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Décisions

CA Caen, 1re ch. civ., 14 octobre 2025, n° 21/01263

CAEN

Arrêt

Autre

CA Caen n° 21/01263

14 octobre 2025

AFFAIRE : N° RG 21/01263 -

N° Portalis DBVC-V-B7F-GXZA

ARRÊT N°

JB.

ORIGINE : DÉCISION du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de [Localité 17] du 28 Septembre 2021

RG n° 19/01290

COUR D'APPEL DE CAEN

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 14 OCTOBRE 2025

APPELANTE :

Madame [U] [T]

née le [Date naissance 3] 1960 à [Localité 31]

[Adresse 1]

[Localité 6]

représentée et assistée de Me Oumou MINET, avocat au barreau de CAEN

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 141180022020007750 du 26/11/2020 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de [Localité 17])

INTIMÉS :

Monsieur [V] [L]

[Adresse 8]

[Localité 11]

non représenté, bien que régulièrement assigné

La SCP [M] [J] et ERIC SCHNEIDER

N° SIRET : [N° SIREN/SIRET 13]

[Adresse 2]

[Localité 5]

prise en la personne de son représentant légal

La Mutuelle [30]

N° SIRET : [N° SIREN/SIRET 12]

[Adresse 4]

[Localité 10]

prise en la personne de son représentant légal

La S.A. [29]

N° SIRET : [N° SIREN/SIRET 9]

[Adresse 4]

[Localité 10]

prise en la personne de son représentant légal

Toutes représentées et assistées de Me Christophe VALERY, avocat au barreau de CAEN

Le SYNDICAT DES COPROPRIETAIRES [34] représenté par son syndic en exercice le cabinet [18]

[Adresse 1]

[Localité 6]

pris en la personne de leur représentant légal

Non représentés, bien que régulièrement assignés

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme BARTHE-NARI, Présidente de chambre,

Mme DELAUBIER, Conseillère,

Mme GAUCI SCOTTE, Conseillère,

DÉBATS : A l'audience publique du 20 mai 2025

GREFFIER : Mme COLLET

ARRÊT : rendu publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile le 14 Octobre 2025 par prorogation du délibéré initialement fixé au 30 Septembre 2025 et signé par Mme BARTHE-NARI, présidente, et Mme LE GALL, greffière

* * *

FAITS ET PROCEDURE

La [Adresse 35], située [Adresse 1], à [Localité 19], et édifiée en 1973, est soumise au statut de la copropriété. Des lots, anciennement occupés par l'hôtel [28] qui a cessé son activité en 1996, ont été ultérieurement divisés pour être vendus. A cette occasion, la société [39] a revendu les lots 191 et 200 à Mme [U] [T] par acte du 16 juin 2004.

Parallèlement, la SCI [Adresse 22] [20] a acquis le lot 202 et la SCI [14] a acquis le lot 192.

Estimant que des parties communes avaient été annexées de manière illicite lors de ces opérations immobilières, le syndicat des copropriétaires de la résidence a sollicité la désignation d'un expert devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Lisieux. Celui-ci a fait droit à cette demande par ordonnance du 13 avril 2000 en désignant M. [R] [B].

Ce dernier a déposé son rapport le 18 février 2005.

Un complément d'expertise a été ordonné les 20 novembre 2008 et 6 août 2009.

M. [B] a déposé son rapport le 17 octobre 2011.

Par actes du 18 juin 2013, le [Adresse 45] a fait assigner Mme [T], la SCI [23] [20] et deux autres copropriétaires, au fond, devant le tribunal de grande instance de Lisieux, notamment afin d'obtenir leur condamnation à restituer des parties communes annexées.

Par jugement du 5 juin 2015, le tribunal de grande instance de Lisieux a entre autres dispositions :

constaté les empiétements suivants, conformément aux plans réalisés par l'expert :

au premier étage (niveau 2) : le lot 191 : 10 m2,

condamné Mme [T], propriétaire dudit lot 191, à restituer 10 m2, conformément aux plans établis par M. [B],

condamné Mme [T] à remettre les lieux dans leur état d'origine et à verser au [42] [Adresse 35] la somme de 13 030,40 euros au titre de l'indemnité d'occupation,

condamné in solidum Mme [T] et la société [16] à verser au [42] [Adresse 35] la somme de 30 000 euros de dommages et intérêts,

débouté Mme [T] et la société [16] de leurs demandes de dommages et intérêts,

condamné in solidum Mme [T] et la société [16] à payer au [42] [Adresse 35] la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en plus des dépens qui comprendront les frais d'expertise de M. [B] et qui pourront être recouvrés directement par Me Reynaud conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Mme [T] a décidé d'interjeter appel de ce jugement et a mandaté Me [P] pour assurer la défense de ses intérêts.

Par une télécopie et un courriel adressés le 17 juillet 2015, Me Philippe Lioubtchansky, avocat au Barreau de Paris, a demandé à Me Eric Schneider, avocat au Barreau de Lisieux, de relever appel du jugement et a ainsi adressé une copie dudit jugement et des actes de signification à avocat du 25 juin 2015.

Il lui a demandé de relever appel dudit jugement en toutes ses dispositions à l'encontre du [Adresse 45] auprès de la cour d'appel de Caen au nom de sa cliente Mme [T].

Me [X] a effectué une déclaration d'appel contre ledit jugement le jour même qui a été enregistrée le 20 juillet 2015 par le greffe de la 1ère chambre civile de la cour d'appel de Caen.

Par un avis adressé par RPVA le 19 août 2015, le greffe a informé Me [X] qu'en raison d'un défaut de constitution d'avocat par l'intimé dans le délai d'un mois, il lui incombait de faire procéder à la signification de la déclaration d'appel conformément à l'article 902 du code de procédure civile dans le mois de cet avis à peine de caducité de la déclaration d'appel.

