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Décisions

CA Versailles, ch. com. 3-1, 16 octobre 2025, n° 23/06934

VERSAILLES

Autre

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CA Versailles n° 23/06934

16 octobre 2025

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 58E

Chambre commerciale 3-1

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 16 OCTOBRE 2025

N° RG 23/06934 - N° Portalis DBV3-V-B7H-WD2H

AFFAIRE :

S.A. UGC

...

C/

Société AIG EUROPE SA ...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 27 Septembre 2023 par le Tribunal de Commerce de Nanterre

N° chambre : 6

N° RG : 2020F01808

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Christophe DEBRAY

Me Asma MZE

TAE [Localité 7]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SEIZE OCTOBRE DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S.A. UGC - RCS [Localité 7] n° 562 038 182 - [Adresse 2]

S.A.S. UGC CINE CITE - RCS [Localité 7] n° 347 806 002 - [Adresse 1]

S.N.C. UGC CINE CITE ILE DE FRANCE - RCS [Localité 7] n° 395 251 440 - [Adresse 2]

S.A.S. SOCIETE DES CINEMAS DE L'OUEST - RCS [Localité 7] n° 823 795 372 - [Adresse 2]

S.A.S. LES ECRANS DE [Localité 8] - RCS [Localité 7] n° 430 179 549 - [Adresse 2]

Société UGC BELGIUM - [Adresse 4] (BELGIQUE)

Société FONCIERE IMAGE BELGIQUE - [Adresse 4] (BELGIQUE)

Société UGC VLAANDEREN - [Adresse 4] (BELGIQUE)

Représentées par Me Christophe DEBRAY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 et Me Jean-Marc GOLDNADEL, plaidant, avocat au barreau de Paris

APPELANTES

****************

Société AIG EUROPE SA - RCS [Localité 7] n° 838 136 463 - [Adresse 3] prise en sa succursale pour la France, située à [Adresse 6]

S.A. ALBINGIA - RCS [Localité 7] n° 429 369 309 - 109/111 [Adresse 9]

[Localité 5]

Représentées par Me Asma MZE de la SELARL LX PARIS- VERSAILLES-REIMS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 699 et Me Alexis VALENÇON de l'AARPI Kennedys, plaidant, avocat au barreau de Paris

INTIMEES

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 14 Mai 2025, Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, conseillère, ayant été entendue en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Présidente,

Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseillère,

Madame Bérangère MEURANT, Conseillère,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT

EXPOSE DU LITIGE

Le groupe UGC est un exploitant cinématographie ainsi qu'un producteur, distributeur et négociant de droits audiovisuels.

Le 22 décembre 2016, la société UGC, société holding contrôlant l'ensemble des filiales du groupe situées notamment en France et en Belgique, a souscrit auprès des sociétés AIG Europe (ci-après AIG) et Albingia, par l'intermédiaire de son courtier Filhet-Allard, trois polices d'assurance distinctes intitulées « Contrat d'assurance de dommages aux biens et pertes d'exploitation », prenant effet le 1er janvier 2017.

La société AIG est l'apériteur de ces polices d'assurance à hauteur de 65% et la société Albingia est co-assureur à hauteur de 35%.

Des mesures de restrictions et notamment de fermeture administrative des salles accueillant du public, incluant les salles de cinéma UGC, ont été prises par les gouvernements belge et français afin d'endiguer la propagation de la pandémie de Covid-19 :

- en France durant les périodes du 14 mars au 10 juillet 2020 puis du 29 octobre 2020 au 18 mai 2021 ;

- en Belgique durant les périodes du 13 mars au 1er juillet 2020 puis du 28 octobre 2020 au 9 juin 2021.

Par lettre du 26 juin 2020 adressée à la société AIG, la société UGC a procédé à une déclaration de sinistre au titre des trois polices souscrites et sollicité la garantie des pertes d'exploitation consécutives à la fermeture de ses salles de cinéma.

Par courrier du 6 juillet 2020, la société AIG a décliné sa garantie au motif que les pertes d'exploitation ne résultaient pas d'un dommage matériel garanti. Elle a maintenu son refus par courriers des 15 septembre et 27 octobre 2020.

Par lettre adressée à la société AIG le 25 novembre 2020, le conseil de la société UGC a mis en demeure la société AIG de lui verser la somme de 68.897.599 euros au titre des pertes d'exploitation subies par ses filiales en relation avec la crise sanitaire du Covid-19, en vain.

Par acte du 9 décembre 2020, la société UGC a fait assigner les sociétés AIG et Albingia devant le tribunal de commerce de Nanterre, aux fins notamment d'obtenir leur condamnation à garantir les sociétés du groupe UGC de leurs pertes d'exploitation et à leur verser à ce titre la somme globale de 91.432.496 euros. Ses filiales sont intervenues volontairement à l'instance par conclusions du 6 avril 2021.

Par jugement du 27 septembre 2023, le tribunal a :

- dit n'y avoir lieu d'examiner « les demandes de débouter les sociétés AIG et Albingia de leur exception de nullité et de leur fin de non-recevoir » ;

- débouté la société UGC et ses filiales de leurs demandes ;

- condamné in solidum la société UGC et ses filiales à payer aux sociétés AIG et Albingia la somme de 10.000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Le tribunal a considéré que le contrat litigieux est un contrat de gré à gré et non un contrat d'adhésion, de sorte qu'en cas d'ambiguïté de ses termes, il doit être interprété d'après la commune intention des parties, conformément à l'article 1188 du code civil. Il a ensuite relevé que la clause 6.4.1 au sein de laquelle est définie la garantie « pertes d'exploitation » n'est ni claire, ni précise, et a estimé qu'au regard de la commune intention des parties, la garantie « pertes d'exploitation » n'a vocation à jouer que lorsque la suspension ou l'arrêt de l'activité est consécutif à la réalisation d'un dommage matériel indemnisable. Il a par ailleurs estimé que la mention au sein des exclusions de garantie des pertes d'exploitation consécutives à certains dommages immatériels n'implique pas la garantie des pertes d'exploitation consécutives à des dommages immatériels dans leur totalité.

Par déclaration du 11 octobre 2023, la société UGC et ses filiales ont interjeté appel du jugement en chacune de ses dispositions sauf en ce qu'il a dit n'y avoir lieu d'examiner « les demandes de débouter les sociétés AIG et Albingia de leur exception de nullité et de leur fin de non-recevoir ».

Par dernières conclusions n°3 remises au greffe et notifiées par RPVA le 26 novembre 2024, elles demandent à la cour d'infirmer le jugement et, statuant à nouveau :

- de condamner les sociétés AIG et Albingia à payer, la première à hauteur de 65%, la seconde à hauteur de 35%, la somme globale de 106.206.105 euros, répartie entre les sept filiales selon des montants déterminés, conformément au rapport d'expertise [Z], les frais d'expertise garantis par la police d'assurance, d'un montant total de 565.971 euros et les intérêts au taux légal à compter de la signification de l'assignation et de juger que les intérêts seront capitalisés selon les termes de l'article 1343-2 du code civil ;

- à titre subsidiaire, de voir désigner tel expert qu'il plaira à la cour afin de procéder à l'estimation des pertes d'exploitations subies par elles en raison des évènements liés à la crise sanitaire dite de la Covid-19, notamment en ventilant les pertes d'exploitation par société pour chacune des polices d'assurance et en recueillant, si nécessaire, l'avis de tout technicien ou sachant de son choix et de juger que les honoraires de l'expert judiciaire seront avancés par les sociétés AIG et Albingia ;

- de déclarer irrecevable et mal fondée la demande de séquestre et en tout état de cause de débouter les sociétés AIG et Albingia de l'ensemble de leurs demandes ;

- de condamner les sociétés AIG et Albingia, la première à hauteur de 65%, la seconde à hauteur de 35%, à payer à la société UGC, en application de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 400.000 euros ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.

La société UGC et ses filiales sollicitent la garantie de leurs pertes d'exploitation sur le fondement des articles 2 et 6.4.1 des polices et soutiennent que la garantie « Perte de marge brute » dont elles demandent la mobilisation n'est pas subordonnée à l'existence d'un dommage matériel ni n'est l'objet d'aucune exclusion.

Elles font valoir que les trois polices souscrites, intitulées « Contrat d'assurance de dommages aux biens et pertes d'exploitation », sont des polices « Tous risques sauf » qui garantissent tous les dommages matériels consécutifs à un événement non exclu mais également toutes les pertes d'exploitation et les frais d'exploitation pour autant qu'ils résultent d'un évènement non exclu, qui est l'unique condition posée par les polices s'agissant de la couverture spécifique de la perte de marge brute prévue par l'article 6.4.1 ; que cette garantie n'est pas assortie de la condition supplémentaire d'un dommage matériel, contrairement à la garantie des frais supplémentaires d'exploitation ; qu'en outre les polices ne mentionnent pas d'exclusion des risques sanitaire et épidémique, de sorte que la garantie est acquise.

Elles considèrent que la clause litigieuse est exprimée dans des termes clairs et précis et qu'elle est parfaitement compréhensible ; qu'elle n'est pas ambigüe et ne nécessite aucune interprétation ; qu'elle n'est susceptible que d'un sens et qu'il n'existe aucune contradiction entre la clause relative à la perte de marge brute et la suivante qui institue une garantie des frais supplémentaires d'exploitation et couvre des pertes différentes ; que ces deux garanties sont distinctes et autonomes, de sorte qu'elles peuvent être soumises à des régimes différents sans qu'il n'existe d'incohérence ; que la disposition de l'article 6.4.1 garantissant la perte de marge brute constitue une phrase complète qui se suffit à elle-même.

Elles soulignent que l'exigence d'un dommage matériel pour couvrir la perte de marge brute ne figure ni dans la proposition d'assurance, ni dans l'objet du contrat, ni dans la clause pertes d'exploitation, ni dans le tableau des garanties, ni dans les avenants, ni dans la définition du sinistre ni dans les exclusions ; qu'il n'existe ainsi aucune base contractuelle permettant de retenir que les pertes d'exploitation ne sont couvertes qu'à la condition qu'elles résultent d'un dommage matériel ; que les polices ont pris soin d'exclure la couverture de plusieurs pertes d'exploitation particulières à défaut de dommage matériel, ce qui démontre que de telles pertes sont, par principe, couvertes.

Par dernières conclusions n°2 remises au greffe et notifiées par RPVA le 25 octobre 2024, les sociétés Albingia et AIG demandent à la cour :

- à titre principal, de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et de débouter la société UGC et ses filiales de l'ensemble de leurs demandes à leur encontre ;

- à titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour devait considérer que la perte de marge brute alléguée par la société UGC et ses filiales est garantie par l'article 6.4.1 des polices et, par conséquent, infirmer le jugement, de juger que la société UGC et ses filiales ne justifient pas le montant de la perte de marge brute alléguée et de les débouter de l'ensemble de leurs demandes à leur encontre ;

- à titre plus subsidiaire, si la cour les condamnait à garantir la perte de marge brute alléguée par la société UGC et ses filiales, d'ordonner l'application de l'article 9 des conditions générales des polices relatif à la mise en 'uvre d'une expertise amiable contradictoire et d'ordonner, en application des articles 8 des conditions particulières et 8.3 des conditions générales des polices, la communication par la société UGC et ses filiales à l'expert des pièces énumérées au dispositif (qui ne constituent pas une liste exhaustive) ;

- à titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire la cour les condamnait à garantir la perte de marge brute alléguée par la société UGC et ses filiales et refusait d'ordonner l'application de l'article 9 des conditions générales des polices relatif à la mise en 'uvre d'une expertise amiable contradictoire, d'ordonner une expertise judiciaire avec pour mission notamment d'évaluer les pertes de marge brute des filiales ventilées par établissement (cinéma) assuré, liées à la fermeture des salles de cinéma ordonnée par les gouvernements français et belge pour endiguer la crise sanitaire du Covid-19 ;

- en tout état de cause, en cas de condamnation à garantir, de prendre acte des réserves qu'elles formulent s'agissant du montant de l'indemnité sollicitée par la société UGC et ses filiales pour la période du 1er juillet 2021 au 28 février 2022, qui est expressément contesté, et de juger que le calcul de l'indemnité proposé par la société UGC et ses filiales est erroné ;

- d'ordonner le séquestre de toute indemnité éventuellement due entre les mains d'un tiers désigné conjointement par les parties ou à défaut par la cour ;

- d'ordonner que les éventuels intérêts au taux légal devront avoir pour point de départ la date de la décision à intervenir ;

- en toutes hypothèses, de débouter la société UGC et ses filiales de toutes demandes contraires au présent dispositif et de les condamner in solidum à leur payer la somme de 100.000 euros chacune en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Les sociétés AIG et Albingia soutiennent que les pertes d'exploitation alléguées, qui résultent de fermetures administratives prononcées en vue d'endiguer la propagation de l'épidémie de Covid-19, ne sont pas garanties dès lors qu'elles ne sont pas la conséquence d'un dommage matériel lui-même garanti comme l'exige l'article 6.4.1 des conditions particulières.

Elles font valoir que le premier paragraphe de l'article 6.4.1 présente une ambigüité tant intrinsèque qu'extrinsèque, qui rend nécessaire son interprétation ; que son ambiguïté intrinsèque résulte d'une erreur de ponctuation (point à la place d'une virgule) et d'une erreur de mise en forme (absence de retour à la ligne) sur lesquelles s'appuient la société UGC et ses filiales pour en déduire que seuls les frais supplémentaires d'exploitation devraient être consécutifs à un dommage matériel pour être garantis alors que la perte de marge brute et les frais supplémentaires d'exploitation, qui sont les deux composantes d'une seule et même garantie, sont soumis au même régime et doivent tous deux être consécutifs à un dommage matériel non exclu pour être indemnisés. Elles expliquent que les frais supplémentaires d'exploitation ne peuvent être vus comme faisant l'objet d'une garantie autonome alors même qu'ils visent à éviter ou limiter la perte de marge brute. Elles ajoutent que trois extensions de garanties prévues à l'article 6.4.1 ' « frais supplémentaires additionnels », « contraintes administratives » et « clients et fournisseurs » ' exigent pour leur mise en 'uvre un dommage matériel, de sorte que la couverture de la perte de marge brute est nécessairement soumise à cette même condition, le régime d'une extension de garantie ne pouvant être plus restrictif que celui de la garantie de base.

S'agissant de l'ambiguïté extrinsèque de l'article 6.4.1, les sociétés AIG et Albingia arguent que les autres clauses des polices, les attestations d'assurance et les avenants tendent à soumettre les pertes d'exploitation et les frais supplémentaires d'exploitation au même régime ; qu'ainsi, l'article 8.1 « Déclaration des sinistres » et l'article 6.4.2 « Détermination de l'indemnité » appréhendent conjointement la perte de marge brute et les frais supplémentaires d'exploitation ; que les attestations d'assurance, qui n'ont donné lieu à aucune protestation de l'assuré, précisent que sont garanties les pertes d'exploitation consécutives à un dommage matériel direct garanti ; que les avenants, qui font référence aux « pertes d'exploitation consécutives », renvoient de même à un dommage matériel.

Elles font valoir que, conformément aux articles 1188 et 1189 du code civil, l'article 6.4.1 doit être interprété en recherchant la commune intention des parties, sur la base des mêmes éléments que ceux ayant permis de caractériser l'ambiguïté de la clause, ce dont il se déduit que les parties n'ont pas eu l'intention de garantir les pertes d'exploitation non consécutives à des dommages matériels ; qu'en outre, en vertu de l'article 1190 du code civil, les conditions particulières, qui constituent des contrats de gré à gré, doivent être interprétées en faveur des assureurs, en tant que débiteurs de l'obligation de couverture et de règlement.

Elles écartent enfin les arguments des appelantes tirés de l'existence d'exclusions relatives aux pertes d'exploitation sans dommage matériel et de l'absence d'exclusion du risque pandémique ou de crise sanitaire en précisant que les polices sont de type « périls dénommés » et n'ont vocation à s'appliquer qu'aux risques énumérés, que les cinq exclusions invoquées sont en réalité des clauses standard contenues dans la plupart des contrats d'assurance, qui visent des risques ne rentrant pas, en tout état de cause, dans le champ de la garantie.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 19 décembre 2024.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit par l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE,

Sur la mobilisation de la garantie « Perte de marge brute »

L'article 1353 du code civil dispose que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. En application de ce texte, il appartient à l'assuré de démontrer que les conditions d'application de la garantie sont remplies, sachant que la charge de la preuve repose sur l'assureur lorsqu'il entend opposer à l'assuré une clause d'exclusion de garantie.

Selon l'article 1188 de ce code, « le contrat s'interprète d'après la commune intention des parties plutôt qu'en s'arrêtant au sens littéral de ses termes. Lorsque cette intention ne peut être décelée, le contrat s'interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation ».

L'article 1189 du même code dispose que « toutes les clauses d'un contrat s'interprètent les unes par rapport aux autres, en donnant à chacune le sens qui respecte la cohérence de l'acte tout entier » et selon l'article 1190, « dans le doute, le contrat de gré à gré s'interprète contre le créancier et en faveur du débiteur, et le contrat d'adhésion contre celui qui l'a proposé ».

Enfin, en vertu de l'article 1191 de ce code, « lorsqu'une clause est susceptible de deux sens, celui qui lui confère un effet l'emporte sur celui qui ne lui en fait produire aucun ».

En l'espèce, la société UGC a souscrit trois polices d'assurance intitulées « Contrat d'assurance de dommages aux biens et pertes d'exploitation », référencées auprès de la société AIG, sous les n°985871/0, 985871/1 et 985871/2 et auprès de la société Albingia, sous les n°IN1700655, IN1700638 et IN1700634.

Ces trois polices, qui ont pris effet le 1er janvier 2017, sont composées des mêmes conditions générales AIG et de conditions particulières, à en-tête du courtier Filhet-Allard, qui ne diffèrent que sur le montant des limites contractuelles de garantie et que sur les assurés et les établissements assurés.

L'article 2 des conditions particulières, intitulé « Objet du contrat », prévoit que :

« Le présent programme d'assurances a pour objet de garantir les BIENS ASSURES contre tous les DOMMAGES MATERIELS, DISPARITIONS, DESTRUCTIONS, ALTERATIONS d'origine accidentelle et consécutifs à un événement non exclu.

Sont également garantis :

- les FRAIS ET PERTES,

- les RESPONSABILITES,

- le RECOURS DES VOISINS ET DES TIERS,

- les PERTES D'EXPLOITATION et les FRAIS SUPPLEMENTAIRES D'EXPLOITATION,

- la PERTE DE LA VALEUR VENALE DU FONDS DE COMMERCE.

pour autant qu'ils résultent d'un événement non exclu. »

Il en ressort que le contrat a principalement pour objet de garantir les biens assurés contre les dommages matériels consécutifs à un événement non exclu et qu'accessoirement (« Sont également garantis »), il garantit notamment les pertes d'exploitation et les frais supplémentaires d'exploitation « pour autant qu'ils résultent d'un événement non exclu ».

Contrairement à ce qu'indique UGC, l'article 2 des conditions particulières n'a pas pour objet de préciser les conditions d'application de chacune des garanties, qui sont énoncées dans un chapitre 6 intitulé « Définitions », après qu'ont été explicités les biens assurés (chapitre 3), les biens exclus (chapitre 4) et les exclusions (chapitre 5).

Le tableau des capitaux assurés figurant en pages 11 et 12 des conditions particulières liste les événements garantis (dommages électriques, bris de machine, vol, détérioration, vandalisme, etc) qui figurent sous l'intitulé « Tous dommages aux biens » et mentionne pour chacun le montant garanti par sinistre et par événement. Ce tableau mentionne après les garanties « Dommages aux biens » les garanties « Pertes d'exploitation et frais supplémentaires d'exploitation ».

Les polices litigieuses ne sont pas des contrats « tous risques sauf » mais des contrats « à périls dénommés » contenant différentes garanties qui s'appliquent en cas de survenance de certains événements qui ont en commun de provoquer des dommages matériels, outre la garantie des pertes d'exploitation consécutives à ces dommages.

Le risque d'épidémie et/ou pandémie ne figure pas dans la liste des événements garantis et, s'agissant de polices « à périls dénommés », l'absence d'exclusion du risque pandémique ne signifie pas que les conséquences de la pandémie sont garanties.

En outre, comme il sera vu ci-après, la garantie « Pertes d'exploitation » comme la garantie « Frais supplémentaires d'exploitation » comportent des extensions de garantie, ce qui n'apparait pas compatible avec une police de type « tous risques sauf » couvrant l'ensemble des risques liés à l'activité de l'assuré sauf ceux qui sont expressément exclus.

La garantie des pertes d'exploitation est stipulée à l'article 6.4.1 dans la section relative aux « conséquences financières ».

L'article 6.4.1 « Pertes d'exploitation » est ainsi rédigé :

« Les assureurs garantissent à l'assuré le paiement d'une indemnité correspondant à la "perte d'exploitation" résultant pendant la période d'indemnisation :

- d'une perte de marge brute due à la baisse de chiffre d'affaires causée par l'interruption ou la réduction de l'activité de l'entreprise.

- de l'engagement de frais supplémentaires d'exploitation dans la limite de la marge brute ainsi épargnée qui sont la conséquence d'un dommage matériel non exclu.

Les "pertes d'exploitation" résultant d'une interruption totale ou partielle de l'activité des assurés, consécutives à un sinistre garanti survenu dans les locaux d'une ou des sociétés du Groupe bénéficiaires de la présente garantie, agissant en tant que fournisseur et/ou client, seront considérées comme des "pertes d'exploitation" résultant d'un dommage aux biens des assurés dans les locaux objets du contrat. »

La discussion porte sur l'articulation des deux tirets de l'article 6.4.1, la société UGC et ses filiales affirmant que la clause est claire tandis que les sociétés AIG et Albingia invoquent des erreurs de ponctuation et de mise en forme qui rendent la clause ambigüe et sujette à interprétation.

L'article 6.4.3 relatif aux « Frais supplémentaires d'exploitation » stipule :

« Les Frais Supplémentaires sont constitués de tous les frais exposés par les Assurés, ou pour leur compte, en vue d'éviter ou de limiter, durant la Période d'Indemnisation, la perte de Marge Brute énoncée ci-avant.

L'indemnité versée au titre des frais supplémentaires d'exploitation ne pourra être supérieure à l'indemnité pour perte de marge brute qui aurait été due aux Assurés s'ils n'avaient pas engagé les dits frais. »

Aux termes de l'article 8.1 « Déclaration des sinistres », l'assuré doit notamment, en cas de sinistre « prendre immédiatement toutes les mesures nécessaires pour en limiter l'importance, ('), réduire au minimum l'arrêt total ou partiel de l'entreprise ».

Les polices établissent ainsi un lien très étroit entre, d'une part, la perte de marge brute résultant de la baisse de chiffre d'affaires et, d'autre part, les frais supplémentaires d'exploitation que l'assuré aura engagés pour minimiser autant que possible la baisse du chiffre d'affaires et donc la perte de marge brute, ces frais d'exploitation n'étant « supplémentaires » que dans leur rapport avec la perte de marge brute.

Il ne ferait aucun sens que les deux composantes de la garantie « pertes d'exploitation » que sont la garantie de la perte de marge brute et la garantie des frais supplémentaires d'exploitation soient soumises à des régimes différents et que les conditions de mobilisation de la garantie des frais supplémentaires d'exploitation soient moins exigeantes que celles de la garantie de la perte de marge brute.

La ponctuation consistant à mettre un point à la fin du premier tiret de l'article 6.4.1 et l'absence de retour à la ligne à la fin du second tiret pour introduire la condition « qui sont la conséquence d'un dommage matériel non exclu » ne peuvent conduire à considérer d'emblée que, contrairement à la garantie des frais supplémentaires d'exploitation, la garantie de la perte de marge brute n'est pas soumise à la survenance préalable d'un dommage matériel.

Retenir le contraire en conditionnant la mise en 'uvre de la garantie de la perte de marge brute à la seule existence d'un événement non exclu, comme le soutiennent la société UGC et ses filiales, reviendrait à retirer tout aléa au risque de perte de marge brute dans la mesure où l'assureur devrait alors indemniser toute perte consécutive à la moindre baisse de chiffre d'affaires quelle qu'en soit la cause, l'article 6.4.1 visant à la fois l'interruption et la réduction de l'activité.

Il en résulte que la clause litigieuse n'est pas claire et nécessite d'être interprétée en recherchant la commune intention des parties, conformément à l'article 1188 précité du code civil, étant rappelé que les contrats litigieux étant des contrats de gré à gré souscrits par l'intermédiaire du courtier Filhet-Allard doivent, en application de l'article 1190 du code civil, s'interpréter en faveur de l'assureur en tant que débiteur de l'obligation de garantie.

Les étapes du processus de formation des contrats confirment que l'intention des parties était bien de garantir les pertes d'exploitation consécutives à un dommage matériel lui-même garanti.

Ainsi, la note de présentation du groupe UGC intitulée « Assurances dommages aux biens et pertes d'exploitation », adressée le 28 juin 2016 à la société AIG par le courtier Filhet-Allard, comporte une analyse des principaux risques auxquels sont exposés les établissements du groupe : il s'agit de risques susceptibles d'entraîner des dommages matériels. Les tableaux des événements garantis et des montants correspondants, établis par le courtier, visent les garanties « Dommages aux biens » et les garanties « Pertes d'exploitation et frais supplémentaires d'exploitation ».

La demande d'assurance a donc porté sur les seuls risques susceptibles d'entraîner des dommages matériels.

La proposition d'assurance communiquée le 8 juillet 2016 par la société AIG sur la base de la note de présentation du courtier mentionne que les « contrats d'assurance ont pour objet de couvrir les dommages matériels non exclus, d'origine soudaine et accidentelle, atteignant les seuls biens assurés par les présents contrats ainsi que :

- LES DOMMAGES MATERIELS d'origine soudaine et accidentelle quelle qu'en soit l'origine ou les conséquences causés directement ou indirectement aux biens assurés,

- LES RESPONSABILITES ENCOURUES PAR L'ASSURE,

- LES FRAIS ET PERTES DIVERS,

- LES CONSEQUENCES FINANCIERES ».

La société AIG a proposé au courtier mandaté par le groupe UGC une « assurance dommages aux biens et pertes d'exploitation » qui prévoit la couverture des dommages matériels survenant dans les locaux assurés ainsi que leurs « conséquences financières » dont les pertes d'exploitation et frais supplémentaires d'exploitation tels que repris dans les tableaux des capitaux assurés déjà évoqués.

L'offre de la société AIG a ainsi correspondu à la couverture de dommages matériels atteignant les seuls biens assurés.

Par ailleurs, les attestations d'assurance émises une fois les polices souscrites, précisent pour chacune des polices :

« Ce contrat prévoit que sont assurés les dommages matériels dus notamment :

- à l'Incendie, l'Explosion, la Foudre,

- à la Tempête, la Grêle, au Poids de la neige,

- aux Chocs de véhicule Terrestre,

- aux Chutes d'objets aériens et ondes de choc,

- aux Dégâts des eaux et au gel,

- aux Emeutes, Mouvements Populaires, Actes de Vandalisme, Attentats en France,

- au Vol,

- à un Bris de Machine,

- aux Catastrophes Naturelles,

- aux autres Evénements non dénommés sous réserve qu'ils ne soient pas formellement exclus,

les frais et pertes annexes (notamment perte de loyers, perte d'usage) ainsi que les Pertes d'Exploitation consécutives à un dommage matériel direct garanti, sauf le vol. » (souligné par la cour).

Les assurées n'ont donc pu se méprendre sur l'étendue de la garantie et sur le fait que les pertes d'exploitation subies n'étaient couvertes qu'à la condition d'être la conséquence d'un dommage matériel lui-même garanti.

Ainsi, l'intention des parties a bien été de soumettre la garantie de la perte de marge brute « due à la baisse de chiffre d'affaires causée par l'interruption ou la réduction de l'activité de l'entreprise » à la survenance d'un « dommage matériel non exclu », au même titre que la garantie des frais supplémentaires d'exploitation.

La cohérence d'ensemble des contrats plaide en faveur de la lecture de la clause litigieuse telle que préconisée par les assureurs, sans la dénaturer.

La cour a rappelé le lien très étroit établi par les différentes stipulations des polices entre la perte de marge brute résultant de la baisse de chiffre d'affaires et les frais supplémentaires d'exploitation.

Par ailleurs, l'article 6.4.1 prévoit des extensions de la garantie de base des pertes d'exploitation qui supposent toutes la survenance d'un dommage matériel :

- « Carences de fournisseurs (')

L'assureur garantit les pertes d'exploitation du fait d'une interruption totale ou partielle de son activité résultant d'un évènement non exclu atteignant les biens d'un fournisseur ('). » (souligné par la cour)

- « Contraintes administratives

Interruption ou réduction des activités de l'assuré, consécutives à la fermeture de tout ou partie de l'établissement assuré ou à l'interdiction d'y accéder, par suite d'une décision d'une autorité administrative prise à la suite de la survenance d'un dommage matériel non exclu dans les lieux où s'exerce l'assurance ou dans le voisinage. (') » (souligné par la cour)

- « Frais supplémentaires additionnels

Les frais supplémentaires additionnels exposés suite à la survenance d'un dommage matériel non exclu. Il s'agit :

- des frais engagés dans le but d'éviter ou de réduire la perte de chiffre d'affaires consécutive au sinistre, frais excédant ou non la perte de marge brute qui aurait été indemnisée par l'assureur sans la mise en 'uvre de frais, à l'exception toutefois des frais qui seront indemnisés au titre du paragraphe ci-avant.

- de tous autres frais permettant de reprendre, maintenir, poursuivre les activités de l'assuré. » (souligné par la cour)

Enfin les avenants des trois polices font référence, après les dommages directs, aux « pertes d'exploitation consécutives », ce dont il se déduit qu'elles ne peuvent être consécutives qu'à un dommage matériel.

Il résulte de tout ce qui précède que pour être indemnisées les pertes d'exploitation doivent être consécutives à un dommage matériel survenu à l'occasion d'un événement garanti.

Or la société UGC et ses filiales ne rapportent pas la preuve de la réalisation d'un dommage matériel survenu à l'occasion d'un des événements garantis par le contrat, qui serait à l'origine d'une perte d'exploitation, de sorte que la garantie « Perte de marge brute » sollicitée n'est pas mobilisable.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté les sociétés UGC de leurs demandes indemnitaires et de leur demande d'expertise, qui s'avère inopportune.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dispositions du jugement déféré relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile seront confirmées.

En application de l'article 696 du code de procédure civile, la société UGC et ses filiales, qui succombent, supporteront in solidum les dépens d'appel. Elles seront en outre condamnées in solidum à verser aux sociétés AIG et Albingia, ensemble, une indemnité de 25.000 euros au titre des frais irrépétibles que celles-ci ont exposés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, dans les limites de sa saisine,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions déférées à la cour ;

Y ajoutant,

Condamne in solidum la société UGC SA et les sociétés [Adresse 10], UGC Ciné cité Ile de France, Société des cinémas de l'ouest, Les écrans de [Localité 8], UGC Belgium, Foncière image Belgique et UGC Vlaanderen aux dépens d'appel ;

Condamne in solidum la société UGC SA et les sociétés [Adresse 10], UGC Ciné cité Ile de France, Société des cinémas de l'ouest, Les écrans de [Localité 8], UGC Belgium, Foncière image Belgique et UGC Vlaanderen à verser aux sociétés AIG Europe SA et Albingia, ensemble, la somme de 25.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la société UGC SA et les sociétés [Adresse 10], UGC Ciné cité Ile de France, Société des cinémas de l'ouest, Les écrans de [Localité 8], UGC Belgium, Foncière image Belgique et UGC Vlaanderen de leur demande de ce chef.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Présidente, et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier La Présidente

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