CA Dijon, 1re ch. civ., 14 octobre 2025, n° 22/01234
DIJON
Arrêt
Autre
GROUPAMA NORD EST
C/
[V] [N]
G.A.E.C. [Adresse 9]
S.A.R.L. DEVELET FRERES
CAISSE REGIONALE D'ASSURANCES MUTUELLES AGRICOLES DE RHONE-ALPES AUVERGNE
Expédition et copie exécutoire délivrées aux avocats le
COUR D'APPEL DE DIJON
1re chambre civile
ARRÊT DU 14 OCTOBRE 2025
N° RG 22/01234 - N° Portalis DBVF-V-B7G-GBI5
MINUTE N°
Décision déférée à la Cour : jugement du 24 août 2022,
rendu par letribunal judiciaire de Chalon sur Saône - RG : 19/00849
APPELANTE :
Compagnie d'assurance GROUPAMA NORD EST
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentée par Me Sabine MILLOT-MORIN, membre de la SCP GALLAND ET ASSOCIES, avocat au barreau de CHALON-SUR-SAONE
INTIMÉS :
Monsieur [V] [N]
[Adresse 3]
[Localité 8]
Non représenté
G.A.E.C. [Adresse 9]
[Adresse 9]
[Localité 10]
Représentée par Me Brigitte MORTIER-KRASNICKI de la SCP NAIME-HALVOET-MORTIER KRASNICK, avocat au barreau de CHALON-SUR-SAONE
S.A.R.L. DEVELET FRERES prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 2]
[Localité 7]
CAISSE REGIONALE D'ASSURANCES MUTUELLES AGRICOLES DE RHONE-ALPES AUVERGNE, es qualités d'assureur de la SARL Develet Frères, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège :
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représentées par Me Emmanuelle DORET, membre de la SELARL CARRE JURIS AVOCATS, avocat au barreau de CHALON-SUR-SAONE
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 28 janvier 2025 en audience publique devant la cour composée de :
Viviane CAULLIREAU-FOREL, Président de chambre,
Leslie CHARBONNIER, Conseiller,
Bénédicte KUENTZ, Conseiller,
Après rapport fait à l'audience par l'un des magistrats de la composition, la cour, comme ci-dessus composée a délibéré.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Aurore VUILLEMOT, Greffier
DÉBATS : l'affaire a été mise en délibéré au 25 mars 2025 pour être prorogée au 27 mai 2025 puis au 7 octobre et au 14 octobre 2025,
ARRÊT : rendu par défaut,
PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ : par Bénédicte KUENTZ, conseiller, en remplacement du président empêché, et par Aurore VUILLEMOT, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*****
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Le GAEC [Adresse 9], qui gère une exploitation agricole à [Localité 10], a confié à la SARL Develet Frères des travaux de construction d'un bâtiment à usage de stabulation et d'un appentis, qui ont été exécutés à l'automne 2000.
Compte tenu de la survenue de désordres, il a été nécessaire de procéder en 2006 au remplacement de la totalité de la couverture. De nouvelles tôles ont ainsi été fournies par la société Rocmat, et posées par M. [N].
Une attestation de fin de travaux a été régularisée par le GAEC [Adresse 9] le 16 mai 2006.
Suivant facture du 11 juin 2012, la société Develet Frères a fourni et posé 8 plaques translucides de couverture.
Le GAEC [Adresse 9] a déploré de nouveaux désordres sur la toiture dans le courant de l'année 2014.
Les sociétés Groupama Nord Est et Groupama Rhône-Alpes Auvergne, respectivement assureur de M. [N] et de la SARL Develet Frères, ont dénié leur garantie.
Selon ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance de Chalon-sur-Saône du 19 juillet 2016, le GAEC [Adresse 9] a obtenu l'instauration d'une mesure d'expertise judiciaire au contradictoire de M. [N], la société Groupama Nord Est, la SARL Develet Frères, la société Groupama Rhône-Alpes Auvergne et la société Fibrocementos NT, venant aux droits de la société Rocmat.
M. [T] [O], désigné en qualité d'expert, a déposé son rapport le 19 octobre 2017.
A défaut de rapprochement amiable entre les parties, le GAEC [Adresse 9] a, suivant exploits des 9, 14 et 20 mai 2019, fait assigner M. [N], la société Groupama Nord Est, la société Develet Frères et la société Groupama Rhône-Alpes Auvergne devant le tribunal de grande instance de Chalon-sur-Saône aux fins d'obtenir indemnisation de son préjudice.
Selon exploit du 27 septembre 2019, la Caisse Régionale d'Assurances Mutuelles Agricoles Rhône-Alpes Auvergne (Groupama Rhône-Alpes) et la SARL Develet Frères ont fait assigner la société Corporacion Empresarial de Materiales de Construccion, exerçant sous l'enseigne Coemac et venant aux droits de la société Fibrocementos NT, venant elle-même aux droits de la société Rocmat, devant le tribunal de grande instance de Chalon-sur-Saône aux fins de garantie.
Les deux procédures ont été jointes par une ordonnance du juge de la mise en état du 12 février 2020.
La société Coemac et M. [N], régulièrement assignés, ne se sont pas constitués.
Par jugement réputé contradictoire du 24 août 2022, le tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône a :
- prononcé la disjonction de l'instance n°19/849 en deux instances distinctes, l'une portant sur les demandes formées à l'encontre de la société Coemac qui portera le numéro 22/1086, et l'autre portant sur les autres demandes et qui conservera le numéro de rôle 19/849,
- ordonné la réouverture des débats s'agissant de l'instance n°22/1086 concernant les demandes formées à l'encontre de la société Coemac et renvoyé l'affaire à l'audience d'incident du 5 septembre 2022 à 10h pour reprise d'instance ou désistement,
- condamné in solidum M. [V] [N] et la société Compagnie d'assurance Groupama Nord Est à payer au GAEC [Adresse 9] les sommes suivantes :
77 500 euros HT au titre des travaux réparatoires, outre indexation sur l'indice du coût de la construction entre octobre 2017 et la date du jugement,
330 euros HT au titre du remplacement de réglettes électriques selon facture de l'entreprise Malo n°160283 du 8 décembre 2016,
24 000 euros en réparation du préjudice de jouissance, outre 2 400 euros par hiver supplémentaire à compter de la date du jugement et jusqu'à paiement des travaux de reprise,
- ordonné la capitalisation des intérêts échus dus au titre des condamnations au moins pour une année entière,
- débouté le GAEC [Adresse 9] de ses demandes à l'encontre de la société Develet Frères et la société Groupama Rhône-Alpes,
- débouté le GAEC [Adresse 9] de ses demandes au titre des frais supplémentaires, des frais pharmaceutiques et de la perte de trois veaux,
- débouté M. [N] et la société Groupama Nord Est de leur demande de garantie à l'encontre de la société Develet Frères et la société Groupama Rhône-Alpes,
- condamné in solidum M. [V] [N] et la société Groupama Nord Est à payer au GAEC [Adresse 9] la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné in solidum M. [V] [N] et la société Groupama Nord Est aux dépens comprenant les frais d'expertise judiciaire,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement.
Par déclaration du 07 octobre 2022, la société Groupama Nord Est a interjeté appel de ce jugement.
Suivant ordonnance d'incident du 12 octobre 2023, le magistrat chargé de la mise en état a notamment constaté le désistement d'appel de Groupama Nord Est à l'encontre de la société Coemac et déclaré irrecevables les conclusions et l'appel incident du GAEC [Adresse 9] en ce qu'elles sont présentées et dirigées à l'encontre de M. [V] [N].
Aux termes de ses conclusions d'appelante récapitulatives n°2 notifiées le 07 janvier 2025, la société Groupama Nord Est demande à la cour de :
- constater qu'elle se désiste de son appel formé à l'encontre de la société Coemac,
- constater qu'elle se désiste de son appel à l'encontre de la disposition du jugement rendu le 24 août 2022 qui prononce la disjonction de l'instance, et de celle qui ordonne la réouverture des débats et renvoie l'affaire en audience d'incident,
- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône le 24 août 2022 en ce qu'il a :
prononcé la disjonction de l'instance n°19/849 en deux instances distinctes, l'une portant sur les demandes formées à l'encontre de la société Coemac qui portera le numéro 22/1086, et l'autre portant sur les autres demandes et qui conservera le numéro de rôle 19/849,
ordonné la réouverture des débats s'agissant de l'instance n°22/1086 concernant les demandes formées à l'encontre de la société Coemac et renvoyé l'affaire à l'audience d'incident du 5 septembre 2022 à 10h pour reprise d'instance ou désistement,
débouté le GAEC [Adresse 9] de ses demandes au titre des frais supplémentaires, des frais pharmaceutiques et de la perte de trois veaux,
- infirmer les dispositions du jugement rendu par le tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône le 24 août 2022 qui ont :
condamné in solidum M. [V] [N] et elle-même à payer au GAEC [Adresse 9] 77 500 euros HT au titre des travaux réparatoires outre indexation, 330 euros HT au titre du remplacement de réglettes électriques et 24 000 euros en réparation du préjudice de jouissance, outre 2 400 euros par hiver supplémentaire à compter du jugement et jusqu'à paiement des travaux de reprise,
ordonné la capitalisation des intérêts échus dus au titre des condamnations au moins pour une année entière,
débouté le GAEC [Adresse 9] de ses demandes à l'encontre de la société Develet Frères et la société Groupama Rhône-Alpes,
débouté M. [N] et elle-même de leur demande de garantie à l'encontre de la société Develet Frères et la compagnie Groupama Rhône-Alpes,
condamné in solidum M. [V] [N] et elle-même à payer au GAEC [Adresse 9] la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné in solidum M. [V] [N] et elle-même aux dépens comprenant les frais d'expertise judiciaire,
La cour statuant à nouveau,
A titre principal,
- débouter le GAEC [Adresse 9], la SARL Develet Frères et la compagnie Groupama Rhône-Alpes Auvergne de toutes demandes formées à son encontre,
- condamner in solidum le GAEC [Adresse 9], la SARL Develet Frères, la compagnie Groupama Rhône-Alpes Auvergne, ou qui d'entre eux le mieux devra, à lui payer la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner in solidum le GAEC [Adresse 9], la SARL Develet Frères, la compagnie Groupama Rhône-Alpes Auvergne, ou qui d'entre eux le mieux devra, aux entiers dépens, de première instance et d'appel, comprenant les frais d'expertise judiciaire,
Subsidiairement,
- réduire en de larges proportions les sommes qui sont réclamées par le GAEC [Adresse 9],
- condamner in solidum la SARL Develet Frères et la compagnie Groupama Rhône-Alpes Auvergne à la relever et la garantir de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre,
- condamner in solidum le GAEC [Adresse 9], la SARL Develet Frères, la compagnie Groupama Rhône-Alpes Auvergne, ou qui d'entre eux le mieux devra, à lui payer la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner in solidum les mêmes aux entiers dépens, de première instance et d'appel, comprenant les frais d'expertise judiciaire,
- constater que le montant des franchises stipulées au contrat d'assurance sont opposables à M. [N].
Aux termes de ses conclusions d'intimé n°2 notifiées le 03 janvier 2025, le GAEC [Adresse 9] demande à la cour, au visa des articles 1792 et suivants et 1382 ancien du code civil, de :
A titre principal,
- débouter Groupama Nord Est de l'intégralité de ses prétentions,
- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône le 24 août 2022 en ce qu'il a :
condamné in solidum M. [V] [N] et son assureur Groupama Nord Est à lui payer les sommes suivantes :
77 500 euros HT avec indexation sur l'indice du coût de la construction entre octobre 2017 et la date du jugement,
330 euros HT au titre du remplacement de réglettes électriques selon facture de l'entreprise Malo n°160283 du 8 décembre 2016,
ordonné la capitalisation des intérêts échus au titre des condamnations au moins pour une année entière,
condamné in solidum M. [V] [N] et son assureur Groupama Nord Est à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de première instance comprenant les frais d'expertise,
- accueillir son appel incident, le déclarer recevable et fondé,
- réformer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône le 22 [24] août 2022 en ce qu'il a limité son indemnisation au titre du préjudice de jouissance à la somme de 24 000 euros à la date du jugement outre 2 400 euros par hiver supplémentaire et l'a débouté de ses demandes au titre des frais supplémentaires, des frais pharmaceutiques et de la perte de trois veaux,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
- condamner in solidum M. [V] [N] et son assureur, Groupama Nord Est, à lui payer les sommes complémentaires suivantes :
45,90 euros au titre de l'achat d'une réglette à Brico Dépôt,
212,57 euros HT au titre du remplacement de réglette et tube fluorescent selon facture Coselec du 19 janvier 2021,
100 euros HT au titre du remplacement de plaques fibrociment selon facture de M. [U] du 04 février 2021,
314,99 euros HT au titre de l'achat de cartouches silicone selon factures de la société Comat,
90 euros HT au titre de l'achat de sciure selon facture de la société Brenot RMC,
125,06 euros HT au titre de l'achat de réglettes néon selon facture Bricomarché du 9 novembre 2023,
404 euros HT au titre de la réparation provisoire de la caméra de vidéo surveillance suite à infiltration selon facture de la société Viard de novembre 2023,
3 739,50 euros HT au titre du remplacement du matériel de vidéo surveillance endommagé par les infiltrations selon devis de la société Viard,
60 000,00 euros à titre de préjudice de jouissance (60 mois x 1 000 euros) pour la période allant de 2012 à 2022,
6 000,00 euros par hiver complémentaire,
7 303,46 euros HT au titre des frais de vétérinaires et frais pharmaceutiques exposés,
1 830,00 euros HT au titre de la perte de trois veaux,
A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où par impossible la cour accueillerait l'appel de Groupama Nord Est et infirmerait le jugement rendu le 24 août 2022 en ce qu'il a condamné in solidum M. [N] et son assureur, Groupama Nord Est, à l'indemniser de ses préjudices,
- condamner in solidum la société Develet Frères et son assureur, Groupama Rhône-Alpes Auvergne, à lui payer les sommes suivantes :
77 500,00 euros HT avec indexation sur l'indice du coût de la construction entre octobre 2017 (date du dépôt du rapport d'expertise) et la date du jugement à intervenir,
330,00 euros HT au titre du remplacement de réglettes électriques selon facture de l'entreprise Malo n°160283 du 8 décembre 2016,
45,90 euros au titre de l'achat d'une réglette à Brico Dépôt,
212,57 euros HT au titre du remplacement de réglette et tube fluorescent selon facture Coselec du 19 janvier 2021,
100 euros HT au titre du remplacement de plaques fibrociment selon facture de M. [U] du 04 février 2021,
314,99 euros HT au titre de l'achat de cartouches silicone selon factures de la société Comat,
90 euros HT au titre de l'achat de sciure selon facture de la société Brenot RMC,
125,06 euros HT au titre de l'achat de réglettes néon selon facture Bricomarché du 9 novembre 2023,
404 euros HT au titre de la réparation provisoire de la caméra de vidéo surveillance suite à infiltration selon facture de la société Viard de novembre 2023,
3 739,50 euros HT au titre du remplacement du matériel de vidéo surveillance endommagé par les infiltrations selon devis de la société Viard,
60 000,00 euros à titre de préjudice de jouissance (60 mois x 1000 euros) pour la période allant de 2012 à 2022,
6 000,00 euros par hiver complémentaire,
4 499,45 euros HT au titre des frais de vétérinaires et frais pharmaceutiques exposés,
1 830,00 euros HT au titre de la perte de trois veaux,
4 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens comprenant les frais d'expertise,
- condamner in solidum M. [V] [N] et son assureur, Groupama Nord Est, ou qui mieux le devra, à lui payer la somme de 4 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais qu'il a été contraint d'exposer en appel,
- condamner in solidum M. [V] [N] et son assureur, Groupama Nord Est, ou qui mieux le devra, aux entiers dépens d'appel.
Aux termes de leurs conclusions d'intimées n°3 notifiées le 07 janvier 2025, la Caisse Régionale d'Assurances Mutuelles Agricoles Rhône-Alpes Auvergne et la SARL Develet Frères demandent à la cour, au visa des articles 1792 et suivants, 1240 et 1641 et suivants du code civil, de :
Sur l'appel principal,
- confirmer le jugement rendu le 24 août 2022 par le tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône en toutes ses dispositions,
- débouter la société Groupama Nord Est de toutes ses demandes, fins et conclusions,
Sur l'appel incident,
A titre principal,
- juger que l'action engagée à l'encontre de la société Develet Frères concerne des travaux de 2000 qui n'ont pas fait l'objet de poursuites dans le délai décennal et est prescrite,
- juger que les travaux réalisés en 2012 par la société Develet Frères (pose de 8 plaques translucides sur toiture) ne constituent pas un ouvrage au sens de l'article 1792, ne sont affectés d'aucun désordre de nature décennale et ne sont pas à l'origine des désordres objet de la procédure,
En conséquence,
- confirmer le jugement rendu le 24 août 2022 par le tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône en ce qu'il a débouté le GAEC [Adresse 9] de ses demandes à leur encontre, fins et conclusions, demandes qui sont irrecevables et mal fondées,
A titre subsidiaire,
- réduire les demandes du GAEC [Adresse 9] au montant des travaux réparatoires chiffrés à la somme de 77 500 euros HT, à l'exception de toute autre demande,
A titre infiniment subsidiaire,
- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône en date du 24 août 2022 sur le quantum des préjudices et débouter le GAEC [Adresse 9] de ses demandes plus amples ou contraires,
En toutes hypothèses,
- condamner la société Groupama Nord Est ainsi que le GAEC [Adresse 9] à leur payer une somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Groupama Nord Est ainsi que tout succombant aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Emmanuelle Doret.
M. [N] n'a pas constitué avocat.
La société Groupama Nord Est lui a fait signifier sa déclaration d'appel et ses conclusions le 27 décembre 2022, puis ses conclusions récapitulatives le 31 mai 2023, le tout en l'étude du commissaire de justice instrumentaire.
Le GAEC [Adresse 9] lui a fait signifier ses conclusions le 13 avril 2023, en l'étude du commissaire de justice instrumentaire.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures susvisées des parties pour un exposé complet de leurs moyens.
La clôture est intervenue le 09 janvier 2025.
MOTIFS
Sur les responsabilités encourues
- Sur la nature et la cause des désordres :
Selon l'article 1792 du code civil, 'tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.
Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère.'
En l'espèce, il résulte de la chronologie des faits que la toiture en plaques de fibrociment réalisée courant 2000 a été affectée d'importants désordres qui ont conduit à son remplacement intégral en 2006.
Eu égard à leur ampleur, à l'apport de matériaux nouveaux et à la mise en oeuvre de techniques de construction dans le cadre de leur réalisation, ces travaux de reprise doivent être assimilés à des travaux de construction d'un nouvel ouvrage, au sens de l'article 1792 du code civil.
Or, il ressort du rapport d'expertise que de très nombreuses tôles composant cette nouvelle toiture sont fissurées verticalement entre la 2ème et la 3ème onde, voire se désagrègent, et que cette situation provoque des infiltrations d'eau.
En conséquence, l'étanchéité du bâtiment n'étant plus assurée, c'est à juste titre que le tribunal a retenu l'existence d'une impropriété de l'ouvrage à sa destination, et considéré que les désordres étaient de nature décennale.
M. [O] explique la survenue des désordres par deux causes essentielles tenant à la fabrication des tôles, à savoir, d'une part, la présence de renforts longitudinaux intégrés lors de la fabrication, qui diminuent l'épaisseur du matériau et entraînent une fragilité à cet endroit, et d'autre part, un manque de cohésion du matériau occasionnant sa porosité.
Il relève en revanche que les plaques ont été correctement posées par M. [N].
- Sur la responsabilité de M. [N], de la société Develet Frères et la garantie de leurs assureurs :
Au vu des conclusions de l'expert judiciaire, qui ne sont pas discutées d'un point de vue technique, la société Groupama Nord Est considère que c'est à tort que le tribunal a retenu la responsabilité de son assurée, et en tout état de cause, la mise en oeuvre de sa garantie. Elle conclut à titre subsidiaire à la garantie de la société Develet Frères et de la société Groupama Rhône-Alpes Auvergne.
Elle considère en premier lieu que la société Rocmat, qui a initié et financé les travaux de remplacement de la toiture, doit être considérée d'une part comme l'entreprise principale intervenue au titre de ces travaux, et d'autre part comme le fournisseur de plaques au bénéfice de M. [N].
Elle soutient que dans ces conditions, si le tribunal a justement jugé qu'il n'existait aucun contrat entre M. [N] et le GAEC [Adresse 9], maître de l'ouvrage, il ne pouvait en revanche retenir l'existence d'un contrat de louage d'ouvrage tacitement conclu entre le GAEC [Adresse 9] et la société Rocmat, au titre duquel son assuré serait intervenu en qualité de sous-traitant.
Elle indique que M. [N] est en réalité intervenu dans le cadre de la réparation de l'ouvrage initial qui impliquait la responsabilité civile décennale du constructeur Develet Frères, laquelle reste engagée.
Si la cour retenait, comme les premiers juges, l'intervention de son assuré en qualité de sous-traitant de la société Rocmat, elle souligne qu'aucune faute ne peut être imputée à celui-ci dans l'exécution de ses obligations contractuelles, et notamment l'obligation de livrer à la société Rocmat un ouvrage exempt de vices, alors même que c'est cette société qui lui a fourni les plaques défectueuses. Elle fait en outre valoir que l'action du GAEC [Adresse 9] à l'égard de M. [N] en responsabilité contractuelle se trouverait prescrite, dès lors que le manquement reproché à ce dernier remonte à 2006, et que l'assignation en référé n'a été délivrée qu'en mars 2016.
Le GAEC [Adresse 9] conclut à la confirmation du jugement entrepris, qui a retenu la responsabilité délictuelle de M. [N] à son égard, en sa qualité de sous-traitant de la société Coemac (venant aux droits de la société Rocmat).
Il se prévaut de l'existence d'un contrat de louage d'ouvrage entre M. [N] et la société Coemac, ou entre M. [N] et lui-même, et fait valoir subsidiairement que si la cour ne retenait pas l'existence d'un tel contrat, il conviendrait alors de considérer que l'intervention de 2006 est une intervention réparatoire de l'ouvrage initial, au titre duquel la responsabilité du constructeur Develet Frères resterait engagée.
La société Develet Frères et son assureur, la société Groupama Rhône-Alpes Auvergne, contestent leur mise en cause en faisant valoir que la société Develet Frères n'est pas intervenue dans les travaux de réfection complète de la couverture en 2006,et qu'aucun élément ne permet d'imputer les nouveaux désordres aux travaux initialement réalisés en 2000.
Il convient de rappeler que :
- courant 2000, les travaux de construction de la stabulation ont été confiés par le GAEC [Adresse 9] à la société Develet Frères, qui a mis en oeuvre des tôles fournies par la société Rocmat, laquelle n'avait pas pour autant la qualité de constructeur au sens des articles 1792-1 ou 1792-4 du code civil,
- les désordres ayant affecté à compter de 2003 la couverture du bâtiment ont nécessité le remplacement intégral de celle-ci, les travaux de réfection ayant abouti, comme signalé ci-dessus, à la construction d'un nouvel ouvrage.
C'est dans ce contexte que M. [N] est intervenu, en 2006, pour procéder à la pose de nouvelles plaques fournies par la société Rocmat, laquelle a en outre réglé le coût des travaux.
Cette intervention a été réalisée alors que, compte tenu de la nature des désordres initiaux, la société Develet Frères engageait sa responsabilité décennale à l'égard du GAEC, et que les désordres trouvaient manifestement leur origine dans une défectuosité des plaques de fibrociment, impliquant de faire reposer la charge finale du coût des travaux de reprise sur la société Rocmat.
La société Rocmat pouvait ainsi, pour assumer sa responsabilité à l'égard du GAEC [Adresse 9] et éviter tout recours judiciaire, verser une indemnisation à celui-ci à hauteur du coût des travaux nécessaires, ou choisir, comme cela a été le cas en l'espèce, de financer directement les travaux de remplacement de la couverture.
Pour autant, cette situation n'a pas transformé la société Rocmat, simple fournisseur des tôles défectueuses, en co-contractante du GAEC [Adresse 9] en vertu d'un contrat de louage d'ouvrage qui aurait été tacitement conclu, puisque son intervention résultait uniquement de l'exécution de son obligation à réparation à l'égard du maître de l'ouvrage, bénéficiaire des travaux de reprise.
Dans ces conditions, il n'est pas possible de considérer, comme l'a fait le premier juge, que M. [N] est intervenu en qualité de sous-traitant de la société Rocmat, et aurait pu en cette qualité engager sa responsabilité délictuelle à l'égard du GAEC [Adresse 9], à supposer qu'une faute ait été susceptible d'être retenue à sa charge.
En ce qui concerne la société Develet Frères, aucun élément du rapport d'expertise ne permet d'imputer les nouveaux désordres postérieurs à 2006 aux travaux qu'elle a réalisés en 2000, dès lors que la structure du bâtiment n'est pas en cause, et que les infiltrations litigieuses ont été causées une nouvelle fois par la défectuosité des plaques de fibrociment, fournies par la société Rocmat et posées par M. [N].
En outre, il n'est pas démontré ni même allégué que la société Devenet Frères aurait procédé à la réalisation, ou même à la direction ou au contrôle, des travaux de remplacement de la couverture fibrociment en 2006.
Son intervention en 2012 pour la pose en 'sur-toiture' de 8 plaques translucides, pour un montant de 191,36 euros TTC, résulte par ailleurs d'une tentative de réparation ponctuelle des désordres affectant alors la couverture, qui se sont ensuite généralisés et dont elle ne constitue pas la cause.
Il est en revanche exact que l'attestation de fin de travaux établie le 16 mai 2006 à l'entête de la société Rocmat, et signée par le gérant du GAEC [Adresse 9] ' à l'exclusion de toute autre partie ', mentionne 'Develet Frères' en qualité de 'Client Rocmat'.
Cette seule pièce est toutefois insuffisante pour considérer que la société Develet Frères aurait conservé, dans le cadre d'un accord amiable, sa qualité initiale de co-contractante du GAEC [Adresse 9], au titre de laquelle sa responsabilité de constructeur pourrait être recherchée.
C'est donc à juste titre que le tribunal a rejeté les demandes du GAEC [Adresse 9] en ce qu'elles étaient dirigées à l'encontre de la société Develet Frères et de son assureur, la société Groupama Rhône-Alpes Auvergne.
En conséquence, il convient de retenir que l'intervention de M. [N] en 2006 s'inscrit dans le cadre d'un contrat d'entreprise le liant non pas à la société Rocmat ou à la société Develet Frères, mais bien au GAEC [Adresse 9], les travaux ayant été financés par la société Rocmat pour le compte du maître de l'ouvrage.
Or, dans la mesure où les désordres trouvent leur siège dans la couverture posée par M. [N], et qu'ils rendent l'ouvrage impropre à sa destination, ils relèvent de la garantie décennale dont est redevable de plein droit ce constructeur, indépendamment de la caractérisation d'une quelconque faute dans la réalisation de ses travaux.
La défectuosité des tôles mises en oeuvre par M. [N] ne constitue pas, à cet égard, une cause exonératoire de la responsabilité dont il est redevable à l'égard du maître de l'ouvrage, au sens de l'article 1792 alinéa 2 du code civil.
Le jugement entrepris mérite donc confirmation en ce qu'il a condamné M. [N], in solidum avec la société Groupama Nord Est, à indemniser la GAEC [Adresse 9] de ses préjudices.
En outre, pour les motifs explicités ci-dessus, l'appel en garantie de la société Groupama Nord Est à l'encontre de la société Develet Frères et de son assureur ne saurait prospérer, justifiant également la confirmation du jugement sur ce point.
Sur la réparation des préjudices du GAEC [Adresse 9]
Il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a alloué au GAEC [Adresse 9] une somme de 77 500 euros HT au titre des travaux remplacement de la couverture, outre indexation sur l'indice du coût de la construction entre octobre 2017 et la date du jugement, et celle de 330 euros HT au titre du remplacement des réglettes électriques, ces montants, entérinés par l'expert judiciaire, n'étant pas critiqués par le GAEC ni par la société Groupama Nord Est.
Le GAEC [Adresse 9] forme en revanche un appel incident concernant le rejet de ses demandes tendant au paiement :
- de factures afférentes à l'achat de cartouches de silicone en novembre 2019 et octobre 2020, au remplacement de deux plaques fibrociment en février 2021, et au remplacement d'une réglette en février 2021,
- de frais pharmaceutiques exposés entre janvier 2015 et février 2018,
- d'une indemnité au titre de la perte de trois veaux lors des hivers 2015/2016 et 2016/2017.
Il n'est toutefois pas justifié du lien de causalité entre les frais d'achat de matériel et les désordres litigieux, dès lors que le GAEC n'établit pas que le matériel remplacé équipait bien le bâtiment de stabulation, ni qu'il aurait été dégradé par suite d'infiltrations et non en raison de son obsolescence naturelle.
De même s'agissant des frais pharmaceutiques et de la perte de veaux, c'est à juste titre que le premier juge a considéré que les seuls certificats vétérinaires ' établis à l'issue de constats non contradictoires ' indiquant que l'hygrométrie excessive relevée et l'humidité anormale des aires de couchage était un facteur prédisposant des pathologies respiratoires des animaux, étaient insuffisants pour établir un lien de causalité certain entre les désordres d'infiltrations et les traitements médicamenteux administrés au bétail, ainsi que la perte de trois veaux.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté ces demandes.
Le GAEC [Adresse 9] sollicite supplémentairement en appel :
- le remboursement d'une facture de 90 euros HT pour l'achat de sciure,
- le remboursement d'une facture de 125,06 euros HT pour l'achat de réglettes néon et de starters,
- le remboursement d'une facture de 64,08 euros pour l'achat de cartouches de silicone,
- le remboursement d'une facture de 484,80 euros pour la réparation provisoire d'une caméra,
- le paiement d'une somme de 3 739,50 euros, correspondant au montant d'un devis pour le remplacement de matériel vidéo endommagé par les infiltrations.
Ces demandes sont toutefois irrecevables en ce qu'elles sont présentées à l'encontre de M. [N], ainsi qu'il découle de l'ordonnance d'incident du 12 octobre 2023.
Le GAEC [Adresse 9] en sera par ailleurs débouté, s'agissant de l'achat de matériel, en ce qu'elles sont présentées à l'encontre de la société Groupama Nord Est dans le cadre de l'exercice d'une action directe, pour les mêmes motifs que ceux développés ci-dessus concernant les demandes initiales.
S'agissant de la réparation et du remplacement du matériel de vidéo surveillance, le GAEC [Adresse 9] ne s'explique en outre pas sur le fait que la facture de réparation et le devis de remplacement sont datés respectivement des mois de novembre et décembre 2023, alors que la société Groupama Nord Est fait valoir sans être contredite qu'elle s'est acquittée des indemnisations mises à sa charge avec exécution provisoire par le jugement dont appel dès le 3 octobre 2022. Il n'y a donc pas lieu de faire droit à cette demande.
Le GAEC [Adresse 9] forme par ailleurs un appel incident en ce qui concerne l'indemnisation de son préjudice de jouissance, sollicitant de ce chef une somme de 60 000 euros (60 mois x 1 000 euros) pour la période allant de 2012 à 2022, outre 6 000 euros par hiver supplémentaire.
C'est néanmoins par une juste appréciation des faits de la cause que le tribunal a fixé le préjudice à la date du jugement à la somme 24 000 euros, outre 2 400 euros par hiver additionnel, sur la base d'une impropriété des locaux à concurrence de 80 %, pendant 60 mois (6 mois par an pendant 10 ans), et d'une valeur locative mensuelle du bâtiment de 500 euros, dont le GAEC ne justifie pas plus à hauteur de cour qu'en première instance en quoi elle serait insuffisante.
Le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef, y compris en ce que la condamnation a été prononcée à l'encontre de la société Groupama Nord Est (in solidum avec M. [N]), dès lors qu'il résulte des dispositions générales de son 'Plan d'assurance de la responsabilité décennale des constructeurs' qu'elle garantit, outre la responsabilité civile décennale encourue par son assuré, les dommages immatériels après réception.
Il convient enfin de juger la société Groupama Nord Est fondée à opposer à M. [N] le montant de sa franchise, les clauses types énumérées à l'article A. 243-1 du code des assurances stipulant que 'l'assuré conserve une partie de la charge du sinistre, selon les modalités fixées aux conditions particulières'.
Sur les frais de procès
Le jugement dont appel mérite confirmation en ce qu'il a statué sur les dépens de première instance et l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Groupama Nord Est, qui succombe en son recours, sera en outre condamnée aux dépens de la procédure d'appel.
Elle sera également condamnée à payer au GAEC [Adresse 9] une somme de 1 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés par ce dernier en cause d'appel.