Par courriel du 21 août 2015, Me [X] a transmis à Me [P] sa facture de postulation devant le tribunal de grande instance de Lisieux et sa facture de provision pour sa postulation devant la cour d'appel et lui a indiqué que, dès le règlement de ces deux factures, il procéderait à la signification requise.

Suivant un avis du 22 octobre 2015 du greffe de la 1ère chambre civile de la cour d'appel de Caen, Me [X] a été sollicité pour s'expliquer par écrit sur la caducité de la déclaration d'appel susceptible d'être encourue, le terme de la signification de cette déclaration ayant expiré le 21 septembre 2015.

En l'absence d'observations des parties et de signification de la déclaration d'appel dans le délai imparti, le conseiller de la mise en état de la cour d'appel de Caen a prononcé la caducité de ladite déclaration d'appel par ordonnance du 9 novembre 2015.

Par arrêt du 23 mai 2017, la cour d'appel de Caen, saisie d'un appel interjeté contre le [46] par la SCI [Adresse 22] [20], autre partie défenderesse lors de l'instance ayant abouti au jugement du 5 juin 2015, a notamment :

infirmé le jugement sur le montant de l'indemnité d'occupation de 7 584,10 euros mise à la charge de la SCI [23] [20], propriétaire du lot 202 et auteur d'un empiétement de 5 m2,

Statuant à nouveau,

condamné cette dernière à payer au [Adresse 45] la somme de 1 470 euros au titre de l'indemnité d'occupation,

confirmé en toutes ses autres dispositions la décision déférée,

Y ajoutant,

condamné la SCI [23] [20] à la restitution de 5 m2 ordonnée par le jugement et ce sous peine d'astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du premier jour du 7ème mois suivant le jour de la signification de l'arrêt,

débouté les parties de toute autre demande contraire ou plus ample.

Estimant que Me [X] avait laissé la déclaration d'appel devenir caduque et qu'il avait engagé sa responsabilité civile professionnelle, par actes des 12, 20 mars et 3 avril 2018, Mme [T] a fait assigner Me [X] ainsi que la SCP d'avocats [M] [J], Olivier [D] et [N] [X], la [40] ([36]) et service gestion des sinistres, le [Adresse 45], représenté par son syndic le cabinet [18] et Me Jean-Claude Nebot, avocat plaidant lors de l'instance devant le tribunal de grande instance de Lisieux, devant le tribunal de grande instance de Caen aux fins de demander la condamnation de Me [X] ainsi que la SCP d'avocats [M] [J], Olivier [D] et [N] [X] au paiement de la somme de 91 150,32 euros en réparation de ses préjudices et de sa perte de chance, outre de la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral, ainsi que leur condamnation et celle de la [36] au paiement des frais irrépétibles, le tout sous le bénéfice de l'exécution provisoire.

Par acte du 9 mars 2020, Mme [T] a fait intervenir à la cause les sociétés [29] et [30], assureurs responsabilité civile de Me [X] et de la SCP d'avocats [M] [J], Olivier [D] et [N] [X].

Par jugement du 28 septembre 2020 auquel il est renvoyé pour un exposé complet des prétentions en première instance, le tribunal judiciaire de Caen a :

constaté qu'à l'audience des plaidoiries du 29 juin 2020, le juge de la mise en état a, par mention au dossier, ordonné la révocation de l'ordonnance de clôture du 4 mars 2020, joint les instances enregistrées sous les numéros de Répertoire Général 18/01290 et 20/01139 et clôturé l'instruction à ladite audience du 29 juin 2020,

constaté le désistement de l'instance et de l'action engagées par Mme [U] [T] contre la [41],

déclaré ce désistement parfait et dit qu'il emporte extinction de l'instance engagée contre la [41],

condamné Mme [U] [T] aux dépens de l'instance engagée contre la [41] et au paiement à celle-ci de la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné solidairement Me [N] [X], la SCP [M] [J], Olivier [D] et [N] [X], les sociétés [30] et [29], à payer à Mme [U] [T] les sommes de 9 423,36 euros et de 1 212,67 euros, en réparation de sa perte de chance d'obtenir la réformation en appel de sa condamnation prononcée par le tribunal de grande instance de Lisieux le 5 juin 2015 au paiement d'une indemnité d'occupation de 13 030,40 euros et aux intérêts légaux afférents,

débouté Mme [U] [T] du surplus de ses demandes indemnitaires,

condamné Me [N] [X], la SCP [M] [J], Olivier [D] et [N] [X], les sociétés [30] et [29], aux dépens, hors ceux relatifs à l'instance engagée contre la [41] par Mme [U] [T] et dit qu'ils seront recouvrés conformément aux textes sur l'aide juridictionnelle,

condamné solidairement Me [N] [X], la SCP [M] [J], Olivier [D] et [N] [X], les sociétés [30] et [29], à payer à Mme [U] [T] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique,

ordonné l'exécution provisoire,

rejeté la demande de Mme [U] [T] tendant à voir déclarer ce jugement opposable aux sociétés [30] et [29], celles-ci étant parties constituées à la présente instance.

