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Décisions

CA Pau, 2e ch - sect. 1, 14 octobre 2025, n° 25/00097

PAU

Arrêt

Autre

CA Pau n° 25/00097

14 octobre 2025

JP/PM

Numéro 25/2794

COUR D'APPEL DE PAU

2ème CH - Section 1

ARRET DU 14 OCTOBRE 2025

Dossier : N° RG 25/00097 - N° Portalis DBVV-V-B7J-JB4G

Nature affaire :

Action en responsabilité pour insuffisance d'actif à l'encontre des dirigeants

Affaire :

[O] [I]

C/

S.E.L.A.R.L. [14]'

Grosse délivrée le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

A R R E T

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 14 OCTOBRE 2025, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

* * * * *

APRES DÉBATS

à l'audience publique tenue le 24 Juin 2025, devant :

Jeanne PELLEFIGUES, magistrat chargé du rapport,

assisté de M. MAGESTE, Greffier présent à l'appel des causes,

Jeanne PELLEFIGUES, en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries, en présence de Philippe DARRACQ et en a rendu compte à la Cour composée de :

Madame Jeanne PELLEFIGUES, Présidente

Monsieur Philippe DARRACQ, Conseiller

Madame Joëlle GUIROY, Conseillère

qui en ont délibéré conformément à la loi.

dans l'affaire opposant :

APPELANTE :

Madame [O] [I]

née le [Date naissance 2] 1990 à [Localité 21]

[Adresse 6]

[Localité 11]

Représentée par Me Sophie MENJUCQ de la SELARL ALCEE AVOCATS, avocat au barreau de PAU

INTIMEE :

S.E.L.A.R.L. [14]' Prise en la personne de Maître [Y] [M], prise en son établissement secondaire de PAU situé [Adresse 5], Agissant ès qualité de Liquidateur judiciaire de la société [17], société à responsabilité limitée inscrite au RCS PAU n° [N° SIREN/SIRET 12], dont le siège social est situé [Adresse 8], fonctions à elle conférées par jugement du Tribunal de Commerce de Pau du 24 janvier 2023.

[Adresse 4]

[Localité 10]

Représentée par Me Camille ESTRADE, avocat au barreau de PAU

sur appel des décisions

en date du 19 NOVEMBRE 2024 et du 17 DECEMBRE 2024

rendues par le TRIBUNAL DE COMMERCE DE PAU

Par jugement du 19 novembre 2024, le tribunal de commerce de Pau a :

Vu l'article L651-2 du code de commerce

Vu l'article L653-1 et suivants du code de commerce,

Vu le rapport du juge commissaire désigné à la procédure collective de la SARL [17],

Condamné Monsieur [T] [I], né le [Date naissance 3] 1961 à [Localité 19], demeurant [Adresse 1], et Madame [O] [I], née le [Date naissance 2] 1990 à [Localité 20], demeurant [Adresse 7], gérants de la SARL [17] immatriculée au RCS de [Localité 20] sous le numéro [N° SIREN/SIRET 12] à payer à la SELARL [14]', ès qualités, la somme de 90 681, 29 euros en réparation de l'insuffisance d'actif de la liquidation de la SARL [17].

Prononcé la faillite personnelle de Monsieur [T] [I] et Madame [O] [I] et fixé la durée à dix ans.

Condamné solidairement Monsieur [T] [I] et Madame [O] [I] à payer à la SELARL [15], ès qualités, la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Débouté la SELARL [14]', ès qualités, du surplus de sa demande.

Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement.

Condamné solidairement Monsieur [T] [I] et Madame [O] [I] aux entier dépens de l'instance.

Par jugement rectificatif du 17 décembre 2024, le tribunal de commerce de Pau a :

Vu le jugement du tribunal de commerce de Pau, en date du 19/11/2024 portant le numéro de rôle général 2024003947,

Vu la requête en date du 28/11/2024 visant à une rectification du jugement,

Dit la SELARL [14]' prise en la personne de Maître [Y] [M], ès qualité de liquidateur judicaire de la société [18] bien fondée en sa requête formée en application de l'article 462 et 463al3 du C.P.C.,

Complété le corps de la décision du 19/11/2024, page 7 au paragraphe intitulé « sur la demande de condamnation pour insuffisance d'actif », comme suit :