L'équité commande en revanche de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice des autres parties qui pourraient y prétendre.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions critiquées,
Y ajoutant,
Déclare irrecevables les demandes additionnelles présentées par le GAEC [Adresse 9] à l'encontre de M. [N] au titre de l'indemnisation de son préjudice matériel,
Déboute le GAEC [Adresse 9] de ces mêmes demandes en ce qu'elles sont présentées à l'encontre de la société Groupama Nord Est,
Dit que la société Groupama Nord est fondée à opposer à M. [N] le montant de sa franchise, selon les modalités fixées au contrat d'assurance,
Condamne la société Groupama Nord Est aux dépens de la procédure d'appel, qui pourront être recouvrés par Maître Doret conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile,
Condamne la société Groupama Nord Est à payer au GAEC [Adresse 9] la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés par ce dernier en cause d'appel,
Déboute les autres parties de leurs demandes présentées sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le greffier P/ Le président empêché
C/
[V] [N]
G.A.E.C. [Adresse 9]
S.A.R.L. DEVELET FRERES
CAISSE REGIONALE D'ASSURANCES MUTUELLES AGRICOLES DE RHONE-ALPES AUVERGNE
Expédition et copie exécutoire délivrées aux avocats le
COUR D'APPEL DE DIJON
1re chambre civile
ARRÊT DU 14 OCTOBRE 2025
N° RG 22/01234 - N° Portalis DBVF-V-B7G-GBI5
MINUTE N°
Décision déférée à la Cour : jugement du 24 août 2022,
rendu par letribunal judiciaire de Chalon sur Saône - RG : 19/00849
APPELANTE :
Compagnie d'assurance GROUPAMA NORD EST
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentée par Me Sabine MILLOT-MORIN, membre de la SCP GALLAND ET ASSOCIES, avocat au barreau de CHALON-SUR-SAONE
INTIMÉS :
Monsieur [V] [N]
[Adresse 3]
[Localité 8]
Non représenté
G.A.E.C. [Adresse 9]
[Adresse 9]
[Localité 10]
Représentée par Me Brigitte MORTIER-KRASNICKI de la SCP NAIME-HALVOET-MORTIER KRASNICK, avocat au barreau de CHALON-SUR-SAONE
S.A.R.L. DEVELET FRERES prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 2]
[Localité 7]
CAISSE REGIONALE D'ASSURANCES MUTUELLES AGRICOLES DE RHONE-ALPES AUVERGNE, es qualités d'assureur de la SARL Develet Frères, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège :
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représentées par Me Emmanuelle DORET, membre de la SELARL CARRE JURIS AVOCATS, avocat au barreau de CHALON-SUR-SAONE
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 28 janvier 2025 en audience publique devant la cour composée de :
Viviane CAULLIREAU-FOREL, Président de chambre,
Leslie CHARBONNIER, Conseiller,
Bénédicte KUENTZ, Conseiller,
Après rapport fait à l'audience par l'un des magistrats de la composition, la cour, comme ci-dessus composée a délibéré.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Aurore VUILLEMOT, Greffier
DÉBATS : l'affaire a été mise en délibéré au 25 mars 2025 pour être prorogée au 27 mai 2025 puis au 7 octobre et au 14 octobre 2025,
ARRÊT : rendu par défaut,
PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ : par Bénédicte KUENTZ, conseiller, en remplacement du président empêché, et par Aurore VUILLEMOT, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*****
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Le GAEC [Adresse 9], qui gère une exploitation agricole à [Localité 10], a confié à la SARL Develet Frères des travaux de construction d'un bâtiment à usage de stabulation et d'un appentis, qui ont été exécutés à l'automne 2000.
Compte tenu de la survenue de désordres, il a été nécessaire de procéder en 2006 au remplacement de la totalité de la couverture. De nouvelles tôles ont ainsi été fournies par la société Rocmat, et posées par M. [N].
Une attestation de fin de travaux a été régularisée par le GAEC [Adresse 9] le 16 mai 2006.
Suivant facture du 11 juin 2012, la société Develet Frères a fourni et posé 8 plaques translucides de couverture.
Le GAEC [Adresse 9] a déploré de nouveaux désordres sur la toiture dans le courant de l'année 2014.
Les sociétés Groupama Nord Est et Groupama Rhône-Alpes Auvergne, respectivement assureur de M. [N] et de la SARL Develet Frères, ont dénié leur garantie.
Selon ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance de Chalon-sur-Saône du 19 juillet 2016, le GAEC [Adresse 9] a obtenu l'instauration d'une mesure d'expertise judiciaire au contradictoire de M. [N], la société Groupama Nord Est, la SARL Develet Frères, la société Groupama Rhône-Alpes Auvergne et la société Fibrocementos NT, venant aux droits de la société Rocmat.
M. [T] [O], désigné en qualité d'expert, a déposé son rapport le 19 octobre 2017.
A défaut de rapprochement amiable entre les parties, le GAEC [Adresse 9] a, suivant exploits des 9, 14 et 20 mai 2019, fait assigner M. [N], la société Groupama Nord Est, la société Develet Frères et la société Groupama Rhône-Alpes Auvergne devant le tribunal de grande instance de Chalon-sur-Saône aux fins d'obtenir indemnisation de son préjudice.
Selon exploit du 27 septembre 2019, la Caisse Régionale d'Assurances Mutuelles Agricoles Rhône-Alpes Auvergne (Groupama Rhône-Alpes) et la SARL Develet Frères ont fait assigner la société Corporacion Empresarial de Materiales de Construccion, exerçant sous l'enseigne Coemac et venant aux droits de la société Fibrocementos NT, venant elle-même aux droits de la société Rocmat, devant le tribunal de grande instance de Chalon-sur-Saône aux fins de garantie.
Les deux procédures ont été jointes par une ordonnance du juge de la mise en état du 12 février 2020.
La société Coemac et M. [N], régulièrement assignés, ne se sont pas constitués.
Par jugement réputé contradictoire du 24 août 2022, le tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône a :
- prononcé la disjonction de l'instance n°19/849 en deux instances distinctes, l'une portant sur les demandes formées à l'encontre de la société Coemac qui portera le numéro 22/1086, et l'autre portant sur les autres demandes et qui conservera le numéro de rôle 19/849,
- ordonné la réouverture des débats s'agissant de l'instance n°22/1086 concernant les demandes formées à l'encontre de la société Coemac et renvoyé l'affaire à l'audience d'incident du 5 septembre 2022 à 10h pour reprise d'instance ou désistement,
- condamné in solidum M. [V] [N] et la société Compagnie d'assurance Groupama Nord Est à payer au GAEC [Adresse 9] les sommes suivantes :
77 500 euros HT au titre des travaux réparatoires, outre indexation sur l'indice du coût de la construction entre octobre 2017 et la date du jugement,
330 euros HT au titre du remplacement de réglettes électriques selon facture de l'entreprise Malo n°160283 du 8 décembre 2016,
24 000 euros en réparation du préjudice de jouissance, outre 2 400 euros par hiver supplémentaire à compter de la date du jugement et jusqu'à paiement des travaux de reprise,
- ordonné la capitalisation des intérêts échus dus au titre des condamnations au moins pour une année entière,
- débouté le GAEC [Adresse 9] de ses demandes à l'encontre de la société Develet Frères et la société Groupama Rhône-Alpes,
- débouté le GAEC [Adresse 9] de ses demandes au titre des frais supplémentaires, des frais pharmaceutiques et de la perte de trois veaux,
- débouté M. [N] et la société Groupama Nord Est de leur demande de garantie à l'encontre de la société Develet Frères et la société Groupama Rhône-Alpes,
- condamné in solidum M. [V] [N] et la société Groupama Nord Est à payer au GAEC [Adresse 9] la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné in solidum M. [V] [N] et la société Groupama Nord Est aux dépens comprenant les frais d'expertise judiciaire,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement.
Par déclaration du 07 octobre 2022, la société Groupama Nord Est a interjeté appel de ce jugement.
Suivant ordonnance d'incident du 12 octobre 2023, le magistrat chargé de la mise en état a notamment constaté le désistement d'appel de Groupama Nord Est à l'encontre de la société Coemac et déclaré irrecevables les conclusions et l'appel incident du GAEC [Adresse 9] en ce qu'elles sont présentées et dirigées à l'encontre de M. [V] [N].
Aux termes de ses conclusions d'appelante récapitulatives n°2 notifiées le 07 janvier 2025, la société Groupama Nord Est demande à la cour de :
- constater qu'elle se désiste de son appel formé à l'encontre de la société Coemac,
- constater qu'elle se désiste de son appel à l'encontre de la disposition du jugement rendu le 24 août 2022 qui prononce la disjonction de l'instance, et de celle qui ordonne la réouverture des débats et renvoie l'affaire en audience d'incident,
- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône le 24 août 2022 en ce qu'il a :
prononcé la disjonction de l'instance n°19/849 en deux instances distinctes, l'une portant sur les demandes formées à l'encontre de la société Coemac qui portera le numéro 22/1086, et l'autre portant sur les autres demandes et qui conservera le numéro de rôle 19/849,
ordonné la réouverture des débats s'agissant de l'instance n°22/1086 concernant les demandes formées à l'encontre de la société Coemac et renvoyé l'affaire à l'audience d'incident du 5 septembre 2022 à 10h pour reprise d'instance ou désistement,
débouté le GAEC [Adresse 9] de ses demandes au titre des frais supplémentaires, des frais pharmaceutiques et de la perte de trois veaux,
- infirmer les dispositions du jugement rendu par le tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône le 24 août 2022 qui ont :
condamné in solidum M. [V] [N] et elle-même à payer au GAEC [Adresse 9] 77 500 euros HT au titre des travaux réparatoires outre indexation, 330 euros HT au titre du remplacement de réglettes électriques et 24 000 euros en réparation du préjudice de jouissance, outre 2 400 euros par hiver supplémentaire à compter du jugement et jusqu'à paiement des travaux de reprise,
ordonné la capitalisation des intérêts échus dus au titre des condamnations au moins pour une année entière,
débouté le GAEC [Adresse 9] de ses demandes à l'encontre de la société Develet Frères et la société Groupama Rhône-Alpes,
débouté M. [N] et elle-même de leur demande de garantie à l'encontre de la société Develet Frères et la compagnie Groupama Rhône-Alpes,
condamné in solidum M. [V] [N] et elle-même à payer au GAEC [Adresse 9] la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné in solidum M. [V] [N] et elle-même aux dépens comprenant les frais d'expertise judiciaire,
La cour statuant à nouveau,
A titre principal,
- débouter le GAEC [Adresse 9], la SARL Develet Frères et la compagnie Groupama Rhône-Alpes Auvergne de toutes demandes formées à son encontre,
- condamner in solidum le GAEC [Adresse 9], la SARL Develet Frères, la compagnie Groupama Rhône-Alpes Auvergne, ou qui d'entre eux le mieux devra, à lui payer la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner in solidum le GAEC [Adresse 9], la SARL Develet Frères, la compagnie Groupama Rhône-Alpes Auvergne, ou qui d'entre eux le mieux devra, aux entiers dépens, de première instance et d'appel, comprenant les frais d'expertise judiciaire,
Subsidiairement,
- réduire en de larges proportions les sommes qui sont réclamées par le GAEC [Adresse 9],
- condamner in solidum la SARL Develet Frères et la compagnie Groupama Rhône-Alpes Auvergne à la relever et la garantir de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre,
- condamner in solidum le GAEC [Adresse 9], la SARL Develet Frères, la compagnie Groupama Rhône-Alpes Auvergne, ou qui d'entre eux le mieux devra, à lui payer la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner in solidum les mêmes aux entiers dépens, de première instance et d'appel, comprenant les frais d'expertise judiciaire,
- constater que le montant des franchises stipulées au contrat d'assurance sont opposables à M. [N].
Aux termes de ses conclusions d'intimé n°2 notifiées le 03 janvier 2025, le GAEC [Adresse 9] demande à la cour, au visa des articles 1792 et suivants et 1382 ancien du code civil, de :
A titre principal,
- débouter Groupama Nord Est de l'intégralité de ses prétentions,
- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône le 24 août 2022 en ce qu'il a :
condamné in solidum M. [V] [N] et son assureur Groupama Nord Est à lui payer les sommes suivantes :
77 500 euros HT avec indexation sur l'indice du coût de la construction entre octobre 2017 et la date du jugement,
330 euros HT au titre du remplacement de réglettes électriques selon facture de l'entreprise Malo n°160283 du 8 décembre 2016,
ordonné la capitalisation des intérêts échus au titre des condamnations au moins pour une année entière,
condamné in solidum M. [V] [N] et son assureur Groupama Nord Est à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de première instance comprenant les frais d'expertise,
- accueillir son appel incident, le déclarer recevable et fondé,
- réformer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône le 22 [24] août 2022 en ce qu'il a limité son indemnisation au titre du préjudice de jouissance à la somme de 24 000 euros à la date du jugement outre 2 400 euros par hiver supplémentaire et l'a débouté de ses demandes au titre des frais supplémentaires, des frais pharmaceutiques et de la perte de trois veaux,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
- condamner in solidum M. [V] [N] et son assureur, Groupama Nord Est, à lui payer les sommes complémentaires suivantes :
45,90 euros au titre de l'achat d'une réglette à Brico Dépôt,
212,57 euros HT au titre du remplacement de réglette et tube fluorescent selon facture Coselec du 19 janvier 2021,
100 euros HT au titre du remplacement de plaques fibrociment selon facture de M. [U] du 04 février 2021,
314,99 euros HT au titre de l'achat de cartouches silicone selon factures de la société Comat,
90 euros HT au titre de l'achat de sciure selon facture de la société Brenot RMC,
125,06 euros HT au titre de l'achat de réglettes néon selon facture Bricomarché du 9 novembre 2023,
404 euros HT au titre de la réparation provisoire de la caméra de vidéo surveillance suite à infiltration selon facture de la société Viard de novembre 2023,
3 739,50 euros HT au titre du remplacement du matériel de vidéo surveillance endommagé par les infiltrations selon devis de la société Viard,
60 000,00 euros à titre de préjudice de jouissance (60 mois x 1 000 euros) pour la période allant de 2012 à 2022,
6 000,00 euros par hiver complémentaire,
7 303,46 euros HT au titre des frais de vétérinaires et frais pharmaceutiques exposés,
1 830,00 euros HT au titre de la perte de trois veaux,
A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où par impossible la cour accueillerait l'appel de Groupama Nord Est et infirmerait le jugement rendu le 24 août 2022 en ce qu'il a condamné in solidum M. [N] et son assureur, Groupama Nord Est, à l'indemniser de ses préjudices,
- condamner in solidum la société Develet Frères et son assureur, Groupama Rhône-Alpes Auvergne, à lui payer les sommes suivantes :
77 500,00 euros HT avec indexation sur l'indice du coût de la construction entre octobre 2017 (date du dépôt du rapport d'expertise) et la date du jugement à intervenir,
330,00 euros HT au titre du remplacement de réglettes électriques selon facture de l'entreprise Malo n°160283 du 8 décembre 2016,
45,90 euros au titre de l'achat d'une réglette à Brico Dépôt,
212,57 euros HT au titre du remplacement de réglette et tube fluorescent selon facture Coselec du 19 janvier 2021,
100 euros HT au titre du remplacement de plaques fibrociment selon facture de M. [U] du 04 février 2021,
314,99 euros HT au titre de l'achat de cartouches silicone selon factures de la société Comat,
90 euros HT au titre de l'achat de sciure selon facture de la société Brenot RMC,
125,06 euros HT au titre de l'achat de réglettes néon selon facture Bricomarché du 9 novembre 2023,
404 euros HT au titre de la réparation provisoire de la caméra de vidéo surveillance suite à infiltration selon facture de la société Viard de novembre 2023,
3 739,50 euros HT au titre du remplacement du matériel de vidéo surveillance endommagé par les infiltrations selon devis de la société Viard,
60 000,00 euros à titre de préjudice de jouissance (60 mois x 1000 euros) pour la période allant de 2012 à 2022,
6 000,00 euros par hiver complémentaire,
4 499,45 euros HT au titre des frais de vétérinaires et frais pharmaceutiques exposés,
1 830,00 euros HT au titre de la perte de trois veaux,
4 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens comprenant les frais d'expertise,
- condamner in solidum M. [V] [N] et son assureur, Groupama Nord Est, ou qui mieux le devra, à lui payer la somme de 4 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais qu'il a été contraint d'exposer en appel,
- condamner in solidum M. [V] [N] et son assureur, Groupama Nord Est, ou qui mieux le devra, aux entiers dépens d'appel.
Aux termes de leurs conclusions d'intimées n°3 notifiées le 07 janvier 2025, la Caisse Régionale d'Assurances Mutuelles Agricoles Rhône-Alpes Auvergne et la SARL Develet Frères demandent à la cour, au visa des articles 1792 et suivants, 1240 et 1641 et suivants du code civil, de :
Sur l'appel principal,
- confirmer le jugement rendu le 24 août 2022 par le tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône en toutes ses dispositions,
- débouter la société Groupama Nord Est de toutes ses demandes, fins et conclusions,
Sur l'appel incident,
A titre principal,
- juger que l'action engagée à l'encontre de la société Develet Frères concerne des travaux de 2000 qui n'ont pas fait l'objet de poursuites dans le délai décennal et est prescrite,
- juger que les travaux réalisés en 2012 par la société Develet Frères (pose de 8 plaques translucides sur toiture) ne constituent pas un ouvrage au sens de l'article 1792, ne sont affectés d'aucun désordre de nature décennale et ne sont pas à l'origine des désordres objet de la procédure,
En conséquence,
- confirmer le jugement rendu le 24 août 2022 par le tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône en ce qu'il a débouté le GAEC [Adresse 9] de ses demandes à leur encontre, fins et conclusions, demandes qui sont irrecevables et mal fondées,
A titre subsidiaire,
- réduire les demandes du GAEC [Adresse 9] au montant des travaux réparatoires chiffrés à la somme de 77 500 euros HT, à l'exception de toute autre demande,
A titre infiniment subsidiaire,
- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône en date du 24 août 2022 sur le quantum des préjudices et débouter le GAEC [Adresse 9] de ses demandes plus amples ou contraires,
En toutes hypothèses,
- condamner la société Groupama Nord Est ainsi que le GAEC [Adresse 9] à leur payer une somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Groupama Nord Est ainsi que tout succombant aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Emmanuelle Doret.
M. [N] n'a pas constitué avocat.
La société Groupama Nord Est lui a fait signifier sa déclaration d'appel et ses conclusions le 27 décembre 2022, puis ses conclusions récapitulatives le 31 mai 2023, le tout en l'étude du commissaire de justice instrumentaire.
Le GAEC [Adresse 9] lui a fait signifier ses conclusions le 13 avril 2023, en l'étude du commissaire de justice instrumentaire.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures susvisées des parties pour un exposé complet de leurs moyens.
La clôture est intervenue le 09 janvier 2025.
MOTIFS
Sur les responsabilités encourues
- Sur la nature et la cause des désordres :
Selon l'article 1792 du code civil, 'tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.
Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère.'
En l'espèce, il résulte de la chronologie des faits que la toiture en plaques de fibrociment réalisée courant 2000 a été affectée d'importants désordres qui ont conduit à son remplacement intégral en 2006.
Eu égard à leur ampleur, à l'apport de matériaux nouveaux et à la mise en oeuvre de techniques de construction dans le cadre de leur réalisation, ces travaux de reprise doivent être assimilés à des travaux de construction d'un nouvel ouvrage, au sens de l'article 1792 du code civil.
Or, il ressort du rapport d'expertise que de très nombreuses tôles composant cette nouvelle toiture sont fissurées verticalement entre la 2ème et la 3ème onde, voire se désagrègent, et que cette situation provoque des infiltrations d'eau.
En conséquence, l'étanchéité du bâtiment n'étant plus assurée, c'est à juste titre que le tribunal a retenu l'existence d'une impropriété de l'ouvrage à sa destination, et considéré que les désordres étaient de nature décennale.
M. [O] explique la survenue des désordres par deux causes essentielles tenant à la fabrication des tôles, à savoir, d'une part, la présence de renforts longitudinaux intégrés lors de la fabrication, qui diminuent l'épaisseur du matériau et entraînent une fragilité à cet endroit, et d'autre part, un manque de cohésion du matériau occasionnant sa porosité.
Il relève en revanche que les plaques ont été correctement posées par M. [N].
- Sur la responsabilité de M. [N], de la société Develet Frères et la garantie de leurs assureurs :
Au vu des conclusions de l'expert judiciaire, qui ne sont pas discutées d'un point de vue technique, la société Groupama Nord Est considère que c'est à tort que le tribunal a retenu la responsabilité de son assurée, et en tout état de cause, la mise en oeuvre de sa garantie. Elle conclut à titre subsidiaire à la garantie de la société Develet Frères et de la société Groupama Rhône-Alpes Auvergne.
Elle considère en premier lieu que la société Rocmat, qui a initié et financé les travaux de remplacement de la toiture, doit être considérée d'une part comme l'entreprise principale intervenue au titre de ces travaux, et d'autre part comme le fournisseur de plaques au bénéfice de M. [N].
Elle soutient que dans ces conditions, si le tribunal a justement jugé qu'il n'existait aucun contrat entre M. [N] et le GAEC [Adresse 9], maître de l'ouvrage, il ne pouvait en revanche retenir l'existence d'un contrat de louage d'ouvrage tacitement conclu entre le GAEC [Adresse 9] et la société Rocmat, au titre duquel son assuré serait intervenu en qualité de sous-traitant.
Elle indique que M. [N] est en réalité intervenu dans le cadre de la réparation de l'ouvrage initial qui impliquait la responsabilité civile décennale du constructeur Develet Frères, laquelle reste engagée.
Si la cour retenait, comme les premiers juges, l'intervention de son assuré en qualité de sous-traitant de la société Rocmat, elle souligne qu'aucune faute ne peut être imputée à celui-ci dans l'exécution de ses obligations contractuelles, et notamment l'obligation de livrer à la société Rocmat un ouvrage exempt de vices, alors même que c'est cette société qui lui a fourni les plaques défectueuses. Elle fait en outre valoir que l'action du GAEC [Adresse 9] à l'égard de M. [N] en responsabilité contractuelle se trouverait prescrite, dès lors que le manquement reproché à ce dernier remonte à 2006, et que l'assignation en référé n'a été délivrée qu'en mars 2016.
Le GAEC [Adresse 9] conclut à la confirmation du jugement entrepris, qui a retenu la responsabilité délictuelle de M. [N] à son égard, en sa qualité de sous-traitant de la société Coemac (venant aux droits de la société Rocmat).
Il se prévaut de l'existence d'un contrat de louage d'ouvrage entre M. [N] et la société Coemac, ou entre M. [N] et lui-même, et fait valoir subsidiairement que si la cour ne retenait pas l'existence d'un tel contrat, il conviendrait alors de considérer que l'intervention de 2006 est une intervention réparatoire de l'ouvrage initial, au titre duquel la responsabilité du constructeur Develet Frères resterait engagée.
La société Develet Frères et son assureur, la société Groupama Rhône-Alpes Auvergne, contestent leur mise en cause en faisant valoir que la société Develet Frères n'est pas intervenue dans les travaux de réfection complète de la couverture en 2006,et qu'aucun élément ne permet d'imputer les nouveaux désordres aux travaux initialement réalisés en 2000.
Il convient de rappeler que :
- courant 2000, les travaux de construction de la stabulation ont été confiés par le GAEC [Adresse 9] à la société Develet Frères, qui a mis en oeuvre des tôles fournies par la société Rocmat, laquelle n'avait pas pour autant la qualité de constructeur au sens des articles 1792-1 ou 1792-4 du code civil,
- les désordres ayant affecté à compter de 2003 la couverture du bâtiment ont nécessité le remplacement intégral de celle-ci, les travaux de réfection ayant abouti, comme signalé ci-dessus, à la construction d'un nouvel ouvrage.
C'est dans ce contexte que M. [N] est intervenu, en 2006, pour procéder à la pose de nouvelles plaques fournies par la société Rocmat, laquelle a en outre réglé le coût des travaux.
Cette intervention a été réalisée alors que, compte tenu de la nature des désordres initiaux, la société Develet Frères engageait sa responsabilité décennale à l'égard du GAEC, et que les désordres trouvaient manifestement leur origine dans une défectuosité des plaques de fibrociment, impliquant de faire reposer la charge finale du coût des travaux de reprise sur la société Rocmat.
La société Rocmat pouvait ainsi, pour assumer sa responsabilité à l'égard du GAEC [Adresse 9] et éviter tout recours judiciaire, verser une indemnisation à celui-ci à hauteur du coût des travaux nécessaires, ou choisir, comme cela a été le cas en l'espèce, de financer directement les travaux de remplacement de la couverture.
Pour autant, cette situation n'a pas transformé la société Rocmat, simple fournisseur des tôles défectueuses, en co-contractante du GAEC [Adresse 9] en vertu d'un contrat de louage d'ouvrage qui aurait été tacitement conclu, puisque son intervention résultait uniquement de l'exécution de son obligation à réparation à l'égard du maître de l'ouvrage, bénéficiaire des travaux de reprise.
Dans ces conditions, il n'est pas possible de considérer, comme l'a fait le premier juge, que M. [N] est intervenu en qualité de sous-traitant de la société Rocmat, et aurait pu en cette qualité engager sa responsabilité délictuelle à l'égard du GAEC [Adresse 9], à supposer qu'une faute ait été susceptible d'être retenue à sa charge.
En ce qui concerne la société Develet Frères, aucun élément du rapport d'expertise ne permet d'imputer les nouveaux désordres postérieurs à 2006 aux travaux qu'elle a réalisés en 2000, dès lors que la structure du bâtiment n'est pas en cause, et que les infiltrations litigieuses ont été causées une nouvelle fois par la défectuosité des plaques de fibrociment, fournies par la société Rocmat et posées par M. [N].
En outre, il n'est pas démontré ni même allégué que la société Devenet Frères aurait procédé à la réalisation, ou même à la direction ou au contrôle, des travaux de remplacement de la couverture fibrociment en 2006.
Son intervention en 2012 pour la pose en 'sur-toiture' de 8 plaques translucides, pour un montant de 191,36 euros TTC, résulte par ailleurs d'une tentative de réparation ponctuelle des désordres affectant alors la couverture, qui se sont ensuite généralisés et dont elle ne constitue pas la cause.
Il est en revanche exact que l'attestation de fin de travaux établie le 16 mai 2006 à l'entête de la société Rocmat, et signée par le gérant du GAEC [Adresse 9] ' à l'exclusion de toute autre partie ', mentionne 'Develet Frères' en qualité de 'Client Rocmat'.
Cette seule pièce est toutefois insuffisante pour considérer que la société Develet Frères aurait conservé, dans le cadre d'un accord amiable, sa qualité initiale de co-contractante du GAEC [Adresse 9], au titre de laquelle sa responsabilité de constructeur pourrait être recherchée.
C'est donc à juste titre que le tribunal a rejeté les demandes du GAEC [Adresse 9] en ce qu'elles étaient dirigées à l'encontre de la société Develet Frères et de son assureur, la société Groupama Rhône-Alpes Auvergne.
En conséquence, il convient de retenir que l'intervention de M. [N] en 2006 s'inscrit dans le cadre d'un contrat d'entreprise le liant non pas à la société Rocmat ou à la société Develet Frères, mais bien au GAEC [Adresse 9], les travaux ayant été financés par la société Rocmat pour le compte du maître de l'ouvrage.
Or, dans la mesure où les désordres trouvent leur siège dans la couverture posée par M. [N], et qu'ils rendent l'ouvrage impropre à sa destination, ils relèvent de la garantie décennale dont est redevable de plein droit ce constructeur, indépendamment de la caractérisation d'une quelconque faute dans la réalisation de ses travaux.
La défectuosité des tôles mises en oeuvre par M. [N] ne constitue pas, à cet égard, une cause exonératoire de la responsabilité dont il est redevable à l'égard du maître de l'ouvrage, au sens de l'article 1792 alinéa 2 du code civil.
Le jugement entrepris mérite donc confirmation en ce qu'il a condamné M. [N], in solidum avec la société Groupama Nord Est, à indemniser la GAEC [Adresse 9] de ses préjudices.
En outre, pour les motifs explicités ci-dessus, l'appel en garantie de la société Groupama Nord Est à l'encontre de la société Develet Frères et de son assureur ne saurait prospérer, justifiant également la confirmation du jugement sur ce point.
Sur la réparation des préjudices du GAEC [Adresse 9]
Il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a alloué au GAEC [Adresse 9] une somme de 77 500 euros HT au titre des travaux remplacement de la couverture, outre indexation sur l'indice du coût de la construction entre octobre 2017 et la date du jugement, et celle de 330 euros HT au titre du remplacement des réglettes électriques, ces montants, entérinés par l'expert judiciaire, n'étant pas critiqués par le GAEC ni par la société Groupama Nord Est.
Le GAEC [Adresse 9] forme en revanche un appel incident concernant le rejet de ses demandes tendant au paiement :
- de factures afférentes à l'achat de cartouches de silicone en novembre 2019 et octobre 2020, au remplacement de deux plaques fibrociment en février 2021, et au remplacement d'une réglette en février 2021,
- de frais pharmaceutiques exposés entre janvier 2015 et février 2018,
- d'une indemnité au titre de la perte de trois veaux lors des hivers 2015/2016 et 2016/2017.
Il n'est toutefois pas justifié du lien de causalité entre les frais d'achat de matériel et les désordres litigieux, dès lors que le GAEC n'établit pas que le matériel remplacé équipait bien le bâtiment de stabulation, ni qu'il aurait été dégradé par suite d'infiltrations et non en raison de son obsolescence naturelle.
De même s'agissant des frais pharmaceutiques et de la perte de veaux, c'est à juste titre que le premier juge a considéré que les seuls certificats vétérinaires ' établis à l'issue de constats non contradictoires ' indiquant que l'hygrométrie excessive relevée et l'humidité anormale des aires de couchage était un facteur prédisposant des pathologies respiratoires des animaux, étaient insuffisants pour établir un lien de causalité certain entre les désordres d'infiltrations et les traitements médicamenteux administrés au bétail, ainsi que la perte de trois veaux.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté ces demandes.
Le GAEC [Adresse 9] sollicite supplémentairement en appel :
- le remboursement d'une facture de 90 euros HT pour l'achat de sciure,
- le remboursement d'une facture de 125,06 euros HT pour l'achat de réglettes néon et de starters,
- le remboursement d'une facture de 64,08 euros pour l'achat de cartouches de silicone,
- le remboursement d'une facture de 484,80 euros pour la réparation provisoire d'une caméra,
- le paiement d'une somme de 3 739,50 euros, correspondant au montant d'un devis pour le remplacement de matériel vidéo endommagé par les infiltrations.
Ces demandes sont toutefois irrecevables en ce qu'elles sont présentées à l'encontre de M. [N], ainsi qu'il découle de l'ordonnance d'incident du 12 octobre 2023.
Le GAEC [Adresse 9] en sera par ailleurs débouté, s'agissant de l'achat de matériel, en ce qu'elles sont présentées à l'encontre de la société Groupama Nord Est dans le cadre de l'exercice d'une action directe, pour les mêmes motifs que ceux développés ci-dessus concernant les demandes initiales.
S'agissant de la réparation et du remplacement du matériel de vidéo surveillance, le GAEC [Adresse 9] ne s'explique en outre pas sur le fait que la facture de réparation et le devis de remplacement sont datés respectivement des mois de novembre et décembre 2023, alors que la société Groupama Nord Est fait valoir sans être contredite qu'elle s'est acquittée des indemnisations mises à sa charge avec exécution provisoire par le jugement dont appel dès le 3 octobre 2022. Il n'y a donc pas lieu de faire droit à cette demande.
Le GAEC [Adresse 9] forme par ailleurs un appel incident en ce qui concerne l'indemnisation de son préjudice de jouissance, sollicitant de ce chef une somme de 60 000 euros (60 mois x 1 000 euros) pour la période allant de 2012 à 2022, outre 6 000 euros par hiver supplémentaire.
C'est néanmoins par une juste appréciation des faits de la cause que le tribunal a fixé le préjudice à la date du jugement à la somme 24 000 euros, outre 2 400 euros par hiver additionnel, sur la base d'une impropriété des locaux à concurrence de 80 %, pendant 60 mois (6 mois par an pendant 10 ans), et d'une valeur locative mensuelle du bâtiment de 500 euros, dont le GAEC ne justifie pas plus à hauteur de cour qu'en première instance en quoi elle serait insuffisante.
Le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef, y compris en ce que la condamnation a été prononcée à l'encontre de la société Groupama Nord Est (in solidum avec M. [N]), dès lors qu'il résulte des dispositions générales de son 'Plan d'assurance de la responsabilité décennale des constructeurs' qu'elle garantit, outre la responsabilité civile décennale encourue par son assuré, les dommages immatériels après réception.
Il convient enfin de juger la société Groupama Nord Est fondée à opposer à M. [N] le montant de sa franchise, les clauses types énumérées à l'article A. 243-1 du code des assurances stipulant que 'l'assuré conserve une partie de la charge du sinistre, selon les modalités fixées aux conditions particulières'.
Sur les frais de procès
Le jugement dont appel mérite confirmation en ce qu'il a statué sur les dépens de première instance et l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Groupama Nord Est, qui succombe en son recours, sera en outre condamnée aux dépens de la procédure d'appel.
Elle sera également condamnée à payer au GAEC [Adresse 9] une somme de 1 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés par ce dernier en cause d'appel.
L'équité commande en revanche de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice des autres parties qui pourraient y prétendre.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions critiquées,
Y ajoutant,
Déclare irrecevables les demandes additionnelles présentées par le GAEC [Adresse 9] à l'encontre de M. [N] au titre de l'indemnisation de son préjudice matériel,
Déboute le GAEC [Adresse 9] de ces mêmes demandes en ce qu'elles sont présentées à l'encontre de la société Groupama Nord Est,
Dit que la société Groupama Nord est fondée à opposer à M. [N] le montant de sa franchise, selon les modalités fixées au contrat d'assurance,
Condamne la société Groupama Nord Est aux dépens de la procédure d'appel, qui pourront être recouvrés par Maître Doret conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile,
Condamne la société Groupama Nord Est à payer au GAEC [Adresse 9] la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés par ce dernier en cause d'appel,
Déboute les autres parties de leurs demandes présentées sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le greffier P/ Le président empêché