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Décisions

CA Paris, Pôle 6 - ch. 6, 15 octobre 2025, n° 21/07667

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 21/07667

15 octobre 2025

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRET DU 15 OCTOBRE 2025

(N°2025/ , 15 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/07667 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEI2Q

Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Juillet 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de FONTAINEBLEAU - RG n° 19/00033

APPELANTE

S.E.L.A.R.L. ARCHIBALD Es qualités de « Mandataire liquidateur » de la « EURL [I] »

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentée par Me Angélique PESCAY, avocat au barreau de FONTAINEBLEAU

INTIMEES

Monsieur [R] [T] (Décédé)

[Adresse 1]

[Localité 7]

Représenté par Me Etienne BATAILLE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0320

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/049957 du 29/11/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)

Association AGS CGEA DE [Localité 11] UNEDIC Délégation AGS CGEA de [Localité 11] Association déclarée, représentée par sa Directrice, dûment habilitée [E] [X],

Elisant domicile, [Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 11]

Représentée par Me Claude-marc BENOIT, avocat au barreau de PARIS, toque : C1953

Monsieur [C] [I]

[Adresse 10]

[Localité 13]

Représenté par Me Fabienne FENART, avocat au barreau D'ESSONNE

S.E.L.A.R.L. SELARL MJC2A

[Adresse 8]

[Localité 9]

Représentée par Me Fabienne FENART, avocat au barreau D'ESSONNE

PARTIES INTERVENANTES VOLONTAIRES

Monsieur [O] [D] [T] ayant droit de Monsieur [T] [R] décédé le 20/02/2024.

[Adresse 5]

[Localité 13]

Représenté par Me Etienne BATAILLE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0320

Madame [B] [W] épouse [T] représentante légale de [L] [T] née le 29/09/2006.- ayant droit de Monsieur [T] [R] décédé le 20/02/2024.

[Adresse 5]

[Localité 13]

Représentée par Me Etienne BATAILLE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0320

Madame [L] [T], ayant droit de Monsieur [T] [R]

décédé le 20/02/2024.

[Adresse 5]

[Localité 13]

Représentée par Me Etienne BATAILLE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0320

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Juillet 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Marie-José BOU, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre et de la formation

Monsieur Didier LE CORRE, Président de chambre

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

Greffier, lors des débats : Mme Gisèle MBOLLO

ARRET :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre et par Gisèle MBOLLO, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Suivant contrat du 1er juillet 2018, M. [C] [I] a donné en location-gérance à l'EURL [I] le fonds artisanal d'entreprise générale du bâtiment qu'il exploitait.

[R] [T] a été engagé par l'EURL [I] à compter du 7 septembre 2015 en qualité d'ouvrier plaquiste.

Par jugement du 16 juillet 2018, le tribunal de commerce de Melun a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de l'EURL [I], laquelle a été convertie en liquidation judiciaire par jugement du 21 janvier 2019 avec désignation de la société Archibald prise en la personne de Me [U] en qualité de liquidateur judiciaire et autorisation du maintien de l'activité jusqu'au 31 janvier 2019.

Par lettre du 23 janvier 2019, la société Archibald a notifié à M. [I] la résiliation du contrat de location gérance avec effet au 31 janvier 2019, indiquant qu'en application des articles L. 1224-1 et suivants du code de commerce, 'le retour de l'entité économique au propriétaire du fonds entraîne le transfert des contrats de travail', dont celui de [R] [T].

S'en sont suivis des échanges entre la société Archibald et M. [I] qui a, par lettre du 30 janvier 2019, prétendu ne pouvoir reprendre l'activité du fonds, refusé le transfert des contrats de travail et demandé au liquidateur de l'EURL [I] de procéder au licenciement des salariés, lequel liquidateur a confirmé la restitution du fonds à M. [I] et le transfert des contrats de travail.

Le 27 mars 2019, [R] [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Fontainebleau d'une requête dirigée contre Me [U] en qualité de mandataire liquidateur de l'EURL [I] et de l'AGS CGEA. Le 27 mai 2019, il a saisi le même conseil de prud'hommes à l'encontre de M. [I] en résiliation de son contrat de travail, indemnités et rappels de salaires. Le 28 janvier 2020, [R] [T] a à nouveau saisi le même conseil contre la société Archibald prise en la personne de Me [U] ès qualités et l'AGS CGEA aux mêmes fins.

Par jugement du 4 janvier 2021, le tribunal de commerce de Melun a ouvert une procédure de redressement judiciaire concernant M. [I], désignant la société MJC2A prise en la personne de Me [N] en qualité de mandataire judiciaire, lequel est intervenu à l'instance.

La jonction des trois procédures a été ordonnée par jugement du 10 mars 2021 qui a ordonné la réouverture des débats à l'audience du 19 mai suivant avec mise en cause notamment de Me [N] ès qualités et de l'AGS CGEA de [Localité 11].

Par jugement du 30 juillet 2021, auquel la cour renvoie pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud'hommes a statué comme suit :

'Fixe la créance de Monsieur [T] au passif de la liquidation de l'EURL [I],

opposable aux AGS CGEA.

Fixe l'ancienneté de Monsieur [R] [T] à de cinq ans et dix mois.

Fixe le salaire mensuel moyen, de Monsieur [R] [T], à 1 844,77 euros.

Constate que la résiliation du contrat de location gérance, conclu entre l'EURL [I] et Monsieur [C] [I], prononcé par Maitre [U], le 22 janvier 2019, à effet du 31 janvier 2019, n'a pu entrainer de retour du fonds de commerce dans le patrimoine du bailleur,Monsieur [C] [I] puisque ledit fonds n'était plus exploitable.

