CA Colmar, ch. 2 a, 16 octobre 2025, n° 25/00595
COLMAR
Autre
Autre
MOTIFS
Il est constant que Mme [F] est propriétaire d'une maison d'habitation construite sur un flanc de colline, et que courant 2008, M. [K] a fait construire, en aval, une maison d'habitation, dont les travaux ont été confiés à la société Castor, assurée auprès de la société MMA IARD au titre de sa responsabilité civile décennale.
Il résulte du rapport d'expertise judiciaire de M. [Y] du 18 octobre 2014, qu'en 2011, M. [K] a mis en place un enrochement sur son terrain pour retenir les terres, puis, des signes de glissement apparaissant, qu'il a fait reprendre l'enrochement. Mme [F] a par la suite mis en place un enrochement sur son propre terrain.
Une fracture de la colline entre les deux propriétés étant apparue, une expertise amiable a été mise en oeuvre, puis Mme [F] a obtenu la désignation d'un expert judiciaire.
M. [Y], expert judiciaire désigné par le juge des référés concluait, dans son rapport du 18 octobre 2014, à l'instabilité du terrain et à un risque d'effondrement ou glissement de la colline, en l'imputant aux fouilles en pleine masse réalisées sur le fond de M. [K].
Il précisait, s'agissant de l'enrochement chez Mme [F], que son assise était instable. Il observait que cet enrochement n'était pas à l'origine du désordre et ne participait que très faiblement à l'instabilité du talus (1 %). Il précisait qu'il avait fallu, à l'été 2013, déposer la partie représentant un danger, en cas d'éboulement, pour la maison de M. [K] située en contrebas.
S'agissant de l'enrochement chez M. [K], il indiquait qu'il s'était partiellement effondré par le passé, que ce qui restait était provisoirement stable, précisant que cet ouvrage était bien trop léger pour reprendre la poussée du talus sur du long terme. Il préconisait des travaux pour stabiliser le talus et prévenir tout mouvement par la réalisation d'une paroi clouée avec voile béton.
Par ordonnance de référé du 29 juin 2015, M. [K] a été condamné, sous astreinte, à faire réaliser les travaux de stabilisation du talus, préconisés par l'expert dans son rapport du 18 octobre 2014.
Par ordonnance du 6 novembre 2017, le dossier a été renvoyé à l'expert à la demande de Mme [F]. M. [Y] a déposé son second rapport le 17 avril 2018, lequel constate que la situation du talus en janvier 2018 est identique à celle d'avril 2013 et à son rapport d'octobre 2014. Il n'y avait alors aucun autre travaux à préconiser.
Pour autant, il indiquait (p. 14 de son rapport) que 'concernant le talus, le risque de glissement est réel. Le désordre est futur et certain. La seule inconnue, c'est quand.'
S'agissant des travaux qui avaient été préconisés par le géotechnicien Fondasol, il précisait que le devis établi par la société Roc Travaux spéciaux le 5 juillet 2016 n'appelait pas d'observation.
S'agissant du rôle de la société Castor, la société MMA IARD indique que le lot terrassement n'était pas à la charge du constructeur et que l'excavation a été réalisée par l'entreprise Riette. Toutefois, il sera observé qu'il résulte de l'arrêt de la cour d'appel du 31 mai 2018 que la société Castor a été condamnée à payer à M. [K] les travaux de stabilisation du talus en raison de sa responsabilité fondée sur l'article 1792 du code civil.
Après avoir perçu des fonds en exécution de l'arrêt du 31 mai 2018, M. [K] a fait réaliser des travaux, dont il n'est pas contesté qu'il s'agisse de ceux préconisés par l'expert. Ces travaux se sont achevés en mai 2019 selon le procès-verbal de réception du 5 juin 2019 produit aux débats.
* En juillet 2018, Mme [F] a agi en indemnisation de son préjudice, constitué notamment du préjudice financier lié au coût des travaux d'enrochement.
Le jugement ayant rejeté cette demande est frappé d'appel.
1. Sur la disjonction d'instance :
Mme [F] a interjeté appel le 22 janvier 2025 en intimant notamment la société Castor, et dirige ses demandes au fond notamment à son égard.
La société MAAF Assurances a, à titre subsidiaire, appelé en garantie la société Castor.
Si la déclaration d'appel de Mme [F] et les conclusions de la société MAAF Assurances ont été signifiées à la société Castor par dépôt en l'étude ou remise à une personne présente, il s'avère que le gérant de la société Castor était déjà décédé.
Il n'est pas justifié que cette société avait, lors de ces significations, ou a actuellement un représentant légal.
Compte tenu de la situation actuelle de la société Castor, dont la présence n'est pas indispensable à la solution du litige opposant les autres parties, il est de l'intérêt d'une bonne administration de la justice, en application des articles 367 et 368 du code de procédure civile, de disjoindre l'instance la concernant.
2. Sur la demande de retour à l'expert :
Mme [F] invoque une évolution de la situation, un risque de désolidarisation des roches de son propre mur, avec un risque imminent de chute de roches sur les habitations en contrebas, et l'urgence à faire réaliser les travaux préconisés par M. [T] selon devis du 6 février 2025 au vu du rapport ARPEJE du 11 avril 2025. Elle indique que ce devis a été effectué au titre de la reprise du mur non prévu au départ pour roches qui se désolidarisent avec le terrassement des terres au vu du démontage de l'ancien mur. Elle considère que l'enrochement doit être repositionné dans son entiereté y compris les 4 ml qui ont bougé. Elle demande le retour du dossier à l'expert pour constater cet état de fait.
A l'appui de ses affirmations, elle produit deux rapport n°3 'rapport d'expertise' d'Arpeje, contenant des photographies, dont l'une montre un mur présentant un ventre, la légende précisant 'ventre formé par le mur sur une longueur de 4 ml', ainsi qu'une évaluation du mur au regard de deux devis de l'entreprise [T] (concernant, pour l'un, la partie enlevée au titre des mesures conservatoires, et pour l'autre, celle encore en place mais devant être reconstruite). Si le premier rapport, daté du 11 avril 2025, conclut 'nous laissons le soin à la compagnie d'apprécier la suite à donner à cette réclamation', le second du 17 juin 2025 conclut 'en l'état cette partie du mur doit être remplacée car menace de s'effondrer sans pouvoir préjuger du délai'.
Elle produit, en outre, un rapport d'information administratif de la Brigade Verte à destination du maire de [E] du 30 juin 2025, indiquant observer, s'agissant de l'enrochement situé en contrebas du terrain de Mme [F], sur une distance d'environ 4 mètres, que les roches ne sont plus dans l'axe du mur initial.
Ces éléments sont ainsi concordants sur le fait que la partie de l'enrochement mis en place par Mme [F] qui subsiste actuellement n'est plus alignée. Compte tenu de l'instabilité de l'assise du terrain qu'avait relevée l'expert judiciaire, le risque d'effondrement ou d'éboulement de cet enrochement, notamment sur le terrain situé en contrebas, existe toujours en dépit des travaux réalisés par M. [K] en 2016.
Le retour du dossier à l'expert est dès lors nécessaire afin notamment de décrire la situation actuelle, donner son avis sur l'évolution de la situation par rapport à celle qu'il avait pu constater en 2014 et 2018, indiquer si les travaux réalisés par M. [K] sont conformes à ceux qu'il avait préconisés dans ses rapports, donner son avis sur la cause de l'apparition d'un ventre affectant l'enrochement de Mme [F], donner son avis sur les responsabilités susceptibles d'être recherchées, sur les travaux qui seraient éventuellement nécessaires, notamment les travaux urgents.
3. Sur la demande de provision :
Alors que l'instabilité du talus avait été attribuée par l'expert judiciaire en sa quasi-exclusivité aux travaux de fouille en pleine masse réalisées sur le fond de M. [K], et que M. [K] avait, en référé, été condamné, sous astreinte, à faire réaliser les travaux de stabilisation du talus, préconisés par l'expert dans son rapport du 18 octobre 2014, celui-ci justifie avoir réalisé des travaux en 2016 dont il a été dit qu'il n'est pas contesté qu'il correspondent à ceux préconisés par l'expert.
Ainsi, la cause du constat, en 2025, de l'existence d'un ventre affectant l'enrochement de Mme [F] n'apparaît pas manifeste, et nécessite la réalisation d'une mesure d'expertise.
En outre, selon la position de Mme [F], le talus continue à bouger. Aucun élément ne permet de s'assurer que soit préconisée la remise en place de l'enrochement, faisant notamment l'objet de la demande de provision, enlevé à la demande de M. [Y] à titre de mesure conservatoire, étant rappelé que le rapport d'Arpeje n'a pas été dressé de manière contradictoire et où le retour du dossier à l'expert a été jugé nécessaire pour obtenir un avis sur les travaux qui seraient nécessaires.
En conséquence, à ce stade, l'obligation de M. [K] de supporter le coût de mise en place de l'enrochement de Mme [F] qui avait été enlevé, ainsi que celui de reprise de l'enrochement affecté par un ventre sur 4 ml, est affectée d'une contestation sérieuse.
4. Sur l'avance des frais d'expertise :
Eu égard au risque encouru, l'ensemble des parties a un intérêt à la réalisation de cette mesure d'expertise.
Cependant, dans le cadre de la présente instance, seule Mme [F] la sollicite, les autres parties s'y opposant, et elle-seule y a intérêt dans le cadre de la présente instance, puisqu'elle est utile à la solution du litige qu'elle a introduit et dans le cadre duquel elle interjette appel.
En conséquence, elle supportera l'avance des frais de ladite mesure.
5. Sur les frais et dépens :
Le sort des dépens de l'incident suivra celui des dépens de l'instance au fond.
Les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile seront en conséquence rejetées.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, par décision non déférable à la cour, mise à disposition au greffe,
Sur l'instance opposant au fond Mme [F] et la société MAAF Assurances à la SARL CASTOR :
ORDONNONS la disjonction de l'instance opposant les parties à la SARL CASTOR ;
Sur les demandes adressées au conseiller de la mise en état dans les rapports entre Mme [F], la société MMA IARD Assurances, la société MAAF Assurances et M. [K] :
ORDONNONS le retour du dossier à l'expert judiciaire, M. [U] [Y], [Adresse 2],
avec faculté de s'adjoindre, en cas de besoin, tout spécialiste de son choix, mais seulement dans une spécialité distincte de la sienne ;
avec pour mission de :
1°) se faire communiquer par les parties tous documents utiles à l'exécution de sa mission,
se rendre sur les lieux en présence des parties ou celles-ci dûment convoquées, leur conseil préalablement avisé,
2°) recueillir les explications des parties et entendre tous sachants,
3°) faire toute constatations utiles quant à la solution du litige opposant les parties, et notamment décrire la situation actuelle et donner son avis sur l'évolution de la situation par rapport à celle qu'il avait pu constater en 2014 et 2018,
4°) donner son avis sur le fait de savoir si les travaux réalisés par M. [K] sont conformes à ceux qu'il avait préconisés dans ses rapports d'expertise judiciaire précédents,
5°) donner son avis sur la cause de l'apparition d'un ventre affectant l'enrochement de Mme [F],
6°) donner son avis sur les responsabilités susceptibles d'être recherchées,
7°) donner son avis sur les travaux, et leur coût, qui seraient éventuellement nécessaires, notamment les travaux urgents, et ce, même en déposant dans un premier temps, le cas échéant, notamment en cas de danger, un premier rapport sur ce seul point,
DISONS que l'expert accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 273 et suivants du code de procédure civile ;
DISONS qu'il sera procédé aux opérations d'expertise en présence des parties ou celles-ci convoquées par lettres recommandées avec demandes d'avis de réception, et leurs conseils avisés par lettres simples ;
DISONS que l'expert devra entendre les parties en leurs observations, ainsi que, le cas échéant, consigner leurs dires et y répondre dans son rapport ;
DISONS que les parties devront communiquer aux autres parties les documents de toute nature qu'elles adresseront à 1'expert pour établir le bien fondé de leurs prétentions ;
IMPARTISSONS à l'expert un délai de 3 mois, à compter de sa saisine, pour déposer son rapport en 3 exemplaires, délai de rigueur, sauf prorogation qui serait accordée sur rapport de l'expert à cet effet ;
DISONS qu'en cas de refus de sa mission par l'expert, d'empêchement ou de retard injustié, il sera pourvu d'office à son remplacement ;
DISONS que Mme [S] [F] devra consigner, sur la plate-forme numérique de la caisse de dépôt et de consignations accessible au lien suivant : www.consignations.fr la somme de 2 500 euros (deux mille cinq euros) à valoir sur la rémunération de l'expert avant le 15 novembre 2025, sous peine de caducité de la désignation de l'expert ;
DISONS que Mme [S] [F] devra transmettre le récépissé de consignation au greffe de la deuxième chambre civile de la cour d'appel, et dès sa réception ;
DISONS que l'expert devra établir, après la première réunion, un devis du montant prévisionnel de ses honoraires qu'il communiquera aux parties et au magistrat chargé du suivi des opérations d'expertise, et que les parties devront alors faire savoir à l'expert et au juge chargé du contrôle si elles n'entendent pas poursuivre la mesure ;
DISONS qu'après achèvement de sa mission, l'expert devra faire parvenir aux parties copie de sa note d'honoraires par tout moyen permettant d'en établir la réception afin que, s'il y a lieu, celles-ci adressent à l'expert et à la juridiction leurs observations écrites dans un délai de 15 jours à compter de la réception ;
DISONS qu'à l'issue de la première réunion d'expertise, l'expert devra, en cas d'insuffisance de la provision consignée, demander la consignation d'une provision supplémentaire ;
RENVOYONS les parties à l'audience devant le conseiller de la mise en état du 10 décembre 2025 à 9 heures pour vérifier le paiement de la consignation, et le cas échéant, établissement d'un calendrier de procédure ;
REJETONS la demande de provision ;
DISONS que les dépens de l'incident suivront le sort de ceux de l'instance au fond ;
REJETONS les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.