CA Aix-en-Provence, ch. 1-8, 15 octobre 2025, n° 23/13971
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-8
ARRÊT AU FOND
DU 15 OCTOBRE 2025
N° 2025 / 251
N° RG 23/13971
N° Portalis DBVB-V-B7H-BMERY
A.S.L. LES COLLINES D'ANTIBES
C/
S.A.S. ANTOINETTE LUISI-BERKESSE ETCHRISTOPHE MONNIER
Communauté d'Agglomération Sophia Antipolis
(C.A.S.A.)
Copie exécutoire délivrée le :
à :
Me Nathalie MOONS
Me Paul GUEDJ
Me Benoît BROGINI
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal Judiciaire de GRASSE en date du 17 Octobre 2023 enregistrée au répertoire général sous le n° 20/01539.
APPELANTE
A.S.L. LES COLLINES D'ANTIBES
représenté par son président en exercice M. [L], demeurant es-qualité [Adresse 1] [Localité 4]
représentée par Me Nathalie MOONS, avocat au barreau de GRASSE
INTIMÉES
S.A.S. ANTOINETTE LUISI-BERKESSE ETCHRISTOPHE MONNIER
Notaires associés, anciennement Antoinette LUISI-BERKESSE, poursuites et diligences de son représentant légal en exercice domicilié ès qualité au siège social sis [Adresse 2] [Localité 8],
représentée par Me Paul GUEDJ, membre de la SCP COHEN GUEDJ - MONTERO - DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Hélène BERLINER, membre de la SCP D'AVOCATS BERLINER-DUTERTRE, avocat au barreau de NICE,
Communauté d'Agglomération Sophia Antipolis - C.A.S.A.
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège sis [Adresse 6] [Localité 4]
représentée par Me Benoît BROGINI, membre de la SELARL BROGINI & GRECH AVOCATS, avocat au barreau de NICE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 01 Septembre 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Paul PATRIARCHE, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Pierre LAROQUE, Président
Madame Céline ROBIN-KARRER, Conseillère
Monsieur Jean-Paul PATRIARCHE, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Maria FREDON.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 15 Octobre 2025.
ARRÊT
Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 15 Octobre 2025, signé par Monsieur Pierre LAROQUE, Président et Madame Maria FREDON, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE ANTÉRIEURE
Suivant acte reçu le 5 septembre 2017 par Maître [P] [D], notaire associé à [Localité 8], la Communauté d'Agglomération Sophia Antipolis (ci-après la C.A.S.A) a acquis par préemption le lot n° 63 d'une copropriété horizontale dénommée [Adresse 7], sise [Adresse 5] à [Localité 4], consistant en un hébergement hôtelier comprenant un bâtiment d'un étage sur rez-de-chaussée, le droit de jouissance d'un terrain attenant et des parkings extérieurs, outre les 1.433/11433 èmes indivis du sol.
Le périmètre de cette copropriété est inclus dans celui de l'Association Syndicale Libre dénommée Les Collines d'Antibes.
Par courrier daté du 23 octobre 2017, Maître [D] a informé le Cabinet [M], exerçant à la fois les fonctions de syndic de la copropriété et de gestionnaire de l'ASL, de l'intention de la C.A.S.A de se retirer de ces deux entités.
Suivant acte reçu le 28 mai 2018 par ce même notaire, conclu entre le syndicat des copropriétaires d'une part, représenté par son syndic dûment autorisé à cette fin, et la C.A.S.A d'autre part, il a été convenu d'une scission du lot n° 63 de la copropriété pour former une propriété indépendante sise sur la parcelle cadastrée section DZ n° [Cadastre 3]. L'acte stipulait en outre que, par suite de cette scission, le propriétaire de ladite parcelle cessait de plein droit d'être membre de l'ASL.
Le 19 décembre 2019, la C.A.S.A a revendu cette propriété à la société Sophia Antipolis Habitat.