Dit qu'aucun contrat de travail n'a été transféré au profit de Monsieur [C] [I], envertu de l'article L 1224-1 du code du travail.

Dit que les demandes de Monsieur [R] [T] sont dirigées contre Maitre [U], es qualité de liquidateur judiciaire de l'EURL [I].

Dit que la responsabilité de Maitre [U], es qualité, est engagée de par son manquement délibéré de procéder aux licenciements économiques de l'ensembles des salariés de l'EURL [I],

Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de Monsieur [R] [T] aux torts de l'EURL [I], représentée par la SELARL Archibald, es qualité de liquidateur judiciaire, à la date du 30 juillet 2021.

Fixe la créance de Monsieur [R] [T] au passif de la liquidation de l'EURL

[I], opposable aux AGS CGEA, aux sommes suivantes :

11 068,62 euros Au titre des dommages et intérêt pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

3 690,54 euros Au titre d'indemnité compensatrice de préavis.

2 690,28 euros Au titre de l'indemnité légale de licenciement.

55 343,10 euros Au titre des salaires (brut).

5 534,31 euros Au titre d'indemnité de congés payés sur rappel de salaires.

Ordonne la remise des fiches de paie, du certificat de travail et de l'attestation Pôle emploi, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à compter de la décision.

Ordonne la capitalisation de l'intérêt légal.

Condamne Maitre [U], es qualité, au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de dommages et intérêts liés au préjudice subi par Monsieur [R] [T],

Condamne l'EURL [I], représentée par la SELARL ARCHIBALD, es qualité de liquidateur judiciaire, à payer à Monsieur [R] [T], la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du CPC,

Condamne Maitre [U], es qualité, au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de dommages et intérêts liés au préjudice subi par Monsieur [C] [I],

Condamne l'EURL [I], représentée par la SELARL ARCHIBALD, es qualité de liquidateur judiciaire, à payer à Monsieur [C] [I], la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du CPC,

Déboute l'EURL [I] représentée par la SELARL ARCHIBALD de toutes ses demandes reconventionnelles.

Déboute Monsieur [R] [T] du surplus de ses demandes.

Déboute Monsieur [C] [I] du surplus de ses demandes.

Condamne l'EURL [I], représentée par la SELARL ARCHIBALD, es qualité de liquidateur judiciaire, aux entiers dépens.'.

Par déclaration transmise par voie électronique le 30 août 2021, la société Archibald ès qualités a relevé appel de ce jugement dont elle a reçu notification par lettre datée du 2 novembre 2020, l'instance ayant été enregistrée sous le numéro de RG 21/7667.

Par déclaration transmise par voie électronique le 29 août 2021, l'AGS CGEA de [Localité 11] en a également interjeté appel, l'instance ayant été enregistrée sous le numéro de RG 21/7654.

Les deux procédures d'appel ont été jointes par ordonnance du 30 janvier 2024.

Le 27 février 2024, l'ordonnance de clôture a été rendue.

Le 14 mars 2024, le conseil de [R] [T] a notifié le décès de ce dernier survenu le 20 février 2024.

Le 19 mars 2024, l'ordonnance de clôture a été révoquée et l'affaire renvoyée à la mise en état.

Par conclusions transmises par voie électronique le 16 août 2024, M. [O] [T] et Mme [B] [W] épouse [T], en qualité de représentante légale de [L] [T], sont intervenus à l'instance en qualité d'ayants droit de [R] [T] selon acte de notoriété du 4 avril 2024.

Par conclusions transmises par voie électronique le 21 janvier 2025, Mme [L] [T], devenue majeure, est elle-même intervenue à l'instance.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 27 novembre 2024 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, l'EURL [I] représentée par la société Archibald en sa qualité de liquidateur judiciaire demande à la cour de :

'RECEVOIR l'EURL [I], représentée par la SELARL ARCHIBALD, ès qualité de liquidateur judicaire, en son appel et y faisant droit,

INFIRMER le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de Fontainebleau le 30/07/21 en toutes ses dispositions,

CONSTATER l'incompétence du conseil de prud'hommes pour connaître des demandes dirigées contre Me [U],

Statuant sur le fond concernant ces demandes,

DECLARER irrecevables les demandes dirigées contre Me [U] à titre personnel ou encore contre la SELARL ARCHIBALD, faute de mise en cause,

A défaut, DEBOUTER Monsieur [I] et les héritiers de Monsieur [T] de leur demande de dommages et intérêts en l'absence de démonstration d'une faute commise par la SELARL ARCHIBALD ou Me [U],

A titre principal, en cas de transfert du contrat,

CONSTATER le transfert du contrat de travail de Monsieur [T] à Monsieur [I] à la date du 01/02/19,

En conséquence,

METTRE hors de cause l'EURL [I],

DEBOUTER Monsieur [I] représenté par la SELARL MJC2A de l'ensemble de ses demandes,

DEBOUTER les héritiers de Monsieur [T] de l'ensemble de leurs demandes,

CONDAMNER les héritiers de Monsieur [T] à régler à l'EURL [I] la somme de 1.500,00 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

FIXER au passif de Monsieur [I] représentée par la SELARL MJC2A la somme de 1.500,00 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNER les héritiers de Monsieur [T] et Monsieur [I] aux entiers dépens.

