CA Saint-Denis de la Réunion, ch. civ. tgi, 17 octobre 2025, n° 23/00539
SAINT-DENIS DE LA RÉUNION
Autre
Autre
ARRÊT N° 25/
PF
R.G : N° RG 23/00539 - N° Portalis DBWB-V-B7H-F4SM
Société CASUALTY & GENERAL INSURANCE COMPANY EUROPE LIMITE D (CGICE)
C/
[F] [K]
RG 1èRE INSTANCE : 22/01933
COUR D'APPEL DE SAINT- DENIS
ARRÊT DU 17 OCTOBRE 2025
Chambre civile TGI
Appel d'une décision rendue par le TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE [Localité 6] DE [Localité 4] en date du 31 MARS 2023 RG n°: 22/01933 suivant déclaration d'appel en date du 21 AVRIL 2023
APPELANTE :
Société CASUALTY & GENERAL INSURANCE COMPANY EUROPE LIMITE D (CGICE)
[Adresse 5]
[Adresse 3]
Représentant : Me Agnès GAILLARD de la SCP GAILLARD - SAUBERT, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION - Représentant : Me Emmanuelle QUINTARD, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE :
Madame [H] [F] [K]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentant : Me Eric HAN KWAN, avocat au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION
CLÔTURE LE : 27 mars 2025
DÉBATS : En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 13 Juin 2025 devant Patrick CHEVRIER, Président de chambre et Pauline FLAUSS, Conseillère, assistée de Véronique FONTAINE, Greffière
Le président a indiqué que l'audience sera tenue en double rapporteur. Les parties ne s'y sont pas opposées.
Ce magistrat a indiqué à l'issue des débâts que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe le 17 Octobre 2025.
Il a été rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Président : Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre
Conseiller : Madame Pauline FLAUSS, Conseillère
Conseiller : Madame Sophie PIEDAGNEL, Conseillère
Greffier lors des débats : Mme Véronique FONTAINE, Greffier.
Greffier lors de la mise a disposition : Malika STURM, Greffier placé
ARRÊT : prononcé publiquement par sa mise à disposition des parties le 17 Octobre 2025.
* * *
LA COUR
Suivant devis des 14 juin et 21 juillet 2011, Mme [H] [F] [K] a confié à M. [W] [I], exerçant sous l'enseigne HGTB, assuré au titre de la garantie décennale auprès de la compagnie Casualty & General Insurance Company Europe Limited (CGICE) divers travauxconsistant à terrasser son terrain, construire un mur de soutènement ainsi qu'une maison F3 à étage et un garage réalisés sur une année.
Le 23 janvier 2017, Mme [H] [F] [K] a adressé une déclaration de sinistre à l'assureur en raison de problèmes d'étanchéité et d'infiltrations au niveau des plafonds et ce depuis 2012, M. [W] [I] étant intervenu à nouveau ponctuellement sur la toiture suite à deux cyclones.
Après expertises amiables et dépôt du rapport d'expertise judiciaire des désordres confiée à M. [Y], par acte d'huissier du 21 juin 2022, Mme [H] [F] [K] a fait assigner la compagnie CGICE, représentée par son mandataire la SARLU EKWI, devant le Tribunal Judiciaire de Saint-Pierre afin de voir constater la dette de responsabilité décennale du constructeur M. [W] [I] et obtenir la condamnation de la compagnie CGICE à lui payer la somme de 94.687,95 euros au titre de la réparation des désordres à caractère décennale de la maison, outre 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement réputé contradictoire en date du 31 mars 2023, le Tribunal Judiciaire de Saint-Pierre a':
- Condamné la compagnie CGICE à payer à Mme [H] [F] [K] la somme de 81.620 euros avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement ;
- Condamné la compagnie CGICE à payer à Mme [H] [F] [K] la somme de 3000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la compagnie CGICE aux dépens de l'instance.
