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Décisions

CA Montpellier, ch. com., 14 octobre 2025, n° 23/03693

MONTPELLIER

Arrêt

Autre

CA Montpellier n° 23/03693

14 octobre 2025

ARRÊT n°

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

Chambre commerciale

ARRET DU 14 OCTOBRE 2025

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 23/03693 - N° Portalis DBVK-V-B7H-P4V6

APPELANTE :

SARL GRAND BLEU VOYAGES

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Emily APOLLIS de la SELARL SAFRAN AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER, postulant et Me BEER Christian, avocat au barreau de PARIS, plaidant

INTIMEE :

SARL COREVA prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 10]

[Adresse 9]

[Localité 2]

Représentée par Me Alexandre SALVIGNOL de la SARL SALVIGNOL ET ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER, postulant et Me CORGAS Cristina, avocat au barreau de RENNES, plaidant

INTERVENANTES VOLONTAIRES :

Me [P] [T] ès qualités de mandataire judiciaire à la procédure de sauvegarde de la société GRAND BLEU VOYAGES désignée par jugement du tribunal de commerce de Perpignan du 26/04/2023

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Emily APOLLIS de la SELARL SAFRAN AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER postulant et Me BEER Christian, avocat au barreau de PARIS, plaidant

S.E.L.A.R.L. FHB prise en la personne de Me [R] [I] ès qualités d'administrateur judiciaire à la procédure de sauvegarde de la société GRAND BLEU VOYAGES désignée en cette qualité par jugement du tribunal de commerce de Perpignan du 26/04/2023

[Adresse 6]

[Localité 4]

Représentée par Me Emily APOLLIS de la SELARL SAFRAN AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER, postulant et Me BEER Christian, avocat au barreau de PARIS, plaidant

Ordonnance de clôture du 10 juin 2025

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 01 juillet 2025, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :

Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre

M. Thibault GRAFFIN, conseiller

M. Fabrice VETU, conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Gaëlle DELAGE

ARRET :

- Contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, initialement prévue au 30 septembre 2025 et prorogée au 14 octobre 2025 les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre, et par Mme Gaëlle DELAGE, greffière.

*

* *

FAITS ET PROCEDURE

Par acte sous seing privé daté du 8 janvier 2013, la SARL Coreva, gérant d'une résidence de vacances en [7] Grand Bleu Voyages (la SARL GBV), agence de voyage, ont signé un contrat de commercialisation de séjours touristiques en résidence de vacances pour une période annuelle allant du 11 mai au 5 octobre avec tacite reconduction.

Ce contrat a fait l'objet de plusieurs avenants dont le dernier, en date du 25 octobre 2017, a ajusté le prix forfaitaire annuel à 1 480 000 euros, payable en dix échéances mensuelles du 28 février au 30 novembre.

En début d'année 2020, la société GBV a remis à la société Coreva neuf lettres de change sur les dix que comprend cet échéancier, la dernière, correspondant à la traite du 30 novembre 2020, n'ayant pas été remise.

Le 15 avril 2020, la société Coreva a mis en demeure la société GBV d'exécuter ses obligations, notamment, de transmettre la lettre de change à échéance du 30 novembre 2020, de faire en sorte que les échéances des mois de février et de mars, d'un montant total de 100 000 euros puissent être payés et garantir le paiement de l'échéance du mois d'avril d'un montant de 50 000 euros.

A la suite, des échanges sont intervenus entre les parties.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 12 juin 2020, la société Coreva a notifié la résiliation du contrat à la société GBV.

Par exploit du 24 juin 2020, la société Coreva a assigné la société Grand Bleu Voyages en paiement.

Par jugement contradictoire du 14 décembre 2021, le tribunal de commerce de Perpignan a :

- débouté la société Grand Bleu Voyages de l'ensembles de ses demandes ;

- condamné la société Grand Bleu Voyages à payer à la société Coreva la somme de 1 304 666 euros en réparation du préjudice subi ;

- condamné la société Grand Bleu Voyages à payer à la société Coreva la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

- et rappelé que l'exécution provisoire est de droit.

Par déclaration du 3 janvier 2022, la société Grand Bleu Voyages a relevé appel de ce jugement.

Par ordonnance du 16 novembre 2022, le conseiller de la mise en état de la cour d'appel de Montpellier a radié l'affaire du rôle pour défaut d'exécution du jugement.

Par ordonnance du 19 avril 2023, le délégataire du premier président de la cour de céans, saisi d'une demande de la SARL GBV tendant à voir ordonner l'arrêt de l'exécution provisoire attachée au jugement, a déclaré cette demande irrecevable.

Par jugement du 26 avril 2023, le tribunal de commerce de Perpignan a prononcé l'ouverture d'une procédure de sauvegarde au bénéfice de la SARL GBV et nommé la SELARL FHB, prise en la personne de M. [R] [I], en qualité d'administrateur judiciaire et Mme [T] [P] en qualité de mandataire judiciaire.

Par ordonnance du 13 juillet 2023, sur requête de la SARL GBV qui invoquait l'ouverture de cette procédure de sauvegarde l'empêchant d'exécuter, cette affaire a été réinscrite au rôle de la cour d'appel.

Par conclusions du 18 juillet 2023, Mme [T] [P], ès qualités, et la société FHB, ès qualités sont intervenues volontairement à la procédure.

Par arrêt avant dire droit du 14 janvier 2025, la chambre commerciale de la cour de céans a ordonné le rabat de l'ordonnance de clôture et la réouverture des débats, renvoyé la cause et les parties à la mise en état, invité les parties et, notamment, la SARL Coreva à justifier de sa déclaration de créance ou d'un relevé de forclusion et à produire les pièces de la procédure de sauvegarde ouverte à l'égard de la SARL Grand Bleu Voyage avant le 08 avril 2025, sous peine de radiation de l'affaire du rôle, et réservé les dépens.

Par conclusions du 7 avril 2025, la SARL Grand Bleu Voyages demande à la cour, au visa des articles 1195, 1218, 1219, 1221, 1231 et suivants, 1719 du code civil et de l'article L. 622-26 du code de commerce, de :

- infirmer le jugement entrepris ;

- juger que les demandes de la société Coreva lui sont incontestablement inopposables ;

- débouter la société Coreva de l'ensemble de ses demandes ;

- la condamner à lui verser la somme de 211 310 euros en réparation des préjudices subis par la résiliation abusive du contrat, et la somme de 52 000 euros, en remboursement des loyers indûment perçus ;

- la condamner à lui verser la somme de 430 688 euros en réparation du détournement de son fonds de commerce ;

- et la condamner à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction.

Par conclusions du 2 juin 2025, la SARL Coreva demande à la cour, au visa de l'article 1103 du code civil, de :

- confirmer le jugement déféré ;

- recevoir l'intégralité de ses demandes ;

- juger que les contrats ont force obligatoire ;

- juger que la société Grand Bleu Voyages a manqué à ses obligations contractuelles ;

- juger que ces manquements lui ont causé un préjudice ;

- fixer ce préjudice à la somme de 1 304 666 euros en tenant compte de la période de confinement et condamner la société Grand Bleu Voyages à payer ladite somme ;

- juger que Coreva a exécuté l'ensemble des obligations ; qu'en conséquence, aucune responsabilité ne peut être retenue à son encontre ; que la résiliation qu'elle a décidée n'est nullement abusive ou déloyale ;

- rejeter l'ensemble des demandes indemnitaires de la société Grand Bleu Voyages, soit le paiement de 210 000 euros, de 430 688 euros et le remboursement de la somme de 52 000 euros ;

- juger que la société Grand Bleu Voyages ne saurait arguer de la force majeure et donc de l'article 1218 du code civil pour échapper au paiement du prix forfaitaire ; qu'elle ne saurait également arguer de l'exception d'inexécution et donc de l'article 1219 du code civil pour échapper au paiement du prix forfaitaire ; que la révision pour imprévision de l'article 1195 du code civil n'est pas applicable au cas présent et ne saurait justifier le non-paiement par la société Grand Bleu Voyages du prix forfaitaire ;

subsidiairement, si la cour décidait de réviser le contrat et fixer le prix du contrat à la somme de 1 356 666 euros et condamner la société Grand Bleu Voyages à lui payer la somme de 1 304 666 euros, afin de tenir compte de la somme de 52 000 euros déjà payée ;

- juger que les articles 1709 et 1722 du code civil ne sont pas applicables au cas présent et en tout état de cause ne sauraient justifier le non-paiement du prix forfaitaire par la société Grand Bleu Voyages ;

- déclarer sa créance opposable à la société Grand Bleu Voyages ;

subsidiairement,

- retenir la responsabilité civile de la société Grand Bleu Voyages et la condamner à réparer les conséquences de sa faute, soit 1 356 666 euros ;

très subsidiairement,

-évaluer son préjudice à une perte de chance qui ne saurait être inférieure à 90% ;

en tout état de cause,

- rejeter toutes les demandes de la société Grand Bleu Voyages ;

- la condamner à lui verser la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Il est renvoyé, pour l'exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est datée du 10 juin 2025

MOTIFS

Sur l'opposabilité à l'appelante des demandes formées par la SARL Coreva

Moyens des parties :

1. La SARL GBV fait valoir que la société Coreva est responsable de l'inopposabilité de ses demandes, en l'absence de déclaration de sa créance, de sa non inscription au passif compte tenu de son absence de saisine du juge commissaire pour demander à être relevée de forclusion.

2. Elle rappelle qu'en juillet 2024, le plan de sauvegarde s'est achevé ; que la mission des organes de la procédure collective a pris fin ; et qu'elle ne saurait ainsi solliciter le paiement de cette somme.

3. La SARL Coreva répond que sa créance de 1 304 666 euros est opposable à l'appelante, la remise de la liste des créanciers par le débiteur au mandataire valant déclaration de créance.

4. Selon l'intimée, cette déclaration est établie dès lors qu'à tous les stades de la procédure (lettre au tribunal datée du 21 avril 2023, requête en sauvegarde datée du 24 avril 2023, le rapport en vue de l'adoption du plan de sauvegarde), sa créance vis-à-vis de l'appelante était mentionnée et a été directement à l'origine de la procédure de sauvegarde.

Réponse de la cour :

5. Aux termes des trois premiers alinéas de l'article L. 622-24 du code de commerce :

« A partir de la publication du jugement, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception des salariés, adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire dans des délais fixés par décret en Conseil d'Etat. Lorsque le créancier a été relevé de forclusion conformément à l'article L. 622-26, les délais ne courent qu'à compter de la notification de cette décision ; ils sont alors réduits de moitié. Les créanciers titulaires d'une sûreté publiée ou liés au débiteur par un contrat publié sont avertis personnellement ou, s'il y a lieu, à domicile élu. Le délai de déclaration court à l'égard de ceux-ci à compter de la notification de cet avertissement.

La déclaration des créances peut être faite par le créancier ou par tout préposé ou mandataire de son choix. Le créancier peut ratifier la déclaration faite en son nom jusqu'à ce que le juge statue sur l'admission de la créance.

Lorsque le débiteur a porté une créance à la connaissance du mandataire judiciaire, il est présumé avoir agi pour le compte du créancier tant que celui-ci n'a pas adressé la déclaration de créance prévue au premier alinéa. »

6. Selon les deux premiers alinéas de l'article R. 622-5 du même code :

« La liste des créanciers établie par le débiteur conformément à l'article L. 622-6 comporte les nom ou dénomination, siège ou domicile de chaque créancier avec l'indication du montant des sommes dues au jour du jugement d'ouverture, des sommes à échoir et de leur date d'échéance, de la nature de la créance, des sûretés et privilèges dont chaque créance est assortie. Elle comporte l'objet des principaux contrats en cours.

Dans les huit jours qui suivent le jugement d'ouverture, le débiteur remet la liste à l'administrateur et au mandataire judiciaire. Celui-ci la dépose au greffe. »

7. Le jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde du tribunal de commerce de Perpignan daté du 26 avril 2023 énonce notamment dans son dispositif :

« Dit qu'en application de l'article L. 622-6 du code de commerce, le débiteur devra sans délai remettre à l'administrateur et au mandataire judiciaire la liste de ses créanciers, du montant de ses dettes et des principaux contrats en cours et qu'il l'informera des instances en cours auxquelles il est partie »

8. L'arrêt de réouverture des débats, pour rappel, invite notamment les parties à produire les pièces de la procédure de sauvegarde ouverte à l'égard de la SARL Grand Bleu Voyage.

9. En dépit de cette invitation, la liste des créanciers de l'article L. 622-6 du code de commerce, essentielle au regard des moyens invoqués par les deux parties (absence de déclaration de créance contre déclaration de créance par le débiteur pour le compte du créancier), n'a pas été produite par la SARL GBV. Toutefois, il sera relevé :

- que la requête en ouverture d'une procédure de sauvegarde formalisée le 21 avril 2023 par la SARL GBV mentionnait comme « nature des difficultés rencontrées par l'entreprise » qu'elle n'était pas en capacité de de payer la somme de 1 304 666 euros (outre 5 000 euros et encore 2 000 euros après ordonnance du premier président du 19 avril 2023 rejetant la demande de suspensions de l'exécution provisoire) prononcée suivant jugement du 14 décembre 2021 (pièce n°52 de l'appelante) ;

- que la requête en adoption du plan de sauvegarde datée du 19 février 2024 (pièce n°54 de l'appelante), dans le cadre de l'exposé de la situation active et passive de la SARL GBV (pages 14 et 15), mentionne, en note de bas de page (ii), le montant de la condamnation due à Coreva au titre du jugement rendu le 14 janvier 2021 et qui a été comptabilisé en provision pour risque à hauteur de 1 348 K€ n'a pas été déclaré entre les mains de Me [P].

10. Ces éléments établissement que la liste de l'article L. 622-6 du code de commerce, dressée par la SARL GBV en vertu des textes et de l'injonction du tribunal sur ce point, mentionnait que la créance de la SARL Coreva existait pour un montant 1 304 666 euros, auquel s'ajoutent ceux de 5 000 et 2 000 euros au titre des frais irrépétibles.

11. Ces mêmes éléments démontrent, ainsi que le soutient justement la SARL Coreva, ceci, depuis la réenrôlement de l'affaire, que la SARL GBV a déclaré sa créance pour son compte et qu'en dépit de cette déclaration, le mandataire a présenté un plan de sauvegarde excluant ladite créance de Coreva en ces termes :

« Le jugement n'a pas fait de tentative d'exécution et si la société n'était pas en état de cessation des paiements, elle n'était pas en mesure de payer lesdites condamnations sans la mise en place d'un plan d'action assistée et encadrée.

Le 26 avril 2023, le tribunal de commerce de Perpignan a ouvert une procédure de sauvegarde au bénéfice de la société Grand Bleu voyage. Le 4 octobre 2023, la période d'observation a été prolongée jusqu'au 26 avril 2024, l'affaire renvoyée à l'audience du 24 avril 2024 à 14h30 pour qu'il soit statué sur le projet de plan de sauvegarde de l'entreprise.

La société Coréva n'a pas déclaré de créance au passif de la société Grand Bleu voyage. Pourtant, elle est parfaitement informée de la procédure de sauvegarde comme le démontre les conclusions qu'elle a prise le 2 octobre 2023 devant la cour d'appel de Montpellier, citant Maîtres [R] [I] et [T] [P], demandant la confirmation du jugement entrepris, mais ne demandant pas la fixation d'une dette au passif de la société Grand Bleu voyage.

Aujourd'hui la société Coréva est forclose à revendiquer une créance à la société Grand Bleu voyage et aussi a demandé à être relevée de cette forclusion. Également, elle ne pourra revendiquer une créance à la société Grand Bleu voyage si celle-ci exécute son plan de sauvegarde. »

12. Suite à cette analyse juridique erronée, en présence d'une déclaration de créance pour le compte de la SARL Coreva, et d' un jugement constatant l'achèvement du plan de sauvegarde de la SARL GBV par le tribunal de commerce de Perpignan le 17 juillet 2024, sans tenir compte de la créance de la SARL Coreva fondant précisément la mesure de sauvegarde, l'appelante ne saurait opposer à son créancier principal une telle procédure entièrement conduite en son absence.

13. Il ne peut donc être reproché à la SARL Coreva de ne pas avoir personnellement déclaré sa créance, alors que cette dernière, a été déclarée par la SARL GBV pour un montant de 1 311 666 euros (une somme de 1 304 666 euros à laquelle s'ajoute celle de 7 000 euros).

14. La SARL GBV sera déboutée de la prétention émise à ce titre ; et il y a lieu d'examiner ses moyens de réformation du jugement du tribunal de commerce de Perpignan daté du 14 décembre 2021, la déclaration de créance pour le compte de son débiteur ne valant pas pour autant reconnaissance de la dette.

Sur les éventuels manquements contractuels et leurs conséquences

15. Préalablement à l'examen des moyens invoqués par l'appelante pour s'opposer au paiement de la somme au titre du reversement du prix des réservations de séjour dans la résidence gérée par la SARL Coreva, il sera rappelé la nature du contrat liant les parties et les obligations qui en découlent.

16. Ainsi, aux termes du contrat de commercialisation de séjours touristiques en résidence de vacances signé le 8 janvier 2013 et ses avenants, dont le dernier a été signé le 25 octobre 2017, la SARL GBV, titulaire d'une licence d'agent de voyages, s'est vu confier de manière exclusive la commercialisation de séjours touristiques dans la résidence de vacances [13] sise en Haute-Corse, et gérée et exploitée par la SARL Coreva.

17. En contrepartie des séjours mis à disposition pour les réservations clientèles par la SARL Coreva (article 1er de la convention initiale, relatif à l'objet et la durée du contrat) dans cette résidence, il a été convenu un reversement du prix des réservation de séjours, déduction faite de la rémunération de la SARL GBV, en dernier lieu, selon un échéancier contenu à l'avenant n°3 du 25 octobre 2017.

18. Il en résulte qu'il est inopérant pour la SARL GBV de se prévaloir d'un contrat de louage de chose prévu aux articles 1709 et suivants du code civil, l'appelante n'étant en aucune manière titulaire d'un bail (aux termes duquel elle serait locataire et la SARL Coreva, son bailleur).

19. Le jugement déféré sera confirmé sur ce point.

20. De même, le moyen tiré de l'exception d'inexécution en lien avec des éventuels manquements de la SARL Coreva, en sa qualité de bailleur, sera écarté, seule l'inexécution par cette dernière des obligations mises à sa charge par le contrat, à savoir, confier de manière exclusive à la SARL GBV la commercialisation des séjours touristiques dans la résidence qu'elle gérait et exploitait en [8], pouvant être mise en cause.

Sur l'exception d'inexécution

Moyens des parties :

21. La SARL GBV fait valoir d'une manière générale que la SARL Coreva n'aurait jamais mis les logements contractuellement promis à sa disposition et violé son obligation d'exclusivité année après année.

22. Plus singulièrement sur l'exception d'inexécution, elle soutient qu'elle n'avait aucune possibilité de commercialiser les logements mis à sa disposition dans le cadre de la convention dès lors que les mesures gouvernementales de mars 2020, annonçant des limitations de déplacement et le confinement de toute la population ont immobilisé l'activité touristique et ont obligé la fermeture des résidences de vacances dès le 14 mars 2020, et ce, pour une durée indéterminée, étant rappelé que la résidence de [Adresse 11] devait accueillir ses premiers clients à la mi-avril et que le mois de mai comportait quatre "ponts" prometteurs.

23. Selon l'appelante, la SARL Coreva ne pouvait pas mettre à sa disposition de logement jusqu'au 5 octobre de l'année 2020. La SARL GBV soutient qu'en tout état de cause, le tourisme n'a pu retrouver de retour à la normale qu'à compter du 23 juin 2020, date à compter de laquelle la société Coreva l'a assignée en paiement, le tout, en dépit de plusieurs vaines demandes de renégociation.

24. La SARL Coreva répond que la Corse, comme tout le reste de la France a été confinée du 17 mars au 11 mai 2020 (correspondant à la date de début de période de commercialisation des logements selon le contrat et à la date à compter de laquelle elle a fait constater qu'elle pouvait accueillir des clients), et que les restrictions ont été levées dès le 2 juin 2020.

Réponse de la cour :

25. Selon l'article 1219 du code civil, « Une partie peut refuser d'exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave ».

26. La SARL Coreva étant tenue de confier de manière exclusive à la SARL GBV la commercialisation des séjours touristiques dans la résidence qu'elle gérait et exploitait en [8] en mettant à sa disposition un contingent de logement pour les réservations clientèles pendant la période annuelle courant du 11 mai de l'année en cours au 5 octobre de cette même année.

27. En effet, l'article 2 de la convention du 8 janvier 2013, qui est demeuré inchangé aux termes de l'avenant avant du 5 octobre 2017, modifiant exclusivement l'article 5 à compter du 1er janvier 2018, stipule que :

« Le GESTIONNAIRE met à la disposition de l'AGENT en vue de la commercialisation de séjours touristiques, individuels, familiaux, les logements meublés constituant la résidence ['] pendant toute la période annuelle courant du 11 mai 2013 [en l'espèce, 2020] au 05 octobre 2013 [2020], coïncidant avec la période d'ouverture de la résidence. »

28. Il appartient, dès lors, à la SARL GBV de prouver que la SARL Coreva n'aurait pas été en mesure de mettre à sa dispositions les logements nécessaires à la commercialisation des séjours dont elle était chargée, ceci, à compter du 11 mai 2020, les considérations relatives à la fermeture avant cette date étant inopérantes au regard des termes précis de la convention, étant précisé, encore, que les considérations en lien avec l'absence de mise à disposition des logements promis au cours des années précédentes, non justifiées au regard des productions, sont également sans emport sur l'exception d'inexécution invoquée au titre de l'année 2020.

29. En l'état de l'arrêté du Préfet de la Haute-Corse n° 2B-2020-04-15-005, du 15 avril 2020 portant interdiction temporaire de fréquentation de locations saisonnières en Haute-Corse et des autres pièces produites, seule l'impossibilité de mise à disposition des logements meublés de la résidence jusqu'au 2 juin 2020 est établie, mais pas au-delà.

30. En effet, aucune production (pour l'essentiel des coupures de presse) ne confirme une impossibilité d'ouvrir à la location les résidences de location en Corse jusqu'au 23 juin 2020 (le plan de sortie de confinement du président du conseil exécutif de Corse [pièce n°8 de l'appelante] envisageant, à compter de cette date, un dispositif de gestion des flux de passagers entrants) et, encore moins, jusqu'au 5 octobre 2020.

31. Ainsi, en dehors de cette seule période, l'appelante ne peut se prévaloir du mécanisme de l'exception d'inexécution pour faire obstacle au reversement du prix des réservations de séjours.

32. Il sera fait observer qu'en considération de cette obligation de mise à disposition de logements dédiés à la commercialisation de séjours touristiques dans la résidence [12], le tribunal de commerce de Perpignan avait jugé que dès lors que « la résidence n'a[vait] été fermée que pour une période du 11 mai au 2 juin 2020, [cette] inexécution très temporaire de la société Coreva ['] justifi[ait] tout au plus une diminution de prix correspondant à cette période », soit, une somme de 123 334 euros.

33. Les parties ne contestent pas le retranchement d'un mois à hauteur de la somme de 123 334 euros, dès lors, qu'aucune prétention n'est émise à ce titre dans le dispositif de ses écritures par la SARL GBV et que, la SARL Coreva, sollicite la confirmation du jugement déféré sur ce point.

34. La décision sera ainsi confirmée sur ce point.

Sur la force majeure

35. Les deux derniers paragraphes de l'article 3 de la convention initiale stipule :

« En cas de force majeure, indépendante de son fait, le GESTIONNAIRE [la SARL Coreva] devra aviser l'agent [la SARL GBV], sans délai et par tout moyen de communication, de l'impossibilité d'assurer l'hébergement programmé en lui communiquant la durée d'indisponibilité du ou des logements.

L'AGENT se réserve la possibilité de mettre un terme au présent contrat dès avant le terme fixé ci-dessus, à l'issue d'une mise en demeure et sans aucune indemnité, dès lors que le GESTIONNAIRE, au cours de la période initiale et, le cas échéant, de ses renouvellements successifs, s'abstient de se conformer à la gestion des réservations ou bien, en cas de force majeure invoquée par lui, lorsque la quotité des hébergements inutilisables par la clientèle devient inférieure à quatre-vingt pourcents de la capacité totale d'hébergement de la résidence. »

36. Le contrat, par ces clauses, a exclusivement envisagé la possibilité pour la SARL Coreva de se prévaloir de la force majeure sous certaines conditions.

37. Ainsi, en l'absence de disposition spécifique, l'appelante doit se référait au dispositions du code civil, lequel dispose en son article 1218 :

« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur.

Si l'empêchement est temporaire, l'exécution de l'obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l'empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1. »

29. Constitue donc un cas de force majeure tout événement présentant un caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution, l'irrésistibilité n'étant pas caractérisée si l'exécution est seulement rendue plus difficile ou onéreuse.

30. Pour rappel, la SARL GBV qui ne pouvait attendre de la SARL Coreva qu'elle mette à disposition des logements prévus par le contrat du 11 mai 2020 au 2 juin 2020 a été exonérée du reversement du prix de réservation pour cette période.

31. Toutefois, pour la période ultérieure, seule des difficultés liées au port du masque ou aux politiques locales auraient rendu plus difficile la commercialisation des séjours touristiques sans toutefois, la rendre impossible. Dès lors, la SARL GBV ne peut s'exonérer de leur paiement en invoquant un cas de force majeure.

32. Aussi, c'est par des motifs pertinents que les premiers juges ont retenus que l'impossibilité d'exercer une activité du fait des mesures gouvernementales prises pour lutter contre la propagation du virus covid-19, ne pouvait exonérer la SARL GBV du paiement des « reversements du prix des réservations » pendant les premier et deuxième trimestres 2020.

33. Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a dit infondée la suspension par la SARL GBV du paiement des reversements forfaitairement fixés.

Sur l'imprévision

34. Selon l'article 1195 du code civil, si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant.

35. Il appartient à celui qui invoque une telle imprévision de démontrer, d'une part, « un changement de circonstance imprévisible », dont les cocontractants n'avaient pas accepté « d'assumer le risque » lors de la conclusion du contrat, c'est-à-dire une évolution des circonstances qui doit être extérieure au débiteur, mais qui peut être de diverse nature, d'autre part, une exécution que ces circonstances ont rendu « excessivement onéreuse » pour cette partie.

36. En l'espèce, en premier lieu, la SARL GBV n'apporte la preuve de la survenance de circonstances imprévisibles dont elle n'aurait pas accepté d'assumer le risque. Elle avait sollicité et obtenu le monopole de la commercialisation des séjours de la SARL Coreva et qu'elle avait érigé cette exclusivité en condition déterminante de son consentement (art. 1er in terminis et art. 7 des dispositions générales) et de celui de son cocontractant (idem).

37. En deuxième lieu, cette société est également défaillante à rapporter la preuve de ce que la poursuite de l'exécution du contrat, telle que prévue à l'origine par les parties dans ses différentes phases, lui devenait excessivement onéreuse, le bilan et le compte de résultat produits (pièce n°40 de l'appelante) ne confirmant pas les pertes sur chiffres d'affaires mensuels alléguées.

38. Enfin, il sera fait observer que les difficultés de paiement de l'appelante ont été observées avant l'ouverture de la résidence et la somme de 100 000 euros qui devait être payée selon l'échéancier contractuellement prévu en février et mars de l'année 2020, ne peuvent avoir pour origine l'absence de mise à disposition des logements prévus à compter du 11 mai 2020.

39. La demande de renégociation avant le 11 mai 2020 était infondée alors que la mise en demeure du 15 avril 2020 sollicitant de la SARL GBV de « faire en sorte que les échéances des mois de février et mars, d'un montant total de 100 000 euros, puissent être payées » était légitime.

41. La SARL GBV sera donc déboutée de sa demande de réformation de la décision sur ces fondements.

42. La procédure prévue au contrat ayant été respectée par la SARL Coreva (mise en demeure et saisine du tribunal de commerce de Perpignan aux fins d'obtenir indemnisation), il ne saurait être mis à sa charge la résiliation abusive du contrat au sens de l'article 1231-1 du code civil et, consécutivement, le paiement de dommages et intérêts.

43. Le rejet de cette demande sera confirmé ainsi que la demande sans fondement d'une somme de 430 688 euros « en réparation du détournement du fonds de commerce » de la SARL GBV.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Dit que la SARL Grand Bleu Voyages a valablement déclaré, dans le cadre de sa procédure de sauvegarde aujourd'hui clôturée, pour le compte de la SARL Coreva, la créance de celle-ci d'un montant de 1 311 666 euros ;

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la SARL Grand Bleu Voyages aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, déboute la société Grand Bleu voyages de sa demande, et la condamne à payer à la SARL Coreva la somme de 4 000 euros.

La greffière La présidente

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