A titre subsidiaire, en cas d'absence de transfert du contrat

FIXER la date d'effet de la résiliation judiciaire au 31/01/19,

FIXER le salaire de référence de Monsieur [T] à 1.668,37 €,

FIXER l'ancienneté de Monsieur [T] à 3 ans et 4 mois,

FIXER au passif de la liquidation de l'EURL [I] les sommes suivantes :

- indemnité légale de licenciement : 1.388,92 €

- indemnité de préavis : 3.336,74 €

- dommages et intérêts pour licenciement abusif : 1.668,37 €

DEBOUTER les héritiers de Monsieur [T] de leurs autres demandes,

DEBOUTER Monsieur [I] représenté par la SELARL MJC2A de l'ensemble de ses demandes,

STATUER ce que de droit quant aux dépens'.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 25 mars 2025 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, l'AGS CGEA de [Localité 11] demande à la cour de :

'En absence de retour des contrats au propriétaire du fond,

Confirmer le jugement en ce qu'il a fixé la date de résiliation judiciaire au 30 juillet 2021,

Réformer le jugement entrepris

Vu l'article L 3253-8, 2 c) du code du travail,

Exclure la garantie de l'AGS sur les indemnités de rupture,

Vu l'article L 3253-8 5 du code du travail,

Limiter l'intervention de l'AGS à 45 jours de salaire durant la période d'observation,

En présence d'un transfert du contrat de travail au propriétaire du fonds

Réformer le jugement entrepris,

Débouter le salarié de ses demandes salariales

Dans tous les cas,

Rendre opposable à l'AGS dans les limites et plafonds de sa garantie, toutes créances brutes confondues, déduction faite des créances déjà versées,

Exclure de l'opposabilité à l'AGS la créance éventuellement fixée au titre de l'article 700 du CPC,

Vu l'article L 621-48 du code de commerce,

- Rejeter la demande d'intérêts légaux,

- Dire ce que de droit quant aux dépens sans qu'ils puissent être mis à la charge de l'AGS.'

Aux termes de leurs conclusions notifiées par voie électronique le 21 janvier 2025 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, M. [O] [T] et Mme [L] [T], ci-après les consorts [T], demandent à la cour de :

'A TITRE LIMINAIRE :

DIRE l'intervention volontaire de Madame [L] [T] et Monsieur [O] [T] ès qualités d'héritiers de Monsieur [R] [T], recevable et bien fondée,

AU FOND :

A TITRE PRINCIPAL :

CONFIRMER le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

En conséquence,

CONFIRMER la résiliation judiciaire du contrat de travail de Monsieur [T] aux torts de l'EURL [I], représentée par la SELARL ARCHIBALD ès qualités de liquidateur judiciaire, à la date du 30 juillet 2021,

FIXER la créance de Madame [L] [T] et Monsieur [O] [T] es qualité d'héritiers de Monsieur [R] [T], au passif de la liquidation de l'EURL [I] opposable aux AGS CGEA aux sommes suivantes :

- 11.068,62 euros au titre des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 3.689,54 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 2.690,28 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

- 55.343,10 euros au titre des salaires

- 5.534,31 euros au titre des congés payés sur rappel de salaires.

CONDAMNER Me [U] ès qualités au paiement de la somme de 5.000 euros au titre des dommages-intérêts liés au préjudice moral subi par Monsieur [T]

CONDAMNER l'EURL [I], représentée par la SELARL ARCHIBALD, ès qualité de liquidateur judiciaire, à payer à Madame [L] [T] et Monsieur [O] [T] ès qualités d'héritiers de Monsieur [R] [T], la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

A TITRE SUBSIDIAIRE :

PRONONCER la résiliation judiciaire du contrat de travail de Monsieur [T] aux torts de Monsieur [C] [I] représenté par la SELARL MJC2A ès qualité de mandataire judiciaire, à la date du 30 juillet 2021,

FIXER la créance de Madame [L] [T] et Monsieur [O] [T] ès qualités d'héritiers de Monsieur [R] [T] au passif du redressement de Monsieur [C] [I] représenté par la SELARL MJC2A ès qualité de mandataire judiciaire opposable aux AGS CGEA aux sommes suivantes :

- 11.068,62 euros au titre des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 3.689,54 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 2.690,28 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

- 55.343,10 euros au titre des salaires

- 5.534,31 euros au titre des congés payés sur rappel de salaires,

- 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile

- 5.000 euros à titre de dommages-intérêts liés au préjudice moral subi par Monsieur [T].

En tout état de cause,

FIXER au passif de la liquidation de l'EURL [I] représentée par la SELARL ARCHIBALD ès qualités de liquidateur judiciaire ou subsidiairement au passif du redressement de Monsieur [C] [I] représenté par la SELARL MJC2A ès qualité de mandataire judiciaire à la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique,

CONDAMNER l'EURL [I] représentée par la SELARL ARCHIBALD ès qualités de liquidateur judiciaire ou subsidiairement Monsieur [C] [I] représenté par la SELARL MJC2A ès qualité de mandataire judiciaire aux entiers dépens.'

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 2 juin 2025 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société MJC2A en qualité de mandataire judiciaire de M. [I] et ce dernier demandent à la cour de :

'A TITRE PRINCIPAL,

- CONFIRMER le jugement du Conseil de prud'hommes de FONTAINEBLEAU du 30 juillet 2021 en ce qu'il a :

'Fixe la créance de Monsieur [T] au passif de la liquidation de l'EURL [I], opposable aux AGS CGEA.

Fixe l'ancienneté de Monsieur [R] [T] à de cinq ans et dix mois.

Fixe le salaire mensuel moyen, de Monsieur [R] [T], à 1 844,77 euros.

Constate que la résiliation du contrat de location gérance, conclu entre l'EURL [I] et Monsieur [C] [I], prononcé par Maitre [U], le 22 janvier 2019, à effet du 31 janvier 2019, n'a pu entrainer de retour du fonds de commerce dans le patrimoine du bailleur,Monsieur [C] [I] puisque ledit fonds n'était plus exploitable.

Dit qu'aucun contrat de travail n'a été transféré au profit de Monsieur [C] [I], envertu de l'article L 1224-1 du code du travail.

Dit que les demandes de Monsieur [R] [T] sont dirigées contre Maitre [U], es qualité de liquidateur judiciaire de l'EURL [I].

Dit que la responsabilité de Maitre [U], es qualité, est engagée de par son manquement délibéré de procéder aux licenciements économiques de l'ensembles des salariés de l'EURL [I],

Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de Monsieur [R] [T] aux torts de l'EURL [I], représentée par la SELARL Archibald, es qualité de liquidateur judiciaire, à la date du 30 juillet 2021.

Fixe la créance de Monsieur [R] [T] au passif de la liquidation de l'EURL [I], opposable aux AGS CGEA, aux sommes suivantes :

11 068,62 euros Au titre des dommages et intérêt pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

3 690,54 euros Au titre d'indemnité compensatrice de préavis.

2 690,28euros Au titre de l'indemnité légale de licenciement.

55 343,10 euros Au titre des salaires (brut).

5 534,31 euros Au titre d'indemnité de congés payés sur rappel de salaires.

Ordonne la remise des fiches de paie, du certificat de travail et de l'attestation Pôle emploi, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à compter de la décision.

Ordonne la capitalisation de l'intérêt légal.

Condamne Maitre [U], ès qualités, au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de dommages et intérêts liés au préjudice subi par Monsieur [R] [T],

Condamne l'EURL [I], représentée par la SELARL ARCHIBALD, es qualité de liquidateur judiciaire, à payer à Monsieur [R] [T], la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du CPC,

Condamne Maitre [U], es qualité, au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de dommages et intérêts liés au préjudice subi par Monsieur [C] [I],

Condamne l'EURL [I], représentée par la SELARL ARCHIBALD, es qualité de liquidateur judiciaire, à payer à Monsieur [C] [I], la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du CPC,

Déboute l'EURL [I] représentée par la SELARL ARCHIBALD de toutes ses demandes reconventionnelles.

Débouté Monsieur [R] [T] du surplus de ses demandes.

Déboute Monsieur [C] [I] du surplus de ses demandes.

Condamné l'EURL [I], représentée par la SELARL ARCHIBALD, es qualité de liquidateur judiciaire, aux entiers dépens.

INFIRMER le jugement du Conseil de prud'hommes de FONTAINEBLEAU du 30 juillet 2021 en ce qu'il a :

REJETE la demande de jonction de l'ensemble des procédures ;

A TITRE SUBSIDIAIRE,

FIXER au passif de la procédure de redressement judiciaire de Monsieur MarcelALCOLEA les sommes de 1.537,30 euros à titre d'indemnité légale de licenciement et de 3.689,40 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis qui pourraient être dues ;

FIXER au passif de la procédure de redressement judiciaire de Monsieur [C] [I] un montant cumulé de dommages-intérêts qui ne saurait excéder 1.844,77 euros et ce en vertu de l'article L.1235-3 du Code du travail dans une entreprise de moins de 11 salaries pour une ancienneté de 3 ans et 4 mois;

FIXER au passif de la procédure de redressement judiciaire de Monsieur [C] [I] un montant de rappel de salaires de 6.887,14 euros bruts correspondant à la période du 1er février 2019 à la date du 22 mai 2019 ;

DEBOUTER les autres demandes injustifiées des ayants droit de Monsieur [R] [T] ;

En tout etat de cause,

CONDAMNER la societe ARCHIBALD au paiement de la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile à hauteur d'appel ainsi qu'aux entiers dépens.'.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 3 juin 2025.

L'audience prévue le 23 juin 2025 n'ayant pu se tenir en raison d'une panne électrique générale, l'affaire a été renvoyée à l'audience du 7 juillet 2025.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l'intervention volontaire de M. [O] [T] et de Mme [L] [T]

L'intervention volontaire de M. et Mme [T], qui sont les ayants droit de [R] [T] décédé en cours d'instance, doit être déclarée recevable.

Sur la jonction des procédures

M. [I] et la société MJC2A ès qualités sollicitent l'infirmation du jugement en ce qu'il a rejeté la demande de jonction 'de l'ensemble des procédures' mais ne demandent pas de jonction dans le dispositif de leurs écritures. En toute hypothèse, une telle jonction est sans objet, les procédures concernant d'autres salariés qui étaient pendantes devant la présente cour ayant d'ores et déjà été jugées.

Sur l'incompétence et l'irrecevabilité soulevées

La société Archibald ès qualités fait valoir que le conseil de prud'hommes, qui n'a pas statué précisément sur cette exception soulevée devant lui, était incompétent pour connaître de la responsabilité du liquidateur judiciaire relevant de la compétence exclusive du tribunal judiciaire. Néanmoins elle admet qu'en vertu de l'article 90 du code de procédure civile, la cour doit statuer mais soutient que les demandes sont irrecevables en ce que Me [U] n'est pas le liquidateur de l'EURL [I] et que ni Mme [U], ni la société Archibald ne sont dans la cause à titre personnel.

Ni les consorts [T], ni M. [I] et la société MJC2A ès qualités ne répondent sur l'exception d'incompétence et l'irrecevabilité ainsi soulevées.

