CA Montpellier, ch. com., 14 octobre 2025, n° 25/02373
MONTPELLIER
Arrêt
Autre
ARRÊT n°
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
Chambre commerciale
ARRET DU 14 OCTOBRE 2025
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 25/02373 - N° Portalis DBVK-V-B7J-QUWE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 09 AVRIL 2025
TRIBUNAL DE COMMERCE DE PERPIGNAN
N° RG 2024f01094
APPELANTE :
SARL FICA TRACK au capital de 4 100 000 €uros, immatriculée au RCS de BEZIERS sous le N° 530 685 809, prise en la personne de son représentant légal en exercice
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Célia VILANOVA substituant Me Philippe SENMARTIN de la SELARL CSA, avocat au barreau de MONTPELLIER, avoact postulant
Représentée par Me Frédéric DABIENS, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant
INTIMEES :
[V] [K] ès qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire de la SAS PUISSANCE KART désignée par Jugement rendu le 7 Février
2024 par le Tribunal de Commerce de PERPIGNAN
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Christine AUCHE-HEDOU substituant Me Jacques-Henri AUCHE de la SCP AUCHE HEDOU, AUCHE - AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocats postulants
Représentée par Me Jean-Philippe NESE, avocat au barreau de PERPIGNAN, avocat plaidant
S.A.S. PUISSANCE KART immatriculée au RCS de PERPIGNAN sous le N° 432 651 438, prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité au siège social sis
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 6]
non constituée
signification déclaration d'appel le 19 mai 2025 - procès-verbal de recherches infructeuses
Ordonnance de clôture du 26 Août 2025
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 SEPTEMBRE 2025, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :
Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre
M. Thibault GRAFFIN, conseiller
M. Fabrice VETU, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Elodie CATOIRE
Ministère public :
L'affaire a été communiquée au ministère public, qui a fait connaître son avis le 02 septembre 2025.
ARRET :
- par défaut
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre, et par Mme Elodie CATOIRE, greffière.
FAITS ET PROCEDURE
Le 7 mai 2013, la SARL Fica Track a donné à bail à la SAS Puissance Kart un ensemble immobilier sis [Adresse 5] à [Localité 6] portant sur un circuit automobile et un bâtiment moyennant paiement d'un loyer annuel de 150 000 euros HT payable par mensualités de 15 000 € TTC.
La société Puissance kart a été placée en redressement judiciaire le 19 juillet 2017, Me [K] [V] et Me [C] [J] étant désignés en qualité d'administrateurs judiciaires.
À l'issue de la période d'observation, le tribunal de commerce de Perpignan a arrêté un plan de redressement le 18 juillet 2018
Par jugement du 7 février 2024, le tribunal de commerce de Perpignan a prononcé la résolution du plan de redressement et placé la SAS Puissance Kart en liquidation judiciaire, et désigné Me [K] [V] en qualité de liquidateur.
Le 3 avril 2024, la société Fica Track a déclaré sa créance pour un montant de 907 278,09 euros à titre chirographaire, qui a été admise au passif de la société Puissance kart.
Par ordonnance du 30 mai 2024 le juge-commissaire a ordonné la vente de gré à gré du fonds de commerce appartenant à la société Puissance kart au profit de la société Groupe Magi. Le bailleur, qui avait lui-même fait une offre d'achat du fonds de commerce, a interjeté appel en soutenant que le contrat de bail commercial était résilié et qu'il n'existait plus aucun fonds de commerce à céder.
Le montant des loyers de mars à juin 2024 objet d'un commandement de payer visant la clause résolutoire délivré par la société Fica track le 14 juin 2024 puis des mois de juin et juillet 2024 ont été réglés.
Par exploit du 22 juillet 2024, Me [K] [V] ès qualités, a assigné la société Fica Track aux fins de voir juger que ses relations commerciales avec la société Puissance Kart sont anormales, caractérisant une confusion de leurs patrimoines, et voir prononcer en conséquence l'extension de la procédure de liquidation judiciaire.
Par jugement contradictoire du 9 avril 2025, le tribunal de commerce de Perpignan a :
dit que les demandes de Mme [K] [V], ès qualités, sont recevables ;
dit que les relations financières entre la société Fica Track et la société Puissance Kart sont anormales ;
constaté la confusion des patrimoines des sociétés Puissance Kart et Fica Track ;
prononcé l'extension de la procédure collective de la société Puissance Kart à la société Fica Track ;
confirmé la date de cessation de paiements au 18 janvier 2024 ;
confirmé la désignation de Mme [K] [V] en qualité de liquidateur judiciaire ;
débouté la société Fica Track de l'intégralité de ses demandes ;
et l'a condamnée à payer à Mme [K] [V], ès qualités, la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par déclaration du 30 avril 2025, la SARL Fica Track a relevé appel de ce jugement.
Par conclusions du 14 août 2025, elle demande à la cour, au visa des articles L. 621-2 et L. 641-1 du code de commerce, de :
déclarer son appel recevable et bien fondé ;
infirmer sinon réformer (sic) le jugement entrepris ;
statuant à nouveau,
déclarer qu'il n'existe pas de confusion de patrimoines et rejeter l'extension de la procédure de liquidation judiciaire de la société Puissance Kart à son encontre ;
débouter Me [K] [V], ès qualités, de l'ensemble de ses demandes ;
et la condamner à payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
Par conclusions du 10 juillet 2025, Me [K] [V], ès qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire de la SAS Puissance Kart, demande à la cour, au visa des articles L. 621-2 et L. 641-1 du code de commerce, de débouter la société Fica Track de l'ensemble de ses demandes, de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, ajoutant, de la condamner à payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens d'appel.
Il est renvoyé, pour l'exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
La SAS Puissance Kart, destinataire de la déclaration d'appel par procès-verbal de recherches infructueuses du 19 mai 2025, n'a pas constitué avocat.
L'ordonnance de clôture est datée du 26 août 2025.
Le ministère public, par avis du 2 septembre 2025, s'en rapporte à l'appréciation de la cour.
MOTIFS
L'appelante fait valoir au soutien de son appel les moyens suivants :
' avant l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire le 7 février 2024, la société Fica track était créancière de la société Puissance kart pour la somme de 907 278,09 euro arrêtée au 7 février 2024 ; les loyers nés postérieurement au jugement de liquidation judiciaire sont demeurés impayés jusqu'à ce que la société Fica track engage de nombreuses procédures contre la société Puissance kart : mise en demeure de liquidateur pour qu'il se prononce sur la poursuite du contrat de bail, requête en résiliation du bail, commandement de payer, ce qui a donné lieu à la réponse vindicative du liquidateur en extension de procédure ;
' aucune confusion de patrimoine entre les sociétés n'est démontrée, l'identité des dirigeants des deux sociétés ne suffisant pas à caractériser la confusion des patrimoines de ces deux sociétés, de sorte que si l'un des dirigeants de la société Fica track , aujourd'hui décédé était également dirigeant de la société Puissance kart, cet élément ne caractérise en rien une éventuelle confusion des patrimoines ;
' s'agissant de l'existence de relations financières anormales, le liquidateur ne peut pas fonder son action sur des faits antérieurs à une précédente procédure collective ; en l'espèce la procédure de liquidation judiciaire prononcée sur résolution du plan de redressement est une procédure distincte de la précédente procédure de redressement judiciaire ;
' la Cour de cassation a ainsi jugé que « Lorsqu'une procédure de redressement judiciaire a été étendue à d'autres débiteurs en application de l'article L. 621-2 alinéa 2 du code de commerce, et qu'un même plan a été arrêté en faveur des débiteurs soumis à la procédure unique, l'extension de procédure cesse lorsque ce plan est résolu. Si la jonction des procédures de liquidation judiciaire ouverte après la résolution du plan peut être prononcée, c'est à la condition de caractériser l'existence d'une confusion des patrimoines pour des faits postérieurs au jugement arrêtant le plan » (Cass. Com. 8 décembre 2021 n° 20-17. 766) ;
