Cass. 1re civ., 28 septembre 2022, n° 21-14.673
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Caisse d'épargne et de prévoyance de Midi-Pyrénées (SA)
Défendeur :
Magcerdur (SCI), Compagnie Européenne de garanties et cautions (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chauvin
Avocats :
SAS Buk Lament-Robillot, SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, SCP Zribi et Texier
La société Caisse d'épargne et de prévoyance de Midi-Pyrénées, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° G 21-14.673 contre l'arrêt rendu le 3 février 2021 par la cour d'appel de Toulouse (2e Chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [H] [E], divorcée [M], domiciliée [Adresse 2],
2°/ à la société Magcerdur, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 3],
3°/ à la société Compagnie Européenne de garanties et cautions (CEGC), société anonyme, dont le siège est [Adresse 4],
Mme [E] a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
défenderesses à la cassation.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, le moyen de cassation annexé au présent arrêt.
La demanderesse au pourvoi provoqué invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire, les observations de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de la société Caisse d'Epargne et de Prévoyance de Midi-Pyrénées, de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat de la société lCompagnie Européenne de garanties et cautions, de la SCP Zribi et Texier, avocat de Mme [E], après débats en l'audience publique du 5 juillet 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire rapporteur, M. Vigneau, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre, la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
1. Il est donné acte à la société Caisse d'épargne et de prévoyance Midi-Pyrénées (la banque) du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société civile immobilière Magcerdur (la SCI) et la société Compagnie européenne de garanties et de caution (la caution professionnelle).
2. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 3 février 2021), par acte du 6 juin 2014, la banque a consenti à la SCI un prêt immobilier de 296 795 euros, garanti par le cautionnement solidaire de la caution professionnelle ainsi que de Mme [E] (la caution) dans la limite de la somme de 385 833,50 euros.
3. Le 7 octobre 2015, à la suite de la défaillance de la SCI dans le remboursement du prêt, la banque a prononcé la déchéance du terme.
4. Après avoir payé le solde du prêt à la banque, la caution professionnelle a assigné la SCI et la caution en paiement, lesquelles ont appelé la banque en intervention forcée et garantie, en invoquant une disproportion de l'engagement de caution et un manquement de celle-ci à son devoir de mise en garde.
Sur le moyen du pourvoi incident, dont l'examen est préalable
5. La caution fait grief à l'arrêt de la condamner solidairement avec la SCI à payer à la caution professionnelle la somme de 303 457,84 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du 11 décembre 2015 avec capitalisation des intérêts de retard par année entière, alors « qu'il résulte de l'article L. 332-1 du code de la consommation qu'un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation ; que la sanction ainsi prévue prive le contrat de cautionnement d'effet à l'égard tant du créancier que des cofidéjusseurs lorsque, ayant acquitté la dette, ils exercent leur action récursoire ; que pour faire droit à la demande formée par la caution professionelle au titre de son recours personnel à l'égard de la caution et condamner cette dernière in solidum avec la SCI au paiement de la somme de 303 457,84 euros avec intérêts au taux légal à compter du 25 novembre 2015, l'arrêt attaqué retient que la caution n'était pas « fondée à opposer à son cofidéjusseur les exceptions qu'elle aurait pu opposer à la banque, notamment au titre du caractère disproportionné de son engagement de caution (...) » ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article L. 332-1 du code de la consommation, ensemble les articles 2305 et 2310 du code civil. »
Vu l'article L. 341-4, devenu L. 332-1, du code de la consommation et l'article 2310 du code civil, dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 :
6. Aux termes du premier de ces textes, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
7. Selon le second, lorsque plusieurs personnes ont cautionné un même débiteur pour une même dette, la caution qui a acquitté la dette, a recours contre les autres cautions, chacune pour sa part et portion.
8. Il en résulte que la sanction prévue au premier de ces textes prive le contrat de cautionnement d'effet à l'égard tant du créancier que des cofidéjusseurs lorsque, ayant acquitté la dette, ils exercent leur action récursoire, que ce soit sur le fondement de leur recours subrogatoire ou personnel.
9. Pour condamner la caution à payer à la caution professionnelle les sommes qu'elle a acquittées, l'arrêt retient que celle-ci ne peut se voir opposer les exceptions opposables au créancier principal, comme la disproportion de l'engagement de la caution.
10. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi principal
11. La banque fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la caution la somme de 303 457,84 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du 11 décembre 2015, alors « que les parts sociales dont est titulaire la caution au sein de la société cautionnée font partie du patrimoine devant être pris en considération pour l'appréciation de ses biens et revenus à la date de souscription de son engagement ; qu'en se bornant à énoncer, pour juger que l'engagement de la caution n'était pas adapté à ses capacités financières, que cette dernière avait des revenus de 3 500 euros, comprenant 500 euros de revenus locatifs, et des charges constituées de remboursement de prêts personnels pour 1 295 euros et de remboursement d'un emprunt immobilier pour 1 500 euros ainsi qu'un patrimoine immobilier de 330 000 euros constitué par sa maison d'habitation grevé d'un emprunt immobilier de 234 000 euros, de sorte que les charges mensuelles de remboursement, qui s'élevaient à 2 795 euros, représentaient 79,85 % des revenus de la caution tandis que son patrimoine net s'élevait à 96 000 euros, soit à un montant inférieur à son engagement souscrit dans la limite de la somme de 385 833,50 euros, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si la caution n'était pas également titulaire de 99 % des parts de la SCI, lesquelles devaient être prises en compte lors de l'appréciation du patrimoine de la caution à la date de souscription de son engagement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :
12. Il résulte de ce texte que la banque est tenue à un devoir de mise en garde à l'égard d'une caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n'est pas adapté aux capacités financières de la caution ou s'il existe un risque de l'endettement né de l'octroi du prêt garanti, lequel résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur.
13. Les parts sociales dont est titulaire la caution au sein de la société cautionnée font partie du patrimoine devant être pris en considération pour l'appréciation de ses capacités financières au jour de son engagement.
14. Pour condamner la banque à payer à la caution des dommages-intérêts en réparation d'un manquement au devoir de mise en garde, l'arrêt retient que, si l'opération ne comportait pas de risque excessif pour la SCI, en revanche, la caution, qui n'était pas avertie, avait souscrit un engagement disproportionné à ses biens et revenus, dès lors qu'elle disposait d'un revenu mensuel de 3 500 euros, qu'elle remboursait des prêts à hauteur de 2 795 euros par mois, qu'elle était propriétaire d'un bien immobilier constituant sa résidence principale grevé d'un emprunt et que son patrimoine, net de 96 000 euros, était largement inférieur à l'engagement souscrit dans la limite de 385 833,50 euros.
15. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la caution n'était pas également titulaire de 99 % des parts de la SCI cautionnée, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il condamne la SCI Magcerdur à payer à la société Compagnie européenne de garanties et de caution la somme de 303 457,84 euros au titre du crédit souscrit auprès de la Caisse d'épargne et de prévoyance de Midi Pyrénée, avec intérêts au taux légal à compter du 25 novembre 2015, et en ce qu'il dit que les intérêts échus des capitaux produiront des intérêts, l'arrêt rendu le 3 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;