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CA Paris, Pôle 6 - ch. 9, 16 octobre 2025, n° 22/08875

PARIS

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CA Paris n° 22/08875

16 octobre 2025

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9

ARRET DU 16 OCTOBRE 2025

(n° , 12 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/08875 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGRHH

Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 Septembre 2022 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F21/03537

APPELANT

Monsieur [W] [G]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Natacha FELIX-JOUSSIER, avocat au barreau de PARIS, toque : A0866

INTIMEE

S.A.S. LITTLE EXTRA

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Nathalie BOUDE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 09 Septembre 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre

Monsieur Fabrice MORILLO, conseiller

Madame Nelly CHRETIENNOT, conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Marika WOHLSCHIES

ARRET :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre et par Madame Marika WOHLSCHIES, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [W] [G] a été engagé par la société Little Extra, pour une durée indéterminée à compter du 2 novembre 2015, en qualité de responsable commerce magasins.

A compter du 1er août 2019, la société lui a confié, en outre, une mission temporaire de six mois de responsable opérationnel de l'entité "Little Cuisine", puis, à compter du 1er février 2020, il a été promu responsable opérationnel des deux enseignes.

La relation de travail est régie par la convention collective des commerces de détail non alimentaires.

Le 29 avril 2021, Monsieur [G] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris et formé une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail et des demandes afférentes à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi qu'à l'exécution de son contrat de travail. La société Little Extra a formé des demandes reconventionnelles.

Par lettre du 26 mai 2021, Monsieur [G] était convoqué pour le 8 juin à un entretien préalable à son licenciement et était mis à pied à titre conservatoire. Son licenciement lui a été notifié le 15 juin suivant pour faute grave, caractérisée par un management inapproprié s'apparentant à du harcèlement moral, une abstention fautive dans l'exercice de ses missions et la violation de son obligation de confidentialité.

Par jugement du 29 septembre 2022, le conseil de prud'hommes de Paris a débouté les parties de leurs demandes et a condamné Monsieur [G] aux dépens.

Monsieur [G] a régulièrement interjeté appel de ce jugement par déclaration du 23 octobre 2022, en visant expressément les dispositions critiquées.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 5 décembre 2022, Monsieur [G] demande l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a débouté de ses demandes, sa confirmation en ce qu'il a débouté la société Little Extra de ses demandes, qu'il soit jugé, à titre principal, que sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail est fondée et qu'elle produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que la condamnation de la société à lui payer les sommes suivantes :

- indemnité de licenciement : 10 615 € ;

- indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 46 314 € ;

- indemnité compensatrice de préavis : 23 157 € ;

- indemnité de congés payés afférente : 2 316 € ;

A titre subsidiaire, Monsieur [G] demande qu'il soit jugé que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse et forme les demandes suivantes :

- indemnité de licenciement : 11 000 € ;

- indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 46 314 € ;

- indemnité compensatrice de préavis : 23 157 € ;

- indemnité de congés payés afférente : 2 316 € ;

Il forme les demandes suivantes en tout état de cause :

- au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail : 15 438 € ;

- rappel de salaires pour heures supplémentaires : 198 229 € ;

- indemnité de congés payés afférente : 19 223 € ;

- pour violation de l'obligation de sécurité : 15 438 € ;

- indemnité pour frais de procédure : 5 000 € ;

Au soutien de ses demandes, Monsieur [G] expose que :

- l'employeur a commis des manquements justifiant la résiliation judiciaire du contrat de travail : chantage afin qu'il accepte une baisse significative de rémunération, exigences nouvelles de nature à le mettre en faute, mise à l'écart, multiplication d'injonctions contradictoires ;

- à titre subsidiaire, son licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse, certains des faits étant prescrits et les griefs dénués de fondement ;

- l'employeur a exécuté le contrat de travail de façon déloyale ;

- le forfait en jours auquel il était soumis est nul et il a accompli des heures supplémentaires non rémunérées ;

- l'employeur a manqué à son obligation de sécurité ;

- il rapporte la preuve de ses préjudices.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 23 février 2023, la société Little Extra demande la confirmation du jugement, le rejet des demandes de Monsieur [G] et à titre subsidiaire, en cas d'annulation de la convention de forfait en jours, sa condamnation à lui rembourser 12 425,97 € de rappel de salaire au titre des jours de RTT pris. Elle demande également sa condamnation à lui verser une indemnité pour frais de procédure de 3 000 €. Elle fait valoir que :

- la demande de résiliation judiciaire n'est pas fondée, la proposition de diminution temporaire de rémunération étant destinée à faire comprendre à Monsieur [G] qu'il devait s'impliquer davantage dans l'exercice de ses missions et ses autres griefs n'étant pas davantage fondés ;

- le licenciement de Monsieur [G] était justifié par ses nombreux manquements qui sont établis et aucun des faits reprochés n'est prescrit ;

- elle n'a pas exécuté le contrat de travail de façon fautive ;

- la convention de forfait en jours à laquelle Monsieur [G] était soumise est valable et à titre subsidiaire, la demande de rappel de salaire pour heures supplémentaires est prescrite pour la période antérieure au 29 avril 2018 et n'est pas fondée ;

- elle n'a commis aucun manquement à son obligation de sécurité.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 4 septembre 2025.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions.

* * *

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande de rappel de salaires

Sur la prescription :

Aux termes de l'article L.3245-1 du code du travail, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

En l'espèce, Monsieur [G] a saisi le conseil de prud'hommes le 29 avril 2021 et sa demande de rappel de salaire porte sur la période à compter du 30 avril 2018.

Cette demande est donc recevable.

Sur la convention de forfait :

Aux termes de l'article L.3121-64 du code du travail, l'accord autorisant la conclusion de conventions individuelles de forfait en jours détermine :

1° Les modalités selon lesquelles l'employeur assure l'évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié ;

2° Les modalités selon lesquelles l'employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l'organisation du travail dans l'entreprise ;

3° Les modalités selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion prévu au 7° de l'article L.2242-8.

Aux termes de l'article L.3121-65 du même code, à défaut de stipulations conventionnelles prévues aux 1° et 2° du II de l'article L.3121-64, une convention individuelle de forfait en jours peut être valablement conclue sous réserve du respect des dispositions suivantes :

1° L'employeur établit un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées. Sous la responsabilité de l'employeur, ce document peut être renseigné par le salarié ;

2° L'employeur s'assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ;

3° L'employeur organise une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l'organisation de son travail, l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération.

En l'espèce, le contrat de travail de Monsieur [G] prévoyait qu'en application de l'accord de branche du 5 septembre 2003, la durée du travail serait décomptée en jours sur une base de 214 jours de travail par an.

Cet accord de branche prévoit en son article 3.2.1 que :

"[']Le décompte des journées travaillées ou des jours de repos pris est établi mensuellement par l'intéressé. Les cadres concernés doivent remettre, une fois par mois à l'employeur qui le valide, un document récapitulant le nombre de jours déjà travaillés, le nombre de jours ou de demi-jours de repos pris et ceux restant à prendre. A cette occasion doit s'opérer le suivi de l'organisation du travail, le contrôle de l'application du présent accord et de l'impact de la charge de travail sur leur activité de la journée. Le contrôle des jours sera effectué soit au moyen d'un système automatisé, soit d'un document auto-déclaratif. Dans ce cas, le document signé par le salarié et par l'employeur est conservé par ce dernier pendant 3 ans et tenu à la disposition de l''inspecteur du travail".

Cependant, cette disposition, qui n'institue pas de suivi effectif et régulier permettant à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, n'est pas de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail de l'intéressé, n'est pas conforme aux dispositions précitées de l'article L.3121-64.

Il convient donc de déterminer si celles de l'article L.3121-65 ont été respectées.

A cet égard, la société Little Extra fait valoir et justifie qu'elle remettait chaque début d'année à Monsieur [G], à l'instar des autres salariés bénéficiant d'une convention individuelle de forfait jour, une note relative aux modalités de décompte des journées ou demi-journées travaillées et de prises de journées ou demi-journées de repos à laquelle était joint le calendrier de I'année et que, chaque mois, elle lui demandait ses relevés mensuels. Elle ajoute que les entretiens annuels destinés à évaluer l'équilibre entre vie privée et vie personnelle ont été organisés jusqu'en 2018 et que, s'agissant des entretiens pour les années 2019, prévu début 2020 et 2020, prévu début 2021, ils n'ont pas pu être assurés dans le cadre d'une réunion physique donnant lieu à l'établissement d'un compte-rendu en raison de la survenance de la pandémie de COVID-19 mais qu'il n'en demeure pas moins que des entretiens à distance ont été organisés.

Elle ne rapporte toutefois pas la preuve de la tenue de tels entretiens.

La convention de forfait est donc inopposable à Monsieur [G], lequel est fondé à demander l'application des règles relatives à la durée légale du travail.

Sur les heures supplémentaires :

Aux termes de l'article L.3243-3 du code du travail, l'acceptation sans protestation ni réserve d'un bulletin de paie par le travailleur ne peut valoir de sa part renonciation au paiement de tout ou partie du salaire et des indemnités ou accessoires de salaire qui lui sont dus en application de la loi, du règlement, d'une convention ou d'un accord collectif de travail ou d'un contrat.

Aux termes de l'article L.3171-4 du même code, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il appartient donc au salarié de présenter, au préalable, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies, afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement, en produisant ses propres éléments.

Le salarié peut prétendre au paiement des heures supplémentaires accomplies, soit avec l'accord de l'employeur, soit s'il est établi que la réalisation de telles heures a été rendue nécessaire par les tâches qui lui ont été confiées.

Il résulte des dispositions des articles 3, 5 et 6 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, lus à la lumière de l'article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ainsi que de l'article 4, paragraphe 1, de l'article 11, paragraphe 3, et de l'article 16, paragraphe 3, de la directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, qu'il incombe à l'employeur, l'obligation de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur.

En l'espèce, au soutien de sa demande de rappel de salaire, Monsieur [G] expose que sa mission d'itinérance entre magasins l'obligeait à se déplacer et que son poste pouvait être tenu à distance.

Il produit des relevés journaliers des heures supplémentaires qu'il allègue avoir effectuées du 30 avril 2018 au 27 décembre 2020, des courriels justifiant de son activité, y compris pendant les périodes de confinement et ses conclusions contiennent un décompte hebdomadaire du rappel de salaires correspondant demandé.

La société Little Extra objecte que ce relevé et ce décompte ne précisent pas les heures de début et de fin des journées de travail.

Cependant, ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l'employeur de les contredire utilement.

La société Little Extra fait également valoir que ces éléments ne prennent pas en compte les divers temps de pause, notamment le temps consacré au déjeuner, qu'ils contiennent des erreurs de calcul et que Monsieur [G] n'a pas tenu compte de périodes où il était absent.

S'il apparaît que le décompte contient effectivement certaines erreurs et qu'il convient de déduire les pauses consacrées aux déjeuners, l'employeur ne produit néanmoins aucun élément de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

La demande est donc fondée en son principe mais la cour estime à 80 000 euros, le montant du rappel de salaire correspondant aux heures supplémentaires retenues, outre 8 000 euros d'indemnité de congés payés afférente.

Sur la demande reconventionnelle de remboursement des RTT

Au soutien de sa demande, la société Little Extra fait valoir que l'annulation de la convention de forfait a pour effet de rendre indus les jours de réduction du temps de travail accordés en exécution de cette convention.

Monsieur [G] ne formulant aucune objection à l'encontre de cette demande subsidiaire formée par la société Little Extra, il convient d'y faire droit à hauteur de la demande, exacte sur le plan arithmétique, soit 12 425,97 euros.

Sur le manquement allégué à l'obligation de sécurité

Aux termes de l'article L.4121-1 du code du travail, l'employeur a l'obligation de protéger la santé physique et mentale de ses salariés et aux termes de l'article L.4121-2, il met en 'uvre ces mesures sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Eviter les risques ;

2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L.1152-1 et L.1153-1 ;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.

Ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les textes susvisés.

En l'espèce, Monsieur [G] expose qu'il a travaillé un nombre de jours significativement plus élevé que celui qui était fixé par la convention de forfait, ce qui a entraîné, à compter du 26 avril 2021, un syndrome anxiodépressif dû au surmenage, ayant donné lieu à des arrêts de travail.

Cependant, dès lors que son décompte relatif aux heures supplémentaires s'arrête à fin décembre 2020, ce dont il convient de déduire qu'il reconnaît avoir cessé d'accomplir des heures supplémentaires à compter de cette date, il n'explique pas en quoi son syndrome anxiodépressif survenu près de quatre mois plus tard pourrait être la conséquence d'un surmenage.

Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Sur la demande de résiliation judiciaire

Il résulte des dispositions des articles 1224 et 1228 du code civil qu'un contrat de travail peut être résilié aux torts de l'employeur en cas de manquement suffisamment grave de sa part à ses obligations contractuelles.

Lorsque le salarié est licencié postérieurement à sa demande de résiliation, cette dernière, si elle est accueillie, doit produire ses effets à la date du licenciement.

En l'espèce, au soutien de sa demande, Monsieur [G] expose tout d'abord que, lors d'un entretien du 25 février 2021, l'employeur lui a fait part de griefs inattendus et vagues, lui demandant d'accepter une baisse de salaire fixe significative de plus de 30% et s'est alors livré à son encontre à un chantage afin qu'il accepte cette baisse significative de rémunération.

La société Little Extra reconnaît avoir proposé à Monsieur [G] une telle baisse de rémunération, expliquant cette décision par sa volonté de le "mettre face à ses responsabilités, pour provoquer chez lui une réaction adaptée", de lui "faire prendre conscience que la manière dont il exerçait ses fonctions depuis près d'un an n'était pas conforme aux attentes".

Cependant, il résulte des courriels échangés entre les parties que Monsieur [G] a refusé cette proposition et que la société s'est ensuite abstenue d'en reparler.

Par ailleurs, le fait qu'ultérieurement, en juin 2021, lors de l'entretien préalable au licenciement, l'employeur lui a adressé une proposition de rupture conventionnelle n'est pas davantage constitutive de " chantage " mais seulement d'une tentative de négociation sur les conditions de son départ de l'entreprise.

Le premier grief n'est donc pas fondé.

En deuxième lieu, Monsieur [G] fait valoir que l'employeur posait des exigences qu'il n'avait jamais eu auparavant, de nature à le mettre en faute.

Il produit à cet égard un courriel du dirigeant de l'entreprise du 23 mars 2021, lui demandant de lui adresser la liste des missions effectuées dans le courant du mois de mars avec le temps consacré à chacune d'entre elles ainsi que la liste des missions qu'il prévoyait d'accomplir dans les semaines à venir, l'employeur expliquant que cela lui permettrait de définir sa charge de travail et de l'aider à déterminer les dossiers qu'il devait traiter de manière prioritaire. Monsieur [G] ajoute qu'il n'avait précédemment jamais reçu ce type de demande.

Cependant, cette demande ne dépasse pas les limites normales du pouvoir de direction de l'employeur.

Le deuxième grief n'est donc pas fondé.

En troisième lieu, Monsieur [G] expose avoir fait l'objet d'une mise à l'écart, ajoutant qu'il n'était plus informé de sujets concernant l'entreprise, lesquels n'ont été portés à sa connaissance que par des personnes extérieures à celle-ci.

Les échanges de courriels qu'il produit en pièce n°4 au soutien de ce grief ne sont toutefois pas probants.

Il fait valoir que son départ a été annoncé à des collaborateurs, qui se sont étonnés de sa venue le lundi 12 avril 2021 mais ne produit qu'un courriel de sa part du 14 avril 2021 au soutien de cette allégation, laquelle est contestée par l''employeur.

Le troisième grief n'est donc pas fondé.

Enfin, Monsieur [G] soutient que l'employeur multipliait des injonctions contradictoires à son encontre mais les courriels qu'il produit à cet égard ne permettent pas d'établir la réalité de ce grief.

Monsieur [G] ne rapporte donc pas la preuve de manquements de l'employeur justifiant la résiliation judiciaire du contrat de travail.

Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

Monsieur [G] ne formule aucune explication spécifique au soutien de cette demande, qui semble néanmoins se rattacher aux griefs formulés au soutien de la demande de résiliation judiciaire, laquelle n'est pas fondée.

Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Sur le licenciement

Il résulte des dispositions de l'article L.1234-1 du code du travail que la faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle nécessite le départ immédiat du salarié, sans indemnité.

La preuve de la faute grave incombe à l'employeur, conformément aux dispositions des articles 1353 du code civil et 9 du code de procédure civile.

Si elle ne retient pas la faute grave, il appartient à la juridiction saisie d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement invoqués par l'employeur, conformément aux dispositions de l'article L.1232-1 du code du travail.

Aux termes de l'article L.1235-1 du code du travail, le juge, pour apprécier le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, et au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles, et, si un doute persiste, il profite au salarié.

En l'espèce, la lettre de licenciement du 15 juin 2021, qui fixe les limites du litige en application des dispositions de l'article L.1232-6 du code du travail, reproche en substance à Monsieur [G] des comportements managériaux inappropriés s'apparentant à du harcèlement managérial, des abstentions fautives dans l'exercice de ses fonctions, ainsi qu'une violation de son obligation de confidentialité.

- Au soutient du premier grief, relatif à des comportements managériaux inappropriés s'apparentant à du harcèlement managérial, la société Little Extra expose et établit que Mesdames [K], [R] et [J], collaboratrices de Monsieur [G], ont présenté leurs démissions par lettres respectives des 15 décembre 2020, 5 et 17 mars 2021.

Elle ajoute qu'alerté en fin février/début mars 2021, par plusieurs salariés se plaignant de leurs conditions de travail, Monsieur [M], dirigeant de la société, s'est rendu à [Localité 5] le 25 mars 2021, puis a décidé, le 3 mai 2021, de convoquer les CSE des sociétés Little Extra et Little Cuisine à une réunion extraordinaire fixée au 5 mai suivant afin de les alerter sur la situation psychologique des salariés et que les CSE ont alors décidé d'ouvrir une enquête pour déterminer la réalité de la situation sociale au sein de ces entreprises.

La société Little Extra produit à cet égard sept comptes-rendus du 19 mai 2021, d'audition de salariés par deux membres du CSE, un membre du service des ressources humaines et le dirigeant, salariés qui déclarent que Monsieur [G] était peu communiquant, ayant peu d'échanges verbaux avec ses équipes, que sa posture verbale était "très désagréable et parfois déplacée", qu'il "tirait par le bas les collaborateurs", qu'il pouvait se montrer agressif et menaçant, qu'il faisait preuve d'une " ironie sarcastique ", manquait d'humanité, se comportait en "petit chef ", que les équipes éprouvaient la sensation d'une "chappe de plomb".

L'une de ces salariées, Madame [Y] a ainsi déclaré : qu'elle sortait en larmes des entretiens individuels, Monsieur [G] lui ayant déclaré "si tu ne sais pas supporter la pression, qu'est-ce que tu fais là ['] tu as fait une année catastrophique, tu as de la chance d'être encore là [...] Tu devrais appeler [T] [[M]] pour t'excuser de l'année de merde que tu as faite ".

Un autre de ces salariés, Madame [R], a déclaré avoir perdu confiance en elle et avoir fait l'objet d'arrêts de travail pour état dépressif et anxiété réactionnelle, déclaration étayée par les avis d'arrêt de travail et la lettre du médecin du travail produits par la société.

Ces déclarations sont par ailleurs étayées par deux déclarations de mains courantes auprès des services de police et de gendarmerie.

Monsieur [G] conclut à la prescription de ces faits.

Aux termes de l'article L.1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.

Cette connaissance des faits reprochés, qui marque le point de départ du délai de prescription, doit être exacte et complète et englober l'identité de l'auteur présumé de ces faits.

Lorsque les faits reprochés sont antérieurs de plus de deux mois à la date de convocation à l'entretien préalable au licenciement, il appartient à l'employeur de rapporter la preuve qu'il n'en a eu connaissance qu'à une date ultérieure, incluse dans le délai de prescription disciplinaire.

Par ailleurs, il est possible de prendre en considération des faits antérieurs à deux mois, lorsque des faits de même nature ont ensuite été commis dans ce délai.

En l'espèce, la société Little Extra objecte à juste titre qu'alerté en février/début mars 2021, le dirigeant de la société n'a pu avoir une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur du comportement imputé à Monsieur [G] qu'à l'issue des enquêtes menées par les CSE le 19 mai 2021, de telle sorte que la convocation du 26 mai suivant à l'entretien préalable est intervenue avant l'écoulement du délai de prescription.

Monsieur [G] fait également valoir qu'il n'avait pas de lien hiérarchique avec les salariés entendus, qu'il ne les "manageait" pas, n'ayant à leur égard qu'un rôle de facilitateur, de coordination.

Cependant, la société Little Extra répond à juste titre que ces allégations sont contredites par les stipulations de l'avenant du 9 janvier 2020 à son contrat de travail.

Monsieur [G] fait également valoir que l'enquête menée par le CSE le 3 mai 2021 a été diligentée après que l'employeur eut été informé de la saisine du conseil de prud'hommes de sa demande résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Cependant, la société Little Extra réplique de façon convaincante n'avoir reçu que le 5 mai 2021 la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation, étant précisé que la requête datait du jeudi 29 avril 2021.

Monsieur [G] conteste ensuite le caractère impartial de l'enquête, faisant notamment valoir qu'il n'a pas été entendu lors de cette enquête et ajoute qu'aucun fait précis et matériellement véritable ne lui est imputé.

Cependant, la plupart des déclarations des salariés entendus sont précises et les auditions sont corroborées par d'autres éléments décrits plus haut (lettres de démission, déclarations de main courante, éléments médicaux).

A cet égard, Monsieur [G] conteste être à l'origine des démissions qui lui sont imputées mais les courriels qu'il produit ne permettent pas de contredire utilement les déclarations concordantes recueillies lors de l'enquête interne.

Monsieur [G] produit plusieurs courriels échangés avec ses collaboratrices, et fait valoir que leur contenu fait ressortir des échanges sympathiques et bienveillants.

Cependant, ces éléments ne contredisent pas la réalité d'un management inapproprié sur le plan verbal.

Enfin, l'attestation de madame [B], qui déclare que Monsieur [G], qui a été son responsable hiérarchique pendant cinq ans, se montrait toujours correct, respectueux et cordial à son égard et qu'elle a donc refusé de témoigner contre lui comme cela lui a été demandé par la société, n'est pas suffisante pour contredire utilement les éléments concordants produits par la société.

Le premier grief est donc établi.

- La société Little Extra reproche en second lieu à Monsieur [G] des abstentions fautives dans l'exercice de ses fonctions.

Le reproche d'avoir décidé, à compter du 31 mars 2021, de ne plus participer aux réunions du CSE destinées à finaliser des accords d'entreprise n'est établi par aucune des pièces produites.

La société Little Extra reproche ensuite à Monsieur [G] de ne pas avoir répondu à ses courriels des 2 et 14 avril 2021 relatifs aux calculs des primes d'inventaires. Cependant, les échanges de courriels de part et d'autre sur ce sujet ne permettent pas d'établir la réalité de manquements du salarié sur ce point.

La société Little Extra reproche également à Monsieur [G] de n'avoir pas déféré à sa demande de communication d'informations sur ses agendas, gardant ainsi la plus grande opacité sur son activité.

La société produit à cet égard son courriel du 23 mars 2021, ainsi qu'un courriel de relance du 29 mars suivant.

De son côté, Monsieur [G] ne produit aucun élément de nature à contredire ce grief, lequel est donc établi.

La société Little Extra reproche également à Monsieur [G] de n'avoir donné aucune nouvelle pendant 48 heures à son retour d'arrêt de travail pour maladie du 24 mai 2021, alors que de nombreux sujets nécessitaient un retour de sa part. Ce grief est cependant contredit par les courriels produits par Monsieur [G].

- En troisième lieu, la société Little Extra reproche à Monsieur [G] d'avoir transféré 342 mails depuis sa messagerie professionnelle vers sa messagerie personnelle entre le 6 et le 26 avril 2021, puis 85 mails du 2 au 8 juin 2021, alors qu'il était lié par une clause de confidentialité, puis d'avoir supprimé l'ensemble des éléments ainsi transférés de sa boite mail professionnelle afin de masquer les transferts effectués.

Monsieur [G] ne conteste pas la réalité de ces transferts mais fait valoir qu'ils étaient nécessaires à la défense en justice de ses intérêts.

Cependant, si certains des éléments ainsi transférés pouvaient légitimement être nécessaires à sa défense dès le 6 avril, période à partir de laquelle les relations avec l'employeur commençaient à être tendues et pouvaient raisonnablement laisser présager que le différend débouche sur une procédure judiciaire et si, contrairement à ce que soutient la société, la production de la totalité des éléments transférés ne constitue pas une condition de leur caractère strictement nécessaire, il n'en reste pas moins que de nombreux éléments transférés étaient totalement étrangers à la défense de ses intérêts et contenaient des informations sensibles sur la société (documents contractuels confidentiels concernant un bailleur, courriels contenant des données commerciales des magasins, synthèse des coûts des stocks, documents relatifs aux modalités de facturation, plan de développement).

Enfin, contrairement aux dénégations de Monsieur [G], la société Little Extra justifie, en produisant un courriel de son responsable informatique, étayé par des copies d'écran, que Monsieur [G] a tenté de masquer les transferts réalisés en supprimant ses courriels d'envoi.

- Il résulte de ces considérations que les griefs de l'employeur sont établis dans leur majorité.

Le management brutal de Monsieur [G], portant atteinte à la santé des salariés que l'employeur a pour obligation de protéger, le refus d'informer l'employeur sur la réalité de ses activités, ainsi que la violation de l'obligation de confidentialité, justifiaient, compte tenu de leur incidence sur le fonctionnement de l'entreprise, la rupture immédiate du contrat de travail de Monsieur [G].

Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il l'a débouté de ses demandes relatives au licenciement.

Sur les frais hors dépens

Sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il convient de condamner la société Little Extra à payer à Monsieur [G] une indemnité destinée à couvrir les frais non compris dans les dépens qu'il a dû engager pour assurer la défense de ses intérêts et qu'il y a lieu de fixer à 2 500 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Déclare Monsieur [W] [G] recevable en la totalité de sa demande de rappel de salaires ;

Confirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a débouté Monsieur [W] [G] de ses demandes de rappel de salaire et d'indemnité de congé payés afférente et sauf en ce qu'il l'a condamné aux dépens ;

Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant, ;

Condamne la société Little Extra à payer à Monsieur [W] [G] les sommes suivantes :

- rappel de salaires pour heures supplémentaires : 80 000 € ;

- indemnité de congés payés afférente : 8 000 € ;

- indemnité pour frais de procédure : 2 500 €.

Déboute Monsieur [W] [G] du surplus de ses demandes ;

Condamne Monsieur [W] [G] à payer à la société Little Extra 12 425,97 € de rappel de salaire au titre des jours de RTT pris ;

Déboute la société Little Extra de sa demande d'indemnité pour frais de procédure formée en cause d'appel ;

Condamne la société Little Extra aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

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