Il résulte du jugement que la société Archibald ès qualités a soulevé devant le conseil de prud'hommes l'incompétence de cette juridiction pour statuer sur la responsabilité du liquidateur au profit du tribunal judiciaire de Fontainebleau et que le conseil de prud'hommes n'a pas examiné, ni tranché cette exception d'incompétence. Il s'agit d'une omission de statuer mais qui est sans objet devant la cour dès lors que celle-ci a la plénitude de juridiction en matière civile, commerciale et sociale et qu'elle est territorialement la juridiction d'appel relativement à la juridiction prétendument compétente.

Aux termes de l'article 14 du code de procédure civile, nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée.

L'article 32 du même code prévoit qu'est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir.

L'article 122 du même code dispose que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

En l'espèce, il résulte du jugement et des conclusions des consorts [T] ainsi que de celles de M. [I] et de la société MJC2A ès qualités que la responsabilité de Mme [U] est mise en cause dans la mesure où elle aurait manqué à ses obligations de mandataire liquidateur faute d'avoir procédé au licenciement des salariés de l'EURL [I], ce qui aurait causé un préjudice tant à ces derniers qu'à M. [I].

Si les premiers juges ont dit que 'la responsabilité de Maitre [U], ès qualités, est engagée', condamnant 'Maitre [U], ès qualités' au paiement de sommes à titre de dommages-intérêts en faveur de [R] [T] d'une part et de M. [I] d'autre part, et si M. [I] et les consorts [T] sollicitent la confirmation de ces chefs, il apparaît que c'est la responsabilité civile du liquidateur qui est recherchée, laquelle, si les conditions de celle-ci sont réunies, oblige le liquidateur à titre personnel et non en qualité de représentant du débiteur en liquidation judiciaire à indemniser le ou les préjudices causés.

Or, en l'espèce, tant en première instance qu'en appel, la société Archibald et Mme [U] ne sont parties au litige qu'en la qualité de mandataire liquidateur de l'EURL [I] et non en leur nom propre.

Ainsi, la société Archibald, prise en la personne de Me [U], en qualité de liquidateur de l'EURL [I] n'a pas qualité à défendre contre l'action en responsabilité civile exercée à raison des manquements professionnels qui auraient été commis par le liquidateur. En conséquence, les demandes visant à juger que la responsabilité de Mme [U] est engagée et de condamnation en dommages-intérêts formées contre 'Maitre [U] ès qualités' sont irrecevables, le jugement étant infirmé en ce sens.

Sur l'existence d'un transfert du contrat de travail

La société Archibald ès qualités soutient que le contrat de travail de [R] [T] a été transféré à M. [I] en application de l'article L. 1224-1 du code du travail à la suite de la résiliation du contrat de location-gérance. Elle fait valoir qu'il appartient au propriétaire du fonds qui s'oppose à la restitution de démontrer que celui-ci est en ruine et inexploitable et que le fonds était en l'occurrence toujours exploitable au 31 janvier 2019.

Les consorts [T] reprennent à leur compte la motivation du jugement. M. [I] et la société MJC2A ès qualités soutiennent que le fonds a été vidé de sa substance, faute de transmission des stocks, de l'ensemble des véhicules, du matériel informatique, du bail commercial et en l'absence de toute commande ou marché en cours, invoquant en outre les graves difficultés rencontrées par l'EURL [I]. L'AGS fait valoir que les éléments corporels et incorporels permettant la poursuite d'une activité économique autonome font défaut.

L'article L.1224-1 du code du travail dispose :

Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvelemployeur et le personnel de l'entreprise.

Ce texte s'applique en cas de transfert d'une entité économique autonome, constituée par un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels poursuivant un objectif économique propre, qui conserve son identité et dont l'activité est poursuivie.

Il est de principe qu'à la fin d'un contrat de location-gérance, et notamment en cas de résiliation de celui-ci, le fonds de commerce, auquel est assimilé le fonds artisanal, retourne à son bailleur et les contrats de travail attachés à ce fonds sont alors de plein droit transférés au bailleur. Ce n'est que lorsque le fonds donné en location-gérance est en ruine et n'est plus exploitable que le transfert des contrats de travail n'opère pas. Lorsque le contrat de location-gérance a été résilié, entraînant le retour du fonds au bailleur, c'est au jour de cette restitution que s'apprécie le caractère exploitable du fonds, lequel relève de l'appréciation souveraine des juges du fond. C'est au bailleur ou propriétaire du fonds qu'il appartient de rapporter la preuve que le fonds n'est plus exploitable ou est en ruine. En outre, le fait que le locataire-gérant soit mis en liquidation judiciaire ou cesse son activité n'est pas suffisant pour faire obstacle au retour du fonds au bailleur et au transfert de l'entité économique.

En l'espèce, selon les éléments versés aux débats, M. [I], qui était le propriétaire du fonds artisanal de maçonnerie, avait d'abord donné à bail ce fonds à la SARL [I], laquelle a été placée en liquidation judiciaire en 2008. Après le retour du fonds à M. [I] et le transfert des salariés de la SARL à celui-ci, M. [I] a créé le 1er août 2008 l'EURL [I] dont il était l'unique gérant.

M. [I] et son mandataire judiciaire font valoir que M. [I] n'avait aucun droit ni titre pour occuper les locaux nécessaires à l'exploitation du fonds car l'acte de renouvellement du bail commercial avait été consenti par les consorts [Y] à l'EURL [I].

Toutefois, le contrat du 1er juillet 2008 par lequel M. [I] a donné le fonds en location-gérance à l'EURL [I] prévoyait en son article 3 l'exploitation par celle-ci du fonds dans les locaux dont M. [I] avait la jouissance en vertu du bail qu'il avait conclu avec les consorts [Y] le 26 avril 1999 pour les locaux situés [Adresse 4]. Il en résulte que ces locaux avaient été utilisés pour l'exploitation du fonds bien avant la création de l'EURL [I] et avaient notamment été utilisés par la précédente société de M. [I] ainsi qu'après le retour du fonds et la poursuite de son exploitation par celui-ci consécutivement à la liquidation judiciaire de la SARL [I] en 2008. Outre que le renouvellement du bail pour ces locaux ne pouvait valablement intervenir entre les consorts [Y] et l'EURL [I] puisque celle-ci n'était pas le titulaire initial du bail commercial, il n'est pas démontré qu'à la date de la résiliation du contrat de location-gérance les locaux avaient été immédiatement reloués par les consorts [Y] à une société tierce, de sorte que le propriétaire du fonds artisanal, à savoir M. [I], qui avait signé tant le bail initial sous son nom propre que son renouvellement en tant que gérant, pouvait demander aux consorts [Y], dont il avait été l'interlocuteur sous ses différentes qualités depuis 1999, la poursuite de l'exploitation du fonds artisanal dans les locaux.

En ce qui concerne le fait invoqué par M. [I] que les locaux en cause ne disposaient pas de l'électricité ni de la téléphonie, il ressort des pièces produites que c'est M.[I] lui-même en sa qualité de gérant de la société [I], et non le liquidateur de celle-ci, qui a demandé par lettres du 20 février 2019 la résiliation à EDF du contrat d'électricité et à Orange de l'abonnement téléphonique, de sorte qu'il pouvait lui-même sous son autre qualité juridique demander à EDF et Orange le rétablissement ultérieur d'abonnements. De surcroît, cette résiliation des abonnements ayant été faite le 20 février 2019, les locaux étaient exploitables et encore pourvus d'électricité et du téléphone quand le liquidateur de la société [I] a notifié le 23 janvier 2019 à M. [I], propriétaire du fonds, la résiliation du contrat de location-gérance dudit fonds, avec effet au 31 janvier 2019, date de la restitution du fonds. En outre, il ressort de la lettre adressée le 20 février 2019 à EDF par M. [I] que celui-ci, dans la mesure où il demandait la venue d'un technicien, disposait encore à cette date de la clé des locaux de l'EURL [I], le liquidateur précisant que cette clé n'a été restituée qu'en septembre 2019 par M. [I] sans que celui-ci ne démontre avoir rendu avant cette date la clé des locaux situés [Adresse 4].

M. [I], qui indique lui-même en page 12 de ses conclusions que selon certains salariés le sort des locaux en cause était indifférent, ne rapporte pas la preuve que les locaux en cause étaient nécessaires à l'exploitation du fonds artisanal, et ce d'autant, d'une part, qu'une partie des actifs et du matériel étaient situés sur un site appartenant personnellement à M. [I] selon l'état descriptif des actifs réalisé par le commissaire-priseur et d'autre part, que peu de temps après la liquidation judiciaire de l'EURL [I], M. [I] a continué en février 2019 une activité dans le domaine de la maçonnerie sous une nouvelle forme juridique et que ses déclarations à l'URSSAF mentionnent une domiciliation du nouvel établissement à son adresse personnelle dans la même ville de [Localité 13].

En ce qui concerne le matériel et le mobilier de l'EURL [I], M. [I] et son mandataire exposent que l'intégralité du matériel, des stocks et des véhicules a été listé dans l'inventaire du commissaire-priseur et que seuls certains éléments corporels tels que du petit outillage lui appartenaient et ont été conservés par lui mais sans permettre la poursuite d'exploitation du fonds, le reste ayant été vendu aux enchères le 4 septembre 2018 en présence notamment de M. [I].

Toutefois, au contrat par lequel M. [I] avait donné son fonds artisanal en location-gérance à l'EURL [I] le 1er juillet 2008 était annexée une très longue liste des éléments corporels dépendant de ce fonds. L'inventaire dressé le 26 juillet 2018 par le commissaire-priseur des actifs de l'EURL [I], en présence de M. [I], ne comporte que 18 éléments hors stock de matériaux et véhicules et dont 7 de ces éléments correspondent à du mobilier ou matériel informatique. Le commissaire-priseur a précisé sur son état descriptif que selon les dires de M. [I] « L'ensemble du matériel non inventorié et situé sur le site appartient à M. [I] ».

Cependant, M. [I] n'explique pas la disparition d'un nombre très important d'éléments corporels qui figuraient sur l'annexe du 1er juillet 2008 comme dépendant du fonds artisanal, et il ne justifie ni de ce qu'il était le propriétaire légitime de tous les éléments manquants ni de ce que les 18 éléments inventoriés le 26 juillet 2018 n'avaient pas suffi après fin juillet 2018 à la poursuite, avérée, de l'exploitation du fonds artisanal par l'EURL [I] employant encore sept salariés début 2019. M. [I], qui gardait de nombreux éléments corporels qui avaient été utilisés par l'EURL [I] pour l'exploitation du fonds artisanal en application du contrat de location-gérance, n'établit pas que ces éléments attachés au fonds artisanal lui appartenaient personnellement avant même la liquidation judiciaire de l'EURL [I].

S'agissant de la clientèle et des marchés en cours à la date de la liquidation judiciaire, M. [I] et son mandataire judiciaire exposent qu'un seul chantier de l'EURL[I] pouvait être repris, celui de la commune d'[Localité 12], mais qu'il avait été conclu intuitu personae avec la commune et qu'aucune activité ne pouvait être finalement confiée aux salariés après la liquidation judiciaire.

Toutefois, dans un courriel adressé au liquidateur de la société [I] le 25 janvier 2019, l'adjoint au maire de la commune d'[Localité 12] écrivait que M. [I] lui avait indiqué au téléphone le 23 janvier ne pas être autorisé à «poursuivre ses chantiers», l'adjoint au maire décrivant ensuite les travaux restant à réaliser sur le chantier de la commune « sans que cela soit une liste exhaustive », précisant que « L'avancement des règlements est d'environ 94% sur un marché de 276 8902 € TTC », et ajoutant être « Dans l'attente de l'établissement d'un constat d'avancement dans les meilleurs délais ». Il en résulte que la commune souhaitait que les travaux soient continués, avec le paiement par celle-ci du solde des règlements, et ne demandait pas la rupture des relations avec M. [I] et avec le fonds artisanal qui avait jusqu'au 23 janvier 2019 mené les travaux, en sorte que ce chantier pouvait être terminé après le retour du fonds à M. [I], lequel était l'interlocuteur physique de la commune depuis le début du chantier et son obtention.

Il ressort aussi des éléments produits que M. [I], qui ne travaillait avant la liquidation judiciaire de l'EURL [I] que dans le cadre de celle-ci, a créé dès février 2019 une nouvelle structure juridique dans le même secteur d'activité que l'EURL [I]. Cette nouvelle structure a permis immédiatement de générer du chiffre d'affaires, ce qui confirme que des chantiers, qui ne pouvaient plus être assurés par l'EURL [I] à la suite de la demande de placement en liquidation judiciaire de celle-ci faite par M. [I], ont été repris par la nouvelle structure constituée par ce dernier.

Enfin, concernant la situation financière de l'EURL [I], M. [I] et son mandataire exposent que les difficultés rencontrées par l'EURL rendaient impossible la poursuite de l'exploitation du fonds.

Cependant, la liquidation judiciaire d'une société exploitant en location-gérance un fonds de commerce ou artisanal ne fait pas disparaître celui-ci et la circonstance que le locataire-gérant soit mis en liquidation judiciaire n'est pas suffisante pour faire obstacle au retour du fonds au bailleur. De plus, comme le fait valoir à juste titre le liquidateur de l'EURL [I], le retour du fonds au bailleur après la liquidation judiciaire du locataire-gérant n'entraîne pas le transfert au bailleur du passif de la société placée en liquidation judiciaire hormis pour la partie du passif correspondant à des dettes liées aux contrats de travail. Or de telles dettes n'existent pas en l'espèce.

Il résulte de tous ces éléments qu'à la date d'effet de la résiliation du contrat de location-gérance, le 31 janvier 2019, en application duquel l'EURL [I] exploitait le fonds artisanal de maçonnerie et de travaux du bâtiment qui lui avait été confié par M. [I], l'EURL disposait d'éléments corporels et incorporels permettant la poursuite de l'exploitation d'une activité de maçonnerie et de travaux du bâtiment. La cour constate que M. [I] ne rapporte pas la preuve de la ruine à cette date du fonds artisanal qu'il avait donné en location-gérance à l'EURL [I]. Dès lors, le fonds artisanal, toujours exploitable, et constituant une entité économique autonome, est bien retourné le 31 janvier 2019 à M. [I] qui était son propriétaire-bailleur, de sorte que les contrats de travail en cours des salariés de l'EURL [I] lui ont ensuite été transférés de plein droit.

En conséquence, la cour constate le transfert légal du contrat de travail de [R] [T] le 1er février 2019 à M. [I]. Le jugement, en ce qu'il a dit que le fonds n'était plus exploitable et que le contrat de travail n'avait pas été transféré à M. [I], est infirmé.

Sur la résiliation du contrat de travail

Un salarié peut demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de manquements de son employeur à ses obligations, suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail. C'est au salarié qui sollicite la résiliation judiciaire du contrat de travail qu'il incombe de rapporter la preuve que l'employeur a commis des manquements suffisamment graves à ses obligations de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail.

En l'espèce, les consorts [T] invoquent et justifient qu'à la suite de la résiliation du contrat de location-gérance, M. [I] n'a pas fourni à [R] [T] de prestation de travail ni versé de salaire malgré le transfert à celui-ci de son contrat de travail. La cour constate ainsi l'existence de manquements suffisamment graves de M. [I] à ses obligations contractuelles pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail de [R] [T].

Il convient donc, par infirmation du jugement, de prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de M. [I], cette résiliation produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le refus exprès qui avait été opposé par M. [I] au transfert du contrat de travail constitue une rupture de fait de ce contrat, en sorte que la résiliation judiciaire est prononcée à la date du 1er février 2019, n'étant pas justifié que le salarié soit resté au service de M. [I] après cette date.

En outre, dès lors que la résiliation judiciaire est prononcée aux torts de M. [I], les dispositions du jugement portant fixation de la créance de [R] [T] au passif de la liquidation judiciaire de l'EURL [I] sont infirmées.

Sur le rappel de salaire et les congés payés afférents

Cette demande concerne les salaires dus depuis le 1er février 2019. Elle doit être rejetée puisqu'elle porte sur une période postérieure à la date retenue pour la rupture du contrat de travail. Il en est de même des congés payés afférents.

Sur les conséquences financières de la rupture

La résiliation judiciaire prononcée produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié peut prétendre à une indemnité compensatrice de préavis.

En application de l'article L.1234-1 du code du travail, le salarié ayant une ancienneté d'au moins deux ans a droit à un préavis de deux mois.

En l'état des documents produits, il est retenu un salaire mensuel moyen de 1 844,77 euros bruts pour le salarié. L'indemnité compensatrice de préavis est égale à la rémunération totale qui aurait été perçue si le salarié avait accompli son préavis. Il convient de fixer au passif de M. [I] la créance de Mme [L] [T] et de M. [O] [T] en leur qualité d'héritiers de [R] [T] à la somme de 3 689,54 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis.

Aux termes de l'article L.1234-9 du code du travail, le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu'il compte 8 mois d'ancienneté ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.

L'article R.1234-2 du même code dispose que l'indemnité de licenciement ne peut être inférieure aux montants suivants :

1° Un quart de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années jusqu'à dix ans;

2° Un tiers de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années à partir de dix ans.

Eu égard à l'ancienneté de [R] [T], durée du préavis inclus, il convient de fixer au passif de M. [I] la créance à titre d'indemnité légale de licenciement à la somme de 1 614,17euros.

Les dispositions de l'article L.1253-3 du contrat de travail, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 applicable au litige, prévoient l'octroi au salarié, dans les entreprises de moins de 11 salariés, d'une indemnité à la charge de l'employeur dont le montant est compris entre un minimum et un maximum de mois de salaire brut selon l'ancienneté du salarié dans l'entreprise, celle-ci n'étant calculée que sur le fondement d'années complètes.

[R] [T] avait une ancienneté de 3 années complètes lors de la résiliation du contrat de travail. Le montant minimal de l'indemnité est d'un mois de salaire brut et le montant maximal est de quatre mois de salaire brut.

En considération des circonstances de la rupture ainsi que de la situation particulière du salarié tenant notamment à son âge et à sa capacité à retrouver un emploi, il convient de fixer au passif de M. [I] la créance à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 7 000 euros.

Sur les dommages-intérêts pour préjudice moral

Le salarié justifiant, en raison des circonstances vexatoires ou brutales de la rupture de son contrat de travail, d'un préjudice distinct de la rupture elle-même, peut obtenir des dommages et intérêts en réparation de ce préjudice.

En l'espèce, [R] [T] a dû quitter du jour au lendemain son poste de travail, et ce à la demande de M. [I], ce qui caractérise des circonstances d'autant plus brutales de la rupture que M. [I] avait été à l'initiative de la liquidation judiciaire de l'EURL [I]. En considération des éléments versés aux débats, le préjudice caractérisé par cette éviction de [R] [T] est évalué à la somme de 1 000 euros, ladite somme étant fixée au passif de M. [I] à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral distinct.

Sur les autres demandes

Le présent arrêt est déclaré commun à l'AGS et les sommes allouées seront garanties par cet organisme dans les conditions légales et les limites du plafond qui sont applicables à la date de la rupture, étant précisé que ni les sommes allouées en application de l'article 700 du code de procédure civile ni les dépens ne sont garantis par ledit organisme.

Les créances du salarié trouvent leur origine dans la rupture de son contrat de travail, laquelle est antérieure au jugement d'ouverture de la procédure collective de M. [I], de sorte que s'appliquent en l'espèce les dispositions des articles L.622-28 et L.641-3 du code de commerce selon lesquelles le jugement d'ouverture de la procédure collective arrête le cours des intérêts légaux et conventionnels ainsi que de tous les intérêts de retard et majorations.

Le redressement judiciaire de M. [I] succombant, la société MJC2A, ès qualités de mandataire judiciaire, est condamnée aux dépens de première instance et d'appel. Il est équitable de fixer au passif du redressement judiciaire de M. [I] la créance de l'avocat des consorts [T] à la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 pour la procédure d'appel. Les autres demandes au titre des frais irrépétibles sont rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe :

Déclare recevable l'intervention volontaire de M. [O] [T] et de Mme [L] [T] en leur qualité d'héritiers de [R] [T] ;

Infirme le jugement en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau et ajoutant :

Déclare irrecevables les demandes visant à juger que la responsabilité de Mme [U] est engagée ainsi que les demandes de condamnation en dommages-intérêts formées contre 'Maitre [U] ès qualités' ;

Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de [R] [T] aux torts de M. [I] à la date du 1er février 2019 et dit qu'elle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Fixe au passif du redressement judiciaire de M. [I] les créances de Mme [L] [T] et de M. [O] [T] en leur qualité d'héritiers de [R] [T] aux sommes de :

- 3 689,54 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 1 614,17euros à titre d'indemnité légale de licenciement

- 7 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral distinct ;

Dit que le jugement d'ouverture de la procédure collective de M. [I] a arrêté le cours des intérêts légaux et conventionnels ainsi que de tous les intérêts de retard et majorations;

Déclare le présent arrêt commun à l'UNEDIC délégation AGS CGEA de [Localité 11] qui sera tenu de garantir les sommes allouées à Mme [L] [T] et à M. [O] [T] en leur qualité d'héritiers de [R] [T] dans les conditions légales et les limites du plafond applicable à la date de la rupture ;

Fixe au passif du redressement judiciaire de M. [I] la créance de l'avocat de Mme [L] [T] et de M. [O] [T] à la somme de 3 000 euros au titre de l'article 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 pour la procédure d'appel ;

Rejette toute autre demande ;

Condamne la société MJC2A en sa qualité de mandataire judiciaire du redressement judiciaire de M. [I] aux dépens de première instance et d'appel.

La Greffière La Présidente

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