CA Nancy, ch. com. 05, 23 octobre 2019, n° 18/01591
NANCY
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme DIEPENBROEK
Conseillers :
M. SOIN, M. FIRON
Avocats :
Me Frédérique MOREL, Me Olivier MERLIN, Me Alain BEGEL
Par acte sous seing privé du 21 mai 2015 intitulé 'reconnaissance de dette', enregistré au service des impôts des entreprises d'Epinal le 3 juin 2015, les époux X B et Y Z ont consenti à la SARL RDS, représentée par Mme C, ayant une activité de transformation et conservation de viande de boucherie, un prêt de 30 000 euros, remboursable le 1er juin 2016, par un versement unique du total de la somme augmenté d'un taux d'intérêt de 1 %, soit la somme totale de 30 300 euros.
Dans ce même acte, la gérante de la société, Mme C s'est engagée 'sur ses biens propres'.
La société RDS a été placé en redressement judiciaire le 24 novembre 2015 puis en liquidation judiciaire le 5 janvier 2016. Les époux B ont déclaré leur créance au passif de la procédure.
Par l'intermédiaire de leur assureur de protection juridique, la société Pacifica, les époux B ont mis en demeure Mme C, le 15 juin 2016, de payer la somme de 30 300 euros. Cette dernière leur a soumis un projet d'échéancier par un courrier du 2 septembre 2016 dans lequel elle proposait de régler la dette par versements mensuels de 100 euros jusqu'à extinction.
Ayant une nouvelle fois vainement mis en demeure Mme C, le 19 septembre 2016, d'avoir à honorer son engagement, les époux B l'ont assignée devant le tribunal de commerce d'Epinal, le 27 février 2017, en paiement de la somme de 30 300 euros.
Par jugement en date du 29 mai 2018, le tribunal a :
- constaté que la société RDS a été placée en liquidation judiciaire,
- constaté la validité de l'engagement personnel de Mme C au paiement de la dette contractée le 21 mai 2015 et déclaré la demande bien fondée,
- condamné Mme C à payer à M. et Mme B la somme de 30 300 euros,
- débouté Mme C de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,
- condamné Mme C à payer à M. Mme B la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit que Mme C pourra s'acquitter de sa dette en 24 remboursements mensuels et égaux, le premier ayant lieu dans les trente jours de la signification du jugement et que, faute pour elle de payer à bonne date une seule des mensualités à l'échéance prévue, la totalité des sommes restant dues deviendra de plein droit immédiatement exigible et que tout retard dans le règlement des échéances portera intérêts au taux légal,
- condamné Mme C aux dépens.
Pour se déterminer en ce sens le tribunal a relevé que, dans l'acte du 21 mai 2015, Mme C s'est engagée à ce que la dette puisse être recouvrée sur ses biens propres, et a considéré qu'il s'agit d'un engagement personnel, distinct de l'engagement existant entre la société RDS et les époux B, soumis au droit commun. Le tribunal a en outre estimé que la volonté de Mme C de s'engager, personnellement, à rembourser la dette pouvait être implicitement déduite de sa proposition d'échéancier en date du 2 septembre 2016.
Mme C a interjeté appel de ce jugement, par déclaration électronique transmise au greffe le 29 juin 2018, en ce qu'il a constaté la validité de son engagement personnel, déclaré la demande bien fondée, l'a condamnée au paiement de la somme de 30 300 euros à M. et Mme B et l'a déboutée de ses demandes.
En l'état de ses dernières écritures en date du 13 mars 2019, Mme C demande à la cour, à titre principal, de :
- dire et juger que Mme C ne s'est pas engagée à titre personnel à régler la somme en cause,
- voir débouter M. et Mme B de l'intégralité de leurs demandes,
- les voir condamner solidairement a payer à Mme C la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens de l'instance.
A titre subsidiaire, Mme C demande à la cour de :
- dire et juger que si Mme C s'est engagée comme caution, le formalisme légal n'a pas été respecté,
- dire que le cautionnement est nul et non avenu,
- voir débouter M. et Mme B de l'intégralité de leurs demandes,
- les voir condamner solidairement a payer à Mme C la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens de l'instance.
Enfin, à titre infiniment subsidiaire, si la cour venait à la condamner, Mme C demande à ce que lui soient accordés les plus larges délais de paiement.
Mme C conteste tout engagement personnel de sa part et fait valoir qu'elle n'a signé l'acte de 'reconnaissance de dette' qu'en sa qualité de représentante légale de la société RDS et non en qualité de caution. Elle précise que la somme prêtée a été intégralement utilisée pour le règlement des factures de trois fournisseurs de la société RDS, ce qui lui a permis de redresser sa situation financière et qu'en outre l'acte de reconnaissance de dette a été signé dans un contexte professionnel, dans les locaux de la société, après consultation des associés.
L'appelante soutient par ailleurs qu'en s'engageant 'sur ses biens propres' elle visait seulement les biens propres de la société puisqu'elle agissait en qualité de gérante. Mme C précise que sa proposition d'échéancier en date du 2 septembre 2016 ne peut valoir reconnaissance implicite de son engagement personnel puisque, dans le même courrier, elle conteste le bien fondé de la créance.
En outre, si la cour venait à admettre qu'il s'agit d'un engagement personnel et que sont visés ses biens propres, le terme 'éventuellement' implique qu'il s'agirait d'un recours subsidiaire. Cet engagement ne pourrait dès lors qu'être qualifié de cautionnement, or le formalisme légal imposé par les dispositions du code de la consommation en matière de cautionnement n'ayant pas été respecté, notamment en ce qui concerne les mentions manuscrites prévues aux articles L.331-1 et L.331-2 du même code, cet engagement serait nul. A supposer enfin que cet acte puisse être considéré comme un commencement de preuve par écrit, alors qu'il ne comporte que sa signature en qualité de gérante, il devrait être complété par des éléments extrinsèques non rapportés en l'espèce.
Mme C soutient au surplus qu'elle ne pourrait être poursuivie dès lors qu'il n'est pas démontré que la société RDS, dont la liquidation n'est pas clôturée, ne pourra pas régler la dette. A titre infiniment subsidiaire, elle sollicite les plus larges délais de paiement faisant valoir que sa situation financière ne lui permet pas de régler l'intégralité de la somme réclamée, devant faire face avec son conjoint au remboursement de trois crédits et ayant la charge de deux enfants.
Par conclusions du 21 décembre 2018, les époux B demandent à la cour de :
- confirmer le jugement dont appel sauf en ce qu'il a accordé à Mme C un délai de 24 mois pour s'acquitter de sa dette, de ce seul chef, et sur appel incident,
- réformer le jugement et refuser tout délai à Mme C
Y ajoutant :
- condamner Mme C à verser à M. et Mme B la somme de 2 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de cour.
- condamner Madame A C aux entiers dépens de l'instance d'appel.
Les intimés soutiennent en réplique que l'engagement de Mme C sur ses biens propres est personnel et distinct de l'engagement de la société RDS. De plus, bien qu'ayant contesté le bien fondé de la créance dans sa proposition d'échéancier du 2 septembre 2016, Mme C a par la suite précisé qu'elle 'ne remet pas en cause la créance en elle même'. Les époux B considèrent donc que Mme C a reconnu son engagement et que son engagement est univoque et sans ambiguïté.
Ils ajoutent que la créance a été déclarée et admise dans la procédure de liquidation et que le liquidateur les a averti que les liquidités ne seraient pas suffisantes pour y faire face. Aussi la créance, qui est devenue exigible à l'échéance fixée le 1er juin 2016, est donc bien certaine, liquide et exigible. Au surplus s'agissant d'un cautionnement donné par le dirigeant il est présumé commercial, de sorte qu'il est nécessairement solidaire.
Sur la validité de l'engagement de Mme C, les époux B soutiennent d'une part que les articles L.331-1 et L.331-2 du code de la consommation n'ont pas vocation à s'appliquer dès lors qu'ils ne sont pas des créanciers professionnels. D'autre part, si les règles de l'ancien article 1326 et de l'article 2292 du code civil sont applicables, les formalités prescrites ne sont requises qu'à titre probatoire et n'affectent pas la validité de l'engagement de Mme C, l'acte du 21 mai 2015 constituant alors un commencement de preuve par écrit complété par l'élément extrinsèque que constitue la qualité de gérante de Mme C rendant parfaite la preuve de l'acte de cautionnement.
Enfin, au soutien de leur appel incident, les époux B soulignent que Mme C a, de fait, déjà bénéficié de larges délais de paiement en interjetant appel de la décision du tribunal.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 27 mars 2019.
Aux termes de l'acte sous seing privé du 21 mai 2015, intitulé 'reconnaissance de dette' dont le tribunal a repris les termes, Mme C, agissant au nom et en qualité de gérante de la SARL
RDS, a reconnu devoir aux époux B la somme de 30 000 euros. Cet acte comporte en outre la mention suivante : ' je certifie reconnaître mon engagement pour ladite société et que la dette pourra être poursuivie éventuellement sur mes biens propres'. Cette clause, qui s'ajoute à la clause précédente, présente un caractère ambigu et n'est susceptible d'être interprétée, ainsi que l'a exactement retenu le tribunal, que comme faisant référence à un engagement personnel de Mme C, en garantie de la dette de la société, la notion de 'biens propres' n'ayant en effet aucun sens s'agissant de biens sociaux, et le terme 'éventuellement' impliquant un caractère subsidiaire dont est dépourvu l'engagement de la débitrice principale.
Le caractère subsidiaire de l'engagement de Mme C conduit à lui conférer la qualification de cautionnement. L'appelante conteste vainement la validité de cet engagement au motif qu'il serait dépourvu des mentions manuscrites exigées à peine de nullité par les articles L.331-1 et L.331-2 du code de la consommation, ces dispositions n'ayant vocation à s'appliquer qu'aux cautionnements souscrits par actes sous seing privé, par des personnes physiques envers des créanciers professionnels, or il n'est pas soutenu que les époux B seraient des créanciers professionnels.
Le cautionnement étant un contrat unilatéral, les dispositions des articles 2292 et 1326 ancien, devenu 1376, du code civil, ont donc vocation à s'appliquer en l'espèce, l'acte devant être revêtu de la mention manuscrite exigée par le dernier de ces textes pour valoir preuve de l'engagement de caution. En l'espèce, l'acte comporte une première mention manuscrite apposée sous la mention selon laquelle Mme C agit au nom et en qualité de gérante de la société RDS, ainsi libellée : 'Je reconnais devoir la somme de 30 000 trente mille euro'. L'acte comporte une seconde mention manuscrite rédigée comme suit : 'Bon pour la reconnaissance de Trente mille trois cent EURO', suivie de la signature de l'appelante, cette mention étant apposée sous la mention dactylographiée suivante : 'Le débiteur de sa main écrira : Bon pour la reconnaissance de la somme (en chiffres et en lettres) et signera'.
Lesdites mentions manuscrites ayant été apposées par l'appelante d'une part en qualité de gérante de la société RDS et d'autre part de débitrice et non pas de caution, il convient donc de constater que l'acte est dépourvu de la mention exigée par l'article 1326 ancien du code civil pour valoir preuve de l'engagement de Mme C en qualité de caution et ne peut valoir que comme commencement de preuve par écrit.
Contrairement à ce que soutient Mme C, ce commencement de preuve par écrit est corroboré par des éléments extrinsèques constitués d'une part par sa qualité de gérante de la société débitrice principale et d'autre part par le courrier qu'elle a adressé aux intimés, le 2 septembre 2016, leur proposant la mise en place d'un virement permanent mensuel à hauteur de 100 euros, dans lequel elle indique certes que 'le bien fondé de cette créance n'est pas établi', mais ajoute immédiatement après qu'elle ne remet pas en cause la créance elle même mais le déroulement des événements postérieurs à cette double signature, ajoutant enfin : 'J'espère que ma collaboration pendant 20 ans avec Mr B aboutira à un accord positif, il m'a fait confiance pour prêter cet argent, j'avais confiance en la société RDS, nous avons été trahi (sic) tous les 2. Il n'en est pas responsable, je mettrai le temps pour lui rembourser la dette mais il retrouvera ses 30 000,00 euro.'
L'engagement de caution ayant été souscrit par la dirigeante de la société cautionnée, afin de garantir une emprunt destiné à permettre à celle ci de régler des dettes à l'égard de fournisseurs et de faire face à des difficultés de trésorerie, revêt un caractère commercial. La solidarité étant présumée en matière commerciale, Mme C ne peut donc utilement se prévaloir du bénéfice de discussion.
Le jugement entrepris doit donc être confirmé en ce qu'il a retenu la validité de l'engagement de caution souscrit par Mme C et en ce qu'il a accueilli la demande en paiement des époux B. Il le sera également en ce qu'il a accueilli la demande de délais de paiement de Mme C, qui justifie ne pas être en mesure de faire face immédiatement au règlement de sa dette, au regard de sa situation de revenus et de charges, sauf à dire que le premier versement devra intervenir dans les 30 jours de la signification de l'arrêt, le jugement n'étant pas assorti de l'exécution provisoire. La cour constate au surplus d'une part que l'un des emprunts dont fait état l'appelante est arrivé à son terme ce qui accroît ses capacités de remboursement de 548 euros et d'autre part que les délais accordés à l'appelante sont assortis d'une clause cassatoire permettant de préserver les intérêts des créanciers en cas de défaillance de Mme D
Mme C, qui succombe en son appel, supportera la charge des dépens d'appel ainsi que d'une indemnité de procédure de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, sa propre demande de ce chef étant rejetée.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
CONFIRME le jugement du tribunal de commerce d'Epinal en date du 29 mai 2018, sauf en ce qu'il a dit que le premier versement aurait lieu dans les trente jours de la signification du jugement ;
Réformant le jugement sur ce point et y ajoutant :
DIT que le premier versement devra intervenir au plus tard dans les 30 jours de la signification du présent arrêt ;
DEBOUTE Mme C de sa demande en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE Mme A C aux entiers dépens d'appel ainsi qu'à payer aux époux X B et Y Z une indemnité de procédure d'un montant de 1 500 € (mille cinq cents euros) en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, Présidente de chambre à la Cour d'Appel de NANCY, et par Madame Emilie ABAD, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.