CA Nancy, ch. civ. 02, 4 mai 2017, n° 16/00346
NANCY
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
BNP PARIBAS (