CA Metz, ch. com., 13 juin 2019, n° 19/00167
METZ
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
CABINET COMPTABLE LEREBOULET SIMMER (SARL)
Défendeur :
CASTELLETTO
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme GUIOT MLYNARCZYK
Conseillers :
Mme DEVIGNOT, Mme FOURNEL
Avocat :
Me François RIGO
Mme Y Z, gérante de la SARL Cappuccino, a confié à la SARL Cabinet Comptable Lereboulet Simmer (la SARL Lereboulet) l'établissement des documents comptables de sa société.
Le 12 février 2015 une procédure de sauvegarde a été ouverte à l'encontre de la SARL Capuccino et par jugement du 9 avril 2015, la société a été placée en liquidation judiciaire.
Par acte sous seing privé du 11 mars 2015, Mme Z a reconnu que sa société devait la somme de 23.633,15 euros à la SARL Lereboulet et a déclaré se porter caution personnelle de cette somme, s'engageant expressément et à titre personnel, à la régler en 12 mensualités.
Par acte d'huissier en date du 19 octobre 2015, la SARL Lereboulet a fait assigner Mme Z devant le tribunal de grande instance de Thionville afin de la voir condamner à lui verser la somme de 23.633,15 euros avec intérêts au taux légal à compter du 4 juin 2015, outre une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.
Mme Z s'est opposée aux demandes et a soutenu que l'engagement de caution lui était inopposable, en raison d'un défaut d'information du cabinet comptable et d'une disproportion de l'engagement à sa situation, sollicitant en outre la condamnation du demandeur à lui verser une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Par jugement en date du 15 mai 2017, le tribunal de grande instance de Thionville a :
- dit n'y avoir lieu à prononcer la nullité du cautionnement souscrit le 11 mars 2015 par Mme Z
- dit que la SARL Lereboulet est déchue de son droit à se prévaloir du contrat de cautionnement souscrit le 11 mars 2015 par Mme Z
- rejeté le surplus des demandes
- condamné la SARL Lereboulet à régler à Mme Z la somme de 1.200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
Le tribunal a estimé que l'acte signé par Mme Z le 11 mars 2015 était un acte unilatéral qui devait s'analyser en un cautionnement, aux motifs qu'elle s'était engagée à titre personnel à régler les sommes dues par la SARL Cappuccino et non à régler une dette propre et que l'acte litigieux faisait expressément référence au cautionnement, de même que le courrier du 11 mars 2015.
Sur la nullité du cautionnement, il a estimé que l'existence de man'uvres dolosives n'était pas démontrée par Mme A B la disproportion, il a considéré que la SARL Lereboulet ne s'était pas assurée des capacités financières de la caution qui justifiait de la modicité de ses revenus l'empêchant de faire face à son engagement, de sorte que la SARL Lereboulet ne pouvait se prévaloir de l'acte de cautionnement du 11 mars 2015.
Par déclaration déposée au greffe de la cour d'appel de Metz le 24 juillet 2017, la SARL Lereboulet a interjeté appel de cette décision.
Elle conclut à l'infirmation du jugement et demande à la cour de débouter Mme Z de l'ensemble de ses demandes et de la condamner à lui verser la somme de 23.633,15 euros avec intérêts au taux légal à compter du 4 juin 2015, outre 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens.
Sur la qualification de l'acte du 11 mars 2015, l'appelante expose qu'il ne peut être analysé comme étant un cautionnement au regard de l'article 2288 du code civil, puisque le cautionnement vise une dette hypothétique dans le cas où le débiteur principal ne remplit pas ses obligations, alors qu'en l'espèce, la dette était parfaitement échue et il n'y avait aucune possibilité pour que la SARL Cappuccino la règle. Elle précise que l'acte exclut le fait que cette société règle sa dette et considère qu'il s'agit d'un engagement autonome et unilatéral de la part de Mme Z de procéder au paiement de la somme réclamée. Elle ajoute que les terminologies employées par les parties ne peuvent remettre en cause la réalité de l'acte et leur volonté.
La SARL Lereboulet soutient que Mme Z a abusé de sa confiance en la laissant réaliser tous ses travaux comptables pendant plusieurs années sans la payer et qu'elle ne peut solliciter la nullité du cautionnement au motif que le cabinet comptable ne l'aurait pas éclairée sur la nature et la portée de son engagement. Sur le défaut d'information de la situation irrémédiablement compromise de la SARL Cappuccino, elle rappelle que l'intimée était gérante de cette société et qu'elle a elle même sollicité l'ouverture d'un plan de sauvegarde, de sorte qu'elle était parfaitement informée de la situation de sa société.
Subsidiairement, sur l'application de l'article L.341-4 du code de la consommation, l'appelante fait valoir que l'intimée ne justifie pas de ses revenus et patrimoine au jour de la signature de l'acte et que le caractère disproportionné de l'engagement n'est pas établi.