Par exploits délivrés les 16 et 20 avril 2020, l'ASL Les Collines d'Antibes a assigné la Communauté d'Agglomération Sophia Antipolis d'une part, et la SCP Antoinette LUISI-BERKESSE & Christophe MONNIER, venant aux droits de la SCP [P] [D], [W] [D] & Antoinette LUISI-BERKESSE d'autre part, à comparaître devant le tribunal judiciaire de Grasse aux fins d'entendre:
- annuler la mention contenue dans l'acte de scission relative au retrait de l'ASL,
- ordonner la rectification dudit acte en présence des parties signataires et sa publication aux frais de l'office notarial,
- condamner la C.A.S.A à lui verser la somme de 4.864,11 € au titre des cotisations échues pour la période du 5 septembre 2017 au 19 décembre 2019,
- condamner l'étude notariale à lui verser une somme de 10.597,79 € en réparation de la perte de chance de recouvrer les cotisations ultérieures auprès des nouveaux propriétaires,
- et condamner chacun des défendeurs à lui verser une somme de 5.000 € à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive.
Les défendeurs ont principalement conclu au rejet de ces demandes.
Par jugement rendu le 17 octobre 2023, le tribunal a débouté l'ASL Les Collines d'Antibes de l'ensemble de ses prétentions et l'a condamnée aux dépens, ainsi qu'à verser à chacun des défendeurs une somme de 3.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour statuer en ce sens, le premier juge a retenu d'une part que le Cabinet [M], préalablement informé des intentions de la C.A.S.A par les soins du notaire, n'avait formulé aucune objection pour le compte de l'ASL et avait au contraire signé l'acte de scission, et d'autre part qu'il n'était pas contesté que, depuis son retrait de la copropriété, l'immeuble en cause n'avait plus accès aux équipements communs gérés par l'ASL, de sorte que l'affiliation de son propriétaire n'avait plus d'objet.
L'ASL Les Collines d'Antibes a interjeté appel de cette décision par déclaration enregistrée le 13 novembre 2023 au greffe de la cour.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses conclusions d'appel notifiées le 13 février 2024, l'association syndicale libre Les Collines d'Antibes fait valoir :
- que le retrait d'un membre doit s'effectuer conformément à l'article 1.3 de ses statuts, prévoyant notamment un vote à l'unanimité des membres de son organe délibérant,
- que le Cabinet [M] ne la représentait pas à l'acte de scission,
- et qu'il avait été répondu au notaire le 25 octobre 2017 que son analyse juridique n'était pas partagée.
Elle ajoute que, en raison de la faute commise par Maître [D], elle n'a plus reçu les avis de mutation de la parcelle en cause et a perdu une chance de recouvrer les cotisations dues par voie d'opposition au prix de vente.
Elle demande à la cour d'infirmer le jugement et, statuant à nouveau, de faire droit à l'ensemble de ses prétentions formulées en première instance, telles que rappelées plus avant.
Elle réclame accessoirement paiement d'une somme de 10.000 € au titre de ses frais irrépétibles, outre ses entiers dépens.
Par conclusions du 2 avril 2024, la Communauté d'Agglomération Sophia Antipolis soutient pour sa part :
- que tant la copropriété que l'ASL n'ont pas d'existence juridique régulière, dans la mesure où elles ont été créées suivant la méthode dite 'STEMMER' qui a été par la suite invalidée par la jurisprudence,
- qu'elle se trouvait en réalité dans la situation d'un simple coïndivisaire,
- qu'il importe peu que le Cabinet [M] ait été mentionné dans l'acte de scission en sa seule qualité de syndic de la copropriété, puisqu'il a été en mesure d'assurer également un contrôle pour le compte de l'ASL,
- et que le retrait de la copropriété entraîne nécessairement celui de l'ASL.
Elle ajoute que les cotisations lui sont indûment réclamées dès lors qu'elle n'a jamais bénéficié des services collectifs gérés par l'ASL, et que les décomptes produits par l'appelante sont incompréhensibles.
Elle conclut principalement à la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions.
Subsidiairement, pour le cas où la cour invaliderait la mention litigieuse de l'acte de scission, elle demande à être relevée et garantie par l'étude notariale de l'intégralité des condamnations qui seraient prononcées à son encontre, en raison du manquement à son obligation d'assurer la validité et l'efficacité juridique de l'acte.
En tout état de cause, elle réclame contre toute partie perdante paiement d'une somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre ses entiers dépens.
Dans ses écritures notifiées le 19 avril 2024, la SAS Antoinette LUISI-BERKESSE & Christophe MONNIER, venant aux droits de la SCP [P] [D], [W] [D] & Antoinette LUISI-BERKESSE, défend la validité de l'ensemble des mentions de l'acte de scission et conteste avoir commis un quelconque manquement professionnel, pour conclure à la confirmation du jugement.
Subsidiairement, pour le cas où la cour retiendrait l'existence d'une faute de sa part, elle fait valoir que celle-ci ne présente aucun lien de causalité direct avec les préjudices invoqués par les autres parties au procès et conclut au rejet des demandes formées à son encontre.
Elle réclame accessoirement paiement d'une somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre ses dépens.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 18 août 2025.
DISCUSSION
Sur le moyen de défense tiré de 'l'inexistence' du syndicat des copropriétaires et de l'association syndicale :
Il est constant que l'ASL Les Collines d'Antibes regroupe deux ensembles immobiliers distincts, à savoir :
- la copropriété [Adresse 7], qui comprenait à l'origine 62 villas et l'établissement hôtelier à l'enseigne 'Stars', faisant l'objet du lot n° 63,
- le lotissement Les Collines d'Antibes.
Il est admis en droit qu'une copropriété horizontale puisse régir un ensemble de maisons individuelles, pourvu que la division par lots soit conforme aux conditions édictées par l'article 1er de la loi du 10 juillet 1965.
En revanche, la méthode dite STEMMER, du nom du juriste qui en fut le promoteur, consistant sous couvert d'une copropriété horizontale à vendre des lots à bâtir sous le régime de l'indivision du sol, a été invalidée par la jurisprudence, tant judiciaire qu'administrative.
En l'espèce, faute de production aux débats du règlement de copropriété et de l'état descriptif de division, la C.A.S.A ne démontre pas que la constitution du syndicat des copropriétaires serait irrégulière, étant observé au demeurant qu'elle a implicitement reconnu sa qualité de copropriétaire en actionnant son droit de scission.
Partant, la légalité de l'association syndicale ne peut être davantage remise en cause.
Sur l'opposabilité de la scission à l'association syndicale :
En vertu de l'article 2.1 des statuts de l'ASL Les Collines d'Antibes, tout propriétaire d'un fonds inclus dans le périmètre de l'association en est membre de plein droit.
Suivant l'article 1.3, la distraction d'une parcelle de ce périmètre ne peut s'opérer qu'aux conditions suivantes :
- le lot concerné ne devra plus avoir accès, ni bénéficier d'aucun élément ou équipement commun géré par l'ASL,
- le retrait devra être autorisé par l'assemblée générale, statuant à l'unanimité des voix des membres présents ou représentés,
- le requérant devra s'engager à prendre en charge les frais de modification des statuts en résultant,
- il devra en outre être à jour de l'intégralité de ses cotisations et n'être redevable d'aucune dette de quelque sorte que ce soit vis-à-vis de l'ASL.
Il est constant en l'espèce que certaines de ces conditions n'ont pas été respectées, notamment celles relatives à un vote de l'assemblée générale et à l'acquittement des cotisations dues à l'association.
Il ne peut être soutenu que la ratification de l'acte de scission par le Cabinet RELIQUAIRE emporterait agrément de la part de l'ASL du retrait de la C.A.S.A, alors que celui-ci n'est intervenu à l'acte qu'en sa qualité de syndic de la copropriété et ne disposait d'aucun pouvoir pour engager l'association.
D'autre part, la perte de la qualité de copropriétaire n'entraîne pas ipso facto celle de membre de l'ASL, dans la mesure où cette dernière est attachée à la propriété d'un terrain inclus dans son périmètre.
Il convient en conséquence d'infirmer le jugement déféré et, statuant à nouveau, non pas d'annuler la mention litigieuse de l'acte de scission ni d'ordonner sa rectification, un tiers au contrat n'ayant pas qualité pour agir à cette fin, mais de déclarer l'acte inopposable à l'ASL.
Sur la demande en paiement des cotisations :
Suivant l'article 9.2 de ses statuts, tout adhérent à l'ASL doit supporter les frais et charges relatifs à la mise en état et à l'entretien des éléments d'équipement de l'ensemble immobilier, notamment l'entretien et la réparation des voies intérieures, des dispositifs d'arrivée d'eau, des réseaux souterrains d'assainissement, de l'éclairage public et des ouvrages et constructions nécessaires au fonctionnement et à l'utilisation des réseaux. Ces charges sont réparties de manière égalitaire à raison d'une part par adhérent.
En outre, la C.A.S.A ne démontre pas que sa propriété ne bénéficie d'aucun de ces équipements communs.
L'ASL justifie du montant de sa créance par la production :
- des états de dépenses pour les années 2017 à 2019,
- des appels de fonds trimestriels,
- des états de répartition du compte de la C.A.S.A,
- de l'historique du compte de son débiteur,
- et des procès-verbaux d'assemblée générale portant approbation des comptes des exercices correspondants.
Il convient en conséquence de faire droit à sa demande en paiement de la somme de 4.864,11 euros au titre des cotisations échues pour la période du 5 septembre 2017 au 19 décembre 2019.
Sur la mise en cause de la responsabilité professionnelle du notaire :
En droit, il est constant que les notaires doivent, avant de dresser leurs actes, procéder à la vérification des faits et conditions nécessaires à la validité et à l'efficacité de ceux-ci, sous peine d'engager leur responsabilité délictuelle.
En l'espèce, Maître [P] [D] a manqué à cette obligation en insérant dans l'acte de scission de la copropriété dressé le 28 mai 2018 une clause de retrait de plein droit de l'ASL, alors qu'il ne pouvait ignorer que la distraction de la parcelle en cause du périmètre de l'association ne pouvait s'opérer qu'en conformité avec ses statuts, ainsi que le lui avait rappelé Maître [C] [T] dans un courrier daté du 25 octobre 2017.
Il convient en outre de relever que le projet d'acte adressé le 24 mai 2018 à M. [X] [M], ès-qualités de syndic de la copropriété, ne comportait pas cette clause, de sorte que celui-ci a pu être induit en erreur au moment de la signature, ainsi qu'il l'a d'ailleurs fait valoir dans des courriels ultérieurs adressés à la C.A.S.A.
Dans ces conditions, l'étude notariale devra relever la C.A.S.A de l'intégralité des frais et dépens du procès mis à la charge des intimés.
En revanche, la faute commise par le notaire ne présentant aucun lien de causalité direct avec la condamnation de la C.A.S.A au paiement de ses cotisations, la demande en garantie formulée de ce chef doit être rejetée.
Enfin, l'ASL Les Collines d'Antibes ne rapporte pas la preuve d'une perte de chance de recouvrer les cotisations ultérieures auprès des nouveaux propriétaires de la parcelle DZ [Cadastre 3]. Elle ne justifie pas notamment des diligences qui ont pu être accomplies à cette fin auprès de la société Sophia Antipolis Habitat. Elle sera donc déboutée de la demande en dommages-intérêts formulée de ce chef.
Sur les demandes en dommages-intérêts pour résistance abusive :
Il n'apparaît pas que l'exercice par les intimés de leur droit de se défendre en justice ait dégénéré en abus, de sorte que ces demandes doivent être rejetées.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement déféré, et statuant à nouveau :
Déclare l'acte de scission conclu le 28 mai 2018 entre le syndicat des copropriétaires de l'ensemble immobilier [Adresse 7] et la Communauté d'Agglomération Sophia Antipolis inopposable à l'association syndicale libre Les Collines d'Antibes,
Condamne la Communauté d'Agglomération Sophia Antipolis à payer à l'ASL Les Collines d'Antibes la somme de 4.864,11 euros au titre des cotisations échues pour la période du 5 septembre 2017 au 19 décembre 2019,
Condamne in solidum la Communauté d'Agglomération Sophia Antipolis et la SAS Antoinette LUISI-BERKESSE & Christophe MONNIER aux entiers dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à verser à l'ASL Les Collines d'Antibes une somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SAS Antoinette LUISI-BERKESSE & Christophe MONNIER à relever et garantir la Communauté d'Agglomération Sophia Antipolis des sommes mises à sa charge au titre des dépens et des frais irrépétibles,
Déboute les parties de toutes demandes plus amples ou contraires.
LA GREFFIERE LE PRESIDENT
Chambre 1-8
ARRÊT AU FOND
DU 15 OCTOBRE 2025
N° 2025 / 251
N° RG 23/13971
N° Portalis DBVB-V-B7H-BMERY
A.S.L. LES COLLINES D'ANTIBES
C/
S.A.S. ANTOINETTE LUISI-BERKESSE ETCHRISTOPHE MONNIER
Communauté d'Agglomération Sophia Antipolis
(C.A.S.A.)
Copie exécutoire délivrée le :
à :
Me Nathalie MOONS
Me Paul GUEDJ
Me Benoît BROGINI
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal Judiciaire de GRASSE en date du 17 Octobre 2023 enregistrée au répertoire général sous le n° 20/01539.
APPELANTE
A.S.L. LES COLLINES D'ANTIBES
représenté par son président en exercice M. [L], demeurant es-qualité [Adresse 1] [Localité 4]
représentée par Me Nathalie MOONS, avocat au barreau de GRASSE
INTIMÉES
S.A.S. ANTOINETTE LUISI-BERKESSE ETCHRISTOPHE MONNIER
Notaires associés, anciennement Antoinette LUISI-BERKESSE, poursuites et diligences de son représentant légal en exercice domicilié ès qualité au siège social sis [Adresse 2] [Localité 8],
représentée par Me Paul GUEDJ, membre de la SCP COHEN GUEDJ - MONTERO - DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Hélène BERLINER, membre de la SCP D'AVOCATS BERLINER-DUTERTRE, avocat au barreau de NICE,
Communauté d'Agglomération Sophia Antipolis - C.A.S.A.
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège sis [Adresse 6] [Localité 4]
représentée par Me Benoît BROGINI, membre de la SELARL BROGINI & GRECH AVOCATS, avocat au barreau de NICE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 01 Septembre 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Paul PATRIARCHE, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Pierre LAROQUE, Président
Madame Céline ROBIN-KARRER, Conseillère
Monsieur Jean-Paul PATRIARCHE, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Maria FREDON.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 15 Octobre 2025.
ARRÊT
Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 15 Octobre 2025, signé par Monsieur Pierre LAROQUE, Président et Madame Maria FREDON, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE ANTÉRIEURE
Suivant acte reçu le 5 septembre 2017 par Maître [P] [D], notaire associé à [Localité 8], la Communauté d'Agglomération Sophia Antipolis (ci-après la C.A.S.A) a acquis par préemption le lot n° 63 d'une copropriété horizontale dénommée [Adresse 7], sise [Adresse 5] à [Localité 4], consistant en un hébergement hôtelier comprenant un bâtiment d'un étage sur rez-de-chaussée, le droit de jouissance d'un terrain attenant et des parkings extérieurs, outre les 1.433/11433 èmes indivis du sol.
Le périmètre de cette copropriété est inclus dans celui de l'Association Syndicale Libre dénommée Les Collines d'Antibes.
Par courrier daté du 23 octobre 2017, Maître [D] a informé le Cabinet [M], exerçant à la fois les fonctions de syndic de la copropriété et de gestionnaire de l'ASL, de l'intention de la C.A.S.A de se retirer de ces deux entités.
Suivant acte reçu le 28 mai 2018 par ce même notaire, conclu entre le syndicat des copropriétaires d'une part, représenté par son syndic dûment autorisé à cette fin, et la C.A.S.A d'autre part, il a été convenu d'une scission du lot n° 63 de la copropriété pour former une propriété indépendante sise sur la parcelle cadastrée section DZ n° [Cadastre 3]. L'acte stipulait en outre que, par suite de cette scission, le propriétaire de ladite parcelle cessait de plein droit d'être membre de l'ASL.
Le 19 décembre 2019, la C.A.S.A a revendu cette propriété à la société Sophia Antipolis Habitat.
Par exploits délivrés les 16 et 20 avril 2020, l'ASL Les Collines d'Antibes a assigné la Communauté d'Agglomération Sophia Antipolis d'une part, et la SCP Antoinette LUISI-BERKESSE & Christophe MONNIER, venant aux droits de la SCP [P] [D], [W] [D] & Antoinette LUISI-BERKESSE d'autre part, à comparaître devant le tribunal judiciaire de Grasse aux fins d'entendre:
- annuler la mention contenue dans l'acte de scission relative au retrait de l'ASL,
- ordonner la rectification dudit acte en présence des parties signataires et sa publication aux frais de l'office notarial,
- condamner la C.A.S.A à lui verser la somme de 4.864,11 € au titre des cotisations échues pour la période du 5 septembre 2017 au 19 décembre 2019,
- condamner l'étude notariale à lui verser une somme de 10.597,79 € en réparation de la perte de chance de recouvrer les cotisations ultérieures auprès des nouveaux propriétaires,
- et condamner chacun des défendeurs à lui verser une somme de 5.000 € à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive.
Les défendeurs ont principalement conclu au rejet de ces demandes.
Par jugement rendu le 17 octobre 2023, le tribunal a débouté l'ASL Les Collines d'Antibes de l'ensemble de ses prétentions et l'a condamnée aux dépens, ainsi qu'à verser à chacun des défendeurs une somme de 3.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour statuer en ce sens, le premier juge a retenu d'une part que le Cabinet [M], préalablement informé des intentions de la C.A.S.A par les soins du notaire, n'avait formulé aucune objection pour le compte de l'ASL et avait au contraire signé l'acte de scission, et d'autre part qu'il n'était pas contesté que, depuis son retrait de la copropriété, l'immeuble en cause n'avait plus accès aux équipements communs gérés par l'ASL, de sorte que l'affiliation de son propriétaire n'avait plus d'objet.
L'ASL Les Collines d'Antibes a interjeté appel de cette décision par déclaration enregistrée le 13 novembre 2023 au greffe de la cour.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses conclusions d'appel notifiées le 13 février 2024, l'association syndicale libre Les Collines d'Antibes fait valoir :
- que le retrait d'un membre doit s'effectuer conformément à l'article 1.3 de ses statuts, prévoyant notamment un vote à l'unanimité des membres de son organe délibérant,
- que le Cabinet [M] ne la représentait pas à l'acte de scission,
- et qu'il avait été répondu au notaire le 25 octobre 2017 que son analyse juridique n'était pas partagée.
Elle ajoute que, en raison de la faute commise par Maître [D], elle n'a plus reçu les avis de mutation de la parcelle en cause et a perdu une chance de recouvrer les cotisations dues par voie d'opposition au prix de vente.
Elle demande à la cour d'infirmer le jugement et, statuant à nouveau, de faire droit à l'ensemble de ses prétentions formulées en première instance, telles que rappelées plus avant.
Elle réclame accessoirement paiement d'une somme de 10.000 € au titre de ses frais irrépétibles, outre ses entiers dépens.
Par conclusions du 2 avril 2024, la Communauté d'Agglomération Sophia Antipolis soutient pour sa part :
- que tant la copropriété que l'ASL n'ont pas d'existence juridique régulière, dans la mesure où elles ont été créées suivant la méthode dite 'STEMMER' qui a été par la suite invalidée par la jurisprudence,
- qu'elle se trouvait en réalité dans la situation d'un simple coïndivisaire,
- qu'il importe peu que le Cabinet [M] ait été mentionné dans l'acte de scission en sa seule qualité de syndic de la copropriété, puisqu'il a été en mesure d'assurer également un contrôle pour le compte de l'ASL,
- et que le retrait de la copropriété entraîne nécessairement celui de l'ASL.
Elle ajoute que les cotisations lui sont indûment réclamées dès lors qu'elle n'a jamais bénéficié des services collectifs gérés par l'ASL, et que les décomptes produits par l'appelante sont incompréhensibles.
Elle conclut principalement à la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions.
Subsidiairement, pour le cas où la cour invaliderait la mention litigieuse de l'acte de scission, elle demande à être relevée et garantie par l'étude notariale de l'intégralité des condamnations qui seraient prononcées à son encontre, en raison du manquement à son obligation d'assurer la validité et l'efficacité juridique de l'acte.
En tout état de cause, elle réclame contre toute partie perdante paiement d'une somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre ses entiers dépens.