Par déclaration du 21 avril 2023 au greffe de la cour, la CGICE a formé appel du jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions d'appelant déposées le 23 janvier 2025, la compagnie CGICE demande à la cour de':
- Prononcer la réformation du jugement en ce qu'il a l'a condamnée à payer à Mme [H] [F] [K] la somme de 81.620 € avec intérêts au taux légal et ce faisant,
Et statuant à nouveau de :
- Constater que les ouvrages de soutènements autonomes ne sont pas garantis par la police souscrite auprès d'elle;
- Dire et juger qu'en toute hypothèse que les désordres affectant le mur de soutènement ne sont pas de nature décennale.
- Dire et juger que les autres désordres affectant les murs de la maison ne revêtent pas de caractère décennal.
- Débouter en conséquence Mme [H] [F] [K] de l'intégralité de ses prétentions à son égard et ce faisant,
- Réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions y compris celles relatives à l'article 700.
- Condamner Mme [H] [F] [K] à lui payer une indemnité au titre de l'article 700 d'un montant de 10.000 €.
- Condamner Mme [H] [F] [K] en tous les dépens de première instance et d'appel.
Aux termes de ses dernières conclusions d'intimée déposées le 23 octobre 2024, Mme [H] [F] [K] demande à la cour de':
- Confirmer le jugement du Tribunal judiciaire de Saint-Pierre en date du 31 mars 2023 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a limité la somme due par la compagnie CGICE à un montant ' hors taxes ' ;
Et statuant à nouveau sur ce point,
- Condamner la compagnie CGICE à lui payer la somme de 90.890,45 euros Toutes Taxes Comprises avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir,
En tout état de cause,
- Débouter la compagnie CGICE de toutes ses demandes ;
- Condamner la compagnie CGICE à lui payer la somme de 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'appel.
Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées, figurant au dossier de la procédure, auxquelles il est expressément référé en application de l'article 455 du code de procédure civile.
La clôture des débats est intervenue par ordonnance du 27 mars 2025.
MOTIFS DE LA DECISION
Aux termes du rapport d'expertise, auquel Mme [F] [K] se réfère pour fonder sa demande, six désordres ont été mis en exergue sur les constructions réalisées par M. [W] [I]:
C1- d'importantes fissures sur les murs de la villa;
C2 - des fissures sur le mur de soutènement;
C3 - des micro fissures diverses dans les pièces d'habitation;
C4 - une désolidarisation de la toiture;
C5 - une infiltration au plafond;
C6 - la présence de salpêtre
Sur l'étendue de la couverture souscrite par M. [W] [I]
Mme [F] [K] sollicite, par la voie de l'action directe, la garantie des dommages décennaux quant aux travaux réalisés par M. [W] [I].
La CGICE objecte que les désordres sur le mur de soutènement sont expressément exclus de sa garantie, et que cette mention d'exclusion d'un procédé technique particulier ne constitue pas une clause d'exclusion générale interdite.
Sur ce,
Vu l'article L. 124-3 du code des assurances,
Vu les articles L. 241-1, L. 243-8 et A. 243-1 du code des assurances,
Vu l'article 1103 du code civil;
En l'espèce, il résulte de l'attestation d'assurance décennale de M. [W] [I] par la CGICE (pièce 1 intimée) que sont garanties, au titre des travaux de maçonnerie, les travaux de "fondations autres que pieux, barrettes, parois moulées, palplanches, parois de soutènement autonome et toutes autres techniques équivalentes".
Il se déduit de cette lecture que les ouvrages de soutènement autonomes seraient exclus de la garantie. Cependant, comme le fait observer Mme [F] [K], cette exclusion conduirait à exclure de la garantie décennale certains travaux de gros 'uvre alors même que l'activité de maçonnerie est couverte au titre de la garantie souscrite par M. [W] [I] et décrite comme la "réalisation de maçonnerie en béton armé préfabriqué ou non, en béton contraint préfabriqué (hors précontrainte in situ), en bloc agglomérés de mortier ou de béton cellulaire, en pierres naturelles ou briques, ceci étant, tant en infrastructure qu'en superstructure, par toutes les techniques de maçonneries de coulage, hourdage (hors revêtement mural attaché ou collé)".
Contrairement à ce que soutient l'appelante l'exclusion de l'édification de "parois de soutènement autonome" ne constitue pas une exclusion d'une technique particulière de maçonnerie mais bien d'une partie des ouvrages de gros 'uvre en maçonnerie, activité déclarée dont la garantie a été souscrite auprès d'elle par M. [W] [I].
Dès lors, Mme [F] [K] est fondée à soutenir que cette clause d'exclusion fait échec aux règles d'ordre public relatives à l'étendue de l'assurance de responsabilité obligatoire en matière de construction, telle qu'elles résultent notamment de l'article A 243-1 susvisé, et qu'elle doit ainsi être réputée non écrite.
Sur le caractère décennal des dommages
A titre liminaire, la cour relève que tant la nature d'ouvrage, au sens de l'article 1792 du code civil, de la villa construite par M. [W] [I], que celle du mur de soutènement ne sont contestées. Il en va de même de la date de réception de l'ouvrage au 20 septembre 2012, date de la déclaration d'achèvement de la totalité des travaux. Il est en outre constant que les désordres, allégués de décennaux par Mme [F] [K], sont apparus dans le délai de dix ans suivant l'achèvement de ces travaux.
Mme [F] [K] souligne que l'expert judiciaire a mis en exergue deux désordres structuraux liés à des malfaçons du mur de soutènement et des fondations de la villa, rendant ces ouvrages impropres à leur destination, peu important pour l'application de l'article 1792 du code civil, que l'ouvrage se soit effectivement effondré dans le délai décennal. Elle soutient de même le caractère traversant des fissures en façade, ayant notamment engendré une rupture de la baie, sans que leur stabilisation dans le temps ne leur enlève leur caractère de désordre décennal. Elle ajoute que le salpêtre et l'humidité engendrée par les infiltrations et passages d'air rendent eux aussi l'ouvrage impropre à sa destination.
La CGICE fait valoir que le mur de soutènement n'a subi aucun désordre de nature décennale survenu pendant le délai d'épreuve de l'ouvrage en l'absence de désaffleurement au droit des fissures et d'absence de risque de rupture à court terme. Pour les fissures sur les murs en façade, elle prétend de même qu'en l'absence de caractère évolutif de ces fissures, ces dernières sont purement esthétiques. Elle conclut que les autres désordres mineurs relevés par l'expert sont aussi uniquement esthétiques et qu'elle a déjà indemnisé ceux-ci en partie.
Sur ce,
Vu l'article 1792 du code civil, aux termes duquel tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination ;
S'agissant du mur de soutènement
Aux termes du rapport d'expertise judiciaire et du rapport géotechnique qui lui est annexé, le mur de soutènement édifié par M. [W] [I] pour retenir les terres de la parcelle de Mme [F] [K] sur ses limites extérieures présente trois fissures en son angle sud/sud- est, dont une de près de 2 cm d'ouverture.
L'expert et le géomètre ont certes déduit de l'absence d'affleurement que l'ouvrage ne présentait pas de péril imminent, exposant que "la cause la plus probable des fissures est un tassement différentiel au niveau de son assise, ne remettant pas en cause sa pérennité pour l'instant (souligné par le géotechnicien)", néanmoins, ils concluent à la nécessité de travaux de confortement et/ou de remplacement sur cet ouvrage, de surcroit sous dimensionné et dont la réalisation est non conforme aux règles de l'art.
Ainsi, il s'en infère que les fissures apparues sur le mur, qualifiées de "désordre structurant" (C2) par l'expert, témoignent d'un vice de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage. En conséquence, l'appelante ne peut valablement soutenir que le risque sur la solidité de l'ouvrage est purement hypothétiques et que le désordre apparu dans le délai décennal ne relève pas de la garantie légale.
S'agissant des fissures en façade
L'expertise judiciaire a mis en exergue trois "importantes fissures structurelles en façade sud-ouest (salon) et sud-est (cuisine)", mesurant entre 7 et 6 mm de large, traversantes et - pour deux d'entre elles- engendrant une rupture d'appui de la baie vitrée (C1). Le caractère traversant de ces fissures de part en part du mur de la maison est corroboré par le rapport de recherches de fuite annexé au rapport judiciaire.
Dès lors, il ne peut être argué par l'appelante :
- de ce que ces fissures auraient un caractère purement esthétique, nonobstant leur absence d'évolution depuis l'expertise,
et
- de ce qu'elles ne rendraient pas l'ouvrage impropre à sa destination,
alors même qu'il a été constaté que ces fissures laissaient passer air et/ou eau dans l'habitation.
En outre, Mme [F] [K] est fondée à solliciter, au titre de la garantie décennale, que les conséquences matérielles de ces désordres, se manifestant par des infiltrations et dégradations intérieures, soient également indemnisées.
S'agissant des autres désordres (C3 à C6)
L'expert qualifie ces désordres d'esthétique, ce qui n'est pas discuté pour le désordre C3 (microfissures diverses), pour lequel l'appelante sollicite que la somme de 3.500 euros HT chiffrée au devis de l'expert pour des reprises de peinture soit retranchée de l'indemnisation à lui octroyer.
En revanche, le désordre lié à la désolidarisation en toiture (C4), occasionnant des infiltrations au plafond de la varangue et de la cuisine (C5), a une nature décennale dès lors qu'il porte sur un élément constitutif de l'ouvrage, à savoir, le toit, et que la fuite en résultant est de nature à le rendre impropre à sa destination.
Aussi, c'est à bon droit que le premier juge a mis à la charge de l'assureur de M. [W] [I], la reprise de toiture -que l'expert mentionne comme "partiellement' traitée.
S'agissant de la présence de salpêtre (C6), l'expert relie celle-ci à une présence d'humidité régulière dans la chape avec remontée par capillarité en pied de mur, outre un défaut de traitement du revêtement de la douche italienne et/ou un défaut au niveau de la canalisation d'évacuation. Par suite, le dommage s'attache à un élément constitutif ou indissociable de l'ouvrage (chape/douche à l'italienne) rendant les pièces concernées impropre à leur destination compte tenu du caractère nocif du salpêtre.
En conséquence de ce qui précède, c'est par une juste analyse que le premier juge a retenu que M. [W] [I] et son assureur devaient leur garantie au titre des travaux visant à remédier aux désordres C1, C2, C4, C5, C6.
Sur l'indemnisation des dommages
En conséquence de ce qui précède et en l'absence de contestation du chiffrage des travaux requis opérés par l'expert, il convient de retenir son évaluation par devis annexé à l'expertise, minorée de la somme au titre des reprises de peinture pour les microfissures de 3.500 euros HT, soit la somme de 83.770 euros HT.
Mme [F] [K], particulier, est en outre fondée à solliciter que ladite évaluation soit majorée de la TVA pour l'indemnisation complète des dommages subis à raison des désordres relevant de la garantie décennale, soit la somme TTC de 90.890,45 euros.
En revanche, comme le demande l'appelante, il convient de déduire de cette somme les montants déjà versés à Mme [F] [K] en indemnisation des mêmes désordres, soit la somme de 1.225, 20 euros, réglés directement par l'assureur en janvier 2019, outre 816,80 euros versés par provision après condamnation par ordonnance du juge des référés de St Pierre du 17 février 2021.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile,
La CGICE, qui succombe pour l'essentiel, supportera les dépens.
L'équité commande en outre de la condamner à verser à Mme [F] [K] la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et contradictoirement en dernier ressort,
- Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a fixé le quantum de l'indemnisation à verser à Mme [F] [K];
L'infirme dans cette mesure et, statuant à nouveau,
- Condamne la compagnie CGICE à payer à Mme [H] [F] [K] la somme de 90.890,45 euros TTC;
- Dit que seront déduites de ce montant par compensation les sommes déjà versées par la compagnie CGICE à Mme [H] [F] [K] en indemnisation des désordres, à savoir :
. la somme de 1.225, 20 euros,
. la somme de 816,80 euros versée par provision;
Y ajoutant,
- Condamne la compagnie CGICE à régler à Mme [H] [F] [K] la somme 3.000 euros au titre des frais irrépétibles de l'appel;
- Condamne la compagnie CGICE aux dépens
Le présent arrêt a été signé par Madame Pauline FLAUSS, conseillère à la Cour d'Appel de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION,le président étant empêché, et par Malika STURM, greffière placée à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE P/ LE PRÉSIDENT
PF
R.G : N° RG 23/00539 - N° Portalis DBWB-V-B7H-F4SM
Société CASUALTY & GENERAL INSURANCE COMPANY EUROPE LIMITE D (CGICE)
C/
[F] [K]
RG 1èRE INSTANCE : 22/01933
COUR D'APPEL DE SAINT- DENIS
ARRÊT DU 17 OCTOBRE 2025
Chambre civile TGI
Appel d'une décision rendue par le TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE [Localité 6] DE [Localité 4] en date du 31 MARS 2023 RG n°: 22/01933 suivant déclaration d'appel en date du 21 AVRIL 2023
APPELANTE :
Société CASUALTY & GENERAL INSURANCE COMPANY EUROPE LIMITE D (CGICE)
[Adresse 5]
[Adresse 3]
Représentant : Me Agnès GAILLARD de la SCP GAILLARD - SAUBERT, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION - Représentant : Me Emmanuelle QUINTARD, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE :
Madame [H] [F] [K]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentant : Me Eric HAN KWAN, avocat au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION
CLÔTURE LE : 27 mars 2025
DÉBATS : En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 13 Juin 2025 devant Patrick CHEVRIER, Président de chambre et Pauline FLAUSS, Conseillère, assistée de Véronique FONTAINE, Greffière
Le président a indiqué que l'audience sera tenue en double rapporteur. Les parties ne s'y sont pas opposées.
Ce magistrat a indiqué à l'issue des débâts que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe le 17 Octobre 2025.
Il a été rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Président : Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre
Conseiller : Madame Pauline FLAUSS, Conseillère
Conseiller : Madame Sophie PIEDAGNEL, Conseillère
Greffier lors des débats : Mme Véronique FONTAINE, Greffier.
Greffier lors de la mise a disposition : Malika STURM, Greffier placé
ARRÊT : prononcé publiquement par sa mise à disposition des parties le 17 Octobre 2025.
* * *
LA COUR
Suivant devis des 14 juin et 21 juillet 2011, Mme [H] [F] [K] a confié à M. [W] [I], exerçant sous l'enseigne HGTB, assuré au titre de la garantie décennale auprès de la compagnie Casualty & General Insurance Company Europe Limited (CGICE) divers travauxconsistant à terrasser son terrain, construire un mur de soutènement ainsi qu'une maison F3 à étage et un garage réalisés sur une année.
Le 23 janvier 2017, Mme [H] [F] [K] a adressé une déclaration de sinistre à l'assureur en raison de problèmes d'étanchéité et d'infiltrations au niveau des plafonds et ce depuis 2012, M. [W] [I] étant intervenu à nouveau ponctuellement sur la toiture suite à deux cyclones.
Après expertises amiables et dépôt du rapport d'expertise judiciaire des désordres confiée à M. [Y], par acte d'huissier du 21 juin 2022, Mme [H] [F] [K] a fait assigner la compagnie CGICE, représentée par son mandataire la SARLU EKWI, devant le Tribunal Judiciaire de Saint-Pierre afin de voir constater la dette de responsabilité décennale du constructeur M. [W] [I] et obtenir la condamnation de la compagnie CGICE à lui payer la somme de 94.687,95 euros au titre de la réparation des désordres à caractère décennale de la maison, outre 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement réputé contradictoire en date du 31 mars 2023, le Tribunal Judiciaire de Saint-Pierre a':
- Condamné la compagnie CGICE à payer à Mme [H] [F] [K] la somme de 81.620 euros avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement ;
- Condamné la compagnie CGICE à payer à Mme [H] [F] [K] la somme de 3000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la compagnie CGICE aux dépens de l'instance.
Par déclaration du 21 avril 2023 au greffe de la cour, la CGICE a formé appel du jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions d'appelant déposées le 23 janvier 2025, la compagnie CGICE demande à la cour de':
- Prononcer la réformation du jugement en ce qu'il a l'a condamnée à payer à Mme [H] [F] [K] la somme de 81.620 € avec intérêts au taux légal et ce faisant,
Et statuant à nouveau de :
- Constater que les ouvrages de soutènements autonomes ne sont pas garantis par la police souscrite auprès d'elle;
- Dire et juger qu'en toute hypothèse que les désordres affectant le mur de soutènement ne sont pas de nature décennale.
