CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 15 octobre 2025, n° 24/00751
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Call It (SARL)
Défendeur :
Dress Gallery (SASU)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Douillet
Conseillers :
Mme Barutel, Mme Bohee
Avocats :
Me Schwab, Me Negre, Me Boccon Gibod, Me Bouchara, Me Maier
EXPOSÉ DU LITIGE
La société Call It [Localité 5] Your Name, immatriculée au registre du commerce et des sociétés depuis 2020, se présente comme une société spécialisée dans la création, la confection et la fabrication de vêtements et accessoires haut de gamme, notamment réalisés à partir d'authentiques bandanas, revêtant pour la plupart des broderies multicolores identitaires.
Elle distribue ses produits notamment sur son site internet « callitbyyourname.fr », son compte Instagram, et dans des magasins en France et dans le monde.
Elle expose avoir créé en avril et octobre 2020 six produits essentiels de sa gamme : le maxi-cabas, le bandana brodé, le chouchou à n'ud, la veste kimono, le porte-cartes et la veste boutonnée.
La société Dress Gallery, immatriculée en 2008, est spécialisée dans la création, la production et la vente d'articles de prêt-à-porter et d'accessoires de mode. En 2018, elle a créé un modèle de sandales dit « trekky » ou « trekky bandana » commercialisé en janvier 2019 sous la marque Arizona Love. Elle a ensuite élargi sa gamme à d'autres produits vestimentaires et accessoires, notamment à base de tissus ou d'impressions bandanas, vendus sous la marque Arizona Love, sur son site internet arizonalove.store et sur son compte Instagram.
Exposant avoir constaté en novembre 2021 que la société Dress Gallery commercialisait des vêtements et accessoires identiques aux siens, confectionnés avec du tissu bandana et revêtus de broderies, la société Call It [Localité 5] Your Name, après vaine mise en demeure par courrier du 26 novembre 2021, a fait assigner la société Dress Gallery, devant le tribunal de commerce de Paris, par acte de commissaire de justice du 14 juin 2022, sur le fondement de la concurrence déloyale et parasitaire.
Par jugement contradictoire rendu le 13 novembre 2023, dont appel, le tribunal de commerce de Paris a :
- débouté la société Call It [Localité 5] Your Name de toutes ses demandes ;
- dit la société Dress Gallery mal fondée en ses demandes reconventionnelles et l'en a débouté ;
- condamné la société Call It [Localité 5] Your Name à payer à la société Dress Gallery 1.500€ à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;
- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires au présent dispositif ;
- condamné la société Call It [Localité 5] Your Name aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 70,86€ dont 11,60€ de TVA.
Par déclaration du 20 décembre 2023, la société Call It [Localité 5] Your Name a interjeté appel de la décision.
Dans ses dernières conclusions numérotées 5, transmises le 2 juillet 2025, la société Call It [Localité 5] Your Name demande à la cour de :
DEBOUTER la société DRESS GALLERY de l'intégralité de ses demandes.
INFIRMER le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 13 novembre 2023 en ce qu'il a :
Débouté la société CALL IT [Localité 5] YOUR NAME de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
Condamné la société CALL IT [Localité 5] YOUR NAME à payer à la société DRESS GALLERY la somme de 1.500 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamné la société CALL IT [Localité 5] YOUR NAME aux dépens.
LE CONFIRMER pour le surplus.
En conséquence, statuant à nouveau sur les chefs critiqués :
JUGER recevable et bien fondé la société CALL IT [Localité 5] YOUR NAME dans toutes ses demandes, fins et conclusions.
JUGER qu'en commercialisant les produits litigieux susvisés (« Embroidered beach bag », « Scrunchy chouchou », « Bandana phone case », « Worker quilted jacket, « Maxi silk bandana scarf », « Bandana Jacket » et « Veste boutonnée »), la société DRESS GALLERY a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire au détriment de la société CALL IT [Localité 5] YOUR NAME.