Dans ses écritures notifiées le 19 avril 2024, la SAS Antoinette LUISI-BERKESSE & Christophe MONNIER, venant aux droits de la SCP [P] [D], [W] [D] & Antoinette LUISI-BERKESSE, défend la validité de l'ensemble des mentions de l'acte de scission et conteste avoir commis un quelconque manquement professionnel, pour conclure à la confirmation du jugement.
Subsidiairement, pour le cas où la cour retiendrait l'existence d'une faute de sa part, elle fait valoir que celle-ci ne présente aucun lien de causalité direct avec les préjudices invoqués par les autres parties au procès et conclut au rejet des demandes formées à son encontre.
Elle réclame accessoirement paiement d'une somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre ses dépens.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 18 août 2025.
DISCUSSION
Sur le moyen de défense tiré de 'l'inexistence' du syndicat des copropriétaires et de l'association syndicale :
Il est constant que l'ASL Les Collines d'Antibes regroupe deux ensembles immobiliers distincts, à savoir :
- la copropriété [Adresse 7], qui comprenait à l'origine 62 villas et l'établissement hôtelier à l'enseigne 'Stars', faisant l'objet du lot n° 63,
- le lotissement Les Collines d'Antibes.
Il est admis en droit qu'une copropriété horizontale puisse régir un ensemble de maisons individuelles, pourvu que la division par lots soit conforme aux conditions édictées par l'article 1er de la loi du 10 juillet 1965.
En revanche, la méthode dite STEMMER, du nom du juriste qui en fut le promoteur, consistant sous couvert d'une copropriété horizontale à vendre des lots à bâtir sous le régime de l'indivision du sol, a été invalidée par la jurisprudence, tant judiciaire qu'administrative.
En l'espèce, faute de production aux débats du règlement de copropriété et de l'état descriptif de division, la C.A.S.A ne démontre pas que la constitution du syndicat des copropriétaires serait irrégulière, étant observé au demeurant qu'elle a implicitement reconnu sa qualité de copropriétaire en actionnant son droit de scission.
Partant, la légalité de l'association syndicale ne peut être davantage remise en cause.
Sur l'opposabilité de la scission à l'association syndicale :
En vertu de l'article 2.1 des statuts de l'ASL Les Collines d'Antibes, tout propriétaire d'un fonds inclus dans le périmètre de l'association en est membre de plein droit.
Suivant l'article 1.3, la distraction d'une parcelle de ce périmètre ne peut s'opérer qu'aux conditions suivantes :
- le lot concerné ne devra plus avoir accès, ni bénéficier d'aucun élément ou équipement commun géré par l'ASL,
- le retrait devra être autorisé par l'assemblée générale, statuant à l'unanimité des voix des membres présents ou représentés,
- le requérant devra s'engager à prendre en charge les frais de modification des statuts en résultant,
- il devra en outre être à jour de l'intégralité de ses cotisations et n'être redevable d'aucune dette de quelque sorte que ce soit vis-à-vis de l'ASL.
Il est constant en l'espèce que certaines de ces conditions n'ont pas été respectées, notamment celles relatives à un vote de l'assemblée générale et à l'acquittement des cotisations dues à l'association.
Il ne peut être soutenu que la ratification de l'acte de scission par le Cabinet RELIQUAIRE emporterait agrément de la part de l'ASL du retrait de la C.A.S.A, alors que celui-ci n'est intervenu à l'acte qu'en sa qualité de syndic de la copropriété et ne disposait d'aucun pouvoir pour engager l'association.
D'autre part, la perte de la qualité de copropriétaire n'entraîne pas ipso facto celle de membre de l'ASL, dans la mesure où cette dernière est attachée à la propriété d'un terrain inclus dans son périmètre.
Il convient en conséquence d'infirmer le jugement déféré et, statuant à nouveau, non pas d'annuler la mention litigieuse de l'acte de scission ni d'ordonner sa rectification, un tiers au contrat n'ayant pas qualité pour agir à cette fin, mais de déclarer l'acte inopposable à l'ASL.