Par jugement rectificatif du 13 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Caen a :

ordonné la rectification de l'erreur matérielle contenue dans le jugement rendu le 28 septembre 2020 RG n°18/01290 (numéro de minute 20/177) entre, d'une part, Mme [U] [T] et, d'autre part, Me [N] [X], la SCP [M] [J], Olivier [D] et [N] [X], la [41], les sociétés [30] et [29], le [42] [Adresse 35] et Me [V] [L],

dit qu'il faut lire dans le dispositif dudit jugement :

'Condamné solidairement Me [N] [X], la SCP [M] [J], Olivier [D] et [N] [X], les sociétés [30] et [29], à payer à Me Oumou Minet, avocate de Mme [U] [T], la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique'

au lieu de : 'Condamné solidairement Me [N] [X], la SCP [M] [J], Olivier [D] et [N] [X], les sociétés [30] et [29], à payer à Mme [U] [T] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;'

dit le surplus de ce jugement inchangé,

dit que la présente décision sera mentionnée en marge de la minute et sur les expéditions du jugement rectifié et sera notifiée dans les mêmes formes,

laissé les dépens à la charge du Trésor Public.

Par déclaration du 4 mai 2021, Mme [T] a formé appel de ce jugement demandant son infirmation partielle quant aux condamnations financières.

Par ordonnance du 6 avril 2022, le conseiller chargé de la mise en état de la première chambre civile de la cour d'appel de Caen a prononcé la caducité de la déclaration d'appel à l'encontre de Me [V] [L] et du [Adresse 38].

Par ordonnance du 13 décembre 2023, le conseiller chargé de la mise en état de la première chambre civile de la cour d'appel de Caen a constaté l'interruption de l'instance après le décès de Me [X] le [Date décès 7] 2023.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 15 février 2024, Mme [T] demande à la cour de :

déclarer recevable son appel et la déclarer bien fondée,

infirmer partiellement le jugement du 27 septembre 2020,

Y faisant droit

condamner solidairement la Société Civile Professionnelle d'Avocats [J] [D] [X] et leur assureur la [29] et la SA [29] à réparer le préjudice directement consécutif des fautes commises,

les condamner solidairement à payer, au titre de la réparation de ses préjudices et de la perte de chance qui en découle, la somme de 91 150,32 euros,

les condamner solidairement à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de la réparation de son préjudice moral,

condamner solidairement le défendeur et les assureurs professionnels au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 à Maître [O] [K],

les condamner aux entiers dépens.

Aux termes de leurs dernières écritures notifiées le 25 octobre 2021, Me [N] [X], la SCP [M] [J] et [N] [X], la SA [29] et la société [30] demandent à la cour de :

Au principal,

infirmer le jugement en toutes ses dispositions et débouter Mme [T] de l'intégralité de ses demandes à leur encontre,

A titre subsidiaire, pour le cas où la cour confirmerait le jugement qui a dit que la SCP [M] [J] - [N] [X] et Me [N] [X] avaient commis une faute,

confirmer le jugement qui a fixé le montant du préjudice de Mme [T] aux somme de 9 423,36 euros et 1 212,67 euros en réparation de sa perte de chance,

confirmer le jugement qui a débouté Mme [T] de toutes ses autres demandes,

en conséquence, débouter Mme [T] de toutes ses autres demandes à leur égard,

A titre infiniment subsidiaire,

constater que Mme [T] a été condamnée solidairement avec la société [16] et que son préjudice est donc égal à la moitié des condamnations suivantes :

au titre des dommages et intérêts : 15 000 euros

au titre de l'article 700 : 3 100 euros

au titre des dépens : 14 907,73 euros

dire que ces préjudices sont une perte de chance et que l'indemnité ne peut être égale qu'à une fraction du montant du prétendu préjudice, calculé au prorata des chances d'obtenir réformation des condamnations,

fixer le montant de cette perte de chance à 10%,

En toutes hypothèses,

condamner Mme [T] à leur payer une indemnité de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner Mme [T] aux entiers dépens.

Par ordonnance du 27 mars 2024, le conseiller chargé de la mise en état de la première chambre civile de la cour d'appel de Caen a ordonné d'office la radiation partielle de l'affaire en ce qu'elle a été dirigée contre Me [N] [X].

L'ordonnance de clôture de l'instruction a été prononcée le 23 avril 2025.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions sus-visées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, il convient de constater que la caducité de la déclaration d'appel a été prononcée le 6 avril 2022 à l'égard de Me [V] [L] et le [42] [Adresse 33] [26] [Adresse 32], de sorte qu'ils ne sont plus dans la cause.

Par ailleurs, la cour relève que les parties n'ont pas fait appel des dispositions du jugement rendu le 28 septembre 2020 par le tribunal judiciaire de Caen ayant constaté le désistement d'instance et d'action de Mme [T] contre la [41] ([37]), et de la condamnation prononcée à l'encontre de Mme [T] sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de la [37]. Ces dispositions seront donc nécessairement confirmées.

Sur la responsabilité civile professionnelle de Maître [N] [X] et de la SCP [M] [J], Olivier [D] et [N] [X] :

Mme [T] forme appel du jugement déféré quant au quantum des indemnisations qui lui ont été accordées.

Elle soutient que Me [X], membre de la SCP [J]-[D]-[X] (ci-après GPS), a commis une faute engageant sa responsabilité professionnelle dans la mesure où il a interjeté appel, en tant qu'avocat postulant, du jugement rendu le 5 juin 2015 par le tribunal de grande instance de Lisieux, mais qu'il a omis ensuite de procéder à la signification de la déclaration d'appel aux intimés malgré l'avis qui lui en avait été fait par le greffe de la cour.

Mme [T] soutient que Me [X] avait pourtant l'obligation, en qualité d'avocat postulant, de garantir la régularité des actes de procédure devant la cour.

Elle considère que ce dernier ne peut utilement opposer l'absence de paiement de ses honoraires pour justifier son défaut de diligence.

Mme [T] souligne que Me [X] n'a envoyé qu'un seul courrier à son dominus litis, sans jamais indiquer qu'il entendait dégager sa responsabilité et sans informer le client de ses demandes.

Elle considère donc qu'il a manqué à ses obligations de conscience, de diligence et de prudence, et que c'est de son seul fait que la caducité de l'appel a été prononcée.

Elle entend donc voir reconnaître la responsabilité civile professionnelle de Maître [X] et de la société civile professionnelle dans laquelle il exerçait, la SCP [25].

Mme [T] soutient qu'elle avait de fortes chances d'obtenir l'infirmation, au moins partielle, du jugement à l'égard duquel elle avait fait appel, notamment au regard de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Caen le 23 mai 2017 qui a réduit le montant de l'indemnité d'occupation calculée par les premiers juges.

Mme [T] fait grief aux premiers juges d'avoir considéré que ses chances étaient nulles d'obtenir la réformation du jugement de première instance s'agissant des condamnations prononcées au titre de l'empiètement, de la restitution de la surface et des condamnations prononcées in solidum avec la société [15].

Elle indique que dans le cadre de l'appel, elle entendait critiquer les conclusions du rapport d'expertise, mais aussi démontrer qu'elle n'avait aucun lien avec la société [15]. A cette fin, elle avait de nouvelles pièces à produire à la cour d'appel pour prouver qu'elle n'a jamais été gérante de cette société et ainsi être dégagée de toute condamnation au titre de dommages et intérêts au profit du [Adresse 44].

En réplique, la SCP [J]-[D]-[X] et ses assureurs forment appel incident du jugement déféré et contestent leur responsabilité.

Ils rappellent que Me [X] n'intervenait que comme postulant devant la cour, sur demande de Me [P], et que dès le 21 août 2015 il a avisé celui-ci de la nécessité de signifier la déclaration d'appel aux intimés.

La SCP [25] souligne que Me [X] a joint à ce courrier sa facture d'honoraires de postulation en indiquant clairement qu'il ne procèderait à la signification qu'après paiement de ses honoraires. Il terminait son courrier par la formule suivante : « Merci de bien vouloir transmettre à notre client, en attirant son attention tant sur l'urgence, que sur l'absolue nécessité de procéder à la régularisation de la procédure, au risque de caducité de notre appel ».

La SCP [25] constate que Me [X] n'a reçu aucune réponse à ce courrier.

Elle considère que l'avocat n'a pas l'obligation de faire l'avance des débours pour son client, et qu'en l'absence de paiement de sa demande de provision, Me [X] ne pouvait procéder à la signification de la déclaration d'appel.

La SCP [25] soutient que seule Mme [T] est responsable de la caducité de l'appel, et que Me [P] avait également la responsabilité de garantir à son postulant d'être payé et d'agir auprès de la cliente.

Elle relève enfin que Mme [T] a disposé d'un temps suffisant pour honorer le paiement de l'avocat postulant (28 jours) mais qu'elle a choisi de ne pas payer, malgré l'avertissement qui lui avait été fait du risque de caducité de l'appel.

A titre subsidiaire, la SCP [25] et ses assureurs contestent que Mme [T] puisse revendiquer une indemnisation intégrale de son préjudice, alors que le préjudice qu'elle invoque s'analyse comme une perte de chance, qui ne peut en aucun cas être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.

Le tribunal a retenu la responsabilité de Maître [X] après avoir relevé qu'il avait été expressément mandaté pour interjeter appel du jugement rendu le 5 juin 2015 par le tribunal judiciaire de Lisieux, et que ce mandat impliquait nécessairement de faire procéder à la signification de la déclaration d'appel au Syndicat des copropriétaires, ce qu'il n'a pas fait.

Les premiers juges ont considéré que Me [X] ne pouvait se prévaloir de l'absence de paiement de ses honoraires par Mme [T] et du défaut de versement de provision pour réaliser l'acte, d'autant qu'à aucun moment il n'avait adressé à Mme [T] un courrier de décharge de responsabilité ni n'avait été déchargé de son mandat par sa cliente.

Le tribunal a donc estimé que Me [X] n'avait pas sauvegardé les intérêts de sa cliente et avait donc commis une faute professionnelle.

S'agissant de la perte de chance subie par Mme [T], les premiers juges ont estimé que la chance pour cette dernière de voir infirmer la condamnation prononcée constatant un empiètement était nulle, de même que celle la condamnant à des dommages et intérêts en raison de son rôle de gérante de la société [16].

En revanche, au regard de l'arrêt rendu à l'égard d'un autre co-propriétaire, le tribunal a retenu que Mme [T] aurait pu obtenir une réduction du montant de l'indemnité d'occupation au paiement de laquelle elle a été condamnée, chance que les premiers juges ont estimée à 90%.

Aux termes de l'article 1147 du Code civil, devenu l'article 1231-1 suite à l'ordonnance no2016-131 du 10 février 2016, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

En application de l'article 1991 du même code, le mandataire est tenu d'accomplir le mandat tant qu'il en demeure chargé, et répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de son inexécution.

L'article 1992 précise que le mandataire répond non seulement du dol, mais encore des fautes qu'il commet dans sa gestion.

Si le mandataire est, sauf cas fortuit, présumé en faute du seul fait de l'inexécution de son mandat, cette présomption ne saurait être étendue à l'hypothèse d'une mauvaise exécution de ce dernier.

Il appartient donc en ce cas au mandant d'établir les fautes de son mandataire.

En application de l'article 1241 du Code civil, chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

Il convient de rappeler que l'avocat est tenu d'une obligation de compétence en matière procédurale, qui implique qu'il garantisse l'efficacité de ses actes sur le plan procédural dans le cadre des actions en justice pour lesquelles il a été mandaté.

Il est constant que, par courrier du 17 juillet 2015, Maître [P] a sollicité Maître [X] afin que celui-ci, en qualité d'avocat postulant, relève appel au nom de Mme [T] du jugement rendu le 5 juin 2015 par le tribunal de grande instance de Lisieux.

Il est de même établi que Me [X] a procédé à une déclaration d'appel pour le compte de Mme [T] auprès de la cour d'appel de Caen, dès le 17 juillet 2015, acceptant de ce fait le mandat qui lui avait été confié.

Le 19 août 2015, Me [X] a été destinataire d'un avis du greffe lui demandant de procéder à la signification de la déclaration d'appel à l'intimé, en application de l'article 902 du Code de procédure civile.

Le 21 août 2015, Me [X] a informé par courriel son dominus litis de la nécessité de procéder à la signification de la déclaration d'appel.

Dans cette communication, Me [X] transmettait à Me [P] sa facture de postulation devant le tribunal de grande instance et devant la cour et indiquait : « Dès règlement de ces deux factures, je procéderai à la signification requise ».

Il terminait son message en soulignant l'urgence et la nécessité de procéder à la régularisation de la procédure, sous peine de caducité de l'appel.

Il n'est pas contesté que Me [X] n'a pas procédé à la signification de la déclaration d'appel à l'intimé en suite de l'avis délivré par le greffe, pas plus qu'il n'est prétendu qu'il ait reçu une réponse à son courrier du 21 août 2015.

La caducité de l'appel formé au nom de Mme [T] le 17 juillet 2015 a été prononcée par ordonnance du 9 novembre 2015 après que le conseiller de la mise en état a constaté le défaut d'accomplissement des diligences requises.

Il est acquis que le mandat confié à l'avocat l'oblige à accomplir tous les actes utiles à la conservation et à la préservation des droits de ses mandants, tant qu'il n'est pas expressément déchargé de son mandat.

Cela impliquait pour Me [X], qui avait accepté la mission qui lui avait été confiée pour le compte de Mme [T], de s'assurer que l'appel qu'il avait régularisé le 17 juillet 2015 conserverait son plein effet, par l'accomplissement des actes de procédure nécessaires.

C'est par de justes motifs que la cour adopte que les premiers juges ont retenu que l'absence de règlement de ses honoraires, invoquée par Me [X], ne pouvait constituer une cause exonératoire du défaut d'accomplissement de la mission qui lui avait été dévolue et qu'il avait acceptée, alors même que ni lui ni Mme [T] n'avait mis expressément fin au mandat qui lui était confié.

Il appartenait en effet à Me [X], s'il n'entendait pas poursuivre sa mission de postulant à défaut de paiement de ses honoraires, d'adresser à Mme [T], ou à son dominus litis, un courrier officiel de décharge qui aurait permis de sauvegarder les intérêts de sa cliente.

En s'abstenant de procéder à une telle formalité, qui ne pouvait être sous-entendue ou induite des termes du courriel adressé le 21 août 2015, et en omettant de procéder aux actes de procédure pour lesquels il avait été mandaté, Me [X] a incontestablement engagé à l'égard de Mme [T] sa responsabilité professionnelle, ainsi que celle de la SCP [J]-[D]-[X] au sein de laquelle il exerçait.

Par son comportement, Me [X] a indéniablement privé Mme [T] de la possibilité de faire valoir en appel ses moyens de défense et de bénéficier du double degré de juridiction.

Il incombe cependant à Mme [T] de justifier du préjudice directement causé par la faute de Me [X], ainsi que du caractère réel de ce préjudice, et donc de démontrer qu'elle aurait été en mesure d'obtenir une décision favorable de la juridiction d'appel si Me [X] n'avait pas commis de faute.

Le préjudice subi par Mme [T] dans ce cadre s'analyse comme une perte de chance.

La perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable.

La perte de chance subie par le justiciable qui a été privé de la possibilité de faire valoir ses droits, en raison des manquements de son conseil, se mesure à la seule probabilité de succès du recours qui n'a pas été exercé. Pour apprécier les chances de succès de la voie de droit envisagée, il incombe aux juges du fond de reconstituer fictivement la discussion qui n'a pu s'instaurer devant la juridiction par la faute de l'avocat au vu des conclusions des parties et des pièces produites aux débats.

Néanmoins, dans l'appréciation du caractère certain de la perte de chance qui doit être menée par le juge du fond, il n'appartient pas à ce dernier d'apporter une réponse définitive aux prétentions soutenues par les parties, mais de mesurer les chances de succès de ces dernières.

Mme [T] fait valoir qu'elle a perdu la chance d'obtenir l'infirmation du jugement en ce qu'il a constaté un empiètement, arguant de ce qu'elle entendait contester en appel les conclusions du rapport d'expertise.

Elle produit les conclusions établies par Maître [V] [L] qui auraient dû être produites à la cour dans le cadre de l'appel formé.

Aux termes de ces écritures, Mme [T] entendait critiquer les conclusions de l'expert, à qui elle faisait le grief de ne pas avoir exposé de manière précise ni délimité exactement la zone sur laquelle serait intervenu l'empiètement sur les parties communes. Elle critiquait également l'impossibilité pour l'expert d'identifier les auteurs des empiètements.

Sur ce point, il peut être relevé que la cour d'appel de Caen s'est prononcée dans son arrêt du 23 mai 2017 sur les critiques émises à l'encontre du rapport d'expertise judiciaire, et a relevé que l'expert, M. [B], n'était pas parvenu à obtenir la remise des plans annexés à la demande de permis de construire auprès de la mairie de [20], mais qu'il avait précisé avoir travaillé sur les plans provenant des notaires et annexés à l'acte reçu le 18 avril 1973 (établissement du règlement de copropriété et état descriptif de division), ce qui laissait supposer que si des modifications avaient été apportées, elles l'avaient été après le règlement de copropriété.

La cour d'appel a également estimé que les rapports produits par les parties, établis de manière non contradictoire, n'étaient pas de nature à remettre en cause la validité et la pertinence de l'expertise judiciaire.

Mme [T] ne produit à la cour aucun document de nature à établir l'inexactitude des conclusions de l'expert judiciaire.

Elle ne démontre donc pas de la sorte qu'il existait des chances de succès de son action relativement à la reconnaissance de l'empiètement de sa propriété sur les parties communes, retenu pour 10 m², et donc sur sa demande d'infirmation de la condamnation à restituer cette surface.

Mme [T] entendait par ailleurs contester en appel la condamnation à paiement de dommages et intérêts prononcée à son encontre, in solidum avec la société [16], au motif qu'elle a fait obstruction aux opérations d'expertise (en refusant à l'expert l'accès à ses locaux) mais également que Mme [T] a été gérante de la société [39] et de la société [16], la première ayant été à l'initiative de redécoupages des lots de la copropriété et de l'empiètement sur les parties communes.

Mme [T] entendait contester ses liens avec les sociétés [39] et [16] retenus par le tribunal, et de ce fait sa responsabilité dans les empiétements réalisés.

Elle produit à la présente instance des fiches de renseignement relatives aux sociétés [16], [21], [39] et [24], dans le but de démontrer que ces sociétés étaient dirigées par M. [S] [C], Mme [E] [A] [C] ou encore Mme [G] [H].

Il ressort de ces documents que la société [16] a été dirigée par M. [S] [C] à compter du 29 mars 2011, et par Mme [E] [A] [C] à compter du 5 novembre 2013, mais aucune information n'est communiquée sur les dirigeants antérieurs, pour cette société immatriculée le 2 avril 2004.

S'agissant de la société [21], elle a été radiée le 8 juillet 2015, et a été dirigée par Mme [G] [H] à compter du 19 janvier 2005 puis par M. [S] [C] à compter du 28 octobre 2008, mais l'identité des précédents dirigeants de cette société, immatriculée le 10 mai 1999 n'est pas renseignée.

L'extrait K-bis de la société [39] indique que cette société était gérée par la SARL [24], elle-même dirigée par M. [S] [C], mais un courrier émanant de Maître [L] relate le contenu d'une assemblée générale extraordinaire du 25 février 2011 de la SARL [24] au cours de laquelle M. [C] a été nommé gérant en remplacement de Mme [U] [T].

Il faut rappeler que Mme [T] a acquis les lots 191 et 200 en juin 2004 de la société [39], et que la société [21] avait acquis plusieurs lots dans la copropriété en juillet 2001, qu'elle a ensuite revendus pour partie à la société [39] après avoir procédé à des redécoupages. La société [16] a elle-même acquis plusieurs lots de la copropriété en décembre 2004.

Les pièces produites par Mme [T] en appel ne sont pas de nature à exclure toutes relations entre elle et les sociétés [39] et [16] notamment.

Pour autant, la qualité éventuelle de gérante de Mme [T] de ces sociétés ne suffit pas à caractériser une faute de sa part dans les découpages de lot réalisés par ces sociétés, et donc sa responsabilité dans les empiétements sanctionnés par l'octroi de dommages et intérêts, et il ne peut être considéré que la cour d'appel aurait nécessairement confirmé la condamnation de Mme [T] de ce chef, la juridiction du second degré pouvant avoir une autre appréciation de l'implication de Mme [T] dans la création des empiétements.

Il peut donc être considéré que Mme [T] a subi une perte de chance de voir infirmer cette condamnation.

De même, la solution adoptée par la cour d'appel de Caen dans son arrêt du 23 mai 2017 quant au montant de l'indemnité d'occupation due au titre des empiétements constatés, qui a réduit le montant de la base de calcul de l'indemnité, permet de retenir que Mme [T] justifie d'une perte de chance de voir la condamnation infirmée de ce chef de préjudice.

Par conséquent, la preuve est rapportée par Mme [T] de l'existence d'une chance réelle et sérieuse de succès de ses prétentions empêchée par la faute commise par Me [X].

Sur l'indemnisation de la perte de chance subie :

Mme [T] fait valoir qu'elle a réglé l'intégralité des condamnations prononcées à son encontre par le jugement du 5 juin 2015, y compris celles prononcées in solidum avec la société [16], soit une somme totale de 55 339,99 euros comprenant les intérêts échus.

Elle fait état également des sommes réglées au titre des dépens et des frais de procédure devant le juge de l'exécution, mais aussi des frais exposés pour la remise en état initial des lieux.

Ainsi, Mme [T] chiffre son préjudice total à 90 601,24 euros, auquel elle ajoute le coût du timbre fiscal pour la procédure d'appel et le coût du procès-verbal de constat d'huissier qu'elle a fait réaliser pour faire constater la restitution de la surface à la copropriété.

Elle entend obtenir la réparation de son entier préjudice, contestant qu'il puisse être réduit en considérant qu'il s'agit d'une perte de chance.

Par ailleurs, Mme [T] invoque un préjudice moral résultant de l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée de faire valoir ses arguments en appel et de bénéficier du double degré de juridiction qui lui était admis. Elle indique avoir été contrainte de vendre son appartement dans la copropriété pour payer sa dette, et avoir subi, du fait des inquiétudes causées par le litige, des douleurs physiques à la jambe d'origine psychologique.

A ce titre, Mme [T] sollicite l'octroi d'une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts.

La SCP [25] et ses assureurs ne contestent pas que, s'agissant de la condamnation au titre de l'indemnité d'occupation, Mme [T] avait de véritables chances de voir réduire cette condamnation compte tenu de la décision rendue par la cour d'appel le 23 mai 2017.

Ils ne critiquent donc pas le jugement de première instance qui a retenu une perte de chance évaluée à 90% de ce chef, et a procédé à la même évaluation s'agissant des intérêts correspondants.

La SCP [25] et ses assureurs sollicitent de même la confirmation du jugement de première instance qui a rejeté la demande de Mme [T] au titre de la condamnation à dommages et intérêts dont elle a fait l'objet.

Ils soutiennent qu'elle ne démontre pas qu'elle n'avait aucune responsabilité dans les sociétés [39] et [16], responsables des empiètements, et qu'elle aurait donc pu obtenir réformation du jugement rendu le 5 juin 2015 à ce titre.

Au surplus, la SCP [25] et ses assureurs rappellent que la condamnation à dommages et intérêts a été prononcée in solidum avec la société [16], de sorte que le préjudice de Mme [T] se limite à la moitié de la condamnation, soit 15 000 euros. Ils indiquent que Mme [T] ne justifie pas avoir réglé l'intégralité du montant de la condamnation, ni que la société [15] serait insolvable et n'ait pas été en mesure de payer sa part.

S'agissant de la condamnation prononcée sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile par le premier jugement, la SCP [25] et ses assureurs contestent qu'elle constitue un préjudice indemnisable, alors que selon toute logique cette condamnation aurait été maintenue en appel.

La même observation est faite par ailleurs quant au fait qu'il s'agit d'une condamnation in solidum avec la société [16].

La SCP [25] et ses assureurs s'opposent en outre aux demandes présentées par Mme [T] au titre des dépens, considérant que celle-ci n'aurait pu obtenir l'infirmation du jugement de ce chef alors que l'empiètement était caractérisé.

Ils relèvent encore que Mme [T] ne justifie pas avoir réglé ces sommes et observent qu'il s'agit d'une condamnation prononcée in solidum avec la société [16].

La SCP [25] et ses assureurs contestent par ailleurs tout lien de causalité entre les frais d'exécution subis par Mme [T] et la faute de Me [X], Mme [T] ayant en tout état de cause eu à subir ces frais compte tenu des condamnations prononcées.

Il en est de même selon eux pour les frais de remise en état des lieux restitués, et le coût du timbre fiscal pour la procédure d'appel ou le coût du procès-verbal de constat d'huissier.

Enfin, la SCP [25] et ses assureurs s'opposent aux demandes de Mme [T] au titre du préjudice moral. Ils font valoir que la procédure liée à l'empiètement est sans lien avec la faute de Me [X], et que la procédure qui en a découlé n'est pas imputable à la faute de l'avocat.

Ils considèrent également que Mme [T] ne fait pas la preuve du préjudice qu'elle allègue.

Il résulte de l'article 1231-2 du Code civil que les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé.

Il est constant que la réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.

Pour accorder une indemnisation, les juges doivent rechercher quelles étaient les chances de succès.

La perte certaine d'une chance, même faible, est indemnisable, faute de démontrer l'absence de toute probabilité de succès de l'appel manqué par la faute de l'avocat.

Ainsi qu'il a été précédemment exposé, Mme [T] n'établit pas qu'elle aurait pu raisonnablement espérer obtenir l'infirmation du jugement de première instance en ce qu'il a constaté les empiétements et ordonner la restitution des surfaces.

Dès lors, elle n'est pas fondée à solliciter l'indemnisation des frais qu'elle a exposés pour la remise en état des lieux restitués (dont elle ne justifie pas au surplus), qui auraient nécessairement été à sa charge en cas de confirmation de ces chefs de la décision.

De même, il convient d'écarter les demandes présentées par Mme [T] au titre des condamnations fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens prononcées par le jugement du 5 juin 2015, dès lors qu'étant succombante à l'instance, il n'apparaît pas vraisemblable que la cour d'appel aurait réformé ces dispositions du jugement de première instance.

S'agissant des frais de procédure devant le juge de l'exécution, Mme [T] ne démontre pas en quoi ils sont en lien avec la faute de Me [X], alors que l'exécution forcée de la décision n'a été rendue nécessaire que par son inertie à régler les sommes dues.

Quant au coût du timbre fiscal pour la procédure d'appel, il aurait été exposé par Mme [T] indépendamment de la faute de son conseil, de même que le coût du procès-verbal d'huissier. Il n'existe donc pas de perte de chance de Mme [T] de ne pas avoir à subir ces frais et elle sera déboutée de ses demandes de ces chefs.

En revanche, au titre des indemnités d'occupation au paiement desquelles elle a été condamnée, il peut être relevé que la cour d'appel de Caen, dans son arrêt rendu le 23 mai 2017 sur un appel formé par un autre co-propriétaire, a réduit le montant de la base de calcul de l'indemnité d'occupation due par les auteurs d'un empiètement, pour la ramener de 10,18 euros à 2 euros.

Au regard de la solution adoptée par la cour d'appel de Caen dans cette instance, la probabilité est forte que Mme [T] ait pu obtenir une réduction dans les mêmes proportions de la condamnation prononcée à son encontre au titre de l'indemnité d'occupation.

C'est donc à juste titre que les premiers juges ont évalué à 90% la perte de chance subie par Mme [T] de ce chef de préjudice.

Le calcul de l'indemnisation allouée à Mme [T] par les premiers juges peut en conséquence être repris et se décompose comme suit :

2 euros x 10 m² x 128 mois (à la date de l'audience devant les premiers juges) = 2 560 euros

Condamnation prononcée de 13 030,40 euros ' 2 560 euros =10 470,40 euros préjudice subi

90% x 10 470,40 euros = 9 423,36 euros correspondant à la perte de chance.

Le même raisonnement s'applique aux intérêts légaux payés par Mme [T] sur cette condamnation. Il ressort du décompte produit par Mme [T] qu'elle a réglé une somme de 1 347,41 euros de plus que ce qu'elle pouvait espérer devoir, soit une perte de chance chiffrée à 1 212,67 euros.

Enfin, pour les motifs exposés précédemment, Mme [T] pouvait raisonnablement espérer une infirmation de la condamnation à dommages et intérêts qui a été prononcée à son encontre, l'appréciation de sa responsabilité personnelle en qualité de gérante des sociétés [39] et [16] pouvant être appréciée différemment par la cour d'appel.

La perte de chance subie de ce chef peut être évaluée à 50%, de sorte que le préjudice subi par Mme [T] s'élève à 15 000 euros.

En outre, les intérêts payés par Mme [T] au titre de cette condamnation auraient pu être réduits de 1 930,31 euros, soit une perte de chance de 965,16 euros.

Quant au préjudice moral allégué par Mme [T], force est de constater que cette dernière fait état des inquiétudes liées à la procédure engagée par le [Adresse 43] [Adresse 27] du fait des empiétements sur les parties communes, et des répercussions somatiques en découlant. Or, ces préjudices sont sans aucun lien avec la faute commise par Me [X].

La demande de dommages et intérêts de Mme [T] de ce chef sera en conséquence rejetée.

Le jugement rendu le 28 septembre 2020 par le tribunal judiciaire de Caen sera donc partiellement infirmé s'agissant des indemnisations allouées à Mme [T] des suites de la faute commise par Me [X].

Ainsi, la SCP [J]-[D]-[X] sera condamnée à payer à Mme [U] [T] les sommes suivantes :

9 423,36 euros au titre de la perte de chance résultant de la condamnation au titre des indemnités d'occupation,

15 000 euros au titre de la perte de chance résultant de la condamnation au titre des dommages et intérêts,

1 212,67 euros et 965,16 euros au titre de la perte de chance résultant des intérêts légaux réglés sur les condamnations prononcées.

Sur la garantie de l'assureur de responsabilité civile :

Mme [T] sollicite la condamnation in solidum de l'assureur de responsabilité civile de la SCP [25] à l'indemniser des préjudices subis, à savoir la SA [29] et la société [30].

Elle relève que ces dernières ne dénient pas leur garantie.

Les sociétés [29] ne contestent pas être les co-assureurs de responsabilité civile professionnelle de Me [X] et de la SCP [25], mais s'opposent aux demandes de Mme [T], dès lors qu'elles soutiennent qu'aucune faute de leurs assurés n'est établie.

Cependant, la responsabilité civile professionnelle de la SCP [25] étant confirmée par la cour, et les sociétés [29] ne déniant pas leur qualité d'assureur responsabilité civile professionnelle et leur garantie, les assureurs seront condamnés in solidum au paiement des indemnisations allouées à Mme [T].

Sur les frais irrépétibles et les dépens :

Le jugement déféré étant confirmé au principal, il le sera également en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.

L'équité justifie que la SCP [J]-[D]-[X] et les [29], qui succombent à l'instance, supportent in solidum les frais irrépétibles exposés par la partie adverse.

Une somme de 3 000 euros sera allouée à Maître [O] [K] sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle.

Au surplus, la SCP [J]-[D]-[X] et les [29] sont condamnées in solidum aux dépens de la procédure d'appel, lesquels seront recouvrés comme en matière d'aide juridictionnelle.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, dans les limites de sa saisine, par décision contradictoire, en dernier ressort, et par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement prononcé le 28 septembre 2020 par le tribunal judiciaire de Caen, sauf en ce qu'il a :

condamné solidairement Me [N] [X], la SCP [M] [J], Olivier [D] et [N] [X], les sociétés [30] et [29], à payer à Mme [U] [T] les sommes de 9 423,36 euros et de 1 212,67 euros, en réparation de sa perte de chance d'obtenir la réformation en appel de sa condamnation prononcée par le tribunal de grande instance de Lisieux le 5 juin 2015 au paiement d'une indemnité d'occupation de 13 030,40 euros et aux intérêts légaux afférents,

débouté Mme [U] [T] du surplus de ses demandes indemnitaires,

L'infirme de ces seuls chefs,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne in solidum la SCP [J]-[D]-[X], la SA [29] et la société [30] à payer à Mme [U] [T] les sommes suivantes, au titre de la perte de chance de voir réformer en appel les condamnations prononcées par le tribunal de grande instance de Lisieux le 5 juin 2015 :

9 423,36 euros au titre de la perte de chance résultant de la condamnation au titre des indemnités d'occupation,

15 000 euros au titre de la perte de chance résultant de la condamnation au titre des dommages et intérêts,

1 212,67 euros et 965,16 euros au titre de la perte de chance résultant des intérêts légaux réglés sur les condamnations prononcées.

Déboute Mme [U] [T] du surplus de ses demandes indemnitaires,

Condamne in solidum la SCP [J]-[D]-[X], la SA [29] et la société [30] à payer une somme 3 000 euros à Maître Oumou Minet sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle,

Condamne in solidum la SCP [J]-[D]-[X], la SA [29] et la société [30] aux entiers dépens de la procédure d'appel, lesquels seront recouvrés comme en matière d'aide juridictionnelle.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

N. LE GALL Hélène BARTHE-NARI

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