Mme Z demande à la cour de :
- à titre principal, infirmer le jugement ayant rejeté la demande de nullité du cautionnement souscrit le 11 mars 2015, prononcer la nullité de ce cautionnement et débouter la SARL Lereboulet de l'ensemble de ses prétentions
- à titre subsidiaire, confirmer le jugement en toutes ses dispositions et débouter la SARL Lereboulet de ses demandes
- en tout état de cause, condamner la SARL Lereboulet à lui régler une somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
Elle soutient, à la lecture des termes employés dans l'acte signé le 11 mars 2015 et dans le courrier de la SARL Lereboulet du même jour, que l'engagement litigieux doit être qualifié de cautionnement et qu'il ne peut s'agir d'un acte unilatéral au sens de l'article 1103 du code civil.
L'intimée estime que ce cautionnement est nul puisque la SARL Lereboulet ne l'a pas éclairée sur la portée de son engagement et ne l'a pas informée de la situation irrémédiablement compromise du débiteur principal. Elle ajoute que cet engagement était disproportionné à ses revenus et donc entaché de nullité.
Vu les écritures déposées le 13 février 2018 par la SARL Lereboulet et Associés et le 20 décembre 2017 par Mme Z, auxquelles la cour se réfère expressément pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens ;
Vu l'ordonnance de clôture en date du 7 février 2019 ;
Sur la demande en paiement
Attendu que selon les dispositions des articles 1134 et 1156 du code civil, dans leur version applicable au litige, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et il appartient au juge d'interpréterla convention selon la commune intention des parties plutôt qu'en s'arrêtant au sens littéral des termes ;
Que selon les dispositions des articles 1103 et 1326 du même code, dans leur version applicable au litige, le contrat est unilatéral lorsqu'une personne est obligée envers une autre, sans que de la part de cette dernière il y ait d'engagement et l'acte juridique par lequel une seule partie s'engage envers une autre à lui payer une somme d'argent doit être constaté dans un titre qui comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui même, de la somme en toutes lettres et en chiffres ;
Que selon les dispositions de l'article 2288 du même code, celui qui se rend caution d'une obligation se soumet envers le créancier à satisfaire à cette obligation, si le débiteur n'y satisfait pas lui même ;
Qu'il est constant que le 11 mars 2015 Mme Z a rédigé et signé l'acte sous seing privé suivant :
'Je soussigné Mme Z née le 17 janvier 1953 à Hettange Grande, associée unique et gérante de la SARL Capuccino (...) reconnais que cette société doit la somme de 23.633,15 euros (vingt trois mille six cent trente trois euros et quinze cts) à la société d'expertise comptable Lereboulet et la somme de mille quatre cent quatre vingt quinze cents 1.495 euros à la société fiduciaire Lereboulet. Je déclare me porter caution personnelle de ces sommes. Je m'engage expressément et à titre personnel à régler ces sommes en douze mensualités de deux mille quatre vingt quatorze euros et zéro 125 cents chaque mois. Fait à Thionville le 11 mars 2015' ;
Que si Mme Z affirme que cet acte est un cautionnement, il est rappelé que la caractéristique principale du cautionnement est son caractère accessoire ; qu'il est constaté qu'elle s'est s'est engagée à titre personnel à régler la somme de 23.633,15 euros à la SARL Lereboulet, sans mention du caractère accessoire de ce paiement ; que dès lors, même si le terme de caution est employé dans l'acte, cet engagement ne peut être considéré comme un cautionnement au sens de l'article 2288 du code civil, dans la mesure où en s'engageant à payer la somme due par la SARL Cappuccino sans limiter son engagement à l'absence de paiement par le débiteur principal, l'obligation de Mme Z n'était pas accessoire ; qu'en outre, si l'intimée invoque les termes d'un courrier de la SARL Lereboulet, il est constaté qu'il n'est pas produit aux débats ni visé au bordereau de pièces ;
Que l'engagement pris par Mme Z dans l'acte du 11 mars 2015 était bien un engagement unilatéral autonome de verser à la SARL Lereboulet une somme d'argent précise, sans condition ;
que les dispositions de l'article 1326 du code civil ont été respectées puisque l'acte a été rédigé et signé par Mme Z avec la mention écrite par elle même de la somme due en toutes lettres et chiffres, ce que l'intimée ne conteste pas ;
Qu'en conséquence, il convient d'infirmer le jugement et de condamner Mme Z à payer à la SARL Lereboulet la somme de 23.663,15 euros avec intérêt au taux légal à compter du 19 octobre 2015, date de l'assignation ;
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Attendu que Mme Z, partie perdante, devra supporter les entiers dépens et qu'il est équitable qu'elle soit condamnée à verser à la SARL Lereboulet et Associés la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; qu'il convient en outre de la débouter de sa propre demande de ce chef ;
PAR CES MOTIFS :
LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
INFIRME le jugement en toutes ses dispositions et statuant à nouveau,
CONDAMNE Mme Z à payer à la SARL Cabinet Comptable Lereboulet Simmer la somme de 23.663,15 euros (vingt trois mille six cent soixante trois euros et quinze centimes) avec intérêts au taux légal à compter du 19 octobre 2015 ;
CONDAMNE Mme Z à payer à la SARL Cabinet Comptable Lereboulet Simmer la somme de 2.000 (deux mille) euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE Mme Z de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE Mme Z aux entiers dépens.
Le présent arrêt a été signé par Madame GUIOT MLYNARCZYK, présidente de chambre à la cour d'appel de Metz et par Madame ADELAKOUN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.