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Décisions

CA Montpellier, ch. com., 14 octobre 2025, n° 24/01267

MONTPELLIER

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

CL Conseils (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Demont

Conseillers :

M. Graffin, M. Vetu

Avocats :

Me Regam, Me Di Frenna, SCP Sanguinede Di Frenna & Associes, Me Arslan Arikan, SELARL VAA Avocats

T. com. Béziers, du 29 janv. 2024, n° 20…

29 janvier 2024

FAITS ET PROCEDURE :

Le 22 novembre 2019, M. [H] [P] a signé un contrat d'agent commercial avec la SARL CL Conseils, mandant, ayant pour objet de réaliser, à titre de profession indépendante, des opérations relatives à l'activité de conseiller en défiscalisation immobilière sur le secteur Aude et Pyrénées-Orientales.

Par lettre du 8 avril 2022, la société CL Conseils a résilié ce contrat aux torts exclusifs de M. [H] [P] et sollicité le paiement de la somme de 73 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Par ordonnance portant injonction de payer en date du 24 octobre 2022, le président du tribunal de commerce de Béziers a enjoint à la société CL Conseils de payer la somme de 3 037,65 euros à M. [H] [P], correspondant à des honoraires dus au titre de la réalisation d'une vente immobilière.

La société CL Conseils a formé opposition et par exploit du 7 décembre 2022, elle a assigné M. [H] [P] aux fins de voir constater ses manquements graves à son mandat d'agent commercial et condamner au paiement des sommes de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral et 35 000 euros en réparation de son préjudice financier.

Par jugement contradictoire du 29 janvier 2024, le tribunal de commerce de Béziers a :

jugé qu'il est compétent pour connaître de l'affaire ;

constaté que par jugement du 29 janvier 2024, le tribunal de commerce de Béziers a prononcé la jonction de l'affaire portant le n° RG 2023 000645 avec ladite affaire, celles-ci étant connexes et tendant aux mêmes fins ;

constaté les manquements graves de M. [H] [P] à son mandat d'agent commercial ;

jugé qu'est justifiée la rupture par la société CL Conseils du contrat la liant à M. [H] [P] aux seuls torts de celui-ci ;

débouté M. [H] [P] de sa demande de versement de la somme de 10 000 euros au titre d'une indemnité de rupture de contrat ;

condamné M. [H] [P] à payer à la société CL Conseils les sommes de :

10 000 euros en réparation du préjudice moral et du préjudice lié à l'atteinte à l'image, au nom et à sa notoriété ;

42 000 euros en réparation du préjudice financier tel que contractuellement prévu ;

1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

reçu la société CL Conseils en son opposition formée à l'ordonnance portant injonction de payer du 24 octobre 2022 ;

mis à néant ladite ordonnance ;

Statuant à nouveau,

- jugé la société CL Conseils redevable envers M. [H] [P] de la somme de 3 037,65 euros en paiement de prestations réalisées pour son compte par M. [H] [P] ;

- jugé que la somme de 3 037,65 euros dont elle est redevable sera compensée avec les sommes dues par M. [H] [P] ;

rappelé que l'exécution provisoire est de droit ;

et rejeté toutes autres demandes.

Par déclaration du 7 mars 2024, M. [H] [P] a relevé appel de ce jugement.

Par conclusions du 5 juin 2024, il demande à la cour, au visa des articles 1405 et suivants du code de procédure civile, de l'article 1104 du code civil et des articles L. 134-3, L. 134-4 et L. 134-12 du code de commerce de :

infirmer le jugement entrepris ;

Statuant à nouveau,

juger qu'il n'a commis aucune violation en sa qualité de commercial indépendant dans le cadre de l'exercice de son mandat non exclusif le liant à la société CL Conseils ;

débouter la société CL Conseils de l'ensemble de ses demandes ;

À titre reconventionnel,

la condamner à lui payer la somme de 10 000 euros à titre d'indemnité compensatrice en réparation de son préjudice subi du fait de la rupture de la relation contractuelle ;

Concernant l'ordonnance portant injonction de payer,

confirmer l'ordonnance portant injonction de payer du 24 octobre 2022 rendue par le tribunal de commerce de Béziers à l'encontre de la société CL Conseils et la condamner à lui payer la somme de 3 037,65 euros au titre de ses prestations ayant permis la vente d'un bien immobilier le 20 mai 2022 à Mme [O] [T] avec intérêt au taux légal à compter du 24 octobre 2022 ;

rejeter l'ensemble de ses demandes ;

En tout état de cause,

et la condamner à payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions du 22 juillet 2024, la SARL CL Conseils demande à la cour, au visa des articles 1103 et suivants, 1217 et suivants, 1219, 1347, 1348 du code civil, des articles 48, 367 du code de procédure civile et des articles L. 134-3, L. 134-4 et L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce, de :

confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a condamné M. [H] [P] à lui payer les sommes de 42 000 euros en réparation du préjudice financier et 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau,

le condamner à lui payer la somme de 48 000 euros en réparation de son préjudice financier tel que contractuellement prévu ;

et le condamner à payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Il est renvoyé, pour l'exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est datée du 12 août 2025.

