CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 14 octobre 2025, n° 25/00233
PARIS
Ordonnance
Autre
PARTIES
Demandeur :
PR Congo Suite Pays (Sté)
Défendeur :
Pr Europe (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Gouarin
Avocats :
Boccon Gibod, Auché
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS
La société Pramac Europe, devenue PR Europe est spécialisée dans la production, le développement et la commercialisation dans le monde entier de différentes gammes de matériels de manutention, et de groupes électrogènes.
La société de droit congolais PR Congo, constituée en 2017, a pour activité la commercialisation des groupes électrogènes et engins de manutention produits par la société PR Europe, dans le cadre de la distribution exclusive des produits de marque Pramac sur le territoire de la République Démocratique du Congo (la RDC).
Le 22 novembre 2017, les sociétés PR Congo et Pramac Europe ont conclu un contrat de distribution exclusive relatif notamment à des groupes électrogènes et des engins de manutention de marque Pramac sur le territoire de la RDC, pour une durée initiale de 36 mois, automatiquement renouvelable pour une durée de deux ans.
La société PR Congo s'est engagée à rembourser à Pramac Europe la créance d'un montant de 662.523,18 euros de la société Ital Motors, précédent distributeur de la marque Pramac.
La société Orioncom est une société de droit congolais spécialisée dans la fourniture d'accès Internet.
Par acte du 22 novembre 2017, la société Orioncom s'est portée garante des engagements de la société PR Congo.
Le 2 mars 2021, la société Pramac Europe, motifs pris de la violation des obligations de paiement par la société PR Congo, a informé celle-ci que le contrat les unissant avait pris fin à la date de son terme initial, le 22 novembre 2020.
Le 28 juillet 2021, la société PR Congo a assigné la société PR Europe devant le tribunal de commerce de Lyon aux fins, notamment, de voir condamner cette dernière au paiement de diverses sommes au titre de notes de crédits, de l'abandon de créance de 330.000 euros à valoir sur le solde dû par la société PR Congo au titre du rachat de la créance de la société Ital Motors et du préjudice subi du fait des différents manquements contractuels de la société PR Europe.
Par jugement du 7 août 2024, le tribunal de commerce de Lyon a':
- débouté la société PR Congo de l'ensemble de ses demandes au titre des avoirs,
- débouté la société PR Congo de ses demandes d'abandon de créance d'un montant de 330.000 euros,
- condamné la société PR Congo à payer la somme de 325.203,18 euros, somme à parfaire en fonction du taux de change des paiements effectués en dollars, outre intérêts au taux de 8% au-dessus du taux de base Euribor en vigueur,
- Condamné la société PR Congo à payer la somme de 57.726,72 euros outre intérêts au taux de 8% au-dessus du taux de base Euribor en vigueur,
- débouté la société PR Congo de l'ensemble de ses demandes au titre de la rupture du contrat,
- rejeté la demande de la société PR Europe au titre de la non réalisation des objectifs,
- rejeté la demande de dommages et intérêts de la société PR Europe,
- condamné la société PR Congo à payer à la société PR Europe la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société PR Congo aux entiers dépens de l'instance.
Le 30 octobre 2024, l'assemblée générale extraordinaire de la société PR Congo a décidé la dissolution de la société et la désignation comme liquidateur amiable de Me [E] [Z] [D], le siège de la liquidation étant domicilié au cabinet [Z] et associés [Adresse 2] dans la commune de [Localité 5].
Le procès-verbal de cette assemblée général extraordinaire prévoit dans sa troisième résolution': «'le liquidateur nommé représente en demande et en défense la société devant les tiers en RDC ou ailleurs, les instances judiciaires, administratives, étatiques ou paraétatiques et dispose des pouvoirs les plus étendus pour réaliser les opérations de liquidation, notamment dans la réalisation de l'actif, de paiement du passif jusqu'à l'avis de clôture de la liquidation conformément aux prescrits de l'article 268 de l'acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et groupements d'intérêts économiques OHADA'».
Le procès-verbal de cette assemblée générale extraordinaire a été déposé le 7 novembre 2024 au guichet unique de création d'entreprise de [Localité 5].
Selon déclaration du 13 décembre 2024, la société PR Congo a relevé appel de cette décision.
Cette déclaration d'appel est ainsi libellée': «'La société PR CONGO, SARL de droit étranger, dont le siège social est [Adresse 4] [Localité 5], République démocratique du Congo, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège'».
Par conclusions du 26 septembre 2025, la société PR Europe demande au conseiller de la mise en état de':
-à titre principal, prononcer la nullité de la déclaration d'appel et des conclusions déposées par la société PR Congo pour irrégularité de fond,
- simultanément prononcer la nullité de la déclaration d'appel et des conclusions déposées par la société PR Congo pour irrégularité de forme,
- subsidiairement, déclarer la société PR Congo irrecevable en ses demandes telles qu'elles résultent de sa déclaration d'appel et de ses conclusions car elles se heurtent à une fin de non-recevoir,
- condamner la société PR Congo à lui payer la somme de 4.000 euros à titre d'indemnité de procédure ainsi qu'aux dépens.
Elle soutient que':
- la déclaration d'appel de la société PR Congo et ses premières conclusions sont nulles pour vice de fond, au motif que le libellé de la déclaration d'appel ne permet pas d'identifier le vrai représentant légal de la société appelante qui est le liquidateur, l'adresse mentionnée sur cet acte étant celle du siège de la société et non celle du liquidateur'; qu'en vertu des articles 230 et 231 OHADA le liquidateur représente la société pour tous les actes de la procédure, que seul le liquidateur avait la capacité de former appel à condition d'y être autorisé par décision de justice, ce qui n'est pas le cas en l'espèce';
- la déclaration d'appel de la société PR Congo et ses premières conclusions sont nulles pour vice de forme, au motif que la déclaration d'appel mentionne un représentant légal domicilié au siège de la société, alors que cette société en liquidation n'est plus représentée par son gérant mais par son liquidateur dont le siège est situé à une autre adresse et que la société est domiciliée chez son liquidateur, cette irrégularité formelle n'ayant été que partiellement régularisée dans les premières conclusions de l'appelante faute de mentionner le jugement autorisant le liquidateur à agir, cette irrégularité de forme lui causant un grief tenant à la dissimulation de la liquidation et aux vaines tentatives d'exécution forcée en RDC';
- les demandes formées par l'appelante sont irrecevables au motif que le dirigeant de la société PR Congo n'a pas qualité pour interjeter appel et que le liquidateur n'a pas qualité pour intervenir dans les premières conclusions de la société PR Congo dès lors qu'il n'y a pas été autorisé par décision de justice.
Par dernières conclusions du 25 septembre 2025, la société PR Congo demande au conseiller de la mise en état de':
- juger sa déclaration d'appel valide et recevable,
- juger les conclusions d'appelant n°1 déposées par ses soins valides et recevables,
- en conséquence, débouter la société Pramac Europe de ses demandes de nullité,
- débouter l'intimée de ses demandes d'irrecevabilité,
- débouter l'intimée de l'ensemble de ses demandes,
- condamner la société PR Europe à lui verser la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Elle fait valoir que':
- l'intimée ne peut remettre en cause la validité des démarches entreprises et de la désignation du liquidateur dès lors que l'acte de nomination du liquidateur a été régulièrement publié, que l'article 212 de l'acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique OHADA prévoit expressément que : « ni la société, ni les tiers ne peuvent, pour se soustraire à leurs engagements, se prévaloir d'une irrégularité dans la nomination ou dans la révocation du liquidateur, dès lors que celle-ci a été régulièrement publiée »';
- l'article 231 (relatif aux dispositions particulières) OHADA dont se prévaut la société PR Europe n'a en tout état de cause pas vocation à s'appliquer aux motifs, d'une part, que la liquidation de la société PR Congo n'entre pas dans les conditions prévues à l'article 223 alinéa premier, car cette dernière n'est pas dans le défaut de clauses statutaires ou conventionnelles expresses et que des statuts ont été établis prévoyant que le ou les gérants jouissent vis-à-vis des tiers des pouvoirs les plus étendus pour représenter la société, agir en son nom en toute circonstance sans avoir à justifier de pouvoirs spéciaux et accomplir tout acte relatif à l'objet de la société par tous moyens et voies de droit, d'autre part, que les pouvoirs du liquidateur ont été expressément déterminés dans le procès-verbal du 30 octobre 2024 le nommant et certifié conforme par le tribunal de Kinshasa.
MOTIVATION
1. Sur la nullité de la déclaration d'appel et des premières conclusions d'appelante pour vice de forme
Il résulte de l'article 114 du code de procédure civile que les irrégularités qui affectent les mentions de la déclaration d'appel relatives au représentant d'une personne morale constituent des vices de forme dont la nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour celui qui l'invoque de prouver l'existence d'un grief (Civ. 1, 6 décembre 2005, n°03-12.342).
En l'espèce, la déclaration d'appel du 13 décembre 2024, par laquelle la société PR Congo a relevé appel du jugement rendu le 7 août 2024 par le tribunal de commerce de Lyon, est ainsi libellée': «'La société PR CONGO, SARL de droit étranger, dont le siège social est [Adresse 3] à KINSHASA, République démocratique du Congo, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège'»';
Le vice de forme tenant à l'absence de mention du liquidateur de la société PR Congo, désigné le 30 octobre 2024, soit antérieurement à la déclaration d'appel, ainsi que du domicile de ce dernier n'a cependant pas causé de grief à la société PR Europe
En effet, contrairement à ce que soutient la société PR Europe, ni l'ouverture d'une liquidation amiable ni la désignation d'un liquidateur n'a été dissimulée aux tiers, dès lors que le procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire de la société PR Congo du 30 octobre 2024 décidant sa liquidation amiable et désignant le liquidateur a été déposé au guichet unique de création d'entreprise et fait l'objet d'une modification du registre du commerce et du crédit mobilier le 7 novembre 2024, conformément aux dispositions de l'article 266 de l'acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique OHADA, de sorte que la liquidation amiable comme la désignation du liquidateur étaient opposables aux tiers dès cette date.
Au surplus, l'irrégularité de forme concernant la désignation du représentant légal de la société a été régularisée au sens de l'article 115 du code de procédure civile par les premières conclusions déposées le 29 avril 2025 par la société PR Congo, ainsi libellées': «'la société PR CONGO, société à responsabilité limitée unipersonnelle au capital de 4.800.000 CDF, régie par les lois de la République Démocratique du Congo, dont le siège social est [Adresse 3] à [Localité 5], République démocratique du Congo, immatriculée au RCCM sous le numéro CD/KNM/RCCM/17B00381, représentée par son liquidateur, Maître [E] [Z] [D], sis [Adresse 1] dans la commune de [Localité 5]'», peu important que cette mention ne comprenne pas de référence à une décision de justice autorisant le liquidateur à agir qui relève de l'appréciation d'un vice de fond résultant du défaut de pouvoir à agir.
Le moyen tiré d'un vice de forme est donc non fondé.
2. Sur la nullité de la déclaration d'appel et des premières conclusions d'appelante pour vice de fond
Les dispositions de l'article 212 de l'acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique OHADA , selon lesquelles « ni la société, ni les tiers ne peuvent, pour se soustraire à leurs engagements, se prévaloir d'une irrégularité dans la nomination ou dans la révocation du liquidateur, dès lors que celle-ci a été régulièrement publiée » ne privent pas une partie de la faculté de se prévaloir des irrégularités de fond affectant des actes de procédure au regard des dispositions du code de procédure civile applicables devant les juridictions françaises saisies.
Selon l'article 231 de l'acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique OHADA, le liquidateur ne peut continuer les affaires en cours ou en engager de nouvelles, pour les besoins de la liquidation, que s'il y a été autorisé par décision de justice.
L'article 223 1°) dispose que les dispositions du présent chapitre, comprenant celles de l'article précité, s'appliquent exclusivement en cas de liquidation organisée à l'amiable, à défaut de clauses statutaires ou conventionnelles expresses entre les associés et ayant le même objet ou en présence d'une convention entre les associés prévoyant l'application des articles 224 à 241 ci-après.
En l'espèce, les statuts de la société PR Congo prévoient que le ou les gérants jouissent vis-à-vis des tiers des pouvoirs les plus étendus pour représenter la société, agir en son nom en toute circonstance sans avoir à justifier de pouvoirs spéciaux et accomplir tout acte relatif à l'objet de la société par tous moyens et voies de droit, sans toutefois comprendre des clauses ayant le même objet que les dispositions des articles 224 à 241 de l'acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique OHADA, qui régissent notamment les modalités de désignation du liquidateur, définissent les pouvoirs de celui-ci, prévoient la convocation de l'assemblée des associés, règle le sort des capitaux propres et la répartition des fonds entre les créanciers et les associés
Outre qu'il ne comporte pas de résolutions ayant intégralement le même objet que les dispositions des articles 224 à 241 de l'acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique OHADA, le procès-verbal du 30 octobre 2024, selon lequel l'assemblée générale extraordinaire de la société PR Congo a décidé la dissolution de la société, désigné comme liquidateur amiable Me [E] [Z] [D] et prévu, en sa troisième résolution, que «'le liquidateur nommé représente en demande et en défense la société devant les tiers en RDC ou ailleurs, les instances judiciaires, administratives, étatiques ou paraétatiques et dispose des pouvoirs les plus étendus pour réaliser les opérations de liquidation, notamment dans la réalisation de l'actif, de paiement du passif jusqu'à l'avis de clôture de la liquidation conformément aux prescrits de l'article 268 de l'acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et groupements d'intérêts économiques OHADA'», n'a ni une nature statutaire, ni une nature conventionnelle au sens de l'article L. 223 1°) de l'acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique OHADA .
Ainsi, les dispositions de l'article 231 de l'acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique OHADA trouvent à s'appliquer.
Or Me [E] [Z] [D], liquidateur amiable de la société PR Congo, ne justifie pas avoir été autorisé par décision de justice pour interjeter appel du jugement rendu le 7 août 2024 par le tribunal de commerce de Lyon.
Il s'ensuit que Me [E] [Z] [D], liquidateur amiable de la société PR Congo, était, à la date de la déclaration d'appel litigieuse, dépourvu du pouvoir pour agir au nom de la société PR Congo dans la présente instance au sens de l'article 117 du code de procédure civile.
Il y a donc lieu de prononcer la nullité de la déclaration d'appel déposée le 13 novembre 2024 au nom de la société PR Congo, sans qu'il y ait lieu de statuer sur la validité des conclusions au fond de l'appelante.
3. Sur les demandes accessoires
La société PR Congo, qui succombe, sera condamnée aux dépens d'appel, débouté de sa demande d'indemnité de procédure et condamné à payer à la société PR Europe la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Le conseiller de la mise en état, statuant par ordonnance contradictoire mise à disposition au greffe,
Déclare nulle la déclaration d'appel déposée le 13 novembre 2024 au nom de la société PR Congo'à l'encontre du jugement rendu le 7 août 2024 par le tribunal de commerce de Lyon ;
Condamne la société de droit congolais PR Congo aux dépens d'appel et à payer à la société PR Europe la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Paris, le 14 octobre 2025