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Décisions

CA Grenoble, ch. soc. - B, 9 octobre 2025, n° 23/01672

GRENOBLE

Arrêt

Autre

CA Grenoble n° 23/01672

9 octobre 2025

C9

N° RG 23/01672

N° Portalis DBVM-V-B7H-LZT5

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée le :

la SELARL FOURNIER AVOCATS

la SELARL LX GRENOBLE-CHAMBERY

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale - Section B

ARRÊT DU JEUDI 09 OCTOBRE 2025

Appel d'une décision (N° RG 20/00614)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Grenoble

en date du 06 avril 2023

suivant déclaration d'appel du 28 avril 2023

APPELANTE :

Madame [M] [P] épouse [T]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Virginie FOURNIER de la SELARL FOURNIER AVOCATS, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIMEE :

Société EMBOUTISSAGE DU MAIL, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 6]

[Localité 2]

représentée par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LX GRENOBLE-CHAMBERY, avocat postulant au barreau de GRENOBLE,

et par Me Béatrice CHAINE-FILIPPI de la SCP LAMY LEXEL, avocat plaidant au barreau de LYON substituée par Me Fabien DUFFIT-DALLOZ, avocat au barreau de LYON

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président

Monsieur Jean-Yves POURRET, Conseiller,

Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseiller,

DÉBATS :

A l'audience publique du 25 juin 2025

M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président en charge du rapport et Monsieur Jean-Yves POURRET, Conseiller, ont entendu les représentants des parties en leurs conclusions et plaidoirie, assistés de M. Fabien OEUVRAY, Greffier, en présence de Mme Laura GUIN, attachée de justice, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées ;

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 09 octobre 2025, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la cour.

L'arrêt a été rendu le 09 octobre 2025.

EXPOSE DU LITIGE

Mme [M] [V], épouse [T], née le 8 octobre 1974, a été engagée par la société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) Emboutissage du mail par contrat à durée indéterminée à compter du 14 avril 2014, en qualité de responsable comptable, niveau V, 1er échelon, coefficient 305, catégorie agent de maîtrise, pour une rémunération mensuelle brute fixée 3 520 euros.

La convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie est applicable.

Par un avenant du 1er février 2016, Mme [T] a bénéficié du statut cadre, position II, coefficient 100 avec une convention de forfait-jours, pour une rémunération mensuelle fixée à 3 900 euros pour 218 jours de travail.

Elle s'est vu confier la comptabilité générale, analytique, le contrôle de gestion des sociétés Emboutissage du mail et société d'usinage industriel (SODUSI) puis la comptabilité de la société holding personnelle de M. [A], le dirigeant, JME financière ainsi que celle de la société La Patinière, détenant l'immobilier de la société Emboutissage du mail.

Mme [T] a été placée en arrêt de travail du 13 mars au 11 mai 2020, du 11 juin au 10 juillet 2020, puis du 15 au 25 juillet 2020.

Par requête du 6 juillet 2020, Mme [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Grenoble aux fins de demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 16 juillet 2020, Mme [T] a notifié à la société Emboutissage du mail la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail suite à des manquements allégués de son employeur.

Au dernier état de ses demandes, Mme [T] a sollicité du conseil de prud'hommes de reconnaître qu'elle a été victime d'un harcèlement moral, que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail repose sur des manquements de l'employeur et constitue un licenciement nul, ainsi que de condamner la société au paiement de diverses sommes.

La société Emboutissage du mail a conclu au débouté des demandes adverses et a formé des demandes reconventionnelles au titre du préavis non exécuté et pour une atteinte à la vie privée et au secret des correspondances.

Par jugement du 6 avril 2023, le conseil de prud'hommes de Grenoble a :

Dit que le harcèlement moral invoque par Mme [T] n'est pas avéré,

Dit que la société Emboutissage du mail n'a pas manqué à son obligation de sécurité de résultat, ni à son obligation de loyauté dans l'exécution du contrat de travail,

Dit que la prise d'acte, par Mme [T], de la rupture de son contrat de travail s'analyse en une démission et en produit les effets,

Débouté Mme [T] de l'ensemble de ses demandes,

Débouté la société Emboutissage du mail de ses demandes reconventionnelles,

Condamné Mme [T] aux dépens.

La décision a été notifiée par lettres recommandées avec accusés de réception distribuées le 11 avril 2023 pour la société Emboutissage du mail et le 12 avril pour Mme [T].

Par déclaration en date du 28 avril 2023, Mme [T] a interjeté appel dudit jugement.

La société Emboutissage du mail a formé appel incident.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 23 avril 2024, Mme [T] demande à la cour de :

Juger recevable l'appel de Mme [T],

Juger que la Cour a été saisie des chefs de jugement critiqués suivants :

- Dit que le harcèlement moral invoqué par Mme [T] n'est pas avéré,

- Dit que la société Emboutissage du mail n'a pas manqué à son obligation de sécurité de résultat ni à son obligation de loyauté dans l'exécution du contrat de travail,

- Dit que la prise d'acte par Mme [T] de la rupture de son contrat de travail s'analyse en une démission et en produit les effets,

- Déboute Mme [T] de l'ensemble de ses demandes,

- Condamné Mme [T] aux dépens,

Confirmer le jugement rendu en ce qu'il a débouté la société Emboutissage du mail de ses demandes reconventionnelles,

Infirmer le jugement rendu en ce qu'il a :

Dit que le harcèlement mal invoqué par Mme [T] n'est pas avéré,

Dit que la société Emboutissage du mail n'a pas manqué à son obligation de sécurité de résultat, ni à son obligation de loyauté dans l'exécution du contrat de travail,

Dit que la prise d'acte, par Mme [T], de la rupture de son contrat de travail s'analyse comme une démission et en produit les effets,

Débouté Mme [T] de l'ensemble de ses demandes,

Condamné Mme [T] aux dépens.

Statuant à nouveau :

Juger que Mme [T] a été victime de harcèlement moral, par conséquent, condamner la société Emboutissage du mail à verser à Mme [T] la somme 15 000 euros net au titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

Juger que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail de Mme [T] repose sur des manquements de l'employeur ayant empêché la poursuite de son contrat de travail,

Juger que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail doit s'analyser en un licenciement nul, et par conséquent condamner la société Emboutissage du mail à verser à Mme [T] la somme 50 000 euros net au titre des dommages et intérêts pour licenciement nul,

Condamner la société Emboutissage du mail à verser à Mme [T] la somme de 7 924,57 euros net au titre de l'indemnité de licenciement,

Condamner la société Emboutissage du mail à verser à Mme [T] la somme de 15 022,88 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 1 502,28 euros brut de congés payés afférents,

Juger que la société a manqué à son obligation de sécurité, par conséquent, condamner la société Emboutissage du mail à verser à Mme [T] la somme de 10 000 euros net à titre de dommages et intérêts,

Juger que la société a manqué à son obligation de loyauté, par conséquent, condamner la société Emboutissage du mail à verser à Mme [T] la somme de 10 000 euros net à titre de dommages et intérêts,

Condamner la société Emboutissage du mail à verser à Mme [T] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code procédure civile et la même somme en cause d'appel.