MOTIFS

Sur les manquements aux obligations statutaires et les réparations qui en découlent

Moyens des parties :

1. M. [H] [P] rappelle qu'en vertu des principes de liberté du travail et de la concurrence, sauf disposition contractuelle contraire, rien ne vient s'opposer à ce qu'un professionnel exerce des activités pour le compte de différentes entreprises et que les restrictions à cette liberté doivent être justifiées, proportionnées et inscrites clairement dans le mandat.

Il fait valoir à la suite, qu'en l'espèce, dès lors qu'aucune clause d'exclusivité n'est contenue dans son contrat de mandat commercial, il est libre de prester pour la société Valority ou toute autre entité, ceci, pour toute activité qui ne serait pas identique à celle pour laquelle il s'est engagé, à savoir les opérations de défiscalisation immobilière.

2. Il fait encore valoir n'avoir jamais cherché à dissimuler l'utilisation de la boîte mail professionnelle fournie par la société CL Conseils pour ses correspondances relatives à ses activités connexes, ce qui prouverait, selon lui, qu'il n'a rien à se reprocher.

3. Concernant le préjudice financier allégué, il fait valoir que la SARL CL Conseils se base, pour solliciter la somme de 42 000 euros HT, sur des éléments chiffrés contractuellement prévus par la clause de non-concurrence, alors que cette dernière s'applique uniquement après la rupture du contrat, et non pendant son exécution. Cette prétention ne pourrait donc prospérer.

4. La SARL CL Conseils objecte qu'elle officie depuis plus de 26 ans dans le secteur de l'investissement patrimonial et possède une notoriété nationale dans cette branche d'activité.

5.Selon elle M. [H] [P] aurait usé sciemment et délibérément de cette notoriété pour se voir autoriser l'accès à des casernes de gendarmes et de militaires tout en utilisant cette autorisation au profit d'un concurrent, violant ainsi les clauses de son contrat et portant atteinte à son nom et à cette notoriété.

Il en résulte un préjudice financier dont les modalités d'indemnisation sont fixées par l'avenant n°1 au contrat et un préjudice moral justement apprécié, pour ce dernier par les premiers juges et qui se chiffrerait à la somme de 48 000 euros, contrairement à ce que la première juridiction a jugé.

Réponse de la cour :

6. Aux termes des articles L. 134-3 et L. 134-4 du code de commerce, l'agent commercial peut accepter sans autorisation la représentation de nouveaux mandants. Toutefois, il ne peut accepter la représentation d'une entreprise concurrente de celle de l'un de ses mandants sans accord de ce dernier. Les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt commun des parties.

7. Les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information. Ainsi, l'agent commercial doit exécuter son mandat en bon professionnel tandis que le mandant doit mettre l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat.

8. En l'espèce, le mandat confié à l'appelant au regard des différents contrats et avenants concerne selon l'article 2 (objet et conditions d'exercice du mandat) du contrat de conseiller commercial signé par les parties, à l'origine, « un certain nombre d'opérations relatives à l'activité de conseiller en défiscalisation immobilière » dès lors que le « mandant commercialis[ait] en effet depuis de nombreuses années des biens immobiliers dédiés à des opérations de défiscalisation ».

9. Cet objet, et le mandat qui en découle, sont encore établis par la fiche SIREN de la SARL CL Conseils qui exerce l'activité principale d'agence immobilière (pièce n°1 de l'intimée) et de la fiche de présentation de la CGPM présenté comme un « spécialiste de l'investissement locatif pour les militaires », permettant « la constitution d'un patrimoine immobilier et d'un capital financier important » (pièce n°2 de l'intimée).

10. L'objet de ce mandat a été précisé par la suite en ce qu'il a été octroyé à l'appelant « un secteur d'activité privilégié contre rémunération supplémentaire » qui concernait l'Aude et les Pyrénées-Orientales (avenant d'attribution de secteur du 16 décembre 2019, pièce n°5 de l'intimée), une obligation de recourir à la société Hagefi pour financer les biens proposés (avenant au contrat de conseiller commercial du 22 novembre 2019, pièce n°6 de l'intimée) qu'ils soient neufs (défiscalisation) ou anciens.

11. Toutefois, aucune production n'établit l'activité de vente ou placement de produits financiers qui serait exercée par la SARL CL Conseils, tandis que le contrat de conseiller commercial, et ses avenants, ne précisent pas davantage que M. [H] [P] aurait eu mandat de commercialiser de tels produits.

12. Il s'ensuit que la SARL CL Conseils ne peut dès lors se prévaloir de ce qu'elle nomme les « ventes » [R] et [X] qui concernent, respectivement, un plan épargne retraite et une assurance-vie.

13. Pour le surplus, dans le cadre de ce mandat, M. [H] [P], aux termes des textes et notamment du « code de déontologie » devait loyalement informer son mandant de la représentation d'une entreprise concurrente et ne pouvait pas se prévaloir de son appartenance à CL Conseils pour la diffusion d'autres produits et services que ceux commercialisés par cette dernière.

