CA Bordeaux, 4e ch. com., 14 octobre 2025, n° 24/03783
BORDEAUX
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL DE BORDEAUX
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 14 OCTOBRE 2025
N° RG 24/03783 - N° Portalis DBVJ-V-B7I-N5AO
Madame [D], [I], [J] [B] épouse [W]
Monsieur [K], [V], [R] [W]
c/
S.E.L.A.R.L. [9]'
Nature de la décision : AU FOND
Notifié aux parties par LRAR le :
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 16 juillet 2024 (R.G. 2023004643) par le Tribunal de Commerce d'ANGOULEME suivant déclaration d'appel du 08 août 2024
APPELANTS :
Madame [D], [I], [J] [B] épouse [W], née le [Date naissance 3] 1961 à [Localité 16] (17) de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]
Monsieur [K], [V], [R] [W], né le [Date naissance 1] 1964 à [Localité 5] (89), de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]
Représentés par Maître Mathieu RAFFY de la SELARL MATHIEU RAFFY - MICHEL PUYBARAUD, avocat au barreau de BORDEAUX, et assistés de Maître Frédérique MARTIN, avocat au barreau de la CHARENTE
INTIMÉS :
S.E.L.A.R.L. [9]', prise en la personne de Maître [S] [X], en qualité de liquidateur judiciaire de la SAS [12], désigné à cette fonction par jugement de conversion en liquidation judiciaire en date du 7 juillet 2022 rendu par le tribunal de commerce d'Angoulême, domicilié en cette qualité [Adresse 4]
Représentée par Maître Katell LE BORGNE de la SCP LAVALETTE AVOCATS CONSEILS, avocat au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître Grégory ANTOINE, avocat au barreau de la CHARENTE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 septembre 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,
Madame Sophie MASSON, Conseiller,
Madame Bérengère VALLEE, Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
FAITS ET PROCÉDURE:
1- La SAS [12] (ci-après la société [13]), qui exerçait l'activité de traiteur, avait été créée par acte du 30 décembre 2014 et immatriculée au greffe du tribunal de commerce d'Angoulême le 21 janvier 2025. Les titres de la société étaient détenus à 30% par M. [K] [W] et à 30% par Mme [D] [W], le reste étant détenu par une Mme [H] [W] et M. [A].
Du 30 décembre 2014 au 1er janvier 2021, M. [K] [W] a été le président de la société, et Mme [D] [W] a exercé la fonction de directrice générale.
Par procès verbal d'assemblée générale extraordinaire daté du 1er janvier 2021, M. [K] [W] a cédé à Mme [D] [W] les titres qu'il détenait. La SAS a été transformée en SASU, Mme [D] [W] devenant la seule associée et présidente de la société [13]. La modification a notifiée au Registre du commerce et des sociétés seulement le 21 janvier 2022.
Le 16 février 2022, la société [13] a déposé une déclaration de cessation de paiements.
Par jugement du 3 mars 2022, le tribunal de commerce d'Angoulême a ouvert la procédure de redressement judiciaire de la société [13], avec fixation d'une date provisoire de cessation des paiements au 1er novembre 2021, et nomination de la SELARL [9]' en la personne de Me [X] en qualité de mandataire judiciaire. Par jugement du 28 avril 2022, le tribunal a ordonné le maintien de la période d'observation ainsi que la transmission par l'entreprise en redressement au mandataire de plusieurs documents comptables.
Par jugement du 7 juillet 2022, le tribunal a, sur demande du mandataire, converti la procédure en liquidation judiciaire.
Par acte du 16 août 2023, la SELARL [9]' ès qualités a fait assigner les consorts [W] devant le tribunal de commerce d'Angoulême pour voir juger que M. [W] était dirigeant de fait de la société depuis le 1er janvier 2021, que ce dernier et Mme [D] [W] ont commis des fautes de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif de la société, et par conséquent, les voir condamner solidairement au paiement de 38 322,92 euros au titre de l'insuffisance d'actif.
2- Par jugement du 16 juillet 2024, le tribunal de commerce d'Angoulême a :
Vu le rapport du juge commissaire,
Le Ministère public entendu en ses réquisitions,
- dit que M. [K] [W] est dirigeant de fait de la SAS [12],
Vu les articles L.651-1 et suivants du code de commerce,
- condamné solidairement Mme [W] [D], [I], [J] née [B] et M. [W] [K], [V], [R] à payer entre les mains de la SELARL [10], en la personne de Me [S] [X], en qualité de liquidateur de la SAS [12], la somme de 38 329,92 euros au titre de la responsabilité pour insuffisance d'actif.
Vu l'article L.651-2 du code de commerce,
- rappelé que les sommes versées par le défendeur entrent dans le patrimoine de la société débitrice et seront réparties entre tous les créanciers au marc le franc ; qu'il appartient donc au mandataire de justice de procéder à la signification et à l'exécution du présent jugement,
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné solidairement Mme [W] [D], [I], [J] née [B] et M. [W] [K], [V], [R] à payer à la SELARL [10], en qualité de liquidateur de la SAS [12], la somme de 1250 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
- débouté Mme [D], [I], [J] née [B] et M. [W] [K], [V], [R] de l'ensemble de leurs demandes.
- dit les dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire,
Vu l'article R661-1 du code de commerce,
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision.
3- Par déclaration au greffe du 8 août 2024, Mme [D] [W] née [B] et M. [K] [W] ont relevé appel du jugement énonçant les chefs expressément critiqués, intimant la Selarl [9]' ès qualités et le Procureur Général près la cour d'appel de Bordeaux.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES:
4- Par conclusions déposées en dernier lieu le 19 août 2025, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, M. et Mme [W] demandent à la cour :
Vu les dispositions des articles 1240 du code civil et L 651-2 du code de commerce,
Vu la jurisprudence,
Vu les pièces visées sous bordereau,
- d'infirmer le jugement rendu le 16 Juillet 2024 par le tribunal de commerce d'Angoulême en ce qu'il a :
- dit que M. [K] [W] est dirigeant de fait de la SAS [12],
- condamné solidairement Mme [D], [I], [J] [W] née [B] et M. [K], [V], [R] [W] à payer entre les mains de la SELARL [10], en la personne de Maître [S] [X], en qualité de liquidateur de la SAS [12], la somme de 38 229,92 euros au titre de la responsabilité pour insuffisance d'actif,
- rappelé que les sommes versées par le défendeur entrent dans le patrimoine de la société débitrice et seront réparties entre tous les créanciers au marc le franc ; qu'il appartient donc au mandataire de justice de procéder à la signification et à l'exécution du présent jugement,
- condamné solidairement Mme [D], [I], [J] [W] née [B] et M. [K], [V], [R] [W] à payer à la SELARL [9]' ès-qualités de liquidateur de la SAS [12] la somme de 1 250 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- les a déboutés de leur demande visant à voir condamner la SELARL [9]' au paiement de la somme de 3 500 euros à titre de dommages et intérêts,
- dit les dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire,
- débouté Mme [D], [I], [J] [W] née [B] et M. [K], [V], [R] [W] de leur demande visant à voir condamner Maître [S] [X] au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Statuant à nouveau :
- de juger que M. [W] [K] n'a jamais eu la qualité de dirigeant de fait.