INTERDIRE à la société DRESS GALLERY de détenir, de fabriquer et/ou commercialiser en France les produits litigieux susvisés et ce, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée (à savoir par produit litigieux détenu, fabriqué e/ou commercialisé) à compter de la signification de la décision à intervenir.
ORDONNER, sous le contrôle d'un huissier de justice désigné à cet effet, aux frais de la société DRESS GALLERY, et sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, le rappel des circuits commerciaux et la destruction, à ses frais, de la totalité du stock des produits litigieux.
JUGER qu'en application de l'article L.131-3 du Code des procédures civiles d'exécution, les astreintes prononcées seront liquidées, s'il y a lieu, par la Cour ayant statué sur la présente demande.
CONDAMNER la société DRESS GALLERY à payer à la société CALL IT [Localité 5] YOUR NAME la somme de 55.000 euros en réparation du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale.
CONDAMNER la société DRESS GALLERY à payer à la société CALL IT [Localité 5] YOUR NAME la somme de 150.000 euros en réparation du préjudice résultant des actes de parasitisme.
CONDAMNER la société DRESS GALLERY à payer à la société CALL IT [Localité 5] YOUR NAME la somme de 50.000 euros en réparation du préjudice résultant de l'effet de gamme.
AUTORISER la société CALL IT [Localité 5] YOUR NAME à faire publier, dans divers journaux, revues ou magazines de son choix, dans la limite de quatre et aux frais avancés de la société DRESS GALLERY, à hauteur de 30.000 euros pour l'ensemble des publications, le communiqué suivant l'intitulé « Publication judiciaire », avec reproduction éventuelle des modèles en cause : « Par décision du ... la Cour d'appel de Paris a condamné la société DRESS GALLERY pour avoir copié de nombreux produits créés et commercialisés par la société CALL IT [Localité 5] YOUR NAME et à verser à cette dernière des dommages-intérêts. ».
ORDONNER la diffusion, pendant un délai d'un mois, de ce même communiqué en première page du site https://www.arizonalove.store/, dans sa partie supérieure, de façon immédiatement visible par le public, dans une taille de caractères d'une valeur au moins égale à 12, sous astreinte de 5.000 euros (cinq mille euros) par jour de retard 24 heures après signification de l'arrêt à intervenir.
ORDONNER la diffusion, pendant un délai d'un mois, de ce même communiqué sur le compte Instagram de la société DRESS GALLERY (@arizona.l.o.v.e) ;
Sur un « highlight » fixe pendant un délai d'un mois,
En complément d'une publication d'un post reprenant le communiqué et d'une « story » visant l'intégralité de sa communauté, dans une taille de caractères d'une valeur au moins égale à 12, sous astreinte de 5.000 euros (cinq mille euros) par jour de retard 24 heures après signification de l'arrêt à intervenir.
CONDAMNER la société DRESS GALLERY à payer à la société CALL IT [Localité 5] YOUR NAME la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
CONDAMNER la société DRESS GALLERY aux entiers dépens de l'instance dont le recouvrement sera poursuivi par la SELARL 2H AVOCATS, en la personne de Maître Audrey SCHWAB, en application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions numérotées 4, transmises le 23 juin 2025, la société Dress Gallery demande à la cour de :
DÉCLARER CALL IT [Localité 5] YOUR NAME mal fondée en son appel et la DÉBOUTER de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
DÉCLARER recevables et bien fondées les demandes de DRESS GALLERY ; y faisant droit :
CONFIRMER le jugement de la 15ème Chambre du Tribunal de commerce de Paris du 13 novembre 2023 en ce qu'il :
Déboute la SARL CALL IT [Localité 5] YOUR NAME de toutes ses demandes ;
Condamne la SARL CALL IT [Localité 5] YOUR NAME à payer à la SAS DRESS GALLERY 1.500€ à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute la SARL CALL IT [Localité 5] YOUR NAME de ses demandes autres, plus amples ou contraires au dispositif du jugement,
Condamne la SARL CALL IT [Localité 5] YOUR NAME aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 70,86€ dont 11,60€ de TVA.
INFIRMER le jugement de la 15ème Chambre du Tribunal de commerce de Paris du 13 novembre 2023 en ce qu'il :
Dit la SAS DRESS GALLERY mal fondée en ses demandes reconventionnelles et l'en déboute ;
Déboute DRESS GALLERY de ses demandes autres, plus amples ou contraires au dispositif du jugement.
STATUANT À NOUVEAU SUR LES CHEFS CRITIQUES :
DÉCLARER DRESS GALLERY recevable et bien fondée en toutes ses demandes, fins et prétentions, y compris en ses demandes reconventionnelles.
CONDAMNER CALL IT [Localité 5] YOUR NAME à payer à DRESS GALLERY la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice causé au titre de la procédure abusive.
EN TOUT ÉTAT DE CAUSE :
DÉBOUTER CALL IT [Localité 5] YOUR NAME de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
CONDAMNER CALL IT [Localité 5] YOUR NAME à payer à DRESS GALLERY la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
CONDAMNER CALL IT [Localité 5] YOUR NAME aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de Maître Matthieu BOCCON-GIBAUD, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 juin 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.
Sur les actes de concurrence déloyale et parasitaire
Sur les actes de concurrence déloyale
La société Call It [Localité 5] Your Name soutient en substance qu'en reproduisant, de manière servile ou quasi-servile, six produits de sa gamme, à savoir le chouchou à n'uds, le sac maxi-cabas, la veste kimono, la veste boutonnée, le bandana brodé et le porte-cartes, produits résultant d'un processus créatif et jouissant d'une notoriété grandissante, la société Dress Gallery a généré un risque de confusion fautif dans l'esprit du public, dont elle démontre l'existence notamment par la production d'un sondage, et qui porte atteinte à son image ; que les six produits incriminés constituent la quasi-intégralité de sa gamme de produits de départ, et que l'effet de gamme vient donc renforcer le risque de confusion.
La société Dress Gallery fait valoir pour l'essentiel que la marque Arizona Love dispose d'une identité propre développée en 2018 deux ans avant la naissance de la société Call It [Localité 5] Your Name ; que le tissu bandana vintage est également l'un des éléments d'identification de sa marque ; que si elle a lancé d'abord un modèle de sandale « Trekky bandana », elle a ensuite diversifié son offre en créant des chouchous en décembre 2018, des cabas en tissu bandana en février 2019, une chemise kimono en février 2020, reconduite en version molletonnée en 2021 ; qu'elle a divulgué et commercialisé les modèles incriminés, confectionnés en tissu bandana, avant Call It [Localité 5] Your Name ; qu'il n'existe pas de risque de confusion fautif compte tenu des différences entre les produits invoqués et incriminés ; que le sondage produit n'a pas de valeur probante, un montage grossier de produits soigneusement sélectionnés ayant été présenté aux personnes sondées.
Sur ce,
La cour rappelle que le principe est celui de la liberté du commerce, et que ne sont sanctionnés au titre de la concurrence déloyale que des comportements fautifs en violation des usages loyaux du commerce.
Il est acquis que le seul fait de commercialiser des produits identiques ou similaires à ceux qui ne font pas l'objet de droits de propriété intellectuelle, distribués par un concurrent, relève de la liberté du commerce, et n'est pas fautif dès lors que cela n'est pas accompagné de manoeuvres déloyales constitutives d'une faute, telle que la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit, circonstance attentatoire à l'exercice paisible et loyal du commerce.
L'appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l'imitation, l'ancienneté d'usage, l'originalité et la notoriété de la prestation copiée.
En l'espèce, il est constant que la société Dress Gallery a lancé en octobre 2018, sur le compte instagram de la marque Arizona Love, des sandales dont les lanières sont en tissu bandana, qui ont été commercialisées à partir de janvier 2019, ces « sandales bandanas » figurant sur le site du journal [Localité 6] en avril 2019 avec un visuel desdites sandales. Il est également établi, ainsi qu'il résulte des pièces versées au débat, et notamment de deux factures de février et septembre 2019, de captures d'écran instagram, et de l'attestation de l'expert-comptable que la société Dress Gallery a diversifié sa gamme en commercialisant, dès l'année 2019, des chouchous en bandana pour les cheveux, pouvant être offerts à la clientèle ou commercialisés, ainsi qu'un sac en tissu bandana, puis à partir de février 2020, une veste appelée « worker jacket » à manches chauve-souris en tissu bandana.
