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Décisions

CA Douai, 3e ch., 16 octobre 2025, n° 24/01363

DOUAI

Autre

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CA Douai n° 24/01363

16 octobre 2025

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 16/10/2025

****

minute Electronique

N° RG 24/01363 - N° Portalis DBVT-V-B7I-VOG5

Jugement (N° 21/02943) rendu le 30 Janvier 2024 par le TJ de Boulogne sur Mer

APPELANT

Monsieur [W] [T]

né le [Date naissance 2] 1952 à [Localité 9]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 5]

représenté par Me Christophe Pauchet, avocat au barreau de Lille, avocat constitué, assistée de Me Arnaud Delomel, avocat au barreau de Rennes, avocat plaidant

INTIMÉES

Caisse Credit Mutuel de Etaples à capital variable, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Boulogne sur Mer, immatriculée sous le n° 783 995 350, dont le siège social est sis [Adresse 1], venant aux droits de la Caisse Credit Mutuel Le Touquet, caisse de crédit mutuel à capital variable, radiée au registre du commerce et des sociétés de Boulogne sur Mer, précédement immatriculée sous le n° 344 142 658, dont le siège social est sis [Adresse 7], agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés es qualité audit siège.

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Jean-Baptiste Zaarour, avocat au barreau de Valenciennes

SAING BANK NV, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 8]

[Localité 6] Pays-Bas

représentée par Me Virginie Levasseur, avocat au barreau de DOUAI, avocat constitué, assistée de Me Frédéric Bellanca, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Yasmina Belkaid, conseiller

Stéfanie Joubert, conseiller

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Fabienne Dufossé

DÉBATS à l'audience publique du 15 mai 2025, après rapport oral de Guillaume Salomon

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 16 octobre 2025, après prorogation en date du 25 septembre 2025 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président et Harmony Poyteau, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 5 mai 2025

****

EXPOSE DU LITIGE :

1. Les faits et la procédure antérieure :

Entre le 29 novembre 2017 et le 20 février 2018, M. [W] [T] a ordonné à son banquier teneur de compte, la Caisse de crédit mutuel d'[Localité 4] (le Crédit mutuel), de procéder à une série de virements pour un montant total de 77 486 euros sur des comptes ouverts par des sociétés High colors limited et Avmp working, après avoir été démarché par la société Coinquick, qui s'était présentée comme un prestataire de service d'investissement en crypto-monnaie.

Le compte du bénéficiaire Avmp working est domicilié au sein de la Sa ING Bank NV (Ing), société de droit néerlandais.

Invoquant une escroquerie ayant donné lieu à une information judiciaire, M. [T] a fait assigner tant le Crédit mutuel qu'Ing devant le tribunal judiciaire de Boulogne sur mer, pour rechercher leur responsabilité au titre de la violation de leur obligation de vigilance lors de l'exécution de ces virements.

2. Le jugement dont appel :

Par jugement rendu le 30 janvier 2024, le tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer a :

- donné acte à la Caisse de Crédit mutuel d'[Localité 4] de son intervention volontaire';

- débouté M. [T] de l'intégralité de ses demandes à l'encontre de le Crédit mutuel et de la banque ING';

- condamné M. [T] aux dépens';

- rejeté les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

3. La déclaration d'appel :

Par déclaration du 22 mars 2024, M. [T] a formé appel de ce jugement en ce qu'il l'a débouté de l'intégralité de ses demandes à l'encontre de le Crédit mutuel et la banque ING.

4. Les prétentions et moyens des parties :

4.1. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 15 janvier 2025, M. [T] demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et statuant à nouveau, de':

=> >> à titre principal :

' juger et retenir que le Crédit mutuel et la banque ING n'ont pas respecté leur obligation légale de vigilance.

' juger et retenir que le Crédit mutuel et la banque ING sont responsables de ses préjudices

' condamner in solidum le Crédit mutuel et la banque ING à lui rembourser la somme de 35.000 euros, correspondant à une partie de son investissement, en réparation de son préjudice matériel.

' condamner in solidum le Crédit mutuel et la banque ING à lui verser la somme de 15.497,20 euros, correspondant à 20 % du montant de son investissement, en réparation de son préjudice moral et de jouissance.

' condamner le Crédit mutuel à lui rembourser la somme de 42.486 euros, correspondant au montant restant de son investissement, en réparation de son préjudice matériel.

' condamner in solidum le Crédit mutuel et la banque ING à lui verser la somme de 6.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

' condamner les mêmes, in solidum, aux entiers dépens.

=> à titre subsidiaire

' juger et retenir que le Crédit mutuel n'a pas respecté son obligation d'information à son égard

' juger et retenir que le Crédit mutuel est responsable de ses préjudices

' condamner le Crédit mutuel à lui rembourser la somme de 77 486 euros, correspondant à la totalité de son investissement, en réparation de son préjudice matériel.

' condamner le Crédit mutuel à lui verser la somme de 15 497,20 euros, correspondant à 20 % du montant de son investissement, en réparation de son préjudice moral et de jouissance.

' condamner le Crédit mutuel à lui verser la somme de 6 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

' condamner la même aux entiers dépens.

A l'appui de ses prétentions, M. [T] fait valoir que':

- les banques ont manqué à leur obligation de vigilance, à la fois (i) sur le fondement des articles L. 561-4-1, L. 561-5-1 et L. 561-10 du code monétaire et financier, alors que les virements comportent la référence aux bitcoin (BTC) et que des alertes ont été diffusées s'agissant des offres de produits atypiques et (ii) sur le fondement d'une responsabilité contractuelle au titre d'une violation de leur devoir général de vigilance, en présence d'un dépassement des plafonds autorisés de virements par le Crédit mutuel et d'un fonctionnement inhabituel de son compte bancaire qui résulte du montant, de la destination étrangère et de la fréquence des virements comportant la mention BTC.

- le Crédit mutuel engage sa responsabilité sur le fondement des articles 1112-1 et 1231-1 du code civil, au titre d'une obligation d'information qu'il appartient au banquier, par analogie avec l'assurance emprunteur, de rapporter la preuve de la bonne exécution.

- alors qu'il appartenait à la banque de refuser d'exécuter les ordres de virements, son préjudice ne s'analyse pas comme une perte de chance.

4.2 Aux termes de ses conclusions notifiées le 3 mars 2025, le Crédit mutuel, intimé, demande à la cour de confirmer le jugement critiqué en toutes ses dispositions et de débouter M. [T] de l'intégralité de ses demandes,

- subsidiairement, de constater que la faute préalable consécutive à la négligence de M. [T] le prive de tout droit à indemnisation.

- à titre infiniment subsidiaire, dire que le préjudice de M. [T] réside dans la perte de chance d'avoir investi ses placements autrement.

En conséquence, réduire à de plus justes proportions les demandes indemnitaires formulées par M. [T].

- en tout état de cause sur les demandes subsidiaires': condamner la banque ING à garantir le paiement de toutes condamnations prononcées à son encontre au titre de la présente procédure et en faveur de M. [T], en raison de ses propres fautes.

A l'appui de ses prétentions, le Crédit mutuel fait valoir que :

- les dispositions du code monétaire et financier relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ne sont pas applicables.

- elle n'a pas manqué à son obligation de vigilance, alors qu'aucune anomalie apparente n'affectait les virements et ne justifiait une dérogation au principe de non-immixtion par la banque dans les opérations de son client, étant observé qu'elle n'a pas participé aux transactions ayant donné lieu à ces paiements par M. [T]. Le compte de ce dernier présente notamment habituellement des mouvements de sommes importantes.

- l'information pré-contractuelle, fondée sur l'article 1112-1 du code civil est étrangère au litige, alors qu'en outre, le devoir d'information n'existe à l'égard d'une banque que pour les produits et services qu'elles proposent.

- la faute de la victime doit l'exonérer de sa responsabilité.

- la banque ING doit le garantir de toute condamnation, dès lors qu'elle ne s'est pas préoccupée de garantir le sérieux de son client et d'examiner la licéité des virements effectués.

4.3 Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 28 mars 2025, la banque ING, intimé et appelant incident, demande à la cour, au visa de l'article 4 du Règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II), de la directive (UE) n° 2015/2366 du Parlement Européen et du Conseil du 25 novembre 2015, concernant les services de paiement dans le marché intérieur (DSP2), les articles 7:537 et 7:542 du code civil néerlandais, les articles L. 133-21, L. 561-1 et suivants du code monétaire et financier, et les articles 1231-1, 1231-4, 1240 et 1310 du code civil, de':

- juger qu'elle est recevable et bien fondée en son appel incident ;

=> confirmer le jugement critiqué en ce qu'il a :

* débouté M. [T] de l'intégralité de ses demandes à son encontre ;

* condamné M. [T] aux entiers dépens ;

=> infirmer ledit jugement seulement en ce qu'il a écarté l'application du droit néerlandais, s'agissant des demandes formulées par M. [T] à son encontre au profit du droit français ; et statuant à nouveau de ce chef':

- juger le droit néerlandais applicable aux demandes formulées par M. [T] à son encontre ;

- débouter M. [T] de l'intégralité de ses demandes à son encontre sur le fondement du droit néerlandais ;

=> en tout état de cause :

- débouter M. [T] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions à son encontre ;

- débouter le Crédit mutuel de sa demande de condamnation à la garantir du paiement de toutes condamnations qui seraient prononcées à son encontre

au titre de la présente procédure, dans la mesure où cette demande est mal fondée en droit comme en fait ;

- condamner le Crédit mutuel et M. [T] au paiement, chacun, de la somme de 10.000 euros à son profit au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner les mêmes aux entiers dépens de première instance et d'appel en admettant Maître Virginie Levasseur au recouvrement de ces derniers.

A l'appui de ses prétentions, la banque ING fait valoir que :

- le droit néerlandais est applicable à une telle relation extra-contractuelle'; en application de ce droit étranger, aucune faute ne lui est imputable, dès lors qu'elle a valablement réceptionné un virement transmis par le Crédit mutuel et conforme à l'Iban communiqué par M. [T], en application de l'article 7:542 du code civil néerlandais.

- aucun manquement aux obligations de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ne peut lui être reproché, en droit français comme néerlandais.

- le préjudice allégué par M. [T] ne lui est pas imputable, dès lors qu'il résulte des propres fautes commises par ce dernier, de sorte que le lien de causalité est rompu.

- l'appel en garantie formé par le Crédit mutuel à son encontre ne repose sur aucune disposition légale et ne peut prospérer à défaut d'avoir engagé sa responsabilité dans l'opération litigieuse.

Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, la cour observe que la compétence de la juridiction française n'est pas contestée par la banque ING, alors que l'application de la loi française aux relations entre M. [T] et le Crédit mutuel n'est en outre pas remise en cause.

Sur la loi applicable dans les relations entre M. [T] et la banque ING':

A l'appui de sa demande d'application de la loi néerlandais, la banque ING invoque l'article 4, point 1, du règlement dit Rome II pour considérer qu'en l'espèce le dommage invoqué par M. [T], qui résulte de l'inscription de la somme ayant été virée, est nécessairement survenu aux Pays-Bas où le compte bénéficiaire a été crédité.

Tant M. [T] que le Crédit mutuel ne produisent aucun moyen pour s'opposer à une telle demande, mais ne fondent toutefois leurs prétentions à l'encontre de la banque ING que sur les dispositions du droit français.

Sur ce,

Les parties conviennent que les relations entre M. [T] et la banque ING sont de nature extra-contractuelle, alors qu'il est constant que le payeur est en l'espèce un tiers à la convention de compte de dépôt conclue entre la banque ING et son propre client.

L'article 4 du règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles («'Rome II'») est applicable à l'espèce, dès lors que le litige ne porte sur aucun des contentieux spécifiques prévus à ses articles 5 à 9. Selon la règle générale qu'il prévoit':

1. Sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quel que soit le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent.

2. Toutefois, lorsque la personne dont la responsabilité est invoquée et la personne lésée ont leur résidence habituelle dans le même pays au moment de la survenance du dommage, la loi de ce pays s'applique.

3. S'il résulte de l'ensemble des circonstances que le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé aux paragraphes 1 ou 2, la loi de cet autre pays s'applique. Un lien manifestement plus étroit avec un autre pays pourrait se fonder notamment sur une relation préexistante entre les parties, telle qu'un contrat, présentant un lien étroit avec le fait dommageable en question.

Par ailleurs, le considérant n° 7 du règlement Rome II recommande que «'le champ d'application matériel et les dispositions du présent litige devraient être cohérent par rapport au règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (Bruxelles I) et les instruments relatifs à la loi applicable aux obligations contractuelles'». Ce considérant est également applicable au règlement Bruxelles I bis, ayant refondu ledit règlement.

Si ce considérant souligne la cohérence souhaitée entre les règlements Bruxelles I bis et Rome II, la Cour de justice de l'Union européenne a toutefois précisé que « s'il ressort, certes, du considérant 7 du règlement no 864/2007 que le législateur de l'Union a cherché à assurer une cohérence entre, d'une part, le règlement no 44/2001 et, d'autre part, le champ d'application matériel ainsi que les dispositions du règlement n° 864/2007, il n'en découle toutefois pas que les dispositions du règlement n° 44/2001 devraient, partant, être interprétées à la lumière de celles du règlement n° 864/2007. En aucun cas la cohérence voulue ne saurait conduire à donner aux dispositions du règlement no 44/2001 une interprétation étrangère au système et aux objectifs de celui-ci » (CJUE, 16 janvier 2014, , C 45/13, point 20).

A cet égard, le règlement Bruxelles 1 bis prévoit d'une part qu'en matière délictuelle ou quasi délictuelle, le principe visé par l'article 4, point 1, est la compétence des juridictions du domicile du défendeur. D'autre part, selon une jurisprudence européenne constante, la règle de compétence spéciale prévue à l'article 7, point 2, de ce même règlement, qui permet au requérant de porter son action en matière délictuelle ou quasi délictuelle devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire, doit être interprétée de manière autonome et stricte (arrêt du 12 mai 2021, Vereniging van E'ectenbezitters, C-709/19).

Il résulte sur ce point de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que':

- dans le cas où le lieu où se situe le fait susceptible d'entraîner une responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle et le lieu où ce fait a entraîné un dommage ne sont pas identiques, l'expression « lieu où le fait dommageable s'est produit » doit être entendue en ce sens qu'elle vise à la fois le lieu où le dommage est subi et le lieu de l'événement causal (CJCE, Mines de potasse d'Alsace, 30 novembre 1976, n° 21/76), - que cette notion doit cependant être interprétée en ce sens qu'elle ne vise pas le lieu où la victime prétend avoir subi un préjudice patrimonial consécutif à un dommage initial survenu et subi par elle dans un autre État contractant (CJCE, [M] [K], 19 septembre 1995, C-364/93), ni le lieu du domicile du demandeur où serait localisé le centre de son patrimoine, au seul motif qu'il y aurait subi un préjudice financier résultant de la perte d'éléments de son patrimoine intervenue et subie dans un autre État contractant (CJCE, Rudolf Kronhofer, 10 juin 2004, C-168/02)

- et que, si les juridictions du domicile du demandeur peuvent être compétentes, au titre de la matérialisation du dommage allégué, lorsque celui-ci résulte d'un acte illicite commis dans un autre État membre et qu'il consiste en un préjudice financier se réalisant directement sur un compte bancaire du demandeur auprès d'une banque établie dans le ressort de ces juridictions (CJUE, [X] [P], 28 janvier 2015, C-375/13, CJUE, Helga Löber,12 septembre 2018, C-304/17), c'est à la condition qu'il existe d'autres points de rattachement concourant à attribuer une compétence à ces juridictions (CJUE, Universal Music International Holding, 16 juin 2016, C-12/15).

En l'espèce, dès lors que la responsabilité de la banque Ing est recherchée sur le fondement d'un manquement à son obligation de vigilance à l'égard de fonds qui avaient été virés, et auraient été frauduleusement appréhendés, sur des comptes ouverts dans ses livres aux Pays-Bas, le seul critère de rattachement à la France résulte de ce que les virements avaient été ordonnés depuis un compte ouvert depuis une banque française. S'agissant d'un préjudice financier, il en résulte qu'en principe, les juridictions néerlandaises avaient vocation, sous réserve de l'application de l'article 8, point 1 de la directive Bruxelles 1 bis, à être compétente pour statuer sur l'action engagée par M. [T] à l'encontre d'Ing. En effet, le dommage s'est matérialisé sur le compte ouvert dans les livres de la banque néerlandaise, alors que le compte ouvert en France par M. [T] dans les livres du Crédit mutuel, ou encore le domicile de M. [T] ne sont que les lieux où la victime a mesuré les conséquences financières des agissements invoqués, de sorte que la juridiction française n'était pas compétente pour connaître du litige, en l'absence d'un faisceau d'éléments rattachant suffisamment ce litige à la France.

Alors que l'article 4, point 1, pose le principe d'une application de la loi de l'État où le dommage survient, la cohérence souhaitée entre les règlements Bruxelles 1 bis et Rome 2 trouve à s'appliquer, dès lors que ces deux instruments partagent une même logique visant à concentrer la compétence et la loi applicable sur l'État-membre où le fait dommageable s'est produit, pour des raisons de bonne administration de la justice et d'organisation utile du procès. En e'et, en matière délictuelle ou quasi délictuelle, le juge du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire est normalement le plus apte à statuer, notamment pour des motifs de proximité du litige et de facilité d'administration des preuves (CJUE 18 juillet 2013, Öfab, C-147/12, point 50).

Le critère du fait générateur étant enfin exclu par cet article 4, il en résulte que la loi néerlandaise doit s'appliquer au présent litige à l'égard d'Ing.

Le jugement critiqué est infirmé en ce qu'il a appliqué le droit français à l'égard d'Ing.

Sur la responsabilité des prestataires de services de paiement (PSP)':

Le litige implique exclusivement l'application du régime de responsabilité concernant les PSP, tant le Crédit mutuel que la banque ING n'étant pas prestataires de services d'investissement à défaut d'avoir participé à l'opération ayant conduit aux ordres de virement litigieux.

En outre, les parties s'accordent pour estimer que les opérations de virement ont été autorisées par M. [T] au sens de l'article L. 133-6 du code monétaire et financier dès lors que ce dernier invoque en particulier une violation par le PSP d'une obligation de vigilance qui est précisément exclue dans le cadre du régime des opérations non autorisées, tel que déterminé par la directive 2015/2366/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 (dite DSP 2) et par les articles L. 133-18 et suivant du code monétaire et financier l'ayant transposée en droit français.

=> s'agissant du Crédit mutuel':

> au titre d'un devoir spécial de vigilance':

En premier lieu, M. [T] invoque la législation sur la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) pour estimer que le Crédit mutuel a manqué à ses obligations à ce titre, et que sa responsabilité civile du PSP est par conséquent engagée à son égard.

Pour autant, les obligations de'vigilance'et de déclaration imposées aux organismes financiers en application des'articles'L.'561-5 à L.'561-22 du code monétaire et financier'ont pour seule finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. La victime d'agissements frauduleux ne peut donc se prévaloir de l'inobservation de ces obligations pour réclamer des dommages-intérêts.

N'étant pas instituées dans l'intérêt particulier du client de la banque, ces règles prudentielles ne peuvent constituer un fondement valable à sa demande indemnitaire à l'encontre du Crédit mutuel, selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation (Cass. com., 28'avr. 2004, n°'02-15.054, confirmée par Cass. com., 21'sept. 2022, n°'21-12.335).

Même examinées à la lumière du dernier «'paquet'» de mesures anti-blanchiment adopté le 31 mai 2024 postérieurement aux virements litigieux, les dispositions du droit de l'Union européenne, et notamment la directive (UE) 2015/849 sur la LBC-FT, ne s'interprètent pas comme imposant en faveur du consommateur l'application de cette législation spécifique par le juge national, alors que le seul visa de considérants généraux ne peut autoriser que l'ensemble de la réglementation résultant de cette directive ou de l'ensemble des directives adoptées profite systématiquement aux consommateurs.

=> au titre du devoir général de vigilance':

Lorsque l'opération de paiement est autorisée, si la banque est tenue à une obligation de non-ingérence dans les affaires de son client, quelle que soit la qualité de celui-ci, et n'a pas à procéder à de quelconques investigations sur l'origine, la destination et l'importance des fonds versés sur ses comptes ni même à l'interroger sur l'existence de mouvements de grande ampleur, dès lors que ces opérations ont une apparence de régularité et qu'aucun indice de falsification ne peut être décelé, le principe de non-ingérence laisse subsister la responsabilité contractuelle du banquier qui accepte d'enregistrer une opération dont l'illicéité ressort d'une anomalie apparente, c'est-à-dire une anomalie qui ne doit pas échapper au banquier diligent.

Si le devoir de non-immixtion trouve ainsi sa limite dans le devoir de surveillance du banquier, celui-ci est toutefois cantonné à la détection des seules anomalies apparentes, qu'elles soient matérielles, lorsqu'elles affectent les mentions figurant sur les documents ou effets communiqués au banquier, ou intellectuelles, lorsqu'elles portent sur la nature des opérations effectuées par le client et le fonctionnement du compte.

En présence d'une anomalie apparente, le banquier teneur de compte doit mettre en 'uvre les moyens nécessaires pour qu'aucun préjudice ne soit subi, ni par son cocontractant ni par les tiers. Ce devoir implique que le banquier procède, dans le cadre d'une obligation de se renseigner, à des investigations supplémentaires pour choisir le comportement adapté à la situation. Le comportement adéquat peut consister à refuser d'exécuter l'opération, ainsi qu'il y est autorisé par l'article L. 133-10 du code de commerce.

Alors que le banquier est également susceptible d'engager sa responsabilité contractuelle à l'égard de son client, soit pour un retard dans l'exécution de l'ordre de virement, soit pour un refus d'exécuter cet ordre en application de l'article L. 133-10 précité, les diligences qu'il lui appartient d'effectuer, en présence d'une telle anomalie, ne peuvent toutefois outrepasser les seules vérifications lui permettant de lever le doute sur une apparence, dès lors qu'il convient de garantir un équilibre entre ses obligations antagonistes de non-immixtion et de prudence. Tenu à une obligation de moyens, il ne lui incombe ni de procéder à des investigations approfondies et de se livrer à une enquête sur ces anomalies, ni de garantir à son client le résultat de l'opération exécutée sur le compte.

Enfin, le devoir de vigilance s'attache à la qualité de prestataire de services de paiement et existe dès lors que le banquier se trouve en présence d'anomalies apparentes dans l'emploi d'un moyen de paiement susceptibles d'affecter le fonctionnement du compte ouvert par le client, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que cet établissement teneur de compte est ou non intervenu dans l'opération ayant donné lieu à un tel paiement : il en résulte que ce devoir existe même dans l'hypothèse où la banque teneur de compte n'a pas proposé ou participé à l'investissement pour lequel l'ordre de virement est donné à l'établissement bancaire, dès lors qu'en particulier, le client n'invoque pas sa qualité de prestataires de services d'investissement et l'obligation de mise en garde qui s'y attache.

En l'espèce, aucune anomalie matérielle n'affectait la régularité des ordres de'virement'transmis, l'ordre de paiement ayant bien été donné par le titulaire du compte qui l'a signé.

L'état des comptes de M. [T] a d'ailleurs permis la couverture des'virements'demandés.

Les ordres de virement litigieux ont été initiés par M. [T] entre le 29 novembre 2017 et le 20 février 2018. Il en résulte notamment que l'information postérieure à ces dates par les autorités de surveillance ou de contrôle (pièces 15, 19 à 27 de M. [T]) ne peut être prise en compte pour apprécier le niveau de vigilance qu'un PSP normalement attentif devait adopter à la période visée par l'espèce en fonction des risques identifiés.

Il porte sur les montants suivants':

* au profit d'une société High colors limited': à destination d'un compte ouvert en Grande Bretagne':

- 1 000 euros le 29 novembre 2017

- 15 886 euros le 7 décembre 2017

- 25 600 euros le 14 décembre 2017

* au profit d'une société AVMP Woking BV': à destination d'un compte ouvert aux Pays-Bas': 35 000 euros le 20 février 2018

Il convient d'examiner les circonstances dans lesquelles ces virements sont intervenus pour déterminer s'ils étaient affectés d'anomalies apparentes intellectuelles imposant au PSP de procéder à des vérifications complémentaires.

En premier lieu, si le fonctionnement habituel du compte de M. [T] ne visait que des opérations situées sur le territoire français, la domiciliation des bénéficiaires dans des établissements bancaires étrangers ne présentait aucune anomalie apparente. La destination des virements n'était en outre pas révélatrice d'un risque de fraude à l'égard de M. [T] : la Grande-Bretagne était à l'époque et les Pays-bas sont en effet des États membres de l'Union européenne et membres de la zone SEPA, dont l'implication notoire de leurs établissements bancaires dans des fraudes financières n'est pas démontrée sur la période des virements litigieux.

En deuxième lieu, la fréquence et les montants des opérations effectuées ont conduit M. [T] à ordonner à son PSP de procéder, en l'espace de deux mois et demi, à des versements d'un montant total d'environ de 77 000 euros, alors que la plupart des opérations habituelles affectant le compte portaient essentiellement sur des paiements par chèque et carte bleue et prélèvements de dépenses courantes, et des virements effectués entre les comptes de M. [T].

Pour autant, la référence au fonctionnement habituel du compte doit être appréciée spécifiquement en l'espèce, dès lors que les opérations litigieuses ont été réalisées dans un contexte de restructuration des capitaux dont disposait M. [T]. A cet égard, ce dernier ne conteste pas que les virements ont été exécutés après qu'il a procédé à des retraits de son PEA pour permettre le financement de ses investissements. M. [T] a ainsi clairement manifesté sa volonté de modifier une partie de ses placements antérieurs en liquidant certains actifs pour lui permettre de procéder à de nouveaux investissements.

La référence au montant mensuel des revenus de M. [T] n'est ainsi pas pertinente.

Contrairement aux allégations de M. [T], son compte fait apparaître, antérieurement aux virements litigieux, des opérations portant sur des montants ponctuellement importants, et notamment deux chèques d'un montant respectif de 6 400 euros, le 9 mai 2017 et de 9 315 euros le 24 mai 2017.

Sous cette réserve, si le montant tant individuel que global des virements litigieux déroge globalement au fonctionnement antérieur du compte, cette modification s'inscrit en réalité dans un changement de l'alimentation elle-même de ce compte, qui révèle la volonté de son titulaire de procéder à d'importants investissements. L'importance de ces virements, que n'autorisait pas son seul fonctionnement antérieur et son solde limité, n'est ainsi que le reflet de l'augmentation du solde créditeur de ce compte.

La corrélation entre l'évolution des virements effectués par M. [T] pour alimenter son compte et l'augmentation du montant des virements réalisés au profit de sociétés tierces est ainsi exclusive d'une anomalie apparente dans le fonctionnement du compte au cours de cette période singulière de redéfinition de ses placements par son titulaire.

En troisième lieu, l'information à destination des PSP par les autorités judiciaires ou financières sur les fraudes en matière bancaire n'a été que très progressive.

A cet égard, le communiqué du 31 mars 2015 par le Parquet de Paris et l'AMF ne concerne pas ce type de fraudes, mais vise le marché des devises sur le Forex, le crédit et les escroqueries par faux ordres de virement, situations non applicables à l'espèce. Les rapports annuels successifs du Tracfin appelant au développement de dispositifs de vigilance plus structurés s'inscrivent dans le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, étant observé que l'extrait du rapport 2016 concerne essentiellement les investissements «'en matières premières, dont les diamants physiques'». En réalité, M. [T] ne produit aucun document ayant attiré l'attention des PSP sur la vente de Bitcoins, antérieurement à la date des virements litigieux. Il en résulte que la seule mention BTC figurant sur les seuls virements effectués à destination de la Grande-Bretagne ne suffisait pas à conduire le banquier à exercer un contrôle particulier de ces opérations. L'analyse rétrospective à laquelle M. [T] se livre, notamment sur les dangers liés à l'acquisition de crypto-monnaies, n'est ainsi pas pertinente.

Le faisceau d'indices invoqué par M. [T] pour établir la nécessité pour le PSP de procéder à une surveillance de son compte n'est ainsi pas constitué, alors qu'il convient enfin de rappeler qu'il n'incombe aucune obligation générale de mise en garde au banquier teneur de compte.

Le Crédit mutuel n'était ainsi pas débiteur d'une obligation de vigilance particulière, en l'absence d'anomalies apparentes affectant les opérations litigieuses.

Le moyen n'est pas fondé.

> au titre d'une obligation d'information':

D'une part, l'obligation pré-contractuelle d'information prévue par l'article 1112-1 du code civil et intéressant la formation du contrat, est étrangère au litige, qui concerne une action en responsabilité au titre d'un manquement reproché au banquier teneur de compte dans l'exécution du contrat qui le lie au titulaire du compte.

D'autre part, les obligations du banquier teneur de compte ne se confondent pas avec celles du banquier prêteur de deniers': à cet égard, il n'existe au profit du titulaire d'un compte bancaire aucune obligation générale d'information à la charge du banquier chargé d'exécuter un ordre de virement, qui relèverait du droit commun de la responsabilité contractuelle. Au surplus, l'information de l'utilisateur du service de paiement implique que le PSP soit en mesure de la fournir, alors qu'il a été précédemment indiqué qu'aucune anomalie apparente n'affectait les virements litigieux, de sorte que son objet est en réalité inexistant.

Le moyen n'est pas fondé.

En définitive, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [T] de ses demandes indemnitaires à l'encontre du Crédit mutuel.

=> s'agissant de la banque ING':

Il incombe au juge français, qui reconnaît applicable un droit étranger, d'en rechercher la teneur, soit d'office, soit à la demande d'une partie qui l'invoque, avec le concours des parties et personnellement s'il y a lieu, et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger.

> Sur l'application de l'article 7:542 du code civil néerlandais':

la banque ING invoque (en gras dans sa reproduction de cet article dans ses conclusions) la présomption d'exécution régulière d'un virement concernant l'identité du bénéficiaire dont le PSP bénéficie lorsqu'il exécute ce virement conformément à l'Iban que le payeur lui a remis.

Il est admis que cette règle est applicable tant au PSP du payeur qu'à celui du bénéficiaire (CJUE, 21 mars 2019, Tecnoservice int. Srl, n° C-245/18, point 30).

Pour autant, les dispositions de l'article 7':542 du code civil néerlandais constitue en réalité la transposition de l'article 87 de la DSP 2 (et 74 de la DSP 1), dans une rédaction quasi-équivalente à celle de l'article L. 133-21 du code monétaire et financier en droit français.

A ce titre, elles sont doublement étrangères à l'objet du présent litige':

- d'une part, elles ne concernent que les opérations «'mal exécutées'» par le PSP, En l'espèce, aucune exécution défectueuse n'est reprochée ou établie à l'encontre de la banque ING, en l'absence de toute erreur commise par ce PSP, alors qu'il n'est pas davantage allégué que l'Iban communiqué par M. [T] aurait été inexact.

- d'autre part, et au surplus, elles ne visent que l'identité du bénéficiaire, et non l'absence de fraude qu'un PSP normalement diligent devrait identifier lorsque l'opération a été autorisée.

Le moyen invoqué par la banque ING est par conséquent inopérant.

> Sur l'obligation de vigilance du PSP en droit néerlandais':

En droit néerlandais, l'obligation de vigilance du banquier (zorgplicht) vis-à-vis de son client s'est développée à travers la jurisprudence de la Hoge Raad (Cour suprême des Pays-Bas). Elle joue un rôle important dans le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, mais également dans la responsabilité civile de la banque en cas d'opérations suspectes.

* S'agissant de la législation LBC-FT, la Wet ter voorkoming van witwassen en financieren van terrorisme (WWFT) (loi sur la prévention du blanchiment et du financement du terrorisme, en vigueur depuis 2008) impose aux banques d'identifier leurs clients, de vérifier l'origine des fonds, de signaler les transactions inhabituelles (meldingsplicht), et de mettre en place un monitoring permanent.

Cette obligation est d'ordre public.

Si une banque manque à son obligation de signalement et de surveillance (WWFT), elle peut être sanctionnée par l'Autoriteit Financiële Markten (AFM) et la De Nederlandsche Bank (DNB) (amendes administratives, retrait de licence).