- de juger que Mme [B] [D] épouse [W] et M. [W] [K] n'ont commis aucune faute de gestion,
En conséquence,
- de débouter la SELARL [11]-qualité de liquidateur de la SAS [12], de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- de condamner la SELARL [11]-qualité de liquidateur de la SAS [12], au paiement de la somme de 3 500 euros à titre de dommages et intérêts,
- de condamner la SELARL [11]-qualité de liquidateur de la SAS [12] à leur verser une indemnité de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
5- Par conclusions déposées en dernier lieu le 24 janvier 2025, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, la Selarl [9]', en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SAS [12], demande à la cour :
- de juger Mme [D] [W] et M. [K] [W] mal fondés en leur appel du jugement, en date du 16 juillet 2024, rendu par le tribunal de commerce d'Angoulême.
- de confirmer le jugement, en date du 16 juillet 2024, rendu par le tribunal de commerce d'Angoulême dans l'intégralité de ses dispositions.
- de débouter Mme [D] [W] et M. [K] [W] de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions.
Ajoutant au jugement entrepris,
- de condamner Mme [D] [W] et M. [K] [W] aux entiers dépens d'appel, outre à payer à la SELARL [9]' es qualité de liquidateur judiciaire de la société [12], la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.
- Débouter Mme [D] [W] et M. [K] [W] de toutes demandes plus amples ou contraires.
Le dossier a été communiqué au Ministère Public, lequel, par avis du 6 août 2025, conclut à la confirmation du jugement, faisant notamment valoir que la condamnation à payer la totalité de l'insuffisance d'actif est proportionnée en regard des multiples fautes commises par les dirigeants, qui ne peuvent en aucun cas être assimilées à de simples négligences.
Cet avis, transmis au greffe par la voie électronique et versé au dossier de la cour, a été de ce fait communiqué aux conseils des parties.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux derniers conclusions écrites déposées.
La clôture de la procédure a été prononcée selon ordonnance du 26 août 2025.
MOTIFS DE LA DECISION:
Sur l'insuffisance d'actif:
6. Le mandataire produit l'état des créances et l'actif disponible issu de la vente des actifs de la société, et fixe à 38'322,92 euros l'insuffisance d'actif.
7. Les appelants ne s'expliquent pas sur les chiffres exposés par le mandataire, et ne contestent pas l'existence de cette insuffisance d'actif.
Réponse de la cour,
8. Aux termes des dispositions de l'article L. 651-2 du code de commerce, lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée.
9. Il est constant que l'insuffisance d'actif est égale au passif antérieur déclaré admis, moins l'actif réalisé ou la valorisation certaine de l'actif. La condamnation d'un dirigeant au paiement des dettes sociales suppose qu'au jour où le juge statue, l'insuffisance d'actif soit certaine, c'est-à-dire que le montant du passif soit indiscutablement supérieur à l'actif, que celui-ci ait ou non été réalisé. Le montant de la condamnation ne peut excéder celui de l'insuffisance d'actif tel qu'il est constaté au jour où le juge statue. L'auteur du dommage ne peut pas réparer plus que le préjudice.
La preuve de l'insuffisance d'actif incombe au liquidateur qui intente l'action.
10. En l'espèce, le mandataire liquidateur chiffre à 38'322,92 euros l'insuffisance de l'actif dans la procédure de liquidation judiciaire de la société [13], ce qui n'est pas contesté par les dirigeants mis en cause.
11. Il ressort de l'état des créances antérieures au jugement d'ouverture que leur montant s'élève à 41'443,48 euros (état des créances pièce n° 11) et de l'état des créances postérieures que leur montant est de 2'323,39 euros (état des créances pièce n° 12).
Par ailleurs, l'actif disponible de la société [13] a fait l'objet de ventes pour un montant de 5'443,95 euros (rapport pièce n° 4 page 7).
Le chiffre de 38'322,92 euros d'insuffisance d'actif est donc établi par le calcul (41'443,48 + 2'323,39) ' 5'443,95.
Sur la qualité de dirigeant
Moyens des parties:
12. Sur ce point, les appelants font valoir que les critères de dirigeant de fait évoqués par le tribunal sont insuffisants et inexacts sur le plan factuel et juridique'; que M. [W] s'est limité à conseiller son épouse'; que le mandataire ne démontre pas l'activité positive qu'il aurait eue dans la direction et la gestion de la société en toute indépendance.
13. Le mandataire liquidateur réplique que, outre sa qualité de dirigeant de droit depuis le 30 décembre 2014, la cessation de fonctions de M. [W], prétendument intervenue par une assemblée générale du 1er janvier 2021, n'a été enregistrée au greffe du tribunal de commerce que le 21 janvier 2022, alors que la société était déjà en cessation des paiements. Il relève aussi nombre d'interventions de M. [W] entre février et mai 2021. S'agissant de Mme [W], elle s'est portée dirigeante de droit par l'assemblée du 1er janvier 2021.
Réponse de la cour,
14. Il résulte des dispositions précitées que tous les dirigeants de droit ou de fait ayant contribué à la faute de gestion peuvent faire l'objet de l'action en responsabilité.
15. La direction de fait désigne les personnes physiques ou morales qui, dépourvues de mandat social, se sont immiscées dans le fonctionnement d'une société pour y exercer, en toute souveraineté et indépendance, une activité positive de gestion et de direction.
16. En l'espèce, il n'est pas contesté que Mme [W] était bien une dirigeante de droit au sens de l'article L. 651-2 ci-dessus, comme étant la présidente de la SAS [13] depuis l'assemblée générale du 1er janvier 2021. Elle a en cette qualité procédé à la déclaration de cessation des paiements le 16 février 2022. Il est tout aussi constant que M. [W] a été antérieurement le dirigeant de droit de la société depuis sa création en 2014.
17. S'agissant de la période qui s'est écoulée depuis le 1er janvier 2021, il apparaît toutefois que M. [W] est resté dirigeant de fait de la société [13] au sens de la définition ci-dessus.
18. En effet, il peut être relevé ses multiples interventions dans lesquelles il se comporte et se présente, en toute souveraineté, comme le responsable social dans des activités positives de gestion':
Ainsi, le mandataire signale à juste titre que c'est M. [W] qui a procédé à des demandes d'aides de l'Etat pour la société [13] les 11 février, 11 mai et 28 octobre 2021 (sa pièce n° 10), demandes dans lesquelles il se qualifie de «'gérant de la société'».
Il est également établi que M. [W] est seul intervenu pour représenter la SAS [13] devant le tribunal de commerce lors des audiences des 3 mars et 7 juillet 2022 (jugements du 3 mars 2022 pièce 3 et du 7 juillet 2022 pièce 8). De même, la lettre de mission de l'expert-comptable a été signée par le seul M. [W] le 10 février 2021 (pièce 11 des appelants). Il ressort d'ailleurs d'une relance adressée par M. [W] à l'expert-comptable que Mme [W] occupait un emploi à [Localité 7] (pièce 4 des appleants)
19. Il s'avère d'ailleurs que le remplacement de M. [W] par son épouse par la décision d'assemblée du 1er janvier 2021 n'est pas de nature à rendre définitif son retrait à cette date.