« En conséquence le tribunal, condamnera solidairement Monsieur [T] [I] et Madame [O] [I] à verser à la SELARL [15], ès qualités, la somme de 50666,89 euros au titre de leur responsabilité pour insuffisance d'actif. »

Complété et rectifié le dispositif du jugement du 19/11/2024, comme suit :

« Condamne solidairement Monsieur [T] [I], né le [Date naissance 3] 1961 à [Localité 19], demeurant [Adresse 1], et Madame [O] [I], née le [Date naissance 2] 1990 à [Localité 20], demeurant [Adresse 7], gérants de la SARL [23] immatriculée au RCS de [Localité 20] sous le numéro [N° SIREN/SIRET 13] à payer à la SELARL [14]', ès qualités, la somme de [Localité 9],89 euros en réparation de l'insuffisance d'actif de la liquidation de la SARL [23]. »

Dit que les autres dispositions restent inchangées.

Ordonné que la mention de cette notification soit portée sur la minute du jugement entrepris et des expéditions qui en seront délivrées.

Dit qu'elle sera notifiée conformément aux dispositions de l'article 465 du C.P.C.

Par déclarations du 13 janvier 2025, Madame [O] [I] a relevé appel de ces deux jugements.

Par ordonnance du 15 mai 2025, Monsieur Le Premier Président de la cour d'appel de Pau a débouté Madame [O] [I] de sa demande tendant à voir arrêter l'exécution provisoire attachée au jugement numéro 2024 003947 en date du 19 novembre 2024 rectifié par le jugement numéro 2024 00689 en date du 17 décembre 2024 prononcés par le tribunal de commerce de Pau.

Les 2 procédures ont été clôturées par ordonnances du 04 juin 2025.

En raison de l'identité des parties, du litige et de la cause, il y a lieu d'ordonner, dans le souci d'une bonne administration de la justice, la jonction des deux procédures, sur le fondement de l'article 368 du code de procédure civile, au titre d'une mesure d'administration judiciaire relevant du pouvoir discrétionnaire du juge.

Dans ses dernières conclusions en date du 28 fevrier2025 , Madame [O] [I] demande à la cour de :

Vu les articles L 651-1, L. 651-2, L651-4, L. 653-2, . 653-4 et L. 653-6 du code de commerce

Vu les articles 695, 696, et 700 du Code de Procédure civile,

Vu la jurisprudence précitée

Vu les pièces versées au débat,

DECLARER recevable et bien fondée l'appel de Madame [O] [I], à l'encontre du jugement rendu par le tribunal de commerce de Pau le 19 novembre 2024, rectifié par jugement en date du 17 décembre 2024,

Y faisant droit

A titre principal

INFIRMER le jugement dont appel en ses dispositions ayant :

- Condamné Madame [O] [I] née le 18/09/1990 demeurant [Adresse 7], gérante de la société SARL [17], immatriculée au RCS de [Localité 20] sous le numéro [N° SIREN/SIRET 12] à payer à la SELARL [15], es qualités, la somme de 90 681,29 euros en réparation de l'insuffisance d'actif de la liquidation de la SARL [17]

- En conséquence, condamné Madame [O] [I], solidairement avec Monsieur [T] [I], à verser à la SELARL [15], es qualités, la somme de 90 681,29 euros au titre de leur responsabilité pour insuffisance d'actif.

- Compléter le corps de la décision du 19/11/2024, page 6, au paragraphe intitulé "sur la demande de condamnation pour insuffisance d'actif" comme suit :

"En conséquence, le tribunal après avoir pris connaissance du rapport du juge commissaire condamner solidairement Monsieur [T] [I] et Madame [O] [I], à verser à la SELARL [15], es qualités, la somme de 90 681,29 euros au titre de leur responsabilité pour Insuffisance d'actif."

- Compléter le dispositif du jugement du 19/11/2024 comme suit :

"Condamne solidairement Monsieur [T] [I], né le [Date naissance 3] 1961 à [Localité 19], demeurant [Adresse 1], et Madame [O] [I], née le [Date naissance 2] 1990 à [Localité 20], demeurant [Adresse 7], gérants de la SARL [17] immatriculée au RCS de [Localité 20] sous le numéro [N° SIREN/SIRET 12] à payer à la SELARL [15], es qualités, la somme de 90 681,29 euros en réparation de l'insuffisance d'actif de la liquidation de la SARL [17]."