La société Call It [Localité 5] Your Name, qui ne conteste pas ces antériorités, soutient qu'il ne s'agit pas des six produits incriminés, lesquels ont été commercialisés postérieurement aux vêtements et accessoires qu'elle invoque dont ils constituent, selon elle, des reproductions serviles ou quasi-serviles.
S'agissant des chouchous invoqués par la société Call It [Localité 5] Your Name, la cour constate cependant qu'ils sont très similaires à ceux de la société Dress Gallery, qui leur sont antérieurs pour avoir été diffusés dès 2019, de sorte qu'aucune faute n'est établie à l'encontre de la société Dress Gallery de ce chef, la circonstance, à la supposer établie, qu'en 2019 les chouchous de la société Dress Gallery aient été principalement offerts à la clientèle, et non commercialisés en eux-mêmes, étant indifférente.
S'agissant du sac incriminé, la cour observe que la société Dress Gallery, qui a commercialisé un sac en tissu bandana dès 2019, antérieurement au sac de la société Call It [Localité 5] Your Name, a pu légitimement faire évoluer la forme et les motifs du tissu de son sac pour les collections suivantes, étant observé que les sacs en cause diffèrent tant dans leur forme, le nombre d'anses, l'importance du soufflet, et le motif de tissu bandana, le fait que la société Dress Gallery ait apposé des broderies sur le sac incriminé n'étant pas fautif, alors qu'il est démontré qu'il existait antérieurement aux produits de la société Call It [Localité 5] Your Name des broderies sur des tissus bandana et que la forme des lettres bâtons en capitale est tout à fait banale, la société appelante ne pouvant pas davantage reprocher le choix du mot « Love », lequel figure après le mot « Arizona », ces deux termes constituant la marque de l'intimée.
Concernant la veste « Worker quilted jacket » incriminée, il doit être également jugé que la société Dress Gallery, qui a commercialisé en 2020, antérieurement ou concomitamment à celle de la société Call It [Localité 5] Your Name, une veste en tissu bandana, à manches chauve-souris, serrée à la taille par une ceinture, a pu légitimement faire évoluer la forme de sa veste et les motifs du tissu pour les collections suivantes, étant rappelé que la société Call It [Localité 5] Your Name ne dispose pas de droits privatifs sur une veste de forme kimono confectionnée dans un patchwork de tissu bandana, les tissus « patchwork » des vestes en cause différant tant par le nombre, la forme et les couleurs des impressions de tissus ainsi assemblés, étant au surplus constaté que les parutions presse, dont la société Call It [Localité 5] Your Name se prévaut, montrent de petits visuels de vestes kimonos en patchwork extrêmement différentes et évoquent de « ravissants kimonos en patchwork » sans démontrer une notoriété particulière acquise par la société Call It [Localité 5] Your Name pour l'une ou plusieurs de ses vestes précisément identifiées.
S'agissant de la « veste boutonnée » incriminée, la société Call It [Localité 5] Your Name ne démontre pas que la veste qu'elle invoque, sur laquelle elle ne donne aucun élément relatif à sa création, bénéficierait d'une particulière notoriété, sa coupe carrée et courte de type blouson avec un col chemise et des boutons étant par ailleurs parfaitement banale. La cour constate, en outre, que l'impression d'ensemble des vestes en cause exclut tout risque de confusion fautif, les imprimés de tissu bandana étant différents, tout comme les boutons, bicolores dans la veste Arizona Dream qui comporte aussi une poche bicolore plaquée sur la poitrine et un grand palmier rouge brodé dans le dos.
La société Call It [Localité 5] Your Name échoue également à démontrer un risque de confusion fautif qui résulterait, d'une part, des broderies de couleurs vives apposées par la société Dress Gallery sur des foulards en tissu bandana, les broderies sur des foulards bandana étant répandues bien antérieurement aux produits de la société appelante, d'autre part, de la commercialisation d'un « bandana phone case » sur lequel est brodé un smiley, le choix d'un tissu bandana tout comme l'illustration par un smiley étant banals, outre que ces éléments diffèrent tant par la forme que par la fonction du « porte-cartes » invoqué par la société Call It [Localité 5] Your Name.
En conséquence, il ne résulte pas de la comparaison, à laquelle la cour s'est livrée entre les produits invoqués et les produits incriminés, un risque de confusion fautif de nature à caractériser des actes de concurrence déloyale de la part de la société Dress Gallery.
Ce risque de confusion n'est pas davantage établi par l'attestation de Mme [C] [S], dont la qualité n'est pas précisée, aux termes de laquelle elle fait part de son impression subjective de ce que « les pièces en cause », qui ne sont pas citées, sont « pour certaine très similaires » et que cela est « très honnêtement confusant », ni par le sondage commandé par la société Call It [Localité 5] Your Name, réalisé en présentant au panel de consommateurs, un montage des cinq produits litigieux reproduits, en format vignette, dans des formes et des dimensions modifiées pour créer artificiellement une impression d'ensemble similaire, étant au surplus observé que les cinq produits ont été ainsi placés, côte à côte, de façon artificielle, alors qu'il n'est pas démontré qu'ils sont ainsi commercialisés ensemble et concomitamment, aucun effet de gamme fautif n'étant davantage démontré.
Il résulte des éléments qui précèdent que la preuve d'une imitation fautive de la société Dress Gallery, engendrant un risque de confusion et constitutive d'actes de concurrence déloyale, n'est pas rapportée.
Sur les actes parasitaires
La société Call It [Localité 5] Your Name soutient que le tissu bandana revêtant des broderies multicolores dans lequel sont fabriqués ses produits, représente une valeur économique individualisée et lui procure un avantage concurrentiel fruit d'un effort intellectuel et d'investissements ; que ce tissu brodé, qui rend ses produits reconnaissables, constitue un véritable signe de ralliement pour le consommateur ; que la création des modèles revendiqués a nécessité des investissements ; qu'elle produit des éléments comptables relatifs à ses investissements ; que ces dépenses ont été réalisées pour les six produits invoqués puisqu'il s'agit des six produits essentiels de sa gamme originelle qui jouissent d'une très forte renommée et ont fait l'objet d'une multitude de parutions presse, plusieurs modèles étant identifiés comme des produits iconiques ; que le comportement de la société Dress Gallery traduit une volonté de tirer profit, sans bourse délier, de son savoir-faire, de ses investissements, de sa notoriété et des efforts qu'elle consacre à la conception de produits de qualité ainsi qu'au succès et à l'aura de ses produits.
La société Dress Gallery fait valoir que Call It [Localité 5] Your Name ne dispose pas d'une valeur économique individualisée sur les éléments qu'elle revendique ; que l'attestation de Mme [I] est vague ; que l'attestation que Mme [T] se produit à elle-même procède par voie d'affirmations ; qu'elle ne peut s'approprier le bandana, qui est une tendance et qui existait bien avant elle, ni prétendre être à l'origine de la création des types et des formes de produits revendiqués (chouchous, cabas, pochette, veste') en eux-mêmes extrêmement banals ; que la tendance du bandana brodé est largement répandue ; qu'aucune valeur économique individualisée ne peut donc être tirée d'une simple déclinaison de produits existant depuis des années extrêmement répandus sur le marché ; que Call It [Localité 5] Your Name acquiert auprès d'un fournisseur, tous les produits finis qu'elle revendique ; que les broderies qui sont apposées sur les produits sont sous-traitées à des brodeuses et ne sont absolument pas tous « brodés à la main » ; qu'elle ne peut donc reprocher à la société Dress Gallery une prétendue commercialisation de modèles similaires, alors que ces modèles sont conformes aux pratiques du secteur, et que de son côté, elle a réalisé des investissements de création et de production dont elle justifie.
Sur ce,
Si les idées sont de libre parcours, et que le seul fait de reprendre, en le déclinant, un concept mis en 'uvre par un concurrent ou de copier un produit libre de droit ne constitue pas, en soi, un acte de parasitisme, une valeur économique individualisée et identifiée peut néanmoins être protégée contre toute perte de valeur, lorsque celle-ci est sciemment causée par un tiers. Ainsi, un opérateur économique peut agir en parasitisme pour protéger un produit ou un service, qui constitue une valeur économique, si cette dernière est individualisée et identifiée, et à condition de démontrer la volonté du tiers de se placer dans son sillage (Com., 26 juin 2024 n° 22-17.647; Com., 26 juin 2024 n° 22-21.497).
Le savoir-faire et les efforts humains et financiers propres à caractériser une valeur économique identifiée et individualisée ne peuvent se déduire de la seule longévité et du succès de la commercialisation du produit et, les idées étant de libre parcours, le seul fait de reprendre, en le déclinant, un concept mis en 'uvre par un concurrent ne constitue pas, en soi, un acte de parasitisme (Com., 26 juin 2024, n° 23-13.535).
En l'espèce, pour justifier de sa valeur économique individualisée, la société Call It [Localité 5] Your Name produit deux attestations comptables relatives aux dépenses pour les années 2020, 2021, 2022 et 2023. Cependant, outre que les frais de création et de production sont regroupés sans être distingués ou même commentés, et ce alors que les coûts de production ne constituent pas en eux-mêmes des investissements constituant une valeur économique individualisée, il n'est pas davantage justifié de la part de ces montants concernant spécifiquement les produits invoqués dans la présente affaire au titre du parasitisme. Par ailleurs, s'agissant des dépenses relatives aux « promotions publicitaires », outre que leurs montants étaient très modestes en 2020 (3 144 euros) et 2021 (4 723 euros), les faits incriminés dans l'assignation introductive datant de fin 2021 et début 2022, et que ne sont pas davantage spécifiés les produits ayant fait l'objet d'opérations promotionnelles, la société Call It [Localité 5] Your Name produit des parutions presse, qui certes établissent sa reconnaissance dans le monde de la mode et celle de sa créatrice (une « griffe 100% bandana » ; « une marque de bandanas brodés » ; « [V] [T] «a rendu le bandana ultra-cool » ; « saga bandana »), mais ne démontrent pas la notoriété des produits spécifiquement invoqués dans la présente instance, dans le sillage desquels la société Dress Gallery se serait prétendument placée.
Au surplus, à supposer la valeur économique individualisée établie, la société Call It [Localité 5] Your Name, qui ne peut revendiquer de droits privatifs de façon générale sur des vêtements et accessoires en tissu bandana sur lesquels est apposée une broderie, ne démontre pas la faute commise par la société Dress Gallery, laquelle commercialisait antérieurement des sandales, des chouchous et un sac en tissu bandana, et justifie, de son côté, ses dépenses de création et de production pour les années 2019 à 2022, au soutien de l'image de sa marque Arizona Love, imprégnée de références au désert américain, la société Dress Gallery n'ayant donc pas profité de façon injustifiée du travail de la société Call It [Localité 5] Your Name.
Il résulte des développements qui précèdent que l'ensemble des demandes de la société Call It [Localité 5] Your Name sur le fondement de la concurrence déloyale et parasitaire sera rejeté. Le jugement déféré sera en conséquence confirmé de ce chef.
Sur le caractère abusif de la procédure
La société Dress Gallery prétend que la procédure diligentée par la société Call It [Localité 5] Your Name est abusive et demande une indemnisation de son préjudice de ce chef.
Elle sera cependant déboutée de sa demande à ce titre, faute pour elle de rapporter la preuve d'une faute de la part de la société Call It [Localité 5] Your Name, qui a pu légitimement se méprendre sur l'étendue de ses droits. Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
PAR CES MOTIFS,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la société Call It [Localité 5] Your Name aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile, et vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à verser à ce titre, la somme de 3 000 euros, à la société Dress Gallery.