CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 14 octobre 2025, n° 25/05143
PARIS
Arrêt
Autre
PARTIES
Demandeur :
KPS Groupe (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Hébert-Pageot
Conseillers :
Mme Lacheze, Mme Rohart
Avocats :
Me Gourdain, Me Guaaybess, Me Marion
FAITS ET PROCÉDURE:
La société par actions simplifiée à associé unique KPS Groupe, créée en 2017, exerce une activité de conseil en systèmes d'information et finance.
Sur assignation du 7 décembre 2023 du PRS, invoquant une créance de 58 079,55 euros, par jugement du 27 février 2025, le tribunal des activités économiques de Paris a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société KPS Groupe, désigné la SELARL [F] [Y]-Ting, en la personne de Me [F], en qualité de liquidateur judiciaire, fixé au 27 août 2023 la date de cessation des paiements compte tenu de l'ancienneté de la dette, dit que le présent jugement est exécutoire de plein droit, et dit que les dépens seront portés en frais privilégiés de procédure collective.
Le 10 mars 2025, la société KPS Groupe a relevé appel de ce jugement.
Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 2 septembre 2025, la société KPS Groupe demande à la cour d'infirmer le jugement contesté, et statuant à nouveau, in limine litis, constater l'exception de nullité du jugement pour non-respect du principe du contradictoire et des droits de la défense, en conséquence, déclarer nul le jugement, à titre subsidiaire, sur le fond, dire que l'état de cessation des paiements n'est pas établi, en tout état de cause, dire que le débiteur peut bénéficier soit d'une procédure de sauvegarde soit d'une procédure de redressement judiciaire dans les conditions prévues par la loi, en conséquence, infirmer le jugement, débouter les intimées de l'ensemble de leurs demandes éventuelles et prétentions contraires, condamner l'intimé à lui verser la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et condamner l'intimé aux entiers dépens de l'instance.
Par conclusions déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 7 août 2025, le PRS demande à la cour de débouter la société KPS Groupe de son appel, confirmer le jugement, et dire que les dépens seront employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire.
La déclaration d'appel a été signifiée à personne morale à la SELARL [F] [Y] [P], ès qualités, le 3 juin 2025, qui ne s'est pas fait représenter.
Le dossier a fait l'objet d'une communication au ministère public le 11 avril 2025.
Le 7 octobre 2025, le conseil de la société KPS Groupe a, par RPVA, adressé une note en délibéré justifiant de la consignation d'une somme de 40.000 euros à la Carpa.
SUR CE,
Sur la nullité du jugement
La société KPS Groupe soutient in limine litis que le jugement doit être annulé pour défaut du respect du contradictoire car la liquidation judiciaire a été ouverte sans que le représentant légal de la société n'ait pu être valablement convoqué, ait pu faire valoir ses éléments de défense, et présenter les nouveaux chiffres et ses solutions. En effet, elle fait valoir que les convocations ont été adressées à une adresse erronée, au « [Adresse 5] » alors que l'adresse déclarée de la société était depuis plusieurs mois située au « [Adresse 4] ».
Le PRS réplique que l'assignation a été délivrée le 7 décembre 2023 à la société KPS Groupe par l'huissier des finances publiques parisien, selon les modalités prévues par les articles 655 à 657 du code de procédure civile, à l'adresse de son siège social telle qu'indiquée dans son Kbis de l'époque : « Chez Kandbaz ' [Adresse 1] », qu'ainsi ayant établi que cette adresse était valable, l'huissier a parfaitement respecté ses obligations, de sorte que son acte n'est entaché d'aucune nullité. Il est précisé que l'huissier a même pris le soin de dénoncer l'assignation à l'adresse du dirigeant de la société KPS Groupe, chez : « M. [B] [R], sis [Adresse 11] », conformément à l'extrait du Kbis du 11 octobre 2023. Il soutient qu'il importe peu que par la suite, le 29 août 2024, la société KPS Groupe ait modifié l'adresse de son siège social au « [Adresse 4] ».
Enfin, il ajoute que le dirigeant a comparu à l'une des audiences devant le tribunal, que dès lors il avait bien connaissance de la procédure. Il demande à la cour de rejeter cette demande de nullité et juger que le principe du contradictoire a bien été respecté.
Sur ce,
Selon l'article 16 du code de procédure civile, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
Il résulte des termes du jugement que le président de la Sas KPS Groupe a comparu à la première audience, consécutivement à l'assignation qui lui avait été délivrée le 7 décembre 2023, que suite à l'enquête diligentée elle a été convoquée en chambre du conseil pour l'audience du 19 février 2025, mais que la convocation ayant été envoyée à l'adresse de l'ancien siège social, elle ne l'a pas reçue et ne s' est pas présentée à l'audience.
C'est ainsi que la décision déférée a été rendue en violation du principe de la contradiction. Le jugement sera donc annulé.
Cependant, l'assignation initiale était régulière, puisque la société KPS avait comparu, de sorte que cette seconde convocation, dans cette même instance, n'affecte pas la saisine du tribunal. En conséquence, la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, statuera au fond.
Sur l'état de cessation des paiements
La société KPS Groupe conteste être en état de cessation des paiements et reproche au tribunal de ne pas avoir caractérisé son état de cessation des paiements et de s'être contenté de la seule existence de la créance fiscale pour considérer qu'elle se trouvait en état de cessation des paiements. Elle indique qu'elle aurait souhaité régler cette créance moyennant un échéancier, mais au titre de l'actif disponible verse au débat un chèque de banque de 40.000 euros à l'ordre du trésor public.
Le PRS réplique que sa créance s'élève à 58 256,60 euros, constituée de sommes échues et exigibles correspondant aux échéances de TVA dues en 2023, à des prélèvements à la source non versés, ainsi qu'à une cotisation foncière des entreprises impayée. Il fait valoir que des tentatives amiables de recouvrement ont été entreprises, sans succès, que la société KPS Groupe n'a pas contesté les avis de mise en recouvrement qui lui ont été adressés, ni initié de procédure contentieuse, ni demandé un sursis de paiement, qu'elle ne peut dès lors contester ni leur principe ni leur montant.
Au titre de l'actif disponible, il regrette que le projet de bilan d'exercice 2024 ne permette pas de représenter avec exactitude la situation économique et financière de la société, ni de considérer ces résultats comme définitifs, qu'elle ne verse aucun document justifiant les bénéfices allégués, qu'elle ne présente aucun actif réel pour solder sa dette ainsi qu'en témoignent les tentatives infructueuses de recouvrement. Il précise que les bilans des années 2020, 2022, et 2023 font état de résultats nets déficitaires (2020 : - 1 502 euros ; 2022 : - 119 400 euros ; 2023 : - 129 596 euros). Il en déduit que la société KPS Groupe se trouve en état de cessation des paiements et sollicite la confirmation du jugement.
Il résulte de l'article L. 631-1 du code de commerce que la cessation des paiements se définit comme étant l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible, mais que le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n'est pas en état de cessation des paiements.
En l'espèce, la société KPS Groupe est débitrice d'un passif exigible de 58 256,60 euros, constitué par la créance fiscale non contestée et fait état comme seul élément d'actif d'une consignation d'un montant de 40.000 euros à la Carpa, c'est à dire inférieur au passif exigible.
Il s'ensuit qu'étant dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible, elle se trouve en état de cessation des paiements.
Sur les perspectives de redressement
La société KPS Groupe fait valoir que son redressement n'est pas manifestement impossible car un plan de redressement pourrait lui permettre de faciliter le remboursement de dettes qui restent limitées, que pour pallier aux difficultés qu'elle connait, elle a créé d'autres sociétés qui font partie du groupe, notamment Planus Analytics, Wyzeo, Easyto-Work qui connaissent une activité croissante en ayant recours à la sous-traitance, collaborations économiquement moins risquées que celle souscrites par la société KPS Groupe, cette dernière se développe d'ailleurs grâce à la commercialisation de logiciels Ubbfy. Elle argue qu'ainsi son bilan devrait être positif concernant l'année 2024, et devrait encore s'améliorer en fin d'exercice 2025. Elle souligne que le bilan provisionnel fait état de diversifications des solutions proposées, en élargissant l'offre technologique, délocalisation partielle des consultants, afin d'optimiser les coûts, et une réduction progressive des marges pour accentuer la compétitivité, qu'à ce jour plusieurs contrats sont en attente de signature et que leur exécution alimenterait suffisamment sa trésorerie pour résorber le passif. Elle précise qu'un échéancier est en cours avec le Trésor public, que la dette a été significativement réduite, de 71 000 euros à 58 000 euros, que son activité peut se maintenir, et que par ailleurs, elle a développé un [Localité 10] éligible au crédit impôt recherche et souhaite lancer en 2026 une formation diplômante RNCP en informatique. Ainsi, considérant qu'elle expose de réelles perspectives de redressement, elle sollicite de la cour qu'elle infirme le jugement.
Le PRS réplique que les éléments présentés par la société appelante ne justifient pas de la possibilité d'un redressement. Il constate que :
2020 : 26 600 euros de chiffre d'affaires, et un résultat net de ' 1 502 euros ;
2022 : 228 038 euros de chiffre d'affaires, et un résultat net de ' 119 400 euros ;
2023 : 276 581 euros de chiffre d'affaires, et un résultat net de ' 129 596 euros ;
2024 : 114 900 euros de chiffre d'affaires, et un résultat net de + 33 888 euros.
Il en est déduit que la société appelante ne présente pas un résultat net comptable favorable, qu'elle prétend verser un prévisionnel sans que cette pièce n'apparaisse avoir été communiquée, qu'elle ne communique aucun élément objectif (contrat, factures, précontrats) pour confirmer les chiffres portés sur un tel prévisionnel, s'il existait. Enfin, il est regretté que la société appelante ait pris le parti de ne pas reverser la TVA qu'elle accumulait pour le compte du Trésor public.
Dès lors, le PRS sollicite de la cour qu'elle confirme le jugement.
Selon l'article L.640-1 du code de commerce, il est institué une procédure de liquidation judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné à l'article L. 640-2 en cessation des paiements et dont le redressement est manifestement impossible.
En l'espèce, la société KPS groupe a un passif d'au moins 58.256 euros, qu'elle entend rembourser grâce à la consignation à la Carpa de la somme de 40.000 euros, puis le solde dans le cadre d'un plan.
Par ailleurs, le dernier exercice connu de 2024 était excédentaire de + 33 888 euros.
Il s'ensuit, eu égard au montant modéré du passif, que son redressement n'apparaît pas manifestement impossible.
Il convient en conséquence d'ouvrir à l'égard de la société KPS groupe une procédure de redressement judiciaire.
La date de cessation des paiements sera fixée 18 mois antérieurement au prononcé du présent arrêt soit au 14 avril 2024, puisque la dette fiscale existait déjà à cette date et la société KPS Groupe n'avait pas l'actif disponible permettant d'y faire face.
Les dépens seront employés en frais privilégiés de procédure collective.
Aucune considération ne commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de quiconque.
PAR CES MOTIFS,
Annule le jugement,
Statuant par l'effet dévolutif de l'appel,
Constate l'état de cessation des paiements de la société KPS Groupe,
Ouvre à l'égard de la société KPS Groupe une procédure de redressement judiciaire,
Fixe la durée de la période d'observation à 3 mois à compter du présent arrêt,
Fixe la date de cessation des paiements au 14 avril 2024,
Désigne la SELARL [F] [Y]-Ting, en la personne de Me [F], en qualité de mandataire judiciaire,
Fixe à 6 mois à compter de la publication au Bodacc le délai pour établir la liste des créances mentionnée à l'article L.622-6 du code de commerce,
Fixe le délai au terme duquel la procédure devra être examinée à 12 mois,
Renvoie les parties devant le tribunal des activités économiques de Paris pour les suites de la procédure et la désignation des autres organes,
Ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de procédure collective.
Rejette les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.