' en l'espèce, les faits invoqués par Me [V] (absence de paiement des loyers à partir du 1er janvier 2014, absence de tentative de recouvrement des loyers, absence de versement du dépôt de garantie lors de la conclusion du bail le 7 mai 2013, absence de révision du loyer indexé notamment en 2018) sont pour partie antérieurs à la procédure de redressement judiciaire ouverte le 19 juillet 2017 et à l'adoption du plan le 18 juillet 2018, de sorte que le liquidateur ne peut fonder son action en extension sur des faits antérieurs lesquels auraient pu être traités dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire antérieure à celle de liquidation judiciaire ;
' Il n'est pas contesté que la société Puissance kart n'a pas davantage réglé loyers à l'appelante à compter de l'adoption du plan de redressement ; il s'agit d'un soutien consenti par une société à une autre qui n'est pas en soi anormal, même s'il s'appuie sur un procédé irrégulier ; ainsi, le seul défaut de paiement des loyers ne suffit pas à caractériser une relation financière anormale entre la société bailleresse et le preneur ;
' il en va de même de la non-application de la clause de révision du loyer ;
' l'appelante n'a pas contrevenu à son propre intérêt social, et elle a engagé des procédures dès qu'elle a constaté que la situation de la société Puissance kart était sérieusement compromise, déclaré sa créance le 3 avril 2024, mis en demeure le liquidateur de se prononcer sur la poursuite ou la résiliation du bail commercial le 17 avril 2024, engagé une procédure en résiliation du bail commercial devant le juge commissaire pour défaut de paiement des loyers le 7 juin 2024, et délivré un commandement de payer visant la clause résolutoire le 14 juin 2025 ;
' pour caractériser une confusion des patrimoines il est nécessaire non seulement d'identifier des relations financières commerciales anormales, mais aussi une imbrication des comptes des sociétés en cause ;
' enfin l'extension de la procédure viendrait aggraver d'autant le passif de la société Puissance kart et amoindrir le sort des créanciers de la société Fica track, de sorte que l'extension est parfaitement inopportune.
Le liquidateur répond que :
' des relations financières entre deux sociétés sont anormales lorsqu'elles ne se rattachent à aucune obligation juridique, ou lorsqu'elles sont dépourvues de tout intérêt pour l'une des parties ; l'anormalité se déduit ainsi de l'absence d'intérêt ou de toute contrepartie ; elle se déduit d'un faisceau d'indices ;
' la chambre commerciale de la cour de céans a déjà eu l'occasion d'estimer que ces indices étaient suffisants dans le cas d'une société ayant conclu un bail à des conditions atypiques, n'étant pas réglées du montant des loyers, et ne procédant à aucune tentative de recouvrement ;
' la société Fica track soutient en revanche exactement en cause d'appel que le liquidateur ne peut pas la poursuivre en extension de la procédure de liquidation judiciaire sur des faits antérieurs à une précédente procédure collective, ce qui est parfaitement vrai ; lorsqu'un plan arrêté est par la suite résolu, donnant lieu à l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire, l'existence d'une confusion de patrimoine doit être caractérisée par des faits postérieurs au jugement arrêtant le plan ;
' or il ressort de la déclaration de créance réalisée par l'appelante elle-même et des documents qui y sont annexés que la totalité ou presque de la dette locative de la société Puissance car envers la société Fica track est postérieure à l'arrêté du plan qui a été adopté le 18 juillet 2018 alors que la conversion est intervenue le 7 février 2024, ce qui caractérise les relations financières anormales systématiques, caractéristiques d'une confusion des patrimoines des deux sociétés ;
' c'est ainsi que dans le cadre de ses conclusions de première instance, la société Fica track a pu soutenir, à titre subsidiaire, que « dans l'intention de mener au mieux l'activité de la société Puissance kart M. [L] [N] a dû opérer un arbitrage constant entre la survie de l'activité de la société Puissance kart et le paiement du loyer, seul levier financier qu'il avait à sa disposition » ;
' les conditions nécessaires à l'extension de la procédure de liquidation judiciaire étant remplies, il n'y a pas lieu de considérer l'opportunité ou non d'étendre la procédure, ce qui relèverait d'un déplorable arbitraire.