Sur la demande en paiement des cotisations :
Suivant l'article 9.2 de ses statuts, tout adhérent à l'ASL doit supporter les frais et charges relatifs à la mise en état et à l'entretien des éléments d'équipement de l'ensemble immobilier, notamment l'entretien et la réparation des voies intérieures, des dispositifs d'arrivée d'eau, des réseaux souterrains d'assainissement, de l'éclairage public et des ouvrages et constructions nécessaires au fonctionnement et à l'utilisation des réseaux. Ces charges sont réparties de manière égalitaire à raison d'une part par adhérent.
En outre, la C.A.S.A ne démontre pas que sa propriété ne bénéficie d'aucun de ces équipements communs.
L'ASL justifie du montant de sa créance par la production :
- des états de dépenses pour les années 2017 à 2019,
- des appels de fonds trimestriels,
- des états de répartition du compte de la C.A.S.A,
- de l'historique du compte de son débiteur,
- et des procès-verbaux d'assemblée générale portant approbation des comptes des exercices correspondants.
Il convient en conséquence de faire droit à sa demande en paiement de la somme de 4.864,11 euros au titre des cotisations échues pour la période du 5 septembre 2017 au 19 décembre 2019.
Sur la mise en cause de la responsabilité professionnelle du notaire :
En droit, il est constant que les notaires doivent, avant de dresser leurs actes, procéder à la vérification des faits et conditions nécessaires à la validité et à l'efficacité de ceux-ci, sous peine d'engager leur responsabilité délictuelle.
En l'espèce, Maître [P] [D] a manqué à cette obligation en insérant dans l'acte de scission de la copropriété dressé le 28 mai 2018 une clause de retrait de plein droit de l'ASL, alors qu'il ne pouvait ignorer que la distraction de la parcelle en cause du périmètre de l'association ne pouvait s'opérer qu'en conformité avec ses statuts, ainsi que le lui avait rappelé Maître [C] [T] dans un courrier daté du 25 octobre 2017.
Il convient en outre de relever que le projet d'acte adressé le 24 mai 2018 à M. [X] [M], ès-qualités de syndic de la copropriété, ne comportait pas cette clause, de sorte que celui-ci a pu être induit en erreur au moment de la signature, ainsi qu'il l'a d'ailleurs fait valoir dans des courriels ultérieurs adressés à la C.A.S.A.
Dans ces conditions, l'étude notariale devra relever la C.A.S.A de l'intégralité des frais et dépens du procès mis à la charge des intimés.
En revanche, la faute commise par le notaire ne présentant aucun lien de causalité direct avec la condamnation de la C.A.S.A au paiement de ses cotisations, la demande en garantie formulée de ce chef doit être rejetée.
Enfin, l'ASL Les Collines d'Antibes ne rapporte pas la preuve d'une perte de chance de recouvrer les cotisations ultérieures auprès des nouveaux propriétaires de la parcelle DZ [Cadastre 3]. Elle ne justifie pas notamment des diligences qui ont pu être accomplies à cette fin auprès de la société Sophia Antipolis Habitat. Elle sera donc déboutée de la demande en dommages-intérêts formulée de ce chef.
Sur les demandes en dommages-intérêts pour résistance abusive :
Il n'apparaît pas que l'exercice par les intimés de leur droit de se défendre en justice ait dégénéré en abus, de sorte que ces demandes doivent être rejetées.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement déféré, et statuant à nouveau :
Déclare l'acte de scission conclu le 28 mai 2018 entre le syndicat des copropriétaires de l'ensemble immobilier [Adresse 7] et la Communauté d'Agglomération Sophia Antipolis inopposable à l'association syndicale libre Les Collines d'Antibes,
Condamne la Communauté d'Agglomération Sophia Antipolis à payer à l'ASL Les Collines d'Antibes la somme de 4.864,11 euros au titre des cotisations échues pour la période du 5 septembre 2017 au 19 décembre 2019,
Condamne in solidum la Communauté d'Agglomération Sophia Antipolis et la SAS Antoinette LUISI-BERKESSE & Christophe MONNIER aux entiers dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à verser à l'ASL Les Collines d'Antibes une somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SAS Antoinette LUISI-BERKESSE & Christophe MONNIER à relever et garantir la Communauté d'Agglomération Sophia Antipolis des sommes mises à sa charge au titre des dépens et des frais irrépétibles,
Déboute les parties de toutes demandes plus amples ou contraires.
LA GREFFIERE LE PRESIDENT