CA Paris, Pôle 5 ch. 9, 15 octobre 2025, n° 25/09320
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Innovbiotech Ltd (SASU)
Défendeur :
Asteren (SELARL), Urssaf Ile de France
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Carbonaro
Conseillers :
Mme Tabourot, Mme Rohart
Avocats :
Me Moisan, Me Houlet, Me Dutreuilh, Me Claudel, Me Dony
Exposé des faits et de la procédure
Par jugement du 09 avril 2025, le tribunal des activités économiques de Paris a, sur assignation de l'URSSAF, prononcé la liquidation judiciaire de la société SAS Innov Biotech LTD, a désigné la SELARL Asteren prise en la personne de [L] [X] ès-qualités de liquidateur judiciaire.
Par déclaration du 2 juin 2025, la société Innov Biotech a interjeté appel de cette décision.
Par dernières conclusions déposées et notifiées par RPVA le 17 septembre 2025, la société Innov Biotech demande à la cour d'appel de :
- Infirmer le jugement rendu le 9 avril 2025 par le tribunal des activités économiques de Paris en ce qu'il a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la SAS à associé unique Innov Biotech LTD ;
Statuant à nouveau:
- Prononcer l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la SAS Innov Biotech France.
- Débouter les intimés de toutes leurs demandes, fins et conclusions contraires aux présentes.
Par dernières conclusions déposées et notifiées par RPVA le 24 septembre 2025, la SELARL Asteren demande à la cour de:
- Recevoir la SELARL ASTEREN, en la personne de Maître [L] [X], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Innov Biotech LTD, en ses conclusions,
Et la disant bien fondée,
- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal des activités économiques de Paris du 9 avril 2025,
- Débouter la société Innov Biotech LTD de l'ensemble de ses demandes,
- Réserver les dépens en frais de procédure.
Par conclusions déposées et enregistrées par RPVA le 30 juillet 2025, l'URSSAF demande à la cour de:
Déclarer la société Innov Biotech France mal fondée en son appel et l'en débouter,
Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 09 avril 2025 par le tribunal de commerce de Bobigny (sic),
Dire que les dépens seront employés en frais privilégiés de procédure collective,
La clôture de l'instruction a été ordonnée le 25 septembre 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La société Innov Biotech ne conteste pas être en état de cessation des paiements mais fait valoir qu'elle peut bénéficier d'une procédure de redressement judiciaire. Elle soutient que le nouveau prévisionnel qu'elle a établi, signé par son expert-comptable démontre qu'elle est en mesure de faire face aux dettes postérieures et qu'elle serait en mesure de proposer un plan de redressement par voie de continuation sur une période de 8 ans. Elle affirme qu'elle ne dispose plus d'aucun salarié et entend privilégier la sous-traitance pour maîtriser ses coûts. Ses charges courantes sont donc très mesurées et estimées à 12.381,73 euros d'ici au 31 décembre 2025 pour une trésorerie estimée à 2.618,27 euros. Elle s'élèverait à 4.075,94 euros au 31 décembre 2026. Elle en conclut que le redressement d'Innov Biotech est manifestement possible compte tenu du plan de trésorerie présenté par Innov Biotech et que celle-ci est en mesure de faire face au passif courant de sa période d'observation.
La SELARL Asteren ès-qualités s'oppose à la demande de procédure de redressement judiciaire de la débitrice. Elle fait valoir que depuis sa création en 2021, la société ne publie pas ses comptes au greffe et s'est contentée de produire aux débats les comptes annuels sur l'exercice 2024. Or, ces derniers laissent apparaître des résultats d'exploitation déficitaires à hauteur de 89.189 € avec des pertes cumulées pour un montant de 90.264 €. Les capitaux propres sont également négatifs à hauteur de ' 90.264 €. Ces résultats témoignent d'une activité structurellement déficitaire. Le modèle économique de la société repose donc exclusivement sur les apports en compte courant d'associé réalisés à hauteur de 98.041 € sur l'exercice 2024. Quant aux perspectives d'avenir, elle souligne qu'aucune preuve n'est apportée du « lancement [prochain] du programme», les parties étant au stade des discussions sur ledit projet. De surcroît, le liquidateur judiciaire ignore quels seront les bénéfices attendus pour la société, en l'absence de contrat signé. Ces éléments sont insuffisants et ne permettent pas de démontrer la réalité des marchés conclus avec la Société ni les bénéfices attendus. Le prévisionnel d'exploitation sur la période de juillet 2025 à décembre 2029, lequel a été établi par la Société, a été signé (et non certifié) par l'expert-comptable et dont les chiffres ne sont étayés par aucun contrat, ne saurait davantage avoir une valeur probante. En outre, elle relève que le dirigeant a lui-même déclaré que la société Innov Biotech France avait été absorbée par la société Innov Biotech Senegal le 24 juillet 2024 dans le cadre d'une transmission universelle de patrimoine. Il appartient donc à la société de prouver que cette transmission universelle de patrimoine n'est pas intervenue.
L'URSSAF soutient qu'elle détient une créance de 173.070,41 euros, dont 38.268,41 euros au titre des parts salariales et 30.000 euros à titre de régularisation et qu'il s'agit de cotisations dues pour les périodes d'avril 2022 à avril 2025. La société débitrice ne justifie pas disposer d'un actif disponible lui permettant de faire face à son passif exigible de sorte qu'elle est bien en état de cessation des paiements. En outre, il n'existe aucune possibilité de redressement. Elle souligne que le tableau prévisionnel qu'elle verse aux débats ne dispose d'aucune valeur probante. Il n'a pas été établi ni certifié par son expert-comptable et les chiffres qu'il expose ne sont étayés par aucun contrat ni devis. Qu'au regard de son chiffre d'affaires, du montant de son passif et de l'échec des voies d'exécution initiées à son encontre, le redressement d'INNOV BIOTECH France est manifestement impossible.
Sur ce,
Aux termes de l'article L.631-1 alinéa 3 du code de commerce :
« Il est institué une procédure de redressement judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné aux articles L. 631-2 ou L. 631-3 qui, dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible, est en cessation des paiements. Le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n'est pas en cessation des paiements.
Cette condition s'apprécie, s'il y a lieu, pour le seul patrimoine engagé par l'activité ou les activités professionnelles.
La procédure de redressement judiciaire est destinée à permettre la poursuite de l'activité de l'entreprise, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif. Elle donne lieu à un plan arrêté par jugement à l'issue d'une période d'observation et, le cas échéant, à la constitution de classes de parties affectées, conformément aux dispositions des articles L. 626-29 et L. 626-30. La demande prévue au quatrième alinéa de l'article L. 626-29 peut être formée par le débiteur ou l'administrateur judiciaire ».
Selon les dispositions de l'article L.640-1 du Code de commerce :
« Il est institué une procédure de liquidation judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné à l'article L.640-2 en cessation des paiements et dont le redressement est manifestement impossible.
La procédure de liquidation judiciaire est destinée à mettre fin à l'activité de l'entreprise ou à réaliser le patrimoine du débiteur par une cession globale ou séparée de ses droits et de ses biens ».
En l'espèce, il n'est pas contesté que la société Innov Biotech est en état de cessation des paiements.
L'état des créances révèle que le passif déclaré à la liquidation judiciaire s'élève, à date, à la somme de 239.789 €, se décomposant comme suit :
- Créance super privilégiée déclarée par FRANCE TRAVAIL à hauteur de 55.186 €,
- Créance déclarée par l'URSSAF à hauteur de 173.070 €, dont:
o Créance chirographaire échue à hauteur de 65.590 € ;
o Créance privilégiée échue à hauteur de 107.480 €.
- Créance déclarée par CM CIC LEASING SOLUTION à hauteur de 11.532 €.
Le passif est donc essentiellement composé de la dette de l'URSSAF déclarée pour un montant global de 173.070 € à titre échu, dont 38.268 € de parts salariales non reversées. L'URSSAF fait valoir que sa dette continue à augmenter.
Aucune preuve relative à un actif disponible n'est versée aux débats et si la société affirme qu'elle aurait à la fin de l'année, un actif disponible de 2.618,27 euros, cet actif est incertain et ne permet pas d'apurer au jour où la cour statue le passif exigible.
Quant aux perspectives de redressement de la société, cette dernière se prévaut :
- D'un contrat conclu en juillet 2024 prévoyant le déploiement du programme DINAMICS visant le dépistage de 7.000 agents de la Ville et de la Métropole de [Localité 7] ;
- D'un accord conclu en 2025 avec les laboratoires Synlab Midi portant sur le traitement des prélèvements urinaires des agents concernés par le projet DINAMICS,
- D'un partenariat stratégique validé avec le groupe BIOGROUP en juin 2025.
Cependant, la cour relève qu'aucun contrat n'est pourtant transmis aux débats et que les courriels produits sont insuffisants et ne permettent pas de démontrer la réalité des marchés conclus avec la société ni les bénéfices attendus.
En effet, le contrat conclu en juillet 2024 n'est pas produit. Il en est de même de l'accord conclu en 2025 avec les laboratoires Synlab Midi. Quant au partenariat avec Biogroup, les deux mails produits sont insuffisants pour déterminer si un redressement est possible. Il ressort de ces deux mails qu'un contrat de prestation serait signé mi-octobre 2025, mais aucune indication n'est donnée sur cette prestation ni sur les revenus escomptés...
La provisionnel produit par un expert-comptable ne s'appuie sur aucun contrat ni devis présentés à la cour.
En conséquence, les seuls éléments produits aux débats par la société ne permettent pas d'établir la possibilité pour cette dernière de présenter un plan de redressement et de procéder au paiement pendant la période d'observation de ses charges courantes d'exploitation, dont ses cotisations sociales.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement du 9 avril 2025;
Dit que les dépens seront passés en frais privilégiés de procédure collective.