CA Aix-en-Provence, ch. 1-1, 14 octobre 2025, n° 21/07738
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-1
ARRÊT AU FOND
DU 14 OCTOBRE 2025
N° 2025/417
Rôle N° RG 21/07738 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BHQJI
[U] [W]
C/
[T] [J]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Emmanuelle PLAN
Me Rémi JEANNIN
Décision déférée à la Cour :
Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de [Localité 7] en date du 06 Avril 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 18/05649.
APPELANTE
Madame [U] [W]
née le [Date naissance 1] 1957 à [Localité 12], demeurant [Adresse 6]
représentée par Me Emmanuelle PLAN de la SELARL SOLUTIO AVOCATS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIME
Monsieur [T] [J]
né le [Date naissance 3] 1971 à CANNES (06), demeurant [Adresse 9]
représenté par Me Rémi JEANNIN de la SELARL JEANNIN PETIT PUCHOL, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Orane DIGONNET, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 24 Juin 2025 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Elisabeth TOULOUSE, Présidente de chambre, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Elisabeth TOULOUSE, Présidente de chambre
Madame Catherine OUVREL, Conseillère
Madame Fabienne ALLARD, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Anastasia LAPIERRE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 14 Octobre 2025.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 14 Octobre 2025,
Signé par Madame Elisabeth TOULOUSE, Présidente de chambre et Mme Anastasia LAPIERRE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Mme [U] [W], salariée de la Sarl [5], a été assignée par Mme [I] [C], liquidateur judiciaire de cette société, devant le tribunal de commerce de Draguignan pour des faits de concurrence déloyale et détournement d'actifs.
Le 27 septembre 2016, le tribunal de commerce de Draguignan a condamné Mme [W] conjointement avec la Sarl [10] à payer la somme de 40 000 euros à maître [I] [C], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la Sarl [5], outre 2 000 euros au titre des frais irrépétibles.
Le 24 novembre 2016, Mme [W] a interjeté appel de ce jugement par la représentation de son conseil, maître Moons, puis a demandé à maître [T] [J] de l'assister au cours de cette procédure.
Par ordonnance d'incident rendue le 8 juin 2017, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a déclaré l'appel caduc, la demanderesse n'ayant déposé ses écritures que le 28 février 2017, soit après expiration du délai de trois mois imposé par l'article 908 du code de procédure civile.
La condamnation de Mme [W] est ainsi devenue définitive.
Par acte du 26 février 2018, Mme [W] a assigné M. [T] [J] avocat devant le tribunal de grande instance de Nice aux fins de voir sa responsabilité civile professionnelle engagée sur le fondement de l'article 1231-1 du Code civil et le voir condamné au paiement de dommages et intérêts et du remboursement des honoraires et frais engagés, outre la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance du 30 octobre 2018, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Nice s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance de Grasse.
Par jugement contradictoire du 6 avril 2021, le tribunal judiciaire de Grasse a :
- dit que M. [J] a commis une faute à l'origine du préjudice de Mme [W],
- évalué à 5% la perte de chance subie par Mme [W] d'obtenir l'infirmation de la décision du tribunal de commerce de Draguignan en date du 27 septembre 2016 ou la diminution des condamnations mises à sa charge par ce même jugement,
- condamné M. [J] à payer à Mme [W] la somme de 2 100 euros, au titre de son préjudice de perte de chance,
- débouté Mme [W] de l'ensemble de ses autres demandes,
- rejeté toute autre demande plus ample ou contraire,
- condamné M. [J] à payer à Mme [W] la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [J] aux entiers dépens de l'instance, distraits conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision.
Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu que M. [J] avait manifestement commis une erreur de manipulation informatique, pensant adresser des écritures à la cour le 23 février 2017 mais omettant de joindre ses écritures à son message RPVA ; que ce défaut de diligence, non contesté par l'avocat, était à l'origine du préjudice de perte de chance subi par Mme [W].
Sur le préjudice, le tribunal rappelant que la disparition actuelle et certaine de l'éventualité favorable d'obtenir l'infirmation du jugement ne pouvait être toutefois égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée, a évalué au regard des éléments du dossier, le préjudice de perte de chance subi par Mme [W] à 5 %.
Il a cependant dit n'y avoir lieu au remboursement des honoraires versés et qui auraient en tout état de cause été déboursés si la procédure d'appel avait prospéré.
Par déclaration du 25 mai 2021, Mme [W] a interjeté appel de cette décision, l'appel portant sur chaque chef de jugement rendu à l'exception de celui reconnaissant la faute de M. [J].
L'instruction de l'affaire a été close par ordonnance en date du 26 mai 2025.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET DES MOYENS
Par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 25 août 2021, Mme [W] demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a dit que M. [J] a commis une faute à l'origine du préjudice de son préjudice et en ce qu'il l'a condamné au paiement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- infirmer le jugement en ce qu'il a :
- évalué à 5 % la perte de chance d'obtenir l'infirmation de la décision du tribunal de commerce de Draguignan du 27 septembre 2016 ou la diminution des condamnations mises à sa charge par ce même jugement,
- condamné M. [J] à lui payer la somme de 2 100 euros au titre de son préjudice de perte de chance,
Statuant à nouveau,
- évaluer à 100 % son préjudice de perte de chance d'obtenir l'infirmation de la décision du tribunal de commerce de Draguignan en date du 27 septembre 2016 ou la diminution des condamnations mises à sa charge par ce même jugement,
- condamner M. [J] à lui payer la somme de 48 177,88 euros au titre de son préjudice de perte de chance,
En tout état de cause
- condamner M. [J] à lui payer la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel,
- le condamner aux entiers dépens, de première instance et d'appel.
Par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 15 novembre 2021, M. [J] demande à la cour de :
- infirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
- débouter Mme [W] de l'ensemble de ses demandes,
- juger à défaut que la réparation de la perte de chance alléguée ne saurait être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée,
- juger encore que telle réparation ne saurait se calculer que sur une somme inférieure à 42 000 euros et en regard d'un pourcentage de perte de chance au mieux égal à 5%,
- écarter toute prétention plus ample ou contraire,
En tout état de cause
- condamner reconventionnellement Mme [W] à lui payer la somme de 6 000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles de première instance et d'appel ou, à défaut, la condamner au paiement de la somme 3 000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles d'appel, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Il est fait renvoi aux écritures susvisées pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
1-Sur la responsabilité de l'avocat
Moyens des parties
L'appelante fait valoir que les éléments du dossier issus de la procédure pour laquelle l'intimé était chargé de la représenter démontrent que ses chances d'obtenir l'infirmation de la décision du tribunal de commerce de Draguignan était pleine et entière en raison de la carence probatoire de la requérante.
Elle soutient ainsi que Me [C] mandataire judiciaire n'a jamais démontré l'existence d'une quelconque offre de reprise de l'activité et elle ne peut de ce seul fait, sérieusement affirmer que son comportement aurait limité les opportunités de reprise qui n'existait pas.
Elle ajoute qu'elle n'a commis aucune faute personnelle agissant pour le compte de la société [10], qu'elle n'est pas à l'origine du mail adressé aux clients de la société visant à les détourner et surtout, qu'elle n'était pas bénéficiaire de quoique ce soit, et notamment du seul chèque adressé à la société [10].
Elle considère ainsi que M. [J] est fautif et que son préjudice certain et direct lié aux condamnations prononcées contre elle par le tribunal de commerce à tort, est bien en lien avec la faute de M. [J] qui l'a privée de la possibilité d'obtenir à coup sur la réformation de la décision.
L'intimé réplique que Mme [W] n'apporte pas la triple démonstration, nécessaire pour engager la responsabilité d'un professionnel du droit, d'une faute en lien de causalité direct avec un préjudice né et certain. Ainsi, si la faute n'est pas contestée, elle n'est pas en lien avec le dommage subi et il résulte des pièces produites par Me [C] dans le cadre de l'instance devant le tribunal de commerce et des poursuites initiées contre Mme [W] pour détournement/ recel d'actif par parent ou allié que Mme [W] et la société [10] ont bien commis une faute en détournant de la clientèle d'une société qui pouvait être reprise.
Il ajoute que le détournement reproché et démontré vidant la société de son actif monnayable a interdit de facto à Me [C] de rechercher d'éventuels repreneurs créant ainsi un préjudice à la liquidation judiciaire auquel elle était solidairement tenue, lequel préjudice a été parfaitement justifié et qui a même été minoré dans son quantum par les premiers juges, Me [C] ayant pu demander le calcul de l'assiette de la perte de chance sur la valeur du fonds de commerce de 256 000 euros,
Il considère ainsi qu'elle n'avait donc aucune chance de voir infirmer la décision.
Réponse de la cour
Il est de jurisprudence constante que la responsabilité d'un avocat ne peut être engagée que s'il a commis une faute ayant causé un préjudice à son client.
Le droit à indemnisation dépend en conséquence , de l'existence d'un ou de moyens sérieux qui auraient permis d'obtenir la réformation du jugement.
Il convient, ainsi, de déterminer s'il existe pour l'appelante une chance raisonnable de succès du recours en reconstituant fictivement, au vu des prétentions des parties et des pièces en débat, la discussion qui aurait pu s'instaurer devant la cour d'appel.
Sur la faute
L'intimé ne conteste pas avoir commis une faute en s'abstenant de signifier les écritures d'appelante avant l'expiration du délai de l'article 908 du code de procédure civile, cette carence étant à l'origine de la caducité de la déclaration d'appel.
Les parties s'opposent néanmoins sur l'existence du préjudice de perte de chance qu'aurait subi l'appelante.
Sur le préjudice
La perte de chance subie par le justiciable qui a été privé de la possibilité de faire valoir ses droits par la faute de son avocat se mesure à la seule probabilité de succès de la diligence omise.
Seule constitue une perte de chance réparable la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable et la victime ne peut prétendre obtenir réparation que s'il est démontré que sa situation aurait été meilleure si la faute invoquée n'avait pas été commise.
Mme [W] prétend en l'espèce, que la chance d'obtenir une décision favorable était loin d'être nulle ou minime et était même totale, tandis que M. [J] conclut pour sa part, à l'absence de préjudice et en toute hypothèse de lien de causalité entre les préjudices allégués et le manquement reproché.
Il ressort des éléments versés aux débats que le 5 janvier 2015, la SARL [5] dont le gérant est l'époux de Mme [W], a été placée en liquidation judiciaire et que Me [C] a été désigné en qualité de mandataire liquidateur.
Il est également acquis que Me [C] informé d'un courriel indiquant que Mme [W] utiliserait le fichier client de la société [4] pour proposer à ces clients de nouveaux contrats avec une société [11] et obtenir le règlement d'abonnements au profit d'une société dénommée [10], a souhaité agir pour préserver les droits de la société et des créanciers.
C'est dans ces circonstances qu'elle a demandé la désignation d'un commissaire de justice (Me [F] sera ainsi désigné) avec pour mission de se rendre au siège de la SARL [10] et au domicile de Mme [W] (qui a la même adresse que le siège de la société [10]) afin de se faire remettre le fichier client de cette société.
Par procès-verbal de constat établi à la suite de sa visite le 30 avril 2015, Me [F] a constaté avec l'aide de M. [V] son sapiteur informaticien que le fichier client de la société en liquidation judiciaire [4] était présent sur l'un des ordinateurs de la SARL [10].
Me [C] a alors assigné Mme [W] et la SARL [10] sur le fondement de la responsabilité délictuelle devant le tribunal de commerce de Draguignan aux fins qu'ils soient condamnés à réparer le préjudice subi du fait de la perte de la valeur du fichier client liée à l'impossibilité de le revendre et de la prime d'attachement de clientèle.
Le tribunal de commerce a fait droit à ses demandes aux motifs que la preuve de la faute à savoir le détournement du fichier client voire de son vol, était démontré et que des factures émises prouvaient l'intention d'utiliser le fichier dans les mêmes conditions que la société [4]. Le tribunal de commerce a également retenu que la clientèle, même si elle n'est pas cessible seule, est un élément qui fait partie intégrante et indissociable de la valeur d'une entreprise en raison de la fidélité et de la pérennité des clients disposant de contrat d'entretien à reconduction tacite et que le fait d'envoyer de nouveau contrat d'entretien à des anciens clients 'captifs', crée une concurrence déloyale vis-à-vis d'éventuel repreneur. Enfin, il a considéré que la soustraction de la clientèle causait un préjudice d'infaisabilité de cession d'actif en lien de causalité avec la faute commise puisque le retrait de cet élément essentiel ne permettait plus de trouver des repreneurs pour essayer de solder le passif de la société [4].
Pour faire juger que cette décision encourrait à coup sûr l'infirmation, Mme [W] invoque l'absence de toute preuve et surtout, l'absence de toute faute personnelle puisqu'elle agissait en qualité de préposée de la SARL [10] ce que le tribunal de commerce n'avait pas pris en compte.
Toutefois, il ne peut qu'être constaté que cette dernière affirmation ne repose sur aucune pièce, qu'elle reconnaît elle- même qu'elle n'avait aucun contrat de travail (pièce 10) et que la théorie de l'apparence ou la situation de fait, ne sont absolument pas étayées, cette dernière ne produisant aucune pièce en ce sens et les courriels de démarchages vers la SARL [10] étant réalisées avec la mention de ses coordonnées personnelles tel que le mentionne le mail du client SCI [8] : « ' Je vous invite à me recontacter afin de prendre rendez-vous pour les entretiens/ Madame [W] [U] RT Services [XXXXXXXX02]. »
Par conséquent, le moyen tiré de l'absence d'une faute personnelle n'aurait, en l'absence de pièces probantes et des informations rapportées ci-dessus, eu aucune chance d'aboutir devant la cour d'appel.
S'agissant de l'absence de preuve du 'vol' du fichier ou du détournement de l'actif, contrairement à ce qu'elle soutient il ressort des conclusions que les parties ont déposées devant la cour d'appel avant le prononcé de la caducité que la soustraction du fichier client est démontré par le constat de Me [F] . Ainsi, le disque dur prélevé par ce dernier dans les locaux de la société [10] annexe de la maison de M et Mme [W], a permis de trouver un fichier client de la société [10] dont le rapprochement avec le grand livre poste clients de la société [5], démontre la captation d'un certain nombre de clients de cette dernière société par la première. Me [F] a également retrouvé des fichiers appartenant à la société [4] dont un fichier clients [4] qui n'aurait pas dû se trouver dans les locaux d'une autre société que celle en liquidation judiciaire (pièce n° 11 de l'intimé reprenant notamment la pièce 14 de Mme [W] devant le TJ et la pièce 8 produite devant le TC).
Il sera à ce titre, observé que les pièces versées dans le cadre de la procédure devant le tribunal judiciaire et dont font état les conclusions des parties lors de cette instance, produites spontanément ou après sommation par Mme [W] en première instance, ne figurent plus à son bordereau d'appelante. Elles sont cependant visées par l'intimé à son bordereau pièce n°11 et en permettent de confirmer la teneur des écritures de Me [C] également versées aux débats.
Cela étant, la matérialité de la soustraction dénoncée ne peut être valablement contestée, de sorte qu'elle ne pouvait pas être remise en cause en appel au regard des pièces produites par Mme [W]. Enfin, cette absence de remise en cause possible est par ailleurs, renforcée par la citation à comparaître devant le tribunal correctionnel le 20 février 2020, délivrée par le procureur de la république de Draguignan à l'encontre de Mme [W] le 4 décembre 2019, pour « détournement ou recel de l'actif du débiteur » et usage de faux pour la période de mars à mai 2015.
Ainsi, comme le tribunal l'a jugé, peu importe que Mme [W] soutienne subsidiairement qu'elle n'a pas retiré un bénéfice personnel de la facturation de seulement 4 clients par la société [10] pour un montant de 7 114,82 euros, ni qu'aucune perte ne puisse être invoquée en l'absence de preuve d'éventuel repreneur. Il est en effet clairement établi que des fichiers ont été soustraits, qu'elle était la seule à avoir pu les prendre, que des clients ont bien été informés de la reprise des contrats d'entretien par une autre société après la mise en liquidation judiciaire de la société [4] et que 4 clients se sont vu facturer effectivement des sommes au profit de la société [10].
Enfin, s'agissant de la possibilité de réduction des sommes auxquelles elle avait été condamnée, elle ne démontre pas contrairement à ce qu'a jugé le tribunal judicaire qu'elle disposait d'une chance de voir la condamnation infirmée.
En effet, il est erroné de soutenir que le fichier client ne pouvait être cédé du fait du passif trop important de la société débitrice et de l'absence d'offre de reprise. Me [C] rappelait dans ses écritures devant la cour que la valorisation du fichier client attaché au fonds de commerce est de 50% du chiffre d'affaires (environ 60 000 euros) auquel s'ajoute la prime d'attachement de clientèle, et que dans sa mission de la réalisation des actifs, elle avait été entravée dès le début par la soustraction de la composante la plus importante du fonds de commerce.
Par voie de conséquence, la réparation par le tribunal de commerce du dommage causé qui a été analysée en préjudice de perte de chance de réaliser un élément essentiel de l'actif, est justifiée. Au surplus, la cour retient que son évaluation a été modérée conformément à la demande du mandataire judiciaire alors qu'il aurait pu en demander un calcul sur la base de l'assiette plus large de la valeur du fonds de commerce tout entier, de sorte qu'il n'existait aucune chance qu'elle soit réduite par la cour ou qu'elle soit limitée comme elle le soutient encore à titre subsidiaire Mme [W], aux seuls clients facturés. Il est en effet de jurisprudence constante que le préjudice se mesure à l'aune de la seule incidence pour la victime à savoir le mandataire judicaire pris es-qualités de représentant de la société en liquidation judiciaire auquel Mme [W] a participé par son action.
Mme [W] ne démontre donc pas avoir perdu une chance de voir son sort amélioré devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, quand bien même son avocat n'aurait pas omis le dépôt de ses conclusions dans le délai 908 du code de procédure civile.
Elle sera ainsi déboutée de l'ensemble de ses demandes et le jugement infirmée en toutes ses dispositions.
2-Sur les demandes accessoires
Partie perdante, Mme [U] [W] supportera la charge des dépens de première instance et d'appel et elle sera nécessairement déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Les dépens seront directement recouvrés au bénéfice du conseil qui en a fait la demande conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'équité commande enfin d'allouer à M. [J] la somme de 1 500 euros au titre de ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions soumises à la cour, étant précisé que si la cour retient bien que M. [J] a commis une faute celle-ci n'est pas à l'origine d'un préjudice comme le mentionne le tribunal dans son dispositif ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute Mme [U] [W] de l'ensemble de ses demandes ;
Condamne Mme [U] [W] à supporter la charge des dépens de première instance et d'appel;
Ordonne leur recouvrement direct au bénéfice du conseil qui en a fait la demande conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
Déboute Mme [U] [W] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
La condamne à payer à M. [T] [J] la somme de 1 500 euros au titre des ses frais irrépétibles et le déboute du surplus des ses demandes à ce titre.
La greffière, La présidente.
Chambre 1-1
ARRÊT AU FOND
DU 14 OCTOBRE 2025
N° 2025/417
Rôle N° RG 21/07738 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BHQJI
[U] [W]
C/
[T] [J]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Emmanuelle PLAN
Me Rémi JEANNIN
Décision déférée à la Cour :
Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de [Localité 7] en date du 06 Avril 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 18/05649.
APPELANTE
Madame [U] [W]
née le [Date naissance 1] 1957 à [Localité 12], demeurant [Adresse 6]
représentée par Me Emmanuelle PLAN de la SELARL SOLUTIO AVOCATS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIME
Monsieur [T] [J]
né le [Date naissance 3] 1971 à CANNES (06), demeurant [Adresse 9]
représenté par Me Rémi JEANNIN de la SELARL JEANNIN PETIT PUCHOL, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Orane DIGONNET, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 24 Juin 2025 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Elisabeth TOULOUSE, Présidente de chambre, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Elisabeth TOULOUSE, Présidente de chambre
Madame Catherine OUVREL, Conseillère
Madame Fabienne ALLARD, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Anastasia LAPIERRE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 14 Octobre 2025.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 14 Octobre 2025,
Signé par Madame Elisabeth TOULOUSE, Présidente de chambre et Mme Anastasia LAPIERRE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Mme [U] [W], salariée de la Sarl [5], a été assignée par Mme [I] [C], liquidateur judiciaire de cette société, devant le tribunal de commerce de Draguignan pour des faits de concurrence déloyale et détournement d'actifs.
Le 27 septembre 2016, le tribunal de commerce de Draguignan a condamné Mme [W] conjointement avec la Sarl [10] à payer la somme de 40 000 euros à maître [I] [C], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la Sarl [5], outre 2 000 euros au titre des frais irrépétibles.
Le 24 novembre 2016, Mme [W] a interjeté appel de ce jugement par la représentation de son conseil, maître Moons, puis a demandé à maître [T] [J] de l'assister au cours de cette procédure.
Par ordonnance d'incident rendue le 8 juin 2017, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a déclaré l'appel caduc, la demanderesse n'ayant déposé ses écritures que le 28 février 2017, soit après expiration du délai de trois mois imposé par l'article 908 du code de procédure civile.
La condamnation de Mme [W] est ainsi devenue définitive.
Par acte du 26 février 2018, Mme [W] a assigné M. [T] [J] avocat devant le tribunal de grande instance de Nice aux fins de voir sa responsabilité civile professionnelle engagée sur le fondement de l'article 1231-1 du Code civil et le voir condamné au paiement de dommages et intérêts et du remboursement des honoraires et frais engagés, outre la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance du 30 octobre 2018, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Nice s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance de Grasse.
Par jugement contradictoire du 6 avril 2021, le tribunal judiciaire de Grasse a :
- dit que M. [J] a commis une faute à l'origine du préjudice de Mme [W],
- évalué à 5% la perte de chance subie par Mme [W] d'obtenir l'infirmation de la décision du tribunal de commerce de Draguignan en date du 27 septembre 2016 ou la diminution des condamnations mises à sa charge par ce même jugement,
- condamné M. [J] à payer à Mme [W] la somme de 2 100 euros, au titre de son préjudice de perte de chance,
- débouté Mme [W] de l'ensemble de ses autres demandes,
- rejeté toute autre demande plus ample ou contraire,
- condamné M. [J] à payer à Mme [W] la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [J] aux entiers dépens de l'instance, distraits conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision.
Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu que M. [J] avait manifestement commis une erreur de manipulation informatique, pensant adresser des écritures à la cour le 23 février 2017 mais omettant de joindre ses écritures à son message RPVA ; que ce défaut de diligence, non contesté par l'avocat, était à l'origine du préjudice de perte de chance subi par Mme [W].
Sur le préjudice, le tribunal rappelant que la disparition actuelle et certaine de l'éventualité favorable d'obtenir l'infirmation du jugement ne pouvait être toutefois égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée, a évalué au regard des éléments du dossier, le préjudice de perte de chance subi par Mme [W] à 5 %.
Il a cependant dit n'y avoir lieu au remboursement des honoraires versés et qui auraient en tout état de cause été déboursés si la procédure d'appel avait prospéré.
Par déclaration du 25 mai 2021, Mme [W] a interjeté appel de cette décision, l'appel portant sur chaque chef de jugement rendu à l'exception de celui reconnaissant la faute de M. [J].
L'instruction de l'affaire a été close par ordonnance en date du 26 mai 2025.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET DES MOYENS
Par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 25 août 2021, Mme [W] demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a dit que M. [J] a commis une faute à l'origine du préjudice de son préjudice et en ce qu'il l'a condamné au paiement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- infirmer le jugement en ce qu'il a :
- évalué à 5 % la perte de chance d'obtenir l'infirmation de la décision du tribunal de commerce de Draguignan du 27 septembre 2016 ou la diminution des condamnations mises à sa charge par ce même jugement,
- condamné M. [J] à lui payer la somme de 2 100 euros au titre de son préjudice de perte de chance,
Statuant à nouveau,
- évaluer à 100 % son préjudice de perte de chance d'obtenir l'infirmation de la décision du tribunal de commerce de Draguignan en date du 27 septembre 2016 ou la diminution des condamnations mises à sa charge par ce même jugement,
- condamner M. [J] à lui payer la somme de 48 177,88 euros au titre de son préjudice de perte de chance,
En tout état de cause
- condamner M. [J] à lui payer la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel,
- le condamner aux entiers dépens, de première instance et d'appel.
Par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 15 novembre 2021, M. [J] demande à la cour de :
- infirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
- débouter Mme [W] de l'ensemble de ses demandes,
- juger à défaut que la réparation de la perte de chance alléguée ne saurait être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée,
- juger encore que telle réparation ne saurait se calculer que sur une somme inférieure à 42 000 euros et en regard d'un pourcentage de perte de chance au mieux égal à 5%,
- écarter toute prétention plus ample ou contraire,
En tout état de cause
- condamner reconventionnellement Mme [W] à lui payer la somme de 6 000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles de première instance et d'appel ou, à défaut, la condamner au paiement de la somme 3 000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles d'appel, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Il est fait renvoi aux écritures susvisées pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
1-Sur la responsabilité de l'avocat
Moyens des parties
L'appelante fait valoir que les éléments du dossier issus de la procédure pour laquelle l'intimé était chargé de la représenter démontrent que ses chances d'obtenir l'infirmation de la décision du tribunal de commerce de Draguignan était pleine et entière en raison de la carence probatoire de la requérante.
Elle soutient ainsi que Me [C] mandataire judiciaire n'a jamais démontré l'existence d'une quelconque offre de reprise de l'activité et elle ne peut de ce seul fait, sérieusement affirmer que son comportement aurait limité les opportunités de reprise qui n'existait pas.
Elle ajoute qu'elle n'a commis aucune faute personnelle agissant pour le compte de la société [10], qu'elle n'est pas à l'origine du mail adressé aux clients de la société visant à les détourner et surtout, qu'elle n'était pas bénéficiaire de quoique ce soit, et notamment du seul chèque adressé à la société [10].
Elle considère ainsi que M. [J] est fautif et que son préjudice certain et direct lié aux condamnations prononcées contre elle par le tribunal de commerce à tort, est bien en lien avec la faute de M. [J] qui l'a privée de la possibilité d'obtenir à coup sur la réformation de la décision.
L'intimé réplique que Mme [W] n'apporte pas la triple démonstration, nécessaire pour engager la responsabilité d'un professionnel du droit, d'une faute en lien de causalité direct avec un préjudice né et certain. Ainsi, si la faute n'est pas contestée, elle n'est pas en lien avec le dommage subi et il résulte des pièces produites par Me [C] dans le cadre de l'instance devant le tribunal de commerce et des poursuites initiées contre Mme [W] pour détournement/ recel d'actif par parent ou allié que Mme [W] et la société [10] ont bien commis une faute en détournant de la clientèle d'une société qui pouvait être reprise.
Il ajoute que le détournement reproché et démontré vidant la société de son actif monnayable a interdit de facto à Me [C] de rechercher d'éventuels repreneurs créant ainsi un préjudice à la liquidation judiciaire auquel elle était solidairement tenue, lequel préjudice a été parfaitement justifié et qui a même été minoré dans son quantum par les premiers juges, Me [C] ayant pu demander le calcul de l'assiette de la perte de chance sur la valeur du fonds de commerce de 256 000 euros,
Il considère ainsi qu'elle n'avait donc aucune chance de voir infirmer la décision.
Réponse de la cour
Il est de jurisprudence constante que la responsabilité d'un avocat ne peut être engagée que s'il a commis une faute ayant causé un préjudice à son client.
Le droit à indemnisation dépend en conséquence , de l'existence d'un ou de moyens sérieux qui auraient permis d'obtenir la réformation du jugement.
Il convient, ainsi, de déterminer s'il existe pour l'appelante une chance raisonnable de succès du recours en reconstituant fictivement, au vu des prétentions des parties et des pièces en débat, la discussion qui aurait pu s'instaurer devant la cour d'appel.
Sur la faute
L'intimé ne conteste pas avoir commis une faute en s'abstenant de signifier les écritures d'appelante avant l'expiration du délai de l'article 908 du code de procédure civile, cette carence étant à l'origine de la caducité de la déclaration d'appel.
Les parties s'opposent néanmoins sur l'existence du préjudice de perte de chance qu'aurait subi l'appelante.
Sur le préjudice
La perte de chance subie par le justiciable qui a été privé de la possibilité de faire valoir ses droits par la faute de son avocat se mesure à la seule probabilité de succès de la diligence omise.
Seule constitue une perte de chance réparable la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable et la victime ne peut prétendre obtenir réparation que s'il est démontré que sa situation aurait été meilleure si la faute invoquée n'avait pas été commise.
Mme [W] prétend en l'espèce, que la chance d'obtenir une décision favorable était loin d'être nulle ou minime et était même totale, tandis que M. [J] conclut pour sa part, à l'absence de préjudice et en toute hypothèse de lien de causalité entre les préjudices allégués et le manquement reproché.
Il ressort des éléments versés aux débats que le 5 janvier 2015, la SARL [5] dont le gérant est l'époux de Mme [W], a été placée en liquidation judiciaire et que Me [C] a été désigné en qualité de mandataire liquidateur.
Il est également acquis que Me [C] informé d'un courriel indiquant que Mme [W] utiliserait le fichier client de la société [4] pour proposer à ces clients de nouveaux contrats avec une société [11] et obtenir le règlement d'abonnements au profit d'une société dénommée [10], a souhaité agir pour préserver les droits de la société et des créanciers.
C'est dans ces circonstances qu'elle a demandé la désignation d'un commissaire de justice (Me [F] sera ainsi désigné) avec pour mission de se rendre au siège de la SARL [10] et au domicile de Mme [W] (qui a la même adresse que le siège de la société [10]) afin de se faire remettre le fichier client de cette société.
Par procès-verbal de constat établi à la suite de sa visite le 30 avril 2015, Me [F] a constaté avec l'aide de M. [V] son sapiteur informaticien que le fichier client de la société en liquidation judiciaire [4] était présent sur l'un des ordinateurs de la SARL [10].
Me [C] a alors assigné Mme [W] et la SARL [10] sur le fondement de la responsabilité délictuelle devant le tribunal de commerce de Draguignan aux fins qu'ils soient condamnés à réparer le préjudice subi du fait de la perte de la valeur du fichier client liée à l'impossibilité de le revendre et de la prime d'attachement de clientèle.
Le tribunal de commerce a fait droit à ses demandes aux motifs que la preuve de la faute à savoir le détournement du fichier client voire de son vol, était démontré et que des factures émises prouvaient l'intention d'utiliser le fichier dans les mêmes conditions que la société [4]. Le tribunal de commerce a également retenu que la clientèle, même si elle n'est pas cessible seule, est un élément qui fait partie intégrante et indissociable de la valeur d'une entreprise en raison de la fidélité et de la pérennité des clients disposant de contrat d'entretien à reconduction tacite et que le fait d'envoyer de nouveau contrat d'entretien à des anciens clients 'captifs', crée une concurrence déloyale vis-à-vis d'éventuel repreneur. Enfin, il a considéré que la soustraction de la clientèle causait un préjudice d'infaisabilité de cession d'actif en lien de causalité avec la faute commise puisque le retrait de cet élément essentiel ne permettait plus de trouver des repreneurs pour essayer de solder le passif de la société [4].
Pour faire juger que cette décision encourrait à coup sûr l'infirmation, Mme [W] invoque l'absence de toute preuve et surtout, l'absence de toute faute personnelle puisqu'elle agissait en qualité de préposée de la SARL [10] ce que le tribunal de commerce n'avait pas pris en compte.
Toutefois, il ne peut qu'être constaté que cette dernière affirmation ne repose sur aucune pièce, qu'elle reconnaît elle- même qu'elle n'avait aucun contrat de travail (pièce 10) et que la théorie de l'apparence ou la situation de fait, ne sont absolument pas étayées, cette dernière ne produisant aucune pièce en ce sens et les courriels de démarchages vers la SARL [10] étant réalisées avec la mention de ses coordonnées personnelles tel que le mentionne le mail du client SCI [8] : « ' Je vous invite à me recontacter afin de prendre rendez-vous pour les entretiens/ Madame [W] [U] RT Services [XXXXXXXX02]. »
Par conséquent, le moyen tiré de l'absence d'une faute personnelle n'aurait, en l'absence de pièces probantes et des informations rapportées ci-dessus, eu aucune chance d'aboutir devant la cour d'appel.
S'agissant de l'absence de preuve du 'vol' du fichier ou du détournement de l'actif, contrairement à ce qu'elle soutient il ressort des conclusions que les parties ont déposées devant la cour d'appel avant le prononcé de la caducité que la soustraction du fichier client est démontré par le constat de Me [F] . Ainsi, le disque dur prélevé par ce dernier dans les locaux de la société [10] annexe de la maison de M et Mme [W], a permis de trouver un fichier client de la société [10] dont le rapprochement avec le grand livre poste clients de la société [5], démontre la captation d'un certain nombre de clients de cette dernière société par la première. Me [F] a également retrouvé des fichiers appartenant à la société [4] dont un fichier clients [4] qui n'aurait pas dû se trouver dans les locaux d'une autre société que celle en liquidation judiciaire (pièce n° 11 de l'intimé reprenant notamment la pièce 14 de Mme [W] devant le TJ et la pièce 8 produite devant le TC).
Il sera à ce titre, observé que les pièces versées dans le cadre de la procédure devant le tribunal judiciaire et dont font état les conclusions des parties lors de cette instance, produites spontanément ou après sommation par Mme [W] en première instance, ne figurent plus à son bordereau d'appelante. Elles sont cependant visées par l'intimé à son bordereau pièce n°11 et en permettent de confirmer la teneur des écritures de Me [C] également versées aux débats.
Cela étant, la matérialité de la soustraction dénoncée ne peut être valablement contestée, de sorte qu'elle ne pouvait pas être remise en cause en appel au regard des pièces produites par Mme [W]. Enfin, cette absence de remise en cause possible est par ailleurs, renforcée par la citation à comparaître devant le tribunal correctionnel le 20 février 2020, délivrée par le procureur de la république de Draguignan à l'encontre de Mme [W] le 4 décembre 2019, pour « détournement ou recel de l'actif du débiteur » et usage de faux pour la période de mars à mai 2015.
Ainsi, comme le tribunal l'a jugé, peu importe que Mme [W] soutienne subsidiairement qu'elle n'a pas retiré un bénéfice personnel de la facturation de seulement 4 clients par la société [10] pour un montant de 7 114,82 euros, ni qu'aucune perte ne puisse être invoquée en l'absence de preuve d'éventuel repreneur. Il est en effet clairement établi que des fichiers ont été soustraits, qu'elle était la seule à avoir pu les prendre, que des clients ont bien été informés de la reprise des contrats d'entretien par une autre société après la mise en liquidation judiciaire de la société [4] et que 4 clients se sont vu facturer effectivement des sommes au profit de la société [10].
Enfin, s'agissant de la possibilité de réduction des sommes auxquelles elle avait été condamnée, elle ne démontre pas contrairement à ce qu'a jugé le tribunal judicaire qu'elle disposait d'une chance de voir la condamnation infirmée.
En effet, il est erroné de soutenir que le fichier client ne pouvait être cédé du fait du passif trop important de la société débitrice et de l'absence d'offre de reprise. Me [C] rappelait dans ses écritures devant la cour que la valorisation du fichier client attaché au fonds de commerce est de 50% du chiffre d'affaires (environ 60 000 euros) auquel s'ajoute la prime d'attachement de clientèle, et que dans sa mission de la réalisation des actifs, elle avait été entravée dès le début par la soustraction de la composante la plus importante du fonds de commerce.
Par voie de conséquence, la réparation par le tribunal de commerce du dommage causé qui a été analysée en préjudice de perte de chance de réaliser un élément essentiel de l'actif, est justifiée. Au surplus, la cour retient que son évaluation a été modérée conformément à la demande du mandataire judiciaire alors qu'il aurait pu en demander un calcul sur la base de l'assiette plus large de la valeur du fonds de commerce tout entier, de sorte qu'il n'existait aucune chance qu'elle soit réduite par la cour ou qu'elle soit limitée comme elle le soutient encore à titre subsidiaire Mme [W], aux seuls clients facturés. Il est en effet de jurisprudence constante que le préjudice se mesure à l'aune de la seule incidence pour la victime à savoir le mandataire judicaire pris es-qualités de représentant de la société en liquidation judiciaire auquel Mme [W] a participé par son action.
Mme [W] ne démontre donc pas avoir perdu une chance de voir son sort amélioré devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, quand bien même son avocat n'aurait pas omis le dépôt de ses conclusions dans le délai 908 du code de procédure civile.
Elle sera ainsi déboutée de l'ensemble de ses demandes et le jugement infirmée en toutes ses dispositions.
2-Sur les demandes accessoires
Partie perdante, Mme [U] [W] supportera la charge des dépens de première instance et d'appel et elle sera nécessairement déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Les dépens seront directement recouvrés au bénéfice du conseil qui en a fait la demande conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'équité commande enfin d'allouer à M. [J] la somme de 1 500 euros au titre de ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions soumises à la cour, étant précisé que si la cour retient bien que M. [J] a commis une faute celle-ci n'est pas à l'origine d'un préjudice comme le mentionne le tribunal dans son dispositif ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute Mme [U] [W] de l'ensemble de ses demandes ;
Condamne Mme [U] [W] à supporter la charge des dépens de première instance et d'appel;
Ordonne leur recouvrement direct au bénéfice du conseil qui en a fait la demande conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
Déboute Mme [U] [W] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
La condamne à payer à M. [T] [J] la somme de 1 500 euros au titre des ses frais irrépétibles et le déboute du surplus des ses demandes à ce titre.
La greffière, La présidente.