SUR CE, LA COUR
La société Fica track soutient exactement en cause d'appel que le liquidateur ne peut pas la poursuivre en extension de la procédure de liquidation judiciaire sur des faits antérieurs à une précédente procédure collective, et que lorsqu'un plan arrêté est par la suite résolu, donnant lieu à l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire, l'existence d'une confusion de patrimoine doit être caractérisée par des faits postérieurs au jugement arrêtant le plan.
Mais le liquidateur, qui est convenu de ce moyen de droit, fait valoir exactement qu' il ressort de la déclaration de créance réalisée par l'appelante elle-même, et des documents qu'elle y a annexés, que la quasi totalité de la dette locative de la société Puissance kart envers la société Fica track est postérieure à l'arrêté du plan qui a été adopté le 18 juillet 2018, la conversion est intervenue le 7 février 2024, soit à compter du mois d'août 2018 : un arriéré de loyer de 53 500 €, en 2019 un arriéré de loyer de 151 500 €, en 2020 148 050 € et ainsi de suite jusqu'en 2024, ce qui conduit le montant total des loyers postérieurs au jugement arrêtant le plan de redressement et impayés à 827 278,81 €, et non les 907 278,09 euros qui avaient été retenus par le tribunal.
Six années sans tentative de recouvrement ni résiliation du contrat de bail, caractérisent dès lors l'existence de relations financières anormales entre les deux sociétés, caractéristiques d'une confusion de leurs patrimoines, sans qu'il y ait lieu de constater quelque imbrication matérielle de leurs comptes respectifs, et peu important par ailleurs la circonstance que cette situation préjudiciable à la trésorerie de la société Fica track ait profité aux créanciers de la société Puissance kart.
Les relations financières entre deux sociétés sont anormales dans la mesure où elles ne se rattachent à aucune obligation juridique ou lorsqu'elles sont dépourvues de tout intérêt pour l'une des parties, l'anormalité se déduisant ainsi de l'absence d'intérêt ou de toute contrepartie, comme le liquidateur le soutient ; elle se déduit de surcroît en l'espèce de l'absence d'indexation qui a privé la bailleresse de 54 385 € HT depuis le quatrième trimestre 2018 ; et il est tout aussi atypique qu'un bailleur commercial ne prévoie aucun dépôt de garantie de la part de son preneur pour se prémunir d'éventuels impayés.
Ces éléments résultent en réalité d'un arbitrage entre les intérêts contraires de ces deux sociétés.
Le liquidateur observe utilement en outre que les tentatives de recouvrement qui sont invoquées par l'appelante sont toutes postérieures à l'ouverture au jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire.
Les conditions de l'extension de la procédure de liquidation judiciaire de la société Puissance kart à la société Fica track étant remplies, le moyen tiré de l'aggravation du passif de l'appelante doit être écarté, celle-ci étant précisément le but poursuivi.
En définitive, même s'il a retenu une période pour partie erronée, le tribunal a justement retenu qu'il ressort de l'ensemble de ces éléments l'existence de relations financières anormales entre les sociétés Fica track et Puissance kart, constitutives d'une confusion de leurs patrimoines.