14. Or, il s'avère que les ventes de bien immobilier sont intervenues pour le compte de la société Valority Investissements qui n'est autre qu'un concurrent (il s'agit d'un agent immobilier ' pièce n°9 de l'intimée) alors que pour les besoins de ces transactions, l'appelant se prévalait de son appartenance à la SARL CL Conseils, ou encore, s'est servi des moyens mis à sa disposition par cette société et de son nom (réunion d'information provoquée par M. [H] [P] pour la CGPM avec affichage final au nom de Valority Investissements ' Pièces n°13, 14 et 15 de l'intimée) sans que ces informations soient jamais portées à la connaissance de son mandant par M. [H] [P].

15. Il en va ainsi, comme jugé à bon droit par le tribunal de commerce de Béziers, des ventes immobilières au profit des MDL chef, M. [J] et [Y], l'adjudant-chef, M. [G], M. [U] et Mme [Z], également militaire de la Gendarmerie Nationale avec, en outre l'octroi d'un crédit immobilier pour M. [U] octroyé par un autre organisme que la société Hagefi.

16. Ces agissements ont porté atteinte à la réputation de la SARL CL Conseils auprès des militaires démarchés ; ce préjudice moral sera entièrement réparé par l'octroi de la somme de 7 000 euros à titre de dommages et intérêts.

17. La décision sera seulement infirmée sur le quantum alloué.

18. S'agissant de la demande indemnitaire de 42 000 euros et ses modalités de calcul, contrairement à ce qui est soutenu par l'appelant et jugé en première instance, ceux-ci ont été réalisés en considération de l'avenant n°1 au contrat de conseiller commercial, portant attribution de secteur, et non pas en référence à la clause de non-concurrence.

19. Aux termes de cet avenant et pour rappel, en contrepartie de l'attribution prioritaire à l'appelant des secteurs de l'Aude et des Pyrénées-Orientales, celui s'était interdit de commercialiser tout produit immobilier concurrent et s'était obligé à faire financer les produits de la SARL CL Conseils exclusivement par l'intermédiaire d'Hagefi, courtier en financement.

20. Il était prévu à l'avenant, signé par l'appelant, que tout « manquement à l'une de ces clauses sera[it] constitutif d'une faute entraînant la résiliation du contrat de conseiller commercial, de son avenant et pouvant aller jusqu'au paiement d'une indemnité de 5 000 euros HT par vente réalisée par un moyen autre que par l'intermédiaire de CL Conseils. »

21. L'ensemble des ventes immobilières et le financement litigieux ont tous eu lieu lors d'une réunion qui s'est tenue sur le secteur privilégié (brigade de gendarmerie de [Localité 5]) ou en faveur de militaires de la gendarmerie situés sur ce même secteur. Par suite, elles sont visées par les dispositions contractuelles qui précèdent.

22. M. [H] [P] ne discute pas le montant de l'indemnité contractuelle prévue par le contrat, mais seulement son bienfondé.

23. Dès lors, au regard des six opérations litigieuses et tenant compte d'un taux de TVA appliqué et non contesté de 20%, M. [P] sera condamné à payer à la SARL CL Conseils une indemnité de 36 000 euros.

24. La décision sera réformée en ce sens.

Sur l'imputabilité de la rupture du contrat d'agent commercial et ses suites

25. Il résulte des dispositions d'ordre public des articles L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce que la cessation des relations entre l'agent commercial et son mandant ouvre droit en principe, au profit du premier, à l'indemnité compensatrice du préjudice en résultant, cette réparation étant exclue, notamment, lorsque la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial.

26. La faute grave est celle qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel.

27. Elle s'apprécie en regard de tout manquement caractérisé de l'agent aux obligations mises à sa charge par la loi ou le contrat d'agence, tel que le manquement à l'obligation de diligence ou au devoir de loyauté. A cet égard, la violation de l'interdiction contractuelle de représenter un concurrent sans informer le mandant, ou encore, la transgression des obligations prévues aux articles L. 134-3 et L. 134-4 du code de commerce en fait partie.

28. Les atteintes à l'exécution loyale du mandat par M. [H] [P] sont autant de fautes graves directement à l'origine de la lettre du 8 avril 2022 aux termes de laquelle la SARL CL Conseils a résilié son contrat d'agent commercial.

29.Cette seule constatation exclut de faire droit à sa demande de 10 000 euros au titre de l'indemnité compensatrice. Le jugement déféré confirmé de ce chef.

30.En revanche, ces fautes ne privent pas M. [H] [P] de son droit à commissionnement à hauteur de 3 037,65 euros pour une vente immobilière réalisée dans le cadre de son mandat, droit qui n'est d'ailleurs pas contesté par la SARL CL Conseils.

31. Le jugement déféré sera là encore confirmé sur ce point.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement déféré sauf en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts alloués à la SARL CL Conseils,

Statuant à nouveau et ajoutant,

Condamne M. [H] [P] à payer à la SARL CL Conseils la somme de 7 000 euros au titre de son préjudice moral, et celle de 36 000 euros au titre de son préjudice financier,

Déboute M. [H] [P] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et le condamne à payer à la SARL CL Conseils la somme de 1 500 euros, ainsi qu'aux entiers dépens.

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