Sur le plan civil, un client victime d'un virement frauduleux peut agir contre la banque en invoquant la violation de la zorgplicht, notamment si l'opération présentait des anomalies que la banque aurait dû détecter, contrairement à l'appréciation portée par la jurisprudence française.

Toutefois, la responsabilité de la banque n'est pas automatique : elle est appréciée selon la gravité de l'anomalie et la vigilance que l'on pouvait attendre d'un banquier raisonnable.

En l'espèce, M. [T] n'établit pas que la banque ING aurait dû suspecter qu'un virement unique de 35 000 euros émanant d'un particulier français, dont aucune mention ne révélait la nature de l'opération, était de nature à la conduire à signaler une telle opération comme susceptible de relever de la législation LBC-FT. De même, il ne fournit aucun élément qui révèle que la banque ING avait connaissance de l'activité délinquante de son propre client et qu'elle aurait dû à ce titre exercer une surveillance particulière des mouvements affectant le compte du bénéficiaire de ce virement de 35 000 euros.

* S'agissant de l'obligation de vigilance contractuelle envers le client

Indépendamment de la WWFT, la banque est tenue d'une zorgplicht contractuelle vis-à-vis de son client.

Cette obligation découle de l'article 2:9 BW (Burgerlijk Wetboek, code civil néerlandais) sur le devoir de diligence des administrateurs, et plus directement de la jurisprudence de la Hoge Raad.

La banque doit donc :

- agir comme un « banquier raisonnable et diligent »,

- empêcher que le client soit lésé par des opérations frauduleuses ou manifestement suspectes,

- alerter ou bloquer une transaction si elle présente des anomalies apparentes (opvallende onregelmatigheden).

La banque a une responsabilité spécifique de vigilance, en particulier lorsqu'il existe des indices clairs de fraude ou de blanchiment. La Hoge Raad (HR) retient que la fonction sociale d'une banque implique qu'elle a une obligation particulière de diligence (« bijzondere zorgplicht ») à l'égard de tiers, et pas seulement vis-à-vis de ses clients. (Hoge Raad (HR) 23 décembre 2005, Safe Haven : https://uitspraken.rechtspraak.nl/details'id=ECLI:NL:HR:2005:AU3713)

Cette jurisprudence a été ultérieurement confirmée de façon constante':

- HR 23 décembre 2011, ING Bank selon laquelle la banque engage sa responsabilité si elle exécute un ordre de paiement malgré des irrégularités évidentes, notamment en cas de signature manifestement fausse ou d'instruction incohérente.

- HR 27 nov. 2015 : la zorgplicht peut également concerner des tiers, et notamment des investisseurs victimes d'une fraude, lorsque la banque aurait dû détecter des signaux d'alerte.

https://uitspraken.rechtspraak.nl/details'id=ECLI:NL:HR:2015:3399

La jurisprudence néerlandaise est à cet égard concordante avec l'interprétation de la loi française par la Cour de cassation sur le devoir de vigilance incombant au PSP. Il en résulte que l'analyse précédemment effectuée à l'égard du Crédit mutuel est également applicable à la banque ING, dont la responsabilité ne peut être engagée au titre d'une obligation de vigilance, dès lors que M. [T] n'établit pas l'existence d'une anomalie apparente qu'il lui aurait appartenu de relever lors de l'exécution du virement litigieux au profit de son propre client.

Le moyen n'est pas fondé.

Le jugement critiqué est par conséquent confirmé en ce qu'il a débouté M. [T] de ses demandes à l'encontre de la banque ING.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile :

Le sens du présent arrêt conduit :

- d'une part à confirmer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile,

- et d'autre part, à condamner M. [T], outre aux entiers dépens d'appel, à payer respectivement au Crédit mutuel et à la banque ING la somme de 1'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de l'instance d'appel.

En application de l'article 699 du code de procédure civile, la cour autorisera Me Virginie Levasseur à recouvrer directement contre la personne condamnée les dépens les dépens d'appel dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement rendu le 30 janvier 2024 par le tribunal judiciaire de Boulogne-Sur-Mer dans toutes ses dispositions ;

Y ajoutant':

Condamne M. [W] [T] aux dépens d'appel ;

Autorise Me Virginie Levasseur à recouvrer directement contre M. [T] les dépens d'appel dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision';

Condamne M. [W] [T] à payer respectivement à la Caisse régionale de Crédit mutuel d'[Localité 4] et à la société ING bank N.V, la somme de 1'000 euros au titre des frais irrépétibles qu'elles ont exposés en appel, en application de l'article 700 du code de procédure civile';

Déboute les parties de leurs demandes contraires ou plus amples.

Le greffier

Le président

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