CA Versailles, ch. civ. 1-5, 16 octobre 2025, n° 24/07581
VERSAILLES
Autre
Autre
COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 30B
Chambre civile 1-5
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 16 OCTOBRE 2025
N° RG 24/07581 - N° Portalis DBV3-V-B7I-W47N
AFFAIRE :
S.A.S. LA TOSCANA
C/
[B] [U]
...
Décision déférée à la cour : Ordonnance rendu(e) le 19 Novembre 2024 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de [Localité 6]
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le : 16.10.2025
à :
Me Antoine DE LA FERTE, avocat au barreau de VERSAILLES (283)
Me Mathilde BAUDIN, avocat au barreau de VERSAILLES (351)
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SEIZE OCTOBRE DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S.A.S. LA TOSCANA
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité.
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Me Antoine DE LA FERTE de la SELARL LYVEAS AVOCATS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 283, substitué par Me GOUAZOU
APPELANTE
****************
Monsieur [B] [U]
né le 17 Avril 1949 à [Localité 8]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 3]
Madame [D] [U]
née le 26 Mai 1949 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Mathilde BAUDIN, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 351
Plaidant : Me Fabrice AMOUYAL du barreau de Paris
INTIMES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 15 Septembre 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère faisant fonction de présidente chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère faisant fonction de présidente,
M. Bertrand MAUMONT, Conseiller,
Monsieur Ulysse PARODI, Vice président placé,
Greffière lors des débats : Mme Elisabeth TODINI,
EXPOSE DU LITIGE
Par acte sous seing privé en date du 12 juillet 2021, M. [B] [U] et Mme [D] [U] ont consenti un bail commercial à la SAS La Toscana sur des locaux situés [Adresse 1] à [Localité 7].
Des loyers et charges sont demeurés impayés.
Par acte du 25 octobre 2023, M. et Mme [U] ont fait délivrer à la société La Toscana un commandement, visant la clause résolutoire, de payer la somme de 6 600 euros au titre d'un arriéré locatif. Celui-ci est demeuré infructueux.
Par acte de commissaire de justice délivré le 5 décembre 2023, M. et Mme [U] ont fait assigner en référé la société La Toscana aux fins d'obtenir principalement le constat de l'acquisition de la clause résolutoire, l'expulsion de la locataire et sa condamnation au paiement de la somme provisionnelle de 5 500 euros correspondant au solde de loyers et charges impayés,
outre une indemnité d'occupation.
Par ordonnance contradictoire rendue le 19 novembre 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre a :
- au principal, renvoyé les parties à se pourvoir ainsi qu'elles aviseront, et dès à présent, vu l'urgence :
- constaté l'acquisition de la clause de résiliation de plein droit au bénéfice des bailleurs, à la date du 26 novembre 2023 ;
- condamné la société La Toscana à quitter les lieux loués situés [Adresse 1] à [Localité 7] ;
- autorisé, à défaut pour la société La Toscana d'avoir volontairement libéré les lieux, qu'il soit procédé à son expulsion ainsi qu'à celle de tous occupants de son chef avec si nécessaire le concours de la force publique et d'un serrurier ;
- dit qu'en ce qui concerne le sort des meubles, il sera procédé selon les dispositions des articles L. 433-1 et L. 433-2 du code des procédures civiles d'exécution ;
- fixé une indemnité d'occupation mensuelle égale au montant du loyer, révisable selon les dispositions contractuelles, et de la provision sur charges (1 100 euros par mois à la date de l'audience) ;
- condamné la société La Toscana au versement mensuel de cette indemnité d'occupation au profit de M. et Mme [U], jusqu'à la libération effective des lieux ;
- dit que la demande en paiement d'une provision au titre du loyer impayé de juin 2024 est devenue sans objet ;
- rejeté le surplus des demandes de M. et Mme [U] ;
- condamné la société La Toscana aux dépens qui comprendront notamment le coût du commandement de payer et celui de l'assignation ;
- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties ;
- rappelé que l'ordonnance est exécutoire de plein droit par provision.
Par déclaration reçue au greffe le 5 décembre 2024, la société La Toscana a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition, à l'exception de ce qu'elle a :
- au principal, renvoyé les parties à se pourvoir ainsi qu'elles aviseront ;
- dit que la demande en paiement d'une provision au titre du loyer impayé de juin 2024 est devenue sans objet ;
- rejeté le surplus des demandes de M. et Mme [U] ;
- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties ;
- rappelé que l'ordonnance est exécutoire de plein droit par provision.
Dans ses dernières conclusions déposées le 9 avril 2025 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société La Toscana demande à la cour, au visa des articles 1343-5 du code civil et L. 145-41 du code de commerce, de :
'- infirmer l'ordonnance de référé rendue par le tribunal judiciaire de Nanterre en date du 19 novembre 2024 en toutes ses dispositions,
statuant à nouveau,
à titre principal :
- constater l'extinction des causes du commandement visant la clause résolutoire délivrée le 25 octobre 2023 avant l'expiration du délai d'un mois à compter de sa signification,
- débouter en conséquence M. [B] [U] et Mme [D] épouse [U] de toute demande en acquisition de la clause résolutoire et expulsion,
à titre subsidiaire :
- octroyer à la SAS La Toscana un délai de grâce rétroactif sur le fondement de l'article L. 145-41 du code de commerce et de l'article 1343-5 du code civil, d'une durée de 24 mois pour lui permettre de s'acquitter des causes réelles du commandement de payer, soit la somme de 4 400 euros,
- suspendre les effets de la clause résolutoire du bail commercial visée dans le commandement de payer délivré en date du 25 octobre 2023,
en tout état de cause :
- condamner M. [B] [U] et Mme [D] épouse [U] à payer à la SAS La Toscana la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.'
La société La Toscana indique que le commandement de payer réclamait des loyers et charges payés ( avril 2019), abandonnés ( mars 2020) et n'ayant fait l'objet d'aucune relance ou mise en demeure (mars 2023 et 4ème trimestre 2023).
Elle soutient qu'il n'existait qu'un arriéré de 3300 euros à la date du commandement, qui a été réglé dans le mois suivant par le dépôt à leur banque des 3 chèques dont les bailleurs étaient en possession, puisque le loyer était réglé par mois d'un commun accord entre les parties.
Elle en déduit que la clause résolutoire n'est pas acquise et conclut à l'infirmation de l'ordonnance querellée.
Subsidiairement, l'appelante expose que, à supposer même qu'elle doive régler le loyer de mars 2020, elle s'en était acquittée 43 jours après la délivrance du commandement. Elle soutient démontrer la poursuite du paiement des loyers à bonne date et de manière régulière, argue de sa bonne foi et sollicite l'octroi de délais de paiement rétroactifs.
Dans leurs dernières conclusions déposées le 14 février 2025 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, M. et Mme [U] demandent à la cour, au visa des articles L. 145-41 du code de commerce, 1104 du code civil, 834 et suivants du code de procédure civile, de :
'- 1) confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé du 19 novembre 2024 rendue par le juge des référés près du tribunal judiciaire de Nanterre ;
- 2) débouter la société La Toscana de son appel ;
- 3) rappeler que les échéances de règlement prévues au bail sont trimestrielles et non mensuelles et que l'absence de respect de ce mode de règlement opposable aux parties est une faute contractuelle justifiant à elle-seule l'acquisition de la clause résolutoire ;
- 4) constater que La Toscana n'est pas un débiteur de bonne foi ;
- 5) constater l'acquisition de la clause résolutoire insérée au contrat de bail et ce depuis le 26 novembre 2023 ;
- 6) ordonner, en conséquence, l'expulsion de la société La Toscana et de toute personne se trouvant dans les lieux de son fait, et ce, avec l'assistance du commissaire de police et d'un serrurier, s'il y a lieu ;
- 7) ordonner, aux frais et aux risques du locataire, le transport et la séquestration des meubles et objets mobiliers garnissant les lieux dans tel garde meubles qu'il plaira à Monsieur le président de désigner, et ce en garantie des indemnités d'occupation et réparations locatives qui pourront être dues ;
- 8) fixer le montant de l'indemnité d'occupation à un montant égal à la dernière échéance de loyer et charges et condamner la société La Toscana au paiement de cette indemnité d'occupation jusqu'à complète libération des locaux ;
- 9) condamner la société La Toscana à verser au bailleur la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- 10) condamner la société La Toscana aux entiers dépens de première instance et d'appel.'