En effet, il résulte notamment de l'article R. 210-9 du code de commerce que la nomination du nouveau dirigeant d'une société et la cessation de mandat de l'ancien doivent faire l'objet de mesures de publicité afin de les rendre opposables aux tiers. La nomination du nouveau dirigeant et la cessation des fonctions de son prédécesseur ne seront opposables aux tiers que si les formalités de publicité ont été régulièrement accomplies. Ainsi, le changement de président ou directeur général de SAS doit faire l'objet d'un avis publié dans un journal habilité à recevoir les annonces légales dans le mois qui suit la nomination du président ou directeur général, ainsi qu'une mention au Registre du commerce et des sociétés.
20. Or, il est constant que la modification statutaire qui a porté Mme [W] à la présidence de la société par assemblée générale du 1er janvier 2021, n'a été enregistrée que plus d'un an plus tard, le 21 janvier 2022, au greffe du tribunal de commerce, et sans que ce retard ne soit justifié ni même explicité.
21. Il en résulte que, aux yeux des tiers, M. [W] restait le seul représentant désigné de la société [13] jusqu'au dépôt au registre du commerce et à la publication de l'annonce légale du changement de président.
Dans ces conditions, il est suffisamment établi que M. [W] était, et est resté, le dirigeant de la société [13] jusqu'à la déclaration de cessation des paiements. Mme [W] ne conteste pas pour sa part avoir été la dirigeante de droit durant la dernière année.
22. Ainsi, l'action en responsabilité a pu valablement être engagée tant contre Mme que contre M. [W].
Sur les fautes de gestion alléguées et les responsabilités encourues
Moyens des parties:
23. Sur la responsabilité pour insuffisance d'actif, les appelants contestent que les faits invoqués par le mandaire puissent être qualifiés de fautes de gestion. Ils soulignent que le carnet de réservations était bien rempli à la date du 1er novembre 2021, et qu'il n'y avait donc pas cessation des paiements.
Ils relèvent ensuite l'inaction de leur expert-comptable pour affirmer qu'il y a bien eu tenue d'une comptabilité.
Enfin, ils exposent qu'il est inexact d'affirmer qu'ils n'auraient pas ouvert de compte bancaire, et invoquent un compte courant ouvert par M. [W] depuis le 27 janvier 2015 auprès du [8].
24. Sur les fautes de gestion, le mandataire fait valoir que la déclaration de cessation des paiements n'a été déposée que le 16 février 2022, soit 7 mois après la date de cessation des paiements, en violation de la règle prévoyait cette déclaration dans les 45 jours de sa survenue, et que la société n'avait aucune activité depuis 2020.
Il soutient ensuite que les dirigeants ont poursuivi une activité déficitaire depuis 2020 malgré un chiffre d'affaires nul, alors que cette poursuite a engendré des dettes fiscales.
Le mandataire retient ensuit l'absence de tenue d'une comptabilité et de déclaration de la TVA depuis l'année 2017, et relève qu'aucun élément ne lui a été transmis, que l'administration fiscale a procédé à une taxation d'office au titre de l'impôt sur les sociétés, et qu'une dette de TVA de 6'500 euros existe du fait de la négligence des dirigeants.
Réponse de la cour,
25. La faute de gestion est une faute commise par le dirigeant dans l'administration de la société et manifestement contraire à l'intérêt social. Elle se déduit des agissements du dirigeant par comparaison au comportement d'un dirigeant normalement compétent placé dans la même situation, ou encore aux règles minimales de bonne gestion, et ne réclame pas la démonstration d'une mauvaise foi ou d'une intention de nuire. Toutefois, il ne doit pas s'agir d'une simple négligence.
La simple négligence du dirigeant ne peut être réduite au seul cas dans lequel le dirigeant a pu ignorer les circonstances ou la situation ayant entouré sa commission.
Sur l'absence de déclaration de cessation des paiements dans les délais impartis
26. Il résulte de l'article L. 631-4 du code de commerce que l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire doit être demandée par le débiteur au plus tard dans les quarante-cinq jours qui suivent la cessation des paiements.
27. En l'espèce, au terme de son jugement définitif du 3 mars 2022, le tribunal de commerce a retenu la date du 1er novembre 2021 comme date provisoire de cessation des paiements, alors que Mme [W] n'a procédé que le 16 février 2022 à la déclaration de cette cessation des paiements.
28. Les appelants se bornent à soutenir que «'le carnet de réservations était bien rempli'» au cours des fêtes de fin d'année, et que la déclaration de cessation des paiements n'a été rendue nécessaire qu'en raison d'annulations en janvier 2022.
29. Les dirigeants tentent ainsi vainement de revenir sur la date fixée par le tribunal, puisque la juridiction saisie de la demande en responsabilité pour insuffisance d'actif est liée par la date de cessation des paiements retenue par le tribunal, date que les époux [W] n'ont pas contestée.
La discussion maintenue devant la cour sur la date de cessation des paiements est donc inopérante, alors même que les dirigeants, qui se bornent à évoquer des bonnes perspectives, ne nient pas avoir eu connaissance de la situation.
30. Il en résulte que M. et Mme [W] n'ont pas déposé de déclaration dans les 45 jours qui ont suivi la cessation des paiements le 1er novembre 2021.
31. Le fait de ne pas avoir rempli une obligation exigée par la loi constitue en l'espèce une faute de gestion, et non une simple négligence.
32. Il doit également être considéré que la multiplication des comportements fautifs imputables à M. et Mme [W], tels que détaillés ci-après, exclut qu'ils puissent être qualifiés de simple négligences.
33. Une déclaration de la cessation des paiements plus précoce aurait limité l'importance du passif, qui continuait à se creuser en raison de la poursuite pendant cette période d'une activité déficitaire, et la faute de gestion a donc directement contribué à l'insuffisance d'actif.
Notamment, la procédure de déclarations de créances révèle que le montant des dettes augmentait régulièrement, notamment en raison du non-paiement d'échéances de prêts consentis par le [8] (état des créances pièce n° 11 du mandataire).
Il ressort en outre des déclarations de M. [W] que la société n'avait plus d'activité depuis l'année 2020. Toutefois, il ressort également de l'état des créances qu'une dette de TVA continuait d'augmenter.
34. Le grief caractérise donc une faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif
La poursuite d'une activité déficitaire
35. Le fait pour le dirigeant de poursuivre abusivement, c'est à dire, notamment, en l'absence de perspective de redressement, une exploitation déficitaire caractérise sa faute de gestion.
36. Il apparaît en l'espèce que la société [13] a poursuivi son activité depuis 2020 malgré un chiffre d'affaires nul, alors que cette poursuite a engendré des dettes fiscales': 698 euros de cotisation foncière des entreprises ([6]) 2021 et 2022, 3'600 euros au titre de l'impôt sur les sociétés pour 2021 et 2022, 4'500 euros de TVA 2021 et 2022, outre 2'000 euros de TVA durant la période d'observation.
37. Il en résulte que les époux [W], qui ne justifient ni d'efforts personnels, ni de perspectives de redressement par les réservations qu'ils allèguent, ont poursuivi de façon abusive cette exploitation déficitaire, à partir du 1er janvier 2021 pour Mme [W] et sur toute la période pour M. [W].
38. Cette faute de gestion, nécessairement volontaire et ne pouvant résulter d'une simple négligence, a contribué à l'insuffisance d'actif, en augmentant le passif qui continuait à se creuser.
D'ailleurs, la multiplicité des fautes imputées à M. et Mme [W] exclut de simples négligences de leur part.
L'absence de tenue d'une comptabilité
39. Il est constant que la tenue d'une comptabilité est obligatoire pour une société par actions simplifiée telle que la société [13].
40. Il résulte des dispositions de l'article L. 123-12 du code de commerce que toute personne physique ou morale ayant la qualité de commerçant doit procéder à l'enregistrement comptable des mouvements affectant le patrimoine de son entreprise. Ces mouvements sont enregistrés chronologiquement. Elle doit contrôler par inventaire, au moins une fois tous les douze mois, l'existence et la valeur des éléments actifs et passifs du patrimoine de l'entreprise. Elle doit établir des comptes annuels à la clôture de l'exercice au vu des enregistrements comptables et de l'inventaire. Ces comptes annuels comprennent le bilan, le compte de résultat et une annexe, qui forment un tout indissociable.
41. En l'espèce, le mandataire liquidateur soutient que la société [13] n'a tenu aucune comptabilité depuis l'année 2017, et que les dirigeants ne lui ont transmis aucun élément.
42. La seule production par les appelants devant la cour d'un «'contrat pour prestations forfaitaires'» du 8 octobre 2018 avec un organisme «'[15]'» à [Localité 14] (Charente), d'une facture de «'prestations de services administratifs'» pour 8 heures en janvier 2019 (pièces 7 et 9 des appelants), et de la lettre de mission d'un expert-comptable du 10 février 2021, ne sont pas de nature à pallier l'absence de production de tout document comptable.
43. Le fait de ne pas remplir une obligation exigée par la loi constitue une faute de gestion, et non une simple négligence. Là encore, la multiplicité des fautes imputées à M. et Mme [W] exclut de simples négligences de leur part.
L'obligation pèse sur le responsable légal de la société, qui ne saurait s'en exonérer au motif qu'il a missionné un expert-comptable.
L'absence de comptabilité prive le dirigeant d'un outil de contrôle de la situation financière de l'entreprise, ce qui retarde ou empêche la prise de mesures appropriées pour remédier à une situation que se dégrade. En l'espèce, il est établi que l'absence de déclaration de TVA a déclenché une procédure de taxation d'office par l'administration fiscale, générant au passif une dette de 6'500 euros.
44. Le grief est donc constitué.
L'absence de compte bancaire ouvert au nom de la société et de coopération avec les organes de la procédure
45. Le mandataire liquidateur fait valoir que M. [W] a reconnu à l'audience du tribunal de commerce que la société n'avait pas de compte bancaire ouvert à son nom.
46. Les appelants invoquent un compte ouvert le 27 janvier 2015 auprès du [8] (leur pièce 18). Toutefois, ils ne produisent pas de relevés de ce compte, tout particulièrement pour les années 2020 à 2022.
47. Le mandataire expose également que l'absence de coopération avec les organes de la procédure a été extrêmement préjudiciable à la société, qui n'a pas été en mesure de présenter un plan de redressement.
48. Bien que les dirigeants protestent de leur bonne foi, le liquidateur peut pointer l'absence de fourniture des éléments demandés, la non-présentation aux convocations, et l'absence de production de document prévisionnel.
49. Pour autant, le liquidateur, sur qui repose la charge de la preuve, ne démontre pas qu'un redressement de la société aurait été possible sans ces manquements des dirigeants, et la contribution de leur conduite à l'insuffisance d'actif n'est pas établie.
50. Le grief ne peut donc être retenu pour caractériser une faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif au sens du texte précité.
Sur le lien de causalité entre les fautes de gestion et l'insuffisance d'actif
51. Le lien de causalité est avéré s'il est démontré que la faute a concouru à l'insuffisance d'actif, sans qu'il ne soit nécessaire qu'elle en soit la cause unique.
52. En l'espèce, cette démonstration est faite ci-dessus, à l'occasion de l'analyse de chacun des griefs retenus, constituant des fautes antérieures au jugement d'ouverture, et commises alors que tant Mme [W] que M. [W] étaient dirigeants de droit ou de fait.
Sur le montant de la condamnation
53. Chacune des trois fautes retenues comme ayant contribué à l'insuffisance d'actif chiffrée à 38'329,92 euros étant légalement justifiée, il appartient à la juridiction d'apprécier le montant de la condamnation dès lors qu'il n'excède pas l'insuffisance d'actif.
54. Au vu des fautes de gestion établies, de leur incidence sur l'augmentation de l'insuffisance d'actif et du comportement de M. [W] et Mme [W] tel que décrit lors de l'examen ci-dessus des griefs, systématiquement empreints de comportements fautifs et d'abstentions volontaires, c'est par une juste appréciation des faits que le tribunal de commerce les a condamnés à payer la somme de 38'329,92 euros à la procédure collective.
55. Les appelants insistent eux-mêmes pour rappeler qu'ils forment un couple dans la vie civile (leurs conclusions, page 10), ici pour justifier l'intervention de l'un ou de l'autre et tenter d'écarter la qualification de dirigeant de fait pour M. [W].
Les actes constitutifs de fautes de gestion commis dans la direction de la société [13] ont bien été indissociablement commis par M. [W] et Mme [W], de sorte qu'il y a lieu à leur condamnation solidaire, comme le prévoit l'article L. 651-2 ci-dessus.
Sur les demandes accessoires:
56. Les appelants demandent la condamnation du liquidateur à leur payer 3'500 euros à titre de dommages-intérêts pour ne pas avoir tenu compte des explications fournies et des pièces transmises, sans s'expliquer davantage sur une éventuelle faute et un éventuel préjudice.
57. Pour autant, il apparaît au contraire que ces dirigeants ont omis de fournir au liquidateur les éléments que celui-ci demandait, et même de répondre à ses convocations.
Cette demande de dommages-intérêts est donc mal fondée et ils en seront déboutés.
58. Les appelants seront condamnés in solidum à payer à la Selarl [9]' ès-qualités la somme de 2'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
59. Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.
En l'espèce, et alors même qu'il donnait gain de cause au mandataire liquidateur, conférant donc aux époux [W] la qualité de partie perdante au sens de ce texte, le tribunal, a décidé à tort que les dépens seraient des frais privilégiés de liquidation judiciaire. Cette décision non motivée, et qui fait supporter par la collectivité des créanciers de la procédure une créance personnelle devant reposer sur les dirigeants condamnés, encourt donc la réformation.
Les dépens de première instance, tout comme ceux d'appel, seront mis in solidum à la charge de M. et Mme [W].
PAR CES MOTIFS:
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Confirme le jugement rendu entre les parties par le tribunal de commerce d'Angoulême le 16 juillet 2024, sauf sur sa disposition relative aux dépens,
Statuant à nouveau sur les dépens de première instance,
Condamne in solidum Mme [B] épouse [W] et M. [W] aux dépens de première instance,
Y ajoutant,
Déboute Mme [B] épouse [W] et M. [W] de leur demande de dommages-intérêts,
Condamne in solidum Mme [B] épouse [W] et M. [W] aux dépens d'appel.
Condamne in solidum Mme [B] épouse [W] et M. [W] à payer à la Selarl [10], en sa qualité de mandataire liquidateur de la SAS [12], la somme de 2'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
--------------------------
ARRÊT DU : 14 OCTOBRE 2025
N° RG 24/03783 - N° Portalis DBVJ-V-B7I-N5AO
Madame [D], [I], [J] [B] épouse [W]
Monsieur [K], [V], [R] [W]
c/
S.E.L.A.R.L. [9]'
Nature de la décision : AU FOND
Notifié aux parties par LRAR le :
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 16 juillet 2024 (R.G. 2023004643) par le Tribunal de Commerce d'ANGOULEME suivant déclaration d'appel du 08 août 2024
APPELANTS :
Madame [D], [I], [J] [B] épouse [W], née le [Date naissance 3] 1961 à [Localité 16] (17) de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]
Monsieur [K], [V], [R] [W], né le [Date naissance 1] 1964 à [Localité 5] (89), de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]
Représentés par Maître Mathieu RAFFY de la SELARL MATHIEU RAFFY - MICHEL PUYBARAUD, avocat au barreau de BORDEAUX, et assistés de Maître Frédérique MARTIN, avocat au barreau de la CHARENTE
INTIMÉS :
S.E.L.A.R.L. [9]', prise en la personne de Maître [S] [X], en qualité de liquidateur judiciaire de la SAS [12], désigné à cette fonction par jugement de conversion en liquidation judiciaire en date du 7 juillet 2022 rendu par le tribunal de commerce d'Angoulême, domicilié en cette qualité [Adresse 4]
Représentée par Maître Katell LE BORGNE de la SCP LAVALETTE AVOCATS CONSEILS, avocat au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître Grégory ANTOINE, avocat au barreau de la CHARENTE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 septembre 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,
Madame Sophie MASSON, Conseiller,
Madame Bérengère VALLEE, Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
FAITS ET PROCÉDURE:
1- La SAS [12] (ci-après la société [13]), qui exerçait l'activité de traiteur, avait été créée par acte du 30 décembre 2014 et immatriculée au greffe du tribunal de commerce d'Angoulême le 21 janvier 2025. Les titres de la société étaient détenus à 30% par M. [K] [W] et à 30% par Mme [D] [W], le reste étant détenu par une Mme [H] [W] et M. [A].
Du 30 décembre 2014 au 1er janvier 2021, M. [K] [W] a été le président de la société, et Mme [D] [W] a exercé la fonction de directrice générale.
Par procès verbal d'assemblée générale extraordinaire daté du 1er janvier 2021, M. [K] [W] a cédé à Mme [D] [W] les titres qu'il détenait. La SAS a été transformée en SASU, Mme [D] [W] devenant la seule associée et présidente de la société [13]. La modification a notifiée au Registre du commerce et des sociétés seulement le 21 janvier 2022.
Le 16 février 2022, la société [13] a déposé une déclaration de cessation de paiements.
Par jugement du 3 mars 2022, le tribunal de commerce d'Angoulême a ouvert la procédure de redressement judiciaire de la société [13], avec fixation d'une date provisoire de cessation des paiements au 1er novembre 2021, et nomination de la SELARL [9]' en la personne de Me [X] en qualité de mandataire judiciaire. Par jugement du 28 avril 2022, le tribunal a ordonné le maintien de la période d'observation ainsi que la transmission par l'entreprise en redressement au mandataire de plusieurs documents comptables.
Par jugement du 7 juillet 2022, le tribunal a, sur demande du mandataire, converti la procédure en liquidation judiciaire.
Par acte du 16 août 2023, la SELARL [9]' ès qualités a fait assigner les consorts [W] devant le tribunal de commerce d'Angoulême pour voir juger que M. [W] était dirigeant de fait de la société depuis le 1er janvier 2021, que ce dernier et Mme [D] [W] ont commis des fautes de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif de la société, et par conséquent, les voir condamner solidairement au paiement de 38 322,92 euros au titre de l'insuffisance d'actif.
2- Par jugement du 16 juillet 2024, le tribunal de commerce d'Angoulême a :
Vu le rapport du juge commissaire,
Le Ministère public entendu en ses réquisitions,
- dit que M. [K] [W] est dirigeant de fait de la SAS [12],
Vu les articles L.651-1 et suivants du code de commerce,
- condamné solidairement Mme [W] [D], [I], [J] née [B] et M. [W] [K], [V], [R] à payer entre les mains de la SELARL [10], en la personne de Me [S] [X], en qualité de liquidateur de la SAS [12], la somme de 38 329,92 euros au titre de la responsabilité pour insuffisance d'actif.
Vu l'article L.651-2 du code de commerce,
- rappelé que les sommes versées par le défendeur entrent dans le patrimoine de la société débitrice et seront réparties entre tous les créanciers au marc le franc ; qu'il appartient donc au mandataire de justice de procéder à la signification et à l'exécution du présent jugement,
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné solidairement Mme [W] [D], [I], [J] née [B] et M. [W] [K], [V], [R] à payer à la SELARL [10], en qualité de liquidateur de la SAS [12], la somme de 1250 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
- débouté Mme [D], [I], [J] née [B] et M. [W] [K], [V], [R] de l'ensemble de leurs demandes.
- dit les dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire,
Vu l'article R661-1 du code de commerce,
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision.
3- Par déclaration au greffe du 8 août 2024, Mme [D] [W] née [B] et M. [K] [W] ont relevé appel du jugement énonçant les chefs expressément critiqués, intimant la Selarl [9]' ès qualités et le Procureur Général près la cour d'appel de Bordeaux.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES:
4- Par conclusions déposées en dernier lieu le 19 août 2025, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, M. et Mme [W] demandent à la cour :
Vu les dispositions des articles 1240 du code civil et L 651-2 du code de commerce,
Vu la jurisprudence,
Vu les pièces visées sous bordereau,
- d'infirmer le jugement rendu le 16 Juillet 2024 par le tribunal de commerce d'Angoulême en ce qu'il a :
- dit que M. [K] [W] est dirigeant de fait de la SAS [12],
- condamné solidairement Mme [D], [I], [J] [W] née [B] et M. [K], [V], [R] [W] à payer entre les mains de la SELARL [10], en la personne de Maître [S] [X], en qualité de liquidateur de la SAS [12], la somme de 38 229,92 euros au titre de la responsabilité pour insuffisance d'actif,
- rappelé que les sommes versées par le défendeur entrent dans le patrimoine de la société débitrice et seront réparties entre tous les créanciers au marc le franc ; qu'il appartient donc au mandataire de justice de procéder à la signification et à l'exécution du présent jugement,
- condamné solidairement Mme [D], [I], [J] [W] née [B] et M. [K], [V], [R] [W] à payer à la SELARL [9]' ès-qualités de liquidateur de la SAS [12] la somme de 1 250 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- les a déboutés de leur demande visant à voir condamner la SELARL [9]' au paiement de la somme de 3 500 euros à titre de dommages et intérêts,
- dit les dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire,
- débouté Mme [D], [I], [J] [W] née [B] et M. [K], [V], [R] [W] de leur demande visant à voir condamner Maître [S] [X] au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Statuant à nouveau :
- de juger que M. [W] [K] n'a jamais eu la qualité de dirigeant de fait.
- de juger que Mme [B] [D] épouse [W] et M. [W] [K] n'ont commis aucune faute de gestion,
En conséquence,
- de débouter la SELARL [11]-qualité de liquidateur de la SAS [12], de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- de condamner la SELARL [11]-qualité de liquidateur de la SAS [12], au paiement de la somme de 3 500 euros à titre de dommages et intérêts,
- de condamner la SELARL [11]-qualité de liquidateur de la SAS [12] à leur verser une indemnité de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
5- Par conclusions déposées en dernier lieu le 24 janvier 2025, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, la Selarl [9]', en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SAS [12], demande à la cour :
- de juger Mme [D] [W] et M. [K] [W] mal fondés en leur appel du jugement, en date du 16 juillet 2024, rendu par le tribunal de commerce d'Angoulême.
- de confirmer le jugement, en date du 16 juillet 2024, rendu par le tribunal de commerce d'Angoulême dans l'intégralité de ses dispositions.
- de débouter Mme [D] [W] et M. [K] [W] de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions.
Ajoutant au jugement entrepris,
- de condamner Mme [D] [W] et M. [K] [W] aux entiers dépens d'appel, outre à payer à la SELARL [9]' es qualité de liquidateur judiciaire de la société [12], la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.
- Débouter Mme [D] [W] et M. [K] [W] de toutes demandes plus amples ou contraires.
Le dossier a été communiqué au Ministère Public, lequel, par avis du 6 août 2025, conclut à la confirmation du jugement, faisant notamment valoir que la condamnation à payer la totalité de l'insuffisance d'actif est proportionnée en regard des multiples fautes commises par les dirigeants, qui ne peuvent en aucun cas être assimilées à de simples négligences.
Cet avis, transmis au greffe par la voie électronique et versé au dossier de la cour, a été de ce fait communiqué aux conseils des parties.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux derniers conclusions écrites déposées.
La clôture de la procédure a été prononcée selon ordonnance du 26 août 2025.
MOTIFS DE LA DECISION:
Sur l'insuffisance d'actif:
6. Le mandataire produit l'état des créances et l'actif disponible issu de la vente des actifs de la société, et fixe à 38'322,92 euros l'insuffisance d'actif.
7. Les appelants ne s'expliquent pas sur les chiffres exposés par le mandataire, et ne contestent pas l'existence de cette insuffisance d'actif.
Réponse de la cour,
8. Aux termes des dispositions de l'article L. 651-2 du code de commerce, lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée.
9. Il est constant que l'insuffisance d'actif est égale au passif antérieur déclaré admis, moins l'actif réalisé ou la valorisation certaine de l'actif. La condamnation d'un dirigeant au paiement des dettes sociales suppose qu'au jour où le juge statue, l'insuffisance d'actif soit certaine, c'est-à-dire que le montant du passif soit indiscutablement supérieur à l'actif, que celui-ci ait ou non été réalisé. Le montant de la condamnation ne peut excéder celui de l'insuffisance d'actif tel qu'il est constaté au jour où le juge statue. L'auteur du dommage ne peut pas réparer plus que le préjudice.
La preuve de l'insuffisance d'actif incombe au liquidateur qui intente l'action.
10. En l'espèce, le mandataire liquidateur chiffre à 38'322,92 euros l'insuffisance de l'actif dans la procédure de liquidation judiciaire de la société [13], ce qui n'est pas contesté par les dirigeants mis en cause.
11. Il ressort de l'état des créances antérieures au jugement d'ouverture que leur montant s'élève à 41'443,48 euros (état des créances pièce n° 11) et de l'état des créances postérieures que leur montant est de 2'323,39 euros (état des créances pièce n° 12).
Par ailleurs, l'actif disponible de la société [13] a fait l'objet de ventes pour un montant de 5'443,95 euros (rapport pièce n° 4 page 7).
Le chiffre de 38'322,92 euros d'insuffisance d'actif est donc établi par le calcul (41'443,48 + 2'323,39) ' 5'443,95.
Sur la qualité de dirigeant
Moyens des parties:
12. Sur ce point, les appelants font valoir que les critères de dirigeant de fait évoqués par le tribunal sont insuffisants et inexacts sur le plan factuel et juridique'; que M. [W] s'est limité à conseiller son épouse'; que le mandataire ne démontre pas l'activité positive qu'il aurait eue dans la direction et la gestion de la société en toute indépendance.
13. Le mandataire liquidateur réplique que, outre sa qualité de dirigeant de droit depuis le 30 décembre 2014, la cessation de fonctions de M. [W], prétendument intervenue par une assemblée générale du 1er janvier 2021, n'a été enregistrée au greffe du tribunal de commerce que le 21 janvier 2022, alors que la société était déjà en cessation des paiements. Il relève aussi nombre d'interventions de M. [W] entre février et mai 2021. S'agissant de Mme [W], elle s'est portée dirigeante de droit par l'assemblée du 1er janvier 2021.
Réponse de la cour,
14. Il résulte des dispositions précitées que tous les dirigeants de droit ou de fait ayant contribué à la faute de gestion peuvent faire l'objet de l'action en responsabilité.
15. La direction de fait désigne les personnes physiques ou morales qui, dépourvues de mandat social, se sont immiscées dans le fonctionnement d'une société pour y exercer, en toute souveraineté et indépendance, une activité positive de gestion et de direction.
16. En l'espèce, il n'est pas contesté que Mme [W] était bien une dirigeante de droit au sens de l'article L. 651-2 ci-dessus, comme étant la présidente de la SAS [13] depuis l'assemblée générale du 1er janvier 2021. Elle a en cette qualité procédé à la déclaration de cessation des paiements le 16 février 2022. Il est tout aussi constant que M. [W] a été antérieurement le dirigeant de droit de la société depuis sa création en 2014.
17. S'agissant de la période qui s'est écoulée depuis le 1er janvier 2021, il apparaît toutefois que M. [W] est resté dirigeant de fait de la société [13] au sens de la définition ci-dessus.
18. En effet, il peut être relevé ses multiples interventions dans lesquelles il se comporte et se présente, en toute souveraineté, comme le responsable social dans des activités positives de gestion':
Ainsi, le mandataire signale à juste titre que c'est M. [W] qui a procédé à des demandes d'aides de l'Etat pour la société [13] les 11 février, 11 mai et 28 octobre 2021 (sa pièce n° 10), demandes dans lesquelles il se qualifie de «'gérant de la société'».
Il est également établi que M. [W] est seul intervenu pour représenter la SAS [13] devant le tribunal de commerce lors des audiences des 3 mars et 7 juillet 2022 (jugements du 3 mars 2022 pièce 3 et du 7 juillet 2022 pièce 8). De même, la lettre de mission de l'expert-comptable a été signée par le seul M. [W] le 10 février 2021 (pièce 11 des appelants). Il ressort d'ailleurs d'une relance adressée par M. [W] à l'expert-comptable que Mme [W] occupait un emploi à [Localité 7] (pièce 4 des appleants)
19. Il s'avère d'ailleurs que le remplacement de M. [W] par son épouse par la décision d'assemblée du 1er janvier 2021 n'est pas de nature à rendre définitif son retrait à cette date.
En effet, il résulte notamment de l'article R. 210-9 du code de commerce que la nomination du nouveau dirigeant d'une société et la cessation de mandat de l'ancien doivent faire l'objet de mesures de publicité afin de les rendre opposables aux tiers. La nomination du nouveau dirigeant et la cessation des fonctions de son prédécesseur ne seront opposables aux tiers que si les formalités de publicité ont été régulièrement accomplies. Ainsi, le changement de président ou directeur général de SAS doit faire l'objet d'un avis publié dans un journal habilité à recevoir les annonces légales dans le mois qui suit la nomination du président ou directeur général, ainsi qu'une mention au Registre du commerce et des sociétés.
20. Or, il est constant que la modification statutaire qui a porté Mme [W] à la présidence de la société par assemblée générale du 1er janvier 2021, n'a été enregistrée que plus d'un an plus tard, le 21 janvier 2022, au greffe du tribunal de commerce, et sans que ce retard ne soit justifié ni même explicité.
21. Il en résulte que, aux yeux des tiers, M. [W] restait le seul représentant désigné de la société [13] jusqu'au dépôt au registre du commerce et à la publication de l'annonce légale du changement de président.
Dans ces conditions, il est suffisamment établi que M. [W] était, et est resté, le dirigeant de la société [13] jusqu'à la déclaration de cessation des paiements. Mme [W] ne conteste pas pour sa part avoir été la dirigeante de droit durant la dernière année.
22. Ainsi, l'action en responsabilité a pu valablement être engagée tant contre Mme que contre M. [W].
Sur les fautes de gestion alléguées et les responsabilités encourues
Moyens des parties:
23. Sur la responsabilité pour insuffisance d'actif, les appelants contestent que les faits invoqués par le mandaire puissent être qualifiés de fautes de gestion. Ils soulignent que le carnet de réservations était bien rempli à la date du 1er novembre 2021, et qu'il n'y avait donc pas cessation des paiements.
Ils relèvent ensuite l'inaction de leur expert-comptable pour affirmer qu'il y a bien eu tenue d'une comptabilité.
Enfin, ils exposent qu'il est inexact d'affirmer qu'ils n'auraient pas ouvert de compte bancaire, et invoquent un compte courant ouvert par M. [W] depuis le 27 janvier 2015 auprès du [8].
24. Sur les fautes de gestion, le mandataire fait valoir que la déclaration de cessation des paiements n'a été déposée que le 16 février 2022, soit 7 mois après la date de cessation des paiements, en violation de la règle prévoyait cette déclaration dans les 45 jours de sa survenue, et que la société n'avait aucune activité depuis 2020.
Il soutient ensuite que les dirigeants ont poursuivi une activité déficitaire depuis 2020 malgré un chiffre d'affaires nul, alors que cette poursuite a engendré des dettes fiscales.
Le mandataire retient ensuit l'absence de tenue d'une comptabilité et de déclaration de la TVA depuis l'année 2017, et relève qu'aucun élément ne lui a été transmis, que l'administration fiscale a procédé à une taxation d'office au titre de l'impôt sur les sociétés, et qu'une dette de TVA de 6'500 euros existe du fait de la négligence des dirigeants.
Réponse de la cour,
25. La faute de gestion est une faute commise par le dirigeant dans l'administration de la société et manifestement contraire à l'intérêt social. Elle se déduit des agissements du dirigeant par comparaison au comportement d'un dirigeant normalement compétent placé dans la même situation, ou encore aux règles minimales de bonne gestion, et ne réclame pas la démonstration d'une mauvaise foi ou d'une intention de nuire. Toutefois, il ne doit pas s'agir d'une simple négligence.
La simple négligence du dirigeant ne peut être réduite au seul cas dans lequel le dirigeant a pu ignorer les circonstances ou la situation ayant entouré sa commission.
Sur l'absence de déclaration de cessation des paiements dans les délais impartis
26. Il résulte de l'article L. 631-4 du code de commerce que l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire doit être demandée par le débiteur au plus tard dans les quarante-cinq jours qui suivent la cessation des paiements.
27. En l'espèce, au terme de son jugement définitif du 3 mars 2022, le tribunal de commerce a retenu la date du 1er novembre 2021 comme date provisoire de cessation des paiements, alors que Mme [W] n'a procédé que le 16 février 2022 à la déclaration de cette cessation des paiements.
28. Les appelants se bornent à soutenir que «'le carnet de réservations était bien rempli'» au cours des fêtes de fin d'année, et que la déclaration de cessation des paiements n'a été rendue nécessaire qu'en raison d'annulations en janvier 2022.
29. Les dirigeants tentent ainsi vainement de revenir sur la date fixée par le tribunal, puisque la juridiction saisie de la demande en responsabilité pour insuffisance d'actif est liée par la date de cessation des paiements retenue par le tribunal, date que les époux [W] n'ont pas contestée.
La discussion maintenue devant la cour sur la date de cessation des paiements est donc inopérante, alors même que les dirigeants, qui se bornent à évoquer des bonnes perspectives, ne nient pas avoir eu connaissance de la situation.
30. Il en résulte que M. et Mme [W] n'ont pas déposé de déclaration dans les 45 jours qui ont suivi la cessation des paiements le 1er novembre 2021.
31. Le fait de ne pas avoir rempli une obligation exigée par la loi constitue en l'espèce une faute de gestion, et non une simple négligence.
32. Il doit également être considéré que la multiplication des comportements fautifs imputables à M. et Mme [W], tels que détaillés ci-après, exclut qu'ils puissent être qualifiés de simple négligences.
33. Une déclaration de la cessation des paiements plus précoce aurait limité l'importance du passif, qui continuait à se creuser en raison de la poursuite pendant cette période d'une activité déficitaire, et la faute de gestion a donc directement contribué à l'insuffisance d'actif.
Notamment, la procédure de déclarations de créances révèle que le montant des dettes augmentait régulièrement, notamment en raison du non-paiement d'échéances de prêts consentis par le [8] (état des créances pièce n° 11 du mandataire).
Il ressort en outre des déclarations de M. [W] que la société n'avait plus d'activité depuis l'année 2020. Toutefois, il ressort également de l'état des créances qu'une dette de TVA continuait d'augmenter.
34. Le grief caractérise donc une faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif
La poursuite d'une activité déficitaire
35. Le fait pour le dirigeant de poursuivre abusivement, c'est à dire, notamment, en l'absence de perspective de redressement, une exploitation déficitaire caractérise sa faute de gestion.
36. Il apparaît en l'espèce que la société [13] a poursuivi son activité depuis 2020 malgré un chiffre d'affaires nul, alors que cette poursuite a engendré des dettes fiscales': 698 euros de cotisation foncière des entreprises ([6]) 2021 et 2022, 3'600 euros au titre de l'impôt sur les sociétés pour 2021 et 2022, 4'500 euros de TVA 2021 et 2022, outre 2'000 euros de TVA durant la période d'observation.
37. Il en résulte que les époux [W], qui ne justifient ni d'efforts personnels, ni de perspectives de redressement par les réservations qu'ils allèguent, ont poursuivi de façon abusive cette exploitation déficitaire, à partir du 1er janvier 2021 pour Mme [W] et sur toute la période pour M. [W].
38. Cette faute de gestion, nécessairement volontaire et ne pouvant résulter d'une simple négligence, a contribué à l'insuffisance d'actif, en augmentant le passif qui continuait à se creuser.
D'ailleurs, la multiplicité des fautes imputées à M. et Mme [W] exclut de simples négligences de leur part.
L'absence de tenue d'une comptabilité
39. Il est constant que la tenue d'une comptabilité est obligatoire pour une société par actions simplifiée telle que la société [13].
40. Il résulte des dispositions de l'article L. 123-12 du code de commerce que toute personne physique ou morale ayant la qualité de commerçant doit procéder à l'enregistrement comptable des mouvements affectant le patrimoine de son entreprise. Ces mouvements sont enregistrés chronologiquement. Elle doit contrôler par inventaire, au moins une fois tous les douze mois, l'existence et la valeur des éléments actifs et passifs du patrimoine de l'entreprise. Elle doit établir des comptes annuels à la clôture de l'exercice au vu des enregistrements comptables et de l'inventaire. Ces comptes annuels comprennent le bilan, le compte de résultat et une annexe, qui forment un tout indissociable.
41. En l'espèce, le mandataire liquidateur soutient que la société [13] n'a tenu aucune comptabilité depuis l'année 2017, et que les dirigeants ne lui ont transmis aucun élément.
42. La seule production par les appelants devant la cour d'un «'contrat pour prestations forfaitaires'» du 8 octobre 2018 avec un organisme «'[15]'» à [Localité 14] (Charente), d'une facture de «'prestations de services administratifs'» pour 8 heures en janvier 2019 (pièces 7 et 9 des appelants), et de la lettre de mission d'un expert-comptable du 10 février 2021, ne sont pas de nature à pallier l'absence de production de tout document comptable.
43. Le fait de ne pas remplir une obligation exigée par la loi constitue une faute de gestion, et non une simple négligence. Là encore, la multiplicité des fautes imputées à M. et Mme [W] exclut de simples négligences de leur part.
L'obligation pèse sur le responsable légal de la société, qui ne saurait s'en exonérer au motif qu'il a missionné un expert-comptable.
L'absence de comptabilité prive le dirigeant d'un outil de contrôle de la situation financière de l'entreprise, ce qui retarde ou empêche la prise de mesures appropriées pour remédier à une situation que se dégrade. En l'espèce, il est établi que l'absence de déclaration de TVA a déclenché une procédure de taxation d'office par l'administration fiscale, générant au passif une dette de 6'500 euros.
44. Le grief est donc constitué.
L'absence de compte bancaire ouvert au nom de la société et de coopération avec les organes de la procédure
45. Le mandataire liquidateur fait valoir que M. [W] a reconnu à l'audience du tribunal de commerce que la société n'avait pas de compte bancaire ouvert à son nom.
46. Les appelants invoquent un compte ouvert le 27 janvier 2015 auprès du [8] (leur pièce 18). Toutefois, ils ne produisent pas de relevés de ce compte, tout particulièrement pour les années 2020 à 2022.
47. Le mandataire expose également que l'absence de coopération avec les organes de la procédure a été extrêmement préjudiciable à la société, qui n'a pas été en mesure de présenter un plan de redressement.
48. Bien que les dirigeants protestent de leur bonne foi, le liquidateur peut pointer l'absence de fourniture des éléments demandés, la non-présentation aux convocations, et l'absence de production de document prévisionnel.
49. Pour autant, le liquidateur, sur qui repose la charge de la preuve, ne démontre pas qu'un redressement de la société aurait été possible sans ces manquements des dirigeants, et la contribution de leur conduite à l'insuffisance d'actif n'est pas établie.
50. Le grief ne peut donc être retenu pour caractériser une faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif au sens du texte précité.
Sur le lien de causalité entre les fautes de gestion et l'insuffisance d'actif
51. Le lien de causalité est avéré s'il est démontré que la faute a concouru à l'insuffisance d'actif, sans qu'il ne soit nécessaire qu'elle en soit la cause unique.
52. En l'espèce, cette démonstration est faite ci-dessus, à l'occasion de l'analyse de chacun des griefs retenus, constituant des fautes antérieures au jugement d'ouverture, et commises alors que tant Mme [W] que M. [W] étaient dirigeants de droit ou de fait.
Sur le montant de la condamnation
53. Chacune des trois fautes retenues comme ayant contribué à l'insuffisance d'actif chiffrée à 38'329,92 euros étant légalement justifiée, il appartient à la juridiction d'apprécier le montant de la condamnation dès lors qu'il n'excède pas l'insuffisance d'actif.
54. Au vu des fautes de gestion établies, de leur incidence sur l'augmentation de l'insuffisance d'actif et du comportement de M. [W] et Mme [W] tel que décrit lors de l'examen ci-dessus des griefs, systématiquement empreints de comportements fautifs et d'abstentions volontaires, c'est par une juste appréciation des faits que le tribunal de commerce les a condamnés à payer la somme de 38'329,92 euros à la procédure collective.
55. Les appelants insistent eux-mêmes pour rappeler qu'ils forment un couple dans la vie civile (leurs conclusions, page 10), ici pour justifier l'intervention de l'un ou de l'autre et tenter d'écarter la qualification de dirigeant de fait pour M. [W].
Les actes constitutifs de fautes de gestion commis dans la direction de la société [13] ont bien été indissociablement commis par M. [W] et Mme [W], de sorte qu'il y a lieu à leur condamnation solidaire, comme le prévoit l'article L. 651-2 ci-dessus.
Sur les demandes accessoires:
56. Les appelants demandent la condamnation du liquidateur à leur payer 3'500 euros à titre de dommages-intérêts pour ne pas avoir tenu compte des explications fournies et des pièces transmises, sans s'expliquer davantage sur une éventuelle faute et un éventuel préjudice.
57. Pour autant, il apparaît au contraire que ces dirigeants ont omis de fournir au liquidateur les éléments que celui-ci demandait, et même de répondre à ses convocations.
Cette demande de dommages-intérêts est donc mal fondée et ils en seront déboutés.
58. Les appelants seront condamnés in solidum à payer à la Selarl [9]' ès-qualités la somme de 2'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
59. Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.
En l'espèce, et alors même qu'il donnait gain de cause au mandataire liquidateur, conférant donc aux époux [W] la qualité de partie perdante au sens de ce texte, le tribunal, a décidé à tort que les dépens seraient des frais privilégiés de liquidation judiciaire. Cette décision non motivée, et qui fait supporter par la collectivité des créanciers de la procédure une créance personnelle devant reposer sur les dirigeants condamnés, encourt donc la réformation.
Les dépens de première instance, tout comme ceux d'appel, seront mis in solidum à la charge de M. et Mme [W].
PAR CES MOTIFS:
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Confirme le jugement rendu entre les parties par le tribunal de commerce d'Angoulême le 16 juillet 2024, sauf sur sa disposition relative aux dépens,
Statuant à nouveau sur les dépens de première instance,
Condamne in solidum Mme [B] épouse [W] et M. [W] aux dépens de première instance,
Y ajoutant,
Déboute Mme [B] épouse [W] et M. [W] de leur demande de dommages-intérêts,
Condamne in solidum Mme [B] épouse [W] et M. [W] aux dépens d'appel.
Condamne in solidum Mme [B] épouse [W] et M. [W] à payer à la Selarl [10], en sa qualité de mandataire liquidateur de la SAS [12], la somme de 2'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président