CA Lyon, 1re ch. civ. a, 16 octobre 2025, n° 22/05918
LYON
Autre
Autre
N° RG 22/05918 - N° Portalis DBVX-V-B7G-OPLO
Décision du Tribunal Judiciaire de Lyon
Au fond du 11 avril 2022
(4ème chambre)
RG : 20/03103
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile A
ARRET DU 16 Octobre 2025
APPELANTES :
Mme [B] [F]
née le [Date naissance 1] 1948 à [Localité 14] (51)
[Adresse 6]
[Localité 7]
Représentée par Me Laurelenn FLANDRINCK, avocat au barreau de LYON, avocat postulant,toque : 3542
Et ayant pour avocat plaidant la SELARL CABINET REMY LE BONNOIS, avocat au barreau de PARIS, toque : L0299
Mme [Z] [F]
née le [Date naissance 2] 1979 à [Localité 16] (10)
[Adresse 5]
[Localité 11]
Représentée par Me Laurelenn FLANDRINCK, avocat au barreau de LYON, avocat postulant,toque : 3542
Et ayant pour avocat plaidant la SELARL CABINET REMY LE BONNOIS, avocat au barreau de PARIS, toque : L0299
INTIMEES :
SASU SOCIETE D'ETUDES DE RECHERCHES ET DE FABRICATION SERF
[Adresse 12]
[Localité 8]
Représentée par la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON, avocat postulant, toque:475
Et ayant pour avocat plaidant la SCP NORMAND & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0141
CPAM DU TARN
[Adresse 4]
[Localité 10]
Non constitué
Mutuelle VIASANTE
[Adresse 3]
[Localité 9]
Non constituée
* * * * * *
Date de clôture de l'instruction : 16 Mai 2023
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 07 Mai 2025
Date de mise à disposition : 2 octobre 2025 prorogée au 16 octobre 2025 les avocats dûment avisés conformément à l'article 450 dernier alinéa du code de procédure civile
Audience présidée par Julien SEITZ, magistrat rapporteur, sans opposition des parties dûment avisées, qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de Séverine POLANO, greffier.
Composition de la Cour lors du délibéré :
- Anne WYON, président
- Patricia GONZALEZ, président
- Julien SEITZ, conseiller
Arrêt Réputé contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties présentes ou représentées en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Julien SEITZ, conseiller pour le président emêché, et par Séverine POLANO, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
Madame [Z] [F] a été reçue en consultation le 28 janvier 2014 par le docteur [W] au sein de la clinique [15] d'[Localité 13] en raison de lombalgies basses des articulaires postérieures et de douleurs à la mobilisation forcée de la hanche gauche.
Une IRM du bassin réalisée le 18 février 2014 a mis en évidence une géode importante du toit de la cotyle de la hanche gauche avec une réaction 'démateuse périphérique témoignant d'une hyperpression locale.
Le docteur [W] a décidé le 24 avril 2014 de pratiquer une arthroplastie totale de hanche gauche avec couple de frottement en alumine. Il a pratiqué cette intervention le 22 mai 2014 et posé en cette occasion une prothèse non cimentée produite par la Société d'études, de recherches et de fabrication SERF (la société SERF).
Une radiographie de contrôle réalisée le 31 juillet 2014 a révélé une évolution favorable de la hanche gauche, ainsi qu'un dysplasie de la hanche droite, génératrice de coxalgies invalidantes, à raison de laquelle le docteur [W] a posé une indication opératoire d'arthroplastie totale de la hanche droite.
L'opération a été réalisée le 14 novembre 2014, avec mise en place d'une prothèse non cimentée standard Libra HA2 (taille 2) avec cotyle quartz et tête en alumine 28 col court, fournie par la société SERF.
La tête en alumine de la prothèse droite s'est brisée le 02 mai 2016, en l'absence de tout traumatisme de la hanche ou effort particulier documenté.
Les radiographies réalisées ont révélé une faillite de la bille fémorale en céramique, suite à laquelle le docteur [W] a pratiqué une reprise d'arthroplastie totale de hanche droite le 12 mai 2016.
Mme [F] est demeurée en centre de rééducation, sans appui autorisé, jusqu'au 14 juin 2016, puis s'est déplacée en fauteuil roulant ou avec l'aide de cannes anglaises jusqu'en fin d'année 2016.
Suite à un signalement effectué par le docteur [W] à l'agence nationale du médicament et des produits de santé, la société SERF a envoyé la prothèse rompue au laboratoire Filab pour analyse de la tête fémorale.
Ce laboratoire a conclu le 16 novembre 2016 à une rupture de type fragile en accord avec la nature céramique de la tête de prothèse, sans qu'aucun défaut matière de type porosité ou inclusion n'ait été décelé sur les faciès observés. Le laboratoire Filab a fait connaître pour le surplus que l'alumine composant la tête de prothèse présentait une pureté supérieure à 99,8% massique, conforme aux spécifications de la norme ISO 6474-1 2010(F).
La société SERF a également mandaté le Centre régional d'innovation et de transfert de technologie, qui a la taille de grain de l'alumine composant la tête rompue était conforme à celle d'une alumine de type A selon les spécifications de la norme ISO 6474-1 2010(F).
Mme [F] a fait citer le docteur [W], la société SERF et l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des infections nosocomiales et des affections iatrogènes devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Bobigny aux fins d'expertise judiciaire.
Par ordonnance 12 décembre 2018, ce magistrat a fait dorit à la demande, en commettant le docteur [K] [R] en qualité d'expert, avec mission d'usage.
L'expert a déposé son rapport le 30 décembre 2019, aux termes duquel il a conlu à l'absence de faute du docteur [W], ainsi qu'à une faillite incontestable du matériel par rupture de la tête céramique au niveau de l'arthroplasite droite, constitutive d'un accident médical non fautif.
L'expert a estimé les postes de préjudice de la manière suivante :
- D.F.T.T. : Du 02 mai 2016 au 14 juin 2016,
- D.F.T.P. : Du 15 juin 2016 au 31 décembre 2016 à 50%,
Du 1er janvier 2017 au 31 janvier 2017 à 25%,
Du 1er février 2017 au 12 mai 2017 à 10%,
- A.T.A.P. : Du 05 mai 2016 au 05 août 2016 et du 21 octobre 2016 au 01 janvier 2017
- consolidation : le 12 mai 2017,
- A.I.P.P. : 5%,
- préjudice esthétique : 1/7,
- souffrances endurées : 3.5/7,
- tierce personne temporaire : 7h/semaine du 02.05.2016 au 14.06.2016,
2h/jour du 15.06.2016 au 31.12.2016,
5h/semaine du 01.01.2017 au 31.01.2017.
Par acte d'huissier du 11 mai 2020, Mme [Z] [F] et sa mère [B] [F] ont fait citer la société SERF devant le tribunal judiciaire de Lyon, en présence de la caisse primaire d'assurance maladie du Tarn et de la société Mutuelle Viasanté, pour l'entendre condamner sur le fondement des articles 1245 et suivants du code civil à les indemniser de leurs préjudices.
Par jugement du 11 avril 2022, le tribunal judiciaire de Lyon a déboutées Mmes [F] de leurs demandes et condamné Mme [Z] [F] aux dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de l'avocat de la société SERF, ainsi qu'à payer la somme de 1.500 euros à ladite société, en indemnisation des frais irrépétibles du procès.
Le tribunal a essentiellement retenu que le bris de la tête fémorale de la prothèse ne suffisait à caractériser un défaut de ce produit au sens des articles 1245 et suivants du code civil, alors que sa conformité avait été certifiée par deux laboratoires différents sans qu'aucun élément ne soit apporté de nature à invalider leurs analyses convergentes.
Mmes [F] ont relevé appel de cette décision selon déclaration enregistrée le 17 août 2022.
La caisse primaire d'assurance maladie du Tarn et la société Mutuelle Viasanté n'ayant pas constitué ministère d'avocat, le greffe a invité les appelantes à leur signifier la déclaration d'appel selon avis du 26 septembre 2022.
Mmes [F] ont fait procéder à ces significations par actes de commissaires de justice des 30 septembre et 03 octobre 2022, remis à personnes habilitées.
Aux termes de leurs conclusions d'appelantes déposées le 06 novembre 2022 et signifiées les 08 et 16 novembre 2022 aux parties non comparantes, Mmes [F] demandent à la cour, au visa des articles 1245 à 1245-17 du code civil, de :
- juger leur appel recevable et bien fondé ;
- infirmer le jugement rendu le 11 avril 2022 par le tribunal judiciaire de Lyon en ce qu'il les a déboutées de leurs demandes et condamné Mme [Z] [F] aux frais irrépétibles et aux dépens ;
- juger que Mme [Z] [F] a droit à l'indemnisation de son entier préjudice à la suite l'accident médical du 02 mai 2016 sur le fondement des articles 1245 à 1245-17 du code civil;
- condamner le laboratoire SERF à prendre en charge l'intégralité de leurs préjudices ;
- débouter la société SERF de l'ensemble de ses prétentions ;
- condamner la société SERF à payer à Mme [Z] [F] les indemnités suivantes :
1.302 euros au titre des dépenses de santé,
13.031.20 euros au titre de l'aide humaine temporaire,
soit un total de 14.333,20 euros au titre des préjudices patrimoniaux,
4.855.50 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,
10.000 euros au titre des souffrances endurées,
8.500 euros au titre du déficit fonctionnel permanent,
2.000 euros au titre du préjudice esthétique permanent,
soit un total de 25.355,50 euros au titre des préjudices extra patrimoniaux,
4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance,
5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
les entiers dépens avec distraction au profit de Me Anne-Claire Masson, avocat, par application des articles 699 et suivants du code de procédure civile ;
- condamner la société SERF à payer à Mme [B] [F] la somme de 3.313,32 euros au titre de ses frais de déplacements, outre celle de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- ordonner la capitalisation des intérêts légaux à compter de l'assignation par application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil (1154 ancien) ;
- rendre l'arrêt à intervenir commun à la caisse primaire d'assurance maladie du Tarn et à la société Mutuelle Viasanté ;
- mentionner dans l'arrêt que, dans l'hypothèse où, à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par la présente décision, l'exécution forcée devra être réalisée par l'intermédiaire d'un huissier, le montant des sommes retenues par l'huissier en application du tarif des huissiers devra être supporté par le laboratoire SERF en sus de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions récapitulatives déposées le 06 février 2023, la société SERF demande à la cour de :
- la recevoir en ses conclusions et les dire bien fondées ;
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a jugé que Mme [F] ne démontrait pas la défectuosité de sa prothèse ;
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté Mmes [F] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de la société SERF ;
à titre subsidiaire :
- ramener l'indemnisation de Mme [F] à de plus justes mesures, sans excéder :
dépenses de santé actuelles 1.302 euros
assistance par tierce personne 6.118 euros
déficit fonctionnel temporaire 3.894 euros
souffrances endurées 8.000 euros
déficit fonctionnel permanent 8.500 euros
préjudice esthétique permanent 2.000 euros ;
- prendre acte que Mme [F] ne sollicite aucune somme au titre de sa perte de gains professionnels actuels ;
en tout état de cause :
- débouter Mme [F] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
- condamner Mme [F] à lui payer la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner Mme [F] aux entiers dépens dont distraction au profit de l'avocat constitué, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Il est renvoyé aux conclusions des parties ainsi qu'aux développements ci-après pour plus ample exposé des moyens venant à l'appui de leurs prétentions.
La caisse primaire d'assurance maladie du Tarn a écrit à la cour le 12 octobre 2022, pour demander que la société SERF soit condamnée à lui régler la somme de 13.786 euros correspondant à ses débours, ainsi qu'à lui régler l'indemnité forfaitaire prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale.
Mmes [F] ont justifié en pièce n° 6 des dépenses engagées par la société Mutuelle Viasanté.
Le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de l'instruction par ordonnance du 16 mai 2023 et l'affaire a été appelée à l'audience du 07 mai 2025, à laquelle la décision a été mise en délibéré au 02 octobre 2025. Le délibéré a été prorogé au 16 octobre 2025.
MOTIFS
Vu les articles 1245, 1245-3, 1245-8 et 1245-9 du code civil ;
Vu les articles 696, 699 et 700 du code de procédure civile ;
Mmes [F] soutiennent que la prothèse produite par le laboratoire SERF n'a pas offert la sécurité à laquelle elles pouvaient légitimement s'attendre au sens de l'article 1245-3 du code civil.
Elles rappellent que preuve de la défectuosité d'un produit peut résulter de présomptions, pourvu que ces présomptions soient graves, précises et concordantes.
Elles considèrent que de telles présomptions se trouvent réunies au cas d'espèce, en présence d'une indication opératoire licite, d'une opération réalisée dans les règles de l'art, permettant d'exclure les causes liées au frottement, et du délai anormalement court écoulé entre la pose de la prothèse et la rupture de la tête en alumine.
Elles estiment qu'en l'absence d'autre élément de nature à expliquer la rupture de la tête prothétique, il convient de retenir un défaut de sécurité du produit.
La société SERF réplique que la seule implication d'un produit dans la survenance d'un dommage ne suffit à établir son défaut au sens des articles 1245 et suivants du code civil, ni le lien de causalité entre ce défaut et le dommage.
Elle admet que la preuve de la défectuosité d'un produit puisse être rapportée par voie de présomptions, mais estime que de telles présomptions ne peuvent être retenues au cas d'espèce, en présence d'une tête prothétique parfaitement conforme aux normes en vigueur, dont les analyses ont révélé qu'elle ne souffrait d'aucun défaut constitutionnel de type porosité ou inclusion, ni d'aucune anomalie de pureté ou de grain, et dont le taux documenté de rupture était parfaitement conforme à la littérature.
Elle considère en conséquence que la prothèse litigieuse ne peut être qualifiée de défectueuse au sens des articles 1245 et suivants du code civil.
Sur ce :
En application de l'article 1386-1 ancien, devenu 1245 du code civil, le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime.
Aux termes de l'article 1386-4 ancien, devenu 1245-3 du code civil, un produit est défectueux au sens du présent chapitre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre.
Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.
Un produit ne peut être considéré comme défectueux par le seul fait qu'un autre, plus perfectionné, a été mis postérieurement en circulation.
Conformément à l'article 1386-9 ancien, devenu 1245-8 du code civil, le demandeur [à l'action en responsabilité du fait des produits défectueux] doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage.
En vertu de l'article 1386-10 ancien, devenu 1245-9 du code civil, le producteur peut être responsable du défaut alors même que le produit a été fabriqué dans le respect des règles de l'art ou de normes existantes ou qu'il a fait l'objet d'une autorisation administrative.
La preuve de la défectuosité du produit, exigée à l'article 1245-8 du code civil, peut être rapportée des présomptions, pourvu que celles-ci soient graves précises et concordantes.
De telles présomptions peuvent être retenues lorsque aucune cause plausible, autre que la défectuosité du produit, n'est susceptible d'expliquer la survenance du dommage.
Il n'est pas contesté en l'espèce que la prothèse litigieuse constitue un produit au sens de dispositions précitées et que la société SERF en est le producteur.
Les analyses en laboratoire de la tête en lumine rompue ont rélévé que sa composition ne souffrait pas de défaut constitutionnel de type porosité ou inclusion, que l'alumine présentait une pureté supérieure à 99,8% et que sa taille de grain était parfaitement normale, le matériau répondant aux spécifications de la norme ISO applicable.
Aux termes de l'article 1245-9 du code civil, cette dernière circonstance n'est pas de nature à exclure la responsabilité de la société SERF. Il n'en demeure pas moins qu'il n'existe aucun défaut documenté de la tête en alumine rompue et que les analyses en laboratoire tendent au contraire à démontrer la bonne qualité de sa réalisation.
Mmes [F] entendent faire la démonstration de la défectuosité de ce produit par voie de présomptions, en faisant valoir qu'aucune chute ni accident de nature à expliquer la rupture de la tête de prothèse n'est survenue en amont de celle-ci, que l'indication opératoire et l'arthroplastie ont été posée et réalisée dans les règles de l'art et que la rupture est intervenue 17 mois seulement ensuite de la pose.
Ces affirmations sont exactes.
Il n'existe aucune chute ou choc documenté de nature à expliquer la rupture de la prothèse, survenue alors que Mme [Z] [F] mettait la table pour dîner.
En outre, l'expert [R] indique que l'indication opératoire était parfaitement licite et que les actes et soins prodigués ont été attentifs, diligents et conformes aux données acquises de la science médicale. Aucun élément tiré de l'analyse de l'expert ne permet de mettre la rupture de la prothèse avec une faute, une erreur ou une maladresse dans la réalisation de l'arthroplastie.
Il est constant pour finir que la prothèse s'est rompue le 02 mai 2016 alors que l'arthroplastie date du 14 novembre 2014.
Ces circonstances ne suffisent cependant à exclure que la rupture de la tête prothétique puisse répondre à d'autres causes que sa défectuosité.
Il résulte en particulier du rapport d'expertise qu'ensuite de l'implantation de la prothèse droite, un phénomène de grincement est apparu qui est allé croissant jusqu'à la rupture. Il s'agit du phénomène de squeaking, dont Mme [Z] [F] a indiqué dans ses déclarations à l'expert, qu'il avait été évoqué en ces termes par le professeur [T], lors d'une consultation survenue fin 2016 en prélude au remplacement de la prothèse de hanche gauche (non litigieuse).
Mme [Z] [F] indique également que le professeur [T] lui a expliqué que la prothèse installée sur sa hanche gauche était en inadéquation avec sa corpulence. Or, la prothèse gauche est identique à celle installée à droite (cotyle quartz SERF, âme en alumine 47, lige définitive Libra standard SERF taille 2 et tête en alumine 28), la seule différence résidant dans la taille du col (moyen à gauche, court à droite).
Le rapport d'expertise témoigne enfin de ce que la corpulence de Mme [Z] [F] a augmenté entre 2014 et le 06 mars 2019, en passant de 74 kilogrammes à 83 kilogrammes.
Il ne saurait être exclu, en pareilles circonstances, que la rupture de type fragile de la tête prothétique ait été provoquée par des contraintes anormales, se manifestant par le phénomène de squeaking et engendrées par l'inadéquation entre la masse corporelle de Mme [Z] [F] (en augmentation sur la période comprise entre la pose de la prothèse et sa rupture) et la prothèse posée, dont M. [T] a estimé, selon les propos rapportés par l'appelante, qu'elle était inadaptée à sa corpulence.
Le fait qu'un phénomène de squeaking identique soit ensuite apparu à gauche et qu'il ait été utile de changer préventivement la prothèse correspondante va dans le même sens.
La cour retient en conséquence qu'il n'existe pas de présomptions suffisamment graves, précises et concordantes permettant d'attribuer la rupture de la tête prothétique à un défaut du produit.
Il s'ensuit que le jugement entrepris mérite confirmation.
La demande de condamnation pécuniaire formée par la caisse primaire d'assurance maladie ne peut être prise en compte, faute d'avoir été formulée dans des écritures respectant les règles de la postulation obligatoire devant la cour.
Mmes [F] succombent à l'instance d'appel et il convient de les condamner in solidum à en supporter les dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de la société Aguiraud-Nouvellet avocat postulant de la société SERF, sur son affirmation de droit.
L'équité commande enfin de condamner Mme [Z] [F] à payer à la société SERF la somme de 1.500 euros en indemnisation des frais irrépétibles du procès et de rejeter sa propre demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire prononcé en dernier ressort,
- Confirme le jugement prononcé le 11 avril 2022 entre les parties par le tribunal judiciaire de Lyon sous le numéro RG 20/3103 ;
Y ajoutant :
- Déclare le présent arrêt commun et opposable à la caisse primaire d'assurance maladie du Tarn et à la société Mutuelle Viasanté ;
- Dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande de condamnation pécunaire formée par la caisse d'assurance maladie du Tarn, celle-ci n'ayant pas été formulée par voie de conclusions d'avocat susceptible de saisir la cour ;
- Condamne Mme [Z] [F] et Mme [B] [F] in solidum aux dépens de l'instance d'appel, avec droit de recouvrement direct au profit de la société Aguiraud-Nouvellet avocat postulant de la société SERF, sur son affirmation de droit ;
- Condamne Mme [Z] [F] à payer à la société SERF la somme de 1.500 euros en indemnisation des frais irrépétibles générés par le procès d'appel ;
- Rejette la demande formée par Mmes [F] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE CONSEILLER POUR LE PRESIDENT EMPÊCHÉ
Décision du Tribunal Judiciaire de Lyon
Au fond du 11 avril 2022
(4ème chambre)
RG : 20/03103
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile A
ARRET DU 16 Octobre 2025
APPELANTES :
Mme [B] [F]
née le [Date naissance 1] 1948 à [Localité 14] (51)
[Adresse 6]
[Localité 7]
Représentée par Me Laurelenn FLANDRINCK, avocat au barreau de LYON, avocat postulant,toque : 3542
Et ayant pour avocat plaidant la SELARL CABINET REMY LE BONNOIS, avocat au barreau de PARIS, toque : L0299
Mme [Z] [F]
née le [Date naissance 2] 1979 à [Localité 16] (10)
[Adresse 5]
[Localité 11]
Représentée par Me Laurelenn FLANDRINCK, avocat au barreau de LYON, avocat postulant,toque : 3542
Et ayant pour avocat plaidant la SELARL CABINET REMY LE BONNOIS, avocat au barreau de PARIS, toque : L0299
INTIMEES :
SASU SOCIETE D'ETUDES DE RECHERCHES ET DE FABRICATION SERF
[Adresse 12]
[Localité 8]
Représentée par la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON, avocat postulant, toque:475
Et ayant pour avocat plaidant la SCP NORMAND & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0141
CPAM DU TARN
[Adresse 4]
[Localité 10]
Non constitué
Mutuelle VIASANTE
[Adresse 3]
[Localité 9]
Non constituée
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Date de clôture de l'instruction : 16 Mai 2023
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 07 Mai 2025
Date de mise à disposition : 2 octobre 2025 prorogée au 16 octobre 2025 les avocats dûment avisés conformément à l'article 450 dernier alinéa du code de procédure civile
Audience présidée par Julien SEITZ, magistrat rapporteur, sans opposition des parties dûment avisées, qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de Séverine POLANO, greffier.
Composition de la Cour lors du délibéré :
- Anne WYON, président
- Patricia GONZALEZ, président
- Julien SEITZ, conseiller
Arrêt Réputé contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties présentes ou représentées en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Julien SEITZ, conseiller pour le président emêché, et par Séverine POLANO, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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Madame [Z] [F] a été reçue en consultation le 28 janvier 2014 par le docteur [W] au sein de la clinique [15] d'[Localité 13] en raison de lombalgies basses des articulaires postérieures et de douleurs à la mobilisation forcée de la hanche gauche.
Une IRM du bassin réalisée le 18 février 2014 a mis en évidence une géode importante du toit de la cotyle de la hanche gauche avec une réaction 'démateuse périphérique témoignant d'une hyperpression locale.
Le docteur [W] a décidé le 24 avril 2014 de pratiquer une arthroplastie totale de hanche gauche avec couple de frottement en alumine. Il a pratiqué cette intervention le 22 mai 2014 et posé en cette occasion une prothèse non cimentée produite par la Société d'études, de recherches et de fabrication SERF (la société SERF).
Une radiographie de contrôle réalisée le 31 juillet 2014 a révélé une évolution favorable de la hanche gauche, ainsi qu'un dysplasie de la hanche droite, génératrice de coxalgies invalidantes, à raison de laquelle le docteur [W] a posé une indication opératoire d'arthroplastie totale de la hanche droite.
L'opération a été réalisée le 14 novembre 2014, avec mise en place d'une prothèse non cimentée standard Libra HA2 (taille 2) avec cotyle quartz et tête en alumine 28 col court, fournie par la société SERF.
La tête en alumine de la prothèse droite s'est brisée le 02 mai 2016, en l'absence de tout traumatisme de la hanche ou effort particulier documenté.
Les radiographies réalisées ont révélé une faillite de la bille fémorale en céramique, suite à laquelle le docteur [W] a pratiqué une reprise d'arthroplastie totale de hanche droite le 12 mai 2016.
Mme [F] est demeurée en centre de rééducation, sans appui autorisé, jusqu'au 14 juin 2016, puis s'est déplacée en fauteuil roulant ou avec l'aide de cannes anglaises jusqu'en fin d'année 2016.
Suite à un signalement effectué par le docteur [W] à l'agence nationale du médicament et des produits de santé, la société SERF a envoyé la prothèse rompue au laboratoire Filab pour analyse de la tête fémorale.
Ce laboratoire a conclu le 16 novembre 2016 à une rupture de type fragile en accord avec la nature céramique de la tête de prothèse, sans qu'aucun défaut matière de type porosité ou inclusion n'ait été décelé sur les faciès observés. Le laboratoire Filab a fait connaître pour le surplus que l'alumine composant la tête de prothèse présentait une pureté supérieure à 99,8% massique, conforme aux spécifications de la norme ISO 6474-1 2010(F).
La société SERF a également mandaté le Centre régional d'innovation et de transfert de technologie, qui a la taille de grain de l'alumine composant la tête rompue était conforme à celle d'une alumine de type A selon les spécifications de la norme ISO 6474-1 2010(F).
Mme [F] a fait citer le docteur [W], la société SERF et l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des infections nosocomiales et des affections iatrogènes devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Bobigny aux fins d'expertise judiciaire.
Par ordonnance 12 décembre 2018, ce magistrat a fait dorit à la demande, en commettant le docteur [K] [R] en qualité d'expert, avec mission d'usage.
L'expert a déposé son rapport le 30 décembre 2019, aux termes duquel il a conlu à l'absence de faute du docteur [W], ainsi qu'à une faillite incontestable du matériel par rupture de la tête céramique au niveau de l'arthroplasite droite, constitutive d'un accident médical non fautif.
L'expert a estimé les postes de préjudice de la manière suivante :
- D.F.T.T. : Du 02 mai 2016 au 14 juin 2016,
- D.F.T.P. : Du 15 juin 2016 au 31 décembre 2016 à 50%,
Du 1er janvier 2017 au 31 janvier 2017 à 25%,
Du 1er février 2017 au 12 mai 2017 à 10%,
- A.T.A.P. : Du 05 mai 2016 au 05 août 2016 et du 21 octobre 2016 au 01 janvier 2017
- consolidation : le 12 mai 2017,
- A.I.P.P. : 5%,
- préjudice esthétique : 1/7,
- souffrances endurées : 3.5/7,
- tierce personne temporaire : 7h/semaine du 02.05.2016 au 14.06.2016,
2h/jour du 15.06.2016 au 31.12.2016,
5h/semaine du 01.01.2017 au 31.01.2017.
Par acte d'huissier du 11 mai 2020, Mme [Z] [F] et sa mère [B] [F] ont fait citer la société SERF devant le tribunal judiciaire de Lyon, en présence de la caisse primaire d'assurance maladie du Tarn et de la société Mutuelle Viasanté, pour l'entendre condamner sur le fondement des articles 1245 et suivants du code civil à les indemniser de leurs préjudices.
Par jugement du 11 avril 2022, le tribunal judiciaire de Lyon a déboutées Mmes [F] de leurs demandes et condamné Mme [Z] [F] aux dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de l'avocat de la société SERF, ainsi qu'à payer la somme de 1.500 euros à ladite société, en indemnisation des frais irrépétibles du procès.
Le tribunal a essentiellement retenu que le bris de la tête fémorale de la prothèse ne suffisait à caractériser un défaut de ce produit au sens des articles 1245 et suivants du code civil, alors que sa conformité avait été certifiée par deux laboratoires différents sans qu'aucun élément ne soit apporté de nature à invalider leurs analyses convergentes.
Mmes [F] ont relevé appel de cette décision selon déclaration enregistrée le 17 août 2022.
La caisse primaire d'assurance maladie du Tarn et la société Mutuelle Viasanté n'ayant pas constitué ministère d'avocat, le greffe a invité les appelantes à leur signifier la déclaration d'appel selon avis du 26 septembre 2022.
Mmes [F] ont fait procéder à ces significations par actes de commissaires de justice des 30 septembre et 03 octobre 2022, remis à personnes habilitées.
Aux termes de leurs conclusions d'appelantes déposées le 06 novembre 2022 et signifiées les 08 et 16 novembre 2022 aux parties non comparantes, Mmes [F] demandent à la cour, au visa des articles 1245 à 1245-17 du code civil, de :
- juger leur appel recevable et bien fondé ;
- infirmer le jugement rendu le 11 avril 2022 par le tribunal judiciaire de Lyon en ce qu'il les a déboutées de leurs demandes et condamné Mme [Z] [F] aux frais irrépétibles et aux dépens ;
- juger que Mme [Z] [F] a droit à l'indemnisation de son entier préjudice à la suite l'accident médical du 02 mai 2016 sur le fondement des articles 1245 à 1245-17 du code civil;
- condamner le laboratoire SERF à prendre en charge l'intégralité de leurs préjudices ;
- débouter la société SERF de l'ensemble de ses prétentions ;
- condamner la société SERF à payer à Mme [Z] [F] les indemnités suivantes :
1.302 euros au titre des dépenses de santé,
13.031.20 euros au titre de l'aide humaine temporaire,
soit un total de 14.333,20 euros au titre des préjudices patrimoniaux,
4.855.50 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,
10.000 euros au titre des souffrances endurées,
8.500 euros au titre du déficit fonctionnel permanent,
2.000 euros au titre du préjudice esthétique permanent,
soit un total de 25.355,50 euros au titre des préjudices extra patrimoniaux,
4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance,
5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
les entiers dépens avec distraction au profit de Me Anne-Claire Masson, avocat, par application des articles 699 et suivants du code de procédure civile ;
- condamner la société SERF à payer à Mme [B] [F] la somme de 3.313,32 euros au titre de ses frais de déplacements, outre celle de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- ordonner la capitalisation des intérêts légaux à compter de l'assignation par application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil (1154 ancien) ;
- rendre l'arrêt à intervenir commun à la caisse primaire d'assurance maladie du Tarn et à la société Mutuelle Viasanté ;
- mentionner dans l'arrêt que, dans l'hypothèse où, à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par la présente décision, l'exécution forcée devra être réalisée par l'intermédiaire d'un huissier, le montant des sommes retenues par l'huissier en application du tarif des huissiers devra être supporté par le laboratoire SERF en sus de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions récapitulatives déposées le 06 février 2023, la société SERF demande à la cour de :
- la recevoir en ses conclusions et les dire bien fondées ;
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a jugé que Mme [F] ne démontrait pas la défectuosité de sa prothèse ;
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté Mmes [F] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de la société SERF ;
à titre subsidiaire :
- ramener l'indemnisation de Mme [F] à de plus justes mesures, sans excéder :
dépenses de santé actuelles 1.302 euros
assistance par tierce personne 6.118 euros
déficit fonctionnel temporaire 3.894 euros
souffrances endurées 8.000 euros
déficit fonctionnel permanent 8.500 euros
préjudice esthétique permanent 2.000 euros ;
- prendre acte que Mme [F] ne sollicite aucune somme au titre de sa perte de gains professionnels actuels ;
en tout état de cause :
- débouter Mme [F] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
- condamner Mme [F] à lui payer la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner Mme [F] aux entiers dépens dont distraction au profit de l'avocat constitué, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Il est renvoyé aux conclusions des parties ainsi qu'aux développements ci-après pour plus ample exposé des moyens venant à l'appui de leurs prétentions.
La caisse primaire d'assurance maladie du Tarn a écrit à la cour le 12 octobre 2022, pour demander que la société SERF soit condamnée à lui régler la somme de 13.786 euros correspondant à ses débours, ainsi qu'à lui régler l'indemnité forfaitaire prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale.
Mmes [F] ont justifié en pièce n° 6 des dépenses engagées par la société Mutuelle Viasanté.
Le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de l'instruction par ordonnance du 16 mai 2023 et l'affaire a été appelée à l'audience du 07 mai 2025, à laquelle la décision a été mise en délibéré au 02 octobre 2025. Le délibéré a été prorogé au 16 octobre 2025.
MOTIFS
Vu les articles 1245, 1245-3, 1245-8 et 1245-9 du code civil ;
Vu les articles 696, 699 et 700 du code de procédure civile ;
Mmes [F] soutiennent que la prothèse produite par le laboratoire SERF n'a pas offert la sécurité à laquelle elles pouvaient légitimement s'attendre au sens de l'article 1245-3 du code civil.
Elles rappellent que preuve de la défectuosité d'un produit peut résulter de présomptions, pourvu que ces présomptions soient graves, précises et concordantes.
Elles considèrent que de telles présomptions se trouvent réunies au cas d'espèce, en présence d'une indication opératoire licite, d'une opération réalisée dans les règles de l'art, permettant d'exclure les causes liées au frottement, et du délai anormalement court écoulé entre la pose de la prothèse et la rupture de la tête en alumine.
Elles estiment qu'en l'absence d'autre élément de nature à expliquer la rupture de la tête prothétique, il convient de retenir un défaut de sécurité du produit.
La société SERF réplique que la seule implication d'un produit dans la survenance d'un dommage ne suffit à établir son défaut au sens des articles 1245 et suivants du code civil, ni le lien de causalité entre ce défaut et le dommage.
Elle admet que la preuve de la défectuosité d'un produit puisse être rapportée par voie de présomptions, mais estime que de telles présomptions ne peuvent être retenues au cas d'espèce, en présence d'une tête prothétique parfaitement conforme aux normes en vigueur, dont les analyses ont révélé qu'elle ne souffrait d'aucun défaut constitutionnel de type porosité ou inclusion, ni d'aucune anomalie de pureté ou de grain, et dont le taux documenté de rupture était parfaitement conforme à la littérature.
Elle considère en conséquence que la prothèse litigieuse ne peut être qualifiée de défectueuse au sens des articles 1245 et suivants du code civil.
Sur ce :
En application de l'article 1386-1 ancien, devenu 1245 du code civil, le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime.
Aux termes de l'article 1386-4 ancien, devenu 1245-3 du code civil, un produit est défectueux au sens du présent chapitre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre.
Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.
Un produit ne peut être considéré comme défectueux par le seul fait qu'un autre, plus perfectionné, a été mis postérieurement en circulation.
Conformément à l'article 1386-9 ancien, devenu 1245-8 du code civil, le demandeur [à l'action en responsabilité du fait des produits défectueux] doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage.
En vertu de l'article 1386-10 ancien, devenu 1245-9 du code civil, le producteur peut être responsable du défaut alors même que le produit a été fabriqué dans le respect des règles de l'art ou de normes existantes ou qu'il a fait l'objet d'une autorisation administrative.
La preuve de la défectuosité du produit, exigée à l'article 1245-8 du code civil, peut être rapportée des présomptions, pourvu que celles-ci soient graves précises et concordantes.
De telles présomptions peuvent être retenues lorsque aucune cause plausible, autre que la défectuosité du produit, n'est susceptible d'expliquer la survenance du dommage.
Il n'est pas contesté en l'espèce que la prothèse litigieuse constitue un produit au sens de dispositions précitées et que la société SERF en est le producteur.
Les analyses en laboratoire de la tête en lumine rompue ont rélévé que sa composition ne souffrait pas de défaut constitutionnel de type porosité ou inclusion, que l'alumine présentait une pureté supérieure à 99,8% et que sa taille de grain était parfaitement normale, le matériau répondant aux spécifications de la norme ISO applicable.
Aux termes de l'article 1245-9 du code civil, cette dernière circonstance n'est pas de nature à exclure la responsabilité de la société SERF. Il n'en demeure pas moins qu'il n'existe aucun défaut documenté de la tête en alumine rompue et que les analyses en laboratoire tendent au contraire à démontrer la bonne qualité de sa réalisation.
Mmes [F] entendent faire la démonstration de la défectuosité de ce produit par voie de présomptions, en faisant valoir qu'aucune chute ni accident de nature à expliquer la rupture de la tête de prothèse n'est survenue en amont de celle-ci, que l'indication opératoire et l'arthroplastie ont été posée et réalisée dans les règles de l'art et que la rupture est intervenue 17 mois seulement ensuite de la pose.
Ces affirmations sont exactes.
Il n'existe aucune chute ou choc documenté de nature à expliquer la rupture de la prothèse, survenue alors que Mme [Z] [F] mettait la table pour dîner.
En outre, l'expert [R] indique que l'indication opératoire était parfaitement licite et que les actes et soins prodigués ont été attentifs, diligents et conformes aux données acquises de la science médicale. Aucun élément tiré de l'analyse de l'expert ne permet de mettre la rupture de la prothèse avec une faute, une erreur ou une maladresse dans la réalisation de l'arthroplastie.
Il est constant pour finir que la prothèse s'est rompue le 02 mai 2016 alors que l'arthroplastie date du 14 novembre 2014.
Ces circonstances ne suffisent cependant à exclure que la rupture de la tête prothétique puisse répondre à d'autres causes que sa défectuosité.
Il résulte en particulier du rapport d'expertise qu'ensuite de l'implantation de la prothèse droite, un phénomène de grincement est apparu qui est allé croissant jusqu'à la rupture. Il s'agit du phénomène de squeaking, dont Mme [Z] [F] a indiqué dans ses déclarations à l'expert, qu'il avait été évoqué en ces termes par le professeur [T], lors d'une consultation survenue fin 2016 en prélude au remplacement de la prothèse de hanche gauche (non litigieuse).
Mme [Z] [F] indique également que le professeur [T] lui a expliqué que la prothèse installée sur sa hanche gauche était en inadéquation avec sa corpulence. Or, la prothèse gauche est identique à celle installée à droite (cotyle quartz SERF, âme en alumine 47, lige définitive Libra standard SERF taille 2 et tête en alumine 28), la seule différence résidant dans la taille du col (moyen à gauche, court à droite).
Le rapport d'expertise témoigne enfin de ce que la corpulence de Mme [Z] [F] a augmenté entre 2014 et le 06 mars 2019, en passant de 74 kilogrammes à 83 kilogrammes.
Il ne saurait être exclu, en pareilles circonstances, que la rupture de type fragile de la tête prothétique ait été provoquée par des contraintes anormales, se manifestant par le phénomène de squeaking et engendrées par l'inadéquation entre la masse corporelle de Mme [Z] [F] (en augmentation sur la période comprise entre la pose de la prothèse et sa rupture) et la prothèse posée, dont M. [T] a estimé, selon les propos rapportés par l'appelante, qu'elle était inadaptée à sa corpulence.
Le fait qu'un phénomène de squeaking identique soit ensuite apparu à gauche et qu'il ait été utile de changer préventivement la prothèse correspondante va dans le même sens.
La cour retient en conséquence qu'il n'existe pas de présomptions suffisamment graves, précises et concordantes permettant d'attribuer la rupture de la tête prothétique à un défaut du produit.
Il s'ensuit que le jugement entrepris mérite confirmation.
La demande de condamnation pécuniaire formée par la caisse primaire d'assurance maladie ne peut être prise en compte, faute d'avoir été formulée dans des écritures respectant les règles de la postulation obligatoire devant la cour.
Mmes [F] succombent à l'instance d'appel et il convient de les condamner in solidum à en supporter les dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de la société Aguiraud-Nouvellet avocat postulant de la société SERF, sur son affirmation de droit.
L'équité commande enfin de condamner Mme [Z] [F] à payer à la société SERF la somme de 1.500 euros en indemnisation des frais irrépétibles du procès et de rejeter sa propre demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire prononcé en dernier ressort,
- Confirme le jugement prononcé le 11 avril 2022 entre les parties par le tribunal judiciaire de Lyon sous le numéro RG 20/3103 ;
Y ajoutant :
- Déclare le présent arrêt commun et opposable à la caisse primaire d'assurance maladie du Tarn et à la société Mutuelle Viasanté ;
- Dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande de condamnation pécunaire formée par la caisse d'assurance maladie du Tarn, celle-ci n'ayant pas été formulée par voie de conclusions d'avocat susceptible de saisir la cour ;
- Condamne Mme [Z] [F] et Mme [B] [F] in solidum aux dépens de l'instance d'appel, avec droit de recouvrement direct au profit de la société Aguiraud-Nouvellet avocat postulant de la société SERF, sur son affirmation de droit ;
- Condamne Mme [Z] [F] à payer à la société SERF la somme de 1.500 euros en indemnisation des frais irrépétibles générés par le procès d'appel ;
- Rejette la demande formée par Mmes [F] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE CONSEILLER POUR LE PRESIDENT EMPÊCHÉ