Ordonner la capitalisation des intérêts,

Condamner la société Emboutissage du mail aux dépens.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 28 février 2024, la société Emboutissage du mail demande à la cour de :

A titre principal,

Juger que l'acte d'appel ne mentionne aucun chef de jugement critiqué et que l'objet de l'appel n'est pas conforme,

En conséquence :

Juger que la Cour n'est saisie d'aucune demande par Mme [T],

Débouter Mme [T] de son appel,

A titre subsidiaire,

Si, par impossible, la Cour jugeait que l'effet dévolutif de l'appel de Mme [T] a opéré et qu'elle est saisie des demandes de l'appelante :

Confirmer le jugement rendu en ce qu'il a :

- Jugé que le harcèlement moral invoqué par Mme [T] n'était pas avéré,

- Jugé que la société Emboutissage du mail n'avait pas manqué à son obligation de sécurité, ni à son obligation de loyauté dans l'exécution du contrat de travail,

- Jugé que la prise d'acte de Mme [T] s'analysait en une démission et devait en produire les effets,

- Débouté Mme [T] de l'ensemble de ses demandes,

Infirmer le jugement rendu en ce qu'il a débouté la société Emboutissage du mail de ses demandes reconventionnelles,

Et statuant à nouveau sur le chef de jugement expressément critiqué par la société Emboutissage du mail :

Condamner Mme [T] au paiement d'une somme égale à 15 022,88 euros brut, outre 1 502,28 euros brut de congés payés afférents, au titre de l'indemnité compensatrice de préavis due à la société Emboutissage du mail,

Condamner Mme [T] au paiement d'une somme de 8 000 euros net à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait d'une atteinte aux dispositions des articles 9 du code civil et 226-15 du code pénal sur le droit à la vie privée et la violation du secret des correspondances,

Condamner Mme [T] au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,

A titre infiniment subsidiaire,

Si, par extraordinaire, la Cour jugeait que l'effet dévolutif de l'appel de Mme [T] a opéré et qu'elle est saisie des demandes de l'appelante, et qu'en outre, la demande de prise d'acte est justifiée et doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse :

Allouer à Mme [T] une somme égale à 13 200 euros, soit 3 mois de salaire, en application du barème fixé par l'article L.1235-3 du code du travail,

Débouter Mme [T] de l'intégralité de ses autres demandes indemnitaires,

En tout état de cause,

Fixer le salaire de référence de Mme [T] à la somme de 4 400 euros brut,

Juger que les sommes allouées supporteront, s'il y a lieu, les prélèvements de cotisations et contribution sociales applicables.

Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient, au visa de l'article 455 du code de procédure civile, de se reporter aux conclusions des parties susvisées.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 15 mai 2025.

L'affaire, fixée pour être plaidée à l'audience du 25 juin 2025, a été mise en délibéré au

EXPOSE DES MOTIFS

Sur l'effet dévolutif de l'appel :

L'article 2 de l'arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d'appel énonce que :

Lorsqu'ils sont effectués par voie électronique entre avocats, ou entre un avocat et la juridiction, ou entre le ministère public et un avocat, ou entre le ministère public et la juridiction, dans le cadre d'une procédure avec ou sans représentation obligatoire devant la cour d'appel ou son premier président, les envois, remises et notifications mentionnés à l'article 748-1 du code de procédure civile doivent répondre aux garanties fixées par le présent arrêté.

Chapitre Ier : DES CONDITIONS DE FORME DES ACTES DE PROCÉDURE REMIS PAR LA VOIE ÉLECTRONIQUE (Articles 3 à 8)

L'article 3 énonce que :

Le message de données relatif à l'envoi d'un acte de procédure remis par la voie électronique est constitué d'un fichier au format XML destiné à faire l'objet d'un traitement automatisé par une application informatique du destinataire.

Lorsque ce fichier est une déclaration d'appel, il comprend obligatoirement les mentions des alinéas 1 à 4 de l'article 901 du code de procédure civile. En cas de contradiction, ces mentions prévalent sur celles mentionnées dans le document fichier au format PDF visé à l'article 4.

L'article 4 prévoit que :

Lorsqu'un document doit être joint à un acte, ledit acte renvoie expressément à ce document.

Ce document est communiqué sous la forme d'un fichier séparé du fichier visé à l'article 3. Ce document est un fichier au format PDF, produit soit au moyen d'un dispositif de numérisation par scanner si le document à communiquer est établi sur support papier, soit par enregistrement direct au format PDF au moyen de l'outil informatique utilisé pour créer et conserver le document original sous forme numérique.

L'article 5 de l'arrêté prévoit que :

L'acte de procédure remis par un avocat à un service de la cour d'appel sous la forme d'un message de données est adressé au moyen d'un courrier électronique mis en forme et expédié au nom du professionnel par une plate-forme de services de communication électronique sécurisée dénommée " e-barreau ". La plate-forme de services " e-barreau " est opérée par un prestataire de services de confiance agissant sous la responsabilité du conseil national des barreaux.

Les envois et remises au greffe de la cour d'appel des déclarations d'appel et des conclusions du ministère public sont effectués par la voie électronique au moyen d'un message électronique acheminé au sein du réseau privé virtuel justice depuis la boîte électronique dédiée du ministère public, pour les parquets près les tribunaux judiciaires du type " [Courriel 4] " et pour les parquets généraux " [Courriel 5] ".

La réception de ce message génère un avis de réception à destination de son expéditeur.

L'article 6 indique que :

Un courrier électronique expédié par la plate-forme de services " e-barreau " provoque l'envoi d'un avis de réception technique par le destinataire. Cet avis et celui mentionné au dernier alinéa de l'article 5 tiennent lieu de visa par la partie destinataire au sens de l'article 673 du code de procédure civile. L'envoi simultané au greffe et aux parties du fichier les contenant tient lieu de remise au greffe au sens de l'article 906 du code de procédure civile. Les dispositifs techniques du système de messagerie justice adressent automatiquement les avis demandés conformément aux normes et standards en vigueur.

Il a été jugé que :

Selon l'article 901 du code de procédure civile, dans sa version issue du décret n° 2022-245 du 25 février 2022, la déclaration d'appel est faite par acte, comportant le cas échéant une annexe et contenant notamment, à peine de nullité, les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.

En matière de procédure avec représentation obligatoire, l'article 930-1 impose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, la remise des actes de procédure à la juridiction par voie électronique.

Selon l'article 748-1 du code de procédure civile, les envois, remises et notifications des actes de procédure, peuvent être effectués par voie électronique dans les conditions et selon les modalités fixées par le titre XXI du livre 1er du code de procédure civile, sans préjudice des dispositions spéciales imposant l'usage de ce mode de communication et l'article 748-6 de ce code dispose qu'un arrêté du garde des sceaux fixe les conditions relatives aux procédés techniques utilisés.

En application de l'article 4 de l'arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d'appel, modifié par l'article 2 de l'arrêté du 25 février 2022, lorsqu'un document doit être joint à un acte, ledit acte renvoie expressément à ce document.

Une telle prescription est propre aux dispositions relatives aux procédés techniques utilisés en matière de communication électronique et ne constitue pas une formalité substantielle ou d'ordre public, au sens de l'article 114 du code de procédure civile, dont l'inobservation affecterait l'acte en lui-même.

Dès lors, la circonstance que la déclaration d'appel ne renvoie pas expressément à une annexe comportant les chefs de jugement critiqués ne peut donner lieu à la nullité de l'acte en application de l'article 114 précité. Elle ne saurait davantage, en application de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, priver la déclaration d'appel de son effet dévolutif, une telle conséquence étant disproportionnée au regard du but poursuivi.

(2e Civ., 7 mars 2024, pourvoi n° 22-23.522)

En l'espèce, Mme [T] produit en pièces n°33 et 34 la déclaration d'appel effectuée par RPVA telle que figurant au dossier de la cour d'appel.

Il y a plus précisément un fichier pdf intitulé « DA-Resume » du 28 avril 2023 et un fichier DA.xml du même jour.

Sur le premier fichier, sont mentionnés les parties avec l'appelante, son représentant, l'intimée, la décision attachée et s'agissant de l'objet/portée de l'appel « appel limité aux chefs de jugement expressément critiqués ».

Dans le dossier HTML il y a en sus dans une rubrique commentaire DA, la liste de l'ensemble des dispositions du jugement du 06 avril 2023 reproduites.

Il appert que Me Fournier, représentante de Mme [T] a écrit un courriel le 25 mai 2023 au greffe de la cour. Celui-ci figure au dossier. Il fait état d'un entretien téléphonique au sujet d'une difficulté relative à la retranscription par le greffe de la déclaration d'appel dans les termes suivants : « Comme je vous l'indiquais, et vous avez pu le constater, si le récépissé de la DA que j'ai reçu porte bien la mention selon laquelle mon appel est limité aux chefs de jugement expressément critiqués, ces derniers ne sont pas rappelés sur le récépissé de la DA généré automatiquement. Je les ai pour bien indiqués lors de la DA comme vous avez également pu le constater en consultant le fichier html de ma DA où ils sont bien mentionnés. J'ai noté qu'il vous était impossible de faire un 'copier-coller' des mentions apparaissant sur le ficher html pour les rappeler sur le récépissé de la DA qui se génère automatiquement. Compte tenu de cette impossibilité matérielle du RPVA2, je vous confirme avoir contacté le CNB afin de générer un ticket d'incident ».

Il ressort de l'ensemble de ces éléments que Mme [T] a bien expressément et précisément détaillé dans le fichier XML les chefs de jugement critiqués.

Le fait que le fichier PDF ne renvoie pas au fichier XLM est sans incidence quant à l'effet dévolutif de l'appel qui a bien opéré pour l'ensemble des dispositions critiquées du jugement dans le cadre de l'appel principal.

Sur le harcèlement moral :

L'article L.1152-1 du code du travail énonce qu'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L.1152-2 du même code dispose qu'aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir les agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

L'article 1152-4 du code du travail précise que l'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

Sont considérés comme harcèlement moral notamment des pratiques persécutrices, des attitudes et/ou des propos dégradants, des pratiques punitives, notamment des sanctions disciplinaires injustifiées, des retraits de fonction, des humiliations et des attributions de tâches sans rapport avec le poste.

La définition du harcèlement moral a été affinée en y incluant certaines méthodes de gestion en ce que peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de gestion mises en oeuvre par un supérieur hiérarchique lorsqu'elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d'entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits, à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Le harcèlement moral est sanctionné même en l'absence de tout élément intentionnel.

Le harcèlement peut émaner de l'employeur lui-même ou d'un autre salarié de l'entreprise.

Il n'est en outre pas nécessaire que le préjudice se réalise. Il suffit pour le juge de constater la possibilité d'une dégradation de la situation du salarié.

A ce titre, il doit être pris en compte non seulement les avis du médecin du travail mais également ceux du médecin traitant du salarié.

L'article L 1154-1 du code du travail dans sa rédaction postérieure à la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 est relatif à la charge de la preuve du harcèlement moral :

Lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. (Avant cette loi, le salarié devait présenter des faits).

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

La seule obligation du salarié est d'établir la matérialité d'éléments de fait précis et concordants, à charge pour le juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble et non considérés isolément, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, le juge ne pouvant se fonder uniquement sur l'état de santé du salarié mais devant pour autant le prendre en considération.

L'article L 1152-3 du code du travail prévoit que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

Par ailleurs, l'article 1 applicable au litige de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations a ainsi défini le harcèlement discriminatoire.

Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son origine, de son sexe, de sa situation de famille, de sa grossesse, de son apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son patronyme, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, de son état de santé, de sa perte d'autonomie, de son handicap, de ses caractéristiques génétiques, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable.

Constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d'entraîner, pour l'un des motifs mentionnés au premier alinéa, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés.

La discrimination inclut :

1° Tout agissement lié à l'un des motifs mentionnés au premier alinéa et tout agissement à connotation sexuelle, subis par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant;

2° Le fait d'enjoindre à quiconque d'adopter un comportement prohibé par l'article 2.

En l'espèce, Mme [T] n'objective pas les éléments de fait suivants :

- la salariée a affirmé dans son courriel du 15 mai 2020 au dirigeant qu'elle avait été exclue de la revue de fin de mission des commissaires aux comptes de la société. L'employeur a contesté que la salariée ait pu participer à cet entretien qui se tenait une fois par an. Aucun élément extrinsèque ne vient étayer les déclarations de Mme [T], le contrat de travail détaillant les missions de la salariée n'évoque pas cette revue de fin de mission.

- Elle ne peut faire le lien entre les questionnements qu'elle a exprimés en février/mars 2019 au sujet de prélèvements faits par M. [A] sans justificatif fourni sur le compte de la société La Patinière avec un comportement autoritaire qu'elle prête au dirigeant en visant un courriel du 27 septembre 2017 puisque cette communication est largement antérieure. Au demeurant, à la lecture de celui-ci, la tonalité est effectivement ferme mais il s'agit de l'énumération de consignes données non pas seulement à Mme [T] mais à plusieurs salariés de l'entreprise dans le cadre du pouvoir de direction de l'employeur, sans qu'un abus ne soit caractérisé.

En revanche, elle matérialise les éléments de fait suivants :

- alors qu'il ressort du contrat de travail écrit des 1er décembre 2019 et 24 février 2020 que Mme [T] s'est notamment vu confier l'établissement des déclarations fiscales, il apparaît que par courriel du 07 avril 2020 de M. [A], dirigeant, à Mme [K] assistante comptable, il a été décidé de confier au cabinet comptable certaines tâches assurées jusqu'alors en interne et plus particulièrement la déclaration de TVA.

Par courriel en date du 15 mai 2020, Mme [T] a écrit au dirigeant pour évoquer ce retrait de tâches qu'elle a découvert à son retour d'arrêt maladie et qui ne visait pas uniquement son arrêt maladie mais envisageait une relation à durée indéterminée. Ce transfert de la gestion des déclarations de TVA au cabinet comptable a été confirmé par lettre de mission du 02 juillet 2020, étant observé que la salariée a quitté l'entreprise selon courrier de prise d'acte du 16 juillet 2020.

- Par communication interne électronique du 02 septembre 2019 dans le contexte du départ de M. [R], directeur général, M. [A] a annoncé aux membres du CODIR, dont Mme [T], qu'il avait été décidé qu'à compter de cette même date, celui-ci serait 'resserré' et composé de 5 membres : MM. [G], [D], [C], [S] et le dirigeant, M. [A] ; des réunions élargies étant organisées tous les trimestres.

Par courriel du 15 mai 2020, Mme [T] a reproché à son employeur cette éviction de l'organe de direction alors que sa fonction requérait sa participation.

Elle a également observé à juste titre que les seules personnes exclues, Mmes [W], [Y] et elle-même, étaient des femmes et qu'il ne restait plus que des hommes audit comité.

- Dans l'email précité du 15 mai 2020, la salariée a déploré également d'avoir été évincée de réunions organisées par le dirigeant et entrant dans son champ de compétences : budget des investissements, coûts de revient...

- Les parties s'accordent sur le fait que M. [A] a repris en partie la gestion de la trésorerie en février 2020 mais leurs explications divergent quant à la cause de cette décision, Mme [T] contestant tout manquement de sa part alors que l'employeur a mis en avant des retards de paiement de factures de la société.

- Alors que la salariée était en arrêt maladie et qu'elle s'est plainte de manière circonstanciée par courriel du 15 mai 2020 à M. [A] de la dégradation de ses conditions de travail, il est produit des courriers adressés par la SOFIM, EDM SODUSI et Chimic Metal à la BNP Paribas et au Crédit agricole Sud Rhône-Alpes en date des 17 juin 2020 révoquant les procurations bancaires de Mme [T] sur les comptes de cette société.

- Dans son courriel du 15 mai 2020, Mme [T] a situé la dégradation de sa collaboration avec l'entreprise au moment d'un désaccord qu'elle a eu avec le dirigeant qui, soutient-elle, voulait lui imposer de procéder à des opérations comptables qu'elle a qualifiées de répréhensibles au regard de la loi et de la déontologie comptable. Elle ajoute avoir demandé à plusieurs reprises au dirigeant de se justifier sans obtenir de réponse et avoir fait part de son désaccord au cabinet d'expertise-comptable Abelia, qui a demandé au dirigeant de régulariser la situation ; ce qui lui avait déplu.

Les interrogations et demandes de justificatifs de Mme [T] au dirigeant sur des décaissements effectués sur la société La Patiniere apparaissent effectivement dans des courriels des 23 juillet 2018 (facture de meubles pour 4672 euros), 19 février 2019 (PV de l'AG pour les 3600 euros réglés au Notaire [B]), 19 février 2019 (justificatif pour les 15500 euros versés à Me [U]) et 01 mars 2019 (au sujet du justificatif de la somme précitée de 3900 euros). Une facture pour des meubles du 20 juillet 2018 est produite. Un échange de courriels du 1er mars 2019 met en évidence que Mme [T] a communiqué avec M. [H] du cabinet de comptable Abelia au sujet de ces justificatifs à fournir.

- Dans son courriel précité du 15 mai 2020, Mme [T] a exposé qu'elle avait repris son poste le 12 mai à son retour d'arrêt maladie et que M. [A] l'avait convoquée pour l'informer verbalement de son licenciement pour motif économique en lui reprochant de ne pas l'avoir informé de courriers, des retards dans le règlement des fournisseurs et de le non-prise en compte de la taxe foncière. Elle considère que ces griefs n'étaient aucunement justifiés.

Il est produit aux débats un courriel du 12 mai 2020 à 10h55 de M. [A] à Mme [T] avec pour objet 'télétravail', dans lequel le premier a informé la seconde qu'elle était placée en télétravail dans le cadre du protocole de déconfinement du ministère du travail du 3 mai précédent. Mme [T] lui a fait part de son étonnement par une réponse du même jour à 11h29 au motif qu'elle s'était vu notifier verbalement son licenciement pour motif économique le matin même et a demandé quelle solution elle devait retenir. Le dirigeant a répondu immédiatement à 11h30 de manière succincte : « le télétravail jusqu'à nouvel ordre. »

Dans le courriel précité du 15 mai 2020, elle a reproché à son employeur de subir un traitement inéquitable par rapport aux autres salariés qui ne sont en télétravail que certains jours de la semaine et de n'avoir pas à sa disposition l'ensemble des moyens nécessaires à l'exécution de ses missions (défaut de liste des tâches à réaliser eu égard au transfert de certaines activités en sous-traitance, pas de codes et des accès pour se connecter sur les sites des banques, fournisseurs et BPI, pas d'imprimante, pas d'accès aux factures et autres documents).

Le conseil de la salariée a écrit à l'employeur par lettre du 02 juin 2020 en lui énonçant un certain nombre de griefs, revenant sur l'entretien du 12 mai 2020 au cours duquel la salariée a affirmé avoir fait l'objet d'un licenciement verbal, du fait qu'elle avait été évincée du CODIR et démise progressivement de ses fonctions. Le conseil de Mme [T] a insisté également sur le fait que cette dernière ne disposait pas des moyens nécessaires pour effectuer du télétravail. Il a été fait un lien entre la dégradation de son état de santé et celle de ses conditions de travail.

Par courriel du 04 juin 2020, la salariée a de nouveau alerté l'employeur sur sa situation et sur l'absence de mise à disposition des moyens adéquats pour pouvoir effectuer ses missions en télétravail.

- Le conseil de Mme [T] a écrit à l'employeur le 6 juillet 2020 pour l'informer de sa saisine du même jour du conseil de prud'hommes en résiliation judiciaire du contrat de travail, en joignant la requête et les pièces.

- Ensuite d'un arrêt de travail du 11 juin au 10 juillet 2020, l'employeur a pris acte le 13 juillet de la reprise du travail de la salariée mais se prévalant d'une modification des règles relatives au télétravail, lui a demandé de revenir sur site à compter du 15 juillet 2020. Par correspondance électronique du même jour, Mme [T] a refusé de reprendre ses missions en présentiel tant qu'elle n'aurait pas bénéficié d'une visite à la médecine du travail, invoquant son licenciement verbal par M. [A] et la dégradation de leurs relations de travail.

Par courriel du 14 juillet 2020, M. [A] a répondu à la salariée dans les termes suivants :

« Je réponds directement à ton mail puisque je constate que tu poursuis ta démarche qui consiste à chercher à nous mettre en défaut en m'accusant de tous les maux. Personne n'est dupe de la réalité de tes motivations. Tu n'as reçu aucune consigne quant à ta reprise car tu n'as pas pris la peine de nous aviser de la non prolongation de ton arrêt de travail, situation que nous ne pouvions anticiper après avoir reçu mercredi dernier une requête prud'homale au travers de laquelle tu prétends être victime de harcèlement de ma part pour tenter de justifier une demande indemnitaire de 100 Keuros. Dans le cas contraire, nous aurions pu à la fois t'expliquer que conformément à l'évolution du protocole sanitaire, nous avions mis un terme à la situation de télétravail mais aussi anticiper ta visite de reprise auprès de la médecine du travail. Personne ne nie le fait que tu fasses parti des effectifs, nous avons simplement respecté ton placement en arrêt maladie en ne t'adressant pas de communication inutile tant que tu n'étais pas en situation de reprise. Tu n'as pas été licenciée verbalement, tu étais placée en télétravail comme nos autres collaborateurs en capacité de télétravailler et je te demande aujourd'hui de reprendre ton poste sur site comme tout le monde. Ce n'est pas à toi de décider de la manière d'exercer des fonctions. Je constate à cet égard qu'après avoir argué d'une prétendue dégradation de nos relations à compter de mars 2019, n'hésitant pas à aller jusqu'à invoquer un acharnement de ma part à ton égard, ce que tu sais être parfaitement faux, tu cherches désormais à faire croire que tu redouterais mes réactions suite à notre entretien du 12 mai. Je t'ai effectivement mise face à différents manquements que j'ai découverts durant ton absence et qui ne sont pas dignes de tes fonctions et de ma confiance. Quoi qu'il en soit, j'ai mandaté [Z] [Y] pour qu'elle saisisse notre CSE de cette situation de sorte qu'une enquête soit menée, comme il est de coutume de le faire en présence d'une alerte sur des faits de harcèlement ; cette implication des représentants du personnel et de la médecine du travail qui sera invitée à y participer étant par ailleurs de nature à assurer la sérénité de ton retour à ton poste. Nous avons sollicité une convocation à ta visite de reprise via la plate-forme prévue à cet effet et nous t'aviserons de la date et de l'heure de cette visite dès réception de ladite convocation. ».

Dans une correspondance électronique du lendemain, M. [A] a informé la salariée que le médecin du travail étant en congés, il ne lui serait pas communiqué de date avant la semaine suivante, a constaté que la salariée ne s'était pas présentée à son poste et lui a demandé de reprendre son poste sur site dès le lendemain matin.

- Par lettre du 16 juillet 2020, Mme [T] a pris acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur aux motifs que son employeur avait entendu lui imposer un retour sur site avant qu'elle ne puisse rencontrer le médecin du travail alors que leurs relations s'étaient dégradées depuis plusieurs mois et qu'elle s'était vu progressivement retirer diverses missions ainsi que reprocher sa saisine du conseil de prud'hommes, pourtant précédée de courriers de son conseil auxquels l'employeur n'avait pas répondu.

- Mme [T] a été placée en arrêt maladie du 11 juin au 10 juillet puis du 15 au 25 juillet 2020.
Selon certificat en date du 31 août 2020, le docteur [F] a attesté avoir suivi de mars à juillet 2020 Mme [T], qui lui a déclaré être victime de harcèlement moral. Le praticien indique avoir diagnostiqué un « trouble anxieux généralisé/troubles du sommeil. Suivi psychologique ».

Pris dans leur ensemble, ces éléments de fait laissent présumer l'existence d'agissements de harcèlement moral en ce qu'il est objectivé un retrait progressif de certaines missions et responsabilités confiées à la salariée, le cas échéant, avec une composante discriminatoire à raison du sexe s'agissant de l'éviction du CODIR, des relations de travail dégradées avec le gérant avec des répercutions sur l'état de santé et une différence de traitement défavorable par rapport à d'autres salariés dans la mise en 'uvre du télétravail.

D'une première part, concernant l'origine alléguée du conflit entre Mme [T] et M. [A], la société Emboutissage du mail produit certes le témoignage de M. [J], expert-comptable du groupe Sofim précisant « s'agissant des opérations effectuées sur la société La Patinière, et notamment l'avance de fond de 15000 euros, celle-ci a été jugée régulière et n'appelle aucune observation ».

Toutefois, aucune pièce comptable ne vient étayer cette affirmation alors même que M. [H], du cabinet comptable Abelia, avait spécifiquement sollicité Mme [T] le 1er mars 2019 pour savoir s'il lui avait été fourni un justificatif pour le montant de 3600 euros sur le compte 4090100.

Il ressort des explications de l'employeur qu'il s'est agi d'avances faites par la société La Patinière à M. [A] pour l'acquisition de son bien immobilier qui ont ensuite fait l'objet d'une régularisation, la cour comprenant que le second a remboursé les sommes décaissées à son bénéfice à sa société.

Or, ceci n'invalide pas les éléments fournis par Mme [T] qui soutient que ces paiements ont été faits sans justificatif et ont été remboursés ensuite par le gérant à la demande de cabinet comptable.

D'une seconde part, s'agissant de la non-prise en compte de la taxe foncière refacturée à la société Emboutissage du mail par Mme [T] reprochée par l'employeur à la salariée d'après le courriel du 15 mai 2020, l'employeur établit suffisamment par l'attestation de M. [H], comptable prestataire de l'entreprise, qu'une omission avait bien eu lieu à ce titre pour un montant de 43917 euros selon facture du 13 septembre 2029. Le cabinet de comptabilité avait en effet noté une sous-évaluation des charges l'ayant amené à s'interroger.

Cette problématique est confirmée par le témoignage de M. [J], expert-comptable du groupe SOFIM, qui a observé la non-prise en compte de la taxe foncière 2019 dans la comptabilité de la société La Patinière.

M. [H] a également expliqué de manière détaillée la refacturation de la taxe foncière de la société La Patinière à la société Emboutissage du mail par courriel du 17 mars 2020. Il en ressort en particulier que la TVA prélevée sur la société La Patinière en octobre 2019 à hauteur de 43917 euros n'a été transmise à l'expert-comptable qu'en mars 2020 de sorte qu'il y a lieu d'ajouter comme charge sur la société Emboutissage du mail après prise en compte d'opérations antérieures la somme de 27870 euros.

Il s'ensuit que ce reproche formulé par l'employeur à la salariée n'était pas injustifié quoique Mme [T] ait avancé que tant que les comptes n'étaient pas arrêtés, il était toujours possible d'effectuer des modifications.

D'une troisième part, l'employeur démontre de l'aveu même de la salariée que celle-ci avait omis de déclarer la TVA de novembre 2019 pour la société Sofim ; ce qui a généré un courrier de l'administration fiscale du 10 janvier 2020 avec une majoration de 10 % de l'impôt.

Mme [T], prétend avoir formulé une demande de recours gracieux finalement acceptée. La réalité de cette démarche de la salariée est corroborée par le témoignage de l'expert-comptable, M. [J], qui observe toutefois que Mme [T] n'avait pas le pouvoir de signature.

Le non-règlement de la TVA de novembre 2019 a en réalité été portée à l'attention du chef d'entreprise par le courriel de M. [J] à M. [A] le 12 mars 2020 lorsque l'expert-comptable a repris diverses missions dont les déclarations de TVA, à la suite de la première période d'arrêt maladie de Mme [T].

Si la société Emboutissage du mail apporte une justification légitime au fait qu'elle a confié à un prestataire externe pendant l'arrêt maladie de la salariée diverses missions jusqu'alors exercées par Mme [T] pour assurer la continuité de la tenue de la comptabilité et qu'elle pouvait le cas échéant modifier à la marge les missions de Mme [T], suite aux difficultés rencontrées pour effectuer la déclaration de TVA, elle ne fournit en revanche aucune justification étrangère à tout harcèlement moral au fait d'avoir en définitive retiré l'essentiel des responsabilités et missions de la salariée dans le cadre de la sous-traitance décidée selon lettre de mission du 2 juillet 2020 alors même que Mme [J] était toujours dans les effectifs de l'entreprise.

Contrairement à ce que soutient l'employeur, il ne s'agit aucunement d'une situation temporaire liée à l'arrêt maladie de Mme [T] mais bien d'une décision de réorganisation économique prise par le gérant ainsi que cela ressort clairement de l'exposé du cadre de la mission régularisée le 02 juillet 2020 entre MM. [J] et [A] : « Au 1er trimestre, après réflexion sur l'organisation administrative de votre groupe, vous avez pris la décision de supprimer le poste de responsable administratif et financier afin d'optimiser les coûts des fonctions indirects au profit des fonctions de production et de supports. Cette décision s'est trouvée renforcée par le contexte de la crise sanitaire et de ses conséquences durables sur l'économie et sur la situation financière du groupe. Aussi vous avez souhaité reprendre directement la responsabilité du pôle financier et comptable en recourant à une assistance plus régulière et tous les mois de notre cabinet. Il convient donc de réactualiser les termes et modalités de notre intervention, compte tenu des modifications intervenues. (') ».

Ce recours à la sous-traitance acte sans conteste la suppression du poste de Mme [T], responsable administrative et financière dans la configuration résultant de son contrat de travail; ce qui en définitive corrobore le fait que l'employeur a annoncé à Mme [T] son licenciement pour motif économique le 12 mai 2020 avant de se raviser rapidement pour la placer en télétravail l'ensemble des jours de la semaine au retour de son premier arrêt maladie.

L'attestation de M. [G] n'est pas de nature à contredire la volonté de l'employeur de se séparer de la salariée eu égard aux termes très précis de la lettre de mission signée le 02 juillet 2020 avec le cabinet d'expertise-comptable officialisant un recours accru à la sous-traitance s'agissant de la comptabilité, dans la mesure où celui-ci, de son aveu même n'était pas présent à l'entretien du 12 juillet 2020 entre M. [A] et Mme [T] puisqu'il passait devant la porte du bureau tout au plus et n'a saisi que des bribes de conversation et notamment que la salariée a selon lui déclaré « Si je pars, vous avez plus à perdre que moi » et qu'il est surtout un cadre dirigeant de l'entreprise puisqu'il venait d'être nommé directeur général délégué, rendant son témoignage particulièrement peu probant, même après rectification de l'erreur de date commise initialement.

D'une quatrième part, l'employeur justifie par des éléments étrangers à tout harcèlement discriminatoire que l'éviction du CODIR de Mme [T] ne s'est pas faite à raison de la circonstance qu'elle était une femme et afin d'amoindrir ses responsabilités. En effet, la société Emboutissage du mail produit aux débats une restitution d'un rapport du cabinet Scopexec du 16 mai 2019 préconisant un resserrement du CODIR afin qu'il devienne un véritable organe décisionnel, en le limitant à 5 membres : le président et MM. [G], [D], [S] et [C].

Le consultant a proposé que le comité de direction tel qu'il existait alors pourrait être transformé en comité de pilotage se réunissant trimestriellement à des fins de reporting et d'information.

La société a suivi ces recommandations à l'occasion du départ de M. [R], directeur général. M. [A] a officialisé le fait que M. [G] devienne directeur général délégué d'Emboutissage du mail et prenne le titre de directeur des opérations, en remplacement de M. [R], que M. [D] devienne directeur industriel et M. [S] soit nommé directeur du développement.

Elle a également annoncé l'évolution du CODIR dans sa version actuelle vers une réunion trimestrielle.

L'employeur argue également de manière fondée que Mme [T] ne précise pas de quelles autres réunions elle aurait été exclue au titre du suivi comptable et budgétaire.

D'une cinquième part, l'employeur manque de justifier les raisons pour lesquelles il a décidé de reprendre davantage le contrôle de la trésorerie. En effet, il produit certes aux débats un courriel de la société Sales Dpt-Export à Mme [W], responsable achat de la société Emboutissage du mail, du 10 février 2020 qui s'est plainte du non-paiement de la facture janvier. Mme [W] a sollicité des explications de Mme [T] avec M. [A] en copie par courriel du 10 février 2020 ; celui-ci ayant décidé par courriel du 11 février qu'aucun décalage de règlement fournisseur ne pourrait plus être effectué sans son approbation. Toutefois, aucune imputabilité à Mme [T] dans ce retard de paiement de diverses factures n'est établie. De précédents échanges entre Mmes [W] et [T] des 6 et 8 janvier 2020 mettent en évidence que la première avait remis avec retard diverses factures et que la seconde avait indiqué qu'elles ne pourraient être réglées que progressivement eu égard à la situation de trésorerie.

Dans un courriel du 18 février 2020, Mme [T] a de surcroît apporté des explications circonstanciées aux retards de paiement des fournisseurs :

- une validation tardive de l'affacturage BPI

- un manque de trésorerie lié à des sorties de fonds importantes fin 2019 (250k euros sur Sofim pour le départ de M. [R]/50 k euros d'actions réglées à M. [R] sur Sofim et acompte de 91500 euros sur Emboutissage du mail pour le laser) réalisées sur fond propre.

- la nécessaire priorité à donner aux salaires charges, sociales, TVA et autres taxes,

- le retard dans la transmission par Mme [W] de factures pour un montant de 100k euros

Elle produit également aux débats des échanges internes dont il ressort que la direction avait décidé en octobre 2019 de ne pas renouveler une facilité de caisse de 50 k euros auprès de la Caisse d'épargne.

Des échanges de courriels des 18 et 19 février 2020 entre notamment M. [A] et Mme [T] mettent en évidence que celle-ci a recensé les factures en retard de paiement et que le dirigeant a fait des arbitrages, la salariée étant dans son rôle de questionner les conséquences de certains choix en sa qualité de responsable financière, quoiqu'en définitive, la société justifie avoir négocié des délais de paiement avec des fournisseurs.

Pour autant, le retard dans le paiement des factures n'est manifestement pas de la responsabilité de Mme [T] et la reprise en main de la gestion de trésorerie par M. [A] s'inscrit en réalité dans le projet de réorganisation de la direction administrative et financière ayant abouti à décider d'une sous-traitance significative de tâches comptables, financières et fiscales jusqu'alors assumées par la salariée de manière définitive à un cabinet d'expertise-comptable, les arrêts maladie de Mme [T] n'ayant en définitive que contribué à avancer la mise en 'uvre de ce projet.

D'une sixième part, l'employeur manque de justifier par des motifs étrangers à tout harcèlement moral la révocation définitive de toutes les procurations dont Mme [T] bénéficiait sur les comptes des sociétés dont elle assurait le suivi comptable par les observations des commissaires aux comptes des 24 mars 2016 et 05 avril 2017. Celles-ci sont en effet fort anciennes et si elles pouvaient conduire à fixer un plafond d'autorisation ou à sélectionner certains comptes pour lesquels Mme [T] allait conserver procuration, elles ne sauraient donner une légitimité à la décision de l'employeur. Celle-ci a été prise au demeurant pendant une période d'arrêt maladie de la salariée, qui opère seulement suspension du contrat de travail, si bien qu'il n'était pas particulièrement nécessaire de révoquer définitivement toutes les procurations.

Là encore, cette décision du 17 juin 2020 s'inscrit encore sans conteste dans la décision prise par l'employeur de réorganiser le service comptable et financier avec la reprise en direct par le dirigeant d'une partie des tâches et la sous-traitance d'autres à un cabinet d'expertise-comptable avec pour conséquence un appauvrissement significatif des missions et responsabilités de la salariée.

D'une septième part, la circonstance qu'en novembre 2019, M. [A] se soit proposé d'intervenir pour un rendez-vous chez le neurologue pour la mère de la salariée ou qu'il lui ait proposé le 17 janvier 2020 des places gratuites pour un match de la ligue auquel il ne pouvait pas assister ne saurait exclure l'existence d'une détérioration progressive des relations entre les parties qui s'est manifestée de manière de plus en plus prégnante à partir des mois mars de février/mars 2020, davantage qu'en février/mars 2019 comme le prétend la salariée.

D'une huitième part, si l'employeur établit par sa pièce n°27 que Mme [T] a continué à travailler en télétravail, la cour observe qu'il s'est agi pour l'essentiel de relances de factures impayées et que l'employeur ne justifie pas de manière convaincante qu'elle avait à sa disposition les moyens nécessaires à la réalisation de la plénitude de ses missions. La salariée a en effet alerté M. [A] dès le 15 mai 2020 sur les difficultés auxquelles elle était confrontée dans le cadre du télétravail total auquel elle était soumise depuis sa reprise et l'employeur ne saurait désormais prétendre que la salariée aurait pu d'initiative se rendre au siège de l'entreprise pour photocopier les mots de passe alors qu'il lui avait été donné pour instruction de rester en télétravail jusqu'à nouvel ordre, selon une consigne impérative qui ne souffrait d'aucune discussion. Si l'employeur établit que d'autres salariés ont vu leurs dépenses de consommables et d'imprimantes couvertes par la société, celle-ci manque de démontrer qu'elle s'est assurée que Mme [T] en avait bien une à sa disposition alors qu'elle avait indiqué que tel n'était pas le cas dans le mail précité.

D'une neuvième part, si l'employeur démontre qu'il a diffusé une note de service le 19 juin 2020 pour annoncer la modification des règles sanitaires dans le cadre de la pandémie de covid 19 avec la fin du télétravail pour les salariés concernés, il ne démontre pour autant pas que d'autres salariés étaient en télétravail complet comme Mme [T], ce qui ne saurait résulter de la seule attestation de Mme [Y] du 22 décembre 2020, en sa qualité de responsable des ressources humaines puisqu'elle n'énumère pas les salariés concernés empêchant toute vérification. Cette note est uniquement de nature à justifier la demande faite par la société à l'issue de l'arrêt de travail du 10 juillet 2020 de reprise sur site à la salariée.

D'une dixième part, si la société Emboutissage du mail démontre que son dirigeant a saisi le CSE pour une enquête le 14 juillet 2020 suite aux accusations de harcèlement moral portées par Mme [T] à l'égard de M. [A] pour expliquer son refus de revenir travailler en présentiel tant qu'elle n'aurait pas rencontré le médecin du travail, il n'en demeure pas moins que l'alerte de la salariée sur la dégradation de ses conditions de travail était déjà manifeste dans le cadre de sa correspondance du 15 mai 2020 et dans celle de son conseil du 02 juin 2020 réitérée le 06 juillet 2020 par la transmission de la requête en résiliation judiciaire. Cette initiative de l'employeur est dès lors beaucoup trop tardive pour être utile, étant rappelé que la salariée a pris acte de la rupture de son contrat de travail par courrier du 16 juillet 2020. Si le compte-rendu d'enquête produit aux débats en date du 27 novembre 2020 aboutit à des conclusions selon lesquelles il n'y a pas eu de harcèlement moral, étant observé que la salariée n'a pas souhaité y participer dès lors notamment qu'elle avait quitté l'entreprise, force est de constater que le dirigeant a confirmé la dégradation de ses relations avec Mme [T]. Il a mis en avant certaines de ses erreurs et une perte de confiance, étant observé que certains reproches faits à la salariée n'étaient en définitive pas justifiés. M. [A] a également assumé d'avoir mis sous contrôle la salariée ; ce qui revient en définitive à limiter son niveau de responsabilité et son degré d'autonomie dans l'exécution de ses tâches, et ce, sans pour autant avoir mis en 'uvre une procédure disciplinaire.

La salariée n'a en conséquence effectivement pas déféré à l'ordre donné de revenir travailler en présentiel mais cette abstention n'est au vu des éléments de contexte pas jugée fautive et ce, d'autant moins au vu du courriel précité qu'a adressé le 14 juillet 2020 M. [A] à Mme [T] dans lequel le dirigeant commente de manière particulièrement dépréciative l'initiative de la salariée ayant consisté à saisir le conseil de prud'hommes en résiliation judiciaire du contrat de travail.

Faute pour l'employeur d'apporter des justifications suffisantes à l'ensemble des éléments de fait objectivés par Mme [T], il convient par infirmation du jugement entrepris de dire que Mme [T] a été victime d'agissements de harcèlement moral de la part de son employeur.

Sans indemniser les conséquences d'une éventuelle maladie professionnelle et a fortiori d'une hypothétique faute inexcusable, Mme [T] a subi pendant plusieurs mois au cours de l'année 2020 des conditions de travail dégradées lui ayant causé un préjudice moral.

Infirmant le jugement entrepris, il convient de condamner la société Emboutissage du mail à payer à Mme [T] la somme de 8000 euros net à titre de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral.

Sur l'exécution fautive du contrat de travail :

Au visa de l'article L 1222-1 du code du travail, Mme [T] ne saurait sous une autre qualification juridique obtenir une double indemnisation pour un même préjudice dans la mesure où elle développe au titre de l'exécution fautive/déloyale du contrat de travail les mêmes moyens que ceux avancés au titre du harcèlement moral par ailleurs reconnu.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mme [T] de sa demande indemnitaire au titre du manquement de l'employeur à son obligation de loyauté.

Sur l'obligation de prévention et de sécurité et le non-respect du suivi de la convention de forfait-jours :

L'employeur a une obligation s'agissant de la sécurité et de la santé des salariés dont il ne peut le cas échéant s'exonérer que s'il établit qu'il a pris toutes les mesures nécessaires et adaptées énoncées aux articles L 4121-1 et L 4121-2 du code du travail ou en cas de faute exclusive de la victime ou encore de force majeure.

L'article L 1152-4 du code du travail dispose que :

L'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

Les personnes mentionnées à l'article L. 1152-2 sont informées par tout moyen du texte de l'article 222-33-2 du code pénal.

L'article 14 de l'accord national du 28 juillet 1998 sur l'organisation du travail dans la métallurgie dans sa version applicable au litige énonce que :

14.1. Salariés visés

Conformément à l'article L. 212-15-3, III, du code du travail, la formule du forfait défini en jours sur l'année peut être convenue avec les salariés qui ne sont pas occupés selon l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe auquel ils sont intégrés, de telle sorte que la durée de leur temps de travail ne soit pas prédéterminée.

Les salariés doivent disposer, soit en application d'une disposition spécifique de leur contrat de travail, soit en raison des conditions d'exercice de leur fonction, d'une réelle autonomie dans l'organisation journalière de leur emploi du temps.

Dans le cadre de l'exécution de la prestation de travail découlant de leur contrat de travail, les salariés ne sont pas soumis à un contrôle de leurs horaires de travail.

Nonobstant tout accord collectif de branche antérieur au 3 mars 2006, le forfait en jours sur l'année peut être conclu avec toutes les catégories de salariés, sous réserve des conditions particulières suivantes qui ont un caractère impératif au sens de l'article L. 132-23, alinéa 4, du code du travail :

1. Lorsque le salarié a la qualité de cadre, sa fonction, telle qu'elle résulte du contrat de travail, doit être classée, selon la classification définie à l'article 22 de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972 modifiée, à un coefficient supérieur à 76.

2. Lorsque le salarié n'a pas la qualité de cadre, la possibilité de conclure un forfait en jours sur l'année est subordonnée à l'accord individuel écrit de l'intéressé et le refus de celui-ci ne saurait justifier, à lui seul, une rupture de son contrat de travail. Cette possibilité est limitée aux types de fonctions et niveaux de classement ci-après :

- pour les fonctions de montage sur chantiers extérieurs à l'établissement de référence, le classement, tel qu'il résulte de la classification définie à l'article 3 de l'accord national du 21 juillet 1975, doit être égal ou supérieur à 190 ;

- pour les fonctions itinérantes (notamment, commerciales, technico-commerciales, d'inspection, de contrôle technique) et celles de technicien de bureau d'études (notamment, de recherche et développement, de méthodes, de prototypes, d'essai), de maintenance industrielle extérieure à l'établissement de référence ou de service après-vente (notamment de dépannage, le classement, tel qu'il résulte de la classification définie à l'article 3 de l'accord national du 21 juillet 1975, doit être égal ou supérieur à 215 ;

- pour les fonctions d'agent de maîtrise, le classement, tel qu'il résulte de la classification définie à l'article 3 de l'accord national du 21 juillet 1975. doit être égal ou supérieur à 240.

14.2. Régime juridique

Le contrat de travail définit les caractéristiques de la fonction qui justifient l'autonomie dont dispose le salarié pour l'exécution de cette fonction.

Le contrat de travail détermine le nombre de jours sur la base duquel le forfait est défini. Une fois déduits du nombre total des jours de l'année les jours de repos hebdomadaire, les jours de congés légaux et conventionnels auxquels le salarié peut prétendre et les jours de réduction d'horaire, le nombre de jours travaillés sur la base duquel le forfait est défini ne peut excéder, pour une année complète de travail, le plafond visé à l'article L. 212-15-3, III, du code du travail. Toutefois, l'employeur peut proposer au salarié de renoncer à une partie des jours de réduction d'horaire visés ci-dessus. Cette renonciation doit faire l'objet d'un avenant écrit au contrat de travail du salarié précisant le nombre annuel de jours de travail supplémentaires qu'entraîne cette renonciation, ainsi que la ou les périodes annuelles sur lesquelles elle porte.

Pour les salariés ne bénéficiant pas d'un congé annuel complet, le nombre de jours de travail est augmenté à concurrence du nombre de jours de congés légaux et conventionnels auxquels le salarié ne peut prétendre.

Le temps de travail peut être réparti sur certains ou sur tous les jours ouvrables de la semaine, en journées ou demi-journées de travail. Cette répartition doit tenir compte de la prise des jours de réduction d'horaire. Le comité d'entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel devront être consultés sur cette répartition.

Le jour de repos hebdomadaire est en principe le dimanche, sauf dérogation dans les conditions fixées par les dispositions législatives et conventionnelles en vigueur.

Le contrat de travail peut prévoir des périodes de présence nécessaires au bon fonctionnement de l'entreprise.

Le salarié doit bénéficier d'un temps de repos quotidien d'au moins 11 heures consécutives, sauf dérogation dans les conditions fixées par les dispositions législatives et conventionnelles en vigueur.

Le salarié doit également bénéficier d'un temps de repos hebdomadaire de 24 heures auquel s'ajoute le repos quotidien de 11 heures, sauf dérogation dans les conditions fixées par les dispositions législatives et conventionnelles en vigueur.

Le forfait en jours s'accompagne d'un contrôle du nombre de jours travaillés. Afin de décompter le nombre de journées ou de demi-journées travaillées, ainsi que celui des journées ou demi-journées de repos prises, l'employeur est tenu d'établir un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées, ainsi que le positionnement et la qualification des jours de repos en repos hebdomadaires, congés payés, congés conventionnels ou jours de repos au titre de la réduction du temps de travail auxquels le salarié n'a pas renoncé dans le cadre de l'avenant à son contrat de travail visé au 2e alinéa ci-dessus. Ce document peut être tenu par le salarié sous la responsabilité de l'employeur.

Le supérieur hiérarchique du salarié ayant conclu une convention de forfait défini en jours assure le suivi régulier de l'organisation du travail de l'intéressé et de sa charge de travail.

En outre, le salarié ayant conclu une convention de forfait défini en jours bénéficie, chaque année, d'un entretien avec son supérieur hiérarchique au cours duquel seront évoquées l'organisation et la charge de travail de l'intéressé et l'amplitude de ses journées d'activité. Cette amplitude et cette charge de travail devront rester raisonnables et assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail des intéressés. A cet effet, l'employeur affichera dans l'entreprise le début et la fin de la période quotidienne du temps de repos minimal obligatoire visé à l'alinéa 7 ci-dessus. Un accord d'entreprise ou d'établissement peut prévoir d'autres modalités pour assurer le respect de cette obligation.

Les modalités d'affectation, sur un compte épargne-temps, des journées ou demi-journées de repos non prises dans le courant de l'année sont déterminées au niveau de chaque entreprise ou établissement selon le régime de compte épargne-temps applicable.

En l'espèce, l'employeur n'a pas pris les mesures nécessaires pour préserver la santé et la sécurité de Mme [T] puisqu'il a été utilement et clairement alerté sur la dégradation de ses conditions de travail le 15 mai 2020 mais n'a saisi le CSE pour enquête que le 14 juillet 2020, postérieurement à la saisine le 06 juillet 2020 de la juridiction prud'homale par la salariée en résiliation judiciaire du contrat de travail, notamment pour des faits de harcèlement moral, étant observé que dans l'intervalle, l'attention de l'employeur avait de nouveau été vainement attirée par la salariée et son conseil sur les difficultés rencontrées par Mme [T].

En outre, alors que la salariée était soumise à un forfait en jours depuis le 23 février 2016, l'employeur manque de justifier des entretiens annuels et du suivi de la charge de travail par le supérieur hiérarchique, se limitant à produire un récapitulatif des jours travaillés et de repos.

Sans indemniser les conséquences des manquements de l'employeur sur l'état de santé de la salariée, Mme [T] a subi un préjudice à raison à la fois du manquement partiel de l'employeur à son obligation de prévention et de sécurité et du fait qu'il n'a pas procédé au suivi de la charge de travail de la salariée.

Infirmant le jugement entrepris, il convient de condamner la société Emboutissage du mail à payer à Mme [T] la somme de 3000 euros net à titre de dommages et intérêts de ce chef, le surplus de la demande à ce titre étant rejeté.

Sur la prise d'acte :

La prise d'acte est un mode de rupture du contrat de travail par lequel le salarié met un terme à son contrat en se fondant sur des manquements qu'il reproche à son employeur.

Elle n'est soumise à aucun formalisme en particulier mais doit être adressée directement à l'employeur.

Elle met de manière immédiate un terme au contrat de travail.

Pour que la prise d'acte produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, les manquements invoqués par le salarié doivent non seulement être établis, mais ils doivent de surcroît être suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail.

A défaut, la prise d'acte est requalifiée en démission.

Pour évaluer si les griefs du salarié sont fondés et justifient que la prise d'acte produise les effets d'un licenciement, les juges doivent prendre en compte la totalité des reproches formulés par le salarié et ne peuvent pas en laisser de côté : l'appréciation doit être globale et non manquement par manquement.

Par ailleurs, il peut être tenu compte dans l'appréciation de la gravité des manquements de l'employeur d'une éventuelle régularisation de ceux-ci avant la prise d'acte.

En principe, sous la réserve de règles probatoires spécifiques à certains manquements allégués de l'employeur, c'est au salarié, et à lui seul, qu'il incombe d'établir les faits allégués à l'encontre de l'employeur. S'il n'est pas en mesure de le faire, s'il subsiste un doute sur la réalité des faits invoqués à l'appui de sa prise d'acte, celle-ci doit produire les effets d'une démission.

Lorsque la prise d'acte est justifiée, elle produit les effets selon le cas d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou nul de sorte que le salarié peut obtenir l'indemnisation du préjudice à raison de la rupture injustifiée, une indemnité compensatrice de préavis ainsi que l'indemnité de licenciement, qui est toutefois calculée sans tenir compte du préavis non exécuté dès lors que la prise d'acte produit un effet immédiat.

Par ailleurs, le salarié n'est pas fondé à obtenir une indemnité à raison de l'irrégularité de la procédure de licenciement.

L'article L 1152-3 du code du travail prévoit que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

En l'espèce, il est jugé que Mme [T] a été victime de harcèlement moral qui n'avait pas cessé au jour de sa prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur par courrier du 16 juillet 2020 de sorte que les manquements de l'employeur étaient suffisamment graves pour avoir empêché la poursuite du contrat de travail.

Infirmant le jugement entrepris, il convient de requalifier la prise d'acte en licenciement nul.

Dès lors que la rupture est aux torts de l'employeur, il convient par infirmation du jugement entrepris de condamner la société Emboutissage du mail à payer à Mme [T] les sommes suivantes :

- 7924,57 euros net à titre d'indemnité de licenciement

- 15022,88 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 1502,28 euros brut à titre de congés payés afférents.

Au visa des articles L 1235-3-1 et L 1235-3-2 du code du travail, Mme [T] ne justifie pas particulièrement de sa situation au regard de l'emploi après la rupture du contrat de travail alors que l'employeur met en évidence par un rapport dressé par un enquêteur privé qu'elle a été engagée dès le 22 juillet 2020 en qualité de responsable RH et administratif par la société Cherry Rocher Neyret Chavin.

Il convient en conséquence de condamner la société Emboutissage du mail à payer à Mme [T] la somme de 30046 euros brut à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, soit l'équivalent de 6 mois de salaire minimum, le surplus de la demande à ce titre étant rejeté.

Sur la demande indemnitaire reconventionnelle de la société Emboutissage du mail :

La faute lourde est un manquement du salarié à ses obligations contractuelles, dont la gravité est telle, qu'elle relève d'une intention de nuire à l'entreprise.

Cette faute étant encore plus préjudiciable que la faute grave, elle suppose évidemment que le maintien immédiat du salarié dans l'entreprise soit impossible.

Le seul fait qu'un acte cause un préjudice ou soit préjudiciable, ne signifie nullement que le salarié a eu une intention de générer du tort envers l'entreprise.

La faute lourde est un manquement du salarié à ses obligations contractuelles, dont la gravité est telle, qu'elle relève d'une intention de nuire à l'entreprise.

Le seul fait qu'un acte cause un préjudice ou soit préjudiciable, ne signifie pas que le salarié a eu une intention de générer du tort envers l'entreprise.

En l'espèce, la société Emboutissage du mail ne saurait engager la responsabilité contractuelle de Mme [T] au titre du contrat de travail dans une autre hypothèse que celle de la faute lourde, qui n'est ni alléguée et encore moins démontrée, de sorte qu'il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société de sa demande indemnitaire pour atteinte aux articles 9 du code civil et 226-15 du code pénal sur le droit à la vie privée et la violation du secret des correspondances et ce d'autant plus, de manière superfétatoire que l'employeur se plaint du fait que la salariée aurait détourné des documents internes sans qu'il ne soit justifié que ceux-ci auraient servi à l'exercice par Mme [T] de ses droits de la défense, en réalité de son droit à la preuve sans pour autant en tirer la moindre conséquence puisqu'il ne sollicite pas que des pièces soient écartées des débats dans le dispositif de ses conclusions.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Emboutissage du mail de sa demande reconventionnelle.

Sur les demandes accessoires :

L'équité et la situation économique respective des parties commandent de condamner la société Emboutissage à payer à Mme [T] la somme de 2000 euros à titre d'indemnité de procédure.

Au visa de l'article 696 du code de procédure civile, infirmant le jugement entrepris, il convient de condamner la société Emboutissage du mail, partie perdante, aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS ;

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

INFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu'il déboute Mme [T] de sa demande indemnitaire pour exécution déloyale du contrat de travail et la société Emboutissage du mail de sa demande indemnitaire formée à titre reconventionnel

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DIT que Mme [T] a été victime de harcèlement moral

DIT que la société Emboutissage du mail a manqué à son obligation de prévention et de sécurité et à celle de suivi de la charge de travail de Mme [T] dans le cadre de l'exécution de la convention de forfait-jours

REQUALIFIE la prise d'acte par Mme [T] selon lettre du 16 juillet 2020 en licenciement nul

CONDAMNE la société Emboutissage du mail à payer à Mme [T] les sommes suivantes :

- sept mille neuf cent vingt-quatre euros et cinquante-sept centimes (7924,57 euros) net à titre d'indemnité de licenciement

- quinze mille vingt-deux euros et quatre-vingt-huit centimes (15022,88 euros) brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- mille cinq cent deux euros et vingt-huit centimes (1502,28 euros) brut à titre de congés payés afférents

Outre intérêts au taux légal sur ces trois sommes à compter du 16 juillet 2020 (date d'exigibilité/convocation au BCO du 09 juillet 2020)

- huit mille euros (8000 euros) net à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral

- trois mille euros (3000 euros) net à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de prévention et de sécurité ainsi qu'au suivi de la charge de travail dans le cadre de la convention de forfait-jours

- trente mille quarante-six euros (30046 euros) brut à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul

Outre intérêts au taux légal sur ces trois sommes à compter du présent arrêt

DÉBOUTE Mme [T] du surplus de ses prétentions au principal

CONDAMNE la société Emboutissage du mail à payer à Mme [T] une indemnité de procédure de 2000 euros

REJETTE le surplus des prétentions des parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile

CONDAMNE la société Emboutissage du mail aux dépens de première instance et d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président de section, et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière Le Président

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