- Prononcé la faillite personnelle de Madame [O] [I] pour une durée de dix ans.

- Condamné Madame [O] [I], solidairement avec Monsieur [T] [I] à payer à la SELARL [15], es qualités, la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile

- Condamné Madame [O] [I], solidairement avec Monsieur [T] [I], qui succombe, aux entiers dépens de l'instance

DEBOUTER la SELARL [14]' de l'ensemble de ses demandes,

A titre subsidiaire

Si par extraordinaire la Cour considérait que Madame [O] [I] a commis des fautes de gestion ayant un lien de causalité avec l'insuffisance d'actif de la Société,

Statuant à nouveau,

CONDAMNER Madame [I] à verser à la SELARL [14] une somme ramenée à de plus justes proportions en prenant en compte sa situation personnelle et en veillant au respect du principe de proportionnalité

En toute hypothèse

DEBOUTER la SELARL [14] de sa demande de prononciation à l'encontre de Madame [O] [I] d'une mesure de faillite personnelle

CONDAMNER la SELARL [14]' à payer à Madame [O] [I] une somme de 2500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

CONDAMNER la SELARL [14]' à supporter les dépens en application des articles 695 et 696 du Code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions du 20 mai 2025, la Selarl [14]' demande à la cour de :

Vu les articles L651-2, L 653- 5 et L 653-8 du Code de Commerce

Vu la jurisprudence précitée,

Déclarer mal fondé l'appel interjeté par Madame [O] [I],

Confirmer le jugement rendu le 19 novembre 2024 rectifié le 17 décembre 2024 par le tribunal de commerce de PAU dans ses dispositions, Sauf en ce qu'il a prononcé contre Madame [O] [I] une mesure de faillite personnelle d'une durée de 10 ans au visa de l'article L. 653-1 du code de commerce.

Réformer la décision uniquement sur la sanction professionnelle,

Statuant à nouveau,

Prononcer contre Madame [O] [I] une mesure de faillite personnelle d'une durée de 10 ans au visa de l'article L653-5 du code de commerce,

à moins qu'elle ne préfère prononcer une simple interdiction de gérer de même durée en application de l'article L. 653-8 du Code de commerce).

En tout état de cause,

Condamner Madame [O] [I] à payer à la SELARL [14]', ès qualité, une indemnité de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du CPC en règlement des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

Condamner Madame [O] [I] aux entiers dépens tant de première instance que d'appel avec distraction au profit de Maître Camille ESTRADE en application de l'article 699 du CPC.

Débouter Madame [O] [I] de ses demandes, fins et conclusions contraires

Dans son avis du 21 mai 2025, le Ministère Public formule les réquisitions suivantes :

DECLARER l'appel recevable

CONFIRMER la décision entreprise en ce qu'elle a retenu la responsabilité de [O] [I] dans l'insuffisance d'actif de la société [17].

CONDAMNER SOLIDAIREMENT Madame [O] [I] et Monsieur [T] [I] à payer la somme de 90 681,29 € au titre de l'insuffisance d'actif.

CONFIRMER la décision entreprise en ce qu'elle sanctionne les fautes de gestion de Madame[O] [I] dans la gestion de la société [17].

CONFIRMER la faillite personnelle pour une durée de 10 ans de Madame [O] [I].

Le ministère public a régulièrement transmis ses observations.

Les 2 procédures ont été clôturées par ordonnances du 04 juin 2025.

SUR CE

Sur la jonction : des procédures N° 25- 00097 et 25-00102 :

En raison de l'identité des parties, du litige et de la cause, il y a lieu d'ordonner, dans le souci d'une bonne administration de la justice, la jonction de la procédure 25-00102 à la procédure25- 00097 sur le fondement de l'article 368 du code de procédure civile, au titre d'une mesure d'administration judiciaire relevant du pouvoir discrétionnaire du juge.

Au fond :

La société [17] exerce l'activité de distribution de boissons, snack, sandwichs, alimentation d'appoint, presse, vente d'objets et gadgets, de cartes postales, de produits d'hygiène corporelle, de produits alimentaires et d'épicerie, de cartes de téléphone, de piles, de bouquets de fleurs au sein de la [24] à [Localité 22].

Monsieur [T] [I] et sa fille, Madame [O] [I], ont été désignés co -gérants aux termes des statuts constitutifs de la société.

Par jugement du 12 juillet 2022, le tribunal de commerce de Pau a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société [17], a fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 07 juillet 2022 et a désigné la Selarl [14]', prise en la personne de Maître [Y] [M], en qualité de mandataire judiciaire.

Par jugement du 24 janvier 2023, le tribunal de commerce de Pau a prononcé la liquidation judiciaire de la société [17] et a désigné la Selarl [14],

prise en la personne de Maître [Y] [M], en qualité de liquidateur judiciaire.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 11 janvier 2023, l'Ursaff a adressé à la Selarl [14]' une lettre d'observations faisant état de plusieurs infractions commises par les co-gérants, notamment de fraudes aux aides liées à l'activité partielle et de travail dissimulé, entrainant l'annulation des exonérations de charges et la régularisation des cotisations sur salaires non déclarées pour la période antérieure à l'ouverture de la procédure collective. Elle l'a également informée de l'existence d'une procédure pénale enregistrée sous le numéro 22-018 en date du 19 octobre 2022, à l'issue de laquelle Monsieur [T] [I], Madame [O] [I] ainsi que la société [23] ont été cités à comparaître devant la chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Pau à l'audience du 06 février 2025.

Par exploit d'huissier en date du 27 août 2024, la Selarl [14], ès qualités, a assigné Monsieur [T] [I] et Madame [O] [I] devant le tribunal de commerce de Pau afin notamment de les voir condamner solidairement à combler l'insuffisance d'actif à hauteur de 90 681, 29 euros et de voir prononcer à leur encontre une mesure de faillite personnelle pour une durée de dix ans.

Par jugement du 06 février 2025, le tribunal correctionnel de Pau a condamné Monsieur [T] [I] et Madame [O] [I] à 6 mois d'emprisonnement avec sursis des chefs de fraude pour l'obtention d'allocation de maintien ou sauvegarde de l'emploi, d'exécution d'un travail dissimulé et d'obstacle à l'exercice des fonctions d'un agent de contrôle de l'inspection du travail.

Sur l'insuffisance d'actif :

En droit, l'insuffisance d'actif doit être certaine à la date à laquelle le juge statue.

En l'espèce, le passif définitivement admis s'élève à la somme de 94 103, 45 euros et l'actif réalisé et recouvré à la somme de 3 422, 16 euros.

Le jugement a exactement retenu, sur cette base, une insuffisance d'actif de 90 681, 29 euros, conformément à la demande réactualisée du liquidateur judiciaire. Ce montant n'est pas contesté par [O] [I].

Sur les fautes de gestion :

[O] [I] soutient que le désintérêt dont elle a fait preuve quant à la gestion de la société ne saurait constituer une faute de gestion mais s'analyse en une simple négligence, insuffisante à engager sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif.

Elle fait valoir n'avoir exercé qu'une gérance de « paille », et soutient que cette circonstance doit être prise en considération par le juge dans son appréciation.

Elle expose à cet égard avoir été désignée en qualité de gérante dans les statuts constitutifs de la société dans le seul but de se voir reconnaître le statut de gérante non salariée, sans jamais n'avoir exercé de fonctions inhérentes à cette qualité.

Elle affirme que son rôle dans l'entreprise se limitait à l'exécution de tâches comparables à celle d'un salarié.

A l'appui de ses allégations, elle verse aux débats une attestation de son père, [T] [I], dans laquelle il déclare avoir pris seul les décisions, sa fille « n'étant là que pour les papiers et non informés de tous les dossiers (') ».

Elle soutient qu'en tout état de cause le liquidateur n'établit pas de lien de causalité entre l'insuffisance d'actif et les faits qui lui sont reprochés. Elle fait également grief au premier juge de ne pas avoir précisé le lien de causalité se contentant d'invoquer « une aggravation du passif ».

Elle indique que le non-respect de la législation du travail et la non communication à l'inspecteur du travail des documents comptables et sociaux demandés n'ont donné lieu à aucun redressement. Elle ajoute à ce sujet que la procédure pénale engagée à ce titre l'a été à l'encontre de Madame [O] [I] et de Monsieur [T] [I], de sorte que la société [17] n'a subi aucun préjudice.

