CA Rouen, ch. civ. et com., 16 octobre 2025, n° 24/03933
ROUEN
Autre
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N° RG 24/03933 - N° Portalis DBV2-V-B7I-JZ3Q
COUR D'APPEL DE ROUEN
CH. CIVILE ET COMMERCIALE
ARRET DU 16 OCTOBRE 2025
DÉCISION DÉFÉRÉE :
24/00736
Ordonnance du président du tribunal judiciaire de Dieppe du 23 octobre 2024
APPELANTS :
Monsieur [N] [C]
né le [Date naissance 6] 1958 à [Localité 15]
[Adresse 7]
[Localité 8]
représenté par Me Céline BART de la SELARL EMMANUELLE BOURDON - CÉLINE BART AVOCATS ASSOCIÉS, avocat au barreau de ROUEN et assisté par
Me Widad CHATRAOUI de la SELAS FIDAL DIRECTION PARIS, avocat au barreau du HAVRE, plaidant.
S.E.L.A.R.L. [11]
[Adresse 4]
[Localité 8]
représenté par Me Céline BART de la SELARL EMMANUELLE BOURDON - CÉLINE BART AVOCATS ASSOCIÉS, avocat au barreau de ROUEN et assisté par
Me Widad CHATRAOUI de la SELAS FIDAL DIRECTION PARIS, avocat au barreau du HAVRE, plaidant.
INTIMEE :
Madame [V] [L]
née le [Date naissance 3] 1985 à [Localité 17]
Chez M [Y] [S] [Adresse 5]
[Localité 9]
représentée par Me Caroline SCOLAN de la SELARL GRAY SCOLAN, avocat au barreau de ROUEN et assistée par Me Corinne PILLET de la SELAS IFL Avocats, avocat au barreau de PARIS, plaidant.
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 18 juin 2025 sans opposition des avocats devant M. URBANO, conseiller, rapporteur.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :
Mme VANNIER, présidente de chambre
M. URBANO, conseiller
Mme MENARD-GOGIBU, conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme RIFFAULT, greffière
DEBATS :
A l'audience publique du 18 juin 2025, où l'affaire a été mise en délibéré au 16 octobre 2025.
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 16 octobre 2025, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
signé par Mme VANNIER, présidente de chambre et par Mme RIFFAULT, greffière.
*
* *
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
La SELARL [12], société de masseurs-kinésithérapeutes, a été constituée en 2012 par M. [N] [C] et Mme [H] [P].
Mme [P] a cédé successivement à Mme [V] [L], masseur-kinésithérapeute, 100 parts sociales le 30 juin 2016 et 350 parts sociales le 31 mars 2017. M. [C] détient quant à lui le reste du capital de la société, à savoir 900 parts sociales.
M. [C] et Mme [L] étaient cogérants.
Par lettre du 6 décembre 2021, Mme [L] a fait part à M. [C] de son souhait de ne plus exercer au sein de la société [12] et de lui céder ses parts sociales.
Par délibération de l'assemblée générale ordinaire du 26 août 2022, la société [12] prend acte de la fin du mandat de gérante de Mme [L] et de la cessation de son activité professionnelle au sein de la société à effet au 6 juin 2022.
Malgré une tentative de conciliation devant le conseil départemental de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes, les parties ne sont pas parvenues à trouver un accord sur les modalités de retrait de Mme [L] de la société [12].
Par acte du 20 juin 2024, Mme [L] a assigné M. [C] et la société [12] devant le président du tribunal judiciaire de Dieppe, statuant selon la procédure accélérée au fond, aux fins notamment de voir désigner un expert judiciaire sur le fondement de l'article 1843-4 du code civil chargé d'évaluer la valeur de ses parts sociales.
Par jugement du 23 octobre 2024, le tribunal judiciaire de Dieppe a :
- reçu l'action de Mme [V] [L] comme recevable et bien fondée en ses demandes ;
- ordonné une expertise et désigné pour y procéder [J] [G] (1966), diplôme d'expertise comptable 2003, [Adresse 10], Tél : [XXXXXXXX01] Fax : [XXXXXXXX02], Mèl : [Courriel 14], avec pour mission de :
* convoquer les parties en cause ainsi que leurs avocats par lettre recommandée avec accusé de réception ;
* prendre connaissance de tous documents utiles à sa mission et notamment recueillir les renseignements nécessaires sur l'identité de la victime, et sa situation, les conditions de son activité professionnelle, son mode de vie antérieur à l'accident et sa situation actuelle ;
* recueillir les déclarations des parties et éventuellement celles de toute personne informée ;
* examiner la comptabilité de la société [12] ;
* déterminer à la date de l'assemblée générale du 26 août 2022, constatant la démission de Mme [V] [L] de son mandat de gérant et sa volonté de se retirer du capital de la société [12], la valeur des droits sociaux détenus par Mme [V] [L] ;
* rapporter toutes autres constatations utiles à l'examen des prétentions des parties ;
* mettre en temps utile au terme des opérations d'expertise, les parties en mesure de faire valoir leurs observations, qui seront annexées au rapport ;
- ordonné aux parties et à tout tiers détenteur de remettre sans délai à l'expert tout document qu'il estimera utile à l'accomplissement de sa mission ;
- dit que :
* l'expert devra faire connaître sans délai son acceptation au juge chargé du contrôle de l'expertise, et devra commencer ses opérations dès sa saisine, qu'il devra transmettre un devis estimatif des opérations à mener ;
* en cas d'empêchement ou de refus de l'expert, il sera procédé à son remplacement par ordonnance du juge chargé du contrôle de l'expertise ;
* l'expert devra accomplir sa mission conformément aux articles 232 et suivants du code de procédure civile, notamment en ce qui concerne le caractère contradictoire des opérations et précise à cet égard que l'expert ne devra en aucune façon s'entretenir seul ou de façon non contradictoire de la situation avec un autre expert mandaté par l'une des parties ou par une compagnie d'assurances ;
* l'expert devra tenir le juge chargé du contrôle de l'expertise, informé du déroulement de ses opérations et des difficultés rencontrées lors de sa mission ;
* l'expert est autorisé à s'adjoindre tout spécialiste de son choix, sous réserve d'en informer le juge chargé du contrôle de l'expertise et les parties étant précisé qu'il pourra dans ce cas solliciter une provision complémentaire destinée à couvrir les frais du recours au sapiteur ;
* l'expert devra remettre un pré-rapport aux parties, leur impartir un délai pour déposer leurs éventuels dires, et y répondre, l'expert devra déposer son rapport définitif et sa demande de rémunération au greffe du tribunal, dans le délai de rigueur de six mois à compter de sa saisine (sauf prorogation dûment autorisée), et communiquer ces deux documents aux parties ;
- dit que les frais d'expertise seront avancés par la société [12] et M. [N] [C] à la mesure qui devra consigner la somme de 2 500 euros à valoir sur la rémunération de l'expert auprès du régisseur d'avances et de recettes du tribunal judiciaire de Dieppe dans le mois de la présente décision ou de sa signification étant précisé que :
* à défaut de consignation dans le délai imparti, la désignation de l'expert sera caduque de plein droit, (sauf décision contraire en cas de motif légitime) et il sera tiré toutes conséquences de l'abstention ou du refus de consigner ;
* chaque partie est autorisée à procéder à la consignation de la somme mise à la charge de l'autre en cas de carence ou de refus ;
* la personne ci-dessus désignée sera dispensée de consignation au cas où elle serait bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, sous réserve du dépôt de la décision d'aide juridictionnelle au greffe avant la même date que celle indiquée ci-dessus ;
- commis Mme Véronique Willemotte, vice-présidente, et à défaut tout autre juge du siège du tribunal judiciaire de Dieppe, pour surveiller l'exécution de la mesure ;
- débouté les parties de leurs autres demandes ;
- condamné in solidum la société [12] et M. [N] [C] à payer à Mme [V] [L] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné in solidum la société [12] et M. [N] [C] aux entiers dépens de la présente instance ;
- rappelé que la décision ainsi rendue bénéficie de l'exécution provisoire de droit.
La société [12] et M. [N] [C] ont interjeté appel de ce jugement par déclaration du 15 novembre 2024.
Par ordonnance du 28 mai 2025, la présidente de cette chambre a débouté Mme [L] de sa demande tendant à voir déclarer irrecevable l'appel de la SELARL [12] et de M. [C], demande qui avait été fondée sur le fait que les appelants avaient sollicité l'annulation du jugement entrepris et sa réformation sans préciser que la demande d'annulation était formée à titre principal et celle d'infirmation à titre subsidiaire.
EXPOSE DES PRETENTIONS
Aux termes de leurs dernières conclusions du 30 janvier 2025, la société [12] et M. [N] [C] demandent à la cour de :
- déclarer la société [13] et M. [N] [C] recevables et bien fondés en leur appel.
Y faisant droit,
A titre principal :
- annuler le jugement entrepris ;
- surseoir à statuer dans l'attente d'une décision à intervenir du tribunal compétent, saisi à l'initiative de la partie qui le juge nécessaire, s'agissant de l'existence ou non d'un droit de retrait et de la date d'évaluation des parts.
A titre subsidiaire, si par extraordinaire le jugement n'était pas annulé :
- infirmer la décision déférée en ses dispositions suivantes :
* reçoit l'action de Mme [V] [L] comme recevable et bien fondée en ses demandes ;
* ordonne une expertise et désigne pour y procéder [J] [G] avec pour mission notamment de déterminer à la date de l'assemblée générale du 26 août 2022, constatant la démission de Mme [V] [L] de son mandat de gérant et sa volonté de se retirer du capital de la SELARL [13], la valeur des droits sociaux détenus par Mme [V] [L] ;
* ordonne aux parties et à tout tiers détenteur de remettre sans délai à l'expert tout document qu'il estimera utile à l'accomplissement de sa mission ;
* dit que les frais d'expertise seront avancés par la SELARL [13] et M. [C] qui devra consigner la somme de 2 500 euros ;
* déboute la SELARL [13] et M. [C] de leurs autres demandes ;
* condamne in solidum la SELARL [13] et M. [C] à payer à Mme [L] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre aux entiers dépens ;
* rappelle que la présente décision bénéfice de l'exécution provisoire de droit.
En conséquence, statuant à nouveau :
- débouter Mme [V] [L] de sa demande d'expertise judiciaire.
A titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire la Cour devait confirmer l'expertise judiciaire :
- infirmer la décision déférée en ce qu'elle a fixé la date de valeur des parts sociales de Mme [L] au 26 août 2022 ;
- fixer à la date du retrait de Mme [L] la date à laquelle l'expert devra se placer pour déterminer la valeur des parts sociales de Mme [L].
En tout état de cause :
- condamner Mme [V] [L] à verser à M. [N] [C] la somme 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral ;
- condamner Mme [L] à verser à la société [13] la somme 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner Mme [V] [L] aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions du 27 mars 2025, Mme [V] [L] demande à la cour de :
A titre principal :
- juger la société [13] et M. [N] [C] irrecevables et mal fondés en leur appel nullité du jugement entrepris.
En conséquence,
- rejeter la société [13] et M. [N] [C] en toutes leurs demandes ;
- a plus que de besoin confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 23 octobre 2024 par le tribunal judiciaire de Dieppe ;
- condamner solidairement M. [N] [C] et la société [13] à verser à Mme [V] [L] la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner solidairement M. [N] [C] et la société [13] aux entiers dépens.
A titre subsidiaire, sur la demande d'infirmation du jugement ayant ordonné l'expertise judiciaire :
- juger la société [13] et M. [N] [C] irrecevables et mal fondés en leur appel et les en débouter.
Par conséquent,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 23 octobre 2024 par le tribunal judiciaire de Dieppe en ce qu'il a :
* reçu l'action de Mme [V] [L] comme recevable et bien fondée en ses demandes ;
* ordonné une expertise et désigné pour y procéder [G] [J] avec pour mission de :
** convoquer les parties en cause ainsi que leurs avocats par lettre recommandée avec accusé de réception ;
* prendre connaissance de tous documents utiles à sa mission et notamment examiner la comptabilité de la SELARL [13] ;
** déterminer à la date de l'assemblée générale du 26 aout 2022, constatant la démission de Mme [V] [L] de son mandat de gérant et sa volonté de se retirer du capital de la SELARL [13], la valeur des droits sociaux détenus par Mme [V] [L] ;
** rapporter toutes autres constatations utiles à l'examen des prétentions des parties ;
** mettre en temps utile au terme des opérations d'expertise, les parties en mesure de faire valoir leurs observations qui seront annexées au rapport.
* ordonné aux parties et à tout tiers détenteur de remettre sans délai à l'expert tout document qu'il estimera utile à l'accomplissement de sa mission ;
* dit que les frais d'expertise seront avancés par la SELARL [13] et M. [N] [C] qui devra consigner la somme de 2 500 euros ;
* débouté les parties de leurs autres demandes ;
* condamné in solidum la SELARL [13] et M. [N] [C] à payer à Mme [V] [L] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
A titre infiniment subsidiaire, sur la demande d'infirmation de la date fixée au 26 aout 2022 comme date de valeur des parts sociales de Mme [V] [L] :
- juger la société [13] et M. [N] [C] irrecevables et mal fondés en leur demande d'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il a fixé au 26 aout 2022 la date de valeur des parts sociales de Mme [V] [L] ;
- de plus fort, confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 23 octobre 2024 par le tribunal judiciaire de Dieppe en ce qu'il a fixé au 26 aout 2022 la date de valeur des parts sociales de Mme [V] [L].
En tout état de cause :
- débouter la société [13] et M. [N] [C] de l'intégralité de leurs demandes, fins et prétentions ;
- débouter M. [N] [C] de sa demande de condamnation de Mme [V] [L] à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;
- débouter la société [13] de sa demande de condamnation de Mme [V] [L] à lui verser la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code d procédure civile ;
- condamner solidairement M. [N] [C] et la société [13] à verser à Mme [V] [L] la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner solidairement M. [N] [C] et la société [13] aux entiers dépens, qui seront recouvrés par la SELARL [16] conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 juin 2025.
Pour un exposé détaillé des demandes et moyens des parties, la cour renvoie à leurs conclusions conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
Exposé des moyens :
M. [C] et la SELARL [12] soutiennent que :
- le premier juge a excédé ses pouvoirs tels que déterminés par l'article 1843-4 du code civil en interprétant les statuts de la SELARL [12] alors qu'il n'était saisi que d'une demande de désignation d'expert ; il aurait dû surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la juridiction compétente en matière de retrait d'un associé alors que les statuts de la SELARL [12] ne prévoient aucune possibilité de retrait d'un associé ;
- il a également excédé ses pouvoirs en précisant, dans la mission de l'expert désigné, la date d'évaluation des droits sociaux ;
- si l'annulation du jugement n'était pas prononcée, la cour devra l'infirmer et prononcer l'irrecevabilité de la demande d'expertise dès lors qu'aucun droit de retrait ne pouvait être statutairement exercé par Mme [L] ;
- les dispositions de l'ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023 qui prévoient ce droit de retrait sont postérieures aux faits de l'espèce et ne sont pas applicables ;
- le droit de retrait de Mme [L] n'existe pas plus aujourd'hui ;
- les modèles de statuts édités par l'Ordre des masseurs-kinésithérapeutes ne peuvent avoir aucun effet sur le présent litige, l'Ordre ne pouvant se substituer aux associés dans la rédaction des statuts ;
- en l'absence de dispositions statutaires, la valeur des droits sociaux de l'associé qui se retire doit être déterminée à la date la plus proche du remboursement de cette valeur ; aucun retrait n'ayant pu être exercé par Mme [L], la date du 26 août 2022 fixée par le premier juge n'est pas exacte ;
- les départs de Mme [L] et des autres masseurs-kinésithérapeutes ont désorganisé la société et il en est résulté un préjudice moral.
Mme [L] fait valoir que :
- l'appel est irrecevable comme contraire aux dispositions de l'article 1843-4 du code civil ;
- la déclaration d'appel tend à la fois à la nullité du jugement entrepris ainsi qu'à sa réformation sans hiérarchiser les demandes ; l'objet de l'appel étant ambigu, l'appel est irrecevable ;
- le premier juge, dans le dispositif de sa décision, n'a statué que sur la désignation d'un expert ; il n'a commis aucun excès de pouvoir ; par ailleurs, l'inobservation des dispositions de l'article 1843-4 du code civil ne constitue pas un tel excès ;
- les ordres professionnels disposent d'un pouvoir règlementaire et ils peuvent fixer les règles des statuts des sociétés professionnelles ; un droit de retrait est prévu dans les modèles des statuts édités par l'Ordre des masseurs-kinésithérapeutes ;
- la démission de Mme [L] de son mandat de gérante et la cessation de son activité au sein de la SELARL [12] avaient pour corollaire son retrait de la société ; le retrait a été reconnu par les appelants dans un courrier du 17 juin 2022 ;
- l'action de Mme [L] n'est pas abusive.
Réponse de la cour :
L'article 1843-4 du code civil dispose que : « I. ' Dans les cas où la loi renvoie au présent article pour fixer les conditions de prix d'une cession des droits sociaux d'un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d'accord entre elles, par jugement du président du tribunal judiciaire ou du tribunal de commerce compétent, statuant selon la procédure accélérée au fond et sans recours possible.
L'expert ainsi désigné est tenu d'appliquer, lorsqu'elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par les statuts de la société ou par toute convention liant les parties.
II. ' Dans les cas où les statuts prévoient la cession des droits sociaux d'un associé ou le rachat de ces droits par la société sans que leur valeur soit ni déterminée ni déterminable, celle-ci est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné dans les conditions du premier alinéa.
L'expert ainsi désigné est tenu d'appliquer, lorsqu'elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par toute convention liant les parties. »
La présidente de cette chambre a déjà statué par ordonnance du 28 mai 2025 sur la recevabilité de l'appel formé par M. [C] et la SELARL [12] et sur la « hiérarchisation » de leurs demandes. Cette décision ayant autorité de la chose jugée aux termes de l'article 906-3 du code de procédure civile, la cour n'a pas à statuer sur cette fin de non-recevoir.
Il résulte de l'article 1843-4 du code civil que la décision par laquelle le président du tribunal judiciaire procède à la désignation d'un expert chargé de déterminer la valeur de droits sociaux est sans recours possible. Cette disposition s'applique, par sa généralité, à toute voie de recours. Il n'y est dérogé qu'en cas d'excès de pouvoir.
Il ressort de l'article 1843-4 du code civil que les parties peuvent s'en remettre, en cas de contestation sur la valeur des droits sociaux d'un associé, à l'estimation d'un expert désigné, à défaut d'accord entre elles, par le président du tribunal statuant sans recours possible.
Le président du tribunal appelé à désigner un expert sur le fondement de l'article 1843-4 du code civil et dont le pouvoir juridictionnel se limite à en examiner les conditions d'application, ne peut connaître du contentieux portant sur l'existence du droit de retrait des associés, ne peut porter une quelconque appréciation sur la conformité des statuts ne prévoyant aucun droit de retrait en faveur des associés au modèle de statuts tel que déterminé par l'Ordre professionnel dont relèvent les parties et ne peut statuer sur la prééminence de ce modèle, en lui accordant une valeur réglementaire d'ordre public. En présence d'une telle contestation, le président doit surseoir à statuer sur la demande de désignation de l'expert dans l'attente d'une décision du tribunal compétent, saisi à l'initiative de la partie la plus diligente (Cass. Com 25 mai 2022 n° 20-18.307 ; Cass. Com. 7 juillet 2021n° 19-23.699).
Pour ordonner une expertise, le président du tribunal judiciaire de Dieppe a considéré que les statuts de l'Ordre des masseurs-kinésithérapeutes devaient prévaloir sur ceux établis par les associés fondateurs qui ne prévoyaient aucun droit de retrait.
Dès lors qu'il n'entre pas dans les pouvoirs du président du tribunal, saisi sur le fondement de l'article 1843-4 du code civil, de trancher la contestation relative à l'existence d'un droit de retrait invoqué par l'un des associés ni de substituer aux statuts de la SELARL [12] ceux établis par l'Ordre des masseurs-kinésithérapeutes, le Président du tribunal judiciaire de Dieppe a commis un excès de pouvoir.
L'appel interjeté par M. [C] et par la SELARL [12] est recevable.
Dans le cadre d'une demande de désignation d'expert sur le fondement de l'article 1843-4 du code civil, aucune voie de recours n'est ouverte contre la décision du président du tribunal de commerce, sauf excès de pouvoir. Si un tel excès est commis, le juge d'appel ne peut qu'annuler la décision et renvoyer les parties à mieux se pourvoir, faute d'avoir elle-même le pouvoir de procéder à une désignation d'expert sur le fondement de ce texte puisque seul le président du tribunal, statuant selon la procédure accélérée au fond et sans recours possible, a le pouvoir de désigner un expert chargé de l'évaluation des droits sociaux.
En conséquence, il y lieu d'annuler le jugement entrepris et de renvoyer les parties à mieux se pourvoir.
Les appelants sollicitent 5000 euros de dommages et intérêts au titre de leur préjudice moral en indiquant que du fait des départs de Mme [L] et d'autres masseurs-kinésithérapeutes, la société a été désorganisée.
Cependant, outre le fait que la demande de dommages et intérêts ne se rattache pas par un lien suffisant avec la demande initiale formée devant le président du tribunal judiciaire en désignation d'expert, aucune démonstration de l'existence ni d'une faute ni d'un préjudice n'est rapportée. Les appelants seront déboutés de cette demande.
Les dépens de la procédure de première instance et d'appel seront mis à la charge de Mme [L] qui sera condamnée au paiement de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au profit des appelants.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire en dernier ressort ;
Constate que la présidente de cette chambre a déjà statué sur la fin de non-recevoir soulevée par Mme [L] portant sur l'absence de hiérarchisation de l'appel formée par M. [C] et par la SELARL [12] ;
Déclare l'appel interjeté par M. [C] et par la SELARL [12] recevable ;
Annule le jugement du président du tribunal judiciaire de Dieppe du 23 octobre 2024 ;
Renvoie les parties à se pourvoir ainsi qu'elles aviseront ;
Déboute M. [C] et la SELARL [12] de leur demande de dommages et intérêts formée contre Mme [L] ;
Condamne Mme [L] aux dépens de première instance et d'appel ;
Condamne Mme [L] à payer à M. [C] et à la SELARL [12] solidairement la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La greffière, La présidente,
COUR D'APPEL DE ROUEN
CH. CIVILE ET COMMERCIALE
ARRET DU 16 OCTOBRE 2025
DÉCISION DÉFÉRÉE :
24/00736
Ordonnance du président du tribunal judiciaire de Dieppe du 23 octobre 2024
APPELANTS :
Monsieur [N] [C]
né le [Date naissance 6] 1958 à [Localité 15]
[Adresse 7]
[Localité 8]
représenté par Me Céline BART de la SELARL EMMANUELLE BOURDON - CÉLINE BART AVOCATS ASSOCIÉS, avocat au barreau de ROUEN et assisté par
Me Widad CHATRAOUI de la SELAS FIDAL DIRECTION PARIS, avocat au barreau du HAVRE, plaidant.
S.E.L.A.R.L. [11]
[Adresse 4]
[Localité 8]
représenté par Me Céline BART de la SELARL EMMANUELLE BOURDON - CÉLINE BART AVOCATS ASSOCIÉS, avocat au barreau de ROUEN et assisté par
Me Widad CHATRAOUI de la SELAS FIDAL DIRECTION PARIS, avocat au barreau du HAVRE, plaidant.
INTIMEE :
Madame [V] [L]
née le [Date naissance 3] 1985 à [Localité 17]
Chez M [Y] [S] [Adresse 5]
[Localité 9]
représentée par Me Caroline SCOLAN de la SELARL GRAY SCOLAN, avocat au barreau de ROUEN et assistée par Me Corinne PILLET de la SELAS IFL Avocats, avocat au barreau de PARIS, plaidant.
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 18 juin 2025 sans opposition des avocats devant M. URBANO, conseiller, rapporteur.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :
Mme VANNIER, présidente de chambre
M. URBANO, conseiller
Mme MENARD-GOGIBU, conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme RIFFAULT, greffière
DEBATS :
A l'audience publique du 18 juin 2025, où l'affaire a été mise en délibéré au 16 octobre 2025.
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 16 octobre 2025, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
signé par Mme VANNIER, présidente de chambre et par Mme RIFFAULT, greffière.
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EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
La SELARL [12], société de masseurs-kinésithérapeutes, a été constituée en 2012 par M. [N] [C] et Mme [H] [P].
Mme [P] a cédé successivement à Mme [V] [L], masseur-kinésithérapeute, 100 parts sociales le 30 juin 2016 et 350 parts sociales le 31 mars 2017. M. [C] détient quant à lui le reste du capital de la société, à savoir 900 parts sociales.
M. [C] et Mme [L] étaient cogérants.
Par lettre du 6 décembre 2021, Mme [L] a fait part à M. [C] de son souhait de ne plus exercer au sein de la société [12] et de lui céder ses parts sociales.
Par délibération de l'assemblée générale ordinaire du 26 août 2022, la société [12] prend acte de la fin du mandat de gérante de Mme [L] et de la cessation de son activité professionnelle au sein de la société à effet au 6 juin 2022.
Malgré une tentative de conciliation devant le conseil départemental de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes, les parties ne sont pas parvenues à trouver un accord sur les modalités de retrait de Mme [L] de la société [12].
Par acte du 20 juin 2024, Mme [L] a assigné M. [C] et la société [12] devant le président du tribunal judiciaire de Dieppe, statuant selon la procédure accélérée au fond, aux fins notamment de voir désigner un expert judiciaire sur le fondement de l'article 1843-4 du code civil chargé d'évaluer la valeur de ses parts sociales.
Par jugement du 23 octobre 2024, le tribunal judiciaire de Dieppe a :
- reçu l'action de Mme [V] [L] comme recevable et bien fondée en ses demandes ;
- ordonné une expertise et désigné pour y procéder [J] [G] (1966), diplôme d'expertise comptable 2003, [Adresse 10], Tél : [XXXXXXXX01] Fax : [XXXXXXXX02], Mèl : [Courriel 14], avec pour mission de :
* convoquer les parties en cause ainsi que leurs avocats par lettre recommandée avec accusé de réception ;
* prendre connaissance de tous documents utiles à sa mission et notamment recueillir les renseignements nécessaires sur l'identité de la victime, et sa situation, les conditions de son activité professionnelle, son mode de vie antérieur à l'accident et sa situation actuelle ;
* recueillir les déclarations des parties et éventuellement celles de toute personne informée ;
* examiner la comptabilité de la société [12] ;
* déterminer à la date de l'assemblée générale du 26 août 2022, constatant la démission de Mme [V] [L] de son mandat de gérant et sa volonté de se retirer du capital de la société [12], la valeur des droits sociaux détenus par Mme [V] [L] ;
* rapporter toutes autres constatations utiles à l'examen des prétentions des parties ;
* mettre en temps utile au terme des opérations d'expertise, les parties en mesure de faire valoir leurs observations, qui seront annexées au rapport ;
- ordonné aux parties et à tout tiers détenteur de remettre sans délai à l'expert tout document qu'il estimera utile à l'accomplissement de sa mission ;
- dit que :
* l'expert devra faire connaître sans délai son acceptation au juge chargé du contrôle de l'expertise, et devra commencer ses opérations dès sa saisine, qu'il devra transmettre un devis estimatif des opérations à mener ;
* en cas d'empêchement ou de refus de l'expert, il sera procédé à son remplacement par ordonnance du juge chargé du contrôle de l'expertise ;
* l'expert devra accomplir sa mission conformément aux articles 232 et suivants du code de procédure civile, notamment en ce qui concerne le caractère contradictoire des opérations et précise à cet égard que l'expert ne devra en aucune façon s'entretenir seul ou de façon non contradictoire de la situation avec un autre expert mandaté par l'une des parties ou par une compagnie d'assurances ;
* l'expert devra tenir le juge chargé du contrôle de l'expertise, informé du déroulement de ses opérations et des difficultés rencontrées lors de sa mission ;
* l'expert est autorisé à s'adjoindre tout spécialiste de son choix, sous réserve d'en informer le juge chargé du contrôle de l'expertise et les parties étant précisé qu'il pourra dans ce cas solliciter une provision complémentaire destinée à couvrir les frais du recours au sapiteur ;
* l'expert devra remettre un pré-rapport aux parties, leur impartir un délai pour déposer leurs éventuels dires, et y répondre, l'expert devra déposer son rapport définitif et sa demande de rémunération au greffe du tribunal, dans le délai de rigueur de six mois à compter de sa saisine (sauf prorogation dûment autorisée), et communiquer ces deux documents aux parties ;
- dit que les frais d'expertise seront avancés par la société [12] et M. [N] [C] à la mesure qui devra consigner la somme de 2 500 euros à valoir sur la rémunération de l'expert auprès du régisseur d'avances et de recettes du tribunal judiciaire de Dieppe dans le mois de la présente décision ou de sa signification étant précisé que :
* à défaut de consignation dans le délai imparti, la désignation de l'expert sera caduque de plein droit, (sauf décision contraire en cas de motif légitime) et il sera tiré toutes conséquences de l'abstention ou du refus de consigner ;
* chaque partie est autorisée à procéder à la consignation de la somme mise à la charge de l'autre en cas de carence ou de refus ;
* la personne ci-dessus désignée sera dispensée de consignation au cas où elle serait bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, sous réserve du dépôt de la décision d'aide juridictionnelle au greffe avant la même date que celle indiquée ci-dessus ;
- commis Mme Véronique Willemotte, vice-présidente, et à défaut tout autre juge du siège du tribunal judiciaire de Dieppe, pour surveiller l'exécution de la mesure ;
- débouté les parties de leurs autres demandes ;
- condamné in solidum la société [12] et M. [N] [C] à payer à Mme [V] [L] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné in solidum la société [12] et M. [N] [C] aux entiers dépens de la présente instance ;
- rappelé que la décision ainsi rendue bénéficie de l'exécution provisoire de droit.
La société [12] et M. [N] [C] ont interjeté appel de ce jugement par déclaration du 15 novembre 2024.
Par ordonnance du 28 mai 2025, la présidente de cette chambre a débouté Mme [L] de sa demande tendant à voir déclarer irrecevable l'appel de la SELARL [12] et de M. [C], demande qui avait été fondée sur le fait que les appelants avaient sollicité l'annulation du jugement entrepris et sa réformation sans préciser que la demande d'annulation était formée à titre principal et celle d'infirmation à titre subsidiaire.
EXPOSE DES PRETENTIONS
Aux termes de leurs dernières conclusions du 30 janvier 2025, la société [12] et M. [N] [C] demandent à la cour de :
- déclarer la société [13] et M. [N] [C] recevables et bien fondés en leur appel.
Y faisant droit,
A titre principal :
- annuler le jugement entrepris ;
- surseoir à statuer dans l'attente d'une décision à intervenir du tribunal compétent, saisi à l'initiative de la partie qui le juge nécessaire, s'agissant de l'existence ou non d'un droit de retrait et de la date d'évaluation des parts.
A titre subsidiaire, si par extraordinaire le jugement n'était pas annulé :
- infirmer la décision déférée en ses dispositions suivantes :
* reçoit l'action de Mme [V] [L] comme recevable et bien fondée en ses demandes ;
* ordonne une expertise et désigne pour y procéder [J] [G] avec pour mission notamment de déterminer à la date de l'assemblée générale du 26 août 2022, constatant la démission de Mme [V] [L] de son mandat de gérant et sa volonté de se retirer du capital de la SELARL [13], la valeur des droits sociaux détenus par Mme [V] [L] ;
* ordonne aux parties et à tout tiers détenteur de remettre sans délai à l'expert tout document qu'il estimera utile à l'accomplissement de sa mission ;
* dit que les frais d'expertise seront avancés par la SELARL [13] et M. [C] qui devra consigner la somme de 2 500 euros ;
* déboute la SELARL [13] et M. [C] de leurs autres demandes ;
* condamne in solidum la SELARL [13] et M. [C] à payer à Mme [L] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre aux entiers dépens ;
* rappelle que la présente décision bénéfice de l'exécution provisoire de droit.
En conséquence, statuant à nouveau :
- débouter Mme [V] [L] de sa demande d'expertise judiciaire.
A titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire la Cour devait confirmer l'expertise judiciaire :
- infirmer la décision déférée en ce qu'elle a fixé la date de valeur des parts sociales de Mme [L] au 26 août 2022 ;
- fixer à la date du retrait de Mme [L] la date à laquelle l'expert devra se placer pour déterminer la valeur des parts sociales de Mme [L].
En tout état de cause :
- condamner Mme [V] [L] à verser à M. [N] [C] la somme 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral ;
- condamner Mme [L] à verser à la société [13] la somme 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner Mme [V] [L] aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions du 27 mars 2025, Mme [V] [L] demande à la cour de :
A titre principal :
- juger la société [13] et M. [N] [C] irrecevables et mal fondés en leur appel nullité du jugement entrepris.
En conséquence,
- rejeter la société [13] et M. [N] [C] en toutes leurs demandes ;
- a plus que de besoin confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 23 octobre 2024 par le tribunal judiciaire de Dieppe ;
- condamner solidairement M. [N] [C] et la société [13] à verser à Mme [V] [L] la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner solidairement M. [N] [C] et la société [13] aux entiers dépens.
A titre subsidiaire, sur la demande d'infirmation du jugement ayant ordonné l'expertise judiciaire :
- juger la société [13] et M. [N] [C] irrecevables et mal fondés en leur appel et les en débouter.
Par conséquent,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 23 octobre 2024 par le tribunal judiciaire de Dieppe en ce qu'il a :
* reçu l'action de Mme [V] [L] comme recevable et bien fondée en ses demandes ;
* ordonné une expertise et désigné pour y procéder [G] [J] avec pour mission de :
** convoquer les parties en cause ainsi que leurs avocats par lettre recommandée avec accusé de réception ;
* prendre connaissance de tous documents utiles à sa mission et notamment examiner la comptabilité de la SELARL [13] ;
** déterminer à la date de l'assemblée générale du 26 aout 2022, constatant la démission de Mme [V] [L] de son mandat de gérant et sa volonté de se retirer du capital de la SELARL [13], la valeur des droits sociaux détenus par Mme [V] [L] ;
** rapporter toutes autres constatations utiles à l'examen des prétentions des parties ;
** mettre en temps utile au terme des opérations d'expertise, les parties en mesure de faire valoir leurs observations qui seront annexées au rapport.
* ordonné aux parties et à tout tiers détenteur de remettre sans délai à l'expert tout document qu'il estimera utile à l'accomplissement de sa mission ;
* dit que les frais d'expertise seront avancés par la SELARL [13] et M. [N] [C] qui devra consigner la somme de 2 500 euros ;
* débouté les parties de leurs autres demandes ;
* condamné in solidum la SELARL [13] et M. [N] [C] à payer à Mme [V] [L] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
A titre infiniment subsidiaire, sur la demande d'infirmation de la date fixée au 26 aout 2022 comme date de valeur des parts sociales de Mme [V] [L] :
- juger la société [13] et M. [N] [C] irrecevables et mal fondés en leur demande d'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il a fixé au 26 aout 2022 la date de valeur des parts sociales de Mme [V] [L] ;
- de plus fort, confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 23 octobre 2024 par le tribunal judiciaire de Dieppe en ce qu'il a fixé au 26 aout 2022 la date de valeur des parts sociales de Mme [V] [L].
En tout état de cause :
- débouter la société [13] et M. [N] [C] de l'intégralité de leurs demandes, fins et prétentions ;
- débouter M. [N] [C] de sa demande de condamnation de Mme [V] [L] à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;
- débouter la société [13] de sa demande de condamnation de Mme [V] [L] à lui verser la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code d procédure civile ;
- condamner solidairement M. [N] [C] et la société [13] à verser à Mme [V] [L] la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner solidairement M. [N] [C] et la société [13] aux entiers dépens, qui seront recouvrés par la SELARL [16] conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 juin 2025.
Pour un exposé détaillé des demandes et moyens des parties, la cour renvoie à leurs conclusions conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
Exposé des moyens :
M. [C] et la SELARL [12] soutiennent que :
- le premier juge a excédé ses pouvoirs tels que déterminés par l'article 1843-4 du code civil en interprétant les statuts de la SELARL [12] alors qu'il n'était saisi que d'une demande de désignation d'expert ; il aurait dû surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la juridiction compétente en matière de retrait d'un associé alors que les statuts de la SELARL [12] ne prévoient aucune possibilité de retrait d'un associé ;
- il a également excédé ses pouvoirs en précisant, dans la mission de l'expert désigné, la date d'évaluation des droits sociaux ;
- si l'annulation du jugement n'était pas prononcée, la cour devra l'infirmer et prononcer l'irrecevabilité de la demande d'expertise dès lors qu'aucun droit de retrait ne pouvait être statutairement exercé par Mme [L] ;
- les dispositions de l'ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023 qui prévoient ce droit de retrait sont postérieures aux faits de l'espèce et ne sont pas applicables ;
- le droit de retrait de Mme [L] n'existe pas plus aujourd'hui ;
- les modèles de statuts édités par l'Ordre des masseurs-kinésithérapeutes ne peuvent avoir aucun effet sur le présent litige, l'Ordre ne pouvant se substituer aux associés dans la rédaction des statuts ;
- en l'absence de dispositions statutaires, la valeur des droits sociaux de l'associé qui se retire doit être déterminée à la date la plus proche du remboursement de cette valeur ; aucun retrait n'ayant pu être exercé par Mme [L], la date du 26 août 2022 fixée par le premier juge n'est pas exacte ;
- les départs de Mme [L] et des autres masseurs-kinésithérapeutes ont désorganisé la société et il en est résulté un préjudice moral.
Mme [L] fait valoir que :
- l'appel est irrecevable comme contraire aux dispositions de l'article 1843-4 du code civil ;
- la déclaration d'appel tend à la fois à la nullité du jugement entrepris ainsi qu'à sa réformation sans hiérarchiser les demandes ; l'objet de l'appel étant ambigu, l'appel est irrecevable ;
- le premier juge, dans le dispositif de sa décision, n'a statué que sur la désignation d'un expert ; il n'a commis aucun excès de pouvoir ; par ailleurs, l'inobservation des dispositions de l'article 1843-4 du code civil ne constitue pas un tel excès ;
- les ordres professionnels disposent d'un pouvoir règlementaire et ils peuvent fixer les règles des statuts des sociétés professionnelles ; un droit de retrait est prévu dans les modèles des statuts édités par l'Ordre des masseurs-kinésithérapeutes ;
- la démission de Mme [L] de son mandat de gérante et la cessation de son activité au sein de la SELARL [12] avaient pour corollaire son retrait de la société ; le retrait a été reconnu par les appelants dans un courrier du 17 juin 2022 ;
- l'action de Mme [L] n'est pas abusive.
Réponse de la cour :
L'article 1843-4 du code civil dispose que : « I. ' Dans les cas où la loi renvoie au présent article pour fixer les conditions de prix d'une cession des droits sociaux d'un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d'accord entre elles, par jugement du président du tribunal judiciaire ou du tribunal de commerce compétent, statuant selon la procédure accélérée au fond et sans recours possible.
L'expert ainsi désigné est tenu d'appliquer, lorsqu'elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par les statuts de la société ou par toute convention liant les parties.
II. ' Dans les cas où les statuts prévoient la cession des droits sociaux d'un associé ou le rachat de ces droits par la société sans que leur valeur soit ni déterminée ni déterminable, celle-ci est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné dans les conditions du premier alinéa.
L'expert ainsi désigné est tenu d'appliquer, lorsqu'elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par toute convention liant les parties. »
La présidente de cette chambre a déjà statué par ordonnance du 28 mai 2025 sur la recevabilité de l'appel formé par M. [C] et la SELARL [12] et sur la « hiérarchisation » de leurs demandes. Cette décision ayant autorité de la chose jugée aux termes de l'article 906-3 du code de procédure civile, la cour n'a pas à statuer sur cette fin de non-recevoir.
Il résulte de l'article 1843-4 du code civil que la décision par laquelle le président du tribunal judiciaire procède à la désignation d'un expert chargé de déterminer la valeur de droits sociaux est sans recours possible. Cette disposition s'applique, par sa généralité, à toute voie de recours. Il n'y est dérogé qu'en cas d'excès de pouvoir.
Il ressort de l'article 1843-4 du code civil que les parties peuvent s'en remettre, en cas de contestation sur la valeur des droits sociaux d'un associé, à l'estimation d'un expert désigné, à défaut d'accord entre elles, par le président du tribunal statuant sans recours possible.
Le président du tribunal appelé à désigner un expert sur le fondement de l'article 1843-4 du code civil et dont le pouvoir juridictionnel se limite à en examiner les conditions d'application, ne peut connaître du contentieux portant sur l'existence du droit de retrait des associés, ne peut porter une quelconque appréciation sur la conformité des statuts ne prévoyant aucun droit de retrait en faveur des associés au modèle de statuts tel que déterminé par l'Ordre professionnel dont relèvent les parties et ne peut statuer sur la prééminence de ce modèle, en lui accordant une valeur réglementaire d'ordre public. En présence d'une telle contestation, le président doit surseoir à statuer sur la demande de désignation de l'expert dans l'attente d'une décision du tribunal compétent, saisi à l'initiative de la partie la plus diligente (Cass. Com 25 mai 2022 n° 20-18.307 ; Cass. Com. 7 juillet 2021n° 19-23.699).
Pour ordonner une expertise, le président du tribunal judiciaire de Dieppe a considéré que les statuts de l'Ordre des masseurs-kinésithérapeutes devaient prévaloir sur ceux établis par les associés fondateurs qui ne prévoyaient aucun droit de retrait.
Dès lors qu'il n'entre pas dans les pouvoirs du président du tribunal, saisi sur le fondement de l'article 1843-4 du code civil, de trancher la contestation relative à l'existence d'un droit de retrait invoqué par l'un des associés ni de substituer aux statuts de la SELARL [12] ceux établis par l'Ordre des masseurs-kinésithérapeutes, le Président du tribunal judiciaire de Dieppe a commis un excès de pouvoir.
L'appel interjeté par M. [C] et par la SELARL [12] est recevable.
Dans le cadre d'une demande de désignation d'expert sur le fondement de l'article 1843-4 du code civil, aucune voie de recours n'est ouverte contre la décision du président du tribunal de commerce, sauf excès de pouvoir. Si un tel excès est commis, le juge d'appel ne peut qu'annuler la décision et renvoyer les parties à mieux se pourvoir, faute d'avoir elle-même le pouvoir de procéder à une désignation d'expert sur le fondement de ce texte puisque seul le président du tribunal, statuant selon la procédure accélérée au fond et sans recours possible, a le pouvoir de désigner un expert chargé de l'évaluation des droits sociaux.
En conséquence, il y lieu d'annuler le jugement entrepris et de renvoyer les parties à mieux se pourvoir.
Les appelants sollicitent 5000 euros de dommages et intérêts au titre de leur préjudice moral en indiquant que du fait des départs de Mme [L] et d'autres masseurs-kinésithérapeutes, la société a été désorganisée.
Cependant, outre le fait que la demande de dommages et intérêts ne se rattache pas par un lien suffisant avec la demande initiale formée devant le président du tribunal judiciaire en désignation d'expert, aucune démonstration de l'existence ni d'une faute ni d'un préjudice n'est rapportée. Les appelants seront déboutés de cette demande.
Les dépens de la procédure de première instance et d'appel seront mis à la charge de Mme [L] qui sera condamnée au paiement de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au profit des appelants.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire en dernier ressort ;
Constate que la présidente de cette chambre a déjà statué sur la fin de non-recevoir soulevée par Mme [L] portant sur l'absence de hiérarchisation de l'appel formée par M. [C] et par la SELARL [12] ;
Déclare l'appel interjeté par M. [C] et par la SELARL [12] recevable ;
Annule le jugement du président du tribunal judiciaire de Dieppe du 23 octobre 2024 ;
Renvoie les parties à se pourvoir ainsi qu'elles aviseront ;
Déboute M. [C] et la SELARL [12] de leur demande de dommages et intérêts formée contre Mme [L] ;
Condamne Mme [L] aux dépens de première instance et d'appel ;
Condamne Mme [L] à payer à M. [C] et à la SELARL [12] solidairement la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La greffière, La présidente,