CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 15 octobre 2025, n° 23/10080
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Protection Europe Sécurité (SAS)
Défendeur :
Intramar (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Brun-Lallemand
Vice-président :
M. Gouarin
Conseiller :
M. Richaud
Avocats :
Me Etevenard, Me Pozzo di Borgo, Me Duval, Me Fallot
FAITS ET PROCÉDURE
La SAS Protection Europe Sécurité (ci-après « la SAS PES ») sert des prestations dans le secteur des activités de sécurité privée quand la SA Intramar exerce sous le nom commercial Med Europe Terminal une activité principale d'entrepreneur de manutention dans le port de [Localité 4].
Par contrat du 20 mars 2018 stipulant un terme au 31 mars 2021 mais résiliable par anticipation moyennant le respect d'un préavis de quinze jours en cas de manquement non régularisé d'une partie, la SA Intramar a confié à la SAS PES la charge de la surveillance et du gardiennage du terminal portuaire qu'elle exploite.
Par lettre du 15 mai 2020, la SA Intramar a notifié à la SAS PES la résiliation de contrat à compter du 30 août 2020 en l'invitant à candidater à une mise en concurrence à venir. Quoique la SAS PES lui ait adressé son offre le 26 juin 2020 dans le délai qu'elle avait prescrit, la SA Intramar l'a informée par courrier du 7 septembre 2020 que son contrat prendrait fin le 30 novembre 2020.
Par ordonnance du 14 décembre 2020, le délégataire du président du tribunal de commerce de Marseille, saisi d'un référé d'heure à heure par la SAS PES, a ordonné à la SA Intramar de communiquer à la SAS PES les critères effectifs de sélection du candidat choisi au titre de l'appel d'offres qui expirait le 26 juin 2020 à 12 heures, les coefficients de pondération de ces critères, la copie de l'intégralité des courriers adressés à tous les candidats ainsi que les éléments du marché passé avec le nouvel attributaire, la société EL VEZ. Cette décision était toutefois infirmée par arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 9 septembre 2021.
C'est dans ces circonstances que la SAS PES a, par acte d'huissier signifié le 27 avril 2022, assigné la SA Intramar devant le tribunal de commerce de Marseille en indemnisation des préjudices causés par sa faute dans l'exécution de l'appel d'offres et par la rupture brutale des relations commerciales établies.
Par jugement du 2 mai 2023, le tribunal de commerce de Marseille a statué en ces termes :
Ecarte des débats les pièces numérotées de 1 à 15 communiquées par la société INTRAMAR la veille de l'audience ;
Déboute la société PROTECTION EUROPE SECURITE (PES) de sa demande tendant à ce que
les conclusions écrites de la société INTRAMAR soient écartées des débats ;
Déboute la société PROTECTION EUROPE SECURITE (PES) de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
Condamne la société PROTECTION EUROPE SECURITE (PES) à payer à la société INTRAMAR la somme de 1.000 euros ['] au titre des frais irrépétibles
occasionnés par la procédure ;
Condamne la société PROTECTION EUROPE SECURITE (PES) à payer à la société EL VEZ SARL la somme de 2.000 euros ['] au titre des frais irrépétibles occasionnés par la procédure ;
Conformément aux dispositions de l'article 696 du Code de Procédure Civile, laisse à la charge de la société PROTECTION EUROPE SECURITE (PES) les dépens ['] ;
Rejette, pour le surplus, toutes autres demandes, fins et conclusions de la société PROTECTION
EUROPE SECURITE (PES), contraires aux dispositions du présent jugement.
Par déclaration reçue au greffe le 6 juin 2023, la SAS PES a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 5 janvier 2024, la SAS PES demande à la Cour, au visa des articles 1231-1, 1102, 1103 et 1104, 1110 et 1113, 1190 et 1191 du code civil, L 442-1 du code de commerce et 700 et 696 du code de procédure civile de :
- réformer le jugement rendu par la tribunal de commerce de Marseille le 2 mai 2023 en toutes ces dispositions, sauf en ce qu'il a reconnu l'existence d'un préavis de 83 jours ;
- statuant à nouveau :
o condamner la SA Intramar à verser à la SAS PES la somme de 350 460 euros au titre de son préjudice né de la perte de chance d'être attributaire du marché et correspondant à la marge qui aurait pu en être dégagée, considérant que la SA Intramar a commis diverse faute dans l'exécution de l'avant-contrat de mise en concurrence ;
o condamner la SA Intramar à verser à la SAS PES la somme de 5 000 euros au titre de son préjudice né de son exposition à des frais de candidature dans une procédure de mise en concurrence biaisée ;
o condamner la SA Intramar à verser à la SAS PES la somme de 31 476,50 euros au titre de son préjudice résultant de la rupture brutale de la relation commerciale établie ;
o débouter la SA Intramar de toutes ses demandes ;
- condamner la SA Intramar à verser à la SAS PES la somme de 7 000 euros au titre des frais irrépétibles de la procédure ;
- condamner la SA Intramar aux entiers dépens d'instance, dont le coût d'exécution de la décision à intervenir.
En réponse, dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 2 novembre 2023, la SA Intramar demande à la Cour, au visa de l'article 1102 du code civil, de :
- recevoir la SA Intramar en ses écritures, les dire recevables et bien fondées ;
- juger que la SA Intramar n'a pas émis de procédure d'appel d'offres au sens du droit des marchés publics ;
- juger que la mise en concurrence opérée par la SA Intramar relève des dispositions de droit civil ;
- juger que la SAS PES ne justifie d'aucune faute de la SA Intramar ;
- juger que la SAS PES ne peut tirer grief d'avoir bénéficier d'un délai de préavis allongé ;
- juger que la SAS PES a librement consenti à l'allongement du délai de préavis de rupture du contrat qui la liait à la SA Intramar ;
- en conséquence, confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
- débouter la SAS PES de l'ensemble de ses demandes ;
- y ajoutant, condamner la SAS PES à payer à la SA Intramar la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 mai 2025. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l'arrêt sera contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile.
MOTIVATION
1°) Sur la responsabilité contractuelle de la SA Intramar
Moyens des parties
Au soutien de ses prétentions, la SAS PES, qui souligne à titre liminaire le défaut de motivation du jugement entrepris notamment en ce qu'il s'est appuyé sur l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence alors qu'il n'était pas revêtu de l'autorité de la chose jugée, expose que son éviction de la procédure de mise en concurrence est illégitime, le candidat sélectionné n'ayant pas transmis un dossier de candidature complet et la SA Intramar n'ayant pu de ce fait procéder à sa sélection en application des critères qu'elle avait elle-même fixés. Elle explique que la mise en concurrence spontanément décidée par la SA Intramar, qui caractérise la rencontre d'une offre de contracter et son acceptation matérialisée dans le dépôt d'une candidature, est un avant-contrat cadre soumis, non aux dispositions du code de la commande publique qu'elle n'invoque pas, mais au droit commun des contrats. Elle en déduit que la SA Intramar, tenue d'exécuter ce contrat d'adhésion de bonne foi, s'obligeait à respecter les modalités de sélection qu'elle avait édictées et qui étaient énoncées dans le cahier des clauses particulières qui doivent s'interpréter contre la SA Intramar. Elle indique que ce dernier stipulait notamment en son article 19 que l'offre la mieux classée serait retenue selon des critères de prix, de services et de références qui devaient être tous pris en considération et son article 17 que les dossiers non conformes à la consultation seraient rejetés. Elle prétend que le dossier de la société EL VEZ n'aurait pas dû être retenu puisqu'il était incomplet faute de mémoire technique, document indispensable pour apprécier la nature et la qualité des services proposés. Elle ajoute que ses références étaient meilleures et que son activité était plus importante que celle du candidat retenu alors que les prix proposés étaient très voisins. Elle en déduit que la SA Intramar n'a pas respecté les critères de choix qu'elle avait énoncés et que ce comportement fautif et déloyal lui cause un préjudice consistant en la perte de chance d'être attributaire du marché. Elle évalue son taux de perte de chance à 100 % en soulignant l'absence de troisième candidat et l'applique au montant de sa rémunération entre le 1er décembre 2019 et le 30 novembre 2020, déduction faite du coût de la masse salariale pendant la durée du marché (soit 350 460 euros pour trois ans). Elle sollicite en outre le remboursement des frais engagés pour soumissionner (5 000 euros).
En réponse, la SA Intramar, qui souligne la suffisance et la pertinence de la motivation du jugement entrepris, expose qu'elle a lancé une simple consultation accompagnée d'un cahier des charges non contraignant. Elle en déduit qu'elle était libre de sélectionner intuitu personae le candidat de son choix et qu'elle n'était tenue que d'une obligation de loyauté se réduisant au respect de l'égalité d'information entre les candidats, les critères évoqués dans le cahier des charges n'étant pas, pour elle, obligatoires. Elle conteste enfin le principe du préjudice allégué en soulignant la prise en charge des frais de personnels par le successeur de la SAS PES.
Réponse de la cour
En vertu de l'article 1102 du code civil, chacun est libre de contracter ou de ne pas contracter, de choisir son cocontractant et de déterminer le contenu et la forme du contrat dans les limites fixées par la loi.
Et, en application des articles 1101, 1109, 1113 et 1128 (anciennement 1101 et 1108) du code civil, le contrat, qui est consensuel quand il se forme par le seul échange des consentements par la rencontre d'une offre et d'une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s'engager, est un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations. Sont nécessaires à la validité d'un contrat, le consentement des parties, leur capacité de contracter et un contenu licite et certain.
En outre, aux termes des article 1114 à 1122 du code civil, l'offre, faite à personne déterminée ou indéterminée, comprend les éléments essentiels du contrat envisagé et exprime la volonté de son auteur d'être lié en cas d'acceptation. A défaut, il y a seulement invitation à entrer en négociation. Librement rétractable tant qu'elle n'est pas parvenue à son destinataire, elle ne peut être rétractée avant l'expiration du délai fixé par son auteur ou, à défaut, l'issue d'un délai raisonnable aux termes duquel elle sera caduque, la rétractation de l'offre en violation de cette interdiction empêchant la conclusion du contrat mais engageant la responsabilité extracontractuelle de son auteur dans les conditions du droit commun sans l'obliger à compenser la perte des avantages attendus du contrat. L'acceptation est la manifestation de volonté de son auteur d'être lié dans les termes de l'offre. Tant que l'acceptation, qui ne peut résulter d'un silence sauf disposition légale ou usage contraire ou si les circonstances particulières le permettent, n'est pas parvenue à l'offrant, elle peut être librement rétractée, pourvu que la rétractation parvienne à l'offrant avant l'acceptation, l'acceptation non conforme à l'offre étant dépourvue d'effet, sauf à constituer une offre nouvelle. Le contrat est conclu dès que l'acceptation parvient à l'offrant.
Dans ce cadre, si les personnes privées peuvent lancer un appel d'offres pour conclure leurs contrats, le recours à cette procédure n'emporte ni leur requalification en contrats administratifs ni leur soumission au droit de la commande publique (en ce sens, 3ème Civ., 9 octobre 1991, n° 90-13.244). L'appel d'offres privé est ainsi soumis au droit commun des contrats. A ce titre, il peut excéder la simple invitation à négocier et participer de la formation d'un avant-contrat de mise en concurrence s'il caractérise une offre au sens de l'article 1114 du code civil et s'il comprend de ce fait les éléments nécessaires à la formation du contrat envisagé et exprime la volonté de son auteur d'être immédiatement lié par l'acceptation (en ce sens, sur la nature contractuelle de la responsabilité de l'organisateur d'une mise en concurrence, 1ère Civ., 29 mai 1963, Bull. civ. III, n° 287). L'offre porte ici, non sur le contrat définitif à conclure à l'issue du processus, mais sur la participation à celui-ci, entendu comme une procédure de sélection des candidats selon des critères communs préétablis, et sur la volonté de son auteur d'être lié par ces derniers tout en demeurant libre de ne retenir aucun candidat. Aussi, le départage entre l'invitation à entrer en négociation et l'offre s'opère en considération de la précision et de la clarté des règles organisant la compétition et de la certitude que leur auteur s'oblige à s'y soumettre lui-même.
Les conditions de caractérisation de l'offre et son acceptation par le candidat, qu'exprime la soumission elle-même, acquises, l'avant-contrat génère pour l'organisateur de l'appel d'offres, outre l'obligation générale de l'exécuter de bonne foi qui implique le respect de l'égalité et de la libre concurrence entre les candidats, le devoir d'appliquer les règles qu'il a lui-même édictées en se livrant à un examen objectif et exhaustif des soumissions selon les seuls critères qu'il a librement définis et, le cas échéant, pondérés ou hiérarchisés. A défaut, ce dernier engage sa responsabilité contractuelle.
A ce titre, conformément aux articles 1103, 1104 et 1194 du code civil (anciennement 1134), les conventions légalement formées, qui tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise, doivent être exécutées de bonne foi. Et, en vertu des dispositions des articles 1231-1 à 4 (anciennement 1147, 1149 et 1150) du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure, les dommages et intérêts dus au créancier étant, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé et le débiteur n'étant tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu'on a pu prévoir lors du contrat, sauf lorsque l'inexécution est due à une faute lourde ou dolosive, les dommages et intérêts ne comprenant quoi qu'il en soit que ce qui est une suite immédiate et directe de l'inexécution.
Le préjudice réparable en cas de faute commise dans l'exécution de l'avant-contrat de mise en concurrence, qui n'est pas comparable à une rupture délictuelle des pourparlers au sens de l'article 1112 du code civil, réside dans les frais inutilement exposés pour soumissionner ou dans la perte de chance de conclure le contrat définitif, le cumul de ces postes de préjudice étant impossible à raison de leur incompatibilité logique. La perte de chance s'entend de la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable et suppose établie la preuve du sérieux de la chance perdue, son indemnisation, qui implique un calcul de probabilité de survenance de l'évènement irrémédiablement impossible, ne pouvant être égale au montant de la chance réalisée.
Par courrier du 15 mai 2020 ayant pour objet la « dénonciation du contrat de gardiennage », la SA Intramar a notifié à la SAS PES la rupture de leur contrat avec un préavis de 3 mois débutant le 30 mai 2020. Soulignant le déclin de son activité et la nécessité de « trouver des pistes d'économie », elle annonçait le lancement d'un appel d'offres auquel la SAS PES était libre de participer (pièce 4 de l'intimée).
Le cahier des clauses particulières remis aux candidats (pièce 5 de l'intimée) définit les prestations objet du contrat définitif ainsi que ses conditions d'exécution et précise en ses articles 14 et suivants les conditions de sélection des candidats. Ainsi, son article 19 « Evaluation des candidats » stipule que « l'offre la mieux classée sera retenue selon les critères de prix, de services et de références ». En l'absence de toute hiérarchisation ou pondération, la SA Intramar était libre de faire prévaloir sur tous les autres l'un de ces critères génériques et non clairement définis dans leur contenu, la nécessaire prise en compte de chacun d'eux n'impliquant pas leur égale importance.
Par ailleurs, aux termes de son article 17 « Présentation des offres », les concurrents doivent présenter une offre entièrement conforme au dossier de consultation, chaque candidat devant fournir un dossier complet comprenant des pièces listées et la SA Intramar se réservant la faculté (et non le devoir, comme le soutient l'appelante : « Med Europe Terminal peut décider de demander ») de solliciter la communication des éléments manquants. Aussi, faute de stipulation en ce sens, le simple fait qu'un dossier soit incomplet ne l'exclut pas per se de la mise en concurrence, la SA Intramar appréciant librement, sans pour autant rompre en soi l'égalité entre les candidats, les données qu'elle estime nécessaires à sa pleine information et à la sélection du candidat le mieux-disant dès lors que les informations manquantes ne font pas objectivement obstacle à la mise en 'uvre des critères préétablis. A nouveau, en érigeant ces exigences formelles en cause d'irrecevabilité nécessaire des candidatures, la SAS PES ajoute à la lettre du contrat une condition que son esprit n'implique pas.
Aux termes des articles 5 et 17 du cahier des clauses particulières, le dossier de candidature doit notamment comprendre « un mémoire technique présentant les dispositions que chaque candidat se propose d'adopter pour l'exécution des prestations objet du ['] marché [répondant] à toutes les questions posées dans le CCP et [comprenant] toutes justifications et observations de l'entreprise ». Pour illustrer la nature des informations susceptibles de figurer dans ce document, la SAS PES produit son propre mémoire technique (sa pièce 7).
Quoique fourni, ce document comporte pour l'essentiel des données très générales sur le fonctionnement de l'entreprise sans lien avec les particularités du marché, y compris dans la partie dédiée intitulée « organisation proposée pour répondre aux missions confiées » (pages 44 et suivantes) qui précise, dans des termes qui pourraient être appliqués à toute prestation de gardiennage, le déroulement de la « réunion de la mise au point du marché », l'encadrement du personnel, les modalités pratiques d'échange d'informations, la rédaction des consignes, les missions des agents et la gestions des clés et des badges, et qui annonce le respect du plan de prévention et les règles d'hygiène et de sécurité avant de livrer des renseignements sur sa politique sociale et environnementale. Il en est de même de la « procédure de suivi et de contrôle de la bonne réalisation des prestations » qui correspond en réalité à une description du fonctionnement habituel de l'entreprise sans égard pour les spécificités du marché.
Au regard du contenu du mémoire communiqué par la SAS PES, qui s'apparente à une description générale de toute activité de gardiennage sans spécificité propre notable, et de l'absence de particularité de l'activité de gardiennage objet du marché, l'absence d'un tel document dans le dossier de candidature de la société EL VEZ (pièces 17 et 21 de l'appelante) n'est pas de nature à faire obstacle à l'application du critère dit de services, les éléments complets qu'il comprend, relatifs au personnel employé susceptible d'être affecté sur site ainsi qu'au coût des prestations, étant à cet égard suffisants, constat qui explique l'absence de demande faite par la SA Intramar en application de l'article 17.
Or, si la SAS PES présentait de meilleures références que la société EL VEZ, elle ne conteste pas que ses tarifs étaient, peu important la mesure de l'écart, plus élevés. Aussi, en l'absence de pondération et de hiérarchisation des critères, la SA Intramar, qui a pu tous les apprécier objectivement, était libre de faire prévaloir celui relatif au prix sans commettre une faute ou manifester une mauvaise foi quelconque dans la conduite de l'appel d'offres et dans l'exécution de l'avant-contrat dont il était l'objet.
En conséquence, le jugement entrepris sera, par ces motifs substitués, confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes indemnitaires de la SAS PES à ce titre.
2°) Sur la rupture brutale des relations commerciales établies
Moyens des parties
Au soutien de ses prétentions, la SAS PES expose que la relation commerciale a débuté le 20 mars 2018 et que sa durée, au jour de sa rupture du 30 novembre 2020, était de 2 ans et 8 mois. Elle précise que, le contrat ayant été rompu le 30 août 2020 mais exécuté après cette date, un nouveau contrat à durée indéterminée a été institué au sens des articles 1214 et 1215 du code civil. Elle en déduit que seul le préavis accordé de 83 jours accordé le 7 septembre 2020 peut être pris en considération et qu'il était insuffisant à raison du taux d'implication de la relation dans son chiffre d'affaires global (19,63 %) et de l'absence de partenaire de substitution. Elle évalue le préavis suffisant à six mois. Elle calcule son préjudice sur la base de sa marge brute mensuelle (9 735 euros).
En réponse, la SA Intramar explique que la SAS PES a bénéficié d'un préavis allongé et que sa durée était suffisante au regard des caractéristiques de la relation. Elle ajoute que le préjudice allégué n'est pas justifié en son quantum.
Réponse de la cour
En application de l'article L 442-1 II du code de commerce dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 applicable au jour de la notification de la rupture, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels. En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois. Ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.
- Sur les caractéristiques des relations commerciales
Au sens de ce texte, la relation, notion propre du droit des pratiques restrictives de concurrence qui n'implique aucun contrat (en ce sens, Com., 9 mars 2010, n° 09-10.216) et n'est soumise à aucun formalisme quoiqu'une convention ou une succession d'accords poursuivant un objectif commun puisse la caractériser, peut se satisfaire d'un simple courant d'affaires, sa nature commerciale étant entendue plus largement que la commercialité des articles L 110-1 et suivants du code de commerce comme la fourniture d'un produit ou d'une prestation de service (en ce sens, Com., 23 avril 2003, n° 01-11.664). Elle est établie dès lors qu'elle présente un caractère suivi, stable et habituel laissant entendre à la victime de la rupture qu'elle pouvait raisonnablement anticiper, pour l'avenir, une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial (en ce sens, Com., 15 septembre 2009, n° 08-19.200 qui évoque « la régularité, le caractère significatif et la stabilité de la relation commerciale » et Com., 11 janvier 2023, n° 21-18.299, qui souligne l'importance pour la victime de démontrer la légitimité de sa croyance dans la pérennité des relations). La poursuite de la relation par une personne distincte de celle qui l'a nouée initialement ne fait pas obstacle à sa stabilité en présence d'une transmission universelle de patrimoine et, à défaut, si des éléments démontrent que la commune intention des parties était de continuer la même relation (en ce sens, Com., 10 février 2021, n° 19-15.369).
Les parties s'accordent sur le caractère établi des relations commerciales qui ont débuté le 20 mars 2018 et ont définitivement pris fin le 30 novembre 2020. En exécution du contrat de gardiennage, la SAS PES a été rémunérée par tranches à hauteur de 177 083,33 euros HT du 1er avril 2018 au 31 août 2018 et de 138 333,33 euros HT du 1er septembre 2018 au 31 décembre 2018, le paiement attendu pour la période du 1er janvier 2019 au 31 mars 2021 étant fixé à 395 000 euros HT (pièce 3 de l'appelante, article 9).
Aux termes de l'attestation de l'expert-comptable de la SAS PES (sa pièce 22), le chiffre d'affaires qu'elle a dégagé à l'occasion de la relation était de 332 813 euros d'avril à décembre 2018 et de 422 224 euros en 2019, dernière année non affectée par la rupture et sa notification et de ce fait représentative. Sur cette période le chiffre d'affaires mensuel moyen était de 35 954,14 euros, la SAS PES retenant néanmoins une moyenne de 35 290,99 euros entre le 1er décembre 2019 et le 20 novembre 2020. Le partenariat représentait ainsi, pendant toute la durée d'exécution du contrat, 19,63 % du chiffre d'affaires total de la SAS PES.
- Sur l'imputabilité de la rupture des relations et la détermination du préavis suffisant
L'article L 442-1 II du code de commerce sanctionne non la rupture, qui doit néanmoins être imputable à l'agent économique à qui elle est reprochée, mais sa brutalité qui résulte de l'absence de préavis écrit ou de préavis suffisant. Celui-ci, qui s'apprécie au moment de la notification ou de la matérialisation de la rupture, s'entend du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, soit pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement en bénéficiant, sauf circonstances particulières, d'un maintien des conditions antérieures (en ce sens, Com., 10 février 2015, n° 13-26.414), les éléments postérieurs ne pouvant être pris en compte pour déterminer sa durée (en ce sens, Com, 1er juin 2022, n° 20-18960). Les critères pertinents sont notamment l'ancienneté des relations et les usages commerciaux, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, l'éventuelle exclusivité des relations et la spécificité du marché et des produits et services en cause ainsi que tout obstacle économique ou juridique à la reconversion. En revanche, le comportement des partenaires consécutivement à la rupture est sans pertinence pour apprécier la suffisance du préavis accordé. La rupture peut être totale ou partielle, la relation commerciale devant dans ce dernier cas être modifiée substantiellement (en ce sens, Com. 31 mars 2016, n° 14-11.329 ; Com 20 novembre 2019, n° 18-11.966).
Au regard de la fonction du préavis, la date d'appréciation de la suffisance de sa durée est celle de sa matérialisation concrète dans le tarissement du flux d'affaires ou de la notification de la rupture, qui correspond à l'annonce faite par un cocontractant à l'autre de sa volonté univoque de cesser la relation à une date déterminée, seule information qui peut permettre au partenaire délaissé de se projeter et d'organiser son redéploiement ou sa reconversion en disposant de la visibilité indispensable à toute anticipation.
Par lettre du 15 mai 2020 (pièce 4 de l'appelante), la SA Intramar a notifié à la SAS PES la résiliation de contrat à compter du 30 août 2020 en l'invitant à candidater à une mise en concurrence à venir. Elle lui a ainsi accordé un préavis de 3,5 mois pour une relation de 2 ans et 2 mois au jour de sa notification. Si la relation s'est finalement poursuivie jusqu'au 30 novembre 2020 et si la SA Intramar a à nouveau notifié la rupture le 7 septembre 2020 pour le 30 novembre suivant (pièce 8 de l'appelante), le raisonnement de la SAS PES est erroné en ce qu'il procède d'une confusion entre résiliation d'un contrat et rupture d'une relation commerciale et mobilise à tort le droit des contrats et les articles 1214 et 1215 du code civil pour conclure à la poursuite de la relation commerciale alors que celle-ci est une notion avant tout économique caractérisée par l'existence d'un flux d'affaires indépendant du contrat qui lui sert éventuellement de support.
En effet, la suffisance du préavis accordé devant être appréciée au jour de la notification de la rupture à une date déterminée sans égard pour les éléments postérieurs (en ce sens, confirmant une position constante, Com. 5 juillet 2017, n° 16-14-201), la notification d'une seconde rupture ne peut invalider la première que si son auteur manifeste, lors de celle-ci ou par le comportement qu'il a entretemps adopté, une volonté certaine et univoque de revenir sur sa décision en renonçant à la cessation des relations initialement annoncée et en poursuivant la relation antérieure aux mêmes conditions. A défaut, selon les circonstances particulières de la poursuite, celle-ci s'analyse soit en une prolongation du préavis, par hypothèse inefficace puisque, trop à distance de la notification et postérieure à la fin du préavis accordé, elle n'a pu permettre au partenaire délaissé d'en bénéficier effectivement et de réorienter son activité en conséquence, soit en la naissance d'une nouvelle relation commerciale à des conditions différentes de la précédente, la suffisance du second préavis devant alors être exclusivement appréciée en considération des caractéristiques propres de cette dernière sans égard pour la relation dont la rupture est consommée.
Le courrier du 15 mai 2020 exprime sans équivoque la volonté certaine de la SA Intramar de rompre la relation et son intention de n'en renouer une nouvelle qu'en cas de succès de la SAS PES lors de l'appel d'offres auquel elle était invitée à participer et qui impliquait, au regard de la motivation explicite de la rupture, une diminution de ses tarifs. Or, postérieurement à cette notification et à l'expiration du préavis, la relation ne s'est poursuivie qu'à raison du retard pris par la SA Intramar dans la sélection des candidats. Alors que ces circonstances induisent une continuation précaire et temporaire du partenariat garantissant une continuité des prestations de gardiennage en cas de changement de prestataire, rien ne démontre l'intention de la SA Intramar de renoncer à la rupture préalablement notifiée. Ainsi, quoiqu'elle porte notification d'un second préavis, la lettre du 7 septembre 2020 n'est destinée qu'à annoncer à la SAS PES que sa candidature à l'appel d'offres n'avait pas été retenue : à l'instar du comportement de la SA Intramar, elle ne traduit aucune volonté de faire fi de la rupture consommée et de substituer ce préavis au précédent.
Aussi, le seul préavis pertinent au sens de l'article L 442-1 II du code de commerce est celui de 3,5 mois accordé le 15 mai 2020.
A cet égard, le fait que le tribunal ait retenu dans sa motivation un préavis de 83 jours, soit celui accordé le 7 septembre 2020, pour rejeter la demande de la SAS PES et que la SA Intramar conclue à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions n'interdit pas à la Cour de retenir une durée de préavis distincte, aucun des chefs du dispositif de la décision entreprise, qui sont les seuls susceptibles d'être objet d'un appel au sens de l'article 562 du code de procédure civile à l'exclusion des motifs même décisifs ou décisoires, ne portant sur cette durée. Aussi, en déférant à la Cour le chef de dispositif relatif au rejet de sa demande indemnitaire sur le fondement de l'article L 442-1 II du code de commerce, la SAS PES a soumis à son appréciation l'ensemble des conditions d'application de ce texte.
Pour justifier la durée du préavis dont elle prétend avoir été privée, la SAS PES invoque, outre « la jurisprudence de la Cour relative à ce domaine d'activité » qui n'a aucune portée normative et dont rien n'implique la transposition par analogie faute d'élément produit pour apprécier les caractéristiques particulières de ce secteur, la difficulté à nouer des relations d'ampleur équivalente avec un partenaire de même envergure ainsi que l'importance du chiffre d'affaires dégagé à l'occasion de la relation dans son chiffre d'affaires global (19,63 %).
Les parties ne livrent aucun élément concret sur la structure du marché et sur l'état de la concurrence que s'y livrent les acteurs économiques ainsi que sur les possibilités de redéploiement de son activité par la SAS PES qui n'invoque pas un état de dépendance économique et ne démontre pas qu'elle n'était matériellement pas en mesure de mieux diversifier sa clientèle. En outre, les prestations qu'elle sert ne présentent pas de spécificité technique particulière et n'ont pas été adaptées pour les besoins de l'exécution du contrat, aucun investissement matériel ou humain n'étant à ce titre démontré. Aussi, le fait que la SA Intramar soit un client difficilement substituable par un partenaire unique n'est pas décisif, la SAS PES n'expliquant pas en quoi la recherche de clients multiples lui permettant de combler la perte impliquée par la rupture nécessiterait une durée supérieure à celle du préavis accordé, rien n'indiquant par ailleurs que le temps pris par la SA Intramar pour sélectionner son nouveau partenaire soit représentatif de la durée des appels d'offres réalisés dans ce secteur d'activité, ce mode de sélection n'étant de surcroît pas impératif.
Aussi, au regard de ces éléments combinés, le préavis accordé était suffisant.
En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes indemnitaires de la SAS PES au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies.
3°) Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens.
Succombant en son appel, la SAS PES, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, sera condamnée à supporter les entiers dépens d'appel ainsi qu'à payer à la SA Intramar la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la Cour ;
Y ajoutant,
Rejette la demande de la SAS Protection Europe Sécurité au titre des frais irrépétibles ;
Condamne la SAS Protection Europe Sécurité à payer à la SA Intramar la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles engagés en appel ;
Condamne la SAS Protection Europe Sécurité à supporter les entiers dépens d'appel.