Le jugement qui a prononcé l'extension de la procédure collective de cette dernière à Fica track doit être confirmé.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant
Dit que les dépens d'appel seront frais de la procédure collective de la société Fica track ;
Dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le greffier La présidente
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
Chambre commerciale
ARRET DU 14 OCTOBRE 2025
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 25/02373 - N° Portalis DBVK-V-B7J-QUWE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 09 AVRIL 2025
TRIBUNAL DE COMMERCE DE PERPIGNAN
N° RG 2024f01094
APPELANTE :
SARL FICA TRACK au capital de 4 100 000 €uros, immatriculée au RCS de BEZIERS sous le N° 530 685 809, prise en la personne de son représentant légal en exercice
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Célia VILANOVA substituant Me Philippe SENMARTIN de la SELARL CSA, avocat au barreau de MONTPELLIER, avoact postulant
Représentée par Me Frédéric DABIENS, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant
INTIMEES :
[V] [K] ès qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire de la SAS PUISSANCE KART désignée par Jugement rendu le 7 Février
2024 par le Tribunal de Commerce de PERPIGNAN
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Christine AUCHE-HEDOU substituant Me Jacques-Henri AUCHE de la SCP AUCHE HEDOU, AUCHE - AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocats postulants
Représentée par Me Jean-Philippe NESE, avocat au barreau de PERPIGNAN, avocat plaidant
S.A.S. PUISSANCE KART immatriculée au RCS de PERPIGNAN sous le N° 432 651 438, prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité au siège social sis
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 6]
non constituée
signification déclaration d'appel le 19 mai 2025 - procès-verbal de recherches infructeuses
Ordonnance de clôture du 26 Août 2025
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 SEPTEMBRE 2025, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :
Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre
M. Thibault GRAFFIN, conseiller
M. Fabrice VETU, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Elodie CATOIRE
Ministère public :
L'affaire a été communiquée au ministère public, qui a fait connaître son avis le 02 septembre 2025.
ARRET :
- par défaut
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre, et par Mme Elodie CATOIRE, greffière.
FAITS ET PROCEDURE
Le 7 mai 2013, la SARL Fica Track a donné à bail à la SAS Puissance Kart un ensemble immobilier sis [Adresse 5] à [Localité 6] portant sur un circuit automobile et un bâtiment moyennant paiement d'un loyer annuel de 150 000 euros HT payable par mensualités de 15 000 € TTC.
La société Puissance kart a été placée en redressement judiciaire le 19 juillet 2017, Me [K] [V] et Me [C] [J] étant désignés en qualité d'administrateurs judiciaires.
À l'issue de la période d'observation, le tribunal de commerce de Perpignan a arrêté un plan de redressement le 18 juillet 2018
Par jugement du 7 février 2024, le tribunal de commerce de Perpignan a prononcé la résolution du plan de redressement et placé la SAS Puissance Kart en liquidation judiciaire, et désigné Me [K] [V] en qualité de liquidateur.
Le 3 avril 2024, la société Fica Track a déclaré sa créance pour un montant de 907 278,09 euros à titre chirographaire, qui a été admise au passif de la société Puissance kart.
Par ordonnance du 30 mai 2024 le juge-commissaire a ordonné la vente de gré à gré du fonds de commerce appartenant à la société Puissance kart au profit de la société Groupe Magi. Le bailleur, qui avait lui-même fait une offre d'achat du fonds de commerce, a interjeté appel en soutenant que le contrat de bail commercial était résilié et qu'il n'existait plus aucun fonds de commerce à céder.
Le montant des loyers de mars à juin 2024 objet d'un commandement de payer visant la clause résolutoire délivré par la société Fica track le 14 juin 2024 puis des mois de juin et juillet 2024 ont été réglés.
Par exploit du 22 juillet 2024, Me [K] [V] ès qualités, a assigné la société Fica Track aux fins de voir juger que ses relations commerciales avec la société Puissance Kart sont anormales, caractérisant une confusion de leurs patrimoines, et voir prononcer en conséquence l'extension de la procédure de liquidation judiciaire.