En réponse, la Selarl [14]' reproche à Madame [O] [I] deux fautes de gestion en lien de causalité avec l'insuffisance d'actif.

La première faute de gestion invoquée par le liquidateur tient aux irrégularités comptables et au non-dépôt des comptes sociaux. La Selarl [14]' fait valoir que la non-tenue ou la tenue irrégulière d'une comptabilité caractérise selon la Cour de cassation une faute de gestion et non une simple négligence .

Elle expose que le bilan clôturé au 21/12/2022 et celui de 2022 n'ont pas été communiqués au mandataire judicaire. Elle précise que Madame [O] [I] a reconnu dans son audition du 16 mai 2023 ignorer si le bilan 2021 avait été établi et l'inexistence du bilan 2022 tout en admettant qu'elle prenait la totalité des décisions avec son père. De surcroît, le liquidateur affirme qu'aucune archive ni compte bancaire de la société n'ont été conservés.

La seconde faute de gestion invoquée par le liquidateur tient au non-respect relatif à la législation du travail et de sécurité sociale, ce qui a entraîné un redressement par l'inspection du travail et une condamnation pénale de Madame [O] [I] ainsi que de son père.

En outre, la Selarl [14]' argue que Madame [O] [I] ne saurait se retrancher derrière la gérance de paille pour se dégager de sa responsabilité qui en plus de ne pas être établie n'est pas exonératoire de responsabilité. Elle rappelle que la Cour de cassation sanctionne la passivité du dirigeant y compris en l'absence d'intention de nuire. Elle indique que Madame [O] [I] a elle-même reconnu sa responsabilité conjointe avec celle de son père dans la commission des fautes reprochées. Enfin, elle soutient que l'attestation de Monsieur [T] [I] rédigée postérieurement aux aveux de sa fille a été établie pour les seuls besoins de la cause et doit être, en tout état de cause écartée, comme non conforme aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile, celle-ci n'étant pas manuscrite.

De son côté le ministère public soutient que [O] [I] ne saurait s'exonérer de sa responsabilité de gérante en affirmant qu'elle n'a jamais exercé ces fonctions alors qu'elle bénéficie du statut de gérante non salariée (TNS) et participait régulièrement à l'activité de l'entreprise.

Il fait valoir que [O] [I] a commis une première faute de gestion, caractérisée par l'absence de tenue régulière de comptabilité depuis 2021, en violation de l'article L.123-12 du code de commerce. Il expose que Madame [O] [I] l'a reconnu lors de l'audience devant le tribunal de commerce. Il souligne que les archives comptables n'ont pas été conservées.

En outre, le ministère public soutient que [O] [I] a commis une seconde faute de gestion en se soustrayant, de concert avec son père, à leurs obligations sociales relatives à la législation du travail et de la sécurité sociale. Il précise que ces manquements ont conduit à une procédure pénale qui s'est soldée par une condamnation de [O] [I] et de son père prononcée par le tribunal correctionnel de Pau le 06 février 2025 pour des faits de fraude pour l'obtention d'allocation de maintien ou sauvegarde de l'emploi, d'exécution d'un travail dissimulé,

obstacle à l'exercice des fonctions d'agent de contrôle de l'inspection du travail, et emploi de salariés à horaires variables sans établir de document nécessaire au contrôle du temps de travail.

Enfin, il affirme que par ces agissements les dirigeants ont sciemment nui à l'intérêt social et ont contribué à l'aggravation financière de la société, de sorte que ces agissements ne peuvent s'analyser en de simples négligences.

Cela posé, en droit, l'article L. 651-2 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 9 décembre 2016 dont les dispositions plus favorables doivent être appliquées aux procédures en cours, dispose lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée.

Il résulte de ce texte que le succès de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif repose sur trois conditions cumulatives : un préjudice consistant en une insuffisance d'actif, une faute de gestion et un lien de causalité entre cette faute et l'insuffisance d'actif. La charge de la preuve de l'accomplissement de ces conditions repose sur le demandeur à l'action.

En outre, seule la faute de gestion antérieure au jugement d'ouverture de la procédure collective peut donner lieu à l'action en insuffisance d'actif et une simple négligence ne caractérise pas une faute de gestion.

Le lien de causalité est établi lorsque la faute de gestion a contribué à l'insuffisance d'actif. Selon une jurisprudence constante, le dirigeant peut être déclaré responsable de l'insuffisance d'actif même si la faute de gestion qu'il a commise n'est que l'une des causes de cette insuffisance et sans qu'il y ait lieu de déterminer la part de cette insuffisance imputable à sa faute.

En l'espèce, il est constant qu'aux termes des statuts constitutifs de la société [17] en date du 11 octobre 20216 Madame [O] [I] et son père, Monsieur [T] [I] ont été désignés co-gérants.

Madame [O] [I] se revendique « gérante de paille » faisant valoir que sa désignation a été convenue dans le seul objectif d'obtenir le statut de gérante salariée et que son rôle dans l'entreprise était comparable à celui d'un salarié.

Or, lors son audition en date du 16 mai 2023, Madame [O] [I] a reconnu être co-gérante de la société [17] aux côtés de son père précisant que les décisions étaient prises conjointement en l'absence de toute délégation de pouvoir.

L'attestation de témoignage émanant de son père, Monsieur [T] [I], en date du 18 février 2025, dans laquelle il déclare avoir pris seul les décisions, n'a pas été écrite de sa main en contravention des conditions de forme posées à l'article 202 du code de procédure civile. De plus, la force probante du témoignage est amoindrie en raison du lien de parenté les liant et du moment de son établissement. [O] [I] a par ailleurs reconnu que ce soit dans le cadre de la procédure pénale ou lors de l'audience tenue devant le tribunal de commerce de Pau les manquements qui lui sont reprochés, à savoir la non-tenue d'une comptabilité régulière et le non-respect des règles relatives à la législation du travail et de la sécurité sociale.

Elle ne conteste pas la réalité des faits devant la cour mais soutient que ceux-ci relèvent de son désintérêt pour la gestion de la société, notamment en s'installant à l'étranger avec son conjoint, de simples négligences, d'autant que sa nomination en qualité de gérante n'a jamais eu vocation à lui faire assumer les fonctions inhérentes à ce statut.

Toutefois, il est établi que [O] [I] a effectivement exercé les fonctions de co-gérante et a participé aux faits reprochés. En tout état de cause, ni le désintérêt d'un dirigeant pour la gestion de sa société ni sa passivité ne constituent des motifs exonératoires de responsabilité. Les fautes de gestion peuvent en effet résulter de la passivité du dirigeant traduisant son incurie. Le fait de s'être désintéressée de la vie de la société alors qu'elle était toujours en responsabilité caractérise un comportement fautif. C'est ce qu'a pu décider la Cour de cassation qui considère que la faute de gestion peut tenir au fait pour le dirigeant de droit de ne pas surveiller la gestion du cogérant.

La non-tenue d'une comptabilité régulière matérialisée par l'absence de bilan comptable depuis 2021 et la non conservation des archives en violation des dispositions de l'article L. 123-12 du code de commerce, résulte des pièces versées aux débats et des aveux de Madame [O] [I] elle-même notamment lors de l'audience devant le tribunal de commerce.

Ainsi que le soutiennent le liquidateur et le ministère public, cette faute a empêché les co-gérants d'appréhender la situation économique et financière de l'entreprise de manière exacte et en conséquence de prendre en temps utile les mesures qui s'imposaient. En l'absence de comptabilité aucune prévision fiable ne pouvait être établie ni aucune mesure corrective envisagée, ce qui a contribué à l'insuffisance d'actif.

Le non-respect des obligations sociales relatives à la législation du travail et de la sécurité sociale est amplement démontrée que ce soit par les aveux de Madame [O] [I] ou la procédure pénale ayant entraîné la condamnation de Madame [O] [I] et de son père à 6 mois d'emprisonnement avec sursis pour des faits de fraude pour l'obtention d'allocation de maintien ou sauvegarde de l'emploi, d'exécution d'un travail dissimulé et d'obstacle à l'exercice des fonctions d'agent de contrôle de l'inspection du travail. Ce manquement constitue une faute de gestion, excédant la simple négligence. Néanmoins, Madame [O] [I] souligne à juste titre que la société n'a fait l'objet d'aucun redressement et n'a, en conséquence, subi aucun préjudice. En effet aucun redressement n'apparaît dans l'état du passif. Le liquidateur invoque un lien de causalité entre la faute alléguée et l'insuffisance d'actif sans en rapporter la preuve, se contentant d'une affirmation péremptoire. Cette faute ne sera donc pas retenue.

Il s'ensuit que seule la faute de gestion tenant aux irrégularités comptables peut être retenue contre Madame [O] [I].

Sur la condamnation au comblement du passif :

[O] [I] considère que le lien de causalité entre les fautes de gestion et l'insuffisance d'actif n'est pas démontrée. Or l'existence d'une faute de gestion n'autorise en effet à faire supporter par le dirigeant social l'insuffisance d'actif que si le liquidateur démontre en quoi cette faute a contribué à créer ou accroître le passif.

La faute de gestion relevée, à savoir le défaut de tenue de comptabilité de la société a privé les dirigeants d'outils de gestion leur permettant de contrôler et de suivre la situation financière de la société et d'éviter l'aggravation du passif.

[O] [I] en raison de cette faute de gestion commise, d'une particulière gravité puisqu'elle porte sur la comptabilité de l'entreprise avec une incidence manifeste sur l'insuffisance d'actif, sera condamnée à supporter tout ou partie du montant de cette insuffisance d'actif.

[O] [I] fait grief au premier juge de ne pas avoir motivé sa décision de la condamner solidairement avec son père au comblement du passif. Elle soutient que les sanctions auraient dû être individualisées en fonction du comportement de chacun des co-gérants, conformément au principe de proportionnalité. Elle fait valoir que cette exigence n'a pas été respectée dans la mesure où son père a reconnu avoir commis seul les fautes de gestion.

Elle reproche également au premier juge de ne pas voir tenu compte de sa situation financière personnelle marquée par l'absence de patrimoine propre ni de revenus fixes.

En réponse, la Selarl [14]' soutient que la condamnation solidaire de Madame [O] [I] et de son père est parfaitement justifiée au regard des fautes de gestion commises et du fait que les deux co-gérants ont participé conjointement et à parts égales à ces fautes ayant mené à la déconfiture de la société.

Par ailleurs, le liquidateur fait valoir que [O] [I] ne produit aux débats aucun élément de son patrimoine de nature à réduire sa condamnation, tels que son avis d'imposition 2025 sur les revenus 2024 , le montant actualisé de ses indemnités journalières ou les résultats de ses recherches de demande d'emploi et de formation intervenus à cette date.

De son côté, le Ministère public requiert la confirmation du jugement de première instance faisant valoir que le premier juge a parfaitement justifié la condamnation solidaire des co-gérants.

En l'espèce, [O] [I] ainsi que son père [T] [I] ont commis une faute d'une particulière gravité en ne tenant plus la comptabilité de l'entreprise en 2021 et 2022 ainsi qu'en ne conservant pas les archives bancaires et comptables.

Il n'est pas démontrée par [O] [I] le rôle prépondérant qu' aurait joué son père dans la gestion de la société et la seule attestation de celui-ci fournit pour les besoins de la cause ne saurait suffire. Sa responsabilité entière a été retenue au titre de la faute gestion commise ayant contribué à l' insuffisance d'actif de la société.

La condamnation solidaire des cogérants sera donc confirmée.

S'agissant de sa situation personnelle et matérielle [O] [I],

justifie avoir perçu tout au long de l'année 2024 des indemnités journalières en raison de son arrêt maladie dans les proportions suivantes :

02/02/2024 au 03/03/2024 : 1195, 67 euros

01/03/2024 au 02/04/2024 : 1272, 81 euros

01/04/2024 au 02/05/2024 : 1234, 24 euros

01/05/2024 au 02/06/2024 : 1272, 81 euros

01/06/2024 au 02/07/2024 : 1234, 24 euros

01/07/2024 au 02/08/2024 : 1272, 81 euros

01/08/2024 au 02/09/2024 : 1272, 81 euros

01/09/2024 au 02/10/2024 : 1234, 24 euros

01/10/2024 au 07/10/2024 : 269, 99 euros

01/11/2024 au 02/12/2024 : 1950, 08 euros

01/12/2024 au 02/01/2025 : 2011, 02 euros

Elle produit également son avis d'imposition établi en 2024 sur les revenus 2023 faisant apparaître un revenu fiscal de 31 219 euros. L'avis d'imposition de 2025 sur les revenus 2024 n'a pas été produit.

Par ailleurs, elle verse aux débats un courrier de [16] attestant qu'elle est au chômage depuis février 2025, suite à un licenciement. Toutefois, elle ne donne aucune indication sur le montant des indemnités de retour à l'emploi qui lui ont été ou qui lui seront allouées.

En conséquence [O] [I] sera condamnée à supporter solidairement avec [T] [I] une partie du passif à hauteur de 50 666,89 € comme cela a été arbitré par les premiers juges en application de l'article 651 '2 du code de commerce qui permet une condamnation à supporter tout ou partie de l'insuffisance d'actif.

Le jugement du 17 décembre 2024 sera donc confirmé sur ce point.

Sur la faillite personnelle :

[O] [I] reproche au premier juge d'avoir dénaturé la demande et le motif invoqué par le liquidateur en la condamnant à la faillite personnelle sur le fondement des articles L653-4 et L653-8 du code de commerce alors que ce dernier avait fondé son action sur l'article L653-5 du code de commerce, inapplicable aux dirigeants de société. En réponse la Selarl [14]' sollicite sur le fondement de l'article L 653-5, 6° du code de commerce la condamnation de Madame [O] [I] à une faillite personnelle de 10 ans pour tenue d'une comptabilité irrégulière ou à titre subsidiaire à une interdiction de gérer sur le fondement de l'article L. 653-8 du même code.

De son côté, le ministère public requiert la condamnation de Madame [O] [I] à une faillite personnelle de 10 ans sur le fondement de l'article L653-4 du code de commerce faisant valoir que que [O] [I] a béné'cié d'allocations indues, organisé des dissimulations de salaires, et poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation dé'citaire augmentant le passif de la société [17], dont l'issue ne pouvait que conduire à la cessation des paiements.

Aux termes de l'article L. 653-5, 6° du même code, le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 contre laquelle a été relevé le fait d'avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables.

L'article L6 53 ' 8 dispose que dans les cas prévus aux articles L6 53 ' 3 à L6 53 ' 6, le tribunal peut prononcer à la place de la faillite personnelle l' interdiction de diriger, gérer administrer ou contrôler directement ou indirectement soit toute entreprise commerciale ou artisanale toute exploitation agricole ou toute personne morale soit une ou plusieurs de celle-ci.

Suivant jurisprudence de la Cour de cassation une mesure d'interdiction de gérer doit être motivée tant sur le principe que sur le quantum. Le quantum s'apprécie au regard de la gravité des fautes et de la situation personnelle du gérant.

Il résulte des développements précédents que [O] [I] n'a pas tenu de comptabilité régulière et encourt donc le prononcé d'une mesure de faillite personnelle à son encontre sur le fondement de l'article L.653-5, 6° du code de commerce.Il sera connu compte des fautes de gestion caractérisées commises par [O] [I], de sa désinvolture totale manifestée dans la gestion de cette société, de sa mauvaise foi en prétendant n'avoir été qu'une gérante de paille mais également de sa situation personnelle et des justificatifs qu'elle produit.

Une mesure d'interdiction de gérer pendant 8 ans est mieux adaptée aux circonstances de la cause.

Le jugement déféré sera donc infirmé sur ce point en condamnant [O] [I] à une mesure d'interdiction de gérer pour une durée de 8 ans.

La somme de 2000 € sera allouée à la SELARL [14]' es qualité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, après en avoir délibéré, Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Ordonne la jonction de la procédure N°25/00102 à la procédure N° 25/00097,

vu le jugement du 19 novembre 2024 et le jugement rectificatif du 17 décembre 2024,

Infirmant partiellement les décisions déférées :

Prononce à l'encontre de [O] [I] une mesure d'interdiction de gérer pour une durée de 8 ans

confirme le jugement du 17 décembre 2024 en toutes ses autres dispositions

y ajoutant :

condamne [O] [I] à verser à la SELARL [14]' es qualité la somme de 2000 € au titre des frais irrépétibles engagés en cause d'appel,

Dit [O] [I] tenue aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Camille ESTRADE en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Madame PELLEFIGUES, Président, et par Mme SAYOUS, greffier suivant les dispositions de l'article 456 du Code de Procédure Civile.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT

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