M. et Mme [U] indiquent que la locataire se permet de régler ses échéances irrégulièrement et par mensualité alors que le bail prévoit un règlement trimestriel et d'avance des échéances de loyers et charges. Ils en déduisent qu'ils étaient bien fondés à délivrer un commandement de payer.
Ils soutiennent que la dette n'a pas été réglée dans le mois du commandement et qu'ils ont dû procéder à l'encaissement de chèques remis à titre de garantie, ce qui ne constitue pas selon eux un paiement libératoire de la société La Toscana.
Les intimés font valoir que leur locataire n'est pas un débiteur de bonne foi et que la clause résolutoire est acquise depuis le 26 novembre 2023, concluant à la confirmation de la décision attaquée.
M. et Mme [U] sollicitent le rejet de la demande de délais de paiement rétroactifs formée par la société La Toscana.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 septembre 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur l'acquisition de la clause résolutoire
L'article L. 145-41 du code de commerce dispose que toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit à peine de nullité mentionner ce délai.
Le bail produit contient effectivement une telle clause résolutoire.
Le commandement de payer doit permettre au débiteur de connaître la nature et le détail des sommes qui lui sont réclamées. Il doit être suffisamment précis pour que son destinataire puisse en vérifier le bien-fondé.
Or en l'espèce, le décompte de la dette locative annexé au commandement de payer du 25 octobre 2023 permettait de comprendre les loyers réclamés et, s'il existe une contestation sur l'exigibilité du loyer d'avril 2020, la société La Toscana reconnaît qu'il existait une dette locative à la date du commandement, étant précisé qu'en tout état de cause, le commandement délivré pour une somme supérieure au montant réel de la dette reste valable pour la partie non contestable de celle-ci.
En vertu des dispositions du bail commercial, le loyer est stipulé payable par trimestre et d'avance. La circonstance que la société La Toscana ait mis en place un versement mensuel, au demeurant à des dates aléatoires, dont rien ne permet de démontrer qu'il aurait été accepté par les bailleurs, n'est pas de nature à lui permettre de se prévaloir d'une modification du contrat et il convient de dire que M. et Mme [U] sont fondés à réclamer un paiement trimestriel conforme aux modalités prévues au bail.
L'examen des pièces produit par l'appelante permet d'établir que tous les loyers de l'année 2019 ont été payés, même si le mois d'avril a été réglé le 2 mai, étant précisé que le loyer de mai a été payé le 27 mai 2019.
S'agissant de l'année 2020, la société La Toscana indique dans son propre décompte (pièce n°13) que les loyers de mars et avril ont été réglés postérieurement au commandement de payer, étant souligné d'une part que l'accord de M. et Mme [U] pour lui accorder une franchise de loyer durant la pandémie de Covid-19 n'est pas établie et d'autre part, que la quittance de loyer pour l'intégralité de l'année 2020 dont se prévaut l'appelante, établie de façon informatique, ne comporte aucune signature des bailleurs et qu'elle ne peut donc démontrer à elle seule l'intention libérale des intimés.
De même, l'appelante reconnaît dans sa pièce n°16 que le loyer de mars 2023 a été payé en novembre 2023.
Il ressort en effet des explications concordantes des parties que la gérante de la société La Toscana avait remis à titre de garantie 3 chèques de 1 100 euros à M. et Mme [U] et l'appelante indique sans être contredite que ces chèques ont été remis à l'encaissement par ses bailleurs le 2 novembre 2023, ce qui est corroboré par ses relevés bancaires.
En conséquence, il est établi avec l'évidence requise en référé qu'à la date du 25 octobre 2023, date du commandement de payer, étaient dus :
- deux mois de loyer de mars et avril 2020,
- le loyer de mars 2023,
- les loyers de novembre et décembre 2023 (car le loyer d'octobre 2023 a été payé le 23 octobre),
soit la somme totale de 5 500 euros.
Dans le délai d'un mois du commandement de payer, seule a été réglée la somme de 3 300 euros correspondant à l'encaissement des 3 chèques remis par la société La Toscana aux bailleurs.
En conséquence, la dette locative visée dans le commandement de payer du 25 octobre 2023 n'avait pas été intégralement réglée dans le délai d'un mois l'ayant suivi, ce qui entraine l'acquisition de la clause résolutoire prévue au contrat.
Sur la suspension des effets de la clause résolutoire et l'octroi de délais de paiement rétroactifs
L'article L. 145-41 alinéa 2 du code de commerce dispose que :
'Les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge'.
Selon le premier alinéa de l'article 1343-5 du code civil, 'le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues'.
La société La Toscana verse aux débats tous ses relevés bancaires depuis l'année 2020, qui permettent de vérifier que, même de façon irrégulière, la locataire règle les échéances contractuellement prévues depuis le mois de novembre 2023, de façon trimestrielle depuis le 4ème trimestre 2024 et qu'elle est à jour du paiement de l'intégralité de ses loyers depuis le 29 décembre 2023, le premier juge ayant d'ailleurs constaté qu'il n'existait aucune dette lorsqu'il a statué, et il en est de même au jour de l'audience devant la cour.
M. et Mme [U] ne contestent pas ces paiements et ne réclament d'ailleurs pas de provision au titre de l'arriéré locatif.
Dès lors, et même s'il appartient à la société La Toscana de s'acquitter de son loyer avec plus de régularité pour ne pas s'exposer à une nouvelle procédure, un délai de paiement avec suspension des effets de la clause résolutoire lui sera octroyé rétroactivement jusqu'au 29 décembre 2023, date à laquelle il sera constaté que le paiement est intervenu et que par voie de conséquence, la clause résolutoire est censée n'avoir jamais joué.
L'ordonnance déférée sera donc infirmée pour le surplus de ses chefs de dispositif.
Sur les demandes accessoires
L'ordonnance sera confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.
De la même manière, le présent arrêt constituant une mesure de faveur au profit de la locataire, la dette n'ayant été réglée que tardivement et les règlements de la locataire étant restés mensuels et très irréguliers durant les neuf premiers mois de l'année 2024, il convient de condamner la société La Toscana aux dépens d'appel.
De même, il est inéquitable de laisser à la charge des bailleurs les frais irrépétibles engagés à hauteur d'appel. La société La Toscana sera donc condamnée à leur verser la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,
Infirme l'ordonnance attaquée, sauf en ce qu'elle a constaté l'acquisition de la clause résolutoire du bail à la date du 26 novembre 2023, ainsi qu'en ses dispositions relatives aux dépens et à l'indemnité procédurale de première instance,
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Autorise rétroactivement la société La Toscana à se libérer de sa dette visée au commandement du 25 octobre 2023 avant le 27 décembre 2023 ;
Constate que le paiement est intervenu à l'expiration du délai accordé ;
Constate que la clause résolutoire est, dès à présent, réputée n'avoir jamais joué ;
Condamne la société La Toscana aux dépens d'appel ;
Condamne la société La Toscana à verser à M. [B] [U] et Mme [D] [U] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère faisant fonction de Présidente et par Madame Elisabeth TODINI, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente
DE
VERSAILLES
Code nac : 30B
Chambre civile 1-5
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 16 OCTOBRE 2025
N° RG 24/07581 - N° Portalis DBV3-V-B7I-W47N
AFFAIRE :
S.A.S. LA TOSCANA
C/
[B] [U]
...
Décision déférée à la cour : Ordonnance rendu(e) le 19 Novembre 2024 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de [Localité 6]
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le : 16.10.2025
à :
Me Antoine DE LA FERTE, avocat au barreau de VERSAILLES (283)
Me Mathilde BAUDIN, avocat au barreau de VERSAILLES (351)
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SEIZE OCTOBRE DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S.A.S. LA TOSCANA
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité.
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Me Antoine DE LA FERTE de la SELARL LYVEAS AVOCATS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 283, substitué par Me GOUAZOU
APPELANTE
****************
Monsieur [B] [U]
né le 17 Avril 1949 à [Localité 8]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 3]
Madame [D] [U]
née le 26 Mai 1949 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Mathilde BAUDIN, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 351
Plaidant : Me Fabrice AMOUYAL du barreau de Paris
INTIMES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 15 Septembre 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère faisant fonction de présidente chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère faisant fonction de présidente,
M. Bertrand MAUMONT, Conseiller,
Monsieur Ulysse PARODI, Vice président placé,
Greffière lors des débats : Mme Elisabeth TODINI,
EXPOSE DU LITIGE
Par acte sous seing privé en date du 12 juillet 2021, M. [B] [U] et Mme [D] [U] ont consenti un bail commercial à la SAS La Toscana sur des locaux situés [Adresse 1] à [Localité 7].
Des loyers et charges sont demeurés impayés.
Par acte du 25 octobre 2023, M. et Mme [U] ont fait délivrer à la société La Toscana un commandement, visant la clause résolutoire, de payer la somme de 6 600 euros au titre d'un arriéré locatif. Celui-ci est demeuré infructueux.
Par acte de commissaire de justice délivré le 5 décembre 2023, M. et Mme [U] ont fait assigner en référé la société La Toscana aux fins d'obtenir principalement le constat de l'acquisition de la clause résolutoire, l'expulsion de la locataire et sa condamnation au paiement de la somme provisionnelle de 5 500 euros correspondant au solde de loyers et charges impayés,
outre une indemnité d'occupation.
Par ordonnance contradictoire rendue le 19 novembre 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre a :
- au principal, renvoyé les parties à se pourvoir ainsi qu'elles aviseront, et dès à présent, vu l'urgence :
- constaté l'acquisition de la clause de résiliation de plein droit au bénéfice des bailleurs, à la date du 26 novembre 2023 ;
- condamné la société La Toscana à quitter les lieux loués situés [Adresse 1] à [Localité 7] ;
- autorisé, à défaut pour la société La Toscana d'avoir volontairement libéré les lieux, qu'il soit procédé à son expulsion ainsi qu'à celle de tous occupants de son chef avec si nécessaire le concours de la force publique et d'un serrurier ;
- dit qu'en ce qui concerne le sort des meubles, il sera procédé selon les dispositions des articles L. 433-1 et L. 433-2 du code des procédures civiles d'exécution ;
- fixé une indemnité d'occupation mensuelle égale au montant du loyer, révisable selon les dispositions contractuelles, et de la provision sur charges (1 100 euros par mois à la date de l'audience) ;
- condamné la société La Toscana au versement mensuel de cette indemnité d'occupation au profit de M. et Mme [U], jusqu'à la libération effective des lieux ;
- dit que la demande en paiement d'une provision au titre du loyer impayé de juin 2024 est devenue sans objet ;
- rejeté le surplus des demandes de M. et Mme [U] ;
- condamné la société La Toscana aux dépens qui comprendront notamment le coût du commandement de payer et celui de l'assignation ;
- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties ;
- rappelé que l'ordonnance est exécutoire de plein droit par provision.
Par déclaration reçue au greffe le 5 décembre 2024, la société La Toscana a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition, à l'exception de ce qu'elle a :
- au principal, renvoyé les parties à se pourvoir ainsi qu'elles aviseront ;
- dit que la demande en paiement d'une provision au titre du loyer impayé de juin 2024 est devenue sans objet ;
- rejeté le surplus des demandes de M. et Mme [U] ;
- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties ;
- rappelé que l'ordonnance est exécutoire de plein droit par provision.
Dans ses dernières conclusions déposées le 9 avril 2025 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société La Toscana demande à la cour, au visa des articles 1343-5 du code civil et L. 145-41 du code de commerce, de :
'- infirmer l'ordonnance de référé rendue par le tribunal judiciaire de Nanterre en date du 19 novembre 2024 en toutes ses dispositions,
statuant à nouveau,
à titre principal :
- constater l'extinction des causes du commandement visant la clause résolutoire délivrée le 25 octobre 2023 avant l'expiration du délai d'un mois à compter de sa signification,
- débouter en conséquence M. [B] [U] et Mme [D] épouse [U] de toute demande en acquisition de la clause résolutoire et expulsion,
à titre subsidiaire :
- octroyer à la SAS La Toscana un délai de grâce rétroactif sur le fondement de l'article L. 145-41 du code de commerce et de l'article 1343-5 du code civil, d'une durée de 24 mois pour lui permettre de s'acquitter des causes réelles du commandement de payer, soit la somme de 4 400 euros,
- suspendre les effets de la clause résolutoire du bail commercial visée dans le commandement de payer délivré en date du 25 octobre 2023,
en tout état de cause :
- condamner M. [B] [U] et Mme [D] épouse [U] à payer à la SAS La Toscana la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.'
La société La Toscana indique que le commandement de payer réclamait des loyers et charges payés ( avril 2019), abandonnés ( mars 2020) et n'ayant fait l'objet d'aucune relance ou mise en demeure (mars 2023 et 4ème trimestre 2023).
Elle soutient qu'il n'existait qu'un arriéré de 3300 euros à la date du commandement, qui a été réglé dans le mois suivant par le dépôt à leur banque des 3 chèques dont les bailleurs étaient en possession, puisque le loyer était réglé par mois d'un commun accord entre les parties.
Elle en déduit que la clause résolutoire n'est pas acquise et conclut à l'infirmation de l'ordonnance querellée.
Subsidiairement, l'appelante expose que, à supposer même qu'elle doive régler le loyer de mars 2020, elle s'en était acquittée 43 jours après la délivrance du commandement. Elle soutient démontrer la poursuite du paiement des loyers à bonne date et de manière régulière, argue de sa bonne foi et sollicite l'octroi de délais de paiement rétroactifs.
Dans leurs dernières conclusions déposées le 14 février 2025 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, M. et Mme [U] demandent à la cour, au visa des articles L. 145-41 du code de commerce, 1104 du code civil, 834 et suivants du code de procédure civile, de :
'- 1) confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé du 19 novembre 2024 rendue par le juge des référés près du tribunal judiciaire de Nanterre ;
- 2) débouter la société La Toscana de son appel ;
- 3) rappeler que les échéances de règlement prévues au bail sont trimestrielles et non mensuelles et que l'absence de respect de ce mode de règlement opposable aux parties est une faute contractuelle justifiant à elle-seule l'acquisition de la clause résolutoire ;
- 4) constater que La Toscana n'est pas un débiteur de bonne foi ;
- 5) constater l'acquisition de la clause résolutoire insérée au contrat de bail et ce depuis le 26 novembre 2023 ;
- 6) ordonner, en conséquence, l'expulsion de la société La Toscana et de toute personne se trouvant dans les lieux de son fait, et ce, avec l'assistance du commissaire de police et d'un serrurier, s'il y a lieu ;
- 7) ordonner, aux frais et aux risques du locataire, le transport et la séquestration des meubles et objets mobiliers garnissant les lieux dans tel garde meubles qu'il plaira à Monsieur le président de désigner, et ce en garantie des indemnités d'occupation et réparations locatives qui pourront être dues ;
- 8) fixer le montant de l'indemnité d'occupation à un montant égal à la dernière échéance de loyer et charges et condamner la société La Toscana au paiement de cette indemnité d'occupation jusqu'à complète libération des locaux ;
- 9) condamner la société La Toscana à verser au bailleur la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- 10) condamner la société La Toscana aux entiers dépens de première instance et d'appel.'
M. et Mme [U] indiquent que la locataire se permet de régler ses échéances irrégulièrement et par mensualité alors que le bail prévoit un règlement trimestriel et d'avance des échéances de loyers et charges. Ils en déduisent qu'ils étaient bien fondés à délivrer un commandement de payer.
Ils soutiennent que la dette n'a pas été réglée dans le mois du commandement et qu'ils ont dû procéder à l'encaissement de chèques remis à titre de garantie, ce qui ne constitue pas selon eux un paiement libératoire de la société La Toscana.
Les intimés font valoir que leur locataire n'est pas un débiteur de bonne foi et que la clause résolutoire est acquise depuis le 26 novembre 2023, concluant à la confirmation de la décision attaquée.
M. et Mme [U] sollicitent le rejet de la demande de délais de paiement rétroactifs formée par la société La Toscana.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 septembre 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur l'acquisition de la clause résolutoire
L'article L. 145-41 du code de commerce dispose que toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit à peine de nullité mentionner ce délai.
Le bail produit contient effectivement une telle clause résolutoire.
Le commandement de payer doit permettre au débiteur de connaître la nature et le détail des sommes qui lui sont réclamées. Il doit être suffisamment précis pour que son destinataire puisse en vérifier le bien-fondé.
Or en l'espèce, le décompte de la dette locative annexé au commandement de payer du 25 octobre 2023 permettait de comprendre les loyers réclamés et, s'il existe une contestation sur l'exigibilité du loyer d'avril 2020, la société La Toscana reconnaît qu'il existait une dette locative à la date du commandement, étant précisé qu'en tout état de cause, le commandement délivré pour une somme supérieure au montant réel de la dette reste valable pour la partie non contestable de celle-ci.
En vertu des dispositions du bail commercial, le loyer est stipulé payable par trimestre et d'avance. La circonstance que la société La Toscana ait mis en place un versement mensuel, au demeurant à des dates aléatoires, dont rien ne permet de démontrer qu'il aurait été accepté par les bailleurs, n'est pas de nature à lui permettre de se prévaloir d'une modification du contrat et il convient de dire que M. et Mme [U] sont fondés à réclamer un paiement trimestriel conforme aux modalités prévues au bail.
L'examen des pièces produit par l'appelante permet d'établir que tous les loyers de l'année 2019 ont été payés, même si le mois d'avril a été réglé le 2 mai, étant précisé que le loyer de mai a été payé le 27 mai 2019.
S'agissant de l'année 2020, la société La Toscana indique dans son propre décompte (pièce n°13) que les loyers de mars et avril ont été réglés postérieurement au commandement de payer, étant souligné d'une part que l'accord de M. et Mme [U] pour lui accorder une franchise de loyer durant la pandémie de Covid-19 n'est pas établie et d'autre part, que la quittance de loyer pour l'intégralité de l'année 2020 dont se prévaut l'appelante, établie de façon informatique, ne comporte aucune signature des bailleurs et qu'elle ne peut donc démontrer à elle seule l'intention libérale des intimés.
De même, l'appelante reconnaît dans sa pièce n°16 que le loyer de mars 2023 a été payé en novembre 2023.
Il ressort en effet des explications concordantes des parties que la gérante de la société La Toscana avait remis à titre de garantie 3 chèques de 1 100 euros à M. et Mme [U] et l'appelante indique sans être contredite que ces chèques ont été remis à l'encaissement par ses bailleurs le 2 novembre 2023, ce qui est corroboré par ses relevés bancaires.
En conséquence, il est établi avec l'évidence requise en référé qu'à la date du 25 octobre 2023, date du commandement de payer, étaient dus :
- deux mois de loyer de mars et avril 2020,
- le loyer de mars 2023,
- les loyers de novembre et décembre 2023 (car le loyer d'octobre 2023 a été payé le 23 octobre),
soit la somme totale de 5 500 euros.
Dans le délai d'un mois du commandement de payer, seule a été réglée la somme de 3 300 euros correspondant à l'encaissement des 3 chèques remis par la société La Toscana aux bailleurs.
En conséquence, la dette locative visée dans le commandement de payer du 25 octobre 2023 n'avait pas été intégralement réglée dans le délai d'un mois l'ayant suivi, ce qui entraine l'acquisition de la clause résolutoire prévue au contrat.
Sur la suspension des effets de la clause résolutoire et l'octroi de délais de paiement rétroactifs
L'article L. 145-41 alinéa 2 du code de commerce dispose que :
'Les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge'.
Selon le premier alinéa de l'article 1343-5 du code civil, 'le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues'.
La société La Toscana verse aux débats tous ses relevés bancaires depuis l'année 2020, qui permettent de vérifier que, même de façon irrégulière, la locataire règle les échéances contractuellement prévues depuis le mois de novembre 2023, de façon trimestrielle depuis le 4ème trimestre 2024 et qu'elle est à jour du paiement de l'intégralité de ses loyers depuis le 29 décembre 2023, le premier juge ayant d'ailleurs constaté qu'il n'existait aucune dette lorsqu'il a statué, et il en est de même au jour de l'audience devant la cour.
M. et Mme [U] ne contestent pas ces paiements et ne réclament d'ailleurs pas de provision au titre de l'arriéré locatif.
Dès lors, et même s'il appartient à la société La Toscana de s'acquitter de son loyer avec plus de régularité pour ne pas s'exposer à une nouvelle procédure, un délai de paiement avec suspension des effets de la clause résolutoire lui sera octroyé rétroactivement jusqu'au 29 décembre 2023, date à laquelle il sera constaté que le paiement est intervenu et que par voie de conséquence, la clause résolutoire est censée n'avoir jamais joué.
L'ordonnance déférée sera donc infirmée pour le surplus de ses chefs de dispositif.
Sur les demandes accessoires
L'ordonnance sera confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.
De la même manière, le présent arrêt constituant une mesure de faveur au profit de la locataire, la dette n'ayant été réglée que tardivement et les règlements de la locataire étant restés mensuels et très irréguliers durant les neuf premiers mois de l'année 2024, il convient de condamner la société La Toscana aux dépens d'appel.
De même, il est inéquitable de laisser à la charge des bailleurs les frais irrépétibles engagés à hauteur d'appel. La société La Toscana sera donc condamnée à leur verser la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,
Infirme l'ordonnance attaquée, sauf en ce qu'elle a constaté l'acquisition de la clause résolutoire du bail à la date du 26 novembre 2023, ainsi qu'en ses dispositions relatives aux dépens et à l'indemnité procédurale de première instance,
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Autorise rétroactivement la société La Toscana à se libérer de sa dette visée au commandement du 25 octobre 2023 avant le 27 décembre 2023 ;
Constate que le paiement est intervenu à l'expiration du délai accordé ;
Constate que la clause résolutoire est, dès à présent, réputée n'avoir jamais joué ;
Condamne la société La Toscana aux dépens d'appel ;
Condamne la société La Toscana à verser à M. [B] [U] et Mme [D] [U] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère faisant fonction de Présidente et par Madame Elisabeth TODINI, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente