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Décisions

CA Douai, ch. 2 sect. 2, 16 octobre 2025, n° 25/00510

DOUAI

Autre

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CA Douai n° 25/00510

16 octobre 2025

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 2

ARRÊT DU 16/10/2025

****

N° de MINUTE :

N° RG 25/00510 - N° Portalis DBVT-V-B7J-V74V

Jugement (N° 2024004514) rendu le 20 janvier 2025 par le tribunal de commerce de Valenciennes

APPELANTE

SARL M Constructions, agissant poursuites et diligences de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège,

[Adresse 3]

[Adresse 3]

représentée par Me Catherine Camus-Demailly, avocat au barreau de Douai, avocat constitué,,assistée de Me Alain Reisenthe, avocat au barreau de Douai, avocat plaidant

INTIMÉS

Maître [X] [U], mandataire liquidateur, agissant en qualité de mandataire judiciaire de la SARL M Constructions,

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représenté par Me Vincent Speder, avocat constitué, substitué par Me Geoffrey Bajard, avocats au barreau de Valenciennes

Association Conges Intemperies BTP Caisse du Nord Ouest prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège.

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Emmanuel Masson, avocat au barreau de Lille, avocat plaidant

En présence du ministère public, représenté par M. Jean-Pascal Arlaux, avoct général, près la cour d'appel de Douai

DÉBATS à l'audience publique du 16 septembre 2025 tenue par Stéphanie Barbot magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marlène Tocco

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Stéphanie Barbot, présidente de chambre

Nadia Cordier, conseiller

Anne Soreau, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 16 octobre 2025 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Stéphanie Barbot, présidente et Marlène Tocco, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

OBSERVATIONS ÉCRITES DU MINISTÈRE PUBLIC :

cf avis du 24 juin 2025

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 8 juillet 2025

****

FAITS ET PROCEDURE

Le 23 août 2024, l'association Congés intempéries du BTP, caisse du Nord-Ouest (la caisse du BTP), se prétendant créancière de cotisations impayées, a assigné la société M Constructions en ouverture d'une procédure collective.

Par un jugement du 20 janvier 2025, rendu en l'absence de comparution de la société M Constructions, le tribunal de commerce de Valenciennes a notamment :

- mis la société M Constructions en redressement judiciaire ;

- fixé la date de cessation des paiements au 1er décembre 2024 ;

- désigné M. [U] en qualité de mandataire judiciaire ;

- ordonné l'emploi des dépens en frais privilégiés de redressement judiciaire

Le 28 janvier 2025, la société M Constructions a relevé appel de ce jugement.

Par une ordonnance du 3 avril 2025, le Premier président a suspendu l'exécution provisoire attachée au jugement entrepris.

PRETENTIONS DES PARTIES

' Par ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 17 mars 2025, la société M Constructions demande à la cour d'appel de :

* à titre principal :

- annuler le jugement entrepris ;

- statuant sur le fond par suite de l'effet dévolutif de l'appel ;

* à titre subsidiaire :

- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions [expressément listées dans le dispositif des conclusions, p. 17-18] ;

* dans l'un ou l'autre cas, statuant à nouveau ou par l'effet dévolutif de l'appel :

- juger qu'elle n'est pas en état de cessation des paiements ;

- juger qu'elle est in bonis ;

En conséquence,

- dire n'y avoir lieu à l'ouverture d'un redressement judiciaire ;

- rejeter les demandes de toutes les parties ;

- dire que chacune des parties conservera la charge de ses propres frais et dépens.

' Par ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 14 mai 2025, la caisse du BTP demande à la cour d'appel de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;

- condamner la société M Constructions au paiement d'une indemnité procédurale de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la même aux dépens.

' Par ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 19 mai 2025, M. [U], ès qualités, demande à la cour d'appel de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;

- rejeter l'ensemble des demandes de la société M Constructions ;

- condamner cette dernière au paiement d'une indemnité procédurale de 3 500 euros, ainsi qu'aux dépens.

' Dans son avis du 24 juin 2025, notifié aux parties le 26 juin suivant, le ministère public considère que :

- la demande d'annulation du jugement, formée par l'appelante, doit être rejetée ;

- et qu'il y a lieu de confirmer le jugement.

MOTIVATION

1°- Sur la demande d'annulation du jugement

La société M Constructions estime que le jugement encourt la nullité en raison du non-respect du principe du contradictoire et d'un vice de motivation concernant l'état de cessation des paiements.

Elle fait ainsi valoir que :

- si le jugement est motivé sur le passif exigible, tel n'est pas le cas s'agissant de l'actif disponible : sur ce point, le tribunal a, sans pièce comptable ou bancaire, arbitrairement jugé que l'actif disponible était nul. Ce faisant, il a violé le principe du contradictoire ;

- en outre, l'actif disponible n'ayant pas été déterminé, le tribunal ne pouvait en déduire l'existence de la cessation des paiements. Cela équivaut à un défaut de motivation justifiant l'annulation du jugement ;

- en vertu de l'effet dévolutif de l'appel, la cour d'appel doit statuer sur le fond du litige.

La caisse s'oppose à la demande d'annulation, objectant que :

- la procédure engagée contre la société M Constructions est régulière, cette dernière ayant pris connaissance des différentes dates d'audience et fait choix de ne pas comparaître ;

- le jugement ne souffre d'aucun défaut de motivation, les premiers juges s'étant fondés sur le rapport d'un juge enquêteur ayant conclu à l'état de cessation des paiements.

Le mandataire judiciaire estime, lui aussi, qu'il n'y a pas matière à annuler le jugement et qu'aucun manquement au principe du contradictoire n'est établi.

Le ministère public relève essentiellement que :

- le moyen tiré de « l'irrégularité de l'acte introductif d'instance » n'est pas sérieux, notamment en ce que le report de l'affaire à l'audience du 20 janvier 2025 était bien contradictoire ;

- l'appelante ne peut pas non plus se prévaloir du non-respect du contradictoire, dès lors qu'elle connaissait la date de renvoi et ne s'est pas présentée, volontairement, à l'audience de renvoi.

Réponse de la cour :

A titre liminaire, la cour d'appel précise qu'elle n'interprète pas les conclusions de la société M Constructions comme soulevant un moyen tenant à l'irrégularité de l'acte introductif d'instance, mais seulement comme contenant un premier moyen tenant à la violation du principe de la contradiction et un second tenant à un vice de motivation.

Aux termes de l'article 16, alinéas 1 et 2, du code de procédure civile :

Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.

Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations.

Ce texte institue le principe de la contradiction, duquel il résulte que les parties doivent avoir été mises à même de débattre contradictoirement des moyens invoqués et des preuves produites. Tout jugement rendu en méconnaissance de ce principe est entaché de nullité.

Par ailleurs, il résulte de la combinaison des articles 455 et 458 du même code que tout jugement doit être motivé, à peine de nullité.

En l'espèce, les critiques de l'appelante se concentrent exclusivement sur les motifs du jugement relatifs à l'actif disponible, qui sont les suivants :

[...] s'agissant de l'actif disponible, le tribunal n'est en possession d'aucune situation bancaire récente, de sorte que la SARL M Constructions ne justifie disposer d'aucun actif disponible.

En premier lieu, et ainsi que l'écrit elle-même l'appelante dans ses écritures, il ressort de cette motivation que le tribunal s'est prononcé sur l'actif disponible « sans pièce comptable/bancaire. » Dès lors qu'il ne s'est fondé sur aucune pièce qui n'aurait pas été préalablement soumise à la discussion contradictoire des parties, aucune violation du principe de la contradiction n'est donc caractérisée de ce point de vue.

Et à supposer même qu'il faille interpréter les conclusions de l'appelante comme signifiant que la méconnaissance du principe de la contradiction proviendrait également de ce qu'elle a vainement demandé aux premiers juges de renvoyer l'affaire, afin d'adresser des pièces et faire valoir sa défense, force est de rappeler que la Cour de cassation juge, de longue date, que la faculté d'accepter ou de refuser le renvoi d'une affaire fixée pour être plaidée, relève du pouvoir discrétionnaire du juge, dès lors que les parties ont été mises en mesure d'exercer leur droit à un débat oral (v. Par ex. : Ass. plén., 24 nov. 1989, n° 88-18188, Bull. n° 3 ; 2e Civ., 9 octobre 1991, n° 90-13998, publié ; 1re Civ., 10 mars 1998, n° 95-19473, publié). C'est dire que le juge n'est pas tenu de motiver le rejet d'une demande de renvoi lorsque les parties ont été régulièrement convoquées devant lui.

En l'espèce, il ressort des mentions du jugement entrepris et des pièces versées aux débats que :

- la société MC a été assignée en ouverture d'une procédure collective à l'audience du 14 octobre 2024, par un acte du 23 août 2024 non argué de nullité ;

- par un jugement du 14 octobre 2024, le tribunal a ordonné une mesure d'enquête avant dire droit. Ce jugement a été notifié à la débitrice par une lettre recommandée avec demande d'avis de réception et la débitrice a été convoquée à l'audience du 25 novembre 2024 pour qu'il soit statué sur la demande d'ouverture, sans que la société M Constructions remette en cause la régularité de cette convocation ;

- et lors de l'audience du 25 novembre 2024, la société M Constructions, comparant via M. [K], a demandé le renvoi de l'affaire, ce que le tribunal a accepté en la reportant à l'audience du 20 janvier 2025, tout en précisant qu'à cette date, l'affaire devrait être évoquée, plaidée et mise en délibéré.

Il en résulte que la société M Constructions a été régulièrement appelée à comparaître à l'audience du 20 janvier 2025 et, partant, mise en mesure de faire valoir sa défense devant les premiers juges, peu important qu'elle n'ait pas comparu à cette occasion. Aucune violation du principe de la contradiction ne peut donc être reprochée au tribunal, qui n'a fait qu'user de son pouvoir discrétionnaire en refusant la seconde demande de renvoi de la société débitrice reçue le 19 janvier 2025 (soit la veille de l'audience) et en décidant de retenir l'affaire à la date d'audience qu'ils avaient fixée.

En second lieu, la cour d'appel estime que le jugement entrepris contient une motivation suffisante sur le passif exigible - ce dont convient d'ailleurs l'appelante - comme sur l'actif disponible, même si, sur ce dernier point, les motifs sont entachés d'une erreur de droit quant à la charge de la preuve. Ce jugement n'encourt donc pas l'annulation pour défaut de motivation quant à l'état de cessation des paiements.

Il découle de tout ce qui précède que la demande d'annulation du jugement doit être rejetée.

2°- Sur la demande d'ouverture d'un redressement judiciaire

La société M Constructions réfute se trouver en état de cessation des paiements, en faisant valoir que :

- de nombreuses pièces, dont certaines émanant de son nouvel expert-comptable, démontrent qu'elle peut faire face « à son éventuel passif exigible » avec son actif disponible, que sa situation économique est saine et qu'elle a une activité soutenue ;

- les comptes bancaires au 31 décembre 2024 montrent une trésorerie confortable ;

- elle n'a pas de dettes fiscales, est à jour du paiement des salaires et des cotisations de l'Urssaf, n'a aucune dette envers une banque ou des fournisseurs ;

- s'agissant de la créance de la caisse, elle « apparaît davantage comme un problème technique de prélèvement qu'une dette impayable » (p. 8), en raison d'une difficulté rencontrée avec son ancien expert-comptable, alors qu'elle a les moyens de régler cette créance de la caisse (pp. 8 et 10). En effet, les déclarations sociales ont bien été adressées à ce créancier, mais « les mandats électroniques bloquent pour des raisons techniques qui sont toujours incomprises » et la caisse ne veut pas de chèque ;

- les relevés de compte de janvier et février 2025 qu'elle a produit montrent qu'elle a de la trésorerie ;

- il y a des erreurs dans les créances déclarées. Ainsi :

* la créance de la société Concept design développement (285 000 euros) correspond à un contrat signé avec une autre société (M Menuiserie), qui a la même dirigeante qu'elle (l'apelante) ;

* la créance de l'opticien « Devos Depret » correspond à un chantier au titre duquel elle, appelante, est créancière de ce client ;

* sur les litiges prud'homaux : il appartiendra à la juridiction de dire si des dommages et intérêts sont dus ou non aux salariés ;

* et la créance de la société Delwarde est contestée, car elle ne repose sur aucun devis ;

- elle n'a pas de dette à l'exception de celle de la caisse, pour laquelle « il y a discussion au moins sur les pénalités de retard et sur la manière avec laquelle la caisse n'a pas été capable de prélever avec les mandats de prélèvement qui lui ont été adressés » par son expert-comptable (p. 14) ;

- la caisse a certes tenté des mesures d'exécution pour être payée de sa créance, mais certains actes n'ont pu être utilement délivrés puisque « l'huissier de justice » n'a trouvé personne pour recevoir l'acte ;

- aujourd'hui, son expert-comptable et elle (l'appelante) « demandent toujours un décompte clair et intelligible de la caisse pour la créance en principal, des explications concernant les pénalités et leur mode de calcul et surtout un abattement des pénalités en question » (p. 15) ;

- elle « est aujourd'hui en demande de payer cette créance », mais ne peut le faire dans le cadre d'un redressement judiciaire ;

La caisse rétorque que l'état de cessation des paiements est démontré, pour les raisons suivantes :

- elle a obtenu contre l'appelante une ordonnance d'injonction de payer au titre de cotisations et majorations de retard, et, après signification de cette décision, elle a engagé des mesures d'exécution qui se sont révélées infructueuses ;

- l'assignation délivrée en première instance incluait de nouvelles cotisations devenues exigibles en plus de celles objet de cette ordonnance, et l'appelante était débitrice de 40 529 euros ;

- l'appelante ne semble plus contester sa créance ;

- à la date de ses conclusions [soit le 14 mai 2025], l'appelante n'a toujours pas payé les cotisations ;

- si les déclarations de salaires ont bien été déposées par l'expert-comptable de l'appelante, celle-ci n'a toutefois jamais procédé aux démarches pour activer le mode de prélèvement, c'est-à-dire le compte bancaire sur lequel devaient être prélevées les cotisations, ni n'a généré le mandat SEPA ;

- bien que l'exécution provisoire du jugement ait été arrêtée, l'appelante n'a pas procédé au paiement des cotisations, alors qu'elle soutient que sa situation financière le lui permet ;

- depuis l'échéance d'avril 2023, l'appelante n'a procédé à aucun paiement. L'échéancier qui lui avait été consenti en octobre 2024 n'a pas été respecté, aucun règlement n'ayant été effectué ;

- au 14 mai 2025, sa créance s'élève à 44 084,16 euros. Cette créance est exigible et l'appelante ne l'a pas payée, alors même qu'elle a été condamnée par une ordonnance d'injonction de payer aujourd'hui définitive ;

- le tribunal a également tenu compte de l'enquête qu'il avait diligentée pour ouvrir le redressement judiciaire.

M. [U], mandataire judiciaire, fait valoir que l'état de cessation des paiements est caractérisé, pour les raisons suivantes :

- l'appelante ne produit aucun élément comptable certifié. Elle n'a jamais déposé ses comptes au greffe du tribunal de commerce et ne produit pas de bilan ;

- s'agissant de l'actif disponible : le relevé de compte de janvier 2025 révèle une chute importante du solde créditeur, qui s'est poursuivie en février 2025. L'appelante n'actualisé pas sa situation dans la présente instance ;

- s'agissant du passif exigible : en ôtant une créance déclarée deux fois, le passif déclaré s'élève à 448 680,30 euros et apparaît ancien, notamment compte tenu de la créance de la caisse, les arriérés les plus anciens datant d'avril 2023 ;

- il est faux de prétendre que la créance de la société Concept design développement est détenue contre une autre société que l'appelante. La créance de la société Delwarde est exigible. La créance « Devos Desprets » n'est pas contestée dans son principe. Les autres créances ne sont pas contestées, certaines d'entre elles ayant d'ailleurs donné lieu à un titre exécutoire ;

- il existe un passif salarial, trois salariés s'estimant créanciers de l'appelante, notamment au titre de salaires non payés.

Le ministère public indique que :

- le solde créditeur du compte au 28 février 2025 (78 220 euros) ne permet pas de couvrir le montant du passif déclaré (448 680,30 euros) ;

- la cessation des paiements est une notion évolutive et l'appelante verse aux débats un relevé de compte non contemporain, ne permettant pas la comparaison entre l'actif disponible et le passif exigible à ce jour.

Réponse de la cour :

Aux termes de l'article L. 631-1, alinéa 1er, du code de commerce :

Il est institué une procédure de redressement judiciaire ouverte à tout débiteur [...] qui, dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible, est en cessation des paiements. Le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n'est pas en cessation des paiements.

L'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire est donc subordonnée à la démonstration de l'état de cessation des paiements du débiteur, qui implique la comparaison entre le passif exigible et l'actif disponible.

En cas d'appel d'un jugement ouvrant un redressement judiciaire, l'appréciation de l'état de cessation des paiements doit être effectuée à la date à laquelle la cour d'appel statue.

Le passif exigible comprend l'ensemble des dettes certaines, liquides et exigibles, soit, en principe, toutes les dettes échues au jour du jugement d'ouverture de la procédure collective. Il importe peu que la créance en cause ne soit pas couverte par un titre exécutoire, dès lors qu'elle n'est pas contestée (Com. 29 avr. 2014, n° 13-11156). Peu importe, également, qu'il s'agisse d'un passif exigible mais non exigé. Il doit cependant s'agir de dettes liquides, exigibles et certaines. Sont donc exclues les créances incertaines, telles les créances litigieuses dont le sort définitif est lié à une instance pendant devant un juge du fond ou résultant d'une décision susceptibles de recours (v. par ex. Com. 31 janvier 2017, n° 15-16396 ; Com. 22 nov. 2023, n° 22-19768).

Le seul fait qu'une créance soit contestée par le débiteur ne suffit pas à la rendre litigieuse et, partant, à l'exclure du passif exigible (Com. 22 nov. 2023, précité).

Quant à l'actif disponible, il s'entend en principe de l'actif utilisable ou réalisable immédiatement, auquel il est convenu d'assimiler celui qui est réalisable à très court terme. Selon la jurisprudence, les juges du fond peuvent déduire l'absence d'actif disponible notamment de l'échec des voies d'exécution pratiquées par un créancier contre le débiteur (v. par ex. : Com. 15 nov. 2005, n° 04-16904 ; Com. 14 mars 2018, n° 16-24775 ; Com. 16 janv. 2019, n° 17-18450, publié ; Com. 17 juin 2020, n° 19-10464), de la circonstance que le débiteur n'a lui-même invoqué, dans ses conclusions, aucun actif disponible pour faire face à son passif exigible (Com. 29 nov. 2005, préc. ; Com. 5 mai 2015, n° 14-13935 ; Com. 2 nov. 2016, n° 14-18352 ; Com. 14 mars 2018, n° 16-24775), ou encore que le débiteur s'est borné à contester l'absence d'actif disponible pour faire face à une dette ancienne, sans donner de précision sur la consistance de cet actif (Com., 29 sept. 2021, n° 20-10105).

Au plan probatoire, c'est au demandeur à l'ouverture de la procédure collective qu'il appartient de démontrer la cessation des paiements, dans ses deux composantes que sont le passif exigible et l'actif disponible, et non au débiteur, contrairement à ce qu'il résulte des motifs du jugement entrepris relatifs à l'actif disponible.

En l'espèce, concernant, en premier lieu, l'actif disponible, l'attestation de l'expert-comptable de la société M Constructions est inopérante, dès lors qu'elle se borne à faire état du résultat d'exploitation de la société, de surcroît du résultat seulement prévisible à l'exercice clos au 31 décembre 2024, soit il y a plus de dix mois à la date du présent arrêt.

En cause d'appel, la société M Constructions communique quelques relevés de son compte bancaire ouvert dans les livres de la société Crédit mutuel, mais, tel que le fait observer le ministère public, aucun n'est contemporain, si ce n'est de la date de prononcé du présent arrêt, à tout le moins de la clôture de la procédure, intervenue le 8 juillet 2025.

De plus, ainsi que le relève à juste titre le mandataire judiciaire, ces relevés de compte établissent la dégradation de la trésorerie de la société appelante par l'évolution du solde créditeur, qui se présentait comme suit :

- au 31 décembre 2024 : + 218 537,02 euros (pièce n° 8 de l'appelante)

- au 31 janvier 2025 : + 74 049,01 euros (pièce n° 15).

Même en tenant compte de la pièce n° 20 de l'appelante, supposée représenter le solde de ce même compte au 28 février 2025, ce solde s'élevait à 78 229,52 euros.

Faute de production de pièce plus récente que celle-ci, la cour d'appel en déduit que ce solde n'a pas évolué entre cette date et celle à laquelle elle statue.

En second lieu, s'agissant du passif exigible, le mandataire judiciaire indique qu'il s'élève à la somme totale de 448 680,30 euros, déduction faite une double déclaration (v. p. 9 de ses conclusions).

La société M Constructions conteste une partie de ce passif.

Cependant, il doit, d'abord, être tenu compte de toutes les dettes déclarées et non contestées par la société M Constructions, que ce soit dans leur principe, dans leur montant ou concernant leur exigibilité, soit les créances suivantes :

- M. [Z] et Mme [V] : 6 482,39 euros au titre de travaux inachevés depuis février 2024 ;

- DGFIP : 246 euros pour une redevance d'échafaudage sur la période du 10 au 16 avril 2024 ;

- Mme [D] : 10 091,25 euros, pour des travaux débutés en août 2024 et non terminés ;

- Agirc Arrco : 9 288 euros sur l'ensemble de l'année 2024 ;

- société Salti : 492 euros pour une facture de mars 2024 ;

- M. [G] et Mme [W] [Y] : 8 163,94 euros, concernant des travaux commencés en mars 2024 et inachevés ;

- société Chapes fluides HDF : 11 340,73 euros au titre de prestations de sous-traitance impayées facturées en avril 2024. Au demeurant, le mandataire judiciaire démontre que cette somme est couverte par un titre exécutoire : une ordonnance d'injonction de payer du 2 octobre 2024, régulièrement notifiée, et dont il est établi qu'elle n'a pas fait l'objet d'une opposition par l'appelante ;

- société PV-CP City : 3 815,60 euros, pour des frais de logement lors d'un chantier d'octobre 2024 ;

- société Aux Carreaux de Max : 3 168,47 euros. Au surplus, le mandataire judiciaire prouve que cette somme résulte d'un titre exécutoire, en l'occurrence une ordonnance d'injonction de payer du 24 décembre 2024, dont l'appelante ne soutient pas qu'elle l'aurait frappée d'opposition ;

- société Ibis [Localité 4] : 2 253 euros pour des locations ponctuelles de salles durant l'année 2024 ;

- société Elec 75 : 1 500 euros, au titre de prestations de travaux facturés le 17 octobre 2024 ;

- société Astradec : 1 226,42 euros pour des prestations effectuées à compter de mai 2024 ;

soit un total de créance non contestées de 58 067,80 euros, à inclure dans le passif exigible.

Ensuite, la créance déclarée par la société Concept design développement, contestée par la société M Constructions, correspond au remboursement d'acomptes versés par ce créancier au titre de divers devis, sans que les travaux soient réalisés. L'appelante reconnaît que le chantier correspondant est « bloqué » (p. 13 de ses conclusions).

La cour d'appel déduit des conclusions de l'appelante que sa contestation de cette créance repose sur la thèse selon laquelle la débitrice serait une autre société (M Menuiserie).

Or, il ressort des pièces produites par le mandataire judiciaire que ce créancier, à l'appui de sa déclaration de créance, a notamment joint un devis du janvier 2024 (n° D202400203) établi à l'entête de la société M Constructions, comportant son cachet et sa signature, ayant pour objet la fourniture et la pose d'éléments de menuiserie, pour un montant de 68 629 euros, et prévoyant le versement d'un compte de 40 %, soit 27 451,86 euros.

Ainsi, abstraction faite des devis établis à l'entête de la société M Menuiserie, ces seuls éléments démontrent incontestablement que la société M Construction est au moins débitrice de la société Concept design développement à concurrence de cet acompte de 27 451,86 euros. Celui-ci doit donc être pris en considération dans le passif exigible.

Enfin, s'agissant de la créance de la caisse, elle représente la somme totale de 44 084,16 euros au 14 mai 2025. Selon le décompte produit en pièce n° 12 de la Caisse, ce montant englobe des cotisations impayés échues entre le 30 avril 2023 pour les plus anciennes et le 31 janvier 2025 pour les dernières, ainsi que des frais et majorations de retard.

La société M Constructions conteste également cette créance, mais ses motifs de contestation sont empreints d'ambiguïté, puisqu'elle semble successivement reconnaître sa dette à ce titre, la contester partiellement, puis la remettre totalement en cause, avant de se déclarer « en demande » de la payer. Ainsi, elle soutient :

- en page 8, que « la créance apparaît davantage comme un problème technique de prélèvement qu'une dette impayable » ;

- en page 14, qu' « elle n'a pas de dettes sauf sur la question de la caisse [...] pour laquelle il y a discussion au moins sur les pénalités de retard et sur la manière avec laquelle la caisse n'a pas été capable de prélever avec les mandats de prélèvement qui lui ont été adressés par [son] expert-comptable » ;

- puis en page 15, qu'elle demande « toujours un décompte clair et intelligible de la caisse pour la créance en principal, des explications concernant les pénalités et leur mode de calcul, et surtout un abattement des pénalités en question ». Et dans le paragraphe suivant : « L'entreprise est aujourd'hui en demande de payer cette créance mais elle ne peut pas le faire dans le cadre d'une redressement judiciaire.»

Force est de constater que depuis le mois d'avril 2023 et jusqu'à ce jour, l'appelante n'a procédé à aucun paiement de cette créance, fût-il partiel, cependant que, d'une part, dans une lettre du 27 septembre 2023 adressée à la caisse, elle avait indiqué ne pas contester sa dette et avancé des difficultés de trésorerie pour justifier cet impayé. D'autre part, elle a recouvré la libre disposition de ses biens depuis l'arrêt de l'exécution provisoire ordonné en appel le 3 avril 2025. Dès lors, si la société M Contructions dit vrai en affirmant être actuellement solvable, et donc en mesure d'honorer cette dette, rien ne fait plus obstacle, depuis le 3 avril 2025, à ce qu'elle prenne l'initiative d'un paiement, même partiel, de sa dette.

En outre, la caisse, qui reconnaît que la société M Constructions a effectué les déclarations exigées, justifie de ce que cette société n'a cependant pas finalisé les démarches propres à activer le mode de prélèvement, puisqu'elle a omis de préciser le compte bancaire sur lequel devaient être prélevées les cotisations - élément factuel que l'appelante ne dément d'ailleurs pas.

L'appelante est donc mal venue d'imputer indirectement à la caisse la responsabilité du non-paiement des cotisations.

Selon le décompte clair et précis établi par la caisse au 14 mai 2025, sa créance inclut :

- en principal : 37 119 euros au titre des cotisations échues entre avril 2023 et janvier 2025 ;

- des frais de greffe et d'acte : 752,64 euros ;

- et des majorations de retard, appliquées sur chaque des échéances impayées, entre avril 2023 et janvier 2025 : 6 212,52 euros.

Même en excluant les frais et majorations de retard, compte tenu de la contestation soulevée par l'appelante, ce principal est incontestablement dû par la société M Constructions, dont la contestation n'est, sur ce point, manifestement pas sérieuse en l'état d'un décompte précis et explicite.

Il convient donc de considérer que la créance, exigible, de la caisse s'élève a minima à la somme de 37 119 euros au titre des seules cotisations impayées, ce qui doit être inclus dans le passif exigible.

En tout état de cause, une partie de la créance de la caisse est d'autant moins contestable qu'elle se fonde sur une ordonnance d'injonction de payer du 9 octobre 2023, revêtue de la force de chose jugée, pour n'avoir pas été frappée d'opposition après sa signification à la société M Constructions. Cette partie de créance objectivement incontestable représente, selon les termes mêmes de l'ordonnance, les sommes de 4 987 euros en principal et 314,35 euros d'intérêts, soit un total de 15 301,35 euros.

En conclusion, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres créances contestées par la société M Constructions, il résulte de tout ce qui précède qu'au jour où la cour d'appel statue, l'actif disponible de cette société est insuffisant pour lui permettre de faire face à son passif exigible, et ce que l'on inclue la créance de la caisse à concurrence de la somme de 37 119 euros ou 15 301,35 euros.

L'état de cessation des paiements est donc caractérisé, et ce au moins depuis le 1er décembre 2024, date retenue par les premiers juges.

Le jugement entrepris mérite, dès lors, confirmation en toutes ses dispositions.

La succombance de l'appelante justifie sa condamnation aux dépens.

Les demandes d'indemnité de procédure respectivement formées par les parties seront, en revanche, rejetées.

PAR CES MOTIFS

- REJETTE la demande d'annulation du jugement entrepris formée par la société M Constructions ;

- CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;

Y ajoutant,

- CONDAMNE la société M Constructions aux dépens d'appel ;

- Vu l'article 700 du code de procédure civile, REJETTE les demandes.

Le greffier

Marlène Tocco

La présidente

Stéphanie Barbot

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