CA Saint-Denis de la Réunion, ch. civ. tgi, 10 octobre 2025, n° 23/00333
SAINT-DENIS DE LA RÉUNION
Arrêt
Autre
ARRÊT N°25/
SP
R.G : N° RG 23/00333 - N° Portalis DBWB-V-B7H-F4GL
[Y]
[P]
C/
S.A. BNP PARIBAS REUNION
RG 1èRE INSTANCE : 20/02471
COUR D'APPEL DE SAINT- DENIS
ARRÊT DU 10 OCTOBRE 2025
Chambre civile TGI
Appel d'une décision rendue par le TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE SAINT-DENIS (REUNION) en date du 22 NOVEMBRE 2022 RG n°: 20/02471 suivant déclaration d'appel en date du 13 MARS 2023
APPELANTS :
Monsieur [T] [Y]
[Adresse 2]
[Localité 8]
Représentant : Me Isabelle MERCIER-BARRACO, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
Monsieur [V] [P]
[Adresse 6]
[Localité 7]
Représentant : Me Isabelle MERCIER-BARRACO, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
INTIMEE :
S.A. BNP PARIBAS REUNION
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentant : Me Guillaume jean hyppo DE GERY de la SELARL GERY-SCHAEPMAN, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
CLÔTURE LE : 18/12/2024
DÉBATS : En application des dispositions de l'article 804 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 14 Mars 2025 devant la Cour composée de :
Président : Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre
Conseiller : Madame Pauline FLAUSS, Conseillère
Conseiller : Madame Sophie PIEDAGNEL, Conseillère
Qui en ont délibéré après avoir entendu les avocats en leurs plaidoiries.
A l'issue des débats, le président a indiqué que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition le 30 mai 2025 prorogé par avis au 20 juin 2025 puis au 26 septembre 2025 puis au 10 octobre 2025.
Greffiere lors des débats et de la mise à disposition : Madame Nathalie BEBEAU, Greffière.
ARRÊT : prononcé publiquement par sa mise à disposition des parties le 10 Octobre 2025.
* * *
LA COUR
Par actes sous signature privée du 18 août 2016, la BNP Paribas Réunion (la BNP ou la banque) a consenti à la SARL ECDA (dont le nom commercial est « Le [9] ») deux prêts professionnels l'un de 380.000 euros et l'autre de 70.000 euros, garantis par le cautionnement solidaire de M. [O] [S] et de Mme [Z] [D], ainsi que par un nantissement du fonds de commerce.
Le 8 avril 2017, M. [S] et de Mme [D] ont cédé leurs parts à MM. [T] [Y] et [V] [P].
Par actes du 8 novembre 2018, MM. [Y] et [P] se sont portés cautions de la SARL ECDA, sans solidarité entre eux, à hauteur de 386. 694,75 euros pour le premier prêt et à hauteur de 56.232, 47 euros pour le second prêt.
Le 15 janvier 2020, la BNP a prononcé la déchéance du terme du prêt souscrit par la société ECDA pour un montant de 380.000 euros et la mise en demeure, ainsi que les cautions, de lui régler la somme de 251.854,70 euros.
Le 2 mars 2020, la BNP a prononcé la déchéance du terme du prêt souscrit par la société ECDA pour un montant de 70.000 euros et la mise en demeure, ainsi que les cautions, de lui régler la somme de 28.704,37 euros.
Par jugement du 26 mars 2020, le tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre de la Réunion a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire au profit de la SARL ECDA.
Le 30 mars 2020, la BNP a déclaré sa créance auprès du mandataire judiciaire.
Le redressement judiciaire a été converti en liquidation judiciaire par jugement du 14 mai 2020.
Le 20 mai 2020, la BNP a déclaré sa créance dans la procédure de liquidation judiciaire de la SARL ECDA au titre des deux prêts pour un montant total de 279.443,18 euros.
Face à l'inertie des cautions, par acte du 7 octobre 2020, la BNP a fait assigner MM. [Y] et [P], en leur qualité de cautions, devant le tribunal judiciaire de Saint-Denis aux fins de condamnation.
MM. [Y] et [P] ont soulevé l'irrecevabilité de la demande de la BNP en l'absence de délivrance d'une mise en demeure restée sans effet au-delà d'un délai indiqué expressément à l'emprunteur. Sur le fond, ils ont conclu à la disproportion de leur engagement de caution et sollicité la déchéance du droit aux intérêts. A titre subsidiaire, il ont sollicité des délais de paiement.
La banque a conclu à l'irrecevabilité de la demande de déchéance du droit aux intérêts.
C'est dans ces conditions que, par jugement en date du 22 novembre 2022, le tribunal judiciaire de Saint-Denis de la Réunion a statué en ces termes :
« DECLARE la BNP PARIBAS REUNION recevable et bien-fondée en sa demande,
CONDAMNE Monsieur [T] [Y] et Monsieur [V] [P] à payer à la BNP PARIBAS REUNION en leur qualité de cautions solidaires de la SARL E.C.D.A., sans solidarité entre elles, la somme de 279 443,18 euros avec les intérêts au taux légal à compter de la date de notification des mises en demeure de payer, et ce, jusqu'à parfait paiement,
LES CONDAMNE à payer à la BNP PARIBAS REUNION la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure civile,
DIT n'y avoir lieu d'écarter l'exécution provisoire de droit.
CONDAMNE les défendeurs aux dépens. »
Par déclaration du 13 mars 2023, MM. [Y] et [P] ont interjeté appel du jugement précité.
L'affaire a été renvoyée à la mise en état suivant une ordonnance rendue le 16 mars 2023.
Le 13 juin 2023, MM. [Y] et [P] ont déposé leurs premières conclusions d'appelants.
Le 13 septembre 2023, la BNP a déposé ses premières conclusions.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 12 décembre 2024.
***
Aux termes de leurs dernières conclusions n° 2 transmises par voie électronique le 10 décembre 2024, MM. [Y] et [P] demandent à la cour de :
- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il :
.rejeté les demandes de MM. [Y] et [P],
.déclaré la BNP recevable et bien-fondée en sa demande,
.condamné MM. [Y] et [P] à payer à la BNP en leur qualité de cautions solidaires de la SARL ECDA, sans solidarité entre elles, la somme de 279.443,18 euros avec les intérêts au taux légal à compter de la date de notification des mises en demeure de payer, et ce, jusqu'à parfait paiement,
.les a condamné à payer à la BNP la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
.dit n'y avoir lieu d'écarter l'exécution provisoire de droit,
.condamné les défendeurs aux dépens ;
Statuant à nouveau
A titre principal
- Déclarer la BNP irrecevable en ses demandes ;
- Déclarer la BNP infondée en ses demandes ;
- Déclarer les cautionnements souscrits par MM. [Y] et [P] auprès de la BNP disproportionnés et en conséquence dire et juger que la banque ne peut s'en prévaloir ;
A titre subsidiaire
- Prononcer la déchéance du droit aux intérêts du prêteur ;
- Accorder à M. [Y] 24 mois de délais pour régler sa dette, celle-ci étant réglée par le versement de 23 mensualités d'un montant de 200 euros qui s'imputeront sur le principal, la 24ème échéance soldant sa dette ;
- Accorder à M. [P] 24 mois de délais pour régler sa dette, celle-ci étant réglée par le versement de 23 mensualités d'un montant de 200 euros qui s'imputeront sur le principal, la 24ème échéance soldant sa dette ;
En tout état de cause
- Débouter la BNP de ses demandes ;
- Condamner la BNP à verser à M. [Y] la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
- Condamner la BNP à verser à M. [P] la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
- Condamner la BNP à verser à M. [Y] la somme de 5.000 euros au titre de titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la BNP à verser à M. [P] la somme de 5.000 euros au titre de titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Juger que les circonstances de l'espèce s'opposent au prononcé de l'exécution provisoire dans le cas où il était fait droit aux demandes de la BNP;
- Condamner la BNP aux dépens.
***
Aux termes de ses dernières conclusions n° 2 transmises par voie électronique le 9 septembre 2024, la BNP demande à la cour de :
- Confirmer le jugement querellé en ce qu'il a :
.rejeté les demandes de MM. [Y] et [P],
.déclaré la BNP recevable et bien-fondée en sa demande,
.condamné MM. [Y] et [P] à payer à la BNP en leur qualité de cautions solidaires de la SARL ECDA, sans solidarité entre elles, la somme de 279.443,18 euros avec les intérêts au taux légal à compter de la date de notification des mises en demeure de payer, et ce, jusqu'à parfait paiement,
.dit n'y avoir lieu d'écarter l'exécution provisoire de droit,
.condamné les défendeurs aux dépens ;
Statuant à nouveau,
- Prendre acte que la procédure de redressement judiciaire ouverte à l'encontre de la SARL ECDA a été convertie en liquidation judiciaire par suite de la confusion des patrimoines avec la SAS LOAAHOU immatriculée au registre du commerce de Saintes sous le numéro 849 879 804 ;
- Juger que la SARL ECDA est défaillante ;
- Juger que la BNP est recevable et bien fondée à agir en paiement contre MM. [Y] et [P] en leur qualité de cautions solidaires de la SARL ECDA ;
- Juger que la créance de la BNP qui est certaine, liquide et exigible s'élève à la somme totale en principal de 279.443,19 euros, outre les intérêts au taux légal à compter de la date de notification des mises en demeure de payer jusqu'à parfait paiement ;
- Par conséquent, condamner MM. [Y] et [P] en leur qualité de cautions solidaires, sans solidarité entre elles (sic), à payer à la BNP la somme de 279.443,18 euros, assortie des intérêts de droit, à compter de la date de la notification des mises en demeure de payer, et ce, jusqu'à parfait paiement ;
A titre infiniment subsidiaire, et si par impossible la cour venait à considérer l'absence d'exigibilité du capital restant dû,
- Condamner MM. [Y] et [P] en leur qualité de cautions solidaires de la SARL ECDA, sans solidarité entre elles (sic), à payer à la BNP les échéances échues des prêts demeurées impayées qui s'élèvent à la somme en principal de 24.917,11 euros ainsi détaillées :
Au titre du prêt n° [Numéro identifiant 3]
.Échéances échues impayées : 20.725,56 €
.Intérêts sur échéances échues : 230,78 €
Au titre du prêt n° [Numéro identifiant 4]
.Échéances échues impayées : 3.940,80 €
.Intérêts sur échéances échues : 19,97 €
En tout état de cause
- Débouter MM. [Y] et [P] de leurs demandes ;
- Les condamner solidairement au paiement de la somme 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers frais et dépens de l'instance.
***
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux conclusions des parties, visées ci-dessus, pour l'exposé de leurs prétentions et moyens.
MOTIFS
A titre liminaire
La cour rappelle qu'en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions et n'examine que les moyens développés dans la partie discussion des conclusions présentés au soutien de ces prétentions.
Elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de « constatations » ou de « dire et juger » lorsqu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques mais constituent, en réalité, les moyens invoqués par les parties au soutien de leurs demandes.
Sur le périmètre de l'appel, la cour constate que si la banque conclut à l'irrecevabilité de la demande de déchéance du droit aux intérêts du prêteur, force est de constater qu'elle ne reprend par cette fin de non-recevoir dans le dispositif de ses conclusions. Il s'en déduit que la cour n'en est pas saisie.
Sur la clause résolutoire du prêt
Les premiers juges ont jugé que l'article 1226 du code civil invoqué par les cautions avait une portée générale et ne pouvait supplanter les dispositions d'ordre public des articles 1103 et 1104 du même code aux termes desquelles les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits et doivent être exécutés de bonne foi.
Après avoir relevé que les contrats de prêts professionnels souscrits par la SARL ECDA contenaient une clause d'exigibilité anticipée en cas de non-paiement à bonne date d'une somme quelconque devenue exigible, et ce, quinze jours après une notification faite à l'emprunteur par lettre recommandée avec accusé de réception et que pas moins de quatre lettres RAR avaient été envoyées les 27 juin, 30 juillet, 29 août et 3 décembre à la SARL ECDA concernant les échéances impayées des deux prêts, la banque lui demandant de régulariser la situation dans les meilleurs délais et lui indiquant qu'elle pouvait être amenée à se prévaloir de la clause exigibilité anticipée, les cautions en étant informées les mêmes jours, ils ont considéré qu'à l'égard des cautions, la banque était fondée à se prévaloir de la clause de leur acte de cautionnement qui stipulait qu'en cas de non-paiement d'une somme quelconque à bonne date comme en cas de défaillance quelconque du cautionné, chaque caution renonçait à se prévaloir du bénéfice du terme et qu'ainsi la procédure avait parfaitement été respectée par la banque tant à l'égard du débiteur principal qu'à celui des cautions, celles-ci ne pouvant ignorer que la jurisprudence qu'elles invoquaient ne s'appliquait pas aux prêts professionnels, les décisions produites aux débats concernant d'ailleurs des prêts à la consommation et des prêts immobiliers.
MM. [Y] et [P] soutiennent, d'une part, que la clause résolutoire de plein droit qui permet aux parties de se soustraire à la résolution d'une convention à l'appréciation des juges doit être exprimée de façon non équivoque et qu'il est de jurisprudence constante que la déchéance du terme d'un prêt ne peut être valablement prononcée en l'absence de délivrance d'une mise en demeure restée sans effet au-delà d'un délai indiqué expressément à l'emprunteur. Ils considèrent que ces jurisprudence leur sont applicables au vu de leur statut de consommateur, la jurisprudence s'appliquant aux prêts professionnels. Ils font référence à un précédent arrêt de la cour du 15 mars 2023 concernant M. [P] et la SARL TS Holding.
Ils font encore valoir que la condition relative au prononcé de la déchéance du terme n'a pas été remplie par la banque : ni la société ECDA, ni les cautions n'ont été destinataire d'une mise en demeure préalable à la déchéance du terme.
Ils plaident également que les déchéances du terme sur les prêts [Numéro identifiant 3] et [Numéro identifiant 4] et les mises en demeure de régler les sommes dues sont concomitantes.
A l'argument soutenu par la banque selon lequel la situation de la société ECDA semblait déjà compromise puisque sa liquidation a été prononcée par jugement du 14 mai 2020, dont il ressort la démonstration de relations financières anormales et dont elle en tire la conséquence que la conversion de la procédure de redressement judiciaire en liquidation judiciaire a emporté, de facto, la déchéance du terme, les appelants font remarquer que la déchéance du terme a été prononcée le 15 janvier 2020 pour le prêt de 380.000 euros et le 2 mars 2020 pour le prêt de 70.000 euros, soit antérieurement, d'une part, à la cessation des paiements qui a été fixée par le tribunal mixte de commerce au 17 mars 2020 et, d'autre part, à la conversion du redressement en liquidation judiciaire qui a été prononcée le 14 mai 2020.
A l'argument soutenu par la banque selon lequel la question de la recevabilité de son action est désormais sans objet dans la mesure où sa créance a été définitivement admise à titre privilégié au passif de la société ECDA, ils répliquent que la recevabilité d'une demande en justice s'apprécie au jour de l'introduction de la demande et ne peut dépendre d'éléments postérieurs.
La banque fait valoir pour l'essentiel que son action contre les cautions est recevable et bien-fondée.
Elle plaide que l'arrêt auquel se réfère les appelants ne s'applique pas en l'espèce car les faits sont différents : la société ECDA a été placée en liquidation judiciaire de sorte que sa créance est devenue immédiatement exigible en application de l'article L. 643-1 du code de commerce et qu'ainsi sa créance d'un montant de 279.443,18 euros ayant été définitivement admise à titre privilégié au passif de la société ECDA, le débat des appelants sur une prétendue irrecevabilité de la déchéance du terme est sans objet.
Elle argue qu'elle dispose d'un droit de poursuite contre le cautions et dispose d'une créance certaine, liquide et exigible justifiée en son quantum et opposable aux cautions.
Elle soutient qu'elle a laissé à la société ECDA la possibilité de régulariser la situation et a prononcé la déchéance du terme dans les conditions de la clause d'exigibilité anticipée : plus de sept mois se sont écoulés avant que la banque ne prononce la déchéance du terme des deux prêts, déchéance intervenue après plusieurs notifications adressées à l'emprunteur par lettres recommandées avec accusé de réception (LRAR) en application de la clause « EXIGIBILITE ANTICIPEE ».
Elle fait encore valoir que cette clause expresse et non équivoque conditionne la validité de l'exigibilité anticipée du prêt à l'envoi préalable au moins quinze jours avant, d'une notification faite à l'emprunteur par LRAR, excluant de facto l'envoi préalable d'une lettre de mise en demeure et qu'en l'espèce, contrairement à ce que prétendent les appelants, les LRAR indiquent clairement sa volonté de se prévaloir de l'exigibilité anticipée.
Elle rappelle également qu'il s'agit au cas présent de prêt professionnels de sommes d'argent consentis par la banque à la société ECDA pour le financement d'un investissement professionnel, qu'il ne s'agit en aucun cas d'un crédit immobilier, ni d'un crédit à la consommation, de sorte que la jurisprudence dont font état les appelants ne peut s'appliquer en l'espèce. Elle ajoute que les appelant lorsqu'ils s'engagent en qualité de caution sont co-gérants associés d'une holding, la société TS Holding qui détient pas moins de trois sociétés (les SARL Sarah Beach, Le Carré et ECDA) et qu'ils n'ont donc pas le statut de consommateur.
Sur ce,
Aux termes de l'article 2288 du code civil dans sa rédaction applicable au litige :
'Celui qui se rend caution d'une obligation se soumet envers le créancier à satisfaire à cette obligation, si le débiteur n'y satisfait pas lui-même.'
Conformément aux dispositions de l'article 2313 du code civil dans sa rédaction applicable au litige :
« La caution peut opposer au créancier toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur principal, et qui sont inhérentes à la dette ;
Mais elle ne peut opposer les exceptions qui sont purement personnelles au débiteur. »
Pour rappel, en matière de sauvegarde ou de redressement judiciaire, la caution bénéficie de l'arrêt des poursuites prévues aux articles L. 622-28 et L. 631-14 du code de commerce.
S'agissant de la liquidation judiciaire, l'article L. 643-1 du code de commerce dispose :
« Le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire rend exigibles les créances non échues dont le patrimoine saisi par l'effet de la procédure constitue le gage. Toutefois, lorsque le tribunal autorise la poursuite de l'activité au motif que la cession totale ou partielle de l'entreprise est envisageable, les créances non échues sont exigibles à la date du jugement statuant sur la cession ou, à défaut, à la date à laquelle le maintien de l'activité prend fin. »
Cependant, et par dérogation au régime d'opposabilité des exceptions, l'admission définitive d'une créance au passif du débiteur principal est opposable à la caution en ce qui concerne l'existence et le montant de la créance (Cass. Com. 25 février 2004 n° 01-13.588) et interdit à la caution d'invoquer les exceptions inhérentes à la dette (Cass. Com. 24 janvier 2024).
En effet, l'ordonnance portant admission de la créance a autorité de chose jugée et la caution peut la contester dans un délai d'un mois à compter de sa publication pour les cautions personnes morales ou à compter de sa signification pour les cautions personnes physiques (article R. 624-8 du code de commerce)
En l'espèce, par actes sous signatures privées du 8 novembre 2018, MM. [T] [Y] et [V] [P] se sont engagés envers la BNP Paribas Réunion en qualité de cautions solidaires avec l'emprunteur, la SARL ECDA, à garantir le remboursement d'un prêt ([Numéro identifiant 3]) de 380.000 euros dans la limite de 386. 694,75 euros et d'un prêt de 70.000 euros ([Numéro identifiant 4]) dans la limite de 56.232,47 euros, avec renonciation aux bénéfices de division et de discussion, couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités et intérêts de retard.
Suivant lettre recommandée avec accusé de réception (LRAR) du 15 janvier 2020 adressée à la société ECDA, la banque a prononcé la déchéance du terme du prêt [Numéro identifiant 3] de 380.000 euros
Suivant LRAR à même date, chaque caution a été informée du prononcé de la déchéance du terme dudit prêt consenti à la société ECDA et mis en demeure de payer la somme de 386. 674,75 euros, dans la limite de son engagement, sous 8 jours.
Suivant LRAR du 2 mars 2020 adressée à la société ECDA, la banque a prononcé la déchéance du terme du prêt [Numéro identifiant 4] de 70.000 euros
Suivant LRAR à même date, chaque caution a été informée du prononcé de la déchéance du terme dudit prêt consenti à la société ECDA et mis en demeure de payer la somme de 56.232,47 euros, dans la limite de son engagement, sous 8 jours.
La SARL ECDA a été mise en redressement judiciaire par jugement du tribunal mixte de commerce de Saint Pierre rendu le 26 mars 2020, procédure convertie en liquidation judiciaire le 14 mai 2020.
La banque a déclaré sa créance auprès du mandataire judiciaire le 30 mars 2020, à hauteur de 251.854,70 euros pour le prêt [Numéro identifiant 3] et à hauteur de 27.588,48 euros pour le prêt [Numéro identifiant 4].
Suivant LRAR du 30 mars 2020, la banque a informé chaque caution, et pour chaque prêt, de la mise en redressement judiciaire de la société ECDA et de la déclaration de créance établie auprès du mandataire judiciaire.
La banque a de nouveau déclaré sa créance, cette fois auprès du liquidateur judiciaire, le 20 mai 2020, pour les deux prêts et à hauteur des mêmes montants.
Le 7 avril 2021, le juge-commissaire a admis les créances à titre privilégié de la banque au passif de la procédure de liquidation judiciaire de la société ECDA, soit pour la somme totale de 279.443,18 euros (pièce n° 66 de la banque)
Le cour ne peut que constater que les appelants ne justifient ni même n'allèguent avoir formé un recours contre cette décision d'admission qui a donc à leur égard autorité de chose jugée.
Il s'ensuit que la banque est parfaitement fondée à exercer son recours à l'encontre des cautions, et ce, sans préjudice des exceptions qui leur sont propres.
Toute autre discussion (statut ou non de consommateur, nature de prêt ou examen de la clause résolutoire, ou encore, TEG) est sans emport.
Sur la proportionnalité des engagements de caution
Au visa de l'article L. 341-4 du code de commerce et des éléments du dossier, les premiers juges ont jugé que MM. [Y] et [P] disposaient au moment de leurs engagements de caution le 8 novembre 2018 d'une capacité financière suffisante au regard de leurs déclarations de patrimoine et de revenu et les ont déboutés de ce chef de demande.
MM. [Y] et [P] font état d'une disproportion manifeste tant lors de la souscription de l'engagement de caution que lors de l'exigibilité de l'engagement de caution. Ils visent l'article L. 332-1 du code de la consommation et rappellent que les dispositions sont applicables à toutes personne physique, sans qu'il y a ait lieu d'instaurer pour les dirigeants sociaux, notamment, des restrictions que la loi n'a pas prévues.
S'agissant de la situation de M. [Y] lors de la souscription de l'engagement de caution que lors de l'exigibilité de l'engagement de caution, ils soutiennent que :
- le montant des sommes cautionnées revenait à près de 6 fois le montant de ses revenus bruts annuels avant charge avec des charges annuelles s'élevant à 49. 694 euros
- il était déjà caution à hauteur de 225.000 euros à l'égard d'une autre organisme bancaire
- ses biens immobiliers étaient financés par des crédits immobiliers dont les prêts étaient d'un montant respectif de 189.500 euros et 190.000 euros qui n'étaient pas remboursés
- outre ces prêts immobiliers, il avait souscrit en 2017 un crédit d'un montant de 50.000 euros pour financer l'acquisition d'un véhicule automobile
Concernant la situation de M. [P] lors de la souscription de l'engagement de caution, ils plaident que :
- le montant des sommes cautionnées revenait au quadruple de ses revenus imposables avec des charges annuelles s'élevant à 40.475 euros
- il était déjà caution à hauteur de 292.000 euros à l'égard d'un autre organisme bancaire
- ses biens immobiliers étaient financés par des crédits immobiliers dont les prêts étaient d'un montant respectif de 340.000 euros, 41.560 euros et 216.416 euros qui n'étaient pas remboursés.
Au visa des articles L. 332-1 du code de la consommation, 9 du code de procédure civile et 1353 du code civil, la banque fait valoir pour l'essentiel que c'est par une juste appréciation des faits et du droit que le tribunal judiciaire a jugé que MM. [Y] et [P] disposait au moment de leurs engagements de caution d'une capacité financière suffisante au regard de leurs déclarations de patrimoine et de revenus.
S'agissant de M. [Y], elle plaide que lors de son engagement de caution :
- il est propriétaire de deux biens immobiliers
- il était responsable financier cher Téréos Océan Indien et également associé gérant de la société TS Holding qui détient trois filiales exploitant des fonds de commerce (restaurant, bar) dont la situation comptable est saine (les SARL Sarah Beach, le Carré et ECDA)
- il détenait également un compte courant d'associés dont le solde est de 75.000 euros
- il est de jurisprudence constante que la disproportion doit s'apprécier au regard de tous les biens et revenus de la caution, même lorsque ses biens sont grevés de sûretés
- le prêt immobilier CEPAC de 524.900 euros a été contracté par M. [Y] et sa compagne Mme [J] en août 2019, soit peu de temps après qu'elle l'a informé des situations d'impayés de la société ECDA
- c'est un homme d'affaires rompu à la finance ; il est gérant du restaurant de bord de mer Sarah Beach et Le Carré sous l'enseigne « Vert Olive »
Concernant M. [P], elle argue que lors de son engagement de caution :
- il était propriétaire de trois biens immobiliers pour une valeur totale de 590.000 euros outre un patrimoine financier de 122.249 euros
- il est directeur agricole de Téréos Sucre Océan Indien
- il est associé gérant de la société TS Holding qui détient trois filiales exploitant des fonds de commerce (restaurant, bar) dont la situation comptable est saine (les SARL Sarah Beach, le Carré et ECDA)
- il détenait également un compte courant d'associés dont le solde est de 75.000 euros.
Sur ce,
Aux termes de l'article L. 332-1 du code de la consommation alors applicable au litige :
« Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation. »
Ces dispositions s'appliquent à toutes les cautions averties ou non à condition qu'elle soit une personne physique, au cautionnement présentant un caractère commercial et à tout créancier professionnel.
La disproportion manifeste du cautionnement s'apprécie au regard de la capacité de la caution à faire face, avec ses biens et revenus, non à l'obligation garantie, selon les modalités de paiement propres à celle-ci, c'est à dire aux mensualités des prêts, mais au montant de son propre engagements. Il est tenu compte de l'endettement global de la caution y compris celui résultant d'engagements de caution, quand bien même ces engagements de caution auraient été déclarés disproportionnés, à condition qu'il s'agisse de cautionnements antérieurement souscrits mais il ne peut être tenu compte d'un cautionnement antérieur que le juge déclare nul et qui est ainsi anéanti rétroactivement.
Pour apprécier le caractère disproportionné d'un engagement de caution, il faut prendre en compte tous les biens, même grevés de sûretés, leur valeur étant appréciée en déduisant le montant de la dette dont le paiement est garanti par ces sûretés (Cass. 1e civ. 24-3-2021 n° 19-21.254)
Les juges du fond apprécient souverainement le caractère disproportionné du cautionnement.
C'est la caution qui supporte la charge de la preuve de démontrer que son engagement de caution était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, le code de la consommation n'imposant pas au créancier professionnel de vérifier la situation financière de la caution lors de son engagement.
La caution qui a rempli, à la demande de la banque, une fiche de renseignements relative à ses revenus et charges annuels et à son patrimoine, dépourvue d'anomalies apparentes sur les informations déclarées, ne peut, ensuite, soutenir que sa situation financière était en réalité moins favorable que celle qu'elle a déclarée au créancier. Ainsi, la banque n'a pas de vérification à faire sur les informations données par la caution dans une fiche que la caution certifiée exacte et signée en l'absence d'anomalie apparente et peut les opposer sauf à intégrer des charges qu'elle ne pouvait ignorer.
La sanction du caractère manifestement disproportionné de l'engagement de la caution est l'impossibilité pour le créancier professionnel de se prévaloir de cet engagement.
La cour relève que la banque n'entend pas se prévaloir des engagements de caution si ceux-ci étaient déclarés manifestement disproportionnés en établissant que MM. [Y] et [P] sont actuellement en capacité de faire face à leur obligations.
Il s'ensuit qu'il convient d'examiner uniquement la situation des cautions au moment de leur engagement et sont donc écartés tous documents postérieurs au 8 novembre 2018.
En l'espèce, il est constant que la BNP a financé le 18 août 2016, par deux actes de prêts de 380.000 euros et 70.000 euros, l'acquisition d'un fonds de commerce de bar-restaurant-pizzéria exploité sous l'enseigne « Le [9] » situé à [Localité 10] ainsi que les travaux d'aménagement dudit fonds.
Il est justifié par les pièces versées aux débats des différents engagements de caution souscrits par MM. [Y] et [P] le 8 novembre 2018. Chacun des engagements comporte la mention manuscrite rappelant le montant limite de l'engagement et la mention expresse selon laquelle la caution s'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur ses revenus et biens les sommes si la société ECDA n'y satisfaisait pas elle-même et la renonciation au bénéfice de la discussion et l'engagement de rembourser le créancier sans pouvoir exiger qu'il poursuive préalablement la société ECDA.
MM. [Y] et [P] sont donc bien tenus au paiement au titre de ces engagements.
Il n'est pas davantage contesté que la société ECDA n'a pas satisfait à ses engagements et que la créance privilégiée de la BNP a été déclarée à la SELARL [W], liquidateur de la société ECDA par courrier daté du 30 mars 2020 puis par courrier du 20 mai 2020 .
1°) concernant M. [Y]
M. [Y] a signé le 24 février 2017 un document dénommé « Renseignement sur l'emprunteur (entrepreneur individuel) ou la caution concernant la demande de financement de la société ECDA » dans lequel il a indiqué à la banque, notamment :
- célibataire sans enfant
- responsable financier au sein de Téréos Océan Indien
- locataire : loyer mensuel 1.712 euros
- revenus annuels 109.817 euros
- revenus annuels locatifs et fonciers 11.280 euros
(total des revenus annuels : 121.097 €)
- charges annuelles loyers 20.544 euros
- charges annuelles emprunt logement (Crédit Agricole) :
.11.808 euros (montant initial 189. 600 € ; montant restant dû 166.582 € ; échéance finale 05/01/33)
.11.052 euros (montant initial 190.014 € ; montant restant dû 189. 324 € ; échéance finale 05/01/37)
(total des charges annuelles : 43.404 € soit 35,08% des revenus annuels totaux)
- patrimoine financier
.compte-épargne 24.847 euros
.valeurs mobilières 1.277
(total du patrimoine financier : 24.847 €)
- biens immobiliers en propriété :
.appartement T2 d'une valeur de 189. 600 €
.appartement T2 d'une valeur de 190.014 €
- caution déjà délivrée en février 2016 (échéance 02/2023) 225.000 € au profit de la BR/CEPAC consenti à la société TS Holding
M. [Y] verse aux débats, notamment, ses avis d'imposition 2017, 2018 et 2019 pour ses revenus 2016, 2017 et 2018 faisant ressort des revenus bruts annuels respectivement de 110. 665 €, 112.573 € et 116.719 €
La banque verse aux débats un extrait du « CONTRAT DE PRET CONSTATANT NATISSEMENT DE PARTS SOCIALES, CAUTIONS, BLOCAGE DE COMPTE COURANT D'ASSOCIES, ASSURANCE GROUPE « A TOUT EMPRUNTEUR » ET ENGAGEMENT DES ASSOCIES » du 24 avril 2017 conclu entre la BNP , d'une part, et la SARL TS HOLDING, emprunteur, et MM. [Y] et [P], cautions, concernant un prêt professionnel de 150.000 euros d'une durée de 84 mois pour l'acquisition de 3. 668 parts sociales de la SARL ECDA et le rachat de comptes courants d'associés aux termes duquel il est mentionné à l'article ENGAGEMENT DES ASSOCIES DE L'EMPRUNTEUR :
« Blocage des comptes-courants d'associés : Les livres de l'emprunteur dont ressortir des comptes-courants créditeurs pour un montant au moins égal à 75.000 euros concernant MM. [Y] et [P] » (pièce n° 38)
Il ressort de ce qui précède que faute d'anomalie apparente, d'ailleurs non arguées par M. [Y], il y a lieu de prendre en compte les éléments figurant dans le document complété par ce dernier en février 2017, soit notamment :
- des revenus de 121.097 €
- des charges annuelles de 63.948 € (y compris le loyer)
- un patrimoine financier de 24.847 €
- un compte-courant d'associé de 75.000 €
- un patrimoine immobilier de 23.708 € (déduction faite des montants des prêts restant dus)
- un engagement de caution auprès de la banque de la Réunion/CEPAC de 225.000 €
A cela, il convient d'ajouter 4.000 parts à 10 euros, soit 40.000 euros dans la société TS Holding dont M. [Y] est le gérant avec M. [P], étant précisé que la société TS Holding a des participations (100%) dans les SARL Sarah Beach, Le Carré et ECDA et que M. [Y] est gérant de la société Sarah Beach.
Compte tenu du montant des revenus, du patrimoine financier et immobilier et en dépit d'un engagement de caution antérieur, c'est à bon droit que les premiers juges ont débouté ce dernier de sa demande tendant à voir déclarer les cautionnements souscrits disproportionnés, M. [Y] échouant à rapporter la preuve d'un disproportion manifeste entre son engagement et ses biens et revenus.
2°) Concernant M. [P]
M. [P] a signé le 24 février 2017 ce même document dans lequel il a indiqué à la banque, notamment :
- vit en union libre avec Mme [L] [M] et père d'un enfant âgé de 2 ans
- directeur agricole au sein de Téréos Sucre Océan Indien
- concubin professeur des écoles ' revenus annuel 33. 600 euros
- propriétaire
- revenus annuels 135.400 euros
- revenus annuels locatifs et fonciers 15. 600 euros
(total des revenus du couple : 184. 600 €)
- charges annuelles emprunt (BNP) :
.18. 676 euros (prêt résidence) (montant initial 247.000 € ; montant restant dû 166.152 € ; échéance finale 05/12/26)
.17.592 euros (prêt locatif) (montant initial 216.416 € ; montant restant dû 164.169 € ; échéance finale 10/11/27)
.4.207 euros (prêt locatif) (montant initial 41.560 € ; montant restant dû 38. 383 € ; échéance finale 05/03/27)
(total des charges annuelles : 40.475 € soit 21,93% des revenus annuels totaux)
- patrimoine financier :
.compte-épargne 102.755 euros
.valeurs mobilières 6. 337 euros
.assurance-vie 13.157 euros
(total du patrimoine financier : 122.249 €)
- biens immobiliers en propriété :
.résidence principale d'une valeur de 350.000 €
.autre immeuble d'une valeur de 189.000 €
.autre immeuble d'une valeur de 60.000 €
- caution déjà délivrée le 14 février 2016 (échéance 14/02/2023) 292.500 euros au profit de la banque de la Réunion consenti pour la société TS Holding
Il n'y a pas lieu de prendre en considération les revenus de Mme [M].
M. [P] verse aux débats, notamment, ses avis d'imposition 2017 et 2019 pour ses revenus 2016 et 2018, faisant ressort des revenus bruts annuels respectivement de 146.922 € (et 37.083 € pour sa concubine) et 158.831 euros (et 40.238 € pour sa concubine)
Pour rappel, au 24 avril 2017, M. [P] est titulaire d'un compte-courant d'associé de la société TS Holding d'au moins 75.000 euros ouvert dans les livres de la BNP (pièce n° 38).
Il ressort de ce qui précède que faute d'anomalie apparente, d'ailleurs non arguées par M. [P], il y a lieu de prendre en compte les éléments figurant dans le document complété par ce dernier en février 2017, soit notamment :
- des revenus de M. [P] de 151.000 €
- des charges annuelles de 40.475 €
- un patrimoine financier de 122.249 €
- un compte-courant d'associé de 75.000 €
- un patrimoine immobilier de 230.296 € (déduction faite des montants des prêts restant dus)
- un engagement de caution auprès de banque de la Réunion de 225.000 €.
A cela, il convient d'ajouter 4.000 parts à 10 euros, soit 40.000 euros dans la société TS Holding dont M. [P] est le gérant avec M. [Y], étant précisé que la société TS Holding a des participations (100%) dans les SARL Sarah Beach, Le Carré et ECDA.
Compte tenu du montant des revenus, du patrimoine financier et immobilier et en dépit d'un engagement de caution antérieur, c'est à bon droit que les premiers juges ont débouté ce dernier de sa demande tendant à voir déclarer les cautionnements souscrits disproportionnés, M. [P] échouant à rapporter la preuve d'une disproportion manifeste entre son engagement et ses biens et revenus.
Sur la déchéance du droit aux intérêts
Les appelants soutiennent que la banque ne justifie pas les avoir informés avant le 31 mars de chaque année du montant restant dû en principal et intérêts de la dette cautionnée. Il font valoir que les courriers qui leur ont été adressés les 15 janvier et 2 mars 2020 par la banque mentionnant la déchéance du terme de chacun des prêts ne sauraient être assimilées aux lettres d'information annuelle de la caution.
La banque plaide que la déchéance du droit aux intérêts n'est pas encourue : elle produit les lettres d'information annuelle du 7 février 2020 et précise que les caution ont été informée de la déchéance du terme des deux prêts par courrier des 15 janvier et 2 mars 2020.
Sur ce,
Aux termes de l'article L. 313-22 du code monétaire et financier dans sa rédaction applicable au litige :
« Les établissements de crédit ou les sociétés de financement ayant accordé un concours financier à une entreprise, sous la condition du cautionnement par une personne physique ou une personne morale, sont tenus au plus tard avant le 31 mars de chaque année de faire connaître à la caution le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation bénéficiant de la caution, ainsi que le terme de cet engagement. Si l'engagement est à durée indéterminée, ils rappellent la faculté de révocation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci est exercée.
La réalisation de cette obligation légale ne peut en aucun cas être facturée à la personne qui bénéficie de l'information.
Le défaut d'accomplissement de la formalité prévue à l'alinéa précédent emporte, dans les rapports entre la caution et l'établissement tenu à cette formalité, déchéance des intérêts échus depuis la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle information. Les paiements effectués par le débiteur principal sont réputés, dans les rapports entre la caution et l'établissement, affectés prioritairement au règlement du principal de la dette. »
En l'espèce, et pour rappel, M. [I] s'est porté caution des engagements de la société ECDA le 8 novembre 2018.
Suivant lettres recommandées avec accusé de réception (LRAR) adressées, à chacune des cautions les 17 juin, 30 juillet, 29 août et 3 décembre 2019 portant en objet : « impayé sur prêt professionnel » la banque les a informé que « la position du compte courant de ECDA Le [9] n'a pas permis d'honorer le paiement » des échéances des mois d'avril à novembre 2019 pour le prêt [Numéro identifiant 3] et les 11 juillet, 12 août et 9 décembre 2019 portant le même objet et concernant les échéances sur la même période pour le prêt [Numéro identifiant 4].
Dans le cadre de l'information légale annuelle des cautions, la banque a adressé à chacune des caution un courrier d'information sur les encours au 31 décembre 2019 relativement aux deux prêts cautionnés (courrier des 7 février 2020).
Suivant LRAR du 15 janvier 2020, chaque caution a été informée du prononcé de la déchéance du terme dudit prêt consenti à la société ECDA et mis en demeure de payer la somme de 386. 674,75 euros, dans la limite de son engagement, sous 8 jours.
Suivant LRAR du 2 mars 2020, chaque caution a été informée du prononcé de la déchéance du terme dudit prêt consenti à la société ECDA et mis en demeure de payer la somme de 56.232,47 euros, dans la limite de son engagement, sous 8 jours.
Il résulte de ce qui précède que l'obligation d'information annuelle des cautions a été respectée par la banque et le jugement sera par conséquent confirmé de ce chef.
Sur la responsabilité de la banque
MM. [Y] et [P] soutiennent en substance que la responsabilité de la banque est engagée lui reprochant de ne pas les avoir averti que le prêt cautionné risquait de ne pas pouvoir être remboursé en raison du contexte économique (crise des gilets jaunes) et qu'elle a multiplié les prises de garanties sur les cautions et a refusé de reporter les échéances du prêt contribuant ainsi à la faillite de la société ECDA dont l'activité devait permettre le remboursement des opérations financées. Ils ajoutent que contrairement à ce que prétend la banque, M. [P] n'exerce pas la profession de directeur financer mais de directeur agricole qui ne lui confère pas le caractère de caution avertie.
Ils font encore valoir que la banque s'est comportée à l'égard de la société ECDA et à leur égard avec une mauvaise foi caractérisée : la banque a refusé à la société ECDA la suspension du remboursement des échéances de son prêt alors que le préfet avait demandé aux établissements de crédit de reporter le paiement des échéances, rappelant que le refus de suspendre le prélèvement des échéances allait conduire la société à se trouver en état de cessation des paiements.
Ils plaident enfin que « eu égard au préjudice subi par les conséquences de la mauvaise foi de la société BNP Paribas Réunion, les associés de la société ECDA, mise en liquidation judiciaire en raison de cette faute contractuelle, sont bien fondés à solliciter la condamnation de la banque à leur verser la somme de 20.000 € chacun au titre du préjudice subi. »
En l'espèce, les appelants versent aux débats, notamment, des échanges de mail entre janvier et mars 2019 entre la BNP et la société ECDA sollicitant un report d'échéance pour les emprunts, évoquant des problèmes de trésorerie imputables à l'épisode des gilets jaunes et des « reports d'échéance annoncés par le préfet en collaboration avec les établissements bancaires pour aider les entreprises qui ont subi des difficultés liés aux gilets jaunes », la banque écrivant : « Rien ne pourra être mis en place tant que nous n'aurons pas des garanties en ordre dans votre dossier ».
La banque fait valoir qu'elle n'est pas tenue à un devoir de mise en garde à l'égard de la caution avertie, or, les appelants, en leur qualité de cautions solidaire de la société ECDA sont, de par leurs qualités propres, leurs expériences professionnelles, capables de cerner les difficultés liées à un endettement rendant probable la mise en jeu de leur garantie : ce sont des cautions averties.
Elle plaide encore que les appelants ont tenté d'échapper à leurs obligations contractuelles et tentent encore de le faire depuis plus de quatre ans alors qu'elle ne s'est pas comportée de façon déloyale avec la société ECDA ni avec MM. [Y] et [P].
Elle argue enfin qu'elle n'est pas responsable de la liquidation judiciaire de la société ECDA : celle-ci a été placée en redressement judiciaire par jugement du 26 mars 2020 et cette procédure a été convertie en liquidation judiciaire par jugement du 14 mai 2020 suite à la confusion des patrimoines de la société ECDA avec la SAS LOAAHOU, la confusion de patrimoine faisant référence soit à la confusion des comptes, soit de l'existence de flux financiers qui sont devenus au fil des ans anormaux, soit de l'existence de relations financières anormales.
Sur ce,
Le banquier dispensateur professionnel de crédit a le devoir de mettre en garde la caution non avertie sur les risques de son engagement au regard des capacités financières du débiteur principal à honorer la dette garantie.
Une telle mise en garde n'est cependant requise que si la caution, au regard de sa situation patrimoniale, s'expose à un risque de surendettement ou, ajoute la Cour de cassation, même si tel n'est pas le cas, si l'opération financée était vouée à l'échec dès son lancement (Cass. com., 15 nov. 2017, n° 16-16.790 ).
En effet, pour établir que le banquier dispensateur de crédit était tenu, à son égard, d'un devoir de mise en garde, la caution non avertie doit établir qu'à la date à laquelle son engagement a été souscrit, celui-ci n'était pas adapté à ses capacités financières ou qu'il existait un risque d'endettement né de l'octroi du prêt, lequel résultait de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur.
La qualité de caution avertie doit s'apprécier in concreto au regard de son expérience, de sa formation et de sa compétence en matière financière. La qualité de caution avertie ne peut résulter du seul statut de dirigeant d'une société.
La charge de la preuve du caractère averti de la caution pèse sur le banquier, débiteur de l'obligation de mise en garde.
Sauf circonstances particulières, la seule qualité de dirigeant et, a fortiori, d'associé est impropre à établir la qualité de caution avertie (Cass. com., 20 avr. 2017, n° 15-15.096 ).
La sanction du défaut de mise en garde est la perte d'une chance de ne pas contracter, justifiant une décharge partielle. Mais le juge peut ne laisser à la charge de la caution que l'euro symbolique.
En l'espèce, comme il a été statué plus haut, les engagements de caution de MM. [Y] et [P] étaient adaptés à leurs capacités financières.
S'agissant du risque d'endettement né de l'octroi du prêt garantit résultant de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de la société ECDA, emprunteur, aucun des éléments produits au dossier ne permet aux appelants d'en établir la réalité.
Il s'ensuit que c'est à juste titre que les premiers juges ont rejeté la demande reconventionnelle en responsabilité et indemnisation de MM. [Y] et [P], et ce, sans qu'il soit nécessaire de statuer sur le caractère averti ou non des cautions.
Sur la demande de délais de paiement
MM. [Y] et [P] soutiennent en substance que compte tenu de leur revenus et charges telles qu'elles ressortent en 2019, ils sont bien fondés à solliciter des délais de paiements, tandis que la banque s'y oppose.
Vu l'article 1343-5 du code civil ;
En l'espèce, MM. [Y] et [P] ne justifie pas de leur situation socio-professionnelle actuelle, les éléments les plus récents produits étant relatifs aux revenus 2021.
Dans ces conditions, et compte tenu de l'ancienneté du litige leur ayant, de fait, permis de différer le paiement de leur dette, il convient de les débouter de leur demande.
***
Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, y compris celles relatives aux dépens et frais irrépétibles.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Il sera alloué à la BNP qui a dû engager des frais pour assurer la défense de ses intérêts en justice, la somme de 5.000 euros .sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
MM. [Y] et [P] qui succombent à l'instance supporteront les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, en matière civile et en dernier ressort, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe conformément à l'article 451 alinéa 2 du code de procédure civile,
Confirme en toutes ses dispositions soumises à la cour le jugement rendu le 22 novembre 2022 par le tribunal judiciaire de Saint-Denis de la Réunion ;
Y ajoutant,
Condamne in solidum M. [T] [Y] et M. [V] [P] aux dépens d'appel ;
Condamne in solidum M. [T] [Y] et M. [V] [P] à payer à SA BNP Paribas Réunion la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Madame Pauline FLAUSS, Conseillère, en remplacement de Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre, empêché, et par Madame Nathalie BEBEAU, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE Pour LE PRÉSIDENT
SP
R.G : N° RG 23/00333 - N° Portalis DBWB-V-B7H-F4GL
[Y]
[P]
C/
S.A. BNP PARIBAS REUNION
RG 1èRE INSTANCE : 20/02471
COUR D'APPEL DE SAINT- DENIS
ARRÊT DU 10 OCTOBRE 2025
Chambre civile TGI
Appel d'une décision rendue par le TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE SAINT-DENIS (REUNION) en date du 22 NOVEMBRE 2022 RG n°: 20/02471 suivant déclaration d'appel en date du 13 MARS 2023
APPELANTS :
Monsieur [T] [Y]
[Adresse 2]
[Localité 8]
Représentant : Me Isabelle MERCIER-BARRACO, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
Monsieur [V] [P]
[Adresse 6]
[Localité 7]
Représentant : Me Isabelle MERCIER-BARRACO, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
INTIMEE :
S.A. BNP PARIBAS REUNION
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentant : Me Guillaume jean hyppo DE GERY de la SELARL GERY-SCHAEPMAN, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
CLÔTURE LE : 18/12/2024
DÉBATS : En application des dispositions de l'article 804 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 14 Mars 2025 devant la Cour composée de :
Président : Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre
Conseiller : Madame Pauline FLAUSS, Conseillère
Conseiller : Madame Sophie PIEDAGNEL, Conseillère
Qui en ont délibéré après avoir entendu les avocats en leurs plaidoiries.
A l'issue des débats, le président a indiqué que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition le 30 mai 2025 prorogé par avis au 20 juin 2025 puis au 26 septembre 2025 puis au 10 octobre 2025.
Greffiere lors des débats et de la mise à disposition : Madame Nathalie BEBEAU, Greffière.
ARRÊT : prononcé publiquement par sa mise à disposition des parties le 10 Octobre 2025.
* * *
LA COUR
Par actes sous signature privée du 18 août 2016, la BNP Paribas Réunion (la BNP ou la banque) a consenti à la SARL ECDA (dont le nom commercial est « Le [9] ») deux prêts professionnels l'un de 380.000 euros et l'autre de 70.000 euros, garantis par le cautionnement solidaire de M. [O] [S] et de Mme [Z] [D], ainsi que par un nantissement du fonds de commerce.
Le 8 avril 2017, M. [S] et de Mme [D] ont cédé leurs parts à MM. [T] [Y] et [V] [P].
Par actes du 8 novembre 2018, MM. [Y] et [P] se sont portés cautions de la SARL ECDA, sans solidarité entre eux, à hauteur de 386. 694,75 euros pour le premier prêt et à hauteur de 56.232, 47 euros pour le second prêt.
Le 15 janvier 2020, la BNP a prononcé la déchéance du terme du prêt souscrit par la société ECDA pour un montant de 380.000 euros et la mise en demeure, ainsi que les cautions, de lui régler la somme de 251.854,70 euros.
Le 2 mars 2020, la BNP a prononcé la déchéance du terme du prêt souscrit par la société ECDA pour un montant de 70.000 euros et la mise en demeure, ainsi que les cautions, de lui régler la somme de 28.704,37 euros.
Par jugement du 26 mars 2020, le tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre de la Réunion a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire au profit de la SARL ECDA.
Le 30 mars 2020, la BNP a déclaré sa créance auprès du mandataire judiciaire.
Le redressement judiciaire a été converti en liquidation judiciaire par jugement du 14 mai 2020.
Le 20 mai 2020, la BNP a déclaré sa créance dans la procédure de liquidation judiciaire de la SARL ECDA au titre des deux prêts pour un montant total de 279.443,18 euros.
Face à l'inertie des cautions, par acte du 7 octobre 2020, la BNP a fait assigner MM. [Y] et [P], en leur qualité de cautions, devant le tribunal judiciaire de Saint-Denis aux fins de condamnation.
MM. [Y] et [P] ont soulevé l'irrecevabilité de la demande de la BNP en l'absence de délivrance d'une mise en demeure restée sans effet au-delà d'un délai indiqué expressément à l'emprunteur. Sur le fond, ils ont conclu à la disproportion de leur engagement de caution et sollicité la déchéance du droit aux intérêts. A titre subsidiaire, il ont sollicité des délais de paiement.
La banque a conclu à l'irrecevabilité de la demande de déchéance du droit aux intérêts.
C'est dans ces conditions que, par jugement en date du 22 novembre 2022, le tribunal judiciaire de Saint-Denis de la Réunion a statué en ces termes :
« DECLARE la BNP PARIBAS REUNION recevable et bien-fondée en sa demande,
CONDAMNE Monsieur [T] [Y] et Monsieur [V] [P] à payer à la BNP PARIBAS REUNION en leur qualité de cautions solidaires de la SARL E.C.D.A., sans solidarité entre elles, la somme de 279 443,18 euros avec les intérêts au taux légal à compter de la date de notification des mises en demeure de payer, et ce, jusqu'à parfait paiement,
LES CONDAMNE à payer à la BNP PARIBAS REUNION la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure civile,
DIT n'y avoir lieu d'écarter l'exécution provisoire de droit.
CONDAMNE les défendeurs aux dépens. »
Par déclaration du 13 mars 2023, MM. [Y] et [P] ont interjeté appel du jugement précité.
L'affaire a été renvoyée à la mise en état suivant une ordonnance rendue le 16 mars 2023.
Le 13 juin 2023, MM. [Y] et [P] ont déposé leurs premières conclusions d'appelants.
Le 13 septembre 2023, la BNP a déposé ses premières conclusions.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 12 décembre 2024.
***
Aux termes de leurs dernières conclusions n° 2 transmises par voie électronique le 10 décembre 2024, MM. [Y] et [P] demandent à la cour de :
- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il :
.rejeté les demandes de MM. [Y] et [P],
.déclaré la BNP recevable et bien-fondée en sa demande,
.condamné MM. [Y] et [P] à payer à la BNP en leur qualité de cautions solidaires de la SARL ECDA, sans solidarité entre elles, la somme de 279.443,18 euros avec les intérêts au taux légal à compter de la date de notification des mises en demeure de payer, et ce, jusqu'à parfait paiement,
.les a condamné à payer à la BNP la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
.dit n'y avoir lieu d'écarter l'exécution provisoire de droit,
.condamné les défendeurs aux dépens ;
Statuant à nouveau
A titre principal
- Déclarer la BNP irrecevable en ses demandes ;
- Déclarer la BNP infondée en ses demandes ;
- Déclarer les cautionnements souscrits par MM. [Y] et [P] auprès de la BNP disproportionnés et en conséquence dire et juger que la banque ne peut s'en prévaloir ;
A titre subsidiaire
- Prononcer la déchéance du droit aux intérêts du prêteur ;
- Accorder à M. [Y] 24 mois de délais pour régler sa dette, celle-ci étant réglée par le versement de 23 mensualités d'un montant de 200 euros qui s'imputeront sur le principal, la 24ème échéance soldant sa dette ;
- Accorder à M. [P] 24 mois de délais pour régler sa dette, celle-ci étant réglée par le versement de 23 mensualités d'un montant de 200 euros qui s'imputeront sur le principal, la 24ème échéance soldant sa dette ;
En tout état de cause
- Débouter la BNP de ses demandes ;
- Condamner la BNP à verser à M. [Y] la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
- Condamner la BNP à verser à M. [P] la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
- Condamner la BNP à verser à M. [Y] la somme de 5.000 euros au titre de titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la BNP à verser à M. [P] la somme de 5.000 euros au titre de titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Juger que les circonstances de l'espèce s'opposent au prononcé de l'exécution provisoire dans le cas où il était fait droit aux demandes de la BNP;
- Condamner la BNP aux dépens.
***
Aux termes de ses dernières conclusions n° 2 transmises par voie électronique le 9 septembre 2024, la BNP demande à la cour de :
- Confirmer le jugement querellé en ce qu'il a :
.rejeté les demandes de MM. [Y] et [P],
.déclaré la BNP recevable et bien-fondée en sa demande,
.condamné MM. [Y] et [P] à payer à la BNP en leur qualité de cautions solidaires de la SARL ECDA, sans solidarité entre elles, la somme de 279.443,18 euros avec les intérêts au taux légal à compter de la date de notification des mises en demeure de payer, et ce, jusqu'à parfait paiement,
.dit n'y avoir lieu d'écarter l'exécution provisoire de droit,
.condamné les défendeurs aux dépens ;
Statuant à nouveau,
- Prendre acte que la procédure de redressement judiciaire ouverte à l'encontre de la SARL ECDA a été convertie en liquidation judiciaire par suite de la confusion des patrimoines avec la SAS LOAAHOU immatriculée au registre du commerce de Saintes sous le numéro 849 879 804 ;
- Juger que la SARL ECDA est défaillante ;
- Juger que la BNP est recevable et bien fondée à agir en paiement contre MM. [Y] et [P] en leur qualité de cautions solidaires de la SARL ECDA ;
- Juger que la créance de la BNP qui est certaine, liquide et exigible s'élève à la somme totale en principal de 279.443,19 euros, outre les intérêts au taux légal à compter de la date de notification des mises en demeure de payer jusqu'à parfait paiement ;
- Par conséquent, condamner MM. [Y] et [P] en leur qualité de cautions solidaires, sans solidarité entre elles (sic), à payer à la BNP la somme de 279.443,18 euros, assortie des intérêts de droit, à compter de la date de la notification des mises en demeure de payer, et ce, jusqu'à parfait paiement ;
A titre infiniment subsidiaire, et si par impossible la cour venait à considérer l'absence d'exigibilité du capital restant dû,
- Condamner MM. [Y] et [P] en leur qualité de cautions solidaires de la SARL ECDA, sans solidarité entre elles (sic), à payer à la BNP les échéances échues des prêts demeurées impayées qui s'élèvent à la somme en principal de 24.917,11 euros ainsi détaillées :
Au titre du prêt n° [Numéro identifiant 3]
.Échéances échues impayées : 20.725,56 €
.Intérêts sur échéances échues : 230,78 €
Au titre du prêt n° [Numéro identifiant 4]
.Échéances échues impayées : 3.940,80 €
.Intérêts sur échéances échues : 19,97 €
En tout état de cause
- Débouter MM. [Y] et [P] de leurs demandes ;
- Les condamner solidairement au paiement de la somme 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers frais et dépens de l'instance.
***
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux conclusions des parties, visées ci-dessus, pour l'exposé de leurs prétentions et moyens.
MOTIFS
A titre liminaire
La cour rappelle qu'en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions et n'examine que les moyens développés dans la partie discussion des conclusions présentés au soutien de ces prétentions.
Elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de « constatations » ou de « dire et juger » lorsqu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques mais constituent, en réalité, les moyens invoqués par les parties au soutien de leurs demandes.
Sur le périmètre de l'appel, la cour constate que si la banque conclut à l'irrecevabilité de la demande de déchéance du droit aux intérêts du prêteur, force est de constater qu'elle ne reprend par cette fin de non-recevoir dans le dispositif de ses conclusions. Il s'en déduit que la cour n'en est pas saisie.
Sur la clause résolutoire du prêt
Les premiers juges ont jugé que l'article 1226 du code civil invoqué par les cautions avait une portée générale et ne pouvait supplanter les dispositions d'ordre public des articles 1103 et 1104 du même code aux termes desquelles les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits et doivent être exécutés de bonne foi.
Après avoir relevé que les contrats de prêts professionnels souscrits par la SARL ECDA contenaient une clause d'exigibilité anticipée en cas de non-paiement à bonne date d'une somme quelconque devenue exigible, et ce, quinze jours après une notification faite à l'emprunteur par lettre recommandée avec accusé de réception et que pas moins de quatre lettres RAR avaient été envoyées les 27 juin, 30 juillet, 29 août et 3 décembre à la SARL ECDA concernant les échéances impayées des deux prêts, la banque lui demandant de régulariser la situation dans les meilleurs délais et lui indiquant qu'elle pouvait être amenée à se prévaloir de la clause exigibilité anticipée, les cautions en étant informées les mêmes jours, ils ont considéré qu'à l'égard des cautions, la banque était fondée à se prévaloir de la clause de leur acte de cautionnement qui stipulait qu'en cas de non-paiement d'une somme quelconque à bonne date comme en cas de défaillance quelconque du cautionné, chaque caution renonçait à se prévaloir du bénéfice du terme et qu'ainsi la procédure avait parfaitement été respectée par la banque tant à l'égard du débiteur principal qu'à celui des cautions, celles-ci ne pouvant ignorer que la jurisprudence qu'elles invoquaient ne s'appliquait pas aux prêts professionnels, les décisions produites aux débats concernant d'ailleurs des prêts à la consommation et des prêts immobiliers.
MM. [Y] et [P] soutiennent, d'une part, que la clause résolutoire de plein droit qui permet aux parties de se soustraire à la résolution d'une convention à l'appréciation des juges doit être exprimée de façon non équivoque et qu'il est de jurisprudence constante que la déchéance du terme d'un prêt ne peut être valablement prononcée en l'absence de délivrance d'une mise en demeure restée sans effet au-delà d'un délai indiqué expressément à l'emprunteur. Ils considèrent que ces jurisprudence leur sont applicables au vu de leur statut de consommateur, la jurisprudence s'appliquant aux prêts professionnels. Ils font référence à un précédent arrêt de la cour du 15 mars 2023 concernant M. [P] et la SARL TS Holding.
Ils font encore valoir que la condition relative au prononcé de la déchéance du terme n'a pas été remplie par la banque : ni la société ECDA, ni les cautions n'ont été destinataire d'une mise en demeure préalable à la déchéance du terme.
Ils plaident également que les déchéances du terme sur les prêts [Numéro identifiant 3] et [Numéro identifiant 4] et les mises en demeure de régler les sommes dues sont concomitantes.
A l'argument soutenu par la banque selon lequel la situation de la société ECDA semblait déjà compromise puisque sa liquidation a été prononcée par jugement du 14 mai 2020, dont il ressort la démonstration de relations financières anormales et dont elle en tire la conséquence que la conversion de la procédure de redressement judiciaire en liquidation judiciaire a emporté, de facto, la déchéance du terme, les appelants font remarquer que la déchéance du terme a été prononcée le 15 janvier 2020 pour le prêt de 380.000 euros et le 2 mars 2020 pour le prêt de 70.000 euros, soit antérieurement, d'une part, à la cessation des paiements qui a été fixée par le tribunal mixte de commerce au 17 mars 2020 et, d'autre part, à la conversion du redressement en liquidation judiciaire qui a été prononcée le 14 mai 2020.
A l'argument soutenu par la banque selon lequel la question de la recevabilité de son action est désormais sans objet dans la mesure où sa créance a été définitivement admise à titre privilégié au passif de la société ECDA, ils répliquent que la recevabilité d'une demande en justice s'apprécie au jour de l'introduction de la demande et ne peut dépendre d'éléments postérieurs.
La banque fait valoir pour l'essentiel que son action contre les cautions est recevable et bien-fondée.
Elle plaide que l'arrêt auquel se réfère les appelants ne s'applique pas en l'espèce car les faits sont différents : la société ECDA a été placée en liquidation judiciaire de sorte que sa créance est devenue immédiatement exigible en application de l'article L. 643-1 du code de commerce et qu'ainsi sa créance d'un montant de 279.443,18 euros ayant été définitivement admise à titre privilégié au passif de la société ECDA, le débat des appelants sur une prétendue irrecevabilité de la déchéance du terme est sans objet.
Elle argue qu'elle dispose d'un droit de poursuite contre le cautions et dispose d'une créance certaine, liquide et exigible justifiée en son quantum et opposable aux cautions.
Elle soutient qu'elle a laissé à la société ECDA la possibilité de régulariser la situation et a prononcé la déchéance du terme dans les conditions de la clause d'exigibilité anticipée : plus de sept mois se sont écoulés avant que la banque ne prononce la déchéance du terme des deux prêts, déchéance intervenue après plusieurs notifications adressées à l'emprunteur par lettres recommandées avec accusé de réception (LRAR) en application de la clause « EXIGIBILITE ANTICIPEE ».
Elle fait encore valoir que cette clause expresse et non équivoque conditionne la validité de l'exigibilité anticipée du prêt à l'envoi préalable au moins quinze jours avant, d'une notification faite à l'emprunteur par LRAR, excluant de facto l'envoi préalable d'une lettre de mise en demeure et qu'en l'espèce, contrairement à ce que prétendent les appelants, les LRAR indiquent clairement sa volonté de se prévaloir de l'exigibilité anticipée.
Elle rappelle également qu'il s'agit au cas présent de prêt professionnels de sommes d'argent consentis par la banque à la société ECDA pour le financement d'un investissement professionnel, qu'il ne s'agit en aucun cas d'un crédit immobilier, ni d'un crédit à la consommation, de sorte que la jurisprudence dont font état les appelants ne peut s'appliquer en l'espèce. Elle ajoute que les appelant lorsqu'ils s'engagent en qualité de caution sont co-gérants associés d'une holding, la société TS Holding qui détient pas moins de trois sociétés (les SARL Sarah Beach, Le Carré et ECDA) et qu'ils n'ont donc pas le statut de consommateur.
Sur ce,
Aux termes de l'article 2288 du code civil dans sa rédaction applicable au litige :
'Celui qui se rend caution d'une obligation se soumet envers le créancier à satisfaire à cette obligation, si le débiteur n'y satisfait pas lui-même.'
Conformément aux dispositions de l'article 2313 du code civil dans sa rédaction applicable au litige :
« La caution peut opposer au créancier toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur principal, et qui sont inhérentes à la dette ;
Mais elle ne peut opposer les exceptions qui sont purement personnelles au débiteur. »
Pour rappel, en matière de sauvegarde ou de redressement judiciaire, la caution bénéficie de l'arrêt des poursuites prévues aux articles L. 622-28 et L. 631-14 du code de commerce.
S'agissant de la liquidation judiciaire, l'article L. 643-1 du code de commerce dispose :
« Le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire rend exigibles les créances non échues dont le patrimoine saisi par l'effet de la procédure constitue le gage. Toutefois, lorsque le tribunal autorise la poursuite de l'activité au motif que la cession totale ou partielle de l'entreprise est envisageable, les créances non échues sont exigibles à la date du jugement statuant sur la cession ou, à défaut, à la date à laquelle le maintien de l'activité prend fin. »
Cependant, et par dérogation au régime d'opposabilité des exceptions, l'admission définitive d'une créance au passif du débiteur principal est opposable à la caution en ce qui concerne l'existence et le montant de la créance (Cass. Com. 25 février 2004 n° 01-13.588) et interdit à la caution d'invoquer les exceptions inhérentes à la dette (Cass. Com. 24 janvier 2024).
En effet, l'ordonnance portant admission de la créance a autorité de chose jugée et la caution peut la contester dans un délai d'un mois à compter de sa publication pour les cautions personnes morales ou à compter de sa signification pour les cautions personnes physiques (article R. 624-8 du code de commerce)
En l'espèce, par actes sous signatures privées du 8 novembre 2018, MM. [T] [Y] et [V] [P] se sont engagés envers la BNP Paribas Réunion en qualité de cautions solidaires avec l'emprunteur, la SARL ECDA, à garantir le remboursement d'un prêt ([Numéro identifiant 3]) de 380.000 euros dans la limite de 386. 694,75 euros et d'un prêt de 70.000 euros ([Numéro identifiant 4]) dans la limite de 56.232,47 euros, avec renonciation aux bénéfices de division et de discussion, couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités et intérêts de retard.
Suivant lettre recommandée avec accusé de réception (LRAR) du 15 janvier 2020 adressée à la société ECDA, la banque a prononcé la déchéance du terme du prêt [Numéro identifiant 3] de 380.000 euros
Suivant LRAR à même date, chaque caution a été informée du prononcé de la déchéance du terme dudit prêt consenti à la société ECDA et mis en demeure de payer la somme de 386. 674,75 euros, dans la limite de son engagement, sous 8 jours.
Suivant LRAR du 2 mars 2020 adressée à la société ECDA, la banque a prononcé la déchéance du terme du prêt [Numéro identifiant 4] de 70.000 euros
Suivant LRAR à même date, chaque caution a été informée du prononcé de la déchéance du terme dudit prêt consenti à la société ECDA et mis en demeure de payer la somme de 56.232,47 euros, dans la limite de son engagement, sous 8 jours.
La SARL ECDA a été mise en redressement judiciaire par jugement du tribunal mixte de commerce de Saint Pierre rendu le 26 mars 2020, procédure convertie en liquidation judiciaire le 14 mai 2020.
La banque a déclaré sa créance auprès du mandataire judiciaire le 30 mars 2020, à hauteur de 251.854,70 euros pour le prêt [Numéro identifiant 3] et à hauteur de 27.588,48 euros pour le prêt [Numéro identifiant 4].
Suivant LRAR du 30 mars 2020, la banque a informé chaque caution, et pour chaque prêt, de la mise en redressement judiciaire de la société ECDA et de la déclaration de créance établie auprès du mandataire judiciaire.
La banque a de nouveau déclaré sa créance, cette fois auprès du liquidateur judiciaire, le 20 mai 2020, pour les deux prêts et à hauteur des mêmes montants.
Le 7 avril 2021, le juge-commissaire a admis les créances à titre privilégié de la banque au passif de la procédure de liquidation judiciaire de la société ECDA, soit pour la somme totale de 279.443,18 euros (pièce n° 66 de la banque)
Le cour ne peut que constater que les appelants ne justifient ni même n'allèguent avoir formé un recours contre cette décision d'admission qui a donc à leur égard autorité de chose jugée.
Il s'ensuit que la banque est parfaitement fondée à exercer son recours à l'encontre des cautions, et ce, sans préjudice des exceptions qui leur sont propres.
Toute autre discussion (statut ou non de consommateur, nature de prêt ou examen de la clause résolutoire, ou encore, TEG) est sans emport.
Sur la proportionnalité des engagements de caution
Au visa de l'article L. 341-4 du code de commerce et des éléments du dossier, les premiers juges ont jugé que MM. [Y] et [P] disposaient au moment de leurs engagements de caution le 8 novembre 2018 d'une capacité financière suffisante au regard de leurs déclarations de patrimoine et de revenu et les ont déboutés de ce chef de demande.
MM. [Y] et [P] font état d'une disproportion manifeste tant lors de la souscription de l'engagement de caution que lors de l'exigibilité de l'engagement de caution. Ils visent l'article L. 332-1 du code de la consommation et rappellent que les dispositions sont applicables à toutes personne physique, sans qu'il y a ait lieu d'instaurer pour les dirigeants sociaux, notamment, des restrictions que la loi n'a pas prévues.
S'agissant de la situation de M. [Y] lors de la souscription de l'engagement de caution que lors de l'exigibilité de l'engagement de caution, ils soutiennent que :
- le montant des sommes cautionnées revenait à près de 6 fois le montant de ses revenus bruts annuels avant charge avec des charges annuelles s'élevant à 49. 694 euros
- il était déjà caution à hauteur de 225.000 euros à l'égard d'une autre organisme bancaire
- ses biens immobiliers étaient financés par des crédits immobiliers dont les prêts étaient d'un montant respectif de 189.500 euros et 190.000 euros qui n'étaient pas remboursés
- outre ces prêts immobiliers, il avait souscrit en 2017 un crédit d'un montant de 50.000 euros pour financer l'acquisition d'un véhicule automobile
Concernant la situation de M. [P] lors de la souscription de l'engagement de caution, ils plaident que :
- le montant des sommes cautionnées revenait au quadruple de ses revenus imposables avec des charges annuelles s'élevant à 40.475 euros
- il était déjà caution à hauteur de 292.000 euros à l'égard d'un autre organisme bancaire
- ses biens immobiliers étaient financés par des crédits immobiliers dont les prêts étaient d'un montant respectif de 340.000 euros, 41.560 euros et 216.416 euros qui n'étaient pas remboursés.
Au visa des articles L. 332-1 du code de la consommation, 9 du code de procédure civile et 1353 du code civil, la banque fait valoir pour l'essentiel que c'est par une juste appréciation des faits et du droit que le tribunal judiciaire a jugé que MM. [Y] et [P] disposait au moment de leurs engagements de caution d'une capacité financière suffisante au regard de leurs déclarations de patrimoine et de revenus.
S'agissant de M. [Y], elle plaide que lors de son engagement de caution :
- il est propriétaire de deux biens immobiliers
- il était responsable financier cher Téréos Océan Indien et également associé gérant de la société TS Holding qui détient trois filiales exploitant des fonds de commerce (restaurant, bar) dont la situation comptable est saine (les SARL Sarah Beach, le Carré et ECDA)
- il détenait également un compte courant d'associés dont le solde est de 75.000 euros
- il est de jurisprudence constante que la disproportion doit s'apprécier au regard de tous les biens et revenus de la caution, même lorsque ses biens sont grevés de sûretés
- le prêt immobilier CEPAC de 524.900 euros a été contracté par M. [Y] et sa compagne Mme [J] en août 2019, soit peu de temps après qu'elle l'a informé des situations d'impayés de la société ECDA
- c'est un homme d'affaires rompu à la finance ; il est gérant du restaurant de bord de mer Sarah Beach et Le Carré sous l'enseigne « Vert Olive »
Concernant M. [P], elle argue que lors de son engagement de caution :
- il était propriétaire de trois biens immobiliers pour une valeur totale de 590.000 euros outre un patrimoine financier de 122.249 euros
- il est directeur agricole de Téréos Sucre Océan Indien
- il est associé gérant de la société TS Holding qui détient trois filiales exploitant des fonds de commerce (restaurant, bar) dont la situation comptable est saine (les SARL Sarah Beach, le Carré et ECDA)
- il détenait également un compte courant d'associés dont le solde est de 75.000 euros.
Sur ce,
Aux termes de l'article L. 332-1 du code de la consommation alors applicable au litige :
« Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation. »
Ces dispositions s'appliquent à toutes les cautions averties ou non à condition qu'elle soit une personne physique, au cautionnement présentant un caractère commercial et à tout créancier professionnel.
La disproportion manifeste du cautionnement s'apprécie au regard de la capacité de la caution à faire face, avec ses biens et revenus, non à l'obligation garantie, selon les modalités de paiement propres à celle-ci, c'est à dire aux mensualités des prêts, mais au montant de son propre engagements. Il est tenu compte de l'endettement global de la caution y compris celui résultant d'engagements de caution, quand bien même ces engagements de caution auraient été déclarés disproportionnés, à condition qu'il s'agisse de cautionnements antérieurement souscrits mais il ne peut être tenu compte d'un cautionnement antérieur que le juge déclare nul et qui est ainsi anéanti rétroactivement.
Pour apprécier le caractère disproportionné d'un engagement de caution, il faut prendre en compte tous les biens, même grevés de sûretés, leur valeur étant appréciée en déduisant le montant de la dette dont le paiement est garanti par ces sûretés (Cass. 1e civ. 24-3-2021 n° 19-21.254)
Les juges du fond apprécient souverainement le caractère disproportionné du cautionnement.
C'est la caution qui supporte la charge de la preuve de démontrer que son engagement de caution était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, le code de la consommation n'imposant pas au créancier professionnel de vérifier la situation financière de la caution lors de son engagement.
La caution qui a rempli, à la demande de la banque, une fiche de renseignements relative à ses revenus et charges annuels et à son patrimoine, dépourvue d'anomalies apparentes sur les informations déclarées, ne peut, ensuite, soutenir que sa situation financière était en réalité moins favorable que celle qu'elle a déclarée au créancier. Ainsi, la banque n'a pas de vérification à faire sur les informations données par la caution dans une fiche que la caution certifiée exacte et signée en l'absence d'anomalie apparente et peut les opposer sauf à intégrer des charges qu'elle ne pouvait ignorer.
La sanction du caractère manifestement disproportionné de l'engagement de la caution est l'impossibilité pour le créancier professionnel de se prévaloir de cet engagement.
La cour relève que la banque n'entend pas se prévaloir des engagements de caution si ceux-ci étaient déclarés manifestement disproportionnés en établissant que MM. [Y] et [P] sont actuellement en capacité de faire face à leur obligations.
Il s'ensuit qu'il convient d'examiner uniquement la situation des cautions au moment de leur engagement et sont donc écartés tous documents postérieurs au 8 novembre 2018.
En l'espèce, il est constant que la BNP a financé le 18 août 2016, par deux actes de prêts de 380.000 euros et 70.000 euros, l'acquisition d'un fonds de commerce de bar-restaurant-pizzéria exploité sous l'enseigne « Le [9] » situé à [Localité 10] ainsi que les travaux d'aménagement dudit fonds.
Il est justifié par les pièces versées aux débats des différents engagements de caution souscrits par MM. [Y] et [P] le 8 novembre 2018. Chacun des engagements comporte la mention manuscrite rappelant le montant limite de l'engagement et la mention expresse selon laquelle la caution s'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur ses revenus et biens les sommes si la société ECDA n'y satisfaisait pas elle-même et la renonciation au bénéfice de la discussion et l'engagement de rembourser le créancier sans pouvoir exiger qu'il poursuive préalablement la société ECDA.
MM. [Y] et [P] sont donc bien tenus au paiement au titre de ces engagements.
Il n'est pas davantage contesté que la société ECDA n'a pas satisfait à ses engagements et que la créance privilégiée de la BNP a été déclarée à la SELARL [W], liquidateur de la société ECDA par courrier daté du 30 mars 2020 puis par courrier du 20 mai 2020 .
1°) concernant M. [Y]
M. [Y] a signé le 24 février 2017 un document dénommé « Renseignement sur l'emprunteur (entrepreneur individuel) ou la caution concernant la demande de financement de la société ECDA » dans lequel il a indiqué à la banque, notamment :
- célibataire sans enfant
- responsable financier au sein de Téréos Océan Indien
- locataire : loyer mensuel 1.712 euros
- revenus annuels 109.817 euros
- revenus annuels locatifs et fonciers 11.280 euros
(total des revenus annuels : 121.097 €)
- charges annuelles loyers 20.544 euros
- charges annuelles emprunt logement (Crédit Agricole) :
.11.808 euros (montant initial 189. 600 € ; montant restant dû 166.582 € ; échéance finale 05/01/33)
.11.052 euros (montant initial 190.014 € ; montant restant dû 189. 324 € ; échéance finale 05/01/37)
(total des charges annuelles : 43.404 € soit 35,08% des revenus annuels totaux)
- patrimoine financier
.compte-épargne 24.847 euros
.valeurs mobilières 1.277
(total du patrimoine financier : 24.847 €)
- biens immobiliers en propriété :
.appartement T2 d'une valeur de 189. 600 €
.appartement T2 d'une valeur de 190.014 €
- caution déjà délivrée en février 2016 (échéance 02/2023) 225.000 € au profit de la BR/CEPAC consenti à la société TS Holding
M. [Y] verse aux débats, notamment, ses avis d'imposition 2017, 2018 et 2019 pour ses revenus 2016, 2017 et 2018 faisant ressort des revenus bruts annuels respectivement de 110. 665 €, 112.573 € et 116.719 €
La banque verse aux débats un extrait du « CONTRAT DE PRET CONSTATANT NATISSEMENT DE PARTS SOCIALES, CAUTIONS, BLOCAGE DE COMPTE COURANT D'ASSOCIES, ASSURANCE GROUPE « A TOUT EMPRUNTEUR » ET ENGAGEMENT DES ASSOCIES » du 24 avril 2017 conclu entre la BNP , d'une part, et la SARL TS HOLDING, emprunteur, et MM. [Y] et [P], cautions, concernant un prêt professionnel de 150.000 euros d'une durée de 84 mois pour l'acquisition de 3. 668 parts sociales de la SARL ECDA et le rachat de comptes courants d'associés aux termes duquel il est mentionné à l'article ENGAGEMENT DES ASSOCIES DE L'EMPRUNTEUR :
« Blocage des comptes-courants d'associés : Les livres de l'emprunteur dont ressortir des comptes-courants créditeurs pour un montant au moins égal à 75.000 euros concernant MM. [Y] et [P] » (pièce n° 38)
Il ressort de ce qui précède que faute d'anomalie apparente, d'ailleurs non arguées par M. [Y], il y a lieu de prendre en compte les éléments figurant dans le document complété par ce dernier en février 2017, soit notamment :
- des revenus de 121.097 €
- des charges annuelles de 63.948 € (y compris le loyer)
- un patrimoine financier de 24.847 €
- un compte-courant d'associé de 75.000 €
- un patrimoine immobilier de 23.708 € (déduction faite des montants des prêts restant dus)
- un engagement de caution auprès de la banque de la Réunion/CEPAC de 225.000 €
A cela, il convient d'ajouter 4.000 parts à 10 euros, soit 40.000 euros dans la société TS Holding dont M. [Y] est le gérant avec M. [P], étant précisé que la société TS Holding a des participations (100%) dans les SARL Sarah Beach, Le Carré et ECDA et que M. [Y] est gérant de la société Sarah Beach.
Compte tenu du montant des revenus, du patrimoine financier et immobilier et en dépit d'un engagement de caution antérieur, c'est à bon droit que les premiers juges ont débouté ce dernier de sa demande tendant à voir déclarer les cautionnements souscrits disproportionnés, M. [Y] échouant à rapporter la preuve d'un disproportion manifeste entre son engagement et ses biens et revenus.
2°) Concernant M. [P]
M. [P] a signé le 24 février 2017 ce même document dans lequel il a indiqué à la banque, notamment :
- vit en union libre avec Mme [L] [M] et père d'un enfant âgé de 2 ans
- directeur agricole au sein de Téréos Sucre Océan Indien
- concubin professeur des écoles ' revenus annuel 33. 600 euros
- propriétaire
- revenus annuels 135.400 euros
- revenus annuels locatifs et fonciers 15. 600 euros
(total des revenus du couple : 184. 600 €)
- charges annuelles emprunt (BNP) :
.18. 676 euros (prêt résidence) (montant initial 247.000 € ; montant restant dû 166.152 € ; échéance finale 05/12/26)
.17.592 euros (prêt locatif) (montant initial 216.416 € ; montant restant dû 164.169 € ; échéance finale 10/11/27)
.4.207 euros (prêt locatif) (montant initial 41.560 € ; montant restant dû 38. 383 € ; échéance finale 05/03/27)
(total des charges annuelles : 40.475 € soit 21,93% des revenus annuels totaux)
- patrimoine financier :
.compte-épargne 102.755 euros
.valeurs mobilières 6. 337 euros
.assurance-vie 13.157 euros
(total du patrimoine financier : 122.249 €)
- biens immobiliers en propriété :
.résidence principale d'une valeur de 350.000 €
.autre immeuble d'une valeur de 189.000 €
.autre immeuble d'une valeur de 60.000 €
- caution déjà délivrée le 14 février 2016 (échéance 14/02/2023) 292.500 euros au profit de la banque de la Réunion consenti pour la société TS Holding
Il n'y a pas lieu de prendre en considération les revenus de Mme [M].
M. [P] verse aux débats, notamment, ses avis d'imposition 2017 et 2019 pour ses revenus 2016 et 2018, faisant ressort des revenus bruts annuels respectivement de 146.922 € (et 37.083 € pour sa concubine) et 158.831 euros (et 40.238 € pour sa concubine)
Pour rappel, au 24 avril 2017, M. [P] est titulaire d'un compte-courant d'associé de la société TS Holding d'au moins 75.000 euros ouvert dans les livres de la BNP (pièce n° 38).
Il ressort de ce qui précède que faute d'anomalie apparente, d'ailleurs non arguées par M. [P], il y a lieu de prendre en compte les éléments figurant dans le document complété par ce dernier en février 2017, soit notamment :
- des revenus de M. [P] de 151.000 €
- des charges annuelles de 40.475 €
- un patrimoine financier de 122.249 €
- un compte-courant d'associé de 75.000 €
- un patrimoine immobilier de 230.296 € (déduction faite des montants des prêts restant dus)
- un engagement de caution auprès de banque de la Réunion de 225.000 €.
A cela, il convient d'ajouter 4.000 parts à 10 euros, soit 40.000 euros dans la société TS Holding dont M. [P] est le gérant avec M. [Y], étant précisé que la société TS Holding a des participations (100%) dans les SARL Sarah Beach, Le Carré et ECDA.
Compte tenu du montant des revenus, du patrimoine financier et immobilier et en dépit d'un engagement de caution antérieur, c'est à bon droit que les premiers juges ont débouté ce dernier de sa demande tendant à voir déclarer les cautionnements souscrits disproportionnés, M. [P] échouant à rapporter la preuve d'une disproportion manifeste entre son engagement et ses biens et revenus.
Sur la déchéance du droit aux intérêts
Les appelants soutiennent que la banque ne justifie pas les avoir informés avant le 31 mars de chaque année du montant restant dû en principal et intérêts de la dette cautionnée. Il font valoir que les courriers qui leur ont été adressés les 15 janvier et 2 mars 2020 par la banque mentionnant la déchéance du terme de chacun des prêts ne sauraient être assimilées aux lettres d'information annuelle de la caution.
La banque plaide que la déchéance du droit aux intérêts n'est pas encourue : elle produit les lettres d'information annuelle du 7 février 2020 et précise que les caution ont été informée de la déchéance du terme des deux prêts par courrier des 15 janvier et 2 mars 2020.
Sur ce,
Aux termes de l'article L. 313-22 du code monétaire et financier dans sa rédaction applicable au litige :
« Les établissements de crédit ou les sociétés de financement ayant accordé un concours financier à une entreprise, sous la condition du cautionnement par une personne physique ou une personne morale, sont tenus au plus tard avant le 31 mars de chaque année de faire connaître à la caution le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation bénéficiant de la caution, ainsi que le terme de cet engagement. Si l'engagement est à durée indéterminée, ils rappellent la faculté de révocation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci est exercée.
La réalisation de cette obligation légale ne peut en aucun cas être facturée à la personne qui bénéficie de l'information.
Le défaut d'accomplissement de la formalité prévue à l'alinéa précédent emporte, dans les rapports entre la caution et l'établissement tenu à cette formalité, déchéance des intérêts échus depuis la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle information. Les paiements effectués par le débiteur principal sont réputés, dans les rapports entre la caution et l'établissement, affectés prioritairement au règlement du principal de la dette. »
En l'espèce, et pour rappel, M. [I] s'est porté caution des engagements de la société ECDA le 8 novembre 2018.
Suivant lettres recommandées avec accusé de réception (LRAR) adressées, à chacune des cautions les 17 juin, 30 juillet, 29 août et 3 décembre 2019 portant en objet : « impayé sur prêt professionnel » la banque les a informé que « la position du compte courant de ECDA Le [9] n'a pas permis d'honorer le paiement » des échéances des mois d'avril à novembre 2019 pour le prêt [Numéro identifiant 3] et les 11 juillet, 12 août et 9 décembre 2019 portant le même objet et concernant les échéances sur la même période pour le prêt [Numéro identifiant 4].
Dans le cadre de l'information légale annuelle des cautions, la banque a adressé à chacune des caution un courrier d'information sur les encours au 31 décembre 2019 relativement aux deux prêts cautionnés (courrier des 7 février 2020).
Suivant LRAR du 15 janvier 2020, chaque caution a été informée du prononcé de la déchéance du terme dudit prêt consenti à la société ECDA et mis en demeure de payer la somme de 386. 674,75 euros, dans la limite de son engagement, sous 8 jours.
Suivant LRAR du 2 mars 2020, chaque caution a été informée du prononcé de la déchéance du terme dudit prêt consenti à la société ECDA et mis en demeure de payer la somme de 56.232,47 euros, dans la limite de son engagement, sous 8 jours.
Il résulte de ce qui précède que l'obligation d'information annuelle des cautions a été respectée par la banque et le jugement sera par conséquent confirmé de ce chef.
Sur la responsabilité de la banque
MM. [Y] et [P] soutiennent en substance que la responsabilité de la banque est engagée lui reprochant de ne pas les avoir averti que le prêt cautionné risquait de ne pas pouvoir être remboursé en raison du contexte économique (crise des gilets jaunes) et qu'elle a multiplié les prises de garanties sur les cautions et a refusé de reporter les échéances du prêt contribuant ainsi à la faillite de la société ECDA dont l'activité devait permettre le remboursement des opérations financées. Ils ajoutent que contrairement à ce que prétend la banque, M. [P] n'exerce pas la profession de directeur financer mais de directeur agricole qui ne lui confère pas le caractère de caution avertie.
Ils font encore valoir que la banque s'est comportée à l'égard de la société ECDA et à leur égard avec une mauvaise foi caractérisée : la banque a refusé à la société ECDA la suspension du remboursement des échéances de son prêt alors que le préfet avait demandé aux établissements de crédit de reporter le paiement des échéances, rappelant que le refus de suspendre le prélèvement des échéances allait conduire la société à se trouver en état de cessation des paiements.
Ils plaident enfin que « eu égard au préjudice subi par les conséquences de la mauvaise foi de la société BNP Paribas Réunion, les associés de la société ECDA, mise en liquidation judiciaire en raison de cette faute contractuelle, sont bien fondés à solliciter la condamnation de la banque à leur verser la somme de 20.000 € chacun au titre du préjudice subi. »
En l'espèce, les appelants versent aux débats, notamment, des échanges de mail entre janvier et mars 2019 entre la BNP et la société ECDA sollicitant un report d'échéance pour les emprunts, évoquant des problèmes de trésorerie imputables à l'épisode des gilets jaunes et des « reports d'échéance annoncés par le préfet en collaboration avec les établissements bancaires pour aider les entreprises qui ont subi des difficultés liés aux gilets jaunes », la banque écrivant : « Rien ne pourra être mis en place tant que nous n'aurons pas des garanties en ordre dans votre dossier ».
La banque fait valoir qu'elle n'est pas tenue à un devoir de mise en garde à l'égard de la caution avertie, or, les appelants, en leur qualité de cautions solidaire de la société ECDA sont, de par leurs qualités propres, leurs expériences professionnelles, capables de cerner les difficultés liées à un endettement rendant probable la mise en jeu de leur garantie : ce sont des cautions averties.
Elle plaide encore que les appelants ont tenté d'échapper à leurs obligations contractuelles et tentent encore de le faire depuis plus de quatre ans alors qu'elle ne s'est pas comportée de façon déloyale avec la société ECDA ni avec MM. [Y] et [P].
Elle argue enfin qu'elle n'est pas responsable de la liquidation judiciaire de la société ECDA : celle-ci a été placée en redressement judiciaire par jugement du 26 mars 2020 et cette procédure a été convertie en liquidation judiciaire par jugement du 14 mai 2020 suite à la confusion des patrimoines de la société ECDA avec la SAS LOAAHOU, la confusion de patrimoine faisant référence soit à la confusion des comptes, soit de l'existence de flux financiers qui sont devenus au fil des ans anormaux, soit de l'existence de relations financières anormales.
Sur ce,
Le banquier dispensateur professionnel de crédit a le devoir de mettre en garde la caution non avertie sur les risques de son engagement au regard des capacités financières du débiteur principal à honorer la dette garantie.
Une telle mise en garde n'est cependant requise que si la caution, au regard de sa situation patrimoniale, s'expose à un risque de surendettement ou, ajoute la Cour de cassation, même si tel n'est pas le cas, si l'opération financée était vouée à l'échec dès son lancement (Cass. com., 15 nov. 2017, n° 16-16.790 ).
En effet, pour établir que le banquier dispensateur de crédit était tenu, à son égard, d'un devoir de mise en garde, la caution non avertie doit établir qu'à la date à laquelle son engagement a été souscrit, celui-ci n'était pas adapté à ses capacités financières ou qu'il existait un risque d'endettement né de l'octroi du prêt, lequel résultait de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur.
La qualité de caution avertie doit s'apprécier in concreto au regard de son expérience, de sa formation et de sa compétence en matière financière. La qualité de caution avertie ne peut résulter du seul statut de dirigeant d'une société.
La charge de la preuve du caractère averti de la caution pèse sur le banquier, débiteur de l'obligation de mise en garde.
Sauf circonstances particulières, la seule qualité de dirigeant et, a fortiori, d'associé est impropre à établir la qualité de caution avertie (Cass. com., 20 avr. 2017, n° 15-15.096 ).
La sanction du défaut de mise en garde est la perte d'une chance de ne pas contracter, justifiant une décharge partielle. Mais le juge peut ne laisser à la charge de la caution que l'euro symbolique.
En l'espèce, comme il a été statué plus haut, les engagements de caution de MM. [Y] et [P] étaient adaptés à leurs capacités financières.
S'agissant du risque d'endettement né de l'octroi du prêt garantit résultant de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de la société ECDA, emprunteur, aucun des éléments produits au dossier ne permet aux appelants d'en établir la réalité.
Il s'ensuit que c'est à juste titre que les premiers juges ont rejeté la demande reconventionnelle en responsabilité et indemnisation de MM. [Y] et [P], et ce, sans qu'il soit nécessaire de statuer sur le caractère averti ou non des cautions.
Sur la demande de délais de paiement
MM. [Y] et [P] soutiennent en substance que compte tenu de leur revenus et charges telles qu'elles ressortent en 2019, ils sont bien fondés à solliciter des délais de paiements, tandis que la banque s'y oppose.
Vu l'article 1343-5 du code civil ;
En l'espèce, MM. [Y] et [P] ne justifie pas de leur situation socio-professionnelle actuelle, les éléments les plus récents produits étant relatifs aux revenus 2021.
Dans ces conditions, et compte tenu de l'ancienneté du litige leur ayant, de fait, permis de différer le paiement de leur dette, il convient de les débouter de leur demande.
***
Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, y compris celles relatives aux dépens et frais irrépétibles.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Il sera alloué à la BNP qui a dû engager des frais pour assurer la défense de ses intérêts en justice, la somme de 5.000 euros .sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
MM. [Y] et [P] qui succombent à l'instance supporteront les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, en matière civile et en dernier ressort, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe conformément à l'article 451 alinéa 2 du code de procédure civile,
Confirme en toutes ses dispositions soumises à la cour le jugement rendu le 22 novembre 2022 par le tribunal judiciaire de Saint-Denis de la Réunion ;
Y ajoutant,
Condamne in solidum M. [T] [Y] et M. [V] [P] aux dépens d'appel ;
Condamne in solidum M. [T] [Y] et M. [V] [P] à payer à SA BNP Paribas Réunion la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Madame Pauline FLAUSS, Conseillère, en remplacement de Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre, empêché, et par Madame Nathalie BEBEAU, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE Pour LE PRÉSIDENT