- Dire et juger que les autres désordres affectant les murs de la maison ne revêtent pas de caractère décennal.
- Débouter en conséquence Mme [H] [F] [K] de l'intégralité de ses prétentions à son égard et ce faisant,
- Réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions y compris celles relatives à l'article 700.
- Condamner Mme [H] [F] [K] à lui payer une indemnité au titre de l'article 700 d'un montant de 10.000 €.
- Condamner Mme [H] [F] [K] en tous les dépens de première instance et d'appel.
Aux termes de ses dernières conclusions d'intimée déposées le 23 octobre 2024, Mme [H] [F] [K] demande à la cour de':
- Confirmer le jugement du Tribunal judiciaire de Saint-Pierre en date du 31 mars 2023 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a limité la somme due par la compagnie CGICE à un montant ' hors taxes ' ;
Et statuant à nouveau sur ce point,
- Condamner la compagnie CGICE à lui payer la somme de 90.890,45 euros Toutes Taxes Comprises avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir,
En tout état de cause,
- Débouter la compagnie CGICE de toutes ses demandes ;
- Condamner la compagnie CGICE à lui payer la somme de 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'appel.
Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées, figurant au dossier de la procédure, auxquelles il est expressément référé en application de l'article 455 du code de procédure civile.
La clôture des débats est intervenue par ordonnance du 27 mars 2025.
MOTIFS DE LA DECISION
Aux termes du rapport d'expertise, auquel Mme [F] [K] se réfère pour fonder sa demande, six désordres ont été mis en exergue sur les constructions réalisées par M. [W] [I]:
C1- d'importantes fissures sur les murs de la villa;
C2 - des fissures sur le mur de soutènement;
C3 - des micro fissures diverses dans les pièces d'habitation;
C4 - une désolidarisation de la toiture;
C5 - une infiltration au plafond;
C6 - la présence de salpêtre
Sur l'étendue de la couverture souscrite par M. [W] [I]
Mme [F] [K] sollicite, par la voie de l'action directe, la garantie des dommages décennaux quant aux travaux réalisés par M. [W] [I].
La CGICE objecte que les désordres sur le mur de soutènement sont expressément exclus de sa garantie, et que cette mention d'exclusion d'un procédé technique particulier ne constitue pas une clause d'exclusion générale interdite.
Sur ce,
Vu l'article L. 124-3 du code des assurances,
Vu les articles L. 241-1, L. 243-8 et A. 243-1 du code des assurances,
Vu l'article 1103 du code civil;
En l'espèce, il résulte de l'attestation d'assurance décennale de M. [W] [I] par la CGICE (pièce 1 intimée) que sont garanties, au titre des travaux de maçonnerie, les travaux de "fondations autres que pieux, barrettes, parois moulées, palplanches, parois de soutènement autonome et toutes autres techniques équivalentes".
Il se déduit de cette lecture que les ouvrages de soutènement autonomes seraient exclus de la garantie. Cependant, comme le fait observer Mme [F] [K], cette exclusion conduirait à exclure de la garantie décennale certains travaux de gros 'uvre alors même que l'activité de maçonnerie est couverte au titre de la garantie souscrite par M. [W] [I] et décrite comme la "réalisation de maçonnerie en béton armé préfabriqué ou non, en béton contraint préfabriqué (hors précontrainte in situ), en bloc agglomérés de mortier ou de béton cellulaire, en pierres naturelles ou briques, ceci étant, tant en infrastructure qu'en superstructure, par toutes les techniques de maçonneries de coulage, hourdage (hors revêtement mural attaché ou collé)".
Contrairement à ce que soutient l'appelante l'exclusion de l'édification de "parois de soutènement autonome" ne constitue pas une exclusion d'une technique particulière de maçonnerie mais bien d'une partie des ouvrages de gros 'uvre en maçonnerie, activité déclarée dont la garantie a été souscrite auprès d'elle par M. [W] [I].
Dès lors, Mme [F] [K] est fondée à soutenir que cette clause d'exclusion fait échec aux règles d'ordre public relatives à l'étendue de l'assurance de responsabilité obligatoire en matière de construction, telle qu'elles résultent notamment de l'article A 243-1 susvisé, et qu'elle doit ainsi être réputée non écrite.
Sur le caractère décennal des dommages
A titre liminaire, la cour relève que tant la nature d'ouvrage, au sens de l'article 1792 du code civil, de la villa construite par M. [W] [I], que celle du mur de soutènement ne sont contestées. Il en va de même de la date de réception de l'ouvrage au 20 septembre 2012, date de la déclaration d'achèvement de la totalité des travaux. Il est en outre constant que les désordres, allégués de décennaux par Mme [F] [K], sont apparus dans le délai de dix ans suivant l'achèvement de ces travaux.
Mme [F] [K] souligne que l'expert judiciaire a mis en exergue deux désordres structuraux liés à des malfaçons du mur de soutènement et des fondations de la villa, rendant ces ouvrages impropres à leur destination, peu important pour l'application de l'article 1792 du code civil, que l'ouvrage se soit effectivement effondré dans le délai décennal. Elle soutient de même le caractère traversant des fissures en façade, ayant notamment engendré une rupture de la baie, sans que leur stabilisation dans le temps ne leur enlève leur caractère de désordre décennal. Elle ajoute que le salpêtre et l'humidité engendrée par les infiltrations et passages d'air rendent eux aussi l'ouvrage impropre à sa destination.
La CGICE fait valoir que le mur de soutènement n'a subi aucun désordre de nature décennale survenu pendant le délai d'épreuve de l'ouvrage en l'absence de désaffleurement au droit des fissures et d'absence de risque de rupture à court terme. Pour les fissures sur les murs en façade, elle prétend de même qu'en l'absence de caractère évolutif de ces fissures, ces dernières sont purement esthétiques. Elle conclut que les autres désordres mineurs relevés par l'expert sont aussi uniquement esthétiques et qu'elle a déjà indemnisé ceux-ci en partie.
Sur ce,
Vu l'article 1792 du code civil, aux termes duquel tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination ;
S'agissant du mur de soutènement
Aux termes du rapport d'expertise judiciaire et du rapport géotechnique qui lui est annexé, le mur de soutènement édifié par M. [W] [I] pour retenir les terres de la parcelle de Mme [F] [K] sur ses limites extérieures présente trois fissures en son angle sud/sud- est, dont une de près de 2 cm d'ouverture.
L'expert et le géomètre ont certes déduit de l'absence d'affleurement que l'ouvrage ne présentait pas de péril imminent, exposant que "la cause la plus probable des fissures est un tassement différentiel au niveau de son assise, ne remettant pas en cause sa pérennité pour l'instant (souligné par le géotechnicien)", néanmoins, ils concluent à la nécessité de travaux de confortement et/ou de remplacement sur cet ouvrage, de surcroit sous dimensionné et dont la réalisation est non conforme aux règles de l'art.
Ainsi, il s'en infère que les fissures apparues sur le mur, qualifiées de "désordre structurant" (C2) par l'expert, témoignent d'un vice de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage. En conséquence, l'appelante ne peut valablement soutenir que le risque sur la solidité de l'ouvrage est purement hypothétiques et que le désordre apparu dans le délai décennal ne relève pas de la garantie légale.
S'agissant des fissures en façade
L'expertise judiciaire a mis en exergue trois "importantes fissures structurelles en façade sud-ouest (salon) et sud-est (cuisine)", mesurant entre 7 et 6 mm de large, traversantes et - pour deux d'entre elles- engendrant une rupture d'appui de la baie vitrée (C1). Le caractère traversant de ces fissures de part en part du mur de la maison est corroboré par le rapport de recherches de fuite annexé au rapport judiciaire.
Dès lors, il ne peut être argué par l'appelante :
- de ce que ces fissures auraient un caractère purement esthétique, nonobstant leur absence d'évolution depuis l'expertise,
et
- de ce qu'elles ne rendraient pas l'ouvrage impropre à sa destination,
alors même qu'il a été constaté que ces fissures laissaient passer air et/ou eau dans l'habitation.
En outre, Mme [F] [K] est fondée à solliciter, au titre de la garantie décennale, que les conséquences matérielles de ces désordres, se manifestant par des infiltrations et dégradations intérieures, soient également indemnisées.
S'agissant des autres désordres (C3 à C6)
L'expert qualifie ces désordres d'esthétique, ce qui n'est pas discuté pour le désordre C3 (microfissures diverses), pour lequel l'appelante sollicite que la somme de 3.500 euros HT chiffrée au devis de l'expert pour des reprises de peinture soit retranchée de l'indemnisation à lui octroyer.
En revanche, le désordre lié à la désolidarisation en toiture (C4), occasionnant des infiltrations au plafond de la varangue et de la cuisine (C5), a une nature décennale dès lors qu'il porte sur un élément constitutif de l'ouvrage, à savoir, le toit, et que la fuite en résultant est de nature à le rendre impropre à sa destination.
Aussi, c'est à bon droit que le premier juge a mis à la charge de l'assureur de M. [W] [I], la reprise de toiture -que l'expert mentionne comme "partiellement' traitée.
S'agissant de la présence de salpêtre (C6), l'expert relie celle-ci à une présence d'humidité régulière dans la chape avec remontée par capillarité en pied de mur, outre un défaut de traitement du revêtement de la douche italienne et/ou un défaut au niveau de la canalisation d'évacuation. Par suite, le dommage s'attache à un élément constitutif ou indissociable de l'ouvrage (chape/douche à l'italienne) rendant les pièces concernées impropre à leur destination compte tenu du caractère nocif du salpêtre.
En conséquence de ce qui précède, c'est par une juste analyse que le premier juge a retenu que M. [W] [I] et son assureur devaient leur garantie au titre des travaux visant à remédier aux désordres C1, C2, C4, C5, C6.
Sur l'indemnisation des dommages
En conséquence de ce qui précède et en l'absence de contestation du chiffrage des travaux requis opérés par l'expert, il convient de retenir son évaluation par devis annexé à l'expertise, minorée de la somme au titre des reprises de peinture pour les microfissures de 3.500 euros HT, soit la somme de 83.770 euros HT.
Mme [F] [K], particulier, est en outre fondée à solliciter que ladite évaluation soit majorée de la TVA pour l'indemnisation complète des dommages subis à raison des désordres relevant de la garantie décennale, soit la somme TTC de 90.890,45 euros.
En revanche, comme le demande l'appelante, il convient de déduire de cette somme les montants déjà versés à Mme [F] [K] en indemnisation des mêmes désordres, soit la somme de 1.225, 20 euros, réglés directement par l'assureur en janvier 2019, outre 816,80 euros versés par provision après condamnation par ordonnance du juge des référés de St Pierre du 17 février 2021.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile,
La CGICE, qui succombe pour l'essentiel, supportera les dépens.
L'équité commande en outre de la condamner à verser à Mme [F] [K] la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et contradictoirement en dernier ressort,
- Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a fixé le quantum de l'indemnisation à verser à Mme [F] [K];
L'infirme dans cette mesure et, statuant à nouveau,
- Condamne la compagnie CGICE à payer à Mme [H] [F] [K] la somme de 90.890,45 euros TTC;
- Dit que seront déduites de ce montant par compensation les sommes déjà versées par la compagnie CGICE à Mme [H] [F] [K] en indemnisation des désordres, à savoir :
. la somme de 1.225, 20 euros,
. la somme de 816,80 euros versée par provision;
Y ajoutant,
- Condamne la compagnie CGICE à régler à Mme [H] [F] [K] la somme 3.000 euros au titre des frais irrépétibles de l'appel;
- Condamne la compagnie CGICE aux dépens
Le présent arrêt a été signé par Madame Pauline FLAUSS, conseillère à la Cour d'Appel de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION,le président étant empêché, et par Malika STURM, greffière placée à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE P/ LE PRÉSIDENT