CA Paris, Pôle 1 - ch. 2, 16 octobre 2025, n° 25/00864
PARIS
Autre
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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 2
ARRÊT DU 16 OCTOBRE 2025
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 25/00864 - N° Portalis 35L7-V-B7J-CKT4R
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 24 Septembre 2024 -Président du TC de Paris - RG n° 2024029834
APPELANTE
S.A.S. EQUI PLUS, RCS de Meaux sous le n° 877 732 883, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151
Ayant pour avocat plaidant Me Armelle DE COULHAC-MAZERIEUX, avocat au barreau de PARIS, toque : E788
INTIMÉE
S.A. CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE ILE-DE-FRANCE, RCS de PARIS sous le n°382 900 942, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Michèle SOLA, avocat au barreau de PARIS, toque : A0133
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 septembre 2025, en audience publique, devant Laurent NAJEM, Conseiller, chargé du rapport, les avocats des parties ne s'y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre,
Michèle CHOPIN, Conseillère,
Laurent NAJEM, Conseiller,
Qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
EXPOSE DU LITIGE
Le 14 septembre 2019, la société Equi plus a ouvert auprès de la société Caisse d'épargne et de prévoyance d'Ile-de-France un compte courant sous le n° 90000 08 0146175 22.
Le 4 octobre 2019, la société Caisse d'épargne a, par acte sous seing privé, consenti à la société Equi plus un prêt n° 5812638 de 298.000 euros, remboursable en 102 mensualités au taux annuel contractuel de 1,55%, afin de financer l'acquisition d'un fonds de commerce.
Par un autre acte du même jour, Mme [N], dirigeante de la société Equi plus, s'est portée caution solidaire et indivisible de cette dernière envers la société Caisse d'épargne en garantie du remboursement dudit prêt, dans la limite de la somme de 387.400 euros.
Par acte sous seing privé du 30 juin 2020, la société Caisse d'épargne a consenti à la société Equi plus un prêt garanti par l'Etat dit « PGE » n° 5958371 d'un montant de 40.000 euros remboursable in fine le 1er juillet 2021 en une échéance de 40.099,96 euros.
Faisant valoir que le compte était resté débiteur, les échéances des prêts demeuraient impayées, malgré les mises en demeure, depuis octobre 2023, par acte du 24 mai 2024, la société Caisse d'épargne et de prévoyance d'Ile-de-France a fait assigner la société Equi plus devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris, aux fins de :
Recevoir la société Caisse d'épargne en ses demandes et l'y déclarer bien fondée.
En conséquence,
Condamner, par provision, la société Equi plus à payer à la société Caisse d'épargne, au titre du compte courant n°90000 08 0146175 22, la somme de 15.092,08 euros, outre les intérêts au taux contractuel de 12,60% à compter du 7 mars 2024, date de la mise en demeure ;
Condamner, par provision, la société Equi plus à payer à la société Caisse d'épargne, au titre du prêt n°5812638, la somme de 206.280,93 euros, outre les intérêts au taux contractuel de 1,55% majoré des pénalités de trois points, soit 4,55%, à compter du 7 mars 2024, date de la mise en demeure ;
Condamner, par provision, la société Equi plus à payer à la société Caisse d'épargne, au titre du prêt garanti par l'Etat, dit PGE n°5958371, la somme de 28.062,58 euros, outre les intérêts au taux contractuel de 0,73% majoré des pénalités de trois points, soit 3,73%, à compter du 7 mars 2024, date de la mise en demeure ;
Dire que les intérêts produits seront capitalisés chaque année pour produire à leur tour intérêts, conformément à l'article 1343-2 du code civil ;
Condamner la société Equi plus à payer à la société Caisse d'épargne la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
La condamner aux entiers dépens.
La société Equi plus n'a pas comparu.
