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CA Caen, 2e ch. civ., 16 octobre 2025, n° 25/00171

CAEN

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CA Caen n° 25/00171

16 octobre 2025

AFFAIRE : N° RG 25/00171

ARRÊT N°

NLG

ORIGINE : DECISION du Tribunal de Commerce de CAEN en date du 04 Décembre 2024

RG n° 2024008241

COUR D'APPEL DE CAEN

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE

ARRÊT DU 16 OCTOBRE 2025

APPELANTE :

S.C.I. GAN LAN SHU

N° SIRET : 449 286 186

[Adresse 2]

[Localité 3]

prise en la personne de son représentant légal

Représentée et assistée par Me Catherine FOUET, avocat au barreau de CAEN

INTIME :

Maître [U] [K] mandataire à la liquidation judiciaire de la SARL [R] [Localité 6]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté et assisté par Me Noël LEJARD, avocat au barreau de CAEN

DEBATS : A l'audience publique du 23 juin 2025, sans opposition du ou des avocats, M. GOUARIN, Conseiller, a entendu seul les plaidoiries et en a rendu compte à la cour dans son délibéré

GREFFIER : Mme LE GALL, greffier

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Madame EMILY, Président de Chambre,

Mme COURTADE, Conseillère,

M. GOUARIN, Conseiller,

ARRET prononcé publiquement le 16 octobre 2025 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme COURTADE, Conseillère, pour le président empêché et Mme LE GALL, greffier

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS

La SARL [R] Deauville, dont le gérant était M. [O] [R], exerçait son activité industrielle et commerciale en rapport avec la navigation de plaisance dans des locaux situés [Adresse 7], [Adresse 8] à Ouistreham donnés à bail commercial par la SCI Gan Lan Shu, dont M. [R] est également le gérant, suivant acte sous signature privée du 1er novembre 2021, moyennant un loyer annuel de 42.000 euros HT payable en quatre termes égaux de 10.500 euros chacun.

Le 24 juillet 2024, le tribunal de commerce de Caen, sur déclaration de cessation des paiements du gérant de la société [R] Deauville, a, notamment, constaté la cessation des paiements de cette société, constaté que celle-ci a cessé toute activité, ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de cette société, fixé la date de cessation des paiements au 21 janvier 2024, autorisé la poursuite d'activité jusqu'au 31 juillet 2024 et désigné Me [U] [K] liquidateur judiciaire.

Entre le 11 juin et le 12 juillet 2024, la société [R] [Localité 6] a effectué douze versements d'un montant global de 50.116,40 euros au profit de la société Gan Lan Shu.

Le 6 novembre 2024, Me [K], ès qualités, a assigné la société Gan Lan Shu devant le tribunal de commerce de Caen aux fins, notamment, de voir annuler les paiements effectués en juin et juillet 2024 sur le fondement de l'article L. 632-2 du code de commerce et condamner la société Gan Lan Shu au paiement de la somme de 50.116,40 euros avec intérêts de droit à compter de l'assignation.

Par jugement réputé contradictoire du 4 décembre 2024, le tribunal de commerce de Caen a :

- prononcé la nullité des douze paiements effectués par la société [R] [Localité 6] au profit de la société Gan Lan Shu entre le 11 juin et le 12 juillet 2024,

- condamné la société Gan Lan Shu à restituer la somme versée au titre du paiement des loyers impayés, soit 50.116,40 euros avec intérêts de droit à compter de la date de délivrance de l'assignation, soit le 6 novembre 2024,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné la société Gan Lan Shu à payer à Me [K], ès qualités, la somme de 4.000 euros à titre d'indemnité de procédure ainsi qu'aux dépens comprenant les frais de greffe liquidés à la somme de 60,22 euros TTC.

Selon déclaration du 21 janvier 2025, la société Gan Lan Shu a relevé appel de cette décision.

Par ordonnance du 1er avril 2025, le délégué du premier président de cette cour a rejeté la demande d'arrêt de l'exécution provisoire du jugement entrepris formée par l'appelante.

Par dernières conclusions du 15 mai 2025, l'appelante demande à la cour d'infirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions, statuant à nouveau, de débouter Me [K], ès qualités, de toutes ses demandes, de constater que dans la réclamation adverse figure deux paiements ne correspondant pas à des loyers au bénéfice de la société Gan Lan Shu mais à des taxes foncières, à savoir le règlement du 11 juin 2024 pour 1.350,40 euros et le règlement du 12 juillet 2024 pour 6.766 euros dont la restitution ne peut être sollicitée par Me [K], de réduire en conséquence subsidiairement la réclamation adverse du même montant et écarter la demande d'annulation formulée par Me [K] correspondant à ces deux règlements, d'écarter toutes réclamations formulées par Me [K] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et au titre des dépens, de laisser les dépens de première instance à la charge de Me [K], ès qualités, et de condamner ce dernier au paiement de la somme de 3.000 euros à titre d'indemnité de procédure ainsi qu'aux entiers dépens.

Par dernières conclusions du 6 mai 2025, Me [K], ès qualités, demande à la cour de confirmer le jugement attaqué et de condamner l'appelante au paiement de la somme de 5.000 euros à titre d'indemnité de procédure ainsi qu'aux entiers dépens.

La mise en état a été clôturée le 21 mai 2025.

Pour plus ample exposé des prétentions et moyens, il est référé aux dernières écritures des parties.

MOTIFS

1. Sur la demande d'annulation de paiements effectués en période suspecte

Selon l'article L. 632-2 alinéa 1er du code de commerce, rendu applicable à la liquidation judiciaire par l'article L. 641-14, alinéa 1er, du même code, les paiements pour dettes échues effectués à compter de la date de cessation des paiements et les actes à titre onéreux accomplis à compter de cette même date peuvent être annulés si ceux qui ont traité avec le débiteur ont eu connaissance de la cessation des paiements.

Ces dispositions assurent la protection du gage commun des créanciers et le principe d'égalité de ceux-ci.

L'appelante fait grief au tribunal d'avoir annulé les paiements effectués par la société [R] [Adresse 5] à son profit entre le 11 juin et le 12 juillet 2024 et de l'avoir condamnée à restituer le montant de ces versements au motif que les sociétés ayant effectué et bénéficié des paiements litigieux sont dirigées par la même personne qui ne pouvait ignorer l'état de cessation des paiements de la première dès lors qu'il en a lui-même fait la déclaration, alors, d'une part, que le débiteur n'était pas à cette période en état de cessation des paiements pour avoir réglé ses fournisseurs, obtenu un report de mise en recouvrement de la part du Trésor public, l'existence d'un chiffre d'affaires de 249.186 euros HT, soit une marge de 44.773,59 euros au 14 juin 2024, un déstockage de métaux pour la somme de 46.035 euros HT le 29 juin 2024 et l'existence d'un stock d'une valeur de 338.000 euros au 14 juin 2024, que la fiche de renseignements préparatoire à la déclaration de cessation des paiements a été remplie par une employée de la société [R] [Adresse 5] mentionnant une TVA impayée en décembre 2023 alors qu'un moratoire avait été accordé jusqu'en juin 2024 et respecté, que le jugement prononçant la liquidation judiciaire ne lui est pas opposable et mentionne que la date de cessation des paiements est fixée seulement provisoirement au 21 janvier 2024, d'autre part, qu'il ne saurait être déduit de sa qualité de gérant de la société débitrice sa connaissance de l'état de cessation des paiements de cette dernière, un projet de cession du bâtiment d'exploitation et du fonds de commerce ayant échoué peu avant le dépôt de la déclaration de cessation des paiements.

En l'espèce, la société [R] Deauville a été mise en liquidation judiciaire le 24 juillet 2024, la date de cessation des paiements étant fixée au 21 janvier 2024 et le tribunal constatant que cette société avait cessé son activité.

Ce jugement, publié au BODACC le 30 juillet suivant et qui n'a fait l'objet d'aucun recours, est opposable aux créanciers de la société [R] [Localité 6] dont la société Gan Lan Shu.

Si la date de cessation des paiements fixée au 21 janvier 2024 peut être reportée, ce report ne peut être effectué qu'à une date antérieure de dix-huit mois à la date du jugement, conformément aux dispositions de l'article L. 631-8 du code de commerce.

Il ressort des relevés de compte du débiteur que celui-ci a effectué, entre le 11 juin et le 12 juillet 2024, douze versements d'un montant global de 50.116,40 euros au profit de la société Gan Lan Shu, son bailleur, dont le dernier n'a été opéré que six jours avant la signature d'une déclaration de cessation des paiements par le gérant de la société [R] [Localité 6].

Au regard des dispositions précitées qui concernent le paiement de toutes dettes échues durant la période suspecte, il importe peu que ces versements correspondent non seulement à des loyers mais aussi à des taxes foncières, celles-ci étant dues au bailleur par le preneur en vertu du bail commercial liant l'appelante et la société [R] [Localité 6].

Le 18 juillet 2024, M. [R], gérant de la société [R] [Adresse 5], a signé une déclaration de cessation des paiements de cette société au 21 janvier 2024 mentionnant un passif de 161.174,53 euros et un actif seulement constitué de soldes de comptes de dépôt créditeurs pour un montant total de 245,88 euros.

Le 22 juillet suivant, M. [R] a signé le procès-verbal de dépôt d'une demande d'ouverture de liquidation judiciaire, déclarant à nouveau que la société [R] [Localité 6] était en état de cessation des paiements le 21 janvier 2024.

L'appelante est mal fondée à soutenir que la société [R] [Localité 6] n'était pas en état de cessation des paiements à la date des paiements litigieux, dès lors que M. [R], gérant de cette dernière, a déclaré lui-même que cette société était en cessation des paiements depuis le 21 janvier 2024, que le jugement prononçant la liquidation judiciaire de la société [R] et fixant la date de cessation des paiements au 21 janvier 2024 a force de chose jugée et qu'il ressort du rapport établi le 1er août 2024 par le liquidateur judiciaire et de la liste des créances au 2 octobre 2024, non utilement contredits, que celles-ci s'élèvent à la somme de 225.579,42 euros au titre des créances déclarées dont 208.079,42 euros au titre des créances échues et admises comprenant des créances du Trésor public et de l'URSSAF, que le résultat de la société était déficitaire de 163.414 euros en 2023, que la société connaissait des difficultés de trésorerie, que les opérations de déstockage ont eu des résultats limités et que les stocks ne sauraient être considérés comme un actif disponible en ce que la vente de ces actifs réalisables peut s'effectuer après une réduction par rapport à leur valeur figurant dans les documents comptables et que la preuve d'un moratoire accordé par l'administration fiscale n'est pas rapportée, le courriel du 29 mai 2024 produit par l'appelante mentionnant au contraire une augmentation de la créance fiscale et contenant une invitation à régler celle-ci 'dans les plus brefs délais sous peine de poursuites' (pièce n°5 appelante), de sorte que la société [R] [Localité 6] était à la période des paiements litigieux dans l'impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible.

D'autre part, si la seule qualité de dirigeant social du débiteur ne suffit pas à établir la connaissance de la cessation des paiements, la société Gan Lan Shu, prise en la personne de son gérant M. [R], avait, en l'espèce, connaissance à la date des paiements litigieux de la cessation des paiements de la société [R] [Localité 6], dès lors que M. [R], dirigeant tant de la société effectuant les paiements en cause que de celle bénéficiant de ces paiements, a opéré pour le compte de la société [R] [Localité 6], sur la période restreinte comprise entre le 11 juin et le 12 juillet 2024, douze versements d'un montant global de 50.116,40 euros au profit de la société Gan Lan Shu, son bailleur, dont le dernier à seulement six jours de la signature de la déclaration de cessation des paiements de la société [R] [Localité 6], alors que le grand livre de la société [R] [Localité 6] pour l'exercice clos au 31 décembre 2023 (pièce intimée n°3) mentionnait notamment au passif une dette de loyers commerciaux d'un montant de 50.400 euros correspondant à plus d'un an de loyer et que, selon l'appelante elle-même, la situation financière de la société [R] [Localité 6], dont les documents comptables mentionnaient un résultat déficitaire de 163.414 euros en 2023, nécessitait un déstockage par vente sur autorisation préfectorale dès le mois de mars 2024 puis sur vente volontaire en juin 2024 ayant eu des résultats limités.

L'existence d'un projet de reprise de la société [R] [Localité 6] et de la société Gan Lan Shu est sans incidence sur la connaissance qu'avait celle-ci de l'état de cessation des paiements de celle-là à la date des paiements litigieux.

Au surplus, il est relevé que la promesse de vente conclue le 27 janvier 2025 entre la SCI Gan Lan Shu et la société En Eco ne portait que sur le bâtiment où la SARL [R] Deauville exploitait son fonds de commerce et que le projet de vente de ce fonds a été abandonné le 19 juillet 2024 tandis que le gérant de la société [R] Deauville avait signé, le 18 juillet 2024, sa déclaration de cessation des paiements en précisant que cet état remontait au 21 janvier 2024.

A ces motifs substitués, le jugement entrepris sera donc confirmé.

2. Sur les demandes accessoires

Les dispositions du jugement entrepris relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance, fondées sur une exacte appréciation, seront confirmées.

La société Gan Lan Shu, qui succombe, sera condamnée aux dépens d'appel, déboutée de sa demande d'indemnité de procédure et condamnée à payer à Me [K], ès qualités, la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement entrepris ;

Y ajoutant,

Condamne la SCI Gan Lan Shu aux dépens d'appel et à payer à Me [U] [K], ès qualités, la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette toutes autres demandes.

LE GREFFIER POUR LE PRÉSIDENT

EMPECHE

N. LE GALL L. COURTADE

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