Cass. com., 15 octobre 2025, n° 25-15.217
COUR DE CASSATION
Autre
QPC autres
PARTIES
Demandeur :
Emirates (Sté)
Défendeur :
Service prestige développement (SAS), Service prestige (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteur :
Mme Bellino
Avocat général :
M. Lecaroz
Avocats :
SCP Waquet, SCP Rocheteau
Faits et procédure
1. Depuis 1997, la société Service prestige assure un service de transport de personnes en voitures de grande remise, au bénéfice des passagers « business » et « first class » de la compagnie aérienne Emirates arrivant à l'aéroport de [9]. Ce service a été étendu, à partir de 2008, à l'aéroport de [Localité 8] et, à partir de 2012, à celui de [Localité 7]. La société Service prestige développement, filiale de la société Service prestige, est liée à celle-ci par un contrat de prestations de service, portant notamment sur la gestion de la centrale de réservation des voitures avec chauffeur.
2. Le 23 juillet 2019, la société Emirates a informé la société Service prestige qu'un appel d'offres serait lancé en vue de conclure un contrat prenant effet le 1er juillet 2020.
3. La société Emirates a, par la suite, informé la société Service prestige que son offre n'était pas retenue et que les relations des parties prendraient fin au 30 septembre 2020.
4. La société Service prestige et la société Service prestige développement ont assigné la société Emirates en réparation des préjudices causés par la rupture brutale de la relation commerciale établie entre la société Emirates et la société Service prestige.
5. Par un arrêt du 7 mai 2025, la cour d'appel de Paris a retenu le caractère brutal de la rupture et condamné la société Emirates au paiement de dommages et intérêts à la société Service prestige en réparation du préjudice résultant de l'insuffisance de préavis, et à la société Service prestige développement au titre du gain manqué.
Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité
6. A l'occasion du pourvoi qu'elle a formé contre l'arrêt rendu le 7 mai 2025 par la cour d'appel de Paris, la société Emirates a, par mémoire distinct et motivé, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :
« L'interprétation jurisprudentielle constante de la Cour de cassation des articles L. 442-1, II, du code de commerce et 1240 du code civil, selon laquelle le tiers à une relation commerciale établie peut demander l'indemnisation du préjudice personnel que lui cause la brutalité de la rupture de cette relation sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile délictuelle (voir not : Com., 6 sept. 2011, n°10-11.975, publié au bulletin ;
Com., 18 mars 2020, n°18-20.256), est-elle contraire à la liberté d'entreprendre, la liberté contractuelle et la sécurité juridique garanties par les articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en ce qu'elle permet de retenir la responsabilité de l'auteur de la rupture envers des tiers non identifiés et dont les préjudices sont par nature difficilement quantifiables et anticipables au moment de la conclusion et de la cessation de la relation commerciale ? »
Examen de la question prioritaire de constitutionnalité
7. La disposition contestée est applicable au litige.
8. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
9. Cependant, d'une part, la question posée, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.
10. D'autre part, la question posée ne présente pas un caractère sérieux. En effet, l'interprétation jurisprudentielle de l'article L. 442-1, II, du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, selon laquelle un tiers à la relation commerciale établie peut demander l'indemnisation du préjudice personnel que lui cause la rupture brutale de cette relation commerciale sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile extracontractuelle, oblige seulement les personnes exerçant des activités de production, de distribution ou de services, lorsqu'elles rompent une relation commerciale établie, à accorder à leur partenaire un préavis écrit qui tienne compte, notamment, de la durée de ladite relation, afin de lui permettre de préparer sa réorganisation et, à défaut, conformément aux principes de la responsabilité civile extracontractuelle pour faute, à devoir réparer l'ensemble des préjudices causés à toute personne par la brutalité de la rupture. L'atteinte qu'elle porte à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle, en encadrant les modalités de rupture du contrat, est justifiée par l'objectif d'intérêt général de préservation de l'ordre public économique et de maintien d'un équilibre dans les rapports entre partenaires commerciaux et proportionnée au regard de l'objectif poursuivi.
11. En conséquence, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le quinze octobre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.