CA Toulouse, 4e ch. sect. 1, 17 octobre 2025, n° 23/03673
TOULOUSE
Autre
Autre
17/10/2025
ARRÊT N° 25/
N° RG 23/03673
N° Portalis DBVI-V-B7H-PYXV
NB/ACP
Décision déférée du 28 Septembre 2023
Conseil de Prud'hommes
Formation paritaire de [Localité 5] (22/00718)
G. ALMARCHA
CONFIRMATION
Grosse délivrée
le
à
Me Mathurin BRAZ
Me Yannick LIBERI de la SELAS BARTHELEMY AVOCATS
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
4eme Chambre Section 1
***
ARRÊT DU DIX SEPT OCTOBRE
DEUX MILLE VINGT CINQ
***
APPELANT
Monsieur [Y] [D]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représenté par Me Mathurin BRAZ, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIM''E
SAS ENROBES SUD ENVIRONNEMENT
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentée par Me Gilles SOREL, avocat au barreau de TOULOUSE (avocat postulant)
Représentée par Me Yannick LIBERI de la SELAS BARTHELEMY AVOCATS, avocat au barreau de TOULOUSE (avocat plaidant)
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Septembre 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant N. BERGOUNIOU, magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, chargée du rapport.
Cette magistrate a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
C. GILLOIS-GHERA, président
A.-F. RIBEYRON, conseillère
N. BERGOUNIOU, magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
Greffière, lors des débats : A-C. PELLETIER
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par C. GILLOIS-GHERA, présidente, et par A.-C. PELLETIER, greffier de chambre
FAITS ET PROCÉDURE
M. [Y] [D] a été embauché à compter du 1er avril 2014 par la Sas Enrobes Sud Environnement, employant moins de 10 salariés et spécialisée dans la fabrication d'enrobés utilisés notamment dans le secteur des travaux publics pour la fabrication, entre autres, de routes, en qualité d'aide chef de poste, ouvrier, 1er degré échelon 130, suivant contrat de travail à durée déterminée régi par la convention collective du secteur des industries chimiques et connexes.
Par avenant du 1er mai 2018, M. [D] a été promu au poste d'opérateur centrale, statut ouvrier, coefficient 160.
Par courrier remis en main propre le 28 mai 2021, M. [D] a présenté sa démission de son poste.
Par mail du 1er juin 2021, M. [D] s'est rétracté, expliquant avoir démissionné sous le coup de l'émotion par rapport à la situation liée à son refus de faire des horaires de nuit.
Par courrier recommandé du 1er juin 2021, la société employeur a refusé la demande de rétractation formée par le salarié et lui a indiqué que son contrat de travail prendrait fin à l'issue de la période de préavis, soit le 27 juin 2021 au soir.
M. [Y] [D] a saisi le conseil de prud'hommes de Toulouse par requête du 10 mai 2022, aux fins de l'entendre constater que la société Enrobés Sud Environnement lui a imposé un passage d'horaire de jour à un horaire de nuit, de dire qu'elle lui a imposé une modification de son contrat de travail sans son accord, et que la rupture de son contrat de travail est directement liée aux manquements graves de l'employeur ; qu'il s'ensuit que sa démission doit être requalifiée en prise d'acte aux torts exclusifs de l'employeur, produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par jugement du 28 septembre 2023, le conseil de prud'hommes de Toulouse, section industrie, a :
- débouté M. [D] [Y] de l'intégralité de ses demandes,
- condamné la société Enrobes Sud Environnement prise en la personne de son représentant légal à verser en régularisation la somme de 300 euros brut au titre de la prime de responsabilité au profit de M. [D] [Y],
- mis les dépens éventuels de l'instance à la charge de M. [D] [Y].
Par déclaration du 25 octobre 2023, M. [Y] [D] a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 10 octobre 2023, dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas contestées.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 5 janvier 2024, M. [Y] [D] demande à la cour de :
- rejeter toutes conclusions contraires comme injustifiées, en tout cas mal fondées,
- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Toulouse du 28 septembre 2023,
- requalifier la démission de M. [D] en prise d'acte aux torts exclusifs de l'employeur, produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
En conséquence,
- condamner la société Enrobes Sud Environnement à verser à M. [D] la somme de 6 488,20 euros bruts au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,
- condamner la société Enrobes Sud Environnement à verser à M. [D] la somme de 2 914,73 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- condamner la société Enrobes Sud Environnement à verser à M. [D] la somme de 291,47 euros bruts au titre des congés payés afférents,
- condamner la société Enrobes Sud Environnement à verser à M. [D] la somme de 23 317,87 euros bruts à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamner la société Enrobes Sud Environnement à verser à M. [D] la somme de 300 euros bruts à titre de rappel de salaire,
- condamner la société Enrobes Sud Environnement à verser à M. [D] la somme de 30 euros bruts au titre des congés payés afférents,
- condamner la société Enrobes Sud Environnement à verser à M. [D] la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- condamner la société Enrobes Sud Environnement aux entiers dépens,
Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 4 avril 2024, la société Enrobes Sud Environnement (ESE) demande à la cour de:
- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Toulouse du 28 septembre 2023 en toutes ses dispositions ;
Et statuant à nouveau,
A titre principal :
- confirmer que la démission de M. [D] ne peut être requalifiée en une prise d'acte;
- confirmer qu'en tout état de cause la rupture du contrat de M. [D] produit les effets d'une démission avec toutes les conséquences indemnitaires qui en découlent ;
- confirmer qu'en tout état de cause la société ESE n'a pas modifié unilatéralement le contrat de travail de M. [D] ;
- confirmer que M. [D] n'a été victime d'aucune pression concernant le versement de la prime de responsabilité par la société ESE ;
- confirmer que la société ESE s'est engagée à régulariser la somme de 300 euros brut au titre des primes de responsabilité de jour des 11, 12 et 28 mai 2021 et prendre acte de ce que la société ESE s'en est acquittée ;
- confirmer que les autres demandes en rappel de salaire sollicitées par M. [D] sont infondées ;
A titre subsidiaire et si par extraordinaire la cour jugeait que la prise d'acte de M. [D] devait s'analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- réduire la demande formulée par M. [D] à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au minimum prévu par le barème fixé à l'article L1235-3 du code du travail, soit à l'équivalent de 3 mois de salaires, faute pour lui de justifier du moindre préjudice ;
En tout état de cause,
- débouter M. [D] de l'ensemble de ses demandes ;
- condamner M. [D] à verser à la société Enrobes Sud Environnement une somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance en date du 29 août 2025.
Il est fait renvoi aux écritures pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
- Sur la démission :
M. [Y] [D] fait valoir que suite à la tentative de la société employeur de lui imposer un travail de nuit, durant 16 nuits consécutives, du 26 mai 2021 au 18 juin 2021, alors qu'il a des contraintes familiales avec deux enfants en bas âge, il a, sous le coup de l'émotion, adressé à la société ESE une lettre de démission le 28 mai 2021, avant de se rétracter le 1er juin 2021 ; que sa démission intervenue dans ces conditions a un caractère équivoque et doit être qualifiée en prise d'acte de rupture.
La société ESE soutient en réponse que M. [D] a démissionné en réalité en raison du refus de l'employeur de lui accorder une augmentation, au terme d'un chantage déloyal, de sorte que sa démission, exprimée de façon claire et non équivoque, ne saurait être requalifiée en prise d'acte de rupture.
Sur ce :
Lorsqu'un salarié démissionne en raison de faits qu'il reproche son employeur, cette rupture constitue une prise d'acte et produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifient, soit, dans le cas contraire d'une démission.
En l'espèce, la lettre de démission du 28 mai 2021 est ainsi rédigée : 'Je vous informe par cette lettre de ma décision de démissionner de mes fonctions (opérateur centrale) exercées depuis le 1er avril 2014 au sein de l'entreprise. J'ai bien noté que les termes de la convention collective prévoient un préavis de un mois'.
Cette lettre a été écrite par M. [D] à la suite d'un mail de [P] [X], chef de poste du 20 mai 2021 indiquant que les nuits étaient confirmées pour un mois du 26 mai jusqu'au 18 juin ; que [Y] fera 1h30 à 9h20 le 26 mai, puis 2h à 6h par la suite (pièce n° 12 de l'appelant). Suite à ce mail, M. [D] a indiqué à son chef de poste par mail du 26 mai 2021 qu'il ne souhaitait pas effectuer les nuits prévues au mois de mai, qu'il serait à son poste aux horaires prévus par son contrat de travail le 27 mai 2021, et qu'il sollicitait un rendez-vous face à face pour échanger sur cette situation (pièce n° 14). Aucune suite n'a été apportée à sa demande.
M. [D] est revenu sur sa décision par courrier du mardi 1er juin 2021, indiquant que celle ci était intervenue dans le contexte de son refus d'effectuer des horaires de nuit (pièce n° 16).
Les circonstances dans lesquelles M. [D] a démissionné et la brièveté du délai au terme duquel est intervenue sa rétractation, confèrent à sa démission un caractère équivoque, de sorte qu'il y a lieu de juger que la rupture du contrat de travail résulte d'une prise d'acte de rupture de son contrat de travail par M. [D] et non de sa démission.
- Sur la prise d'acte de rupture :
La prise d'acte désigne tout acte par lequel le salarié notifie à l'employeur qu'il met fin au contrat de travail ou qu'il cesse le travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, quelle que soit la dénomination utilisée dans cet acte : démission, prise d'acte, résiliation, départ de l'entreprise, cessation du travail.
Il revient à celui qui invoque la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur de rapporter la preuve de faits suffisamment graves qu'il reproche à son employeur et il appartient au juge d'examiner les manquements de l'employeur invoqués devant lui par le salarié même si celui-ci ne les a pas mentionné dans cet écrit, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués le justifient, soit d'une démission dans le cas contraire.
M. [Y] [D] reproche à la société employeur de lui avoir imposé d'effectuer des horaires de nuit sans son accord, ce qui implique une modification de son contrat de travail.
La société ESE soutient en réponse que M. [D] a déjà, à plusieurs reprises, accepté d'effectuer exceptionnellement des heures de nuit, entraînant une majoration de 50 %, et que la réalisation d'un chantier devant s'étaler sur 15 nuits du 27 mai au 18 juin 2021 ne constitue pas une modification de son contrat de travail, dans la mesure où le plafond de 270 heures de nuit prévu par l'accord du 16 septembre 2003 n'était pas atteint.
Sur ce :
L'avenant au contrat de travail de M. [D] du 1er mai 2018 prévoit qu'il percevra mensuellement et à terme échu, une rémunération mensuelle brute de 2 253,32 euros équivalente à 169 heures de travail effectif par mois, soit :
- 1 971,71 euros brut mensuel pour 151,67h,
- 281,61 euros brut mensuel au titre des heures supplémentaires pour 17,33h.
La convention collective applicable prévoit, dans son point 28, qu'en cas de travail exceptionnel de nuit, le salarié bénéficie d'une majoration d'au moins 40 % par heure effectuée entre 21h et 6h, s'ajoutant, le cas échéant, aux majorations pour heures supplémentaires.
L'accord du 16 septembre 2003 relatif au travail de nuit dans les industries chimiques prévoit qu'est considéré comme travailleur de nuit, pour l'application du présent accord, tout salarié qui :
- soit accomplit au moins deux fois par semaine selon son horaire habituel, au moins 3 heures de son temps de travail effectif quotidien au cours de la plage horaire comprise entre 21 heures et 6 heures ;
- soit effectue, sur une année civile, au moins 270 heures de travail effectif au cours de la plage horaire comprise entre 21 heures et 6 heures ;
Il résulte en l'espèce de l'examen des bulletins de salaire de M. [D] que le salarié a accompli :
* au cours de l'année 2019, des heures de travail de nuit aux mois de février, avril, mai juin, octobre, novembre et décembre 2019,
* au cours de l'année 2020, des heures de travail de nuit aux mois de février, août et décembre 2020,
* au cours de l'année 2021, des heures de travail de nuit aux mois de mars et mai 2021, dont 12 heures de travail de nuit les 10 mai, 11 mai et 26 mai 2021.
Ces heures de nuit étaient toutefois effectuées de manière ponctuelle, en fonction des chantiers confiés à l'entreprise, et n'ont jamais atteint le plafond de 270 heures par année civile.
Ce faisant, la société ESE n'a pas modifié unilatéralement le contrat de travail de M. [D], son accord n'étant pas préalablement requis pour qu'il effectue de façon ponctuelle, des heures de nuit d'une durée n'atteignant pas 270 heures par année civile.
M. [Y] [D] échoue en conséquence à rapporter la preuve d'un manquement de la société employeur suffisamment grave pour justifier la rupture du contrat de travail à ses torts exclusifs, de sorte que la prise d'acte de rupture produit les effets d'une démission. M. [D] sera en conséquence débouté de sa demande en paiement de dommages et intérêts et d'indemnités de rupture, par confirmation sur ce point du jugement déféré.
- Sur la demande de rappel de salaire :
M. [Y] [D] réclame le paiement d'une somme de 300 euros, outre 30 euros de congés payés y afférents, au titre d'une prime de responsabilité pour le travail de nuit effectué en totale autonomie les 10, 11 et 26 mai 2021.
La société ESE soutient en réponse que M. [D] a bien perçu la prime de responsabilité pour les nuits durant lesquelles il a travaillé en autonomie en mai 2021, le règlement ayant eu lieu au mois d'octobre 2023.
Sur ce :
L'examen des bulletins de salaire de M. [D] démontre qu'il percevait une prime dite de responsabilité d'un montant de 100 euros brut pour chaque nuit travaillée en autonomie, laquelle lui était généralement réglée le mois suivant.
La société ESE admet avoir oublié de mentionner le montant de cette prime dans le reçu pour solde de tout compte et justifie l'avoir réglée par virement sur compte CARPA au mois d'octobre 2023. Il s'ensuit que le salarié a été rempli de l'intégralité de ses droits.
- Sur les autres demandes :
Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a condamné M. [D] aux dépens de première instance.
M. [Y] [D], qui succombe, supportera les dépens de l'appel.
Aucune considération particulière d'équité ne commande en l'espèce qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de quiconque.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Toulouse le 28 septembre 2023.
Donne acte à la société Enrobés Sud Environnement de ce qu'elle a réglé à M. [D], par chèque émis à l'ordre de la CARPA le 30 octobre 2023, la somme nette de 237,49 euros correspondant à la prime de responsabilité pour les 10, 11 et 26 mai 2021.
Dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de quiconque.
Condamne M. [Y] [D] aux dépens de l'appel.
Le présent arrêt a été signé par C. GILLOIS-GHERA, président, et par A.-C. PELLETIER, greffier.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
A.-C. PELLETIER C. GILLOIS-GHERA
ARRÊT N° 25/
N° RG 23/03673
N° Portalis DBVI-V-B7H-PYXV
NB/ACP
Décision déférée du 28 Septembre 2023
Conseil de Prud'hommes
Formation paritaire de [Localité 5] (22/00718)
G. ALMARCHA
CONFIRMATION
Grosse délivrée
le
à
Me Mathurin BRAZ
Me Yannick LIBERI de la SELAS BARTHELEMY AVOCATS
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
4eme Chambre Section 1
***
ARRÊT DU DIX SEPT OCTOBRE
DEUX MILLE VINGT CINQ
***
APPELANT
Monsieur [Y] [D]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représenté par Me Mathurin BRAZ, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIM''E
SAS ENROBES SUD ENVIRONNEMENT
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentée par Me Gilles SOREL, avocat au barreau de TOULOUSE (avocat postulant)
Représentée par Me Yannick LIBERI de la SELAS BARTHELEMY AVOCATS, avocat au barreau de TOULOUSE (avocat plaidant)
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Septembre 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant N. BERGOUNIOU, magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, chargée du rapport.
Cette magistrate a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
C. GILLOIS-GHERA, président
A.-F. RIBEYRON, conseillère
N. BERGOUNIOU, magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
Greffière, lors des débats : A-C. PELLETIER
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par C. GILLOIS-GHERA, présidente, et par A.-C. PELLETIER, greffier de chambre
FAITS ET PROCÉDURE
M. [Y] [D] a été embauché à compter du 1er avril 2014 par la Sas Enrobes Sud Environnement, employant moins de 10 salariés et spécialisée dans la fabrication d'enrobés utilisés notamment dans le secteur des travaux publics pour la fabrication, entre autres, de routes, en qualité d'aide chef de poste, ouvrier, 1er degré échelon 130, suivant contrat de travail à durée déterminée régi par la convention collective du secteur des industries chimiques et connexes.
Par avenant du 1er mai 2018, M. [D] a été promu au poste d'opérateur centrale, statut ouvrier, coefficient 160.
Par courrier remis en main propre le 28 mai 2021, M. [D] a présenté sa démission de son poste.
Par mail du 1er juin 2021, M. [D] s'est rétracté, expliquant avoir démissionné sous le coup de l'émotion par rapport à la situation liée à son refus de faire des horaires de nuit.
Par courrier recommandé du 1er juin 2021, la société employeur a refusé la demande de rétractation formée par le salarié et lui a indiqué que son contrat de travail prendrait fin à l'issue de la période de préavis, soit le 27 juin 2021 au soir.
M. [Y] [D] a saisi le conseil de prud'hommes de Toulouse par requête du 10 mai 2022, aux fins de l'entendre constater que la société Enrobés Sud Environnement lui a imposé un passage d'horaire de jour à un horaire de nuit, de dire qu'elle lui a imposé une modification de son contrat de travail sans son accord, et que la rupture de son contrat de travail est directement liée aux manquements graves de l'employeur ; qu'il s'ensuit que sa démission doit être requalifiée en prise d'acte aux torts exclusifs de l'employeur, produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par jugement du 28 septembre 2023, le conseil de prud'hommes de Toulouse, section industrie, a :
- débouté M. [D] [Y] de l'intégralité de ses demandes,
- condamné la société Enrobes Sud Environnement prise en la personne de son représentant légal à verser en régularisation la somme de 300 euros brut au titre de la prime de responsabilité au profit de M. [D] [Y],
- mis les dépens éventuels de l'instance à la charge de M. [D] [Y].
Par déclaration du 25 octobre 2023, M. [Y] [D] a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 10 octobre 2023, dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas contestées.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 5 janvier 2024, M. [Y] [D] demande à la cour de :
- rejeter toutes conclusions contraires comme injustifiées, en tout cas mal fondées,
- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Toulouse du 28 septembre 2023,
- requalifier la démission de M. [D] en prise d'acte aux torts exclusifs de l'employeur, produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
En conséquence,
- condamner la société Enrobes Sud Environnement à verser à M. [D] la somme de 6 488,20 euros bruts au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,
- condamner la société Enrobes Sud Environnement à verser à M. [D] la somme de 2 914,73 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- condamner la société Enrobes Sud Environnement à verser à M. [D] la somme de 291,47 euros bruts au titre des congés payés afférents,
- condamner la société Enrobes Sud Environnement à verser à M. [D] la somme de 23 317,87 euros bruts à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamner la société Enrobes Sud Environnement à verser à M. [D] la somme de 300 euros bruts à titre de rappel de salaire,
- condamner la société Enrobes Sud Environnement à verser à M. [D] la somme de 30 euros bruts au titre des congés payés afférents,
- condamner la société Enrobes Sud Environnement à verser à M. [D] la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- condamner la société Enrobes Sud Environnement aux entiers dépens,
Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 4 avril 2024, la société Enrobes Sud Environnement (ESE) demande à la cour de:
- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Toulouse du 28 septembre 2023 en toutes ses dispositions ;
Et statuant à nouveau,
A titre principal :
- confirmer que la démission de M. [D] ne peut être requalifiée en une prise d'acte;
- confirmer qu'en tout état de cause la rupture du contrat de M. [D] produit les effets d'une démission avec toutes les conséquences indemnitaires qui en découlent ;
- confirmer qu'en tout état de cause la société ESE n'a pas modifié unilatéralement le contrat de travail de M. [D] ;
- confirmer que M. [D] n'a été victime d'aucune pression concernant le versement de la prime de responsabilité par la société ESE ;
- confirmer que la société ESE s'est engagée à régulariser la somme de 300 euros brut au titre des primes de responsabilité de jour des 11, 12 et 28 mai 2021 et prendre acte de ce que la société ESE s'en est acquittée ;
- confirmer que les autres demandes en rappel de salaire sollicitées par M. [D] sont infondées ;
A titre subsidiaire et si par extraordinaire la cour jugeait que la prise d'acte de M. [D] devait s'analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- réduire la demande formulée par M. [D] à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au minimum prévu par le barème fixé à l'article L1235-3 du code du travail, soit à l'équivalent de 3 mois de salaires, faute pour lui de justifier du moindre préjudice ;
En tout état de cause,
- débouter M. [D] de l'ensemble de ses demandes ;
- condamner M. [D] à verser à la société Enrobes Sud Environnement une somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance en date du 29 août 2025.
Il est fait renvoi aux écritures pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
- Sur la démission :
M. [Y] [D] fait valoir que suite à la tentative de la société employeur de lui imposer un travail de nuit, durant 16 nuits consécutives, du 26 mai 2021 au 18 juin 2021, alors qu'il a des contraintes familiales avec deux enfants en bas âge, il a, sous le coup de l'émotion, adressé à la société ESE une lettre de démission le 28 mai 2021, avant de se rétracter le 1er juin 2021 ; que sa démission intervenue dans ces conditions a un caractère équivoque et doit être qualifiée en prise d'acte de rupture.
La société ESE soutient en réponse que M. [D] a démissionné en réalité en raison du refus de l'employeur de lui accorder une augmentation, au terme d'un chantage déloyal, de sorte que sa démission, exprimée de façon claire et non équivoque, ne saurait être requalifiée en prise d'acte de rupture.
Sur ce :
Lorsqu'un salarié démissionne en raison de faits qu'il reproche son employeur, cette rupture constitue une prise d'acte et produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifient, soit, dans le cas contraire d'une démission.
En l'espèce, la lettre de démission du 28 mai 2021 est ainsi rédigée : 'Je vous informe par cette lettre de ma décision de démissionner de mes fonctions (opérateur centrale) exercées depuis le 1er avril 2014 au sein de l'entreprise. J'ai bien noté que les termes de la convention collective prévoient un préavis de un mois'.
Cette lettre a été écrite par M. [D] à la suite d'un mail de [P] [X], chef de poste du 20 mai 2021 indiquant que les nuits étaient confirmées pour un mois du 26 mai jusqu'au 18 juin ; que [Y] fera 1h30 à 9h20 le 26 mai, puis 2h à 6h par la suite (pièce n° 12 de l'appelant). Suite à ce mail, M. [D] a indiqué à son chef de poste par mail du 26 mai 2021 qu'il ne souhaitait pas effectuer les nuits prévues au mois de mai, qu'il serait à son poste aux horaires prévus par son contrat de travail le 27 mai 2021, et qu'il sollicitait un rendez-vous face à face pour échanger sur cette situation (pièce n° 14). Aucune suite n'a été apportée à sa demande.
M. [D] est revenu sur sa décision par courrier du mardi 1er juin 2021, indiquant que celle ci était intervenue dans le contexte de son refus d'effectuer des horaires de nuit (pièce n° 16).
Les circonstances dans lesquelles M. [D] a démissionné et la brièveté du délai au terme duquel est intervenue sa rétractation, confèrent à sa démission un caractère équivoque, de sorte qu'il y a lieu de juger que la rupture du contrat de travail résulte d'une prise d'acte de rupture de son contrat de travail par M. [D] et non de sa démission.
- Sur la prise d'acte de rupture :
La prise d'acte désigne tout acte par lequel le salarié notifie à l'employeur qu'il met fin au contrat de travail ou qu'il cesse le travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, quelle que soit la dénomination utilisée dans cet acte : démission, prise d'acte, résiliation, départ de l'entreprise, cessation du travail.
Il revient à celui qui invoque la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur de rapporter la preuve de faits suffisamment graves qu'il reproche à son employeur et il appartient au juge d'examiner les manquements de l'employeur invoqués devant lui par le salarié même si celui-ci ne les a pas mentionné dans cet écrit, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués le justifient, soit d'une démission dans le cas contraire.
M. [Y] [D] reproche à la société employeur de lui avoir imposé d'effectuer des horaires de nuit sans son accord, ce qui implique une modification de son contrat de travail.
La société ESE soutient en réponse que M. [D] a déjà, à plusieurs reprises, accepté d'effectuer exceptionnellement des heures de nuit, entraînant une majoration de 50 %, et que la réalisation d'un chantier devant s'étaler sur 15 nuits du 27 mai au 18 juin 2021 ne constitue pas une modification de son contrat de travail, dans la mesure où le plafond de 270 heures de nuit prévu par l'accord du 16 septembre 2003 n'était pas atteint.
Sur ce :
L'avenant au contrat de travail de M. [D] du 1er mai 2018 prévoit qu'il percevra mensuellement et à terme échu, une rémunération mensuelle brute de 2 253,32 euros équivalente à 169 heures de travail effectif par mois, soit :
- 1 971,71 euros brut mensuel pour 151,67h,
- 281,61 euros brut mensuel au titre des heures supplémentaires pour 17,33h.
La convention collective applicable prévoit, dans son point 28, qu'en cas de travail exceptionnel de nuit, le salarié bénéficie d'une majoration d'au moins 40 % par heure effectuée entre 21h et 6h, s'ajoutant, le cas échéant, aux majorations pour heures supplémentaires.
L'accord du 16 septembre 2003 relatif au travail de nuit dans les industries chimiques prévoit qu'est considéré comme travailleur de nuit, pour l'application du présent accord, tout salarié qui :
- soit accomplit au moins deux fois par semaine selon son horaire habituel, au moins 3 heures de son temps de travail effectif quotidien au cours de la plage horaire comprise entre 21 heures et 6 heures ;
- soit effectue, sur une année civile, au moins 270 heures de travail effectif au cours de la plage horaire comprise entre 21 heures et 6 heures ;
Il résulte en l'espèce de l'examen des bulletins de salaire de M. [D] que le salarié a accompli :
* au cours de l'année 2019, des heures de travail de nuit aux mois de février, avril, mai juin, octobre, novembre et décembre 2019,
* au cours de l'année 2020, des heures de travail de nuit aux mois de février, août et décembre 2020,
* au cours de l'année 2021, des heures de travail de nuit aux mois de mars et mai 2021, dont 12 heures de travail de nuit les 10 mai, 11 mai et 26 mai 2021.
Ces heures de nuit étaient toutefois effectuées de manière ponctuelle, en fonction des chantiers confiés à l'entreprise, et n'ont jamais atteint le plafond de 270 heures par année civile.
Ce faisant, la société ESE n'a pas modifié unilatéralement le contrat de travail de M. [D], son accord n'étant pas préalablement requis pour qu'il effectue de façon ponctuelle, des heures de nuit d'une durée n'atteignant pas 270 heures par année civile.
M. [Y] [D] échoue en conséquence à rapporter la preuve d'un manquement de la société employeur suffisamment grave pour justifier la rupture du contrat de travail à ses torts exclusifs, de sorte que la prise d'acte de rupture produit les effets d'une démission. M. [D] sera en conséquence débouté de sa demande en paiement de dommages et intérêts et d'indemnités de rupture, par confirmation sur ce point du jugement déféré.
- Sur la demande de rappel de salaire :
M. [Y] [D] réclame le paiement d'une somme de 300 euros, outre 30 euros de congés payés y afférents, au titre d'une prime de responsabilité pour le travail de nuit effectué en totale autonomie les 10, 11 et 26 mai 2021.
La société ESE soutient en réponse que M. [D] a bien perçu la prime de responsabilité pour les nuits durant lesquelles il a travaillé en autonomie en mai 2021, le règlement ayant eu lieu au mois d'octobre 2023.
Sur ce :
L'examen des bulletins de salaire de M. [D] démontre qu'il percevait une prime dite de responsabilité d'un montant de 100 euros brut pour chaque nuit travaillée en autonomie, laquelle lui était généralement réglée le mois suivant.
La société ESE admet avoir oublié de mentionner le montant de cette prime dans le reçu pour solde de tout compte et justifie l'avoir réglée par virement sur compte CARPA au mois d'octobre 2023. Il s'ensuit que le salarié a été rempli de l'intégralité de ses droits.
- Sur les autres demandes :
Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a condamné M. [D] aux dépens de première instance.
M. [Y] [D], qui succombe, supportera les dépens de l'appel.
Aucune considération particulière d'équité ne commande en l'espèce qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de quiconque.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Toulouse le 28 septembre 2023.
Donne acte à la société Enrobés Sud Environnement de ce qu'elle a réglé à M. [D], par chèque émis à l'ordre de la CARPA le 30 octobre 2023, la somme nette de 237,49 euros correspondant à la prime de responsabilité pour les 10, 11 et 26 mai 2021.
Dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de quiconque.
Condamne M. [Y] [D] aux dépens de l'appel.
Le présent arrêt a été signé par C. GILLOIS-GHERA, président, et par A.-C. PELLETIER, greffier.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
A.-C. PELLETIER C. GILLOIS-GHERA