CA Paris, Pôle 6 - ch. 9, 16 octobre 2025, n° 24/01661
PARIS
Autre
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 9
ARRET DU 16 OCTOBRE 2025
(n° , 12 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/01661 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CJDUE
Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 avril 2019 rendu par le conseil de prud'hommes de Paris infirmé par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 7 avril 2022 cassé et annulé en toutes ses dispositions par un arrêt de la chambre sociale de la cour de cassation en date du 28 février 2024.
DEMANDEUR A LA SAISINE SUR RENVOI APRES CASSATION
S.A.S. LAMY-LIAISONS venant aux droits de la société Wolters Kluwer France
[Adresse 7]
[Localité 9]
Représentée par Me Bruno REGNIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050
DEFENDEURS A LA SAISINE SUR RENVOI APRES CASSATION
Monsieur [O] [V]
[Adresse 4]
[Localité 8]
Représenté par Me Audrey LEGUAY, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC218
S.A.S.U. INFO6TM
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représentée par Me Uriel SANSY, avocat au barreau de PARIS, toque : L0061
S.A.S. [R] ET ASSOCIES prise en la personne de Maître [I], ès qualité de liquidateur judiciaire de la société INFO6TM
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentée par Me Uriel SANSY, avocat au barreau de PARIS, toque : L0061
S.C.P. CHANEL [C] prise en la personne de Me [K] [C], ès qualité d'administrateur judiciaire de la société INFO6TM
[Adresse 1]
[Localité 6]
Non représentée
PARTIE INTERVENANTE
Association AGS CGEA DE [Localité 12]
[Adresse 10]
[Adresse 11]
[Localité 5]
Non représentée
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Septembre 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre
Monsieur Fabrice MORILLO, conseiller
Madame Nelly CHRETIENNOT, conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Marika WOHLSCHIES
ARRET :
- réputé contradictoire,
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre et par Madame Marika WOHLSCHIES, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
Monsieur [O] [V] a travaillé, à compter du 1er septembre 2005 en qualité de journaliste rédacteur pigiste pour le compte de la société Wolters Kluwer France, entreprise de presse, ultérieurement devenue Lamy-Liaisons, pour le titre "Logistiques Magazine" édité par cette société.
Monsieur [V] a fait l'objet d'arrêts de travail pour maladie du 21 janvier 2013 au 31 janvier 2016 et le 1er février 2016, le médecin du travail l'a déclaré apte à une reprise progressive à condition de prévoir des pauses régulières dans le cadre d'un travail à temps partiel.
La société Wolters Kluwer France lui a commandé un article en mars 2016, puis il n'a plus reçu de commande d'articles.
La société Wolters Kluwer France a cédé à la société Info6TM le titre "Logistiques Magazine" à effet au 30 juin 2016.
Le 31 janvier 2018, Monsieur [V] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris et formé, à l'encontre des deux sociétés, une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail allégué, ainsi que des demandes afférentes à un licenciement sans cause réelle et sérieuse et à l'exécution de son contrat de travail.
Par jugement du 19 avril 2019, le conseil de prud'hommes de Paris a qualifié la relation contractuelle de contrat à durée indéterminée, fixé la moyenne brut des salaires de Monsieur [V] à 1 126,30 €, a condamné solidairement les sociétés Wolters Kluwer France et Info 6TM à lui payer les sommes suivantes et a débouté Monsieur [V] de ses autres demandes :
- rappel de salaire de février 2016 à janvier 2019 : 42 799,40 € ;
- congés payés afférents : 4 279,94 € ;
- 13ème mois sur rappel de salaire : 3 566,62 € ;
- prime d'ancienneté afférente au rappel de salaire : 8 559,88 € ;
- indemnité compensatrice de préavis : 3 378,90 € ;
- congés payés afférents : 337,89 € ;
- indemnité de licenciement : 15 768,20 € ;
- dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 6 757,80 € ;
- les intérêts au taux légal ;
- indemnité pour frais de procédure : 1 000 €.
Les sociétés Wolters Kluwer France et Info 6TM ont respectivement interjeté appel de ce jugement par déclarations des 16 mai et 3 juin 2019.
Devant la cour d'appel, la société Info6TM a transmis le 29 août 2019 des conclusions, aux termes desquelles elle demandait le rejet des demandes formées à son encontre par la société Wolters Kluwer France, à titre subsidiaire l'infirmation du jugement et le rejet des demandes de Monsieur [V] formées à son encontre et à titre plus subsidiaire la condamnation de la société Wolters Kluwer France à la garantir de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre.
Par arrêt du 7 avril 2022, la cour d'appel de Paris a infirmé le jugement en toutes ses dispositions, rejeté les demandes de Monsieur [V] et l'a condamné aux dépens et ce, au motif que son activité au sein de la société Wolters Kluwer France n'était pas régulière de sorte qu'il ne pouvait pas prétendre au bénéfice d'un contrat de travail.
Monsieur [V] a formé un pourvoi en cassation à l'encontre de cet arrêt.
Entretemps, la société Lamy - Liaisons est venue aux droits de la société Wolters Kluwer France.
Par arrêt du 28 février 2024, la Cour de cassation a cassé l'arrêt du 7 avril 2022, au motif que la cour d'appel n'avait pas caractérisé l'indépendance de Monsieur [V] dans l'exercice de sa profession de journaliste professionnel auprès de la société Wolters Kluwer France, en sorte que la présomption de salariat qui y était attachée n'était pas renversée, a remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.
La société Wolters Kluwer France a transmis sa déclaration de saisine le 1er mars 2024.
Entre-temps, par jugement du 21 février 2024, le tribunal judiciaire de Metz a prononcé la liquidation judiciaire de la société Info6TM et désigné la société [R] et Associés en qualité de liquidateur judiciaire.
La société [R] et Associés, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Info6TM et cette dernière, ont transmis leurs premières conclusions après saisine de la présente juridiction le 11 septembre 2024.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 3 septembre 2025, la société Lamy - Liaisons, venant aux droits de la société Wolters Kluwer France, demande que les conclusions et pièces communiquées le 11 septembre 2024 par les sociétés Info6TM et [R] et Associés soient déclarées irrecevables. Elle demande également que soit ordonnée sa mise hors de cause, que la cour se déclare incompétente au profit de la Commission Arbitrale des Journalistes pour statuer sur l'octroi et la fixation du montant de l'indemnité de licenciement, l'infirmation du jugement du 19 avril 2019, le rejet des demandes de Monsieur [V] et de la société Info6TM, la condamnation de Monsieur [V] à lui rembourser la somme versée au titre des condamnations de première instance soumises à exécution provisoire de droit, soit 3 289,31 €, ainsi que la condamnation de la société [R] et Associés ainsi que de Monsieur [V] à lui payer une indemnité pour frais de procédure de 1 500 €.
La société Lamy - Liaisons fait valoir que :
- la société [R] et Associés n'a pas transmis ses conclusions dans le délai de deux mois prévu par l'article 1037-1 du code de procédure civile ;
- le contrat de travail de Monsieur [V] ayant été de plein droit transféré au profit de la société Info6TM à compter du 30 juin 2016, il ne faisait plus, à compter de cette date, partie des effectifs de la société Wolters Kluwer France aux droits de laquelle elle se trouve ;
- à titre subsidiaire, la demande de requalification en contrat à durée indéterminée est contraire au caractère "sui generis" de l'activité de pigiste occasionnel exercée par Monsieur [V] ;
- ses demandes de rappels de salaire s'opposent à la variabilité de l'activité de pigiste ;
- en tout état de cause, dans la mesure où la société Wolters Kluwer France a cédé "Logistiques Magazine" le 1er juillet 2016, rien ne justifie qu'elle soit condamnée au-delà de cette date.
Aux termes de leurs dernières conclusions transmises par voie électronique le 3 septembre 2025, la société Info6TM et son liquidateur judiciaire, la société [R] et Associés, demandent que leurs précédentes conclusions soient déclarées recevables, faisant valoir que la société Wolters Kluwer France n'apporte pas la preuve du non-respect des délais de conclusions. Elles ajoutent qu'en tout état de cause, elles ont notifié de nouvelles conclusions et qu'à défaut, il conviendra de retenir les conclusions transmises devant la première cour d'appel dont l'arrêt a été cassé, avec les pièces associées.
Sur le fond, la société Info6TM et son liquidateur judiciaire demandent l'infirmation du jugement et à titre subsidiaire, la condamnation de la société Lamy - Liaisons à les garantir de toutes condamnations qui seraient prononcées à leur encontre. Elles demandent également la condamnation de Monsieur [V] à leur payer une indemnité pour frais de procédure de 3 000 €. Elles font valoir que :
- l'acte de cession de fonds de commerce intervenu entre la société Wolters Kluwer France et la société Info6TM ne mentionnait pas le contrat de travail de Monsieur [V] parmi ceux transférés ; de plus, la société Wolters Kluwer France n'avait cédé qu'une partie de ses activités ; la société Wolters Kluwer France, devenue Lamy - Liaisons, est donc seule restée son employeur ;
- à titre subsidiaire, Monsieur [V] avait la qualité de pigiste indépendant et elle s'approprie l'argumentation de la société Lamy - Liaisons sur ce point ;
- à titre plus subsidiaire, en cas de condamnation, la société Lamy - Liaisons lui doit sa garantie en application des stipulations de l'acte de cession de fonds de commerce.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 16 octobre 2024, Monsieur [V] demande la confirmation du jugement, sauf en ce qui concerne le montant du rappel de salaire, des congés payés, de la prime de 13ème mois et de la prime d'ancienneté afférents, ainsi que des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
En conséquence, il demande la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée à compter du 1er septembre 2005 en qualité de journaliste professionnel rédacteur, la fixation de sa rémunération moyenne mensuelle brute à la somme de 1 126,30 € bruts, que soit prononcée la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur à la date du jugement prud'homal, à titre principal, la condamnation de la société Lamy - Liaisons (venant aux droits de la société Wolters Kluwer France) au paiement des sommes suivantes et à titre subsidiaire la fixation au passif de la société Info6TM de ces sommes :
- rappel de salaire du 1er février 2016 au 19 avril 2019 : 42 977,17 € ;
- congés payés afférents : 4 297,71 € ;
- 13ème mois sur rappel de salaire : 3 581,43 € ;
- prime d'ancienneté afférente au rappel de salaire : 8 595,43 € ;
- dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail : 3 000 € ;
- indemnité compensatrice de préavis : 3 378,90 € ;
- congés payés afférents : 337,89 € ;
- indemnité de licenciement : 15 768,20 € ;
- dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 12 390 € ;
- les intérêts au taux légal avec capitalisation ;
- indemnité pour frais de procédure : 3 500 € ;
- Monsieur [V] demande également que soit ordonnée à Lamy - Liaisons et subsidiairement à LA SOCIÉTÉ [R] ET ASSOCIÉS la remise de bulletins de salaire, ainsi que d'un certificat de travail et d'une attestation destinée à Pôle emploi, conformes.
Au soutien de ses demandes et en réplique aux argumentations adverses, Monsieur [V] expose que :
- la société Wolters Kluwer France ayant cédé à la société Info6TM ses activités de presse, son contrat de travail lui a été automatiquement transféré le 1er juillet 2016 en application des dispositions de l'article L.1224-1 du code du travail mais la société Wolters Kluwer France n'ayant pas mentionné son nom dans l'acte de cession de fonds de commerce, doit être condamnée à titre principal, la demande subsidiaire de fixation au passif de la société Info6TM étant motivée par le caractère automatique des dispositions précitées ;
- il relève du statut de journaliste professionnel, statut qui n'était pas contesté devant le conseil de prud'hommes, cette activité étant pour lui principale, régulière et rétribuée et en l'absence de contrat à durée déterminée écrit, il est fondé à se prévaloir de l'existence d'un contrat à durée indéterminée, dès l'origine ;
- il bénéficie de la présomption de contrat de travail, quel que soit son mode de rémunération et les intimées ne renversent pas cette présomption ; l'employeur a d'ailleurs toujours reconnu l'existence d'un contrat à durée indéterminée et des droits qui y sont attachés ;
- sa demande de résiliation judiciaire est motivée par le manquement de l'employeur à son obligation de fournir régulièrement du travail et son manquement à son obligation de fourniture du travail après la visite de reprise, ainsi que par l'absence d'entretien professionnel au retour d'un arrêt pour longue maladie ;
- le conseil de prud'hommes a arrêté à tort le calcul du rappel de salaire et accessoires au mois de janvier 2019 au lieu du 19 avril 2019 ;
- l'exception d'incompétence soulevée par la société Lamy - Liaisons n'est pas fondée, eu égard à son ancienneté ;
- il rapporte la preuve de son préjudice.
Bien que régulièrement assignée par acte de commissaire de justice du 27 juin 2024, l'AGS n'a pas constitué avocat. L'arrêt sera donc réputé contradictoire.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 4 septembre 2025.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions.
* * *
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la recevabilité des conclusions de la société [R] et Associés et l'étendue de la saisine de la cour de ses demandes
Il résulte des dispositions de l'article 1037-1 du code de procédure civile, qu'en cas de renvoi par la Cour de cassation devant la cour d'appel, la déclaration de saisine est signifiée par son auteur aux autres parties à l'instance ayant donné lieu à la cassation dans les vingt jours de la notification par le greffe de l'avis de fixation.
Les conclusions de l'auteur de la déclaration sont remises au greffe et notifiées dans un délai de deux mois suivant cette déclaration.
Les parties adverses remettent et notifient leurs conclusions dans un délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l'auteur de la déclaration.
La notification des conclusions entre parties est faite dans les conditions prévues au cinquième alinéa de l'article 906-2 et les délais sont augmentés conformément à l'article 915-4.
En l'espèce, la société Lamy - Liaisons a transmis sa déclaration de saisine le 1er mars 2024, puis ses conclusions le 19 avril 2024, qu'elle a fait signifier le 29 avril 2024 à la société [R] et Associés, liquidateur judiciaire de la société Info6TM, en l'assignant. La société [R] et Associés n'a ensuite transmis ses propres conclusions que le 11 septembre 2024.
Ces conclusions sont donc irrecevables, de même que celles qu'elle a ultérieurement transmises le 3 septembre 2025.
La société Info6TM et son liquidateur judiciaire la société [R] et Associés, demandent, en application des dispositions susvisées, que la cour statue sur les conclusions que la société Info6TM avait transmises le 29 août 2019.
Cependant, la société Info6TM ayant ultérieurement fait l'objet d'une liquidation judiciaire, il convient de déterminer dans quelle mesure les demandes qu'elle avait initialement formulées sont recevables.
Selon l'article L.641-9 du code de commerce, le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens même de ceux qu'il a acquis à quelque titre que ce soit tant que la liquidation judiciaire n'est pas clôturée. Les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur. Toutefois, le débiteur peut se constituer partie civile dans le but d'établir la culpabilité de l'auteur d'un crime ou d'un délit dont il serait victime. Le débiteur accomplit également les actes et exerce les droits et actions qui ne sont pas compris dans la mission du liquidateur ou de l'administrateur lorsqu'il en a été désigné.
En conséquence, si le débiteur dessaisi de l'administration et de la disposition de ses biens par sa liquidation judiciaire, dont les droits et actions sur son patrimoine sont exercés par le liquidateur, conserve le droit propre de défendre aux instances relatives à la détermination de son passif et d'exercer un recours contre les décisions fixant, après reprise d'une instance en cours lors du jugement d'ouverture, une créance à son passif, en revanche aucun droit propre ne fait échec à son dessaisissement pour l'exercice des actions tendant au recouvrement de ses créances ou à la mise en cause de la responsabilité d'un cocontractant. Il en résulte que si le débiteur est recevable, dans l'exercice de son droit propre, à contester la créance, objet de l'instance en cours, il n'est en revanche pas recevable à former seul, à l'occasion de cette instance, des demandes à l'encontre d'un cocontractant.
En l'espèce, la société Info6TM et son liquidateur judiciaire sont donc recevables à s'opposer aux demandes formées à leur encontre par Monsieur [V] et par la société Lamy - Liaisons mais sont irrecevables à demander que cette dernière soit condamnée à les garantir de créances qui seraient fixées au passif de la société, ainsi qu'à leur payer une indemnité pour frais de procédure.
Sur la qualification de contrat de travail à durée indéterminée
Aux termes de l'article L.7112-1 du code du travail, toute convention par laquelle une entreprise de presse s'assure, moyennant rémunération, le concours d'un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail.
Aux termes de l'article L.7111-3 du code du travail, est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources.
Les journalistes se définissent comme ceux qui apportent une collaboration intellectuelle et permanente à une publication périodique en vue de l'information des lecteurs.
Aux termes de l'article L.7111-4 du même code, sont assimilés aux journalistes professionnels les collaborateurs directs de la rédaction, rédacteurs-traducteurs, sténographes rédacteurs, rédacteurs réviseurs, reporters-dessinateurs, reporters photographes, à l'exclusion des agents de publicité et de tous ceux qui n'apportent, à un titre quelconque, qu'une collaboration occasionnelle.
La convention collective des journalistes prévoit que le journaliste professionnel est celui qui a pour occupation principale, régulière et rétribuée, l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs publications quotidiennes ou périodiques, ou dans une ou plusieurs agences de presse ou dans une ou plusieurs entreprises de communication audiovisuelle et qui en tire le principal de ses ressources.
En l'espèce, Monsieur [V] produit ses 8 à 11 bulletins de paie que lui remettait chaque année la société Lamy - Liaisons pendant 10 ans, les certificats établis chaque année par cette société à l'intention de la Commission de la Carte d'Identité des Journalistes Professionnels, le présentant comme un " pigiste qui travaille régulièrement pour nous", ainsi que les attestation de Madame [B], rédactrice en chef de Logistiques Magazine et de Monsieur [P], rédacteur en chef adjoint, déclarant qu'il a exercé régulièrement une activité de pigiste pour le compte du magazine de 2005 à 2017.
Il produit également ses déclarations de revenus et avis d'imposition de 2005 à 2015, établissant que ses revenus versés par trois sociétés de presse représentaient entre 71 et 82 % de ses ressources financières totales annuelles.
Il résulte de ces éléments que Monsieur [V] avait la qualité de journaliste professionnel.
Il est donc présumé avoir été lié à la société Lamy - Liaisons par un contrat de travail et il appartient donc aux sociétés de rapporter la preuve contraire.
La société Lamy - Liaisons et la société [R] et Associés font valoir que la rémunération à la pige est l'un des modes de rémunération des journalistes mais ne constitue pas en elle-même un contrat de travail, qu'il s'agit seulement d'un mode d'exercice de la profession de journaliste sui generis et que Monsieur [V] exerçait de façon notoire comme journaliste indépendant et avait à l'époque de multiples activités à l'extérieur de la société.
Cependant, ces éléments ne suffisent pas à apporter la preuve de l'absence de contrat de travail.
Aux termes de l'article L.1221-2 du code du travail, le contrat à durée indéterminée est la forme normale et générale de la relation de travail.
Aux termes de l'article L.1242-12 du même code, le contrat de travail à durée déterminée est établi par écrit et comporte la définition précise de son motif.
Aux termes de l'article L.1245-1 du même code, est réputé contrat à durée indéterminée, tout contrat de travail conclu en méconnaissance de ces dispositions.
En l'espèce, Monsieur [V] expose, sans être contredit sur ce point, qu'il a travaillé de manière régulière et permanente pendant plus de 13 ans pour le compte de la société Info6TM, sans que cette relation de travail n'ait jamais fait l'objet d'un contrat de travail écrit.
Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a qualifié la relation contractuelle entre Monsieur [V] et la société Info6TM, devenue la société Wolters Kluwer France, en contrat de travail à durée indéterminée.
Sur la détermination de l'employeur de Monsieur [V]
Aux termes de l'article L.1224-1 du code du travail, lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise.
Aux termes de l'article L.1224-2 du même code, le nouvel employeur est tenu, à l'égard des salariés dont les contrats de travail subsistent, aux obligations qui incombaient à l'ancien employeur à la date de la modification, sauf dans les cas suivants :
1° Procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire ;
2° Substitution d'employeurs intervenue sans qu'il y ait eu de convention entre ceux-ci.
L'application de ces dispositions suppose le transfert d'une unité économique autonome, laquelle est caractérisée par un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels et incorporels permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre et ce, même en l'absence de lien de droit entre les employeurs successifs.
Dès lors que ces conditions sont réunies, le transfert se réalise de plein droit, sans que le consentement du salarié concerné et des entreprises soit nécessaire.
En l'espèce, par contrat du 1er juillet 2016, la société Wolters Kluwer France a cédé à la société Info6TM le fonds de commerce afférent à son pôle "presse" dont le titre "Logistique Magazine" pour lequel Monsieur [V] travaillait et aucune des parties ne conteste sérieusement que les conditions du transfert d'une unité économique autonome étaient réunies.
Par ailleurs, il est constant qu'à la date de la cession, Monsieur [V] faisait partie des effectifs de la société Wolters Kluwer France.
Le contrat de travail de Monsieur [V] a donc été transféré de plein droit à la société Info6TM, laquelle est devenue son employeur et le fait, invoqué par elle, que l'acte de cession ne mentionnait pas Monsieur [V] dans la liste des salariés transférés est sans effet sur ce transfert.
Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail
Il résulte des dispositions des articles 1224 et 1228 du code civil qu'un contrat de travail peut être résilié aux torts de l'employeur en cas de manquement suffisamment grave de sa part à ses obligations contractuelles.
En l'espèce, au soutien de sa demande, Monsieur [V] fait notamment valoir que l'employeur a cessé de lui fournir du travail après la pige de mars 2016.
Il produit l'attestation de Monsieur [P], rédacteur en chef adjoint et responsable des journalistes pigistes de Logistiques Magazine, qui déclare qu'il n'a, ensuite, pas cessé de le solliciter pour de nouvelles piges mais qu'il n'a pu lui donner satisfaction en raison du rachat du magazine. Ce témoignage est corroboré par les courriels de relance envoyées par Monsieur [V] au magazine les 21 novembre 2016, 9 novembre et 29 décembre 2017 et 9 janvier 2018.
L'obligation de fournir du travail au salarié constituant l'une des principales obligations de l'employeur, ce manquement suffit à justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail de Monsieur [V], aux torts de l'employeur, à effet au jour du prononcé du jugement du conseil de prud'hommes.
Le conseil de prud'hommes ayant omis de reprendre cette mesure dans le dispositif du jugement, celui-ci sera donc infirmé sur ce point.
Sur la demande de rappel de salaire
La principale obligation de l'employeur étant de fournir du travail au salarié, il n'est fondé à cesser de lui payer son salaire que s'il rapporte la preuve du fait qu'il a cessé de se tenir à sa disposition pour travailler, sauf suspension ou rupture du contrat de travail.
En l'espèce, la société Info6TM et son liquidateur judicaire ne rapportent pas cette preuve et il résulte des développements qui précèdent que Monsieur [V] a relancé cette société à plusieurs reprises pour obtenir des piges.
Il est donc fondé à obtenir paiement du salaire dû entre le 1er février 2016, date de la fin de son arrêt de travail et le 19 avril 2019, date d'effet de la résiliation judiciaire du contrat de travail.
C'est à juste titre qu'il calcule son salaire de référence à partir des rémunérations perçus au cours des 12 derniers mois précédant ses arrêts de travail, soit la somme mensuelle de 1 126,30 euros par mois.
Il est donc fondé à obtenir, conformément à sa demande, 42 977,17 euros de rappel de salaire, outre 4 297,71 euros d'indemnité de congés payés afférents, outre, en application des dispositions de la convention collective des journalistes, 3 581,43 euros de prime de 13 ème mois afférente et 8 701,79 euros de prime d'ancienneté afférente.
Le jugement doit donc être infirmé quant au montant des condamnations.
Sur les demandes afférentes à la rupture du contrat de travail
La société Lamy - Liaisons fonde son exception d'incompétence au profit de la Commission Arbitrale des Journalistes sur les dispositions des articles L.7112-3 et L.7112-4 du code du travail .
Cependant, Monsieur [V] objecte à juste titre qu'aux termes de ce dernier article, cette commission n'est compétente pour déterminer le montant de l'indemnité de licenciement due que lorsque l'ancienneté de l'intéressé excède quinze années, ce qui n'était pas son cas.
Cette exception doit donc être rejetée.
Monsieur [V] est donc fondé à obtenir l'indemnité de licenciement prévue par les dispositions de l'article L.7112-3 du code du travail et égale à un mois par année ou fraction d'année de collaboration, des derniers appointements, le maximum des mensualités étant fixé à quinze.
En tenant compte des trois ans de suspension du contrat de travail en raison de ses arrêts de travail, son ancienneté était de 10 ans, 6 mois et 19 jours.
Le montant de l'indemnité s'élève donc à 12 389,30 euros (11 x 1 126,30 €). Le jugement doit donc être infirmé quant au montant retenu.
Monsieur [V] justifiant du statut de travailleur handicapé, est fondé à percevoir une indemnité compensatrice de préavis égale à trois mois de salaire sur le fondement des articles L.7112-2 et L.5213-9 code du travail, soit la somme de 3 378,90 euros, ainsi que l'indemnité de congés payés afférente, soit 337,89 euros. Le jugement doit donc être confirmé sur ce point.
Monsieur [V] justifie de 10 années complètes d'ancienneté et l'entreprise emploie habituellement plus de 10 salariés.
En dernier lieu, il percevait un salaire mensuel brut de 1 126,30 euros.
En application des dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail, il est fondé à obtenir une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse égale à une somme comprise entre 3 et 10 mois de salaire, soit entre 3 378,90 euros et 11 263 euros.
Au moment de la rupture, Monsieur [V] était âgé de 54 ans et il justifie de sa situation de demandeur d'emploi jusqu'en 2022
Au vu de cette situation, et de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle il convient d'évaluer son préjudice à 11 000 euros. Le jugement doit donc être infirmé quant au montant retenu.
Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail
Monsieur [V] ne développe aucune argumentation au soutien de cette demande.
Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il l'a débouté de cette demande.
Sur les autres demandes
Il convient d'ordonner la remise d'un bulletin de salaire rectificatif, ainsi que d'un certificat de travail et d'une attestation destinée à France Travail, conformes aux dispositions du présent arrêt.
Sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il convient de fixer à titre de créance de Monsieur [V] au passif de la société Info6TM une indemnité destinée à couvrir les frais non compris dans les dépens qu'il a dû engager pour assurer la défense de ses intérêts et qu'il y a lieu de fixer à 3 000 euros.
Il convient de dire, conformément aux dispositions de l'article 1231-7 du code civil, que les condamnations à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, que les autres condamnations porteront intérêts au taux légal à compter du 5 février 2018, date de convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation, conformément aux dispositions de l'article 1231-6 du même code et de faire application de celles de l'article 1343-2, mais que les intérêts ont cessé de produire effet au jour de l'ouverture de la procédure collective.
Il n'y a pas lieu à ordonner le remboursement des sommes qui ont pu être perçues par Monsieur [V] en exécution du jugement entrepris, le présent arrêt constituant un titre exécutoire permettant de plein droit une telle restitution.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt réputé contradictoire mis à disposition au greffe,
Déclare irrecevables les conclusions transmises les 11 septembre 2024 et 3 septembre 2025 par la société Info6TM et son liquidateur judiciaire, la société [R] et Associés ;
Déclare la société Info6TM et la société [R] et Associés irrecevables en leurs demandes de condamnation formées à l'encontre de la société Lamy - Liaisons et de Monsieur [O] [V] ;
Rejette l'exception d'incompétence au profit de la Commission Arbitrale des Journalistes formée par la société Lamy - Liaisons
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a :
- qualifié la relation contractuelle de contrat à durée indéterminée ;
- fait droit aux demandes d'indemnité compensatrice de préavis à hauteur de 3 378,90 € et de congés payés afférents à hauteur de 337,89 € ;
Infirme le jugement pour le surplus ;
Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant ;
Déclare que Monsieur [O] [V] a été lié avec la société Info6TM par un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er septembre 2005 en qualité de journaliste professionnel rédacteur ;
Prononce la résiliation judiciaire de ce contrat de travail aux torts exclusifs de la société Info6TM et à effet au 19 avril 2019 ;
Fixe la créance de Monsieur [O] [V] au passif de la procédure collective de la société Info6TM aux sommes suivantes :
- rappel de salaire du 1er février 2016 au 19 avril 2019 : 42 977,17 € ;
- indemnité de congés payés afférents : 4 297,71 € ;
- 13ème mois sur rappel de salaire : 3 581,43 € ;
- prime d'ancienneté afférente au rappel de salaire : 8 595,43 € ;
- indemnité compensatrice de préavis : 3 378,90 € ;
- congés payés afférents : 337,89 € ;
- indemnité de licenciement : 12 389,30 € ;
- dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 11 000 € ;
- indemnité pour frais de procédure : 3 000 € ;
- les dépens de première instance et d'appel.
Dit que les créances d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'indemnité pour frais de procédure porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et que les autres condamnations porteront intérêts au taux légal à compter du 5 février 2018, dit que les intérêts seront capitalisés conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil et rappelle que ces intérêts ont cessé de produire effet au jour de l'ouverture de la procédure collective ;
Dit que l'Ags devra garantir ces créances dans la limite du plafond légal ;
Ordonne à la société [R] et Associés, en sa qualité de liquidateur judicaire de la société Info6TM, de remettre à Monsieur [O] [V] un bulletin de salaire rectificatif, ainsi qu'un certificat de travail et une attestation destinée à France Travail, conformes aux dispositions du présent arrêt, dans un délai de 30 jours à compter de sa signification ;
Déboute Monsieur [O] [V] du surplus de ses demandes ;
Déboute la société Lamy - Liaisons de sa demande d'indemnité pour frais de procédure formée en cause d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 9
ARRET DU 16 OCTOBRE 2025
(n° , 12 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/01661 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CJDUE
Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 avril 2019 rendu par le conseil de prud'hommes de Paris infirmé par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 7 avril 2022 cassé et annulé en toutes ses dispositions par un arrêt de la chambre sociale de la cour de cassation en date du 28 février 2024.
DEMANDEUR A LA SAISINE SUR RENVOI APRES CASSATION
S.A.S. LAMY-LIAISONS venant aux droits de la société Wolters Kluwer France
[Adresse 7]
[Localité 9]
Représentée par Me Bruno REGNIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050
DEFENDEURS A LA SAISINE SUR RENVOI APRES CASSATION
Monsieur [O] [V]
[Adresse 4]
[Localité 8]
Représenté par Me Audrey LEGUAY, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC218
S.A.S.U. INFO6TM
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représentée par Me Uriel SANSY, avocat au barreau de PARIS, toque : L0061
S.A.S. [R] ET ASSOCIES prise en la personne de Maître [I], ès qualité de liquidateur judiciaire de la société INFO6TM
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentée par Me Uriel SANSY, avocat au barreau de PARIS, toque : L0061
S.C.P. CHANEL [C] prise en la personne de Me [K] [C], ès qualité d'administrateur judiciaire de la société INFO6TM
[Adresse 1]
[Localité 6]
Non représentée
PARTIE INTERVENANTE
Association AGS CGEA DE [Localité 12]
[Adresse 10]
[Adresse 11]
[Localité 5]
Non représentée
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Septembre 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre
Monsieur Fabrice MORILLO, conseiller
Madame Nelly CHRETIENNOT, conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Marika WOHLSCHIES
ARRET :
- réputé contradictoire,
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre et par Madame Marika WOHLSCHIES, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
Monsieur [O] [V] a travaillé, à compter du 1er septembre 2005 en qualité de journaliste rédacteur pigiste pour le compte de la société Wolters Kluwer France, entreprise de presse, ultérieurement devenue Lamy-Liaisons, pour le titre "Logistiques Magazine" édité par cette société.
Monsieur [V] a fait l'objet d'arrêts de travail pour maladie du 21 janvier 2013 au 31 janvier 2016 et le 1er février 2016, le médecin du travail l'a déclaré apte à une reprise progressive à condition de prévoir des pauses régulières dans le cadre d'un travail à temps partiel.
La société Wolters Kluwer France lui a commandé un article en mars 2016, puis il n'a plus reçu de commande d'articles.
La société Wolters Kluwer France a cédé à la société Info6TM le titre "Logistiques Magazine" à effet au 30 juin 2016.
Le 31 janvier 2018, Monsieur [V] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris et formé, à l'encontre des deux sociétés, une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail allégué, ainsi que des demandes afférentes à un licenciement sans cause réelle et sérieuse et à l'exécution de son contrat de travail.
Par jugement du 19 avril 2019, le conseil de prud'hommes de Paris a qualifié la relation contractuelle de contrat à durée indéterminée, fixé la moyenne brut des salaires de Monsieur [V] à 1 126,30 €, a condamné solidairement les sociétés Wolters Kluwer France et Info 6TM à lui payer les sommes suivantes et a débouté Monsieur [V] de ses autres demandes :
- rappel de salaire de février 2016 à janvier 2019 : 42 799,40 € ;
- congés payés afférents : 4 279,94 € ;
- 13ème mois sur rappel de salaire : 3 566,62 € ;
- prime d'ancienneté afférente au rappel de salaire : 8 559,88 € ;
- indemnité compensatrice de préavis : 3 378,90 € ;
- congés payés afférents : 337,89 € ;
- indemnité de licenciement : 15 768,20 € ;
- dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 6 757,80 € ;
- les intérêts au taux légal ;
- indemnité pour frais de procédure : 1 000 €.
Les sociétés Wolters Kluwer France et Info 6TM ont respectivement interjeté appel de ce jugement par déclarations des 16 mai et 3 juin 2019.
Devant la cour d'appel, la société Info6TM a transmis le 29 août 2019 des conclusions, aux termes desquelles elle demandait le rejet des demandes formées à son encontre par la société Wolters Kluwer France, à titre subsidiaire l'infirmation du jugement et le rejet des demandes de Monsieur [V] formées à son encontre et à titre plus subsidiaire la condamnation de la société Wolters Kluwer France à la garantir de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre.
Par arrêt du 7 avril 2022, la cour d'appel de Paris a infirmé le jugement en toutes ses dispositions, rejeté les demandes de Monsieur [V] et l'a condamné aux dépens et ce, au motif que son activité au sein de la société Wolters Kluwer France n'était pas régulière de sorte qu'il ne pouvait pas prétendre au bénéfice d'un contrat de travail.
Monsieur [V] a formé un pourvoi en cassation à l'encontre de cet arrêt.
Entretemps, la société Lamy - Liaisons est venue aux droits de la société Wolters Kluwer France.
Par arrêt du 28 février 2024, la Cour de cassation a cassé l'arrêt du 7 avril 2022, au motif que la cour d'appel n'avait pas caractérisé l'indépendance de Monsieur [V] dans l'exercice de sa profession de journaliste professionnel auprès de la société Wolters Kluwer France, en sorte que la présomption de salariat qui y était attachée n'était pas renversée, a remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.
La société Wolters Kluwer France a transmis sa déclaration de saisine le 1er mars 2024.
Entre-temps, par jugement du 21 février 2024, le tribunal judiciaire de Metz a prononcé la liquidation judiciaire de la société Info6TM et désigné la société [R] et Associés en qualité de liquidateur judiciaire.
La société [R] et Associés, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Info6TM et cette dernière, ont transmis leurs premières conclusions après saisine de la présente juridiction le 11 septembre 2024.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 3 septembre 2025, la société Lamy - Liaisons, venant aux droits de la société Wolters Kluwer France, demande que les conclusions et pièces communiquées le 11 septembre 2024 par les sociétés Info6TM et [R] et Associés soient déclarées irrecevables. Elle demande également que soit ordonnée sa mise hors de cause, que la cour se déclare incompétente au profit de la Commission Arbitrale des Journalistes pour statuer sur l'octroi et la fixation du montant de l'indemnité de licenciement, l'infirmation du jugement du 19 avril 2019, le rejet des demandes de Monsieur [V] et de la société Info6TM, la condamnation de Monsieur [V] à lui rembourser la somme versée au titre des condamnations de première instance soumises à exécution provisoire de droit, soit 3 289,31 €, ainsi que la condamnation de la société [R] et Associés ainsi que de Monsieur [V] à lui payer une indemnité pour frais de procédure de 1 500 €.
La société Lamy - Liaisons fait valoir que :
- la société [R] et Associés n'a pas transmis ses conclusions dans le délai de deux mois prévu par l'article 1037-1 du code de procédure civile ;
- le contrat de travail de Monsieur [V] ayant été de plein droit transféré au profit de la société Info6TM à compter du 30 juin 2016, il ne faisait plus, à compter de cette date, partie des effectifs de la société Wolters Kluwer France aux droits de laquelle elle se trouve ;
- à titre subsidiaire, la demande de requalification en contrat à durée indéterminée est contraire au caractère "sui generis" de l'activité de pigiste occasionnel exercée par Monsieur [V] ;
- ses demandes de rappels de salaire s'opposent à la variabilité de l'activité de pigiste ;
- en tout état de cause, dans la mesure où la société Wolters Kluwer France a cédé "Logistiques Magazine" le 1er juillet 2016, rien ne justifie qu'elle soit condamnée au-delà de cette date.
Aux termes de leurs dernières conclusions transmises par voie électronique le 3 septembre 2025, la société Info6TM et son liquidateur judiciaire, la société [R] et Associés, demandent que leurs précédentes conclusions soient déclarées recevables, faisant valoir que la société Wolters Kluwer France n'apporte pas la preuve du non-respect des délais de conclusions. Elles ajoutent qu'en tout état de cause, elles ont notifié de nouvelles conclusions et qu'à défaut, il conviendra de retenir les conclusions transmises devant la première cour d'appel dont l'arrêt a été cassé, avec les pièces associées.
Sur le fond, la société Info6TM et son liquidateur judiciaire demandent l'infirmation du jugement et à titre subsidiaire, la condamnation de la société Lamy - Liaisons à les garantir de toutes condamnations qui seraient prononcées à leur encontre. Elles demandent également la condamnation de Monsieur [V] à leur payer une indemnité pour frais de procédure de 3 000 €. Elles font valoir que :
- l'acte de cession de fonds de commerce intervenu entre la société Wolters Kluwer France et la société Info6TM ne mentionnait pas le contrat de travail de Monsieur [V] parmi ceux transférés ; de plus, la société Wolters Kluwer France n'avait cédé qu'une partie de ses activités ; la société Wolters Kluwer France, devenue Lamy - Liaisons, est donc seule restée son employeur ;
- à titre subsidiaire, Monsieur [V] avait la qualité de pigiste indépendant et elle s'approprie l'argumentation de la société Lamy - Liaisons sur ce point ;
- à titre plus subsidiaire, en cas de condamnation, la société Lamy - Liaisons lui doit sa garantie en application des stipulations de l'acte de cession de fonds de commerce.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 16 octobre 2024, Monsieur [V] demande la confirmation du jugement, sauf en ce qui concerne le montant du rappel de salaire, des congés payés, de la prime de 13ème mois et de la prime d'ancienneté afférents, ainsi que des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
En conséquence, il demande la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée à compter du 1er septembre 2005 en qualité de journaliste professionnel rédacteur, la fixation de sa rémunération moyenne mensuelle brute à la somme de 1 126,30 € bruts, que soit prononcée la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur à la date du jugement prud'homal, à titre principal, la condamnation de la société Lamy - Liaisons (venant aux droits de la société Wolters Kluwer France) au paiement des sommes suivantes et à titre subsidiaire la fixation au passif de la société Info6TM de ces sommes :
- rappel de salaire du 1er février 2016 au 19 avril 2019 : 42 977,17 € ;
- congés payés afférents : 4 297,71 € ;
- 13ème mois sur rappel de salaire : 3 581,43 € ;
- prime d'ancienneté afférente au rappel de salaire : 8 595,43 € ;
- dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail : 3 000 € ;
- indemnité compensatrice de préavis : 3 378,90 € ;
- congés payés afférents : 337,89 € ;
- indemnité de licenciement : 15 768,20 € ;
- dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 12 390 € ;
- les intérêts au taux légal avec capitalisation ;
- indemnité pour frais de procédure : 3 500 € ;
- Monsieur [V] demande également que soit ordonnée à Lamy - Liaisons et subsidiairement à LA SOCIÉTÉ [R] ET ASSOCIÉS la remise de bulletins de salaire, ainsi que d'un certificat de travail et d'une attestation destinée à Pôle emploi, conformes.
Au soutien de ses demandes et en réplique aux argumentations adverses, Monsieur [V] expose que :
- la société Wolters Kluwer France ayant cédé à la société Info6TM ses activités de presse, son contrat de travail lui a été automatiquement transféré le 1er juillet 2016 en application des dispositions de l'article L.1224-1 du code du travail mais la société Wolters Kluwer France n'ayant pas mentionné son nom dans l'acte de cession de fonds de commerce, doit être condamnée à titre principal, la demande subsidiaire de fixation au passif de la société Info6TM étant motivée par le caractère automatique des dispositions précitées ;
- il relève du statut de journaliste professionnel, statut qui n'était pas contesté devant le conseil de prud'hommes, cette activité étant pour lui principale, régulière et rétribuée et en l'absence de contrat à durée déterminée écrit, il est fondé à se prévaloir de l'existence d'un contrat à durée indéterminée, dès l'origine ;
- il bénéficie de la présomption de contrat de travail, quel que soit son mode de rémunération et les intimées ne renversent pas cette présomption ; l'employeur a d'ailleurs toujours reconnu l'existence d'un contrat à durée indéterminée et des droits qui y sont attachés ;
- sa demande de résiliation judiciaire est motivée par le manquement de l'employeur à son obligation de fournir régulièrement du travail et son manquement à son obligation de fourniture du travail après la visite de reprise, ainsi que par l'absence d'entretien professionnel au retour d'un arrêt pour longue maladie ;
- le conseil de prud'hommes a arrêté à tort le calcul du rappel de salaire et accessoires au mois de janvier 2019 au lieu du 19 avril 2019 ;
- l'exception d'incompétence soulevée par la société Lamy - Liaisons n'est pas fondée, eu égard à son ancienneté ;
- il rapporte la preuve de son préjudice.
Bien que régulièrement assignée par acte de commissaire de justice du 27 juin 2024, l'AGS n'a pas constitué avocat. L'arrêt sera donc réputé contradictoire.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 4 septembre 2025.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions.
* * *
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la recevabilité des conclusions de la société [R] et Associés et l'étendue de la saisine de la cour de ses demandes
Il résulte des dispositions de l'article 1037-1 du code de procédure civile, qu'en cas de renvoi par la Cour de cassation devant la cour d'appel, la déclaration de saisine est signifiée par son auteur aux autres parties à l'instance ayant donné lieu à la cassation dans les vingt jours de la notification par le greffe de l'avis de fixation.
Les conclusions de l'auteur de la déclaration sont remises au greffe et notifiées dans un délai de deux mois suivant cette déclaration.
Les parties adverses remettent et notifient leurs conclusions dans un délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l'auteur de la déclaration.
La notification des conclusions entre parties est faite dans les conditions prévues au cinquième alinéa de l'article 906-2 et les délais sont augmentés conformément à l'article 915-4.
En l'espèce, la société Lamy - Liaisons a transmis sa déclaration de saisine le 1er mars 2024, puis ses conclusions le 19 avril 2024, qu'elle a fait signifier le 29 avril 2024 à la société [R] et Associés, liquidateur judiciaire de la société Info6TM, en l'assignant. La société [R] et Associés n'a ensuite transmis ses propres conclusions que le 11 septembre 2024.
Ces conclusions sont donc irrecevables, de même que celles qu'elle a ultérieurement transmises le 3 septembre 2025.
La société Info6TM et son liquidateur judiciaire la société [R] et Associés, demandent, en application des dispositions susvisées, que la cour statue sur les conclusions que la société Info6TM avait transmises le 29 août 2019.
Cependant, la société Info6TM ayant ultérieurement fait l'objet d'une liquidation judiciaire, il convient de déterminer dans quelle mesure les demandes qu'elle avait initialement formulées sont recevables.
Selon l'article L.641-9 du code de commerce, le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens même de ceux qu'il a acquis à quelque titre que ce soit tant que la liquidation judiciaire n'est pas clôturée. Les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur. Toutefois, le débiteur peut se constituer partie civile dans le but d'établir la culpabilité de l'auteur d'un crime ou d'un délit dont il serait victime. Le débiteur accomplit également les actes et exerce les droits et actions qui ne sont pas compris dans la mission du liquidateur ou de l'administrateur lorsqu'il en a été désigné.
En conséquence, si le débiteur dessaisi de l'administration et de la disposition de ses biens par sa liquidation judiciaire, dont les droits et actions sur son patrimoine sont exercés par le liquidateur, conserve le droit propre de défendre aux instances relatives à la détermination de son passif et d'exercer un recours contre les décisions fixant, après reprise d'une instance en cours lors du jugement d'ouverture, une créance à son passif, en revanche aucun droit propre ne fait échec à son dessaisissement pour l'exercice des actions tendant au recouvrement de ses créances ou à la mise en cause de la responsabilité d'un cocontractant. Il en résulte que si le débiteur est recevable, dans l'exercice de son droit propre, à contester la créance, objet de l'instance en cours, il n'est en revanche pas recevable à former seul, à l'occasion de cette instance, des demandes à l'encontre d'un cocontractant.
En l'espèce, la société Info6TM et son liquidateur judiciaire sont donc recevables à s'opposer aux demandes formées à leur encontre par Monsieur [V] et par la société Lamy - Liaisons mais sont irrecevables à demander que cette dernière soit condamnée à les garantir de créances qui seraient fixées au passif de la société, ainsi qu'à leur payer une indemnité pour frais de procédure.
Sur la qualification de contrat de travail à durée indéterminée
Aux termes de l'article L.7112-1 du code du travail, toute convention par laquelle une entreprise de presse s'assure, moyennant rémunération, le concours d'un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail.
Aux termes de l'article L.7111-3 du code du travail, est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources.
Les journalistes se définissent comme ceux qui apportent une collaboration intellectuelle et permanente à une publication périodique en vue de l'information des lecteurs.
Aux termes de l'article L.7111-4 du même code, sont assimilés aux journalistes professionnels les collaborateurs directs de la rédaction, rédacteurs-traducteurs, sténographes rédacteurs, rédacteurs réviseurs, reporters-dessinateurs, reporters photographes, à l'exclusion des agents de publicité et de tous ceux qui n'apportent, à un titre quelconque, qu'une collaboration occasionnelle.
La convention collective des journalistes prévoit que le journaliste professionnel est celui qui a pour occupation principale, régulière et rétribuée, l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs publications quotidiennes ou périodiques, ou dans une ou plusieurs agences de presse ou dans une ou plusieurs entreprises de communication audiovisuelle et qui en tire le principal de ses ressources.
En l'espèce, Monsieur [V] produit ses 8 à 11 bulletins de paie que lui remettait chaque année la société Lamy - Liaisons pendant 10 ans, les certificats établis chaque année par cette société à l'intention de la Commission de la Carte d'Identité des Journalistes Professionnels, le présentant comme un " pigiste qui travaille régulièrement pour nous", ainsi que les attestation de Madame [B], rédactrice en chef de Logistiques Magazine et de Monsieur [P], rédacteur en chef adjoint, déclarant qu'il a exercé régulièrement une activité de pigiste pour le compte du magazine de 2005 à 2017.
Il produit également ses déclarations de revenus et avis d'imposition de 2005 à 2015, établissant que ses revenus versés par trois sociétés de presse représentaient entre 71 et 82 % de ses ressources financières totales annuelles.
Il résulte de ces éléments que Monsieur [V] avait la qualité de journaliste professionnel.
Il est donc présumé avoir été lié à la société Lamy - Liaisons par un contrat de travail et il appartient donc aux sociétés de rapporter la preuve contraire.
La société Lamy - Liaisons et la société [R] et Associés font valoir que la rémunération à la pige est l'un des modes de rémunération des journalistes mais ne constitue pas en elle-même un contrat de travail, qu'il s'agit seulement d'un mode d'exercice de la profession de journaliste sui generis et que Monsieur [V] exerçait de façon notoire comme journaliste indépendant et avait à l'époque de multiples activités à l'extérieur de la société.
Cependant, ces éléments ne suffisent pas à apporter la preuve de l'absence de contrat de travail.
Aux termes de l'article L.1221-2 du code du travail, le contrat à durée indéterminée est la forme normale et générale de la relation de travail.
Aux termes de l'article L.1242-12 du même code, le contrat de travail à durée déterminée est établi par écrit et comporte la définition précise de son motif.
Aux termes de l'article L.1245-1 du même code, est réputé contrat à durée indéterminée, tout contrat de travail conclu en méconnaissance de ces dispositions.
En l'espèce, Monsieur [V] expose, sans être contredit sur ce point, qu'il a travaillé de manière régulière et permanente pendant plus de 13 ans pour le compte de la société Info6TM, sans que cette relation de travail n'ait jamais fait l'objet d'un contrat de travail écrit.
Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a qualifié la relation contractuelle entre Monsieur [V] et la société Info6TM, devenue la société Wolters Kluwer France, en contrat de travail à durée indéterminée.
Sur la détermination de l'employeur de Monsieur [V]
Aux termes de l'article L.1224-1 du code du travail, lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise.
Aux termes de l'article L.1224-2 du même code, le nouvel employeur est tenu, à l'égard des salariés dont les contrats de travail subsistent, aux obligations qui incombaient à l'ancien employeur à la date de la modification, sauf dans les cas suivants :
1° Procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire ;
2° Substitution d'employeurs intervenue sans qu'il y ait eu de convention entre ceux-ci.
L'application de ces dispositions suppose le transfert d'une unité économique autonome, laquelle est caractérisée par un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels et incorporels permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre et ce, même en l'absence de lien de droit entre les employeurs successifs.
Dès lors que ces conditions sont réunies, le transfert se réalise de plein droit, sans que le consentement du salarié concerné et des entreprises soit nécessaire.
En l'espèce, par contrat du 1er juillet 2016, la société Wolters Kluwer France a cédé à la société Info6TM le fonds de commerce afférent à son pôle "presse" dont le titre "Logistique Magazine" pour lequel Monsieur [V] travaillait et aucune des parties ne conteste sérieusement que les conditions du transfert d'une unité économique autonome étaient réunies.
Par ailleurs, il est constant qu'à la date de la cession, Monsieur [V] faisait partie des effectifs de la société Wolters Kluwer France.
Le contrat de travail de Monsieur [V] a donc été transféré de plein droit à la société Info6TM, laquelle est devenue son employeur et le fait, invoqué par elle, que l'acte de cession ne mentionnait pas Monsieur [V] dans la liste des salariés transférés est sans effet sur ce transfert.
Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail
Il résulte des dispositions des articles 1224 et 1228 du code civil qu'un contrat de travail peut être résilié aux torts de l'employeur en cas de manquement suffisamment grave de sa part à ses obligations contractuelles.
En l'espèce, au soutien de sa demande, Monsieur [V] fait notamment valoir que l'employeur a cessé de lui fournir du travail après la pige de mars 2016.
Il produit l'attestation de Monsieur [P], rédacteur en chef adjoint et responsable des journalistes pigistes de Logistiques Magazine, qui déclare qu'il n'a, ensuite, pas cessé de le solliciter pour de nouvelles piges mais qu'il n'a pu lui donner satisfaction en raison du rachat du magazine. Ce témoignage est corroboré par les courriels de relance envoyées par Monsieur [V] au magazine les 21 novembre 2016, 9 novembre et 29 décembre 2017 et 9 janvier 2018.
L'obligation de fournir du travail au salarié constituant l'une des principales obligations de l'employeur, ce manquement suffit à justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail de Monsieur [V], aux torts de l'employeur, à effet au jour du prononcé du jugement du conseil de prud'hommes.
Le conseil de prud'hommes ayant omis de reprendre cette mesure dans le dispositif du jugement, celui-ci sera donc infirmé sur ce point.
Sur la demande de rappel de salaire
La principale obligation de l'employeur étant de fournir du travail au salarié, il n'est fondé à cesser de lui payer son salaire que s'il rapporte la preuve du fait qu'il a cessé de se tenir à sa disposition pour travailler, sauf suspension ou rupture du contrat de travail.
En l'espèce, la société Info6TM et son liquidateur judicaire ne rapportent pas cette preuve et il résulte des développements qui précèdent que Monsieur [V] a relancé cette société à plusieurs reprises pour obtenir des piges.
Il est donc fondé à obtenir paiement du salaire dû entre le 1er février 2016, date de la fin de son arrêt de travail et le 19 avril 2019, date d'effet de la résiliation judiciaire du contrat de travail.
C'est à juste titre qu'il calcule son salaire de référence à partir des rémunérations perçus au cours des 12 derniers mois précédant ses arrêts de travail, soit la somme mensuelle de 1 126,30 euros par mois.
Il est donc fondé à obtenir, conformément à sa demande, 42 977,17 euros de rappel de salaire, outre 4 297,71 euros d'indemnité de congés payés afférents, outre, en application des dispositions de la convention collective des journalistes, 3 581,43 euros de prime de 13 ème mois afférente et 8 701,79 euros de prime d'ancienneté afférente.
Le jugement doit donc être infirmé quant au montant des condamnations.
Sur les demandes afférentes à la rupture du contrat de travail
La société Lamy - Liaisons fonde son exception d'incompétence au profit de la Commission Arbitrale des Journalistes sur les dispositions des articles L.7112-3 et L.7112-4 du code du travail .
Cependant, Monsieur [V] objecte à juste titre qu'aux termes de ce dernier article, cette commission n'est compétente pour déterminer le montant de l'indemnité de licenciement due que lorsque l'ancienneté de l'intéressé excède quinze années, ce qui n'était pas son cas.
Cette exception doit donc être rejetée.
Monsieur [V] est donc fondé à obtenir l'indemnité de licenciement prévue par les dispositions de l'article L.7112-3 du code du travail et égale à un mois par année ou fraction d'année de collaboration, des derniers appointements, le maximum des mensualités étant fixé à quinze.
En tenant compte des trois ans de suspension du contrat de travail en raison de ses arrêts de travail, son ancienneté était de 10 ans, 6 mois et 19 jours.
Le montant de l'indemnité s'élève donc à 12 389,30 euros (11 x 1 126,30 €). Le jugement doit donc être infirmé quant au montant retenu.
Monsieur [V] justifiant du statut de travailleur handicapé, est fondé à percevoir une indemnité compensatrice de préavis égale à trois mois de salaire sur le fondement des articles L.7112-2 et L.5213-9 code du travail, soit la somme de 3 378,90 euros, ainsi que l'indemnité de congés payés afférente, soit 337,89 euros. Le jugement doit donc être confirmé sur ce point.
Monsieur [V] justifie de 10 années complètes d'ancienneté et l'entreprise emploie habituellement plus de 10 salariés.
En dernier lieu, il percevait un salaire mensuel brut de 1 126,30 euros.
En application des dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail, il est fondé à obtenir une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse égale à une somme comprise entre 3 et 10 mois de salaire, soit entre 3 378,90 euros et 11 263 euros.
Au moment de la rupture, Monsieur [V] était âgé de 54 ans et il justifie de sa situation de demandeur d'emploi jusqu'en 2022
Au vu de cette situation, et de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle il convient d'évaluer son préjudice à 11 000 euros. Le jugement doit donc être infirmé quant au montant retenu.
Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail
Monsieur [V] ne développe aucune argumentation au soutien de cette demande.
Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il l'a débouté de cette demande.
Sur les autres demandes
Il convient d'ordonner la remise d'un bulletin de salaire rectificatif, ainsi que d'un certificat de travail et d'une attestation destinée à France Travail, conformes aux dispositions du présent arrêt.
Sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il convient de fixer à titre de créance de Monsieur [V] au passif de la société Info6TM une indemnité destinée à couvrir les frais non compris dans les dépens qu'il a dû engager pour assurer la défense de ses intérêts et qu'il y a lieu de fixer à 3 000 euros.
Il convient de dire, conformément aux dispositions de l'article 1231-7 du code civil, que les condamnations à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, que les autres condamnations porteront intérêts au taux légal à compter du 5 février 2018, date de convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation, conformément aux dispositions de l'article 1231-6 du même code et de faire application de celles de l'article 1343-2, mais que les intérêts ont cessé de produire effet au jour de l'ouverture de la procédure collective.
Il n'y a pas lieu à ordonner le remboursement des sommes qui ont pu être perçues par Monsieur [V] en exécution du jugement entrepris, le présent arrêt constituant un titre exécutoire permettant de plein droit une telle restitution.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt réputé contradictoire mis à disposition au greffe,
Déclare irrecevables les conclusions transmises les 11 septembre 2024 et 3 septembre 2025 par la société Info6TM et son liquidateur judiciaire, la société [R] et Associés ;
Déclare la société Info6TM et la société [R] et Associés irrecevables en leurs demandes de condamnation formées à l'encontre de la société Lamy - Liaisons et de Monsieur [O] [V] ;
Rejette l'exception d'incompétence au profit de la Commission Arbitrale des Journalistes formée par la société Lamy - Liaisons
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a :
- qualifié la relation contractuelle de contrat à durée indéterminée ;
- fait droit aux demandes d'indemnité compensatrice de préavis à hauteur de 3 378,90 € et de congés payés afférents à hauteur de 337,89 € ;
Infirme le jugement pour le surplus ;
Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant ;
Déclare que Monsieur [O] [V] a été lié avec la société Info6TM par un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er septembre 2005 en qualité de journaliste professionnel rédacteur ;
Prononce la résiliation judiciaire de ce contrat de travail aux torts exclusifs de la société Info6TM et à effet au 19 avril 2019 ;
Fixe la créance de Monsieur [O] [V] au passif de la procédure collective de la société Info6TM aux sommes suivantes :
- rappel de salaire du 1er février 2016 au 19 avril 2019 : 42 977,17 € ;
- indemnité de congés payés afférents : 4 297,71 € ;
- 13ème mois sur rappel de salaire : 3 581,43 € ;
- prime d'ancienneté afférente au rappel de salaire : 8 595,43 € ;
- indemnité compensatrice de préavis : 3 378,90 € ;
- congés payés afférents : 337,89 € ;
- indemnité de licenciement : 12 389,30 € ;
- dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 11 000 € ;
- indemnité pour frais de procédure : 3 000 € ;
- les dépens de première instance et d'appel.
Dit que les créances d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'indemnité pour frais de procédure porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et que les autres condamnations porteront intérêts au taux légal à compter du 5 février 2018, dit que les intérêts seront capitalisés conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil et rappelle que ces intérêts ont cessé de produire effet au jour de l'ouverture de la procédure collective ;
Dit que l'Ags devra garantir ces créances dans la limite du plafond légal ;
Ordonne à la société [R] et Associés, en sa qualité de liquidateur judicaire de la société Info6TM, de remettre à Monsieur [O] [V] un bulletin de salaire rectificatif, ainsi qu'un certificat de travail et une attestation destinée à France Travail, conformes aux dispositions du présent arrêt, dans un délai de 30 jours à compter de sa signification ;
Déboute Monsieur [O] [V] du surplus de ses demandes ;
Déboute la société Lamy - Liaisons de sa demande d'indemnité pour frais de procédure formée en cause d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT