter du 30 novembre 1997, la relation de travail s'est poursuivie à durée indéterminée selon un rythme hebdomadaire de 39 heures.
Par avenant du 1er septembre 1999, la salariée a bénéficié d'une évolution de sa classification au coefficient 290, d'une modification de son temps de travail, réduit à 35 heures hebdomadaires, et d'une mutation dans le bureau annexe de [Localité 5]. Elle y exerçait en dernier lieu des fonctions d'assistante de co-propriété, statut agent de maîtrise, et percevait un salaire moyen de 2654,20 euros brut par mois.
En 2005, le Cabinet [Z]-Guirriec a été cédé au groupe Gestrim, réseau d'agences immobilières implanté sur tout le territoire national. Au cours de l'année 2006, le groupe Gestrim s'est rapproché de la société Lamy, autre réseau d'agences immobilières. En 2007, les entités ont fusionné et intégré le groupe Nexity sous la dénomination de SAS Nexity Lamy.
Mme [A] a été placée en arrêt de travail pour maladie d'origine non professionnelle en lien avec un syndrome anxio-dépressif :
- du 28 février 2015 au 13 juin 2015,
- le 24 novembre 2017 prolongé jusqu'au 17 janvier 2018,
- le 20 janvier 2018 prolongé jusqu'au 1er mars 2020.
A l'issue de la visite médicale de reprise de Mme [A] le 3 mars 2020, le médecin du travail a délivré l'avis suivant: ' Paraît inapte à la reprise de son emploi précédemment exercé. A revoir à l'occasion d'une seconde visite médicale dans un délai qui n'excède pas quinze jours pour avis définitif après étude de poste et des conditions de travail. Pas de retour envisageable dans l'établissement entre la visite médicale de ce jour et le second examen. ».
Lors de sa seconde visite du 17 mars 2020, le médecin du travail a conclu que ' tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé' .
En raison de la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19, Mme [A] a été convoquée par courrier du 26 mai 2020 à un entretien préalable à son licenciement fixé au 10 juin suivant.
Par courrier du16 juin 2020, l'employeur a indiqué à la salariée qu'aucune démarche de reclassement n'était envisageable.
Le 16 juillet 2020, Mme [A] s'est vue notifier son licenciement pour inaptitude avec impossibilité de reclassement.
La caisse primaire d'assurance maladie, saisie le 3 août 2021 par la salariée d'une demande de reconnaissance du caractère professionnel de sa maladie, a fait droit à sa demande le 22 mars 2022, et lui a notifié le 19 mai 2022 une décision d'attribution d'une rente avec un taux de 32 % d'incapacité permanente dont 7 % pour le taux professionnel.
***
Contestant la rupture de son contrat de travail, Mme [A] a saisi le conseil de prud'hommes de Quimper par requête du 29 octobre 2020 afin de voir :
- Dire et juger son licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse
- Condamner la SAS Nexity Lamy à lui payer les sommes suivantes :
- 63 700 euros net à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse,
- 5 308,40 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis (2 mois), 530,84 euros brut au titre des congés payés y afférents,
16 497,63 euros net à titre de solde d'indemnité spéciale de licenciement, 20 000 euros net à titre de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité,
- 20 000 euros net à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
- Ordonner la remise de l'attestation Pôle Emploi rectifiée, sous astreinte de 100,00 euros par jour de retard à compter de la date de la décision à intervenir,
- Débouter la SAS Nexity Lamy de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- Dire et juger que les sommes à caractère salarial porteront intérêt au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes,
- Dire et juger que les sommes à caractère indemnitaire porteront intérêt au taux légal à compter de la décision à intervenir,
- Ordonner l'exécution provisoire de la décision sur l'ensemble des condamnations,
- Condamner la SAS Nexity Lamy à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner la même aux entiers dépens.
La SAS Nexity Lamy a conclu au rejet des demandes de Mme [A] dont le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse, et a sollicité une indemnité de procédure
Par jugement de départage en date du 6 mai 2022, le conseil de prud'hommes de Quimper a :
- Prononcé la nullité du licenciement de Mme [A] notifié le 16 juillet 2020 ;
- Condamné la SAS Nexity Lamy à payer à Mme [A] les sommes suivantes :
- 63 700 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
- 5 308,40 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, 530,84 euros bruts au titre des congés payés correspondants,
- 20 000euros nets à titre de dommages et intérêts pour atteinte à la santé au travail,
- 15 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
- Débouté Mme [A] de sa demande au titre de l'indemnité spéciale de licenciement
- Ordonné à la SAS Nexity Lamy de remettre à Mme [A] une attestation destinée au Pôle Emploi rectifiée et ce dans le délai de 15 jours à compter du jugement;
- Dit n'y avoir lieu à l'astreinte
- Dit qu'en vue d'une éventuelle application des dispositions de l'article R 1454-28 du code du travail, le salaire mensuel moyen à prendre en compte est de 2 654,20 euros ;
- Ordonné, en tant que de besoin, le remboursement par la SAS Nexity Lamy des sommes éventuellement payées à Mme [A] par Pôle Emploi, du jour de son licenciement à ce jour, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage ;
- Dit qu'une copie certifiée conforme du présent jugement sera adressée à Pôle Emploi Bretagne, selon les dispositions des articles L. 1235-4 et R. 1235-2 du code du travail ;
- Condamné la SAS Nexity Lamy à payer à Mme [A] la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile :
- Condamné la SAS Nexity Lamy aux dépens, y compris ceux pouvant résulter de l'exécution forcée du présent jugement.
- Ordonné l'exécution provisoire sur l'ensemble des dispositions de la présente décision.
***
La SAS Nexity Lamy a interjeté appel de la décision par déclaration au greffe le 7 juin 2022.
En l'état de ses dernières conclusions transmises par RPVA le 20 décembre 2022, la SAS Nexity Lamy demande à la cour de :
- Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Quimper du 21 février 2022 en ce qu'il a,
- prononcé la nullité du licenciement de Mme [A],
- condamné la SAS Nexity Lamy au paiement des sommes suivantes:
- 63 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
- 5 308,40 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 530,84 euros bruts au titre des congés payés correspondants,
- 20 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour atteinte à la santé au travail,
- 15 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
- 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau,
A titre principal :
- débouter Mme [A] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner Mme [A] à payer à la SAS Nexity Lamy la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 de code de procédure civile,
- condamner Mme [A] aux entiers frais et dépens de l'instance, en ce compris les frais de signification et, le cas échéant, d'exécution de l'arrêt à intervenir,
En l'état de ses dernières conclusions transmises par RPVA le 30 septembre 2022, Mme [A] demande à la cour de :
- Confirmer le jugement rendu le 6 mai 2022 en ce qu'il a :
- Prononcé la nullité du licenciement de Mme [A] notifié le 16 juillet 2020 ;
- Condamné la SAS Nexity Lamy à payer à Mme [A] les sommes suivantes :
- 63 700 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
- 5 308,40 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 530,84 euros bruts au titre des congés payés correspondants,
- 20 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour atteinte à la santé au travail,
- 15 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
- Ordonné à la SAS Nexity Lamy de remettre à Mme [A] une attestation destinée au Pôle Emploi rectifiée et ce dans le délai de 15 jours à compter du jugement;
- Dit qu'en vue d'une éventuelle application des dispositions de l'article R 1454-28 du code du travail, le salaire mensuel moyen à prendre en compte est de 2 654,20 euros ;
- Ordonné, en tant que de besoin, le remboursement par la SAS Nexity Lamy des sommes éventuellement payées à Mme [A] par Pôle Emploi, du jour de son licenciement à ce jour, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage ;
- Dit qu'une copie certifiée conforme du présent jugement sera adressée à Pôle Emploi Bretagne, selon les dispositions des articles L. 1235-4 et R. 1235-2 du code du travail ;
- Condamné la SAS Nexity Lamy à payer à Mme [A] la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile :
- Condamné la SAS Nexity Lamy aux dépens, y compris ceux pouvant résulter de l'exécution forcée du présent jugement.
- Ordonné l'exécution provisoire sur l'ensemble des dispositions de la présente décision.
- Infirmer le jugement rendu le 6 mai 2022 en ce qu'il a débouté Mme [A] de sa demande au titre de l'indemnité spéciale de licenciement ;
- Condamner la SAS Nexity Lamy à lui payer la somme de 16 497,63 euros net à titre de solde d'indemnité spéciale de licenciement,
- Débouter la SAS Nexity Lamy de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- Dire et juger que les sommes à caractère salarial porteront intérêt au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes.
- Dire et juger que les sommes à caractère indemnitaire porteront intérêt au taux légal à compter de la décision à intervenir.
- Condamner la SAS Nexity Lamy à payer à Mme [A] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamner la même aux entiers dépens.
***
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 27 mai 2025 avec fixation de l'affaire à l'audience du 30 juin 2025.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs dernières conclusions régulièrement signifiées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1-Sur la nullité du licenciement pour harcèlement moral
La société Nexity Lamy conclut à l'infirmation du jugement ayant prononcé la nullité du licenciement de Mme [A] sur le fondement d'un harcèlement moral alors que :
- la salariée n'établit pas la matérialité des agissements allégués et se borne à procéder par allégations gratuites sous couvert d'un climat social prétendument 'délétère' au sein des agences de [Localité 7]-[Localité 5] et à propos de faits qu'elle dit avoir personnellement subis en lien avec une surcharge de travail, une absence de la hiérarchie et un turn over des gestionnaires, des pressions et dénigrements de la part de sa hiérarchie.
- la salariée se fonde essentiellement sur des propos de son supérieur hiérarchique qu'elle déforme (de son supérieur) retranscrits lors de ses entretiens annuels de 2012 et 2016 ou sur ses affirmations dans ses propres courriers, de sorte que ses dires ne sont pas crédibles ni corroborés par des éléments objectifs.
- elle n'établit pas davantage la réalité d'une surcharge de travail durable, au-delà de celle ponctuelle liée à l'activité normale de l'entreprise (assemblées générales de co-propriété) ou à des absences imprévues de salariés ayant généré une désorganisation momentanée de l'agence, étant précisé qu'elle ne s'en est jamais plainte lors de ses entretiens ou dans ses courriers à l'appui de ses demandes réitérées d'augmentation de salaire.
- elle a ' construit' de manière artificielle un vécu en lien avec un comportement abusivement autoritaire et des propos inadaptés de ses supérieurs hiérarchiques, au travers de rares éléments irrecevables ou dépourvus de caractère probant :
- le témoignage de Mme [L], ancienne salariée également en litige avec son employeur et dont les propres accusations de harcèlement moral ont été jugées infondées par le conseil de prud'hommes, ne présente pas toutes les garanties de sincérité et d'impartialité et sera écarté des débats,
- des courriels échangés entre des salariés tiers, dont certains estampillés ' confidentiels', la salariée ne démontrant pas que ces documents couverts par le secret de la correspondance lui auraient été volontairement transmis, doivent être écartés des débats en ce qu'ils ont été obtenus par un procédé déloyal.( Pièces 49.1 à 49.4). Sur le fond, le sens de ces échanges est déformé par la salariée.
- des messages transmis par ses supérieurs hiérarchiques, MM. [E], [V] et [P], ne font apparaître aucun contenu inadapté, dénigrant, ni l'emploi d'un ton sec et ironique à son égard, de sorte que les dires de la salariée ne sont que pure imagination.
- la prétendue agression verbale qu'elle aurait subie de la part de M.[E] lequel lui aurait fait des reproches injustifiés de nature professionnelle et l'aurait menacée de licenciement ne ressort que d'un courriel transmis par ses soins à la Direction et n'est donc pas matériellement établie.
- les deux sms de M.[V] sont sortis de leur contexte .
- de son côté, des éléments objectifs établissent que la salariée avait un portefeuille de lots de copropriété homogène par rapport aux autres agences, exécutait des tâches ressortant de sa qualification d'assistante, que l'organisation et l'effectif de l'agence étaient adaptés à son volume d'activité , que l'employeur a toujours pris les mesures nécessaires pour répondre aux alertes en cas de surcharge ponctuelle liée aux absences de salariés, Mme [A] n'ayant au surplus jamais effectué la moindre heure supplémentaire,
- la salariée ne peut pas utilement se référer à des décisions judiciaires rendues dans des litiges concernant la société appelante alors que les accusations des salariés concernés reposaient sur des éléments matériels, ce qui n'est pas le cas de l'espèce.
- consciente de sa carence en matière de preuve, Mme [A] tente d'invoquer un prétendu climat social délétère ou d'un management par la peur, dont elle ne démontre pas la réalité,
- le fait que l'employeur ait été confronté malgré lui à des absences et départs de salariés ne suffit pas à établir le moindre manquement à ses obligations, dès lors qu'il a pris les mesures dans un contexte reconnu de difficultés de recrutement, pour assurer le fonctionnement de l'agence de [Localité 5].
- si les documents médicaux évoquent un état de santé psychologique dégradé de la salariée, celle-ci n'a dénoncé pour la première fois un lien avec ses conditions de travail qu'après son arrêt de travail. Ni le médecin du travail ni les autres praticiens consultés par Mme [A] n'ont relié son état de santé à ses conditions de travail ou à un prétendu harcèlement moral, à l'exception de son médecin traitant lequel a admis après la plainte déposée auprès du Conseil de l'ordre des médecins qu'il avait fait preuve de légèreté dans la rédaction de son certificat et n'avait fait que rapporter les dires de sa patiente.
L'attestation délivrée par une psychologue ayant rencontré Mme [A] en une seule visite ne présente pas la valeur d'un certificat médical et n'a fait que relater la situation décrite par la salariée.
- le jugement doit être infirmé en ce qu'il a retenu à tort une situation de harcèlement moral subie par la salariée au terme d'une analyse unilatérale des pièces produites et qu'il a prononcé la nullité de son licenciement pour ce motif.
Mme [A] soutient à l'inverse qu'elle a été victime d'agissements répétés de son employeur ayant sérieusement impacté son état de santé entre 2015 et 2018, de nature à laisser supposer une situation de harcèlement moral, dans la mesure où :
- dans un contexte de surcharge de travail liée à un sous-effectif et à un turn-over des gestionnaires, elle était amenée régulièrement à travailler seule dans l'agence de [Localité 5] à partir du mois de février 2015, à assumer des tâches supplémentaires pour répondre aux questionnements et inquiétudes des clients en l'absence du gestionnaire.
- elle a subi de la part des derniers supérieurs directs des critiques quotidiennes sur son travail, des reproches quant aux erreurs des précédents gestionnaires, un mail de recadrage injustifié, des humiliations publiques de la part de M.[E], une surveillance de ses faits et gestes dans son bureau, des injonctions contradictoires, des encouragements suivis de dénigrements par M.[E],
- elle se plaint de propos dégradants sur son physique, sur les femmes en général et de la réception sur sa messagerie personnelle d'un sms à connotation sexuelle et sexiste de M. [E] le 1er décembre 2016.
- elle a alerté à plusieurs reprises la Direction, lors des entretiens annuels en 2012 et en 2016 mais aussi par courriers (8 entre 2012 et 2015) sur la dégradation de ses conditions morales et matérielles de travail avec des conséquences sur son état de santé mais s'est heurté à l'absence de prise en considération de ses difficultés,
- elle lui a également signalé avoir été victime le 11 janvier 2017 d'une agression verbale de M.[E] mais n'a pas reçu de réponse.
- fragilisée et épuisée depuis des mois, elle a fait une attaque de panique en sortant de son travail après une journée éprouvante le 23 novembre 2017 avec M.[V], nouveau gestionnaire, et a été placée en arrêt de travail le lendemain, 24 novembre 2017 jusqu'au 17 janvier 2018, malgré les deux sms d'excuses de M.[V].
- de retour à son poste le 18 janvier 2018, elle a été accueillie de manière humiliante par M.[V] et par le nouveau Directeur d'agences lui faisant sentir qu'elle n'avait plus sa place et risquait d'être mutée sur [Localité 7]. Après une journée de travail durant laquelle le gestionnaire ne lui a pas adressé la parole sauf à lui demander de venir travailler tous les vendredis après-midi pour rattraper son retard, Mme [A] a fait l'objet d'une rechute de son syndrome dépressif à compter du 20 janvier 2018.
- elle a ressenti la volonté de la Direction de faire partir les salariés les plus anciens par le biais d'une mise sous pression, comme le laissent entendre les mails échangés par M.[E] et M.[P] en décembre 2016 pour organiser son remplacement avant qu'elle ne soit en arrêt de travail.
- son dossier médical, dont celui de la médecine du travail, fait apparaître que la salariée ne souffrait d'aucun problème psychiatrique avant le premier arrêt de plus de 3 mois ( février -juin 2015) , qu'elle décrivait des conditions de travail délétères à l'origine d'un syndrome dépressif et de sa rechute en janvier 2018, suivie d'un avis d'inaptitude établi par le médecin du travail le 17 mars 2020.
Il est rappelé à titre liminaire que Mme [A] travaillait en qualité d'assistante copropriété au sein de l'agence de [Localité 5], dépendant de l'agence principale de [Localité 7]; que les entités étaient placées sous l'autorité de M.[P], Directeur régional du groupe d'agences de la Bretagne recruté en juillet 2014; que l'effectif de l'agence de [Localité 5] initialement fixé à 4 avec une secrétaire, a été limité en 2012 à 3 avec un gestionnaire de co-propriété à temps complet, une assistante copropriété et une responsable locations; qu' à la suite d'arrêts de travail pour maladie et de départs de plusieurs salariés, plusieurs gestionnaires se sont succédés à [Localité 5] entre 2012 et 2018 :
- Mme [Z] Directrice de l'agence principale de [Localité 7] exerçant à temps partiel à [Localité 5] (2012-2015)
- Mme [B], gestionnaire affectée à temps partiel (février-juillet 2015) puis à temps complet (août 2015-juin 2016)
- M.[E] à temps complet ( juillet 2016-mars 2017)
- M. [V] ( avril 2017- 2019).
Selon l'article L 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L'article L 1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de faits qui laissent supposer l'existence d'un harcèlement. Il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits, pris dans leur ensemble, laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L1152-1 du code civil. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.
A l'appui de sa demande, Mme [A] soutient avoir été exposé dans un contexte de surcharge de travail à des pressions de son employeur et des injonctions paradoxales.
Elle produit :
- son entretien annuel du 23 avril 2012 et son entretien annuel du 23 mars 2016 dans lesquels elle évoque les difficultés liées à un turn over des gestionnaires syndic de co propriété affectés à l'agence secondaire de [Localité 5] et la surcharge de travail importante en résultant pour elle s'agissant d'un poste d'assistante copropriété avec extension aux autres services de gérance, location, transaction. Son manager M.[O] conclut en mars 2016 ' il est grand temps que l'ambiance soit apaisée et sereine à l'agence de [Localité 5], tant au niveau des clients qu'au sein de l'effectif. Gageons que celui en place actuellement le reste bon nombre d'années. (..) un soutien de [Localité 7] est inévitable. [M] doit retrouver sa place d'assistante chevronnée'.
- son premier courrier d'alerte du 7 décembre 2013 sollicitant une augmentation de salaire au regard de son ancienneté ( 17 ans), de sa capacité à gérer seule le bureau en l'absence du gestionnaire en réunion ou en rendez-vous extérieur, à fidéliser les copropriétaires, depuis septembre 2012, du fait qu'elle assume en plus de son poste d'assistante copropriétés, le standard téléphonique, la réception physique de la clientèle (syndic, gérance, location et vente) et en plus une partie du travail du gestionnaire.
Elle observe qu'à [Localité 7], 6 personnes (4 assistantes et 2 secrétaires) et une personne à l'accueil s'occupent de 277 immeubles tandis qu'à [Localité 5] 73 immeubles sont à gérer avec une seule assistante copropriété.
- son courrier du 14 juillet 2014 alertant la direction sur sa surcharge de travail avec un effectif d'un demi-poste de gestionnaire;
- son courrier du 7 octobre 2014 rappelant son implication, son dévouement depuis septembre 2012 mais son impossibilité de résorber le retard lié à l'absence d'un demi-poste de gestionnaire dédié à [Localité 5].
- ses courriers des 10 février et 16 février 2015 d'alerte sur sa situation jugée 'très pénible ,je prends beaucoup sur moi jusqu'à quelle limite' (...). Elle constate que les promesses, dans le but de soulager sa charge de travail, d'embauche d'un gestionnaire à temps complet et d'une secrétaire durant quelques mois n'ont pas été suivies d'effet. La décision de fermeture de l'agence tous les après-midi n'est pas suffisante.
- son courrier du 24 février 2015 rappelant ses difficultés récurrentes, aggravées par l'absence prolongée de Mme [Z] pour arrêt de travail, Directrice d'agence assurant le poste à temps partiel de gestionnaire à [Localité 5],
- le courrier du 27 avril 2015 de M.[P] Directeur de Groupe d'agences, lui répondant que Mme [B] reprendra le poste de gestionnaire à temps complet au sein de l'agence de [Localité 5] à compter du 1er juillet 2015,
- le courriel de Mme [B] du 2 juillet 2015 informant la Direction de l'absence prolongée de Mme [L] comptable chargée de l'agence de [Localité 5], et sollicitant des renforts' nous faisons ce que nous pouvons avec [M] [A] pour rétablir la situation de [Localité 5] mais sans comptable, nous n'y arriverons pas . La situation est déjà difficile pour combler l'absence de gestionnaire sur [Localité 5] depuis février 2015 avec une surcharge de travail importante.'
- le courriel de Mme [B] du 4 septembre 2015 sollicitant l'aide d'une assistante pendant les congés de Mme [A] ( 3 semaines) et sur une période plus longue de 3 mois pour la prise de téléphone, mise sous pli, réception client ( le téléphone et la réception client prend au moins 2/3 de la journée).
- le courriel du 22 juin 2016 de Mme [B] à M.[P] faisant le point à l'issue d'une réunion ' je me permets de rebondir sur nos échanges depuis mars 2016. Vous êtes persuadé avec M.[C] que le problème de fonctionnement de l'agence de [Localité 5] vient de [M] ( [A]) qui ne fournit pas assez de travail. Je suis perplexe sur cette position et ce depuis le début. J'ai toujours reconnu que [M] est une bonne assistante, elle travaille certes seulement pendant les heures de son contrat de travail mais son travail est réalisé. Vous m'expliquez qu'au vu du portefeuille de [Localité 5], l'organisation est en phase par rapport à sa taille mais pouvez -vous m'indiquer sur quelles références vous vous basez' Lorsque je compare l'agence de [Localité 7] ou celle de [Localité 8], les assistantes n'ont pas toutes les mêmes tâches.(..) En plus de ces tâches administratives d'assistante, [M] se charge des sinistres , de l'accueil clients des trois services et le téléphone, la mise sous pli des convocations et divers courriers. Sur [Localité 7] deux secrétaires sont mises à disposition pour la mise sous pli et la gestion des sinistres(..)
- le témoignage de Mme [L], comptable chargée des lots gérés par l'agence de [Localité 5], en relation quotidienne avec Mme [A], qui rapporte les pressions exercées par M.[P] responsable des agences de Bretagne lors d'une visite impromptue le 30 mars 2016 dans les locaux de [Localité 5] ' pour s'entretenir avec Mme [A] dans son bureau ( portes ouvertes) pendant 45 minutes alors qu'elle devait prendre sa pause déjeuner. Tout en lui faisant des reproches sur son organisation de travail, il lui a indiqué qu'il envisageait de lui imposer le poste de gestionnaire pour soulager le travail de Mme [B]. Mme [A] (..) n'était pas préparée à cette confrontation avec M.[P] et s'est sentie attaquée sur la qualité de son travail de façon injuste' et qui relate l'entretien le lendemain avec Mme [B] gestionnaire qui lui a précisé ' qu'en cas de refus de Mme [A] pour le poste de gestionnaire à mi-temps en plus de ses autres fonctions ' on ne sait pas très bien ce que l'on pourra faire d'elle'(..)' Après avoir loué les qualités professionnelles de Mme [A] à l'issue de plus de 20 ans de collaboration, Mme [L] a considéré que la Direction avait mis la pression pour se débarrasser de salariés bénéficiant d'une grande ancienneté, placés en arrêt de travail puis licenciés.( Pièce 48)
Le fait que Mme [L] ait elle-même saisi le conseil de prud'hommes en contestation de la rupture de son contrat de travail dont l'issue de la procédure n'est pas justifiée, ne permet pas en soi d'écarter son attestation des débats. Rien ne permet de remettre en cause la sincérité de son témoignage concernant les faits qu'elle a constatés personnellement. Il n'y a donc pas lieu d'écarter ce témoignage des débats.
Concernant les agissements répétés dont se plaint Mme [A], celle-ci a produit :
- un échange de courriels des 27 septembre, 3 octobre 2016 et 17 novembre 2016 entre M.[P] et M.[E] nouveau gestionnaire de l'agence de [Localité 5] ' Ici, c'est particulier voire infernal! La clientèle ne sait pas clore les documents d'appels de fonds et les relevés d'écritures...' et lors du point d'étape ' 32 AGO à traiter en 11 semaines, 32 PV des AGO + 13 à traiter, 5 AGS à traiter d'ici la fin de l'année, 20 à 25 chantiers à traiter plus le courant: Sans accueil : transformation du challenge irréaliste!' et le 17 novembre 2016 ' pour sortir le dossier de [Localité 5] : un renfort de 6 mois s'impose sinon [MT] ( [V]) ne tiendra pas ! Des dossiers chronophages enterrés sous [Z] resurgissent!!!:'
- un courriel adressé le 10 novembre 2016 par M.[P] à M.[E], intitulé ' [M] [A]' dans lequel le Directeur régional s'offusquait lors du passage d'un collaborateur à l'agence de [Localité 5] vers 14h15 que 'les bureaux de l'agence de [Localité 5] étaient fermés et sans lumière' et déplorait que Mme [A] n'était pas à son poste ' Elle doit être devant pour accueillir les clients et non attendre dans le bureau d fond. Je compte sur votre mobilisation afin qu'elle reprenne son ancienne place. Je vais vous contacter en fin d'après-midi pour faire le point sur ce sujet.'( pièce 49-1)
- un courriel adressé le 6 décembre 2016 par Mme [A] à M.[P] ' Je fais suite à votre mail du 10 novembre dernier dont les propos m'ont profondément blessée. Vous notez ' [M] [A] n'était pas à son poste. Elle doit être devant pour accueillir les clients et non attendre dans le bureau du fond.' (..) C'est à la demande et en accord avec M.[E] que nous fermions l'agence de [Localité 5] l'après-midi. Cette disposition avait été prise voilà quelques semaines afin de nous permettre de rattraper le retard accumulé depuis de nombreux mois comme vous le savez au sein de l'agence. Contrairement à vos affirmations, j'étais à mon poste de travail dans le bureau de M.[E] pour avancer au maximum les dossiers Syndic. Je n'attends pas et je n'ai jamais attendu. Je mets toute mon énergie pour tenter de rattraper le retard et satisfaire au mieux la clientèle. De plus, c'est à la demande expresse de M.[E] que je travaille en face de lui dans le même bureau afin de faciliter les échanges (..) Sur les dossiers, au fil des appels (.;) M.[E] n'étant là que depuis peu de temps, il ne connaît pas les clients ni les problématiques de chaque immeuble ni l'historique des dossiers(..) Étant donné le contexte difficile à l'agence de [Localité 5], nous avons d'une part un travail colossal pour rattraper le retard ( convoquer les assemblées en même temps que nous traitons les PV des AG, bapage des factures, questionnaires des notaires, questionnaires ALUR, suivi des sinistres..)( ..)Je souhaite que la vérité soit rétablie sur mon vrai rôle à l'agence de [Localité 5] (..) Je ne peux accepter de voir de tels propos sur des mails me concernant.(..)'( pièce 52.1)
- la réponse du 16 décembre 2016 de M.[P] à Mme [A] lui confirmant avoir demandé à M.[E] qu'elle soit 'positionnée dans le bureau qu'elle occupait jusqu'à présent et non dans son bureau(..) Que la décision de fermer l'agence les après-midi avait été prise pour qu'elle puisse se concentrer sur le traitement des dossiers sur lesquels nous avions constaté un retard conséquent(..) Par ailleurs, je souhaiterai que vos horaires de travail soient en adéquation avec les heures d'ouverture de l'agence notamment les vendredis après-midi. Cet aménagement permettra en outre de mieux répartir votre charge de travail sur la semaine. (..) Je vous confirme que la gestion du portefeuille sur lequel vous intervenez composé de 67 immeubles pour 1 729 lots principaux représente une charge tout à fait normale et raisonnable et si vous rencontrez des difficultés, nous étions à votre disposition pour vous aider notamment dans l'organisation de votre travail. Je vous confirme que répondre aux appels téléphoniques, établir des courriers et assurer l'accueil physique des clients sont des tâches qui font partie intégrante de votre fonction d'assistante.(..)'
L'employeur est mal fondé à invoquer le caractère déloyal de la production du mail du 10 novembre 2016 de M.[P] ( pièce 49.1) adressé à M.[H] [R] alors que la salariée justifie d'une part avoir réceptionné par l'intermédiaire du gestionnaire de M.[E] ce courriel litigieux et d'autre part, avoir répondu directement le 6 décembre 2016 à M.[P] ( pièce 52.1) en visant le courriel litigieux et en s'insurgeant des termes employés par son supérieur hiérarchique ' vos propos dans ce mail m'ont profondément blessée). Il n'y a donc pas lieu d'écarter des débats le courriel du 10 novembre 2016.
Concernant les pièces 49-3 et 49-4 dont l'employeur sollicite également le rejet des débats pour violation du secret des correspondances, Mme [A] communique des courriels échangés le 13 décembre 2016 entre M.[P] et M. [E] évoquant 'qu'un arrêt prochain de Mme [A] semble se profiler rapidement' à charge pour son supérieur de ' récupérer des éléments pour monter un dossier et pour anticiper dans le même temps un éventuel remplacement de [M] ( [A]) par [MF]'. Il interroge également à M.[P] pour savoir 's'il avait répondu au précédent mail de Mme [A]' en se référant manifestement au courriel de la salariée du 6 décembre 2016 intitulé ' demande de reconnaissance' dans lequel elle s'insurgeait auprès de M.[P] à propos du mail du 10 novembre 2016 la concernant ( pièce 52.1).
Il résulte de l'article 6 §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 9 du code de procédure civile que, dans un procès civil, l'illicéité ou la déloyauté dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
Plus précisément, pour envisager qu'une preuve illicite puisse, malgré cela, être déclarée recevable, il faut qu'elle soit indispensable, c'est à dire qu'elle doit être le seul moyen d'établir la réalité du fait allégué ou encore qu'aucun autre moyen de preuve moins attentatoire au respect de la vie privée (ou à tout autre droit fondamental mis en cause) ne puisse être offert.
Le juge doit ensuite apprécier le caractère proportionné de l'atteinte ainsi portée à la vie privée au regard du but poursuivi en vérifiant que, en l'espèce et de manière concrète, le moyen de preuve illicite ne porte pas une atteinte disproportionnée à la vie privée de l'une des parties par rapport à l'objectif poursuivi par l'autre.
En l'espèce, Mme [A] ne figurant pas comme destinaire des courriels litigieux échangés le 13 décembre 2016 entre M.[P] et M.[E], avec la mention " confidentiel" ne s'explique pas sur les circonstances dans lesquelles elle a eu communication de ces courriels portant la mention " confidentiel". Dès lors, il s'agit bien d'éléments de preuve obtenus de manière déloyale.
Dans la mesure où cela lui est demandé dans le corps de ses conclusions par l'employeur, et dès lors que les courriels contreviennent au principe de loyauté dans l'administration de la preuve, il appartient à la cour de vérifier si les pièces litigieuses étaient indispensables ou non à l'exercice du droit à la preuve de la salariée et si l'atteinte au respect de la vie personnelle de l'employeur représenté par M.[P] et le gestionnaire M.[E] était disproportionnée ou non.
Au cas présent, Mme [A] invoque une situation de harcèlement moral de la part de ses supérieurs hiérarchique , dont M.[E], qui la côtoyait au quotidien sur le site de [Localité 5]. et affirme que la production de ces deux courriels permet d'appréhender la réalité et la nature des relations de travail avec la salariée dont les supérieurs hiérarchiques constatent la dégradation de santé en attendant, de manière cynique sans s'interroger sur les moyens de prévention, le prochain arrêt de travail de la salariée alors que celle-ci était dans l'attente de la réponse de M.[P] à son courriel du 6 décembre 2016 dans lequel elle s'insurgeait du comportement de ce dernier à son égard et sollicitait son soutien et sa reconnaissance pour son investissement professionnel notamment depuis 2015 au sein de l'agence de [Localité 5]. La réponse de M.[P] lui a été adressée quelques jours plus tard, le 16 décembre 2016 par courrier recommandé.
Dans ces conditions et dès lors que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner les éléments invoqués par la salariée, pris dans leur ensemble, Mme [A] démontre que ces courriels obtenus de manière déloyale étaient indispensables à l'exercice de son droit à la preuve.
La cour estime que la production de ces éléments de preuve obtenus de manière déloyale était nécessaire à l'exercice du droit à la preuve de la salariée, qu'en tout état de cause, le but légitime poursuivi par l'intéressée ne pouvait pas être atteint en portant une moindre atteinte à la vie privée de ses interlocuteurs s'agissant de l'unique moyen pour la salariée, travaillant seule au sein de l'agence avec M.[E], d'établir la preuve que ses supérieurs hiérarchiques étaient parfaitement informés des difficultés dénoncées par elle dans l'exercice de ses fonctions et du lien de causalité avec la dégradation de son état physique et psychique; ainsi l'atteinte portée à la vie privée de ses supérieurs hiérachiques était proportionnée au but poursuivi en ce que les courriels concernaient exclusivement la situation de Mme [A] et les conséquences de ses conditions de travail dégradées sur son état de santé. La salariée établissant qu'elles lui étaient nécessaires à l'exercice de ses droits devant la juridiction , il n'y a pas lieu d'écarter ces pièces des débats ni de les déclarer irrecevables.
Mme [A] produit en outre:
- le courriel du 11 janvier 2017 de Mme [A] à M.[P] faisant suite à sa demande 'à ce qu'elle reste à son poste de travail dans le bureau de devant'et sollicitant son aval, après demande faite auprès de M.[E], pour qu'elle puisse s'absenter de l'agence pour se rendre quotidiennement à la Poste afin d'y déposer les courriers de l'agence.
Dans ce message, la salariée l'informait des reproches injustifiés et de l'agression verbale dont elle avait été victime en début d'après-midi à la suite de reproches de M.[E] concernant le retard de traitement de mails non lus alors qu'elle revenait de formation ' pendant plus de 15 minutes, j'ai subi ses assauts, ses reproches, me traitant d'incompétente, que je créais des problèmes avec la clientèle alors que certains clients se plaignent régulièrement de M.[E]. Il m'a fait même part de son intention de me licencier. C'est un comportement inadmissible. Vous conviendrez que cela n'aide pas les gens à travailler dans des conditions sereines. Mais n'est ce pas le but'(..)'
- un courriel du 16 janvier 2017 de Mme [A] à M.[E] sollicitant 'l'aval par mail de son gestionnaire pour qu'elle sorte du bureau quotidiennement pour se rendre à la Poste et déposer le courrier de l'agence ' et 'ceci dans le cadre que M.B S ( M.[P]) m'a adressé.'
- la réponse de M.[E] le même jour ' Madame , en l'absence de votre contrat de travail, il me semble que dans l'attribution des tâches 'ordinaires' d'un ou d'une assistante de gestion, le dépôt du courrier à la poste est de mise.'
- le courriel de la salariée du 16 janvier 2017 réitérant sa demande ' Effectivement, cela n'est pas spécifié ni dans mon contrat de travail ni dans ma fiche de poste Assistante copropriétés. En conséquence merci de me confirmer par écrit votre accord pour que je puisse me rendre à la Poste de [Localité 5] quotidiennement afin d'y déposer le courrier de l'agence', auquel M.[E] lui a répondu ' Madame , je vous le confirme.'
- un sms du 1er décembre 2016 de M.[E] sur le téléphone personnel de la salariée:' Penser à regarder les dossiers de lundi et mardi si nous attendons des devis. Quant au management : j'ai de nouveaux fouets!Houm!!!!!....Bien à vous, [D].'
- les courriels du 23 septembre 2016, 20 décembre 2016 et du 30 mars 2017 de plusieurs copropriétaires se plaignant du comportement désagréable voire insultant de M.[E], gestionnaire des copropriétés , de sa gestion incohérente ( Mmes [K] , [N], [W] ).
- les deux sms de M.[V], nouveau gestionnaire ayant succédé à M.[E], dans lesquels il formule le 23 novembre 2017 ses excuses auprès de sa collaboratrice ' je suis vraiment et sincèrement désolé. On forme à mes yeux une super équipe et tu as raison , tu ne peux pas et surtout ne dois pas tout assumer. Je sais ce que tu fais et tu en fais beaucoup (..) Par contre , tu as raison je suis certainemet plus à fleur de peau que d'habitude mais tu n'y es absolument pour rien et que je ne veux pas que notre relation en pâtisse (..) Puis ' Tu sais, je ne suis pas [E]! Et je ne veux pas le devenir .(..)'
( pièces 55-1 et 55-2)
- de nombreux courriels de l'agence témoignant de l'efficacité et des compétences professionnelles de Mme [A], nonobstant les difficultés liés à l'absence du gestionnaire de l'agence de [Localité 5], certains soulignant la façon déguisée de Nexity de réduire le service de syndic pour éviter l'embauche d'un gestionnaire.
- les témoignages de Mme [S] ancienne responsable administrative
( 1983- janvier 2016) et Mme [Y] ancienne assistante de gestion ( 1988-février 2016) faisant état de la dégradation des conditions de travail au cours des trois dernières années passées au sein du cabinet Nexity de [Localité 7] et soulignant des 'comportements irrespectueux et méchants de la part de certains responsables et de remontrances' envers des salariées de l'ancienne direction.
- des alertes formulées lors des réunions de délégués du personnel depuis 2012 signalant la situation dégradée depuis 2012 et notamment le 15 octobre 2015 des agences de [Localité 7] et de [Localité 5] qui n'ont pas de direction depuis un certain temps, le Directeur régional des agences M.[P] assurant le relais.
Les éléments ainsi versés aux débats par la salariée mettent en relief:
- les messages dénigrants de M.[P] , Directeur de groupe d'agence ( N+2) imputant à Mme [A] la responsabilité des retards de traitement des dossiers de l'agence de [Localité 5],
- les injonctions paradoxales de M.[P] autorisant la fermeture de l'agence de [Localité 5] au public tous les après-midi pour permettre à M.[E] et à l'assistante de résorber le retard accumulé avant de considérer en plein pic d'activité de syndic (assemblées générales) en décembre 2016 qu'il fallait 'que ses horaires de travail soient en adéquation avec les heures d'ouverture de l'agence'(pièce 53-1) et ce, en décalage avec les messages d'alerte de M.[E] sur la gravité de la situation (courriels des 27 septembre, 3 octobre 2016 et 17 novembre 2016).
- les demandes d'explications immédiates sur un ton suspicieux de M.[P] concernant l'absence momentanée de la salariée un mercredi en début d'après-midi alors qu'elle pouvait se trouver dans un autre bureau ' au fond' de l'agence ou se rendre à la Poste pour déposer le courrier de l'agence.
- un sms à connotation sexuelle de M.[E] transmis le 1er décembre 2016 à la salariée en évoquant son impatience à utiliser de 'nouveaux fouets' à l'égard de sa subordonnée. Ce message, loin de s'analyser comme une boutade comme le fait l'employeur, est douteux et totalement déplacé envers Mme [A], au demeurant sur son téléphone personnel, étant observé que le ton employé ne correspond pas à la teneur de ses messages précédents.
- la réponse désinvolte et elliptique de M.[E] à la salariée, à laquelle M.[P] avait reproché son absence momentanée dans le bureau de ' devant' de l'agence, alors que Mme [A] demandait au gestionnaire son accord écrit pour qu'elle puisse se rendre quotidiennement à la Poste et déposer le courrier de l'agence.
S'agissant de l'agression verbale dénoncée par la salariée le 11 janvier 2017, Mme [A] établit la défaillance de l'employeur en réaction aux faits portés à sa connaissance le soir même, alors que la société Nexity se devait de faire entendre M.[E] directement mis en cause et mettre en oeuvre une procédure destinée à analyser la situation de santé et en tirer toute conséquence au sein d'une petite structure, composée uniquement du gestionnaire et de son assistante. La cour observe que la plainte de la salariée n'a fait l'objet d'aucune contestation ultérieure de la part de M.[E] auprès de l'employeur sur le déroulement de la journée du 11 janvier.
S'agissant des faits du 23 novembre 2017 imputés à M.[V], nouveau gestionnaire arrivé en avril 2017, la salariée fait valoir qu'elle a subi la pression anormale et l'abus d'autorité du gestionnaire par exemple en la sollicitant à tout moment pour des tâches subalternes comme prendre un dossier rangé dans l'étagère située juste derrière lui. Ce dernier a reconnu au travers de deux sms d'excuses ( 18 heures et 21 heures) la réalité de l'incident après la crise de panique de la salariée survenue à la sortie de son travail vers 17h30 et suivie de la prescription d'un arrêt de travail le lendemain ( 24 novembre 2017).
Sur le plan médical, Mme [A] verse aux débats:
- des arrêts de travail délivrés par son médecin traitant , Docteur [X], du 24 novembre 2017 au 17 janvier 2018 puis du 20 janvier 2018 au 30 avril 2020, en raison d'une 'dépression en relation avec des difficultés professionnelles.'
- un certificat de ce même médecin indiquant que l'arrêt de travail du 20 janvier 2018 est bien en lien avec le précédent arrêt de travail du 24 novembre 2017.
- l'avis du médecin du travail en date du 17 mars 2020 au terme duquel elle a été déclarée inapte ' tout maintien dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé.'
- le dossier du médecin du travail faisant apparaître l'absence d'antécédents avant le 14 novembre 2012.
- lors de la visite du 20 mars 2018 : Elle a eu un arrêt de travail de 3 mois en 2015 pour un syndrome dépressif, puis un second arrêt de travail du 24 novembre 2017 et 17 janvier 2018, 'elle a une charge de travail +++, aime son travail mais avoir été harcelée psychologiquement par un responsable. Elle se plaint de fatigue, de troubles de sommeil, de perte de mémoire',
- le 6 février 2020 : elle présente 'une anxiété sévère généralisée, suit un traitement antidépresseur, a des attaques de panique périodiques. La reprise dans l'entreprise ne paraît pas envisageable.'
- le certificat du psychiatre [I] du 20 octobre 2018 consulté par Mme [A] pour un état d'épuisement physique et psychique, une tension interne permanente, des cauchemars récurrents. 'L'estime de soi est altérée avec une souffrance morale vraie'.
- les certificats du Docteur [F], médecin psychiatre assurant en relais du Docteur [I] le suivi psychiatrique de la salariée depuis septembre 2018 pour un épisode dépressif majeur avec une composante anxieuse sévère. La salariée présentait alors' un état de stress aigu en lien avec des cauchemars, des troubles du sommeil, des images intrusives, des troubles cognitifs et une symptomatologie anxieuse à type d'attaque panique, verbalisation d'un état d'insécurité et d'alerte permanent, ainsi que des symptômes dissociatifs à type de personnalisation, perte identitaire, sensations corporelles inhabituelles et un détachement majeur'.
La patiente rapportait alors un contexte de travail vécu comme source d'un stress intense et répété, avec répétition d'agissements offensifs, intimidants et menaçants de la part M.S.G ( pièce 36/36).
Si le suivi médical a permis une amélioration sensible avec atténuation de la fréquence et de l'intensité des symptômes de répétition, des céphalées et des capacités cognitives, il subsiste 'une humeur triste une aboulien une anhédonie, un éloignement vis à vis du monde avec un repli sur soi et un sentiment d'isolement et abandon '. Son état est incompatible avec une reprise du travail. ( les 20 octobre 2018, 31 janvier 2019, 10 juillet 2019, 12 décembre 2019, 27 juillet 2021, 23 avril 2015 )
La salariée a décrit avoir tenté de reprendre le travail pendant 2 jours en janvier 2018 à l'issue de l'arrêt de travail prolongé (24 novembre 2017- 17 janvier 2018), mais a compris qu'elle n'était pas attendue par le gestionnaire M.[V] qui l'a fait attendre 30 minutes dans le hall avant de lui dire de s'installer dans un bureau provisoire, celui 'du fond', et que le directeur appelé par le gestionnaire s'est déplacé sur le site pour annoncer à la salariée un possible changement d'agence. Il lui a été demandé de revenir le vendredi après-midi pour rattraper les heures non effectuées durant la semaine puisqu'elle était revenue que le jeudi.
- le certificat d'une psychologue du 30 avril 2019 prenant en charge l'hypnothérapie de Mme [A].
- le certificat d'une psychothérapeute en date du 3 juillet 2019 ayant constaté la sévérité des troubles anxieux, l'éparpillement de la pensée, le défaut d'articulation entre les registres cognitifs et affectifs, et préconisant des consultations spécialisées.
- les certificats du médecin expert psychiatre, docteur [RX], des 12 juillet 2019 et 2 juillet 2020 considérant que la salariée présente un syndrome anxiodépressif de gravité modérée, avec une perte de sa capacité de travail supérieure ou égale à 66%; qu'elle est apte à un travail quelconque bien évidemment en dehors du cadre professionnel préexistant à la date du 2 mars 2020.
- le questionnaire rempli par la salariée dans le cadre de sa demande de reconnaissance de maladie professionnelle expliquant qu'elle a été 'laissée seule à l'agence de [Localité 5] en février 2015, à la suite de la dépression de la gestionnaire affectée à temps partiel ( Mme [Z]), qu'elle a sombré aussi avant de reprendre son poste, la Direction s'engageant à recruter un gestionnaire à temps complet en juillet 2015, qu'entre 2016 et 2017, il y a eu un turn over de 3 gestionnaires à charge pour l'assistante d'assurer l'intérim et réexpliquer les dossiers à chacun d'eux ; qu'en juillet 2016, M.[E] a adopté une attitude harcelante et lui a tenu des propos dénigrants sur son travail et son physique, lui a envoyé un sms à connotation sexuelle avec menace de nouveaux fouets ; qu'en novembre 2016, elle a reçu un mail lui reprochant de ne pas être à son poste de travail alors qu'elle se trouvait dans le bureau du gestionnaire qui lui avait été assigné; que M.[E] ne cessait de lui répéter qu'il la soutenait , qu'il était son dernier rempart contre la Direction qui avait une piètre opinion de son travail mais il me manipulait, la complimentant avant de la critiquer sur le plan professionnel et physique; que le 11 janvier 2017, comme elle lui demandait l'autorisation pour se rendre à la poste, elle a eu une altercation avec M.[E] qui l'a menacé de la licencier; qu'elle n'a reçu aucun soutien de la Direction après s'être plainte de l'incident; que par la suite, le nouveau gestionnaire M.[V] a adopté une attitude inappropriée et vindicative , ce dont il s'est excusé le 23 novembre 2017 dans deux sms, 'ne voulant pas être [E]!'; que ce nouvel incident a déclenché une attaque de panique à l'origine de son arrêt de travail le 24 novembre 2017.'
Elle ajoute que M.[E] tenait souvent des propos humiliants en sa seule présence, faisant des reproches sur 'les erreurs de casting', 'les femmes qui ne tenaient pas et étaient toutes sous anxiolytiques'et tenant des propos grossiers en sa présence ' couilles de loup', 'je mets mes couilles sur la table'
- le jugement du 13 janvier 2025 du pôle social du Tribunal judiciaire de Quimper ayant retenu la faute inexcusable de l'employeur et ordonné une expertise médicale de la salariée.
C'est par une exacte appréciation des faits que les premiers juges ont considéré après avoir tenu compte non seulement des doléances de la salariée mais aussi des éléments objectifs que Mme [A] a établi la matérialité de faits précis et concordants qui, pris dans leur ensemble, laissaient supposer l'existence d'un harcèlement moral de ses supérieurs hiérarchiques à son encontre.
Il est en effet détaillé au travers des réponses de M.[P] remettant en cause les dires de la salariée confrontée à des difficultés objectives au sein de l'agence de [Localité 5], d'une suspicion injustifiée de son supérieur hiérarchique quant à l'implication de la salariée, mais aussi de la dégradation de son état de santé, confirmée par des arrêts de travail.
L'employeur conteste toute existence de faits laissant supposer l'existence d'un harcèlement en invoquant l'absence de témoins directs des agissements dont se plaint Mme [A]. Il se borne toutefois à remettre en cause la fiabilité des témoignages produits par la salariée par des personnes qui n'étaient pas présentes dans les locaux, ou n'ont travaillé à [Localité 5] que durant 3 demi-journées ( Mme [L]). Il conteste l'existence d'un climat social délétère ainsi le fait que la salariée a subi une surcharge de travail liée au turn over des gestionnaires.
Toutefois, sans entrer dans le détail de l'argumentation de l'employeur, force est de constater qu'il ne fournit aucun document ou témoignage permettant de considérer que les faits dénoncés par la salariée n'ont pas eu lieu ou qu'ils étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le témoignage de M.[P], supérieur hiérarchique ( N+2) de Mme [A], est formulé de manière vague et non circonstanciée : il ne fournit aucune explication sur son absence de réponse à réception du message du 11 janvier 2016 de la salariée dénonçant le comportement humiliant et menaçant du gestionnaire M.[E] après une agression verbale subie le jour même. Alors que Mme [A] se dit ' profondément blessée' le 6 décembre 2016 par le message de M.[P] transféré le 10 novembre 2016 manifestant un emportement disproportionné envers la salariée à propos d'une prétendue absence à son poste ' de devant' à 14h15 un mercredi et sollicitant les explications de M.[E] en urgence . Son animosité transparaît également quelques jours plus tard lorsque M.[E] annonce un éventuel arrêt de travail de la salariée lorsque M.[P] lui demande de récupérer des éléments ' pour monter un dossier' et dans le même temps anticiper sur un éventuel remplacement de Mme [A] ( pièce 49-3).
Dans ces conditions, le harcèlement moral invoqué par Mme [A] est caractérisé. Il convient dès lors de prononcer la nullité du licenciement pour inaptitude, par voie de confirmation du jugement.
2- Sur les conséquences financières du licenciement nul
Mme [A] sollicite la confirmation du jugement qui lui a accordé la somme de à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de l'illicéité de son licenciement.
La société considère que le quantum de la demande est injustifié en l'absence d'éléments caractérisant le préjudice au-delà des 6 mois de salaire prévus par la loi.
Mme [A], âgée de 51 ans et ayant une ancienneté de 23 ans lors du licenciement démontre ses difficultés réelles pour se réinsérer sur le plan professionnel au regard d'un état de santé non stabilisé, ce dont elle justifie au travers d'un suivi médical spécialisé et d'une reconnaissance de travailleur handicapé. A l'issue d'une période de chômage indemnisé entre novembre 2020 et octobre 2021 (1 400 euros par mois, la salariée a perçu des indemnités journalières (1100 euros par mois) avant de percevoir depuis mai 2022 une rente d'invalidité de l'ordre de 420 euros par mois. Elle bénéficie de la reconnaissance de travailleur handicapé depuis cette date.
Au vu de ces éléments d'appréciation, c'est à juste titre que les premiers juges ont évalué à 63 700 euros le montant des dommages et intérêts dus à la salariée en réparation de la perte de son emploi lié à l'illicéité de son licenciement. Le jugement sera confirmé de ce chef.
La salariée dont le licenciement est nul est également fondée à obtenir le versement de l'indemnité compensatrice de préavis de 5 308,40 euros brut outre les congés payés, dont le montant n'est pas contesté par l'employeur. Le jugement sera également confirmé sur ce point.
3-Sur la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral
Mme [A] demande la confirmation du jugement lui ayant accordé la somme de 15 000 euros en réparation des faits de harcèlement moral qu'elle a subis.
C'est par des motifs pertinents que la cour adopte que les premiers juges ont retenu le bien fondé de la demande d'indemnisation de la salariée au titre d'un préjudice moral après avoir pris en compte l'absence de toute réaction de l'employeur lorsque Mme [A] a dénoncé par écrit l'agression verbale du 11 janvier 2017 de son supérieur hiérarchique.
En effet, alors que l'employeur était déjà informé par plusieurs copropriétaires du comportement désobligeant, agressif voire injurieux de M.[E] dans l'exercice de ses fonctions, force est de constater que la société n'a procédé à aucune audition ni diligenté la moindre enquête interne après l'alerte de la salariée travaillant seule avec lui depuis juillet 2016 au sein de la structure. Si M.[E] a quitté l'agence de [Localité 5] en avril 2017 -pour prendre la direction de l'agence de [Localité 7]-, cette affectation a été justifiée par le mouvement de mécontentement de plusieurs clients et non en raison de son comportement managérial envers son assistante, selon les dires non contestés de Mme [A]. Les éléments ainsi recueillis permettent au regard de l'intensité du préjudice moral subi par la salariée et de la répétition des agissements sur plusieurs mois ( février 2015-janvier 2018), d'allouer à Mme [A] des dommages et intérêts distincts de ceux résultant de l'illicéité de son licenciement pour harcèlement moral qui seront justement à la somme de 8 000 euros, par voie d'infirmation du jugement uniquement sur le quantum.
4- Sur la demande de dommages et intérêts pour atteinte à la santé au travail
Mme [A] demande la confirmation du jugement qui a fixé à
20 000 euros les dommages et intérêts pour atteinte à la santé au travail fondés sur le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.
La société Nexity a conclu au rejet de la demande de la salariée au motif qu'il a toujours veillé à pourvoir le poste des gestionnaire dans l'agence de [Localité 5] dans un contexte difficile de recrutement, que Mme [A] n'a pas eu à souffrir de la vacance de ce poste, bénéficiant d'un renfort ponctuel à l'accueil ou d'une autorisation à fermer l'agence l'après-midi en cas de besoin pour se concentrer sur ses autres missions en périodes de haute activité inhérentes au métier de syndic; que son portefeuille était deux deux fois moins important qu'à [Localité 7] en nombre de lots et d'immeubles, qu'elle n'a transmis aucune alerte au titre de sa prétendue surcharge de travail étant rappelé qu'elle n' a pas prétendu avoir effectué d'heures supplémentaires pour assurer ses missions.
Aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1. Des actions de prévention des risques professionnels ;
2. Des actions d'information et de formation ;
3. La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
L'employeur est également tenu de veiller à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.
Aux termes de l'article L. 4121-2 du même code : « L'employeur met en 'uvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
1. Eviter les risques ;
2. Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
3. Combattre les risques à la source ;
4. Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
5. Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;
6. Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
7. Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L.1152-1 et L. 1153-1 ;
8.Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
9.Donner les instructions appropriées aux travailleurs. »
Le salarié est tenu de démontrer la connaissance du risque par l'employeur, notamment en rapportant l'alerte émise sur le risque, sauf si cette connaissance est présumée. Ensuite, il suffit au salarié d'alléguer la violation de l'obligation de sécurité sans avoir à la démontrer et il incombe à l'employeur d'établir qu'il a effectivement pris les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité.
L'employeur qui entend s'exonérer de sa responsabilité doit alors justifier avoir pris toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs telles que prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.
Le juge doit apprécier et analyser la rationalité, la pertinence et l'adéquation des mesures effectivement prises par l'employeur.
Par ailleurs, si pèse de façon générale sur l'employeur une obligation de sécurité de prévention (articles L.4121-1 et 2 du code du travail), le législateur a imposé expressément à celui-ci, en matière de harcèlement, moral ou sexuel, de prendre toutes dispositions nécessaires à prévenir le harcèlement (articles L. 1152-4 et 5).
A cet égard, le fait pour un employeur ne pas prendre de mesures suffisantes pour éviter une situation de souffrance au travail constitue un manquement à l'obligation de prévention des risques professionnels.
L'employeur peut s'exonérer de sa responsabilité en matière de harcèlement s'il démontre (en ce sens, Soc. 1er juin 2016, n°14-19702, Bull. 2016, V, n°123) :
1°] qu'il a pris toutes les mesures de prévention visées aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et notamment les actions d'information et de formation propres à prévenir la survenance de faits de harcèlement ;
2°] qu'il a pris immédiatement toutes les mesures propres à faire cesser le harcèlement et l'a fait cesser effectivement.
Le préjudice résultant de l'absence de prévention par l'employeur des faits de harcèlement et les conséquences du harcèlement effectivement subi peuvent donner lieu à des réparations distinctes (en ce sens, Soc., 19 novembre 2014, pourvoi n° 13-17.729, Bull. 2014, V, n° 267).
Il appartient au juge, évaluant les éléments de preuve qui lui sont soumis, d'évaluer le comportement de l'employeur, notamment la pertinence des mesures de prévention et de sécurité prises et leur adéquation au risque connu ou qu'il aurait dû connaître.
L'existence ou non d'une enquête menée par l'employeur peut être pour les juges du fond un élément d'appréciation ; si elle constitue un moyen utile de faire la lumière sur les faits qui lui sont dénoncés et ainsi de prendre les mesures opportunes au vu de ce que ces investigations ont révélé, elle n'est cependant pas obligatoire en pareil cas, (en ce sens, Soc., 7 avril 2016, pourvoi n°14-23.705 ; Soc., 12 juin 2024, pourvoi n° 23-13.975).
En l'espèce, les pièces versées aux débats établissent que Mme [A] assistante de coprpopriété expérimentée était soumise depuis plusieurs années à une charge mentale forte en lien avec un turn over important du gestionnaire syndic affecté à l'agence de [Localité 5]; que cette pression a engendré progressivement un état d'épuisement qui s'est révélé lors d'un premier épisode dépressif à l'origine d'un arrêt de travail du 28 février 2015 au 13 juin 2015, alors que le poste de gestionnaire (Mme [Z] ) n'était pas pourvu ; que , sollicitée à son retour par les gestionnaires successifs ( Mme [B], M.[E], M.[V]), elle a vu sa santé physique et mentale sérieusement altérée par les agissements de M.[E] se montrant abusivement autoritaire et humiliant ( juillet 2016-mars 2017) et par ceux de son successeur M.[V] lui imposant sans ménagement une charge importante de travail ( depuis avril 2017); que la salariée a 'craqué' en sortant du travail le 23 novembre 2017 à la suite des pressions de M.[V] à son égard, ce que ce dernier a reconnu au travers de deux sms d'excuses, dont la tenuer est explicite sur le caractère anormal et injustifié des pressions exercées sur sa subordonnée; qu'à l'issue d'un nouvel arrêt de travail jusqu'au 17 janvier 2018, Mme [A] a tenté une reprise de son poste durant 48 heures au cours desquelles elle a dénoncé de nouvelles pressions et humiliations de la part de M.[V] ( isolement pendant 30 minutes dans le hall d'entrée avant de l'affecter dans le bureau ' du fond', mutisme du gestionnaire durant la journée de travail, demande de venir travailler le vendredi après-midi pour 'compenser' son absence ; déplacement du Directeur sur site pour lui annoncer une éventuelle affectation dans l'agence de [Localité 7]) ; qu'elle a ainsi fait l'objet d'un nouvel arrêt de travail du 20 janvier 2018 au 1er mars 2020, avant que son inaptitude ne soit constatée par le médecin du travail à tout emploi dans l'entreprise; que la salariée, dont l'investissement professionnel trouvait sa récompense au terme d'une évolution de carrière dans la reconnaissance de sa hiérarchie et des copropriétaires, a subi des reproches de la part de la nouvelle direction qui lui sont apparus profondément injustes et a dénoncé en vain la dégradation de ses conditions de travail notamment avec M.[E].
Le diagnostic du syndrome dépressif sévère, constaté par le médecin traitant de Mme [A] qui lui a prescrit des arrêts de travail prolongés, a été confirmé par les spécialistes en psychiatrie ainsi que par le médecin du travail, qui ont conduit ce dernier à considérer qu'il ne s'agissait pas d'une fatigue passagère, mais que la salariée n'était définitivement plus en état de faire face aux nombreuses sollicitations de son poste, et y était devenue inapte.
Pour sa part, la société Nexity ne fournit aucune explication cohérente quant l'absence d'organisation d'une visite médicale de reprise à l'issue du long arrêt de travail de Mme [A] de plus de 3 mois ( 24 novembre 2017- 17 janvier 2018) étant rappelé que la salariée avait déjà fait l'objet d'un précédent arrêt de travail de plus de 3 mois pour syndrome dépressif sans avoir bénéficié d'une visite médicale de reprise le 13 juin 2015, ce qui est confirmé par le dossier du médecin du travail.
La société Nexity ne justifie d'aucune mesure concrète lui permettant d'apprécier la situation de l'agence de [Localité 5] alors qu'elle était dûment informée des difficultés au travers de :
- des alertes écrites de la salariée sur les difficultés récurrentes de l'agence, sur sa surcharge de travail, par exemple le 10 février 2015" la situation a empiré depuis mi-août 2014, je ne peux pas assumer mon poste d'assistante copropriété avec 1459 lots et 73 immeubles ) et le poste de Mme [Z] absente régulièrement du fait de ses fonctions de Directrice des deux agences et ce depuis 2 ans', le 16 février 2015, quelques jours avant son arrêt de travail ' cette situation m'est très pénible, je prends beaucoup sur moi jusqu'à quelle limite.'
- des interpellations des délégués du personnel'les agences de [Localité 7] et de [Localité 5] n'ont pas de direction depuis un certain temps. (..) Cela renforce le sentiment d'isolement et de délaissement des collaborateurs concernés.'
( réunion DP du 1er octobre 2014, réunion CE du 15 octobre 2015 )
- des constats dressés par les gestionnaires eux-mêmes ( Mme [B] sollicitant du renfort le 2 juillet 2015 puis le 22 juin 2016" sinon nous n'y arriverons pas', M. [E]' A [Localité 5], c'est infernal 'le 27 septembre 2016 - et' pour sortir le dossier de [Localité 5], un renfort de 6 mois s'impose sinon ( [MT] [V]) ne tiendra pas' le 17 novembre 2016 ).
- de l'analyse faite par M.[O] supérieur hiérarchique dans son dernier entretien annuel du 23 mars 2016 décrivant Mme [A] comme une assistante chevronnée et objectivant des conditions de travail difficiles en l'absence de gestionnaire stable, ce qui amène de fait la salariée, seule dans l'agence, en sus de son poste d'assistante copropriétés, à répondre aux autres services en place (gérance, location, transaction).( pièce 35)
L'employeur a reconnu dans son courrier du 27 avril 2015, durant l'arrêt de travail de la salariée en réponse à ses alertes des 16 et 24 février 2015, que, alerté sur sa situation au sein de l'agence de [Localité 5].( Pièce 42.2) et souhaitant 'mettre tout en oeuvre pour que Mme [A] puisse reprendre son poste dans les meilleures conditions', il avait désigné Mme [B] comme gestionnaire à temps complet à compter du mois de juillet 2015.
L'employeur sur laquelle repose la charge de la preuve ne démontre avoir pris aucune mesure effective de prévention et de protection de la santé et la sécurité de la salariée malgré les alertes de celle-ci formulés lors de ses entretiens annuels et dans ses courriers successifs. Force est de constater que le supérieur hiérarchique au niveau régional ( M.[P]) a banalisé de manière systématique la charge de travail de l'assistante de [Localité 5] ainsi que son investissement professionnel sans pour autant justifier qu'il a bien mis à sa disposition les moyens nécessaires pour remédier au manque de personnel dénoncé par la salariée.
De même, le fait pour le supérieur hiérarchique d'affirmer de manière stéréotypée dans son courrier de réponse du 6 décembre 2016 (pièce 53-1) que la charge de travail est 'tout à fait normale et raisonnable en fonction de la taille de l'agence, en occultant les tâches annexes dans une agence dépourvue de secrétaire, témoigne du déni complet par l'employeur du mal-être de la salariée.
Il ressort clairement des pièces produites et notamment des éléments de nature médicale que la surcharge de travail, l'absence de reconnaissance de l'implication, l'absence de réponse à son courrier relatant l'agression verbale de M.[E], a entraîné la dégradation des conditions de travail de Mme [A] allant jusqu'à une dépression sévère constatée par un psychiatre, étant à l'origine de son inaptitude physique ayant abouti à son licenciement.
Eu égard à la gravité et à la persistance du manquement de l'employeur à son obligation de protection de la santé et de la sécurité ayant causé un préjudice significatif à Mme [A] , il y a lieu de condamner la société Nexity à verser la somme de 10 000 euros de dommages et intérêts.
Le jugement sera infirmé uniquement sur le quantum.
5- Sur la demande d'indemnité spéciale de licenciement
Mme [A] maintient sa demande en paiement de l'indemnité spéciale de licenciement de 16 797.63 euros au titre du solde de l'indemnité de licenciement sur le fondement de l'article L 1226-14 du code du travail, au motif que son inaptitude est d'origine professionnelle, ce qui est reconnu par la CPAM qui lui a alloué une rente pour maladie professionnelle le 19 mai 2022. Le Pôle social dans un jugement du 10 mars 2025 a considéré que la maladie de Mme [A] était la conséquence de la faute inexcusable de l'employeur.
La société conclut au rejet de la demande en soutenant que la salariée a toujours été placée en arrêt de travail pour maladie ou accident d'origine non professionnel, qu'elle n'a formulé aucune demande de reconnaissance d'une maladie professionnelle ou exprimé son intention de le faire à la date de notification du licenciement de sorte que l'employeur n'avait pas connaissance à cette période qu'il devait régler une indemnité spéciale de licenciement.
Dans le cas d'une inaptitude d'origine professionnelle, l'article L 1226-14 du code du travail dispose que la rupture du contrat de travail ouvre droit au profit du salarié à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité prévue par l'article L 1234-9 du code du travail.
Les règles protectrices applicables aux victimes d'un accident de travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors de l'inaptitude du salarié quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée a eu au moins partiellement pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement.
Il résulte des pièces produites que :
- Mme [A] avait informé dès le 16 février 2015 son employeur de ses difficultés au sein de l'agence en lien avec l'arrêt de travail de la gestionnaire à temps partiel ( Mme [G]) et exprimait clairement une charge de travail conséquente, sans recours aux renforts promis ' les décisions ne sont plus prises, je suis seule depuis 3 semaines à assurer la tenue du service Syndic, je subis de plus en plus les griefs de la clientèle, avant d'être placée elle-même en arrêt de travail dès le 25 février 2015 ( pièces 40.1 et 41)
- ses arrêts de travail prescrits quelques jours plus tard entre le 28 février 2015 et le 13 juin 2015 par son médecin traitant font mention d''une dépression en lien avec des difficultés de travail'.
- Mme [B] nouvelle gestionnaire à [Localité 5] sollicite le 2 juillet 2015 la Direction pour trouver des solutions car 'sans comptable, Mme [A] et moi n'y arriverons pas.'
- la salariée alerte à nouveau l'employeur sur ses difficultés sur le plan professionnel dans un courrier du 6 novembre 2016, dans un autre courriel du 6 décembre 2016 dans lequel elle dénonce des propos dénigrants la concernant dans des mails de son supérieur hiérarchique M.[P] ( pièce 17/36) et dans un courriel du 11 janvier 2017 en faisant état de l'agression verbale et des menaces de licenciement de M.[E] ( pièce 19/36).
- elle a reçu des sms d'excuses le 23 novembre 2017 après l'agression verbale de M.[U] son nouveau gestionnaire .
- le certificat de son médecin traitant précisant que l'arrêt de travail du 20 janvier 2018 est bien en lien avec l'arrêt initial du 24 novembre 2017.
- le médecin du travail se réfère aux premières constatations médicales d'un syndrome dépressif, un arrêt de travail jusqu'au 4 avril 2018 , une orientation au centre de pathologies professionnelles du CHU conseillée, au cours de la période d'arrêt de travail quasi ininterrompue au titre d'une maladie de droit commun entre le 24 novembre 2017 et le 1er mars 2020, entrecoupée par deux journées de travail (18 et 19 janvier 2020),
- l'avis d'inaptitude établi le 17 mars 2020 par le médecin du travail précisant que tout maintien de la salariée dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé.
- le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement notifié le 16 juillet 2020.
Il ne fait pas débat que :
- Mme [A] a déposé le 29 juillet 2021 une demande de reconnaissance de maladie professionnelle pour un syndrome dépressif sévère suivant certificat initial du 27 juillet 2021, qui fixe la première constatation médicale au 24 novembre 2017.
- la CPAM a reconnu le 21 mars 2022 le caractère professionnel de cette affection ,
- l'état de santé a été déclaré consolidé le 19 avril 2022 avec attribution d'une rente en réparation d'un taux d'IPP de 32 %.
- le pôle social du tribunal judiciaire de Rennes, saisi le 4 avril 2024 d'une demande de reconnaissance d'une faute inexcusable de l'employeur, a fait droit à la demande de la salariée suivant jugement du 10 mars 2025. ( pièce 96).
L'employeur, qui remet en cause l'origine professionnelle de l'affection constatée, ne produit aucun élément probant, se bornant à soutenir de manière incompréhensible n'avoir reçu aucune alerte de la salariée.
Toutefois, les dénégations de la société Nexity ne suffisent pas à renverser les conclusions des médecins sur l'origine professionnelle de la pathologie de Mme [A].
Dans ces conditions, ces éléments d'appréciation permettent de déduire que l'inaptitude à l'origine du licenciement de Mme [A] était bien en lien avec la pathologie qui a été reconnue comme étant au moins partiellement d'origine professionnelle.
Il est par ailleurs établi que lorsqu'elle a procédé au licenciement de la salariée le 16 juillet 2020, la société Nexity avait parfaitement connaissance de l'origine professionnelle de l'inaptitude en ce que la salariée et les gestionnaires ayant travaillé avec elle l'avait alerté régulièrement sur la dégradation des conditions de travail de l'agence de [Localité 5] et notamment de Mme [A], assistante co-propriété chargée d'assurer des tâches supplémentaires de secrétariat et d'accueil pour des services annexes (location transaction) ; que compte tenu des symptômes décrits par les médecins
( dépression sévère), l'employeur ne pouvait pas ignorer que Mme [A] souffrait d'une affection en lien avec ses conditions de travail alors qu'elle avait déjà fait l'objet d'un premier arrêt de travail de plus de 3 mois en juin 2015, postérieurement à l'absence prolongée et non remplacée de la gestionnaire; qu'il s'est abstenu d'organiser une visite médicale en juin 2015;
que malgré de nouvelles alertes de la salariée et des nouveaux gestionnaires, l'employeur ne peut pas sérieusement prétendre qu'il ignorait les difficultés persistantes rencontrées en 2016 et en 2017 au sein de cette agence et notamment par l'assistante de copropriété, fragilisée par la situation antérieure.
Il résulte au surplus de l'échange de courriels de M.[E] et de M.[P] du 13 décembre 2016 que la Direction était informée des répercussions de la situation sur l'état de santé de Mme [A] ' L'arrêt prochain de Mme [A] semble se profiler rapidement!' ( M.[E] pièce49-4) ce à quoi M.[P] lui répondait de manière cynique qu'il 'faudrait récupérer des éléments pour monter un dossier et dans le même temps anticiper le remplacement de la salariée par [MF].'
Alors que la salariée n'avait aucun antécédent sur le plan psychiatrique, ce qui résulte des pièces médicales, son placement en arrêt de travail le 24 novembre 2017, suivi d'un nouvel arrêt le 20 janvier 2018 à l'issue d'une reprise de poste durant 48 heures le 18 janvier 2018, les éléments recueillis permettent d'établir que l'inaptitude de Mme [A] qui a justifié son licenciement avait au moins partiellement pour origine une maladie reconnue d'origine professionnelle et que l'employeur avait connaissance de cette origine lors de la notification du licenciement le 16 juillet 2020.
Il s'ensuit que la salariée est fondée à obtenir l'indemnité spéciale de licenciement prévue par l'article L 1226-14 du code du travail à concurrence du solde restant dû et non contesté de 16 797,63 euros net , que l'employeur devra lui verser, par voie d'infirmation du jugement.
6- Sur les autres demandes et les dépens
Conformément aux dispositions des articles 1231-7 et 1344-1 du code civil, les intérêts au taux légal sur les condamnations prononcées seront dus à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du Conseil de prud'hommes pour les sommes à caractère de salaire et pour le surplus à compter de l'arrêt.
Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de Mme [A] les frais non compris dans les dépens en appel. L'employeur sera condamné à lui payer la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel , le jugement déféré étant confirmé en ses dispositions relatives de l'article 700 du code de procédure civile.
L'employeur qui sera débouté de sa demande d'indemnité de procédure sera condamné aux entiers dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
- Confirme le jugement entrepris sauf en ce qui concerne le quantum des dommages et intérêts pour harcèlement moral, des dommages et intérêts pour atteinte à la santé au travail et en qui concerne l'indemnité spéciale de licenciement.
Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
- Condamne la SAS Nexity Lamy à payer à Mme [A] les sommes suivantes :
- 8 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral, - 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour atteinte à la santé au travail fondé sur le manquement à l'obligation de sécurité,
- 16 497,63 euros net à titre de solde de l'indemnité spéciale de licenciement,
- 3 000 euros en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
- Dit que les sommes allouées porteront intérêt au taux légal à compter de la date à laquelle l'employeur a accusé réception de sa convocation à comparaître à l'audience de conciliation- pour les créances salariales et à compter du présent arrêt pour les créances indemnitaires.
- Déboute la société Nexity Lamy de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamne la société Nexity aux dépens de l'appel.
Le Greffier Le Président
ARRÊT N°333/2025
N° RG 22/03518 -
N° Portalis DBVL-V-B7G-S2DF
S.A.S. NEXITY LAMY
C/
Mme [M] [A]
Sur appel du jugement du CPH - Formation de départage de [Localité 7] du
RG : 20/00196
Copie exécutoire délivrée
le : 9 octobre 2025
à : Me HAUGER
Me LE GUILLOU-RODRIGUES
Copie certifiée conforme délivrée
le:
à:
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 09 OCTOBRE 2025
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,
Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,
Assesseur : Monsieur Bruno GUINET, Conseiller,
GREFFIER :
Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et Madame Françoise DELAUNAY lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 30 Juin 2025
En présence de Monsieur [J] [T], médiateur judiciaire,
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 09 Octobre 2025 par mise à disposition au greffe date à laquelle a été prorogé le délibéré initialement fixé au 02 Octobre 2025
****
APPELANTE :
La S.A.S. NEXITY LAMY prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège social :
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Jean-Luc HAUGER de l'AARPI LEGALIS, Avocat au Barreau de LILLE
INTIMÉE :
Madame [M] [A]
née le 07 Juin 1969 à [Localité 6] (29)
demeurant [Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Dominique LE GUILLOU-RODRIGUES de la SELARL SELARL LE GUILLOU RODRIGUES, Avocat au Barreau de QUIMPER
EXPOSÉ DU LITIGE
La SAS Nexity Lamy, filiale du groupe immobilier Nexity, exploite un réseau d'agences immobilières ( 380) implantées sur l'ensemble du territoire national, ayant pour activité l'administration de biens, la gestion de copropriétés et la négociation à la vente ou à la location de tous biens immobiliers. Elle applique la convention collective nationale de l'immobilier.
Le 1er avril 1997, Mme [M] [A] a été embauchée en qualité de secrétaire, coefficient 241 dans le cadre un contrat de travail à durée déterminée par l'agence immobilière Cabinet [Z]-Guirriec située à [Localité 7]. A compter du 30 novembre 1997, la relation de travail s'est poursuivie à durée indéterminée selon un rythme hebdomadaire de 39 heures.
Par avenant du 1er septembre 1999, la salariée a bénéficié d'une évolution de sa classification au coefficient 290, d'une modification de son temps de travail, réduit à 35 heures hebdomadaires, et d'une mutation dans le bureau annexe de [Localité 5]. Elle y exerçait en dernier lieu des fonctions d'assistante de co-propriété, statut agent de maîtrise, et percevait un salaire moyen de 2654,20 euros brut par mois.
En 2005, le Cabinet [Z]-Guirriec a été cédé au groupe Gestrim, réseau d'agences immobilières implanté sur tout le territoire national. Au cours de l'année 2006, le groupe Gestrim s'est rapproché de la société Lamy, autre réseau d'agences immobilières. En 2007, les entités ont fusionné et intégré le groupe Nexity sous la dénomination de SAS Nexity Lamy.
Mme [A] a été placée en arrêt de travail pour maladie d'origine non professionnelle en lien avec un syndrome anxio-dépressif :
- du 28 février 2015 au 13 juin 2015,
- le 24 novembre 2017 prolongé jusqu'au 17 janvier 2018,
- le 20 janvier 2018 prolongé jusqu'au 1er mars 2020.
A l'issue de la visite médicale de reprise de Mme [A] le 3 mars 2020, le médecin du travail a délivré l'avis suivant: ' Paraît inapte à la reprise de son emploi précédemment exercé. A revoir à l'occasion d'une seconde visite médicale dans un délai qui n'excède pas quinze jours pour avis définitif après étude de poste et des conditions de travail. Pas de retour envisageable dans l'établissement entre la visite médicale de ce jour et le second examen. ».
Lors de sa seconde visite du 17 mars 2020, le médecin du travail a conclu que ' tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé' .
En raison de la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19, Mme [A] a été convoquée par courrier du 26 mai 2020 à un entretien préalable à son licenciement fixé au 10 juin suivant.
Par courrier du16 juin 2020, l'employeur a indiqué à la salariée qu'aucune démarche de reclassement n'était envisageable.
Le 16 juillet 2020, Mme [A] s'est vue notifier son licenciement pour inaptitude avec impossibilité de reclassement.
La caisse primaire d'assurance maladie, saisie le 3 août 2021 par la salariée d'une demande de reconnaissance du caractère professionnel de sa maladie, a fait droit à sa demande le 22 mars 2022, et lui a notifié le 19 mai 2022 une décision d'attribution d'une rente avec un taux de 32 % d'incapacité permanente dont 7 % pour le taux professionnel.
***
Contestant la rupture de son contrat de travail, Mme [A] a saisi le conseil de prud'hommes de Quimper par requête du 29 octobre 2020 afin de voir :
- Dire et juger son licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse
- Condamner la SAS Nexity Lamy à lui payer les sommes suivantes :
- 63 700 euros net à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse,
- 5 308,40 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis (2 mois), 530,84 euros brut au titre des congés payés y afférents,
16 497,63 euros net à titre de solde d'indemnité spéciale de licenciement, 20 000 euros net à titre de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité,
- 20 000 euros net à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
- Ordonner la remise de l'attestation Pôle Emploi rectifiée, sous astreinte de 100,00 euros par jour de retard à compter de la date de la décision à intervenir,
- Débouter la SAS Nexity Lamy de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- Dire et juger que les sommes à caractère salarial porteront intérêt au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes,
- Dire et juger que les sommes à caractère indemnitaire porteront intérêt au taux légal à compter de la décision à intervenir,
- Ordonner l'exécution provisoire de la décision sur l'ensemble des condamnations,
- Condamner la SAS Nexity Lamy à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner la même aux entiers dépens.
La SAS Nexity Lamy a conclu au rejet des demandes de Mme [A] dont le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse, et a sollicité une indemnité de procédure
Par jugement de départage en date du 6 mai 2022, le conseil de prud'hommes de Quimper a :
- Prononcé la nullité du licenciement de Mme [A] notifié le 16 juillet 2020 ;
- Condamné la SAS Nexity Lamy à payer à Mme [A] les sommes suivantes :
- 63 700 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
- 5 308,40 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, 530,84 euros bruts au titre des congés payés correspondants,
- 20 000euros nets à titre de dommages et intérêts pour atteinte à la santé au travail,
- 15 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
- Débouté Mme [A] de sa demande au titre de l'indemnité spéciale de licenciement
- Ordonné à la SAS Nexity Lamy de remettre à Mme [A] une attestation destinée au Pôle Emploi rectifiée et ce dans le délai de 15 jours à compter du jugement;
- Dit n'y avoir lieu à l'astreinte
- Dit qu'en vue d'une éventuelle application des dispositions de l'article R 1454-28 du code du travail, le salaire mensuel moyen à prendre en compte est de 2 654,20 euros ;
- Ordonné, en tant que de besoin, le remboursement par la SAS Nexity Lamy des sommes éventuellement payées à Mme [A] par Pôle Emploi, du jour de son licenciement à ce jour, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage ;
- Dit qu'une copie certifiée conforme du présent jugement sera adressée à Pôle Emploi Bretagne, selon les dispositions des articles L. 1235-4 et R. 1235-2 du code du travail ;
- Condamné la SAS Nexity Lamy à payer à Mme [A] la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile :
- Condamné la SAS Nexity Lamy aux dépens, y compris ceux pouvant résulter de l'exécution forcée du présent jugement.
- Ordonné l'exécution provisoire sur l'ensemble des dispositions de la présente décision.
***
La SAS Nexity Lamy a interjeté appel de la décision par déclaration au greffe le 7 juin 2022.
En l'état de ses dernières conclusions transmises par RPVA le 20 décembre 2022, la SAS Nexity Lamy demande à la cour de :
- Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Quimper du 21 février 2022 en ce qu'il a,
- prononcé la nullité du licenciement de Mme [A],
- condamné la SAS Nexity Lamy au paiement des sommes suivantes:
- 63 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
- 5 308,40 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 530,84 euros bruts au titre des congés payés correspondants,
- 20 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour atteinte à la santé au travail,
- 15 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
- 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau,
A titre principal :
- débouter Mme [A] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner Mme [A] à payer à la SAS Nexity Lamy la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 de code de procédure civile,
- condamner Mme [A] aux entiers frais et dépens de l'instance, en ce compris les frais de signification et, le cas échéant, d'exécution de l'arrêt à intervenir,
En l'état de ses dernières conclusions transmises par RPVA le 30 septembre 2022, Mme [A] demande à la cour de :
- Confirmer le jugement rendu le 6 mai 2022 en ce qu'il a :
- Prononcé la nullité du licenciement de Mme [A] notifié le 16 juillet 2020 ;
- Condamné la SAS Nexity Lamy à payer à Mme [A] les sommes suivantes :
- 63 700 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
- 5 308,40 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 530,84 euros bruts au titre des congés payés correspondants,
- 20 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour atteinte à la santé au travail,
- 15 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
- Ordonné à la SAS Nexity Lamy de remettre à Mme [A] une attestation destinée au Pôle Emploi rectifiée et ce dans le délai de 15 jours à compter du jugement;
- Dit qu'en vue d'une éventuelle application des dispositions de l'article R 1454-28 du code du travail, le salaire mensuel moyen à prendre en compte est de 2 654,20 euros ;
- Ordonné, en tant que de besoin, le remboursement par la SAS Nexity Lamy des sommes éventuellement payées à Mme [A] par Pôle Emploi, du jour de son licenciement à ce jour, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage ;
- Dit qu'une copie certifiée conforme du présent jugement sera adressée à Pôle Emploi Bretagne, selon les dispositions des articles L. 1235-4 et R. 1235-2 du code du travail ;
- Condamné la SAS Nexity Lamy à payer à Mme [A] la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile :
- Condamné la SAS Nexity Lamy aux dépens, y compris ceux pouvant résulter de l'exécution forcée du présent jugement.
- Ordonné l'exécution provisoire sur l'ensemble des dispositions de la présente décision.
- Infirmer le jugement rendu le 6 mai 2022 en ce qu'il a débouté Mme [A] de sa demande au titre de l'indemnité spéciale de licenciement ;
- Condamner la SAS Nexity Lamy à lui payer la somme de 16 497,63 euros net à titre de solde d'indemnité spéciale de licenciement,
- Débouter la SAS Nexity Lamy de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- Dire et juger que les sommes à caractère salarial porteront intérêt au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes.
- Dire et juger que les sommes à caractère indemnitaire porteront intérêt au taux légal à compter de la décision à intervenir.
- Condamner la SAS Nexity Lamy à payer à Mme [A] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamner la même aux entiers dépens.
***
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 27 mai 2025 avec fixation de l'affaire à l'audience du 30 juin 2025.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs dernières conclusions régulièrement signifiées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1-Sur la nullité du licenciement pour harcèlement moral
La société Nexity Lamy conclut à l'infirmation du jugement ayant prononcé la nullité du licenciement de Mme [A] sur le fondement d'un harcèlement moral alors que :
- la salariée n'établit pas la matérialité des agissements allégués et se borne à procéder par allégations gratuites sous couvert d'un climat social prétendument 'délétère' au sein des agences de [Localité 7]-[Localité 5] et à propos de faits qu'elle dit avoir personnellement subis en lien avec une surcharge de travail, une absence de la hiérarchie et un turn over des gestionnaires, des pressions et dénigrements de la part de sa hiérarchie.
- la salariée se fonde essentiellement sur des propos de son supérieur hiérarchique qu'elle déforme (de son supérieur) retranscrits lors de ses entretiens annuels de 2012 et 2016 ou sur ses affirmations dans ses propres courriers, de sorte que ses dires ne sont pas crédibles ni corroborés par des éléments objectifs.
- elle n'établit pas davantage la réalité d'une surcharge de travail durable, au-delà de celle ponctuelle liée à l'activité normale de l'entreprise (assemblées générales de co-propriété) ou à des absences imprévues de salariés ayant généré une désorganisation momentanée de l'agence, étant précisé qu'elle ne s'en est jamais plainte lors de ses entretiens ou dans ses courriers à l'appui de ses demandes réitérées d'augmentation de salaire.
- elle a ' construit' de manière artificielle un vécu en lien avec un comportement abusivement autoritaire et des propos inadaptés de ses supérieurs hiérarchiques, au travers de rares éléments irrecevables ou dépourvus de caractère probant :
- le témoignage de Mme [L], ancienne salariée également en litige avec son employeur et dont les propres accusations de harcèlement moral ont été jugées infondées par le conseil de prud'hommes, ne présente pas toutes les garanties de sincérité et d'impartialité et sera écarté des débats,
- des courriels échangés entre des salariés tiers, dont certains estampillés ' confidentiels', la salariée ne démontrant pas que ces documents couverts par le secret de la correspondance lui auraient été volontairement transmis, doivent être écartés des débats en ce qu'ils ont été obtenus par un procédé déloyal.( Pièces 49.1 à 49.4). Sur le fond, le sens de ces échanges est déformé par la salariée.
- des messages transmis par ses supérieurs hiérarchiques, MM. [E], [V] et [P], ne font apparaître aucun contenu inadapté, dénigrant, ni l'emploi d'un ton sec et ironique à son égard, de sorte que les dires de la salariée ne sont que pure imagination.
- la prétendue agression verbale qu'elle aurait subie de la part de M.[E] lequel lui aurait fait des reproches injustifiés de nature professionnelle et l'aurait menacée de licenciement ne ressort que d'un courriel transmis par ses soins à la Direction et n'est donc pas matériellement établie.
- les deux sms de M.[V] sont sortis de leur contexte .
- de son côté, des éléments objectifs établissent que la salariée avait un portefeuille de lots de copropriété homogène par rapport aux autres agences, exécutait des tâches ressortant de sa qualification d'assistante, que l'organisation et l'effectif de l'agence étaient adaptés à son volume d'activité , que l'employeur a toujours pris les mesures nécessaires pour répondre aux alertes en cas de surcharge ponctuelle liée aux absences de salariés, Mme [A] n'ayant au surplus jamais effectué la moindre heure supplémentaire,
- la salariée ne peut pas utilement se référer à des décisions judiciaires rendues dans des litiges concernant la société appelante alors que les accusations des salariés concernés reposaient sur des éléments matériels, ce qui n'est pas le cas de l'espèce.
- consciente de sa carence en matière de preuve, Mme [A] tente d'invoquer un prétendu climat social délétère ou d'un management par la peur, dont elle ne démontre pas la réalité,
- le fait que l'employeur ait été confronté malgré lui à des absences et départs de salariés ne suffit pas à établir le moindre manquement à ses obligations, dès lors qu'il a pris les mesures dans un contexte reconnu de difficultés de recrutement, pour assurer le fonctionnement de l'agence de [Localité 5].
- si les documents médicaux évoquent un état de santé psychologique dégradé de la salariée, celle-ci n'a dénoncé pour la première fois un lien avec ses conditions de travail qu'après son arrêt de travail. Ni le médecin du travail ni les autres praticiens consultés par Mme [A] n'ont relié son état de santé à ses conditions de travail ou à un prétendu harcèlement moral, à l'exception de son médecin traitant lequel a admis après la plainte déposée auprès du Conseil de l'ordre des médecins qu'il avait fait preuve de légèreté dans la rédaction de son certificat et n'avait fait que rapporter les dires de sa patiente.
L'attestation délivrée par une psychologue ayant rencontré Mme [A] en une seule visite ne présente pas la valeur d'un certificat médical et n'a fait que relater la situation décrite par la salariée.
- le jugement doit être infirmé en ce qu'il a retenu à tort une situation de harcèlement moral subie par la salariée au terme d'une analyse unilatérale des pièces produites et qu'il a prononcé la nullité de son licenciement pour ce motif.
Mme [A] soutient à l'inverse qu'elle a été victime d'agissements répétés de son employeur ayant sérieusement impacté son état de santé entre 2015 et 2018, de nature à laisser supposer une situation de harcèlement moral, dans la mesure où :
- dans un contexte de surcharge de travail liée à un sous-effectif et à un turn-over des gestionnaires, elle était amenée régulièrement à travailler seule dans l'agence de [Localité 5] à partir du mois de février 2015, à assumer des tâches supplémentaires pour répondre aux questionnements et inquiétudes des clients en l'absence du gestionnaire.
- elle a subi de la part des derniers supérieurs directs des critiques quotidiennes sur son travail, des reproches quant aux erreurs des précédents gestionnaires, un mail de recadrage injustifié, des humiliations publiques de la part de M.[E], une surveillance de ses faits et gestes dans son bureau, des injonctions contradictoires, des encouragements suivis de dénigrements par M.[E],
- elle se plaint de propos dégradants sur son physique, sur les femmes en général et de la réception sur sa messagerie personnelle d'un sms à connotation sexuelle et sexiste de M. [E] le 1er décembre 2016.
- elle a alerté à plusieurs reprises la Direction, lors des entretiens annuels en 2012 et en 2016 mais aussi par courriers (8 entre 2012 et 2015) sur la dégradation de ses conditions morales et matérielles de travail avec des conséquences sur son état de santé mais s'est heurté à l'absence de prise en considération de ses difficultés,
- elle lui a également signalé avoir été victime le 11 janvier 2017 d'une agression verbale de M.[E] mais n'a pas reçu de réponse.
- fragilisée et épuisée depuis des mois, elle a fait une attaque de panique en sortant de son travail après une journée éprouvante le 23 novembre 2017 avec M.[V], nouveau gestionnaire, et a été placée en arrêt de travail le lendemain, 24 novembre 2017 jusqu'au 17 janvier 2018, malgré les deux sms d'excuses de M.[V].
- de retour à son poste le 18 janvier 2018, elle a été accueillie de manière humiliante par M.[V] et par le nouveau Directeur d'agences lui faisant sentir qu'elle n'avait plus sa place et risquait d'être mutée sur [Localité 7]. Après une journée de travail durant laquelle le gestionnaire ne lui a pas adressé la parole sauf à lui demander de venir travailler tous les vendredis après-midi pour rattraper son retard, Mme [A] a fait l'objet d'une rechute de son syndrome dépressif à compter du 20 janvier 2018.
- elle a ressenti la volonté de la Direction de faire partir les salariés les plus anciens par le biais d'une mise sous pression, comme le laissent entendre les mails échangés par M.[E] et M.[P] en décembre 2016 pour organiser son remplacement avant qu'elle ne soit en arrêt de travail.
- son dossier médical, dont celui de la médecine du travail, fait apparaître que la salariée ne souffrait d'aucun problème psychiatrique avant le premier arrêt de plus de 3 mois ( février -juin 2015) , qu'elle décrivait des conditions de travail délétères à l'origine d'un syndrome dépressif et de sa rechute en janvier 2018, suivie d'un avis d'inaptitude établi par le médecin du travail le 17 mars 2020.
Il est rappelé à titre liminaire que Mme [A] travaillait en qualité d'assistante copropriété au sein de l'agence de [Localité 5], dépendant de l'agence principale de [Localité 7]; que les entités étaient placées sous l'autorité de M.[P], Directeur régional du groupe d'agences de la Bretagne recruté en juillet 2014; que l'effectif de l'agence de [Localité 5] initialement fixé à 4 avec une secrétaire, a été limité en 2012 à 3 avec un gestionnaire de co-propriété à temps complet, une assistante copropriété et une responsable locations; qu' à la suite d'arrêts de travail pour maladie et de départs de plusieurs salariés, plusieurs gestionnaires se sont succédés à [Localité 5] entre 2012 et 2018 :
- Mme [Z] Directrice de l'agence principale de [Localité 7] exerçant à temps partiel à [Localité 5] (2012-2015)
- Mme [B], gestionnaire affectée à temps partiel (février-juillet 2015) puis à temps complet (août 2015-juin 2016)
- M.[E] à temps complet ( juillet 2016-mars 2017)
- M. [V] ( avril 2017- 2019).
Selon l'article L 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L'article L 1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de faits qui laissent supposer l'existence d'un harcèlement. Il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits, pris dans leur ensemble, laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L1152-1 du code civil. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.
A l'appui de sa demande, Mme [A] soutient avoir été exposé dans un contexte de surcharge de travail à des pressions de son employeur et des injonctions paradoxales.
Elle produit :
- son entretien annuel du 23 avril 2012 et son entretien annuel du 23 mars 2016 dans lesquels elle évoque les difficultés liées à un turn over des gestionnaires syndic de co propriété affectés à l'agence secondaire de [Localité 5] et la surcharge de travail importante en résultant pour elle s'agissant d'un poste d'assistante copropriété avec extension aux autres services de gérance, location, transaction. Son manager M.[O] conclut en mars 2016 ' il est grand temps que l'ambiance soit apaisée et sereine à l'agence de [Localité 5], tant au niveau des clients qu'au sein de l'effectif. Gageons que celui en place actuellement le reste bon nombre d'années. (..) un soutien de [Localité 7] est inévitable. [M] doit retrouver sa place d'assistante chevronnée'.
- son premier courrier d'alerte du 7 décembre 2013 sollicitant une augmentation de salaire au regard de son ancienneté ( 17 ans), de sa capacité à gérer seule le bureau en l'absence du gestionnaire en réunion ou en rendez-vous extérieur, à fidéliser les copropriétaires, depuis septembre 2012, du fait qu'elle assume en plus de son poste d'assistante copropriétés, le standard téléphonique, la réception physique de la clientèle (syndic, gérance, location et vente) et en plus une partie du travail du gestionnaire.
Elle observe qu'à [Localité 7], 6 personnes (4 assistantes et 2 secrétaires) et une personne à l'accueil s'occupent de 277 immeubles tandis qu'à [Localité 5] 73 immeubles sont à gérer avec une seule assistante copropriété.
- son courrier du 14 juillet 2014 alertant la direction sur sa surcharge de travail avec un effectif d'un demi-poste de gestionnaire;
- son courrier du 7 octobre 2014 rappelant son implication, son dévouement depuis septembre 2012 mais son impossibilité de résorber le retard lié à l'absence d'un demi-poste de gestionnaire dédié à [Localité 5].
- ses courriers des 10 février et 16 février 2015 d'alerte sur sa situation jugée 'très pénible ,je prends beaucoup sur moi jusqu'à quelle limite' (...). Elle constate que les promesses, dans le but de soulager sa charge de travail, d'embauche d'un gestionnaire à temps complet et d'une secrétaire durant quelques mois n'ont pas été suivies d'effet. La décision de fermeture de l'agence tous les après-midi n'est pas suffisante.
- son courrier du 24 février 2015 rappelant ses difficultés récurrentes, aggravées par l'absence prolongée de Mme [Z] pour arrêt de travail, Directrice d'agence assurant le poste à temps partiel de gestionnaire à [Localité 5],
- le courrier du 27 avril 2015 de M.[P] Directeur de Groupe d'agences, lui répondant que Mme [B] reprendra le poste de gestionnaire à temps complet au sein de l'agence de [Localité 5] à compter du 1er juillet 2015,
- le courriel de Mme [B] du 2 juillet 2015 informant la Direction de l'absence prolongée de Mme [L] comptable chargée de l'agence de [Localité 5], et sollicitant des renforts' nous faisons ce que nous pouvons avec [M] [A] pour rétablir la situation de [Localité 5] mais sans comptable, nous n'y arriverons pas . La situation est déjà difficile pour combler l'absence de gestionnaire sur [Localité 5] depuis février 2015 avec une surcharge de travail importante.'
- le courriel de Mme [B] du 4 septembre 2015 sollicitant l'aide d'une assistante pendant les congés de Mme [A] ( 3 semaines) et sur une période plus longue de 3 mois pour la prise de téléphone, mise sous pli, réception client ( le téléphone et la réception client prend au moins 2/3 de la journée).
- le courriel du 22 juin 2016 de Mme [B] à M.[P] faisant le point à l'issue d'une réunion ' je me permets de rebondir sur nos échanges depuis mars 2016. Vous êtes persuadé avec M.[C] que le problème de fonctionnement de l'agence de [Localité 5] vient de [M] ( [A]) qui ne fournit pas assez de travail. Je suis perplexe sur cette position et ce depuis le début. J'ai toujours reconnu que [M] est une bonne assistante, elle travaille certes seulement pendant les heures de son contrat de travail mais son travail est réalisé. Vous m'expliquez qu'au vu du portefeuille de [Localité 5], l'organisation est en phase par rapport à sa taille mais pouvez -vous m'indiquer sur quelles références vous vous basez' Lorsque je compare l'agence de [Localité 7] ou celle de [Localité 8], les assistantes n'ont pas toutes les mêmes tâches.(..) En plus de ces tâches administratives d'assistante, [M] se charge des sinistres , de l'accueil clients des trois services et le téléphone, la mise sous pli des convocations et divers courriers. Sur [Localité 7] deux secrétaires sont mises à disposition pour la mise sous pli et la gestion des sinistres(..)
- le témoignage de Mme [L], comptable chargée des lots gérés par l'agence de [Localité 5], en relation quotidienne avec Mme [A], qui rapporte les pressions exercées par M.[P] responsable des agences de Bretagne lors d'une visite impromptue le 30 mars 2016 dans les locaux de [Localité 5] ' pour s'entretenir avec Mme [A] dans son bureau ( portes ouvertes) pendant 45 minutes alors qu'elle devait prendre sa pause déjeuner. Tout en lui faisant des reproches sur son organisation de travail, il lui a indiqué qu'il envisageait de lui imposer le poste de gestionnaire pour soulager le travail de Mme [B]. Mme [A] (..) n'était pas préparée à cette confrontation avec M.[P] et s'est sentie attaquée sur la qualité de son travail de façon injuste' et qui relate l'entretien le lendemain avec Mme [B] gestionnaire qui lui a précisé ' qu'en cas de refus de Mme [A] pour le poste de gestionnaire à mi-temps en plus de ses autres fonctions ' on ne sait pas très bien ce que l'on pourra faire d'elle'(..)' Après avoir loué les qualités professionnelles de Mme [A] à l'issue de plus de 20 ans de collaboration, Mme [L] a considéré que la Direction avait mis la pression pour se débarrasser de salariés bénéficiant d'une grande ancienneté, placés en arrêt de travail puis licenciés.( Pièce 48)
Le fait que Mme [L] ait elle-même saisi le conseil de prud'hommes en contestation de la rupture de son contrat de travail dont l'issue de la procédure n'est pas justifiée, ne permet pas en soi d'écarter son attestation des débats. Rien ne permet de remettre en cause la sincérité de son témoignage concernant les faits qu'elle a constatés personnellement. Il n'y a donc pas lieu d'écarter ce témoignage des débats.
Concernant les agissements répétés dont se plaint Mme [A], celle-ci a produit :
- un échange de courriels des 27 septembre, 3 octobre 2016 et 17 novembre 2016 entre M.[P] et M.[E] nouveau gestionnaire de l'agence de [Localité 5] ' Ici, c'est particulier voire infernal! La clientèle ne sait pas clore les documents d'appels de fonds et les relevés d'écritures...' et lors du point d'étape ' 32 AGO à traiter en 11 semaines, 32 PV des AGO + 13 à traiter, 5 AGS à traiter d'ici la fin de l'année, 20 à 25 chantiers à traiter plus le courant: Sans accueil : transformation du challenge irréaliste!' et le 17 novembre 2016 ' pour sortir le dossier de [Localité 5] : un renfort de 6 mois s'impose sinon [MT] ( [V]) ne tiendra pas ! Des dossiers chronophages enterrés sous [Z] resurgissent!!!:'
- un courriel adressé le 10 novembre 2016 par M.[P] à M.[E], intitulé ' [M] [A]' dans lequel le Directeur régional s'offusquait lors du passage d'un collaborateur à l'agence de [Localité 5] vers 14h15 que 'les bureaux de l'agence de [Localité 5] étaient fermés et sans lumière' et déplorait que Mme [A] n'était pas à son poste ' Elle doit être devant pour accueillir les clients et non attendre dans le bureau d fond. Je compte sur votre mobilisation afin qu'elle reprenne son ancienne place. Je vais vous contacter en fin d'après-midi pour faire le point sur ce sujet.'( pièce 49-1)
- un courriel adressé le 6 décembre 2016 par Mme [A] à M.[P] ' Je fais suite à votre mail du 10 novembre dernier dont les propos m'ont profondément blessée. Vous notez ' [M] [A] n'était pas à son poste. Elle doit être devant pour accueillir les clients et non attendre dans le bureau du fond.' (..) C'est à la demande et en accord avec M.[E] que nous fermions l'agence de [Localité 5] l'après-midi. Cette disposition avait été prise voilà quelques semaines afin de nous permettre de rattraper le retard accumulé depuis de nombreux mois comme vous le savez au sein de l'agence. Contrairement à vos affirmations, j'étais à mon poste de travail dans le bureau de M.[E] pour avancer au maximum les dossiers Syndic. Je n'attends pas et je n'ai jamais attendu. Je mets toute mon énergie pour tenter de rattraper le retard et satisfaire au mieux la clientèle. De plus, c'est à la demande expresse de M.[E] que je travaille en face de lui dans le même bureau afin de faciliter les échanges (..) Sur les dossiers, au fil des appels (.;) M.[E] n'étant là que depuis peu de temps, il ne connaît pas les clients ni les problématiques de chaque immeuble ni l'historique des dossiers(..) Étant donné le contexte difficile à l'agence de [Localité 5], nous avons d'une part un travail colossal pour rattraper le retard ( convoquer les assemblées en même temps que nous traitons les PV des AG, bapage des factures, questionnaires des notaires, questionnaires ALUR, suivi des sinistres..)( ..)Je souhaite que la vérité soit rétablie sur mon vrai rôle à l'agence de [Localité 5] (..) Je ne peux accepter de voir de tels propos sur des mails me concernant.(..)'( pièce 52.1)
- la réponse du 16 décembre 2016 de M.[P] à Mme [A] lui confirmant avoir demandé à M.[E] qu'elle soit 'positionnée dans le bureau qu'elle occupait jusqu'à présent et non dans son bureau(..) Que la décision de fermer l'agence les après-midi avait été prise pour qu'elle puisse se concentrer sur le traitement des dossiers sur lesquels nous avions constaté un retard conséquent(..) Par ailleurs, je souhaiterai que vos horaires de travail soient en adéquation avec les heures d'ouverture de l'agence notamment les vendredis après-midi. Cet aménagement permettra en outre de mieux répartir votre charge de travail sur la semaine. (..) Je vous confirme que la gestion du portefeuille sur lequel vous intervenez composé de 67 immeubles pour 1 729 lots principaux représente une charge tout à fait normale et raisonnable et si vous rencontrez des difficultés, nous étions à votre disposition pour vous aider notamment dans l'organisation de votre travail. Je vous confirme que répondre aux appels téléphoniques, établir des courriers et assurer l'accueil physique des clients sont des tâches qui font partie intégrante de votre fonction d'assistante.(..)'
L'employeur est mal fondé à invoquer le caractère déloyal de la production du mail du 10 novembre 2016 de M.[P] ( pièce 49.1) adressé à M.[H] [R] alors que la salariée justifie d'une part avoir réceptionné par l'intermédiaire du gestionnaire de M.[E] ce courriel litigieux et d'autre part, avoir répondu directement le 6 décembre 2016 à M.[P] ( pièce 52.1) en visant le courriel litigieux et en s'insurgeant des termes employés par son supérieur hiérarchique ' vos propos dans ce mail m'ont profondément blessée). Il n'y a donc pas lieu d'écarter des débats le courriel du 10 novembre 2016.
Concernant les pièces 49-3 et 49-4 dont l'employeur sollicite également le rejet des débats pour violation du secret des correspondances, Mme [A] communique des courriels échangés le 13 décembre 2016 entre M.[P] et M. [E] évoquant 'qu'un arrêt prochain de Mme [A] semble se profiler rapidement' à charge pour son supérieur de ' récupérer des éléments pour monter un dossier et pour anticiper dans le même temps un éventuel remplacement de [M] ( [A]) par [MF]'. Il interroge également à M.[P] pour savoir 's'il avait répondu au précédent mail de Mme [A]' en se référant manifestement au courriel de la salariée du 6 décembre 2016 intitulé ' demande de reconnaissance' dans lequel elle s'insurgeait auprès de M.[P] à propos du mail du 10 novembre 2016 la concernant ( pièce 52.1).
Il résulte de l'article 6 §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 9 du code de procédure civile que, dans un procès civil, l'illicéité ou la déloyauté dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
Plus précisément, pour envisager qu'une preuve illicite puisse, malgré cela, être déclarée recevable, il faut qu'elle soit indispensable, c'est à dire qu'elle doit être le seul moyen d'établir la réalité du fait allégué ou encore qu'aucun autre moyen de preuve moins attentatoire au respect de la vie privée (ou à tout autre droit fondamental mis en cause) ne puisse être offert.
Le juge doit ensuite apprécier le caractère proportionné de l'atteinte ainsi portée à la vie privée au regard du but poursuivi en vérifiant que, en l'espèce et de manière concrète, le moyen de preuve illicite ne porte pas une atteinte disproportionnée à la vie privée de l'une des parties par rapport à l'objectif poursuivi par l'autre.
En l'espèce, Mme [A] ne figurant pas comme destinaire des courriels litigieux échangés le 13 décembre 2016 entre M.[P] et M.[E], avec la mention " confidentiel" ne s'explique pas sur les circonstances dans lesquelles elle a eu communication de ces courriels portant la mention " confidentiel". Dès lors, il s'agit bien d'éléments de preuve obtenus de manière déloyale.
Dans la mesure où cela lui est demandé dans le corps de ses conclusions par l'employeur, et dès lors que les courriels contreviennent au principe de loyauté dans l'administration de la preuve, il appartient à la cour de vérifier si les pièces litigieuses étaient indispensables ou non à l'exercice du droit à la preuve de la salariée et si l'atteinte au respect de la vie personnelle de l'employeur représenté par M.[P] et le gestionnaire M.[E] était disproportionnée ou non.
Au cas présent, Mme [A] invoque une situation de harcèlement moral de la part de ses supérieurs hiérarchique , dont M.[E], qui la côtoyait au quotidien sur le site de [Localité 5]. et affirme que la production de ces deux courriels permet d'appréhender la réalité et la nature des relations de travail avec la salariée dont les supérieurs hiérarchiques constatent la dégradation de santé en attendant, de manière cynique sans s'interroger sur les moyens de prévention, le prochain arrêt de travail de la salariée alors que celle-ci était dans l'attente de la réponse de M.[P] à son courriel du 6 décembre 2016 dans lequel elle s'insurgeait du comportement de ce dernier à son égard et sollicitait son soutien et sa reconnaissance pour son investissement professionnel notamment depuis 2015 au sein de l'agence de [Localité 5]. La réponse de M.[P] lui a été adressée quelques jours plus tard, le 16 décembre 2016 par courrier recommandé.
Dans ces conditions et dès lors que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner les éléments invoqués par la salariée, pris dans leur ensemble, Mme [A] démontre que ces courriels obtenus de manière déloyale étaient indispensables à l'exercice de son droit à la preuve.
La cour estime que la production de ces éléments de preuve obtenus de manière déloyale était nécessaire à l'exercice du droit à la preuve de la salariée, qu'en tout état de cause, le but légitime poursuivi par l'intéressée ne pouvait pas être atteint en portant une moindre atteinte à la vie privée de ses interlocuteurs s'agissant de l'unique moyen pour la salariée, travaillant seule au sein de l'agence avec M.[E], d'établir la preuve que ses supérieurs hiérarchiques étaient parfaitement informés des difficultés dénoncées par elle dans l'exercice de ses fonctions et du lien de causalité avec la dégradation de son état physique et psychique; ainsi l'atteinte portée à la vie privée de ses supérieurs hiérachiques était proportionnée au but poursuivi en ce que les courriels concernaient exclusivement la situation de Mme [A] et les conséquences de ses conditions de travail dégradées sur son état de santé. La salariée établissant qu'elles lui étaient nécessaires à l'exercice de ses droits devant la juridiction , il n'y a pas lieu d'écarter ces pièces des débats ni de les déclarer irrecevables.
Mme [A] produit en outre:
- le courriel du 11 janvier 2017 de Mme [A] à M.[P] faisant suite à sa demande 'à ce qu'elle reste à son poste de travail dans le bureau de devant'et sollicitant son aval, après demande faite auprès de M.[E], pour qu'elle puisse s'absenter de l'agence pour se rendre quotidiennement à la Poste afin d'y déposer les courriers de l'agence.
Dans ce message, la salariée l'informait des reproches injustifiés et de l'agression verbale dont elle avait été victime en début d'après-midi à la suite de reproches de M.[E] concernant le retard de traitement de mails non lus alors qu'elle revenait de formation ' pendant plus de 15 minutes, j'ai subi ses assauts, ses reproches, me traitant d'incompétente, que je créais des problèmes avec la clientèle alors que certains clients se plaignent régulièrement de M.[E]. Il m'a fait même part de son intention de me licencier. C'est un comportement inadmissible. Vous conviendrez que cela n'aide pas les gens à travailler dans des conditions sereines. Mais n'est ce pas le but'(..)'
- un courriel du 16 janvier 2017 de Mme [A] à M.[E] sollicitant 'l'aval par mail de son gestionnaire pour qu'elle sorte du bureau quotidiennement pour se rendre à la Poste et déposer le courrier de l'agence ' et 'ceci dans le cadre que M.B S ( M.[P]) m'a adressé.'
- la réponse de M.[E] le même jour ' Madame , en l'absence de votre contrat de travail, il me semble que dans l'attribution des tâches 'ordinaires' d'un ou d'une assistante de gestion, le dépôt du courrier à la poste est de mise.'
- le courriel de la salariée du 16 janvier 2017 réitérant sa demande ' Effectivement, cela n'est pas spécifié ni dans mon contrat de travail ni dans ma fiche de poste Assistante copropriétés. En conséquence merci de me confirmer par écrit votre accord pour que je puisse me rendre à la Poste de [Localité 5] quotidiennement afin d'y déposer le courrier de l'agence', auquel M.[E] lui a répondu ' Madame , je vous le confirme.'
- un sms du 1er décembre 2016 de M.[E] sur le téléphone personnel de la salariée:' Penser à regarder les dossiers de lundi et mardi si nous attendons des devis. Quant au management : j'ai de nouveaux fouets!Houm!!!!!....Bien à vous, [D].'
- les courriels du 23 septembre 2016, 20 décembre 2016 et du 30 mars 2017 de plusieurs copropriétaires se plaignant du comportement désagréable voire insultant de M.[E], gestionnaire des copropriétés , de sa gestion incohérente ( Mmes [K] , [N], [W] ).
- les deux sms de M.[V], nouveau gestionnaire ayant succédé à M.[E], dans lesquels il formule le 23 novembre 2017 ses excuses auprès de sa collaboratrice ' je suis vraiment et sincèrement désolé. On forme à mes yeux une super équipe et tu as raison , tu ne peux pas et surtout ne dois pas tout assumer. Je sais ce que tu fais et tu en fais beaucoup (..) Par contre , tu as raison je suis certainemet plus à fleur de peau que d'habitude mais tu n'y es absolument pour rien et que je ne veux pas que notre relation en pâtisse (..) Puis ' Tu sais, je ne suis pas [E]! Et je ne veux pas le devenir .(..)'
( pièces 55-1 et 55-2)
- de nombreux courriels de l'agence témoignant de l'efficacité et des compétences professionnelles de Mme [A], nonobstant les difficultés liés à l'absence du gestionnaire de l'agence de [Localité 5], certains soulignant la façon déguisée de Nexity de réduire le service de syndic pour éviter l'embauche d'un gestionnaire.
- les témoignages de Mme [S] ancienne responsable administrative
( 1983- janvier 2016) et Mme [Y] ancienne assistante de gestion ( 1988-février 2016) faisant état de la dégradation des conditions de travail au cours des trois dernières années passées au sein du cabinet Nexity de [Localité 7] et soulignant des 'comportements irrespectueux et méchants de la part de certains responsables et de remontrances' envers des salariées de l'ancienne direction.
- des alertes formulées lors des réunions de délégués du personnel depuis 2012 signalant la situation dégradée depuis 2012 et notamment le 15 octobre 2015 des agences de [Localité 7] et de [Localité 5] qui n'ont pas de direction depuis un certain temps, le Directeur régional des agences M.[P] assurant le relais.
Les éléments ainsi versés aux débats par la salariée mettent en relief:
- les messages dénigrants de M.[P] , Directeur de groupe d'agence ( N+2) imputant à Mme [A] la responsabilité des retards de traitement des dossiers de l'agence de [Localité 5],
- les injonctions paradoxales de M.[P] autorisant la fermeture de l'agence de [Localité 5] au public tous les après-midi pour permettre à M.[E] et à l'assistante de résorber le retard accumulé avant de considérer en plein pic d'activité de syndic (assemblées générales) en décembre 2016 qu'il fallait 'que ses horaires de travail soient en adéquation avec les heures d'ouverture de l'agence'(pièce 53-1) et ce, en décalage avec les messages d'alerte de M.[E] sur la gravité de la situation (courriels des 27 septembre, 3 octobre 2016 et 17 novembre 2016).
- les demandes d'explications immédiates sur un ton suspicieux de M.[P] concernant l'absence momentanée de la salariée un mercredi en début d'après-midi alors qu'elle pouvait se trouver dans un autre bureau ' au fond' de l'agence ou se rendre à la Poste pour déposer le courrier de l'agence.
- un sms à connotation sexuelle de M.[E] transmis le 1er décembre 2016 à la salariée en évoquant son impatience à utiliser de 'nouveaux fouets' à l'égard de sa subordonnée. Ce message, loin de s'analyser comme une boutade comme le fait l'employeur, est douteux et totalement déplacé envers Mme [A], au demeurant sur son téléphone personnel, étant observé que le ton employé ne correspond pas à la teneur de ses messages précédents.
- la réponse désinvolte et elliptique de M.[E] à la salariée, à laquelle M.[P] avait reproché son absence momentanée dans le bureau de ' devant' de l'agence, alors que Mme [A] demandait au gestionnaire son accord écrit pour qu'elle puisse se rendre quotidiennement à la Poste et déposer le courrier de l'agence.
S'agissant de l'agression verbale dénoncée par la salariée le 11 janvier 2017, Mme [A] établit la défaillance de l'employeur en réaction aux faits portés à sa connaissance le soir même, alors que la société Nexity se devait de faire entendre M.[E] directement mis en cause et mettre en oeuvre une procédure destinée à analyser la situation de santé et en tirer toute conséquence au sein d'une petite structure, composée uniquement du gestionnaire et de son assistante. La cour observe que la plainte de la salariée n'a fait l'objet d'aucune contestation ultérieure de la part de M.[E] auprès de l'employeur sur le déroulement de la journée du 11 janvier.
S'agissant des faits du 23 novembre 2017 imputés à M.[V], nouveau gestionnaire arrivé en avril 2017, la salariée fait valoir qu'elle a subi la pression anormale et l'abus d'autorité du gestionnaire par exemple en la sollicitant à tout moment pour des tâches subalternes comme prendre un dossier rangé dans l'étagère située juste derrière lui. Ce dernier a reconnu au travers de deux sms d'excuses ( 18 heures et 21 heures) la réalité de l'incident après la crise de panique de la salariée survenue à la sortie de son travail vers 17h30 et suivie de la prescription d'un arrêt de travail le lendemain ( 24 novembre 2017).
Sur le plan médical, Mme [A] verse aux débats:
- des arrêts de travail délivrés par son médecin traitant , Docteur [X], du 24 novembre 2017 au 17 janvier 2018 puis du 20 janvier 2018 au 30 avril 2020, en raison d'une 'dépression en relation avec des difficultés professionnelles.'
- un certificat de ce même médecin indiquant que l'arrêt de travail du 20 janvier 2018 est bien en lien avec le précédent arrêt de travail du 24 novembre 2017.
- l'avis du médecin du travail en date du 17 mars 2020 au terme duquel elle a été déclarée inapte ' tout maintien dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé.'
- le dossier du médecin du travail faisant apparaître l'absence d'antécédents avant le 14 novembre 2012.
- lors de la visite du 20 mars 2018 : Elle a eu un arrêt de travail de 3 mois en 2015 pour un syndrome dépressif, puis un second arrêt de travail du 24 novembre 2017 et 17 janvier 2018, 'elle a une charge de travail +++, aime son travail mais avoir été harcelée psychologiquement par un responsable. Elle se plaint de fatigue, de troubles de sommeil, de perte de mémoire',
- le 6 février 2020 : elle présente 'une anxiété sévère généralisée, suit un traitement antidépresseur, a des attaques de panique périodiques. La reprise dans l'entreprise ne paraît pas envisageable.'
- le certificat du psychiatre [I] du 20 octobre 2018 consulté par Mme [A] pour un état d'épuisement physique et psychique, une tension interne permanente, des cauchemars récurrents. 'L'estime de soi est altérée avec une souffrance morale vraie'.
- les certificats du Docteur [F], médecin psychiatre assurant en relais du Docteur [I] le suivi psychiatrique de la salariée depuis septembre 2018 pour un épisode dépressif majeur avec une composante anxieuse sévère. La salariée présentait alors' un état de stress aigu en lien avec des cauchemars, des troubles du sommeil, des images intrusives, des troubles cognitifs et une symptomatologie anxieuse à type d'attaque panique, verbalisation d'un état d'insécurité et d'alerte permanent, ainsi que des symptômes dissociatifs à type de personnalisation, perte identitaire, sensations corporelles inhabituelles et un détachement majeur'.
La patiente rapportait alors un contexte de travail vécu comme source d'un stress intense et répété, avec répétition d'agissements offensifs, intimidants et menaçants de la part M.S.G ( pièce 36/36).
Si le suivi médical a permis une amélioration sensible avec atténuation de la fréquence et de l'intensité des symptômes de répétition, des céphalées et des capacités cognitives, il subsiste 'une humeur triste une aboulien une anhédonie, un éloignement vis à vis du monde avec un repli sur soi et un sentiment d'isolement et abandon '. Son état est incompatible avec une reprise du travail. ( les 20 octobre 2018, 31 janvier 2019, 10 juillet 2019, 12 décembre 2019, 27 juillet 2021, 23 avril 2015 )
La salariée a décrit avoir tenté de reprendre le travail pendant 2 jours en janvier 2018 à l'issue de l'arrêt de travail prolongé (24 novembre 2017- 17 janvier 2018), mais a compris qu'elle n'était pas attendue par le gestionnaire M.[V] qui l'a fait attendre 30 minutes dans le hall avant de lui dire de s'installer dans un bureau provisoire, celui 'du fond', et que le directeur appelé par le gestionnaire s'est déplacé sur le site pour annoncer à la salariée un possible changement d'agence. Il lui a été demandé de revenir le vendredi après-midi pour rattraper les heures non effectuées durant la semaine puisqu'elle était revenue que le jeudi.
- le certificat d'une psychologue du 30 avril 2019 prenant en charge l'hypnothérapie de Mme [A].
- le certificat d'une psychothérapeute en date du 3 juillet 2019 ayant constaté la sévérité des troubles anxieux, l'éparpillement de la pensée, le défaut d'articulation entre les registres cognitifs et affectifs, et préconisant des consultations spécialisées.
- les certificats du médecin expert psychiatre, docteur [RX], des 12 juillet 2019 et 2 juillet 2020 considérant que la salariée présente un syndrome anxiodépressif de gravité modérée, avec une perte de sa capacité de travail supérieure ou égale à 66%; qu'elle est apte à un travail quelconque bien évidemment en dehors du cadre professionnel préexistant à la date du 2 mars 2020.
- le questionnaire rempli par la salariée dans le cadre de sa demande de reconnaissance de maladie professionnelle expliquant qu'elle a été 'laissée seule à l'agence de [Localité 5] en février 2015, à la suite de la dépression de la gestionnaire affectée à temps partiel ( Mme [Z]), qu'elle a sombré aussi avant de reprendre son poste, la Direction s'engageant à recruter un gestionnaire à temps complet en juillet 2015, qu'entre 2016 et 2017, il y a eu un turn over de 3 gestionnaires à charge pour l'assistante d'assurer l'intérim et réexpliquer les dossiers à chacun d'eux ; qu'en juillet 2016, M.[E] a adopté une attitude harcelante et lui a tenu des propos dénigrants sur son travail et son physique, lui a envoyé un sms à connotation sexuelle avec menace de nouveaux fouets ; qu'en novembre 2016, elle a reçu un mail lui reprochant de ne pas être à son poste de travail alors qu'elle se trouvait dans le bureau du gestionnaire qui lui avait été assigné; que M.[E] ne cessait de lui répéter qu'il la soutenait , qu'il était son dernier rempart contre la Direction qui avait une piètre opinion de son travail mais il me manipulait, la complimentant avant de la critiquer sur le plan professionnel et physique; que le 11 janvier 2017, comme elle lui demandait l'autorisation pour se rendre à la poste, elle a eu une altercation avec M.[E] qui l'a menacé de la licencier; qu'elle n'a reçu aucun soutien de la Direction après s'être plainte de l'incident; que par la suite, le nouveau gestionnaire M.[V] a adopté une attitude inappropriée et vindicative , ce dont il s'est excusé le 23 novembre 2017 dans deux sms, 'ne voulant pas être [E]!'; que ce nouvel incident a déclenché une attaque de panique à l'origine de son arrêt de travail le 24 novembre 2017.'
Elle ajoute que M.[E] tenait souvent des propos humiliants en sa seule présence, faisant des reproches sur 'les erreurs de casting', 'les femmes qui ne tenaient pas et étaient toutes sous anxiolytiques'et tenant des propos grossiers en sa présence ' couilles de loup', 'je mets mes couilles sur la table'
- le jugement du 13 janvier 2025 du pôle social du Tribunal judiciaire de Quimper ayant retenu la faute inexcusable de l'employeur et ordonné une expertise médicale de la salariée.
C'est par une exacte appréciation des faits que les premiers juges ont considéré après avoir tenu compte non seulement des doléances de la salariée mais aussi des éléments objectifs que Mme [A] a établi la matérialité de faits précis et concordants qui, pris dans leur ensemble, laissaient supposer l'existence d'un harcèlement moral de ses supérieurs hiérarchiques à son encontre.
Il est en effet détaillé au travers des réponses de M.[P] remettant en cause les dires de la salariée confrontée à des difficultés objectives au sein de l'agence de [Localité 5], d'une suspicion injustifiée de son supérieur hiérarchique quant à l'implication de la salariée, mais aussi de la dégradation de son état de santé, confirmée par des arrêts de travail.
L'employeur conteste toute existence de faits laissant supposer l'existence d'un harcèlement en invoquant l'absence de témoins directs des agissements dont se plaint Mme [A]. Il se borne toutefois à remettre en cause la fiabilité des témoignages produits par la salariée par des personnes qui n'étaient pas présentes dans les locaux, ou n'ont travaillé à [Localité 5] que durant 3 demi-journées ( Mme [L]). Il conteste l'existence d'un climat social délétère ainsi le fait que la salariée a subi une surcharge de travail liée au turn over des gestionnaires.
Toutefois, sans entrer dans le détail de l'argumentation de l'employeur, force est de constater qu'il ne fournit aucun document ou témoignage permettant de considérer que les faits dénoncés par la salariée n'ont pas eu lieu ou qu'ils étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le témoignage de M.[P], supérieur hiérarchique ( N+2) de Mme [A], est formulé de manière vague et non circonstanciée : il ne fournit aucune explication sur son absence de réponse à réception du message du 11 janvier 2016 de la salariée dénonçant le comportement humiliant et menaçant du gestionnaire M.[E] après une agression verbale subie le jour même. Alors que Mme [A] se dit ' profondément blessée' le 6 décembre 2016 par le message de M.[P] transféré le 10 novembre 2016 manifestant un emportement disproportionné envers la salariée à propos d'une prétendue absence à son poste ' de devant' à 14h15 un mercredi et sollicitant les explications de M.[E] en urgence . Son animosité transparaît également quelques jours plus tard lorsque M.[E] annonce un éventuel arrêt de travail de la salariée lorsque M.[P] lui demande de récupérer des éléments ' pour monter un dossier' et dans le même temps anticiper sur un éventuel remplacement de Mme [A] ( pièce 49-3).
Dans ces conditions, le harcèlement moral invoqué par Mme [A] est caractérisé. Il convient dès lors de prononcer la nullité du licenciement pour inaptitude, par voie de confirmation du jugement.
2- Sur les conséquences financières du licenciement nul
Mme [A] sollicite la confirmation du jugement qui lui a accordé la somme de à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de l'illicéité de son licenciement.
La société considère que le quantum de la demande est injustifié en l'absence d'éléments caractérisant le préjudice au-delà des 6 mois de salaire prévus par la loi.
Mme [A], âgée de 51 ans et ayant une ancienneté de 23 ans lors du licenciement démontre ses difficultés réelles pour se réinsérer sur le plan professionnel au regard d'un état de santé non stabilisé, ce dont elle justifie au travers d'un suivi médical spécialisé et d'une reconnaissance de travailleur handicapé. A l'issue d'une période de chômage indemnisé entre novembre 2020 et octobre 2021 (1 400 euros par mois, la salariée a perçu des indemnités journalières (1100 euros par mois) avant de percevoir depuis mai 2022 une rente d'invalidité de l'ordre de 420 euros par mois. Elle bénéficie de la reconnaissance de travailleur handicapé depuis cette date.
Au vu de ces éléments d'appréciation, c'est à juste titre que les premiers juges ont évalué à 63 700 euros le montant des dommages et intérêts dus à la salariée en réparation de la perte de son emploi lié à l'illicéité de son licenciement. Le jugement sera confirmé de ce chef.
La salariée dont le licenciement est nul est également fondée à obtenir le versement de l'indemnité compensatrice de préavis de 5 308,40 euros brut outre les congés payés, dont le montant n'est pas contesté par l'employeur. Le jugement sera également confirmé sur ce point.
3-Sur la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral
Mme [A] demande la confirmation du jugement lui ayant accordé la somme de 15 000 euros en réparation des faits de harcèlement moral qu'elle a subis.
C'est par des motifs pertinents que la cour adopte que les premiers juges ont retenu le bien fondé de la demande d'indemnisation de la salariée au titre d'un préjudice moral après avoir pris en compte l'absence de toute réaction de l'employeur lorsque Mme [A] a dénoncé par écrit l'agression verbale du 11 janvier 2017 de son supérieur hiérarchique.
En effet, alors que l'employeur était déjà informé par plusieurs copropriétaires du comportement désobligeant, agressif voire injurieux de M.[E] dans l'exercice de ses fonctions, force est de constater que la société n'a procédé à aucune audition ni diligenté la moindre enquête interne après l'alerte de la salariée travaillant seule avec lui depuis juillet 2016 au sein de la structure. Si M.[E] a quitté l'agence de [Localité 5] en avril 2017 -pour prendre la direction de l'agence de [Localité 7]-, cette affectation a été justifiée par le mouvement de mécontentement de plusieurs clients et non en raison de son comportement managérial envers son assistante, selon les dires non contestés de Mme [A]. Les éléments ainsi recueillis permettent au regard de l'intensité du préjudice moral subi par la salariée et de la répétition des agissements sur plusieurs mois ( février 2015-janvier 2018), d'allouer à Mme [A] des dommages et intérêts distincts de ceux résultant de l'illicéité de son licenciement pour harcèlement moral qui seront justement à la somme de 8 000 euros, par voie d'infirmation du jugement uniquement sur le quantum.
4- Sur la demande de dommages et intérêts pour atteinte à la santé au travail
Mme [A] demande la confirmation du jugement qui a fixé à
20 000 euros les dommages et intérêts pour atteinte à la santé au travail fondés sur le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.
La société Nexity a conclu au rejet de la demande de la salariée au motif qu'il a toujours veillé à pourvoir le poste des gestionnaire dans l'agence de [Localité 5] dans un contexte difficile de recrutement, que Mme [A] n'a pas eu à souffrir de la vacance de ce poste, bénéficiant d'un renfort ponctuel à l'accueil ou d'une autorisation à fermer l'agence l'après-midi en cas de besoin pour se concentrer sur ses autres missions en périodes de haute activité inhérentes au métier de syndic; que son portefeuille était deux deux fois moins important qu'à [Localité 7] en nombre de lots et d'immeubles, qu'elle n'a transmis aucune alerte au titre de sa prétendue surcharge de travail étant rappelé qu'elle n' a pas prétendu avoir effectué d'heures supplémentaires pour assurer ses missions.
Aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1. Des actions de prévention des risques professionnels ;
2. Des actions d'information et de formation ;
3. La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
L'employeur est également tenu de veiller à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.
Aux termes de l'article L. 4121-2 du même code : « L'employeur met en 'uvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
1. Eviter les risques ;
2. Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
3. Combattre les risques à la source ;
4. Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
5. Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;
6. Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
7. Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L.1152-1 et L. 1153-1 ;
8.Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
9.Donner les instructions appropriées aux travailleurs. »
Le salarié est tenu de démontrer la connaissance du risque par l'employeur, notamment en rapportant l'alerte émise sur le risque, sauf si cette connaissance est présumée. Ensuite, il suffit au salarié d'alléguer la violation de l'obligation de sécurité sans avoir à la démontrer et il incombe à l'employeur d'établir qu'il a effectivement pris les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité.
L'employeur qui entend s'exonérer de sa responsabilité doit alors justifier avoir pris toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs telles que prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.
Le juge doit apprécier et analyser la rationalité, la pertinence et l'adéquation des mesures effectivement prises par l'employeur.
Par ailleurs, si pèse de façon générale sur l'employeur une obligation de sécurité de prévention (articles L.4121-1 et 2 du code du travail), le législateur a imposé expressément à celui-ci, en matière de harcèlement, moral ou sexuel, de prendre toutes dispositions nécessaires à prévenir le harcèlement (articles L. 1152-4 et 5).
A cet égard, le fait pour un employeur ne pas prendre de mesures suffisantes pour éviter une situation de souffrance au travail constitue un manquement à l'obligation de prévention des risques professionnels.
L'employeur peut s'exonérer de sa responsabilité en matière de harcèlement s'il démontre (en ce sens, Soc. 1er juin 2016, n°14-19702, Bull. 2016, V, n°123) :
1°] qu'il a pris toutes les mesures de prévention visées aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et notamment les actions d'information et de formation propres à prévenir la survenance de faits de harcèlement ;
2°] qu'il a pris immédiatement toutes les mesures propres à faire cesser le harcèlement et l'a fait cesser effectivement.
Le préjudice résultant de l'absence de prévention par l'employeur des faits de harcèlement et les conséquences du harcèlement effectivement subi peuvent donner lieu à des réparations distinctes (en ce sens, Soc., 19 novembre 2014, pourvoi n° 13-17.729, Bull. 2014, V, n° 267).
Il appartient au juge, évaluant les éléments de preuve qui lui sont soumis, d'évaluer le comportement de l'employeur, notamment la pertinence des mesures de prévention et de sécurité prises et leur adéquation au risque connu ou qu'il aurait dû connaître.
L'existence ou non d'une enquête menée par l'employeur peut être pour les juges du fond un élément d'appréciation ; si elle constitue un moyen utile de faire la lumière sur les faits qui lui sont dénoncés et ainsi de prendre les mesures opportunes au vu de ce que ces investigations ont révélé, elle n'est cependant pas obligatoire en pareil cas, (en ce sens, Soc., 7 avril 2016, pourvoi n°14-23.705 ; Soc., 12 juin 2024, pourvoi n° 23-13.975).
En l'espèce, les pièces versées aux débats établissent que Mme [A] assistante de coprpopriété expérimentée était soumise depuis plusieurs années à une charge mentale forte en lien avec un turn over important du gestionnaire syndic affecté à l'agence de [Localité 5]; que cette pression a engendré progressivement un état d'épuisement qui s'est révélé lors d'un premier épisode dépressif à l'origine d'un arrêt de travail du 28 février 2015 au 13 juin 2015, alors que le poste de gestionnaire (Mme [Z] ) n'était pas pourvu ; que , sollicitée à son retour par les gestionnaires successifs ( Mme [B], M.[E], M.[V]), elle a vu sa santé physique et mentale sérieusement altérée par les agissements de M.[E] se montrant abusivement autoritaire et humiliant ( juillet 2016-mars 2017) et par ceux de son successeur M.[V] lui imposant sans ménagement une charge importante de travail ( depuis avril 2017); que la salariée a 'craqué' en sortant du travail le 23 novembre 2017 à la suite des pressions de M.[V] à son égard, ce que ce dernier a reconnu au travers de deux sms d'excuses, dont la tenuer est explicite sur le caractère anormal et injustifié des pressions exercées sur sa subordonnée; qu'à l'issue d'un nouvel arrêt de travail jusqu'au 17 janvier 2018, Mme [A] a tenté une reprise de son poste durant 48 heures au cours desquelles elle a dénoncé de nouvelles pressions et humiliations de la part de M.[V] ( isolement pendant 30 minutes dans le hall d'entrée avant de l'affecter dans le bureau ' du fond', mutisme du gestionnaire durant la journée de travail, demande de venir travailler le vendredi après-midi pour 'compenser' son absence ; déplacement du Directeur sur site pour lui annoncer une éventuelle affectation dans l'agence de [Localité 7]) ; qu'elle a ainsi fait l'objet d'un nouvel arrêt de travail du 20 janvier 2018 au 1er mars 2020, avant que son inaptitude ne soit constatée par le médecin du travail à tout emploi dans l'entreprise; que la salariée, dont l'investissement professionnel trouvait sa récompense au terme d'une évolution de carrière dans la reconnaissance de sa hiérarchie et des copropriétaires, a subi des reproches de la part de la nouvelle direction qui lui sont apparus profondément injustes et a dénoncé en vain la dégradation de ses conditions de travail notamment avec M.[E].
Le diagnostic du syndrome dépressif sévère, constaté par le médecin traitant de Mme [A] qui lui a prescrit des arrêts de travail prolongés, a été confirmé par les spécialistes en psychiatrie ainsi que par le médecin du travail, qui ont conduit ce dernier à considérer qu'il ne s'agissait pas d'une fatigue passagère, mais que la salariée n'était définitivement plus en état de faire face aux nombreuses sollicitations de son poste, et y était devenue inapte.
Pour sa part, la société Nexity ne fournit aucune explication cohérente quant l'absence d'organisation d'une visite médicale de reprise à l'issue du long arrêt de travail de Mme [A] de plus de 3 mois ( 24 novembre 2017- 17 janvier 2018) étant rappelé que la salariée avait déjà fait l'objet d'un précédent arrêt de travail de plus de 3 mois pour syndrome dépressif sans avoir bénéficié d'une visite médicale de reprise le 13 juin 2015, ce qui est confirmé par le dossier du médecin du travail.
La société Nexity ne justifie d'aucune mesure concrète lui permettant d'apprécier la situation de l'agence de [Localité 5] alors qu'elle était dûment informée des difficultés au travers de :
- des alertes écrites de la salariée sur les difficultés récurrentes de l'agence, sur sa surcharge de travail, par exemple le 10 février 2015" la situation a empiré depuis mi-août 2014, je ne peux pas assumer mon poste d'assistante copropriété avec 1459 lots et 73 immeubles ) et le poste de Mme [Z] absente régulièrement du fait de ses fonctions de Directrice des deux agences et ce depuis 2 ans', le 16 février 2015, quelques jours avant son arrêt de travail ' cette situation m'est très pénible, je prends beaucoup sur moi jusqu'à quelle limite.'
- des interpellations des délégués du personnel'les agences de [Localité 7] et de [Localité 5] n'ont pas de direction depuis un certain temps. (..) Cela renforce le sentiment d'isolement et de délaissement des collaborateurs concernés.'
( réunion DP du 1er octobre 2014, réunion CE du 15 octobre 2015 )
- des constats dressés par les gestionnaires eux-mêmes ( Mme [B] sollicitant du renfort le 2 juillet 2015 puis le 22 juin 2016" sinon nous n'y arriverons pas', M. [E]' A [Localité 5], c'est infernal 'le 27 septembre 2016 - et' pour sortir le dossier de [Localité 5], un renfort de 6 mois s'impose sinon ( [MT] [V]) ne tiendra pas' le 17 novembre 2016 ).
- de l'analyse faite par M.[O] supérieur hiérarchique dans son dernier entretien annuel du 23 mars 2016 décrivant Mme [A] comme une assistante chevronnée et objectivant des conditions de travail difficiles en l'absence de gestionnaire stable, ce qui amène de fait la salariée, seule dans l'agence, en sus de son poste d'assistante copropriétés, à répondre aux autres services en place (gérance, location, transaction).( pièce 35)
L'employeur a reconnu dans son courrier du 27 avril 2015, durant l'arrêt de travail de la salariée en réponse à ses alertes des 16 et 24 février 2015, que, alerté sur sa situation au sein de l'agence de [Localité 5].( Pièce 42.2) et souhaitant 'mettre tout en oeuvre pour que Mme [A] puisse reprendre son poste dans les meilleures conditions', il avait désigné Mme [B] comme gestionnaire à temps complet à compter du mois de juillet 2015.
L'employeur sur laquelle repose la charge de la preuve ne démontre avoir pris aucune mesure effective de prévention et de protection de la santé et la sécurité de la salariée malgré les alertes de celle-ci formulés lors de ses entretiens annuels et dans ses courriers successifs. Force est de constater que le supérieur hiérarchique au niveau régional ( M.[P]) a banalisé de manière systématique la charge de travail de l'assistante de [Localité 5] ainsi que son investissement professionnel sans pour autant justifier qu'il a bien mis à sa disposition les moyens nécessaires pour remédier au manque de personnel dénoncé par la salariée.
De même, le fait pour le supérieur hiérarchique d'affirmer de manière stéréotypée dans son courrier de réponse du 6 décembre 2016 (pièce 53-1) que la charge de travail est 'tout à fait normale et raisonnable en fonction de la taille de l'agence, en occultant les tâches annexes dans une agence dépourvue de secrétaire, témoigne du déni complet par l'employeur du mal-être de la salariée.
Il ressort clairement des pièces produites et notamment des éléments de nature médicale que la surcharge de travail, l'absence de reconnaissance de l'implication, l'absence de réponse à son courrier relatant l'agression verbale de M.[E], a entraîné la dégradation des conditions de travail de Mme [A] allant jusqu'à une dépression sévère constatée par un psychiatre, étant à l'origine de son inaptitude physique ayant abouti à son licenciement.
Eu égard à la gravité et à la persistance du manquement de l'employeur à son obligation de protection de la santé et de la sécurité ayant causé un préjudice significatif à Mme [A] , il y a lieu de condamner la société Nexity à verser la somme de 10 000 euros de dommages et intérêts.
Le jugement sera infirmé uniquement sur le quantum.
5- Sur la demande d'indemnité spéciale de licenciement
Mme [A] maintient sa demande en paiement de l'indemnité spéciale de licenciement de 16 797.63 euros au titre du solde de l'indemnité de licenciement sur le fondement de l'article L 1226-14 du code du travail, au motif que son inaptitude est d'origine professionnelle, ce qui est reconnu par la CPAM qui lui a alloué une rente pour maladie professionnelle le 19 mai 2022. Le Pôle social dans un jugement du 10 mars 2025 a considéré que la maladie de Mme [A] était la conséquence de la faute inexcusable de l'employeur.
La société conclut au rejet de la demande en soutenant que la salariée a toujours été placée en arrêt de travail pour maladie ou accident d'origine non professionnel, qu'elle n'a formulé aucune demande de reconnaissance d'une maladie professionnelle ou exprimé son intention de le faire à la date de notification du licenciement de sorte que l'employeur n'avait pas connaissance à cette période qu'il devait régler une indemnité spéciale de licenciement.
Dans le cas d'une inaptitude d'origine professionnelle, l'article L 1226-14 du code du travail dispose que la rupture du contrat de travail ouvre droit au profit du salarié à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité prévue par l'article L 1234-9 du code du travail.
Les règles protectrices applicables aux victimes d'un accident de travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors de l'inaptitude du salarié quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée a eu au moins partiellement pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement.
Il résulte des pièces produites que :
- Mme [A] avait informé dès le 16 février 2015 son employeur de ses difficultés au sein de l'agence en lien avec l'arrêt de travail de la gestionnaire à temps partiel ( Mme [G]) et exprimait clairement une charge de travail conséquente, sans recours aux renforts promis ' les décisions ne sont plus prises, je suis seule depuis 3 semaines à assurer la tenue du service Syndic, je subis de plus en plus les griefs de la clientèle, avant d'être placée elle-même en arrêt de travail dès le 25 février 2015 ( pièces 40.1 et 41)
- ses arrêts de travail prescrits quelques jours plus tard entre le 28 février 2015 et le 13 juin 2015 par son médecin traitant font mention d''une dépression en lien avec des difficultés de travail'.
- Mme [B] nouvelle gestionnaire à [Localité 5] sollicite le 2 juillet 2015 la Direction pour trouver des solutions car 'sans comptable, Mme [A] et moi n'y arriverons pas.'
- la salariée alerte à nouveau l'employeur sur ses difficultés sur le plan professionnel dans un courrier du 6 novembre 2016, dans un autre courriel du 6 décembre 2016 dans lequel elle dénonce des propos dénigrants la concernant dans des mails de son supérieur hiérarchique M.[P] ( pièce 17/36) et dans un courriel du 11 janvier 2017 en faisant état de l'agression verbale et des menaces de licenciement de M.[E] ( pièce 19/36).
- elle a reçu des sms d'excuses le 23 novembre 2017 après l'agression verbale de M.[U] son nouveau gestionnaire .
- le certificat de son médecin traitant précisant que l'arrêt de travail du 20 janvier 2018 est bien en lien avec l'arrêt initial du 24 novembre 2017.
- le médecin du travail se réfère aux premières constatations médicales d'un syndrome dépressif, un arrêt de travail jusqu'au 4 avril 2018 , une orientation au centre de pathologies professionnelles du CHU conseillée, au cours de la période d'arrêt de travail quasi ininterrompue au titre d'une maladie de droit commun entre le 24 novembre 2017 et le 1er mars 2020, entrecoupée par deux journées de travail (18 et 19 janvier 2020),
- l'avis d'inaptitude établi le 17 mars 2020 par le médecin du travail précisant que tout maintien de la salariée dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé.
- le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement notifié le 16 juillet 2020.
Il ne fait pas débat que :
- Mme [A] a déposé le 29 juillet 2021 une demande de reconnaissance de maladie professionnelle pour un syndrome dépressif sévère suivant certificat initial du 27 juillet 2021, qui fixe la première constatation médicale au 24 novembre 2017.
- la CPAM a reconnu le 21 mars 2022 le caractère professionnel de cette affection ,
- l'état de santé a été déclaré consolidé le 19 avril 2022 avec attribution d'une rente en réparation d'un taux d'IPP de 32 %.
- le pôle social du tribunal judiciaire de Rennes, saisi le 4 avril 2024 d'une demande de reconnaissance d'une faute inexcusable de l'employeur, a fait droit à la demande de la salariée suivant jugement du 10 mars 2025. ( pièce 96).
L'employeur, qui remet en cause l'origine professionnelle de l'affection constatée, ne produit aucun élément probant, se bornant à soutenir de manière incompréhensible n'avoir reçu aucune alerte de la salariée.
Toutefois, les dénégations de la société Nexity ne suffisent pas à renverser les conclusions des médecins sur l'origine professionnelle de la pathologie de Mme [A].
Dans ces conditions, ces éléments d'appréciation permettent de déduire que l'inaptitude à l'origine du licenciement de Mme [A] était bien en lien avec la pathologie qui a été reconnue comme étant au moins partiellement d'origine professionnelle.
Il est par ailleurs établi que lorsqu'elle a procédé au licenciement de la salariée le 16 juillet 2020, la société Nexity avait parfaitement connaissance de l'origine professionnelle de l'inaptitude en ce que la salariée et les gestionnaires ayant travaillé avec elle l'avait alerté régulièrement sur la dégradation des conditions de travail de l'agence de [Localité 5] et notamment de Mme [A], assistante co-propriété chargée d'assurer des tâches supplémentaires de secrétariat et d'accueil pour des services annexes (location transaction) ; que compte tenu des symptômes décrits par les médecins
( dépression sévère), l'employeur ne pouvait pas ignorer que Mme [A] souffrait d'une affection en lien avec ses conditions de travail alors qu'elle avait déjà fait l'objet d'un premier arrêt de travail de plus de 3 mois en juin 2015, postérieurement à l'absence prolongée et non remplacée de la gestionnaire; qu'il s'est abstenu d'organiser une visite médicale en juin 2015;
que malgré de nouvelles alertes de la salariée et des nouveaux gestionnaires, l'employeur ne peut pas sérieusement prétendre qu'il ignorait les difficultés persistantes rencontrées en 2016 et en 2017 au sein de cette agence et notamment par l'assistante de copropriété, fragilisée par la situation antérieure.
Il résulte au surplus de l'échange de courriels de M.[E] et de M.[P] du 13 décembre 2016 que la Direction était informée des répercussions de la situation sur l'état de santé de Mme [A] ' L'arrêt prochain de Mme [A] semble se profiler rapidement!' ( M.[E] pièce49-4) ce à quoi M.[P] lui répondait de manière cynique qu'il 'faudrait récupérer des éléments pour monter un dossier et dans le même temps anticiper le remplacement de la salariée par [MF].'
Alors que la salariée n'avait aucun antécédent sur le plan psychiatrique, ce qui résulte des pièces médicales, son placement en arrêt de travail le 24 novembre 2017, suivi d'un nouvel arrêt le 20 janvier 2018 à l'issue d'une reprise de poste durant 48 heures le 18 janvier 2018, les éléments recueillis permettent d'établir que l'inaptitude de Mme [A] qui a justifié son licenciement avait au moins partiellement pour origine une maladie reconnue d'origine professionnelle et que l'employeur avait connaissance de cette origine lors de la notification du licenciement le 16 juillet 2020.
Il s'ensuit que la salariée est fondée à obtenir l'indemnité spéciale de licenciement prévue par l'article L 1226-14 du code du travail à concurrence du solde restant dû et non contesté de 16 797,63 euros net , que l'employeur devra lui verser, par voie d'infirmation du jugement.
6- Sur les autres demandes et les dépens
Conformément aux dispositions des articles 1231-7 et 1344-1 du code civil, les intérêts au taux légal sur les condamnations prononcées seront dus à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du Conseil de prud'hommes pour les sommes à caractère de salaire et pour le surplus à compter de l'arrêt.
Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de Mme [A] les frais non compris dans les dépens en appel. L'employeur sera condamné à lui payer la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel , le jugement déféré étant confirmé en ses dispositions relatives de l'article 700 du code de procédure civile.
L'employeur qui sera débouté de sa demande d'indemnité de procédure sera condamné aux entiers dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
- Confirme le jugement entrepris sauf en ce qui concerne le quantum des dommages et intérêts pour harcèlement moral, des dommages et intérêts pour atteinte à la santé au travail et en qui concerne l'indemnité spéciale de licenciement.
Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
- Condamne la SAS Nexity Lamy à payer à Mme [A] les sommes suivantes :
- 8 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral, - 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour atteinte à la santé au travail fondé sur le manquement à l'obligation de sécurité,
- 16 497,63 euros net à titre de solde de l'indemnité spéciale de licenciement,
- 3 000 euros en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
- Dit que les sommes allouées porteront intérêt au taux légal à compter de la date à laquelle l'employeur a accusé réception de sa convocation à comparaître à l'audience de conciliation- pour les créances salariales et à compter du présent arrêt pour les créances indemnitaires.
- Déboute la société Nexity Lamy de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamne la société Nexity aux dépens de l'appel.
Le Greffier Le Président