CA Pau, 2e ch. sect. 1, 25 avril 2013, n° 12/01162
PAU
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
BANQUE POUYANNE (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. SCOTET
Conseillers :
Mme CLARET, M. LE MONNYER
Avocat :
SCP DISSEZ
Aux termes d'un contrat en date du 6 avril 2006, la SA BANQUE POUYANNE a consenti à la S. A.R. L. LE SPOT D'IZARBEL une ouverture de crédit de 160.000 € moyennant un taux d'intérêts égal au taux CODEVI + 1,55 %, remboursable par 28 pactes trimestriels de 6702,88 €.
Suivant un nouvel acte sous seing privé, en date du 22 novembre 2006, la SA BANQUE POUYANNE a consenti à la société LE SPOT D'IZARBEL une nouvelle ouverture de crédit de 50.000 € moyennant intérêts au taux CODEVI + 1,55 %, remboursable par 20 pactes trimestriels de 2844,24 €.
A ces deux actes sont intervenus M. et Mme J. Marc K., en qualité de codébiteurs solidaires.
La société LE SPOT D'IZARBEL ayant été admise au redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Bayonne le 21 décembre 2009, la SA BANQUE POUYANNE a déclaré sa créance entre les mains de Me ABBADIE, désigné mandataire, le 25 janvier 2010, pour un montant de 152.972,17 €.
Le 15 février 2010, le tribunal de commerce a prononcé la liquidation judiciaire de la société LE SPOT D'IZARBEL.
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Après avoir obtenu du juge de l'exécution l'autorisation de prendre une inscription d'hypothèque judiciaire provisoire, la SA BANQUE POUYANNE a saisi le tribunal de commerce de Bayonne afin d'obtenir des époux K. le paiement de la somme de 152.972,17 €, augmentée des intérêts contractuels.
Par jugement du 12 mars 2012, auquel il y a lieu de se reporter pour un plus ample exposé des faits et des prétentions initiales des parties, le tribunal a :
- condamné les époux K. à payer à La SA BANQUE POUYANNE la somme de 152.972,17 € avec intérêts au taux contractuel CODEVI + 1,55 % à compter du 21 décembre 2009,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- débouté les époux K. de leurs prétentions,
- et condamné les époux K. à payer à La SA BANQUE POUYANNE une indemnité de 1000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens.
Par déclaration du 3 avril 2012, M. Et Mme K. ont relevé appel de cette décision.
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Dans leurs dernières conclusions, en date du 28 juin 2012, les époux K. demandent à la cour de :
A titre principal,
- réformer en toutes ses dispositions le Jugement du Tribunal de Commerce de BAYONNE,
- dire et juger que les actes sous seing privé des 06 avril et 22 novembre 2006 ne comportent aucune mention manuscrite particulière et ne respectent pas davantage les conditions légales prévues par l'article 1326 du Code Civil,
- dire et juger ainsi que la banque POUYANNE ne peut fonder son action en paiement sur des actes nuls et irréguliers et débouter cet organisme bancaire de l'ensemble de ses demandes,
- condamner la banque POUYANNE au paiement d'une somme de 3 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux dépens,
A titre subsidiaire,
- dire et juger que les interventions des époux K. dans les deux opérations de financement des 06 avril et 22 novembre 2006 constituent des engagements de caution relevant des dispositions des articles L341-1 et suivants du Code de la Consommation,
- dire et juger que ces deux contrats de cautionnement ne comportent pas les mentions manuscrites prévues, à peine de nullité, par l'article L.341-2 du Code de la Consommation,
- dire et juger ainsi que la banque POUYANNE ne peut fonder son action en paiement sur ces deux contrats nuls et de nul effet et débouter cet organisme bancaire de l'ensemble de ses demandes,
- condamner la banque POUYANNE au paiement d'une somme de 3 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux dépens,
A titre reconventionnel,
- dire et juger que la Société POUYANNE a commis des fautes dans le cadre de la gestion et du suivi de ce dossier de financement engageant sa responsabilité contractuelle conformément aux dispositions des articles 1134 et 1147 du Code Civil,
- condamner en conséquence à titre reconventionnel la banque POUYANNE au paiement d'une somme de 152 972,17 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par les époux K.,
- condamner la banque POUYANNE au paiement d'une somme de 3 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux dépens.
Au soutien de leur appel, les époux K. soulèvent, à titre principal, la nullité des interventions de codébiteurs solidaires fondées sur l'absence de mention manuscrite requise par l'article 1326 du code civil. Les appelants soulignent qu'à la lecture des contrats, il est stipulé que la banque déclare consentir le crédit à la société, les époux K. n'ayant en aucun cas la qualité de co emprunteur. Ils invoquent un arrêt de la cour de cassation en date du 27 novembre 1990, duquel il ressort que la validité de l'engagement du codébiteur solidaire est soumis aux dispositions de l'article 1326 du code civil.
A titre subsidiaire, les époux K. sollicitent la requalification de l'engagement en cautionnement et par suite sa nullité pour défaut de la mention manuscrite prévue par l'article L 341-2 du code de la consommation. Les appelants indiquent que lorsque l'engagement a pour objet la propre dette du débiteur principal il doit nécessairement être requalifié en cautionnement ce qui est le cas en l'espèce, la banque ayant fait intervenir les époux K. afin qu'ils garantissent le paiement des sommes empruntées par la société en cherchant à contourner les dispositions des articles L 341-1 et suivants du code de la consommation. Les époux K. estiment que le tribunal de commerce a fait une erreur d'analyse en considérant que ces dispositions légales ne devaient pas s'appliquer au seul motif qu'ils étaient impliqués dans la création, le financement et la gestion de la société LE SPOT D'IZARBEL.
Reconventionnellement, les époux K. demandent à la cour la condamnation de la SA BANQUE POUYANNE à leur payer la somme de 152.972,17 € à titre de dommages et intérêts pour manquements de l'établissement bancaire à son obligation de mise en garde. Ils indiquent que la banque ne produit aucun élément de nature à établir le respect de cette obligation et ce nonobstant le fait que la SA BANQUE POUYANNE était parfaitement avisée de l'importance de leur endettement au vu du dossier prévisionnel établi par leur comptable et que l'intégralité du projet avoisinant le million d'euros devait être financé par des prêts. Ils contestent la décision du tribunal de commerce considérant qu'ils pouvaient être qualifiés d'emprunteurs avertis.
Dans ses dernières conclusions, en date du 2 août 2012, la SA BANQUE POUYANNE demande à la cour de :
- Dire et Juger que les deux ouvertures de crédit qui ont été consenties à M. et Mme K. en qualité de codébiteurs solidaires, intéressés à la dette, constituent des contrats synallagmatiques ne bénéficiant pas de la protection de l'article 1326 du Code Civil et partant, débouter les époux K. de leur demande de nullité des actes signés entre les parties,
- Dire et juger que la demande de requalification des engagements de M. et Mme K. en cautionnement est infondée, et partant, débouter les époux K. de leur demande de nullité des actes fondée sur l'absence de mention manuscrite de l'article L 341-2 du Code de la Consommation,
- Dire et Juger que les époux K. étaient des emprunteurs avertis et que la Banque POUYANNE n'a commis aucun manquement à son devoir de mise en garde, et partant, débouter les époux K. de leur demande fondés sur la mise en jeu de la responsabilité contractuelle de la Banque.
Si par exceptionnel, la Cour considérait que les époux K. étaient des emprunteurs profanes,
- Dire et juger que les prêts accordés par la Banque POUYANNE n'étaient ni inadaptés, ni excessifs au regard de la viabilité du projet, et que les engagements des époux K. n'étaient pas disproportionnés au regard de leur patrimoine personnel,
EN CONSÉQUENCE,
- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de Commerce de BAYONNE du 12 mars 2012,
- condamner M. et Mme K. solidairement au paiement de la somme de 152.972,17 € augmentée des intérêts au taux contractuel CODEVI + 1,55 % à compter du 21 décembre 2009 jusqu'au parfait paiement,
- rejeter les demandes, fins et conclusions de M. et Mme K. comme étant manifestement infondées,
- condamner solidairement les époux K. à la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l'instance qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile du code de procédure civile.
Pour l'essentiel, la SA BANQUE POUYANNE indique :
- s'agissant de l'engagement des époux K. en qualité de codébiteurs solidaires, que l'hypothèse qu'une personne s'oblige à répondre vis-à- vis du créancier d'une dette qui n'est pas la sienne est banale et que si le cautionnement constitue la pratique la plus courante, il n'est qu'un engagement accessoire. Elle ajoute que la liberté des conventions ouvre la possibilité au garant de s'imposer un plus haut degré d'engagement en se hissant à parité d'obligations juridique du débiteur principal. La SA BANQUE POUYANNE soutient que la jurisprudence a évolué depuis l'arrêt du 27 novembre 1990 et que l'engagement de codébiteur solidaire, même non intéressé à la dette, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, est considéré par la jurisprudence comme un engagement synallagmatique qui n'a pas vocation à être protégé par la mention manuscrite. La SA BANQUE POUYANNE souligne que les époux K. étaient les deux associés de la société LE SPOT D'IZARBEL, M. K., son gérant, que le siège social était fixé à leur adresse personnelle, que le dossier prévisionnel souligne l'investissement de Monsieur K. au projet, et qu'ils se sont personnellement impliqués dans la gestion en procédant personnellement des apports pour combler les pertes.
- sur la demande de requalification de l'engagement souscrit par les époux K., la SA BANQUE POUYANNE indique que la jurisprudence invoquée par les appelants applicable à des garanties à première demande ne concerne pas le présent litige dans la mesure où les engagements ne sont pas des garanties autonomes mais bien des engagements de codébiteurs solidaires. La banque ajoute que les époux K. n'ont jamais contesté leur engagement précédemment à la présente instance et ne rapportent pas la preuve de leur engagement en qualité de caution.
- sur la demande reconventionnelle, la banque estime qu'elle n'était pas tenue à une obligation de mise en garde dans la mesure où les codébiteurs solidaires sont des emprunteurs avertis ainsi que l'expérience professionnelle de Monsieur mise en avant dans le prévisionnel le démontre, et qu'en toute hypothèse et eu égard au patrimoine des époux K., le caractère excessif du crédit consenti n'est nullement établi, l'emprunteur ayant pu rembourser pendant plusieurs trimestres ses obligations, attestant du caractère réaliste du projet.
L'instruction a été clôturée le 9 janvier 2013 et l'affaire fixée à l'audience du 18 février suivant.
Au delà de ce qui sera repris pour les besoins de la discussion et faisant application en l'espèce des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, la Cour entend se référer pour l'exposé plus ample des moyens et prétentions des parties aux dernières de leurs écritures visées ci dessus.
Sur ce,
Sur la demande de nullité fondée sur les dispositions de l'article 1326 du code civil:
Il est de droit que la formalité prescrite par l'article 1326 du code civil ne s'applique pas à un engagement qui se rattache à un contrat synallagmatique.
Or, en l'espèce tel est bien le cas ; en effet, l'engagement de garant souscrit par les époux K. l'a été à l'occasion du contrat de prêt consenti par la SA BANQUE POUYANNE à la société LE SPOT D'IZARBEL et constitue la contrepartie d'une créance de l'établissement bancaire.
Les époux K. ne sont donc pas fondés à requérir la nullité de leur engagement pour non respect des dispositions de l'article 1326 du code civil.
Sur la demande de requalification de l'engagement et la nullité du cautionnement:
A l'examen des deux contrats de prêt rédigés en des termes identiques, force est de constater que l'acte est signé par trois parties :
- de première part, la S. A.R. L. LE SPOT D IZARBEL, désigné l emprunteur,
- de seconde part, M. et Mme J. Marc K., intervenant en qualité de codébiteurs solidaires, conformément aux articles 1200 et suivants du code civil,
- de troisième part, la Banque Pouyanne, ci après désigné LA BANQUE.
Hormis, cette présentation des parties, en tête du contrat de prêt, et le rappel de leur qualité d'intervenant en qualité de codébiteur solidaire, au dessus de la signature des intéressés, aucune stipulation du contrat de prêt n'évoque l'obligation des codébiteurs.
Seules les obligations de l'emprunteur sont détaillées.
C'est ainsi que l'acte stipule que :
- la Banque déclare consentir par les présentes à la société, un crédit de moyen terme,
- qu'il sera utilisable dans un compte spécial ouvert au nom de la société,
- que les sommes empruntées seront remises à l'emprunteur, c'est à dire à la société LE SPOT D'IZARBEL,
- que l'ouverture de crédit consentie à l'emprunteur et son remboursement seront valablement et suffisamment constatés par les écritures comptables... et que ces écritures vaudront titres contre l'emprunteur,
- qu'un tableau d'amortissement sera remis à l'emprunteur,
- que l'emprunteur supportera le cas échéant les commissions nouvelles et les majorations...
Dans ses écritures, la SA BANQUE POUYANNE qui expose avoir choisi d'avoir plusieurs codébiteurs tenus solidairement concède qu'il s'agissait de garantir le respect des obligations par l'emprunteur en hissant les obligations des garants à parité de celles du débiteur principal et que les époux K. se sont engagés comme garant de la société.
Manifestement, la commune intention des parties était de faire intervenir les époux K. en qualité de garant solidaire d'un tiers, en l'occurence une personne morale, relativement à une obligation pour laquelle ils n'avaient aucun intérêt personnel. Ce qui prime dans cet engagement c'est la volonté de se porter garant et non de s'obliger à payer la dette souscrite par la tierce personne.
Ce faisant, le préteur qui fait le choix d'imposer à l'emprunteur l'intervention de garants qui s'obligeraient en qualité de codébiteur solidaire, cherche à contourner l'évolution législative récente afin d'échapper au formalisme d'ordre public attachés au cautionnement solidaire dont bénéficient les personnes physiques, y compris lorsque celles ci exercent des responsabilités de gestion au sein de la société emprunteuse.
En la matière, la liberté contractuelle invoquée par la SA BANQUE POUYANNE se heurte au respect du dispositif législatif destiné à garantir d'une part la parfaite compréhension de la portée de l'engagement du garant (L 341-2 du code de la consommation) et d'autre part sa connaissance du respect par l'emprunteur de son obligation et de l'évolution du prêt (L 313-22 du code monétaire et financier) .
L'implication des époux K. dans la création ou la gestion de la société LE SPOT D'IZARBEL ne saurait exclure le cautionnement.
Compte tenu de la commune intention des parties, il convient dans ces conditions de requalifier l'engagement souscrit par les époux K. en un cautionnement solidaire.
Faute d'avoir soumis cet engagement à la rédaction de mention manuscrite exigée par l'article L 341-2 du code de la consommation, ces cautionnements doivent être annulés et la demande en paiement rejetée.
Sur la demande reconventionnelle :
Par suite de l'annulation des engagements de cautionnement, les époux K. ne peuvent invoquer aucun préjudice en lien avec le manquement de la banque à l'obligation de mise en garde alléguée.
Cette demande sera rejetée.
Sur les dépens :
Il serait inéquitable de laisser à la charge des époux K. les frais non compris dans les dépens exposés en cause d'appel. Aussi, il convient de leur allouer la somme de 750 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
La SA BANQUE POUYANNE qui succombe doit supporter les dépens de première instance et d'appel, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Et statuant à nouveau,
Déboute les époux K. de leur demande en nullité de leur engagement pour non respect des dispositions de l'article 1326 du code civil.
Requalifie les engagements souscrits par les époux K. en cautionnement solidaire.
Annule lesdits engagements requalifiés.
Déboute la SA BANQUE POUYANNE de ses demandes en paiement.
Déboute les parties de toutes leurs demandes plus amples ou contraires,
Condamne la SA BANQUE POUYANNE à payer à M. et Mme J. Marc K. une indemnité de 750 € (sept cent cinquante euros) en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamne la SA BANQUE POUYANNE aux dépens de première instance et d'appel,
Autorise les avocats de la cause qui en ont fait la demande à recouvrer directement ceux des dépens d'appel dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provision,
Signé par Monsieur Denis SCOTET, Conseiller faisant fonction de président et par Madame GARRAIN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.