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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 15 octobre 2025, n° 23/11730

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Dufour Entrepots (SARL)

Défendeur :

Vanguard Logistics Services France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brun-Lallemand

Vice-président :

M. Bertrand Gouarin

Conseiller :

M. Julien Richaud

Avocats :

Me Jacques Bellichach, Me Widad Chatraoui, Me Maryline Lugosi

T. com. Lille, du 1er juin 2023, n° 2022…

1 juin 2023

EXPOSE DU LITIGE

La SAS Vanguard Logistics Services France (ci-après, « la SAS Vanguard »), qui exerce une activité principale de collecte de fret aérien et maritime ainsi que de transitaire et de commissionnaire de transport, a confié entre octobre 2018 et septembre 2021 à la SARL Dufour Entrepôts, qui exerce une activité principale de logistique, de stockage, d'entreposage, de manutention et de conditionnement de marchandises, des prestations, non encadrées par un contrat écrit, d'empotage, de dépotage et de traction de conteneurs.

Déplorant une réduction drastique du flux d'affaires à compter de septembre 2021 jusqu'à son tarissement en décembre 2021, la SARL Dufour Entrepôts a, par courrier de son conseil du 9 novembre 2021, mis en demeure la SAS Vanguard de l'indemniser à hauteur de 55 185 euros du préjudice causé par la rupture brutale de leurs relations.

C'est dans ces circonstances que la SARL Dufour Entrepôts a, par acte d'huissier de justice signifié le 1er juin 2022, assigné la SAS Vanguard devant le tribunal de commerce de Lille en indemnisation des préjudices causés par la rupture brutale de leurs relations commerciales établies

Par jugement du 1er juin 2023, le tribunal de commerce de Lille a :

- dit que les relations commerciales entre les sociétés Dufour Entrepôts et Vanguard étaient établies ;

- débouté la SARL Dufour Entrepôts de ses demandes au titre de son préjudice économique et de son préjudice moral ;

- débouté la SAS Vanguard de ses demandes reconventionnelles au titre du préjudice causé par la rupture des relations commerciales et du préjudice résultant du déséquilibre significatif ;

- condamné la SARL Dufour Entrepôts aux dépens et à payer à la SAS Vanguard la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté les parties de leurs autres demandes.

Par déclaration reçue au greffe le 3 juillet 2023, la SARL Dufour Entrepôts a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 6 mars 2024 par la voie électronique, la SARL Dufour Entrepôts demande à la Cour :

- déclarer la SARL Dufour Entrepôts recevable et bien fondée en son appel ;

- y faisant droit, d'infirmer la décision déférée en toutes ses dispositions ;

- de condamner la SAS Vanguard à verser à la SARL Dufour Entrepôts la somme de 43 800 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice économique ;

- condamner la SAS Vanguard à verser à la SARL Dufour Entrepôts la somme de 10 000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice moral ;

- débouter la SAS Vanguard de toutes ses demandes ;

- condamner la SAS Vanguard à lui verser la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 28 mai 2025, la SAS Vanguard demande à la Cour, au visa de l'article L 442-1 du code de commerce, de :

- recevoir l'appel incident formé par la SAS Vanguard ;

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que les sociétés la SARL Dufour Entrepôts et Vanguard avaient entretenu des relations commerciales établies ;

- statuant à nouveau, dire et juger que la SAS Vanguard n'entretenait pas de relation commerciale établie avec la SARL Dufour Entrepôts au titre de l'article L 442-1 II du code de commerce et débouter en conséquence la SARL Dufour Entrepôts de l'ensemble de ses demandes ;

- à titre subsidiaire, réformer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la SAS Vanguard de sa demande tendant à voir juger que la rupture brutale des relations commerciales établies est intervenue à l'initiative de la SARL Dufour Entrepôts ;

- statuant à nouveau, dire et juger que la rupture brutale de la relation commerciale a été à l'initiative de la SARL Dufour Entrepôts sur le fondement de l'article L 442-1 I du code de commerce et condamner à titre reconventionnel la SARL Dufour Entrepôts à verser à la SAS Vanguard la somme de 25 000 euros au titre du préjudice subi du fait de cette rupture ;

- à titre plus subsidiaire, réformer le jugement entrepris en ce qu'il a écarté les demandes formulées par la SAS Vanguard sur le fondement du déséquilibre significatif instauré par la SARL Dufour Entrepôts au regard de l'article L 442-1 I et II du code de commerce ;

- statuant à nouveau, dire et juger que la SAS Vanguard était obligée de rompre sa relation commerciale avec la SARL Dufour Entrepôts du fait du déséquilibre significatif instauré par la SARL Dufour Entrepôts au regard de l'article L 442-1 I et II du code de commerce et condamner à titre reconventionnel la SARL Dufour Entrepôts à verser à la SAS Vanguard la somme de 25 000 euros au titre du préjudice subi ;

- en tout état de cause :

o confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la SARL Dufour Entrepôts de sa demande de voir condamner la SAS Vanguard à lui payer les sommes de 43 800 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice économique résultant de la rupture des relations commerciales établies et de 10 000 euros au titre du préjudice moral ;

o débouter la SARL Dufour Entrepôts de toutes ses demandes ;

o condamner la SARL Dufour Entrepôts à verser à la SAS Vanguard la somme supplémentaire en cause d'appel de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise ainsi qu'aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 juillet 2025. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l'arrêt sera contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile.

MOTIVATION

1°) Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

Moyens des parties

La SARL Dufour Entrepôts expose avoir entretenu avec la SAS Vanguard, à compter d'octobre 2018, des relations commerciales générant un flux d'affaires stable et régulier lui ayant permis de dégager un chiffre d'affaires de 108 293,71 euros en 2019, de 150 740,69 euros en 2020 et de 109 402,37 euros en 2021. Soulignant l'indifférence de l'inexistence d'un contrat cadre ou d'un état de dépendance économique, elle en déduit le caractère établi de leur partenariat. Elle soutient que la cessation des commandes à compter de septembre 2021 caractérise sa rupture brutale qui ne peut lui être imputée à raison de la seule hausse de ses prix qui était imposée par l'augmentation des matières premières et l'impossibilité de vendre à perte et était quoi qu'il en soit dérisoire rapportée au coût total d'un conteneur (0,61 %). Elle estime le préavis éludé à quatre mois à raison de la durée des relations commerciales et calcule son préjudice économique en appliquant sa marge brute de 81,25 % à la moyenne des chiffre d'affaires dégagés de janvier à août 2021. Elle souligne enfin l'indifférence de la hausse globale de son chiffre d'affaires et des éléments postérieurs à la rupture.

En réponse, la SAS Vanguard conteste le caractère établi des relations au motif que les prestations réalisées sans exclusivité par la SARL Dufour Entrepôts à sa demande ne représentaient que 4,9 % de son chiffre d'affaires global en 2021, constat exclusif de toute dépendance économique, qu'elles n'étaient encadrées par aucun contrat et qu'elles étaient ponctuelles. Subsidiairement, elle soutient que la rupture n'a eu aucune incidence préjudiciable sur l'activité de la SARL Dufour Entrepôts, son chiffre d'affaires n'ayant cessé de croître entre 2020 et 2022, et qu'elle est imputable à cette dernière qui a unilatéralement, sans préavis et sans négociation préalable, augmenté ses prix (doublement des prix des palettes et majoration de 30 % de ceux des emballages), cette modification substantielle caractérisant une rupture brutale des relations commerciales fondant sa demande indemnitaire reconventionnelle.

Réponse de la cour

En application de l'article L 442-1 II du code de commerce, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels, et, pour la détermination du prix applicable durant sa durée, des conditions économiques du marché sur lequel opèrent les parties. En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois. Ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.

- Sur les caractéristiques des relations commerciales

Au sens de ce texte, la relation, notion propre du droit des pratiques restrictives de concurrence qui n'implique aucun contrat (en ce sens, Com., 9 mars 2010, n° 09-10.216) et n'est soumise à aucun formalisme quoiqu'une convention ou une succession d'accords poursuivant un objectif commun puisse la caractériser, peut se satisfaire d'un simple courant d'affaires, sa nature commerciale étant entendue plus largement que la commercialité des articles L 110-1 et suivants du code de commerce comme la fourniture d'un produit ou d'une prestation de service (en ce sens, Com., 23 avril 2003, n° 01-11.664). Elle est établie dès lors qu'elle présente un caractère suivi, stable et habituel laissant entendre à la victime de la rupture qu'elle pouvait raisonnablement anticiper, pour l'avenir, une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial (en ce sens, Com., 15 septembre 2009, n° 08-19.200 qui évoque « la régularité, le caractère significatif et la stabilité de la relation commerciale » et Com., 11 janvier 2023, n° 21-18.299, qui souligne l'importance pour la victime de démontrer la légitimité de sa croyance dans la pérennité des relations). La poursuite de la relation par une personne distincte de celle qui l'a nouée initialement ne fait pas obstacle à sa stabilité en présence d'une transmission universelle de patrimoine et, à défaut, si des éléments démontrent que la commune intention des parties était de continuer la même relation (en ce sens, Com., 10 février 2021, n° 19-15.369).

La SAS Vanguard ne conteste pas que la relation a permis à la SARL Dufour Entrepôts de dégager un chiffre d'affaires de 108 293,71 euros en 2019, de 150 740,69 euros en 2020 et de 109 402,37 euros en 2021 représentant pour cette dernière année 4,9 % de son chiffre d'affaires total (pièces 3, 4 et 12 de l'appelante), soit une part non négligeable. La liste des factures produite révèle par ailleurs, à rebours de l'assertion de la SAS Vanguard relative au caractère ponctuel de ses commandes que rien n'étaye, que celles-ci étaient régulières quoique variables (5 à 39 factures par mois), ininterrompues et significatives en valeur absolue et relativement à l'activité globale de la SARL Dufour Entrepôts, peu important l'absence d'exclusivité, d'engagement de volume, d'état de dépendance économique et de contrat écrit encadrant les relations, considérations étrangères à la caractérisation d'une relation commerciale établie qui est d'appréciation concrète, économique et matérielle.

Ces éléments caractérisent un flux d'affaires continu, relativement stable et significatif et suffisent à prouver l'existence d'une relation commerciale établie nouée entre la SARL Dufour Entrepôts et la SAS Vanguard pendant deux ans et onze mois.

- Sur l'imputabilité de la rupture des relations

L'article L 442-1 II du code de commerce sanctionne non la rupture, qui doit néanmoins être imputable à l'agent économique à qui elle est reprochée, mais sa brutalité qui résulte de l'absence de préavis écrit ou de préavis suffisant. Celui-ci, qui s'apprécie au moment de la notification ou de la matérialisation de la rupture, s'entend du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, soit pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement en bénéficiant, sauf circonstances particulières, d'un maintien des conditions antérieures (en ce sens, Com., 10 février 2015, n° 13-26.414), les éléments postérieurs ne pouvant être pris en compte pour déterminer sa durée (en ce sens, Com, 1er juin 2022, n° 20-18960). Les critères pertinents sont notamment l'ancienneté des relations et les usages commerciaux, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, l'éventuelle exclusivité des relations et la spécificité du marché et des produits et services en cause ainsi que tout obstacle économique ou juridique à la reconversion. En revanche, le comportement des partenaires consécutivement à la rupture est sans pertinence pour apprécier la suffisance du préavis accordé. La rupture peut être totale ou partielle, la relation commerciale devant dans ce dernier cas être modifiée substantiellement (en ce sens, Com. 31 mars 2016, n° 14-11.329 ; Com 20 novembre 2019, n° 18-11.966).

Au regard de la fonction du préavis, la date d'appréciation de la suffisance de sa durée est celle de sa matérialisation concrète dans le tarissement du flux d'affaires ou de la notification de la rupture, qui correspond à l'annonce faite par un cocontractant à l'autre de sa volonté univoque de cesser la relation à une date déterminée, seule information qui peut permettre au partenaire délaissé de se projeter et d'organiser son redéploiement ou sa reconversion en disposant de la visibilité indispensable à toute anticipation.

Mais, la rupture, quoique brutale, peut être justifiée si elle est causée par une faute suffisamment grave pour fonder la cessation immédiate des relations commerciales (en ce sens, sur le critère de gravité, Com. 27 mars 2019, n° 17-16.548). La faute doit être incompatible avec la poursuite, même temporaire, du partenariat : son appréciation doit être objective, au regard de l'ampleur de l'inexécution et de la nature de l'obligation sur laquelle elle porte, mais également subjective, en considération de son impact effectif sur la relation commerciale concrètement appréciée et sur la possibilité de sa poursuite malgré sa commission ainsi que du comportement de chaque partie.

A compter du mois de septembre 2021, le flux d'affaires a été réduit à 740,10 euros en septembre, 276,80 euros en octobre, 54 euros en novembre et 414 euros en décembre (soit un total de 1 484,90 euros) avant de se tarir définitivement. Rapportés à la période précédente correspondante durant laquelle la relation a permis à la SARL Dufour Entrepôts de dégager un chiffre d'affaires total de 57 427,05 euros (pièce 4 de l'appelante), ces données révèlent une réduction des commandes de plus de 97 % en quatre mois et caractérisent une modification substantielle du partenariat.

Pour justifier cet état de fait qu'elle ne conteste pas, la SAS Vanguard invoque l'augmentation unilatérale de ses prix par la SARL Dufour Entrepôts. Il ressort à cet égard des courriels échangés (pièce 19 de l'appelante) que la SARL Dufour Entrepôts a annoncé à la SAS Vanguard une augmentation des tarifs de ses palettes et de ses films d'emballage le 26 juillet pour une application effective dès le 1er août 2021 à raison de la hausse des matières premières (bois et plastique). S'étonnant de la soudaineté de cette hausse que ses autres fournisseurs ne pratiquaient pas et de l'absence d'alerte préalable, la SAS Vanguard sollicitait en retour une négociation de cette majoration en fin d'année pour pouvoir la répercuter lors de la fixation annuelle de ses propres prix. Pour autant, opposant le risque d'une vente à perte et expliquant avoir supporté seule une première augmentation en juin, la SARL Dufour Entrepôts maintenait sa position, excluait tout report et toute discussion et appliquait ses nouveaux tarifs, ce dont la SAS Vanguard prenait acte le 6 août 2021 (« j'en prends bonne note et ne ferai aucun commentaire de plus »).

Ainsi que la SAS Vanguard, interrogée par la SARL Dufour Entrepôts sur l'absence de commande, le précisait dans ses courriels du 17 septembre 2021 (« comme vous nous ne pouvons pas travailler à perte » puis « vu que pas de négociation possible de votre part j'ai dû réagir afin de ne pas perdre d'argent, donc dérouter les conteneurs »), la réduction puis la cessation des commandes trouve sa cause exclusive dans cette augmentation effective des prix qui, bien que présentée comme temporaire, avait vocation à durer, le « retour en ordre du marché » auquel était suspendue l'application des prix antérieurs étant incertain en son principe et indéterminable en sa durée.

Or, il importe peu que cette hausse ne soit pas en elle-même fautive et qu'elle soit de faible importance rapportée au coût total des prestations de la SARL Dufour Entrepôts (0,61 % par conteneur). Destiné à prémunir une partie à une relation commerciale contre le risque d'être soudainement délaissée par son partenaire sans égard pour ses anticipations légitimement assises sur la stabilité et la continuité du flux d'affaires et d'être privée de la faculté de se réorganiser utilement, le dispositif défini par l'article L 442-1 II du code de commerce ne confère pas un droit acquis au maintien d'une relation dont un des éléments essentiels, tels le prix, a été unilatéralement modifié sans possibilité de négociation (par analogie, Com. 20 novembre 2019, n° 18-11.966 : « si la rupture d'une relation commerciale établie sans préavis suffisant peut engager la responsabilité de son auteur, une simple proposition de modification des conditions contractuelles ne peut être qualifiée de rupture au sens du texte susvisé si elle est négociable »). En outre, la hausse immédiate pratiquée par la SARL Dufour Entrepôts n'était pas prévisible faute d'avoir été annoncée ou de correspondre à une pratique consensuelle antérieure. Et, l'attitude fermée de la SARL Dufour Entrepôts, qu'elle a considéré devoir maintenir au regard, en substance, de ses marges insuffisantes depuis une première augmentation du coûts des matières premières en juin 2021 supportée seule, a privé la SAS Vanguard de toute possibilité de négociation. Aussi, cette dernière était libre de l'accepter en poursuivant la relation ou de la refuser en mettant un terme à celle-ci. La rupture, quoique découlant de sa décision de cesser toute commande, ne lui est en conséquence pas imputable au sens de l'article L 442-1 II du code de commerce.

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a dit que les relations commerciales nouées entre les parties étaient établies tout en rejetant les demandes de la SARL Dufour Entrepôts au titre de son préjudice économique et de son préjudice moral.

2°) Sur les demandes reconventionnelles

a) Sur la rupture des relations

Moyens des parties

La SARL Dufour Entrepôts expose que l'augmentation contrainte de ses tarifs ne constitue pas une faute grave au sens de l'article L 442-1 II du code de commerce tandis que la SAS Vanguard y voit une modification substantielle de la relation qui, faute de préavis et de négociation, caractérise une rupture brutale des relations commerciales établies à son préjudice.

Réponse de la Cour

En admettant que la majoration imposée par la SARL Dufour Entrepôts constitue une modification substantielle de la relation en ce qu'elle porte sur un élément essentiel du partenariat et qu'elle s'analyse à raison de l'absence de tout préavis effectif en une rupture brutale des relations commerciales établies, la SAS Vanguard ne fournit pas le moindre élément permettant d'apprécier la réalité et la mesure du préjudice qu'elle allègue et qu'elle évalue forfaitairement en violation du principe de la réparation intégrale et des règles applicables à la détermination du préjudice réparable sur le fondement de l'article L 442-1 II du code de commerce.

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté sa demande reconventionnelle à ce titre.

b) Sur le déséquilibre significatif

Moyens des parties

La SARL Dufour Entrepôts expose que la SAS Vanguard ne démontre ni soumission (ou sa tentative), des négociations ayant été engagées relativement à la hausse des prix qu'elle annonçait, ni déséquilibre significatif, la répercussion de la hausse des prix des palettes et des rouleaux d'emballage étant commandée par l'interdiction de vente à perte et ne lui conférant aucun avantage particulier.

La SAS Vanguard soutient que l'augmentation unilatérale de ses prix pratiquée par la SARL Dufour Entrepôts caractérise une soumission, aucune négociation effective n'ayant été possible, à un déséquilibre significatif.

Réponse de la Cour

Aux termes de l'article L 442-1 I 2° du code de commerce dans sa version issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 applicable au jour de la pratique litigieuse, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l'exécution d'un contrat, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services, de soumettre ou de tenter de soumettre l'autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

La caractérisation de cette pratique restrictive suppose ainsi la réunion de deux éléments : d'une part la soumission à des obligations, ou sa tentative, et d'autre part l'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

La soumission, ou sa tentative, implique la démonstration par tous moyens par la SAS Vanguard, conformément à l'article 9 du code de procédure civile, de l'absence de négociation effective, ou de sa possibilité, des clauses ou obligations incriminées. Celle-ci, qui peut notamment être caractérisée par l'usage de menaces ou de mesures de rétorsion visant à forcer l'acceptation, ne peut se déduire de la seule structure d'ensemble du marché de la grande distribution, qui peut néanmoins constituer un indice de l'existence d'un rapport de forces déséquilibré se prêtant difficilement à des négociations véritables entre distributeurs et fournisseurs (en ce sens, Com. 20 novembre 2019, n° 18-12.823). L'appréciation de cette première condition est ainsi réalisée en considération du contexte matériel et économique de la conclusion proposée ou effective, l'insertion de clauses dans une convention type ou un contrat d'adhésion ou les conditions concrètes de souscription (en ce sens, Com. 6 avril 2022, n° 20-20.887) pouvant constituer des critères pertinents de la soumission ou de sa tentative. Si l'analyse de la contrepartie participe prioritairement de l'appréciation du déséquilibre significatif, celle de son existence, plutôt que de sa suffisance, demeure utile pour caractériser une éventuelle soumission ou tentative de soumission en ce que l'absence d'avantage attendu par le cocontractant ou de réciprocité des obligations est de nature à éclairer subjectivement, à raison de la dimension purement unilatérale de la démarche, une volonté d'assujettissement.

L'appréciation du déséquilibre significatif, qui peut être économique comme juridique, est globale, au regard de l'économie du contrat, et concrète. L'article L 442-1 I 2° du code de commerce autorise, non une fixation, mais un contrôle judiciaire du prix, dès lors que celui-ci ne résulte pas d'une libre négociation et caractérise un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties (en ce sens, Com., 25 janvier 2017, n° 15-23.547, et CConst. 30 novembre 2018, n° 2018-749 QPC). L'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif peut notamment se déduire d'une absence totale de réciprocité ou de contrepartie à une obligation, ou encore d'une disproportion importante entre les obligations respectives des parties, les effets des pratiques n'ayant en revanche pas à être pris en compte ou recherchés (en ce sens, Com., 3 mars 2015, n° 14-10.907). En l'absence de toute présomption légale, la preuve du déséquilibre significatif incombe à l'appelante, tandis que celle d'un éventuel rééquilibrage du contrat par une ou plusieurs autres clauses repose sur l'intimée.

Si l'augmentation tarifaire opérée par la SARL Dufour Entrepôts est une pratique au sens de l'article L 442-1 I 2° du code de commerce et si le refus de toute négociation opposé par celle-ci caractérise une soumission, les prix ayant effectivement étaient imposés, la SAS Vanguard n'explique pas en quoi, notamment au regard de sa faible ampleur, elle génère un déséquilibre significatif dans les droits et obligations respectives des parties. Cette dernière ne précise en outre pas la consistance du préjudice qu'elle allègue ni ses modalités d'évaluation et ne fournit aucune pièce susceptible d'éclairer et d'étayer sa demande reconventionnelle dont le quantum est à nouveau fixé forfaitairement.

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté celle-ci.

3°) Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions sur les frais irrépétibles et les dépens.

Succombant, la SARL Dufour Entrepôts, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, sera condamnée à supporter les entiers dépens d'appel ainsi qu'à payer à la SAS Vanguard la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Rejette la demande de la SARL Dufour Entrepôts au titre des frais irrépétibles ;

Condamne la SARL Dufour Entrepôts à payer à la SAS Vanguard Logistics Services France la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SARL Dufour Entrepôts à supporter les entiers dépens d'appel.

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