Par jugement contradictoire du 9 avril 2025, le tribunal de commerce de Perpignan a :
dit que les demandes de Mme [K] [V], ès qualités, sont recevables ;
dit que les relations financières entre la société Fica Track et la société Puissance Kart sont anormales ;
constaté la confusion des patrimoines des sociétés Puissance Kart et Fica Track ;
prononcé l'extension de la procédure collective de la société Puissance Kart à la société Fica Track ;
confirmé la date de cessation de paiements au 18 janvier 2024 ;
confirmé la désignation de Mme [K] [V] en qualité de liquidateur judiciaire ;
débouté la société Fica Track de l'intégralité de ses demandes ;
et l'a condamnée à payer à Mme [K] [V], ès qualités, la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par déclaration du 30 avril 2025, la SARL Fica Track a relevé appel de ce jugement.
Par conclusions du 14 août 2025, elle demande à la cour, au visa des articles L. 621-2 et L. 641-1 du code de commerce, de :
déclarer son appel recevable et bien fondé ;
infirmer sinon réformer (sic) le jugement entrepris ;
statuant à nouveau,
déclarer qu'il n'existe pas de confusion de patrimoines et rejeter l'extension de la procédure de liquidation judiciaire de la société Puissance Kart à son encontre ;
débouter Me [K] [V], ès qualités, de l'ensemble de ses demandes ;
et la condamner à payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
Par conclusions du 10 juillet 2025, Me [K] [V], ès qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire de la SAS Puissance Kart, demande à la cour, au visa des articles L. 621-2 et L. 641-1 du code de commerce, de débouter la société Fica Track de l'ensemble de ses demandes, de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, ajoutant, de la condamner à payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens d'appel.
Il est renvoyé, pour l'exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
La SAS Puissance Kart, destinataire de la déclaration d'appel par procès-verbal de recherches infructueuses du 19 mai 2025, n'a pas constitué avocat.
L'ordonnance de clôture est datée du 26 août 2025.
Le ministère public, par avis du 2 septembre 2025, s'en rapporte à l'appréciation de la cour.
MOTIFS
L'appelante fait valoir au soutien de son appel les moyens suivants :
' avant l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire le 7 février 2024, la société Fica track était créancière de la société Puissance kart pour la somme de 907 278,09 euro arrêtée au 7 février 2024 ; les loyers nés postérieurement au jugement de liquidation judiciaire sont demeurés impayés jusqu'à ce que la société Fica track engage de nombreuses procédures contre la société Puissance kart : mise en demeure de liquidateur pour qu'il se prononce sur la poursuite du contrat de bail, requête en résiliation du bail, commandement de payer, ce qui a donné lieu à la réponse vindicative du liquidateur en extension de procédure ;
' aucune confusion de patrimoine entre les sociétés n'est démontrée, l'identité des dirigeants des deux sociétés ne suffisant pas à caractériser la confusion des patrimoines de ces deux sociétés, de sorte que si l'un des dirigeants de la société Fica track , aujourd'hui décédé était également dirigeant de la société Puissance kart, cet élément ne caractérise en rien une éventuelle confusion des patrimoines ;
' s'agissant de l'existence de relations financières anormales, le liquidateur ne peut pas fonder son action sur des faits antérieurs à une précédente procédure collective ; en l'espèce la procédure de liquidation judiciaire prononcée sur résolution du plan de redressement est une procédure distincte de la précédente procédure de redressement judiciaire ;
' la Cour de cassation a ainsi jugé que « Lorsqu'une procédure de redressement judiciaire a été étendue à d'autres débiteurs en application de l'article L. 621-2 alinéa 2 du code de commerce, et qu'un même plan a été arrêté en faveur des débiteurs soumis à la procédure unique, l'extension de procédure cesse lorsque ce plan est résolu. Si la jonction des procédures de liquidation judiciaire ouverte après la résolution du plan peut être prononcée, c'est à la condition de caractériser l'existence d'une confusion des patrimoines pour des faits postérieurs au jugement arrêtant le plan » (Cass. Com. 8 décembre 2021 n° 20-17. 766) ;
' en l'espèce, les faits invoqués par Me [V] (absence de paiement des loyers à partir du 1er janvier 2014, absence de tentative de recouvrement des loyers, absence de versement du dépôt de garantie lors de la conclusion du bail le 7 mai 2013, absence de révision du loyer indexé notamment en 2018) sont pour partie antérieurs à la procédure de redressement judiciaire ouverte le 19 juillet 2017 et à l'adoption du plan le 18 juillet 2018, de sorte que le liquidateur ne peut fonder son action en extension sur des faits antérieurs lesquels auraient pu être traités dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire antérieure à celle de liquidation judiciaire ;
' Il n'est pas contesté que la société Puissance kart n'a pas davantage réglé loyers à l'appelante à compter de l'adoption du plan de redressement ; il s'agit d'un soutien consenti par une société à une autre qui n'est pas en soi anormal, même s'il s'appuie sur un procédé irrégulier ; ainsi, le seul défaut de paiement des loyers ne suffit pas à caractériser une relation financière anormale entre la société bailleresse et le preneur ;
' il en va de même de la non-application de la clause de révision du loyer ;
' l'appelante n'a pas contrevenu à son propre intérêt social, et elle a engagé des procédures dès qu'elle a constaté que la situation de la société Puissance kart était sérieusement compromise, déclaré sa créance le 3 avril 2024, mis en demeure le liquidateur de se prononcer sur la poursuite ou la résiliation du bail commercial le 17 avril 2024, engagé une procédure en résiliation du bail commercial devant le juge commissaire pour défaut de paiement des loyers le 7 juin 2024, et délivré un commandement de payer visant la clause résolutoire le 14 juin 2025 ;
' pour caractériser une confusion des patrimoines il est nécessaire non seulement d'identifier des relations financières commerciales anormales, mais aussi une imbrication des comptes des sociétés en cause ;
' enfin l'extension de la procédure viendrait aggraver d'autant le passif de la société Puissance kart et amoindrir le sort des créanciers de la société Fica track, de sorte que l'extension est parfaitement inopportune.
Le liquidateur répond que :
' des relations financières entre deux sociétés sont anormales lorsqu'elles ne se rattachent à aucune obligation juridique, ou lorsqu'elles sont dépourvues de tout intérêt pour l'une des parties ; l'anormalité se déduit ainsi de l'absence d'intérêt ou de toute contrepartie ; elle se déduit d'un faisceau d'indices ;
' la chambre commerciale de la cour de céans a déjà eu l'occasion d'estimer que ces indices étaient suffisants dans le cas d'une société ayant conclu un bail à des conditions atypiques, n'étant pas réglées du montant des loyers, et ne procédant à aucune tentative de recouvrement ;
' la société Fica track soutient en revanche exactement en cause d'appel que le liquidateur ne peut pas la poursuivre en extension de la procédure de liquidation judiciaire sur des faits antérieurs à une précédente procédure collective, ce qui est parfaitement vrai ; lorsqu'un plan arrêté est par la suite résolu, donnant lieu à l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire, l'existence d'une confusion de patrimoine doit être caractérisée par des faits postérieurs au jugement arrêtant le plan ;
' or il ressort de la déclaration de créance réalisée par l'appelante elle-même et des documents qui y sont annexés que la totalité ou presque de la dette locative de la société Puissance car envers la société Fica track est postérieure à l'arrêté du plan qui a été adopté le 18 juillet 2018 alors que la conversion est intervenue le 7 février 2024, ce qui caractérise les relations financières anormales systématiques, caractéristiques d'une confusion des patrimoines des deux sociétés ;
' c'est ainsi que dans le cadre de ses conclusions de première instance, la société Fica track a pu soutenir, à titre subsidiaire, que « dans l'intention de mener au mieux l'activité de la société Puissance kart M. [L] [N] a dû opérer un arbitrage constant entre la survie de l'activité de la société Puissance kart et le paiement du loyer, seul levier financier qu'il avait à sa disposition » ;
' les conditions nécessaires à l'extension de la procédure de liquidation judiciaire étant remplies, il n'y a pas lieu de considérer l'opportunité ou non d'étendre la procédure, ce qui relèverait d'un déplorable arbitraire.
SUR CE, LA COUR
La société Fica track soutient exactement en cause d'appel que le liquidateur ne peut pas la poursuivre en extension de la procédure de liquidation judiciaire sur des faits antérieurs à une précédente procédure collective, et que lorsqu'un plan arrêté est par la suite résolu, donnant lieu à l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire, l'existence d'une confusion de patrimoine doit être caractérisée par des faits postérieurs au jugement arrêtant le plan.
Mais le liquidateur, qui est convenu de ce moyen de droit, fait valoir exactement qu' il ressort de la déclaration de créance réalisée par l'appelante elle-même, et des documents qu'elle y a annexés, que la quasi totalité de la dette locative de la société Puissance kart envers la société Fica track est postérieure à l'arrêté du plan qui a été adopté le 18 juillet 2018, la conversion est intervenue le 7 février 2024, soit à compter du mois d'août 2018 : un arriéré de loyer de 53 500 €, en 2019 un arriéré de loyer de 151 500 €, en 2020 148 050 € et ainsi de suite jusqu'en 2024, ce qui conduit le montant total des loyers postérieurs au jugement arrêtant le plan de redressement et impayés à 827 278,81 €, et non les 907 278,09 euros qui avaient été retenus par le tribunal.
Six années sans tentative de recouvrement ni résiliation du contrat de bail, caractérisent dès lors l'existence de relations financières anormales entre les deux sociétés, caractéristiques d'une confusion de leurs patrimoines, sans qu'il y ait lieu de constater quelque imbrication matérielle de leurs comptes respectifs, et peu important par ailleurs la circonstance que cette situation préjudiciable à la trésorerie de la société Fica track ait profité aux créanciers de la société Puissance kart.
Les relations financières entre deux sociétés sont anormales dans la mesure où elles ne se rattachent à aucune obligation juridique ou lorsqu'elles sont dépourvues de tout intérêt pour l'une des parties, l'anormalité se déduisant ainsi de l'absence d'intérêt ou de toute contrepartie, comme le liquidateur le soutient ; elle se déduit de surcroît en l'espèce de l'absence d'indexation qui a privé la bailleresse de 54 385 € HT depuis le quatrième trimestre 2018 ; et il est tout aussi atypique qu'un bailleur commercial ne prévoie aucun dépôt de garantie de la part de son preneur pour se prémunir d'éventuels impayés.
Ces éléments résultent en réalité d'un arbitrage entre les intérêts contraires de ces deux sociétés.
Le liquidateur observe utilement en outre que les tentatives de recouvrement qui sont invoquées par l'appelante sont toutes postérieures à l'ouverture au jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire.
Les conditions de l'extension de la procédure de liquidation judiciaire de la société Puissance kart à la société Fica track étant remplies, le moyen tiré de l'aggravation du passif de l'appelante doit être écarté, celle-ci étant précisément le but poursuivi.
En définitive, même s'il a retenu une période pour partie erronée, le tribunal a justement retenu qu'il ressort de l'ensemble de ces éléments l'existence de relations financières anormales entre les sociétés Fica track et Puissance kart, constitutives d'une confusion de leurs patrimoines.
Le jugement qui a prononcé l'extension de la procédure collective de cette dernière à Fica track doit être confirmé.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant
Dit que les dépens d'appel seront frais de la procédure collective de la société Fica track ;
Dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le greffier La présidente