Par ordonnance réputée contradictoire en date du 24 septembre 2024, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris, a :
Condamné la société Equi plus à payer à la société Caisse d'épargne, à titre de provision, les sommes de :
Au titre du compte courant n°90000 08 0146175 22 : 15.092,08 euros avec intérêts au taux contractuel de 12,60% à compter du 7 mars 2024, date de la mise en demeure ;
Au titre du prêt n°5812638 : 206.280,93 euros avec intérêts au taux contractuel de 1,55% majoré des pénalités de trois points, soit 4,55%, à compter du 7 mars 2024, date de la mise en demeure ;
Au titre du PGE n°0195958371 : 28.062,58 euros avec intérêts au taux contractuel de 0,73% majoré des pénalités de trois points, soit 3,73%, à compter du 7 mars 2024, date de la mise en demeure ;
Dit que les produits seront capitalisés chaque année pour produire à leur tour intérêts, conformément à l'article 1343-2 du code civil à compter du 24 mai 2024 ;
Condamné la société Equi plus à payer à la société Caisse d'épargne la somme de 1.000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamné en outre la société Equi plus aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 39,92 euros toutes taxes comprises dont 6,44 euros de taxe sur la valeur ajoutée ;
La présente décision est de droit exécutoire à titre provisoire en application de l'article 514 du code de procédure civile.
Par déclaration du 23 décembre 2024, la société Equi plus a interjeté appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 19 juin 2025, la société Equi plus demande à la cour, au visa de l'article 873 alinéa 2 du code de procédure civile, de :
Déclarer la société Equi plus recevable et bien fondée en son appel ;
Infirmer l'ordonnance de référé du président du tribunal de commerce de Paris du 24 septembre 2024 en ce qu'elle :
Condamne la société Equi plus à payer à la société Caisse d'épargne, à titre de provision, les sommes de :
Au titre du compte courant n°90000 08 0146175 22 : 15.092,08 euros avec intérêts au taux contractuel de 12,60% à compter du 7 mars 2024, date de la mise en demeure ;
Au titre du prêt n°5812638 : 206.280,93 euros avec intérêts au taux contractuel de 1,55% majoré des pénalités de trois points, soit 4,55%, à compter du 7 mars 2024, date de la mise en demeure ;
Au titre du PGE n°0195958371 : 28.062,58 euros avec intérêts au taux contractuel de 0,73% majoré des pénalités de trois points, soit 3,73%, à compter du 7 mars 2024, date de la mise en demeure ;
Dit que les produits seront capitalisés chaque année pour produire à leur tour intérêts, conformément à l'article 1343-2 du code civil à compter du 24 mai 2024 ;
Condamne la société Equi plus à payer à la société Caisse d'épargne la somme de 1.000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Equi plus aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 39,92 euros TTC dont 6,44 euros deTVA ;
Et, statuant de nouveau, en conséquence,
Statuer et dire n'y avoir lieu à référé ;
Débouter la société Caisse d'épargne de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
Condamner la société Caisse d'épargne à payer la somme de 4.000 euros à titre d'indemnité fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamner la société Caisse d'épargne aux entiers dépens d'instance, que Me Fromantin, avocat au Barreau de Paris, pourra recouvrer directement en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Elle allègue que la banque a financé l'intégralité de l'opération au moyen d'un prêt pour permettre l'acquisition d'un fonds de commerce sans exiger le moindre apport en fonds propres de sa part, ou de sa dirigeante, par avance en compte courant ; que cette dernière avait d'ailleurs indiqué qu'elle ne pouvait fournir un apport.
Elle soutient que cette position est d'autant plus critiquable que l'acte de cession fait apparaître la baisse significative du chiffre d'affaires et des résultats d'exploitation ; que le prévisionnel a été établi alors que le montant du prêt (et donc des échéances) n'était pas connu ; que les échéances dans le provisionnel sont inférieures à celles qui allaient être finalement fixées. Elle détaille les éléments des bilans et estime que le prêt octroyé était disproportionné au regard de ses capacités financières.
Elle considère que si le prêt ne lui avait pas été octroyé, elle n'aurait pas davantage souscrit un second prêt « PGE » et n'aurait pas généré un solde débiteur. Elle fait état d'une perte de chance de ne pas contracter les deux prêts, outre l'existence dudit solde. Elle fait valoir que l'ensemble de ces considérations appelle un débat de fond ; qu'il importe de voir statuer sur la responsabilité contractuelle et le manquement fautif à l'obligation de mise en garde. Elle s'estime fondée à soulever devant le juge des référés des contestations sérieuses excluant la compétence du juge des référés saisi du référé-provision.
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 17 avril 2025, la société Caisse d'épargne et de prévoyance d'Ile-de-France demande à la cour, au visa des articles 1103 et suivants, 1193, 1343-2, 1905 et suivants du code civil et 873 alinéa 2 du code de procédure civile, de :
Confirmer l'ordonnance de référé rendue le 24 septembre 2024 par le tribunal des activités économiques de Paris en toutes ses dispositions ;
Débouter la société Equi plus de ses demandes ;
Condamner la société Equi plus à payer à la société Caisse d'épargne la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La condamner aux entiers dépens et autoriser Me Sola à les recouvrer conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que le compte courant est débiteur depuis 2023 ; que le courrier recommandé du 7 mars 2024 est resté sans effet ; que l'appelante ne conteste pas le solde débiteur ou le taux d'intérêt.
Elle allègue que le prêt est également impayé depuis octobre 2023 ; que l'invitation à formuler une proposition de règlement amiable est restée sans effet ; que les sommes dues ne sont pas contestées ; qu'il en est de même pour le prêt PGE.
Elle fait valoir que les demandes de la société Equi plus se heurtent à des contestations sérieuses ; que si les demandes de paiement provisionnelles sont de la compétence du juge des référés, s'agissant de créances liquides et exigibles, celles concernant la responsabilité de la banque échappent aux pouvoirs du juge des référés ; que du propre aveu de l'appelante, ses allégations appellent un débat de fond.
Elle fait valoir que les demandes de l'appelante nécessitent que la cour examine le prévisionnel ayant été remis lors de l'octroi du prêt, étudie les bilans, se prononce sur la faisabilité du projet, apprécie le manquement allégué de la banque à un octroi abusif du crédit et son éventuelle faute et un lien de causalité notamment, toutes ses allégations et demandes se heurtant à des contestations sérieuses.
Elle fait valoir qu'en tout état de cause, le prêt était adapté puisqu'il a été payé pendant quatre ans ; que s'agissant du PGE, il n'est donné aucune explication sur l'absence de paiement. Elle soutient que la société Equi plus ne démontre pas que sa situation était compromise lors de la souscription de chacun des prêts ni d'un préjudice éventuel. Elle relève que l'appelante est toujours in bonis et soutient que les griefs ne sont pas établis avec l'évidence requise en référé.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 8 juillet 2025.
SUR CE,
En application de l'article 873 alinéa 2 du code de procédure civile, le juge des référés peut accorder une provision au créancier dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable.
Le montant de la provision en référé n'a d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la dette alléguée.
Une contestation sérieuse est caractérisée lorsque l'un des moyens de défense opposés aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.
En l'espèce, la Caisse d'épargne et de prévoyance d'Ile-de-France considère que les allégations de la société Equi plus appellent un débat de fond et se heurtent, ainsi que les demandes de l'appelante, à des contestations sérieuses.
Ce faisant, elle inverse la charge de la preuve. En effet, elle seule forme des demandes provisionnelles qui ne peuvent être accueillies, conformément aux dispositions de l'article 873 précité, qu'en l'absence de contestations sérieuses. Invoquer la nécessité d'un débat de fond s'agissant des allégations de la société Equi plus revient à reconnaître le caractère sérieux des contestations formées.
Le prêt de 298 000 euros afin de permettre l'acquisition de fonds de commerce correspondait à l'intégralité de l'opération, sans aucun apport personnel.
Dans un courriel du 25 avril 2019 (pièce 11 de l'appelante), la Caisse d'Epargne demandait pourtant : « En terme d'apport, auriez-vous une possibilité pour 50 ke ou 60 ke ' ». La dirigeante de la société Equi plus a répondu : « Concernant l'apport comme je vous avais dit, je n'en ai malheureusement pas (') », sans que la banque ne tire aucune conséquence de l'absence totale de fonds propres sur l'équilibre de l'opération qu'elle envisageait pourtant.
Le « prévisionnel » adressé par la présidente de la société Equi plus apparaît pour le moins succinct et approximatif (courriel du 18 juillet 2019 - pièce 13) : il fait état d'échéances mensuelles au titre du prêt de 3.500 euros. Or les échéances du prêt consenti sont de 3.854,62 euros : ce surcoût annihile le bénéfice envisagé par le prévisionnel qui n'était que de 4.240 euros sur une année. L'opération apparait déficitaire dès l'origine et le document prévisionnel est décorrélé de la réalité du prêt consenti.
Il résulte en outre de l'acte de cession du fonds de commerce qui finançait le prêt que la société Equi plus connaissait une baisse du chiffre d'affaires et des résultats d'exploitation entre 2018 et 2019 (point 7.2.3 - pièce 10 de l'appelante).
Le simple fait que les échéances du prêt aient été honorées pendant plusieurs années ou que la société Equi plus soit encore in bonis n'est pas suffisant pour écarter cette contestation, compte tenu de l'existence d'un débit en compte courant et d'un prêt PGE souscrit par ailleurs qui ont pu permettre à l'appelante d'honorer les échéances pendant un moment.
Les conditions de l'octroi du prêt, puis du prêt PGE et l'existence d'un découvert en compte courant qui résultent de la même opération initiale relative au financement de la cession du fonds de commerce constituent une contestation sérieuse : lorsque la banque ne respecte pas son devoir de mise en garde lors de l'octroi d'un prêt, l'emprunteur peut être indemnisé de la perte d'une chance de ne pas contracter. La question de la responsabilité alléguée de la banque doit être traitée par le juge du fond concomitamment avec celle relative aux sommes dues par l'appelante.
L'ordonnance entreprise sera infirmée en toutes ses dispositions.
Statuant de nouveau, il sera dit n'y avoir lieu à référé sur l'ensemble des demandes provisionnelles de la Caisse d'Epargne et de prévoyance d'Ile-de-France.
Partie perdante, elle sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel mais l'équité commande de laisser à la charge de chacune des parties ses frais irrépétibles pour les deux instances.
PAR CES MOTIFS
Infirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
Statuant de nouveau,
Dit n'y avoir lieu à référé sur l'ensemble des demandes provisionnelles de la société Caisse d'Epargne et de prévoyance d'Ile-de-France ;
Condamne la société Caisse d'Epargne et de prévoyance d'Ile-de-France aux dépens de première instance et d'appel, avec faculté de distraction au profit de l'avocat de la partie adverse conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
Rejette toute autre demande, y compris au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 2
ARRÊT DU 16 OCTOBRE 2025
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 25/00864 - N° Portalis 35L7-V-B7J-CKT4R
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 24 Septembre 2024 -Président du TC de Paris - RG n° 2024029834
APPELANTE
S.A.S. EQUI PLUS, RCS de Meaux sous le n° 877 732 883, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151
Ayant pour avocat plaidant Me Armelle DE COULHAC-MAZERIEUX, avocat au barreau de PARIS, toque : E788
INTIMÉE
S.A. CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE ILE-DE-FRANCE, RCS de PARIS sous le n°382 900 942, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Michèle SOLA, avocat au barreau de PARIS, toque : A0133
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 septembre 2025, en audience publique, devant Laurent NAJEM, Conseiller, chargé du rapport, les avocats des parties ne s'y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre,
Michèle CHOPIN, Conseillère,
Laurent NAJEM, Conseiller,
Qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
EXPOSE DU LITIGE
Le 14 septembre 2019, la société Equi plus a ouvert auprès de la société Caisse d'épargne et de prévoyance d'Ile-de-France un compte courant sous le n° 90000 08 0146175 22.
Le 4 octobre 2019, la société Caisse d'épargne a, par acte sous seing privé, consenti à la société Equi plus un prêt n° 5812638 de 298.000 euros, remboursable en 102 mensualités au taux annuel contractuel de 1,55%, afin de financer l'acquisition d'un fonds de commerce.
Par un autre acte du même jour, Mme [N], dirigeante de la société Equi plus, s'est portée caution solidaire et indivisible de cette dernière envers la société Caisse d'épargne en garantie du remboursement dudit prêt, dans la limite de la somme de 387.400 euros.
Par acte sous seing privé du 30 juin 2020, la société Caisse d'épargne a consenti à la société Equi plus un prêt garanti par l'Etat dit « PGE » n° 5958371 d'un montant de 40.000 euros remboursable in fine le 1er juillet 2021 en une échéance de 40.099,96 euros.
Faisant valoir que le compte était resté débiteur, les échéances des prêts demeuraient impayées, malgré les mises en demeure, depuis octobre 2023, par acte du 24 mai 2024, la société Caisse d'épargne et de prévoyance d'Ile-de-France a fait assigner la société Equi plus devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris, aux fins de :
Recevoir la société Caisse d'épargne en ses demandes et l'y déclarer bien fondée.
En conséquence,
Condamner, par provision, la société Equi plus à payer à la société Caisse d'épargne, au titre du compte courant n°90000 08 0146175 22, la somme de 15.092,08 euros, outre les intérêts au taux contractuel de 12,60% à compter du 7 mars 2024, date de la mise en demeure ;
Condamner, par provision, la société Equi plus à payer à la société Caisse d'épargne, au titre du prêt n°5812638, la somme de 206.280,93 euros, outre les intérêts au taux contractuel de 1,55% majoré des pénalités de trois points, soit 4,55%, à compter du 7 mars 2024, date de la mise en demeure ;
Condamner, par provision, la société Equi plus à payer à la société Caisse d'épargne, au titre du prêt garanti par l'Etat, dit PGE n°5958371, la somme de 28.062,58 euros, outre les intérêts au taux contractuel de 0,73% majoré des pénalités de trois points, soit 3,73%, à compter du 7 mars 2024, date de la mise en demeure ;
Dire que les intérêts produits seront capitalisés chaque année pour produire à leur tour intérêts, conformément à l'article 1343-2 du code civil ;
Condamner la société Equi plus à payer à la société Caisse d'épargne la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
La condamner aux entiers dépens.
La société Equi plus n'a pas comparu.
Par ordonnance réputée contradictoire en date du 24 septembre 2024, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris, a :
Condamné la société Equi plus à payer à la société Caisse d'épargne, à titre de provision, les sommes de :
Au titre du compte courant n°90000 08 0146175 22 : 15.092,08 euros avec intérêts au taux contractuel de 12,60% à compter du 7 mars 2024, date de la mise en demeure ;
Au titre du prêt n°5812638 : 206.280,93 euros avec intérêts au taux contractuel de 1,55% majoré des pénalités de trois points, soit 4,55%, à compter du 7 mars 2024, date de la mise en demeure ;
Au titre du PGE n°0195958371 : 28.062,58 euros avec intérêts au taux contractuel de 0,73% majoré des pénalités de trois points, soit 3,73%, à compter du 7 mars 2024, date de la mise en demeure ;
Dit que les produits seront capitalisés chaque année pour produire à leur tour intérêts, conformément à l'article 1343-2 du code civil à compter du 24 mai 2024 ;
Condamné la société Equi plus à payer à la société Caisse d'épargne la somme de 1.000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamné en outre la société Equi plus aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 39,92 euros toutes taxes comprises dont 6,44 euros de taxe sur la valeur ajoutée ;
La présente décision est de droit exécutoire à titre provisoire en application de l'article 514 du code de procédure civile.
Par déclaration du 23 décembre 2024, la société Equi plus a interjeté appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 19 juin 2025, la société Equi plus demande à la cour, au visa de l'article 873 alinéa 2 du code de procédure civile, de :
Déclarer la société Equi plus recevable et bien fondée en son appel ;
Infirmer l'ordonnance de référé du président du tribunal de commerce de Paris du 24 septembre 2024 en ce qu'elle :
Condamne la société Equi plus à payer à la société Caisse d'épargne, à titre de provision, les sommes de :
Au titre du compte courant n°90000 08 0146175 22 : 15.092,08 euros avec intérêts au taux contractuel de 12,60% à compter du 7 mars 2024, date de la mise en demeure ;
Au titre du prêt n°5812638 : 206.280,93 euros avec intérêts au taux contractuel de 1,55% majoré des pénalités de trois points, soit 4,55%, à compter du 7 mars 2024, date de la mise en demeure ;
Au titre du PGE n°0195958371 : 28.062,58 euros avec intérêts au taux contractuel de 0,73% majoré des pénalités de trois points, soit 3,73%, à compter du 7 mars 2024, date de la mise en demeure ;
Dit que les produits seront capitalisés chaque année pour produire à leur tour intérêts, conformément à l'article 1343-2 du code civil à compter du 24 mai 2024 ;
Condamne la société Equi plus à payer à la société Caisse d'épargne la somme de 1.000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Equi plus aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 39,92 euros TTC dont 6,44 euros deTVA ;
Et, statuant de nouveau, en conséquence,
Statuer et dire n'y avoir lieu à référé ;
Débouter la société Caisse d'épargne de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
Condamner la société Caisse d'épargne à payer la somme de 4.000 euros à titre d'indemnité fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamner la société Caisse d'épargne aux entiers dépens d'instance, que Me Fromantin, avocat au Barreau de Paris, pourra recouvrer directement en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Elle allègue que la banque a financé l'intégralité de l'opération au moyen d'un prêt pour permettre l'acquisition d'un fonds de commerce sans exiger le moindre apport en fonds propres de sa part, ou de sa dirigeante, par avance en compte courant ; que cette dernière avait d'ailleurs indiqué qu'elle ne pouvait fournir un apport.
Elle soutient que cette position est d'autant plus critiquable que l'acte de cession fait apparaître la baisse significative du chiffre d'affaires et des résultats d'exploitation ; que le prévisionnel a été établi alors que le montant du prêt (et donc des échéances) n'était pas connu ; que les échéances dans le provisionnel sont inférieures à celles qui allaient être finalement fixées. Elle détaille les éléments des bilans et estime que le prêt octroyé était disproportionné au regard de ses capacités financières.
Elle considère que si le prêt ne lui avait pas été octroyé, elle n'aurait pas davantage souscrit un second prêt « PGE » et n'aurait pas généré un solde débiteur. Elle fait état d'une perte de chance de ne pas contracter les deux prêts, outre l'existence dudit solde. Elle fait valoir que l'ensemble de ces considérations appelle un débat de fond ; qu'il importe de voir statuer sur la responsabilité contractuelle et le manquement fautif à l'obligation de mise en garde. Elle s'estime fondée à soulever devant le juge des référés des contestations sérieuses excluant la compétence du juge des référés saisi du référé-provision.
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 17 avril 2025, la société Caisse d'épargne et de prévoyance d'Ile-de-France demande à la cour, au visa des articles 1103 et suivants, 1193, 1343-2, 1905 et suivants du code civil et 873 alinéa 2 du code de procédure civile, de :
Confirmer l'ordonnance de référé rendue le 24 septembre 2024 par le tribunal des activités économiques de Paris en toutes ses dispositions ;
Débouter la société Equi plus de ses demandes ;
Condamner la société Equi plus à payer à la société Caisse d'épargne la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La condamner aux entiers dépens et autoriser Me Sola à les recouvrer conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que le compte courant est débiteur depuis 2023 ; que le courrier recommandé du 7 mars 2024 est resté sans effet ; que l'appelante ne conteste pas le solde débiteur ou le taux d'intérêt.
Elle allègue que le prêt est également impayé depuis octobre 2023 ; que l'invitation à formuler une proposition de règlement amiable est restée sans effet ; que les sommes dues ne sont pas contestées ; qu'il en est de même pour le prêt PGE.
Elle fait valoir que les demandes de la société Equi plus se heurtent à des contestations sérieuses ; que si les demandes de paiement provisionnelles sont de la compétence du juge des référés, s'agissant de créances liquides et exigibles, celles concernant la responsabilité de la banque échappent aux pouvoirs du juge des référés ; que du propre aveu de l'appelante, ses allégations appellent un débat de fond.
Elle fait valoir que les demandes de l'appelante nécessitent que la cour examine le prévisionnel ayant été remis lors de l'octroi du prêt, étudie les bilans, se prononce sur la faisabilité du projet, apprécie le manquement allégué de la banque à un octroi abusif du crédit et son éventuelle faute et un lien de causalité notamment, toutes ses allégations et demandes se heurtant à des contestations sérieuses.
Elle fait valoir qu'en tout état de cause, le prêt était adapté puisqu'il a été payé pendant quatre ans ; que s'agissant du PGE, il n'est donné aucune explication sur l'absence de paiement. Elle soutient que la société Equi plus ne démontre pas que sa situation était compromise lors de la souscription de chacun des prêts ni d'un préjudice éventuel. Elle relève que l'appelante est toujours in bonis et soutient que les griefs ne sont pas établis avec l'évidence requise en référé.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 8 juillet 2025.
SUR CE,
En application de l'article 873 alinéa 2 du code de procédure civile, le juge des référés peut accorder une provision au créancier dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable.
Le montant de la provision en référé n'a d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la dette alléguée.
Une contestation sérieuse est caractérisée lorsque l'un des moyens de défense opposés aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.
En l'espèce, la Caisse d'épargne et de prévoyance d'Ile-de-France considère que les allégations de la société Equi plus appellent un débat de fond et se heurtent, ainsi que les demandes de l'appelante, à des contestations sérieuses.
Ce faisant, elle inverse la charge de la preuve. En effet, elle seule forme des demandes provisionnelles qui ne peuvent être accueillies, conformément aux dispositions de l'article 873 précité, qu'en l'absence de contestations sérieuses. Invoquer la nécessité d'un débat de fond s'agissant des allégations de la société Equi plus revient à reconnaître le caractère sérieux des contestations formées.
Le prêt de 298 000 euros afin de permettre l'acquisition de fonds de commerce correspondait à l'intégralité de l'opération, sans aucun apport personnel.
Dans un courriel du 25 avril 2019 (pièce 11 de l'appelante), la Caisse d'Epargne demandait pourtant : « En terme d'apport, auriez-vous une possibilité pour 50 ke ou 60 ke ' ». La dirigeante de la société Equi plus a répondu : « Concernant l'apport comme je vous avais dit, je n'en ai malheureusement pas (') », sans que la banque ne tire aucune conséquence de l'absence totale de fonds propres sur l'équilibre de l'opération qu'elle envisageait pourtant.
Le « prévisionnel » adressé par la présidente de la société Equi plus apparaît pour le moins succinct et approximatif (courriel du 18 juillet 2019 - pièce 13) : il fait état d'échéances mensuelles au titre du prêt de 3.500 euros. Or les échéances du prêt consenti sont de 3.854,62 euros : ce surcoût annihile le bénéfice envisagé par le prévisionnel qui n'était que de 4.240 euros sur une année. L'opération apparait déficitaire dès l'origine et le document prévisionnel est décorrélé de la réalité du prêt consenti.
Il résulte en outre de l'acte de cession du fonds de commerce qui finançait le prêt que la société Equi plus connaissait une baisse du chiffre d'affaires et des résultats d'exploitation entre 2018 et 2019 (point 7.2.3 - pièce 10 de l'appelante).
Le simple fait que les échéances du prêt aient été honorées pendant plusieurs années ou que la société Equi plus soit encore in bonis n'est pas suffisant pour écarter cette contestation, compte tenu de l'existence d'un débit en compte courant et d'un prêt PGE souscrit par ailleurs qui ont pu permettre à l'appelante d'honorer les échéances pendant un moment.
Les conditions de l'octroi du prêt, puis du prêt PGE et l'existence d'un découvert en compte courant qui résultent de la même opération initiale relative au financement de la cession du fonds de commerce constituent une contestation sérieuse : lorsque la banque ne respecte pas son devoir de mise en garde lors de l'octroi d'un prêt, l'emprunteur peut être indemnisé de la perte d'une chance de ne pas contracter. La question de la responsabilité alléguée de la banque doit être traitée par le juge du fond concomitamment avec celle relative aux sommes dues par l'appelante.
L'ordonnance entreprise sera infirmée en toutes ses dispositions.
Statuant de nouveau, il sera dit n'y avoir lieu à référé sur l'ensemble des demandes provisionnelles de la Caisse d'Epargne et de prévoyance d'Ile-de-France.
Partie perdante, elle sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel mais l'équité commande de laisser à la charge de chacune des parties ses frais irrépétibles pour les deux instances.
PAR CES MOTIFS
Infirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
Statuant de nouveau,
Dit n'y avoir lieu à référé sur l'ensemble des demandes provisionnelles de la société Caisse d'Epargne et de prévoyance d'Ile-de-France ;
Condamne la société Caisse d'Epargne et de prévoyance d'Ile-de-France aux dépens de première instance et d'appel, avec faculté de distraction au profit de l'avocat de la partie adverse conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
Rejette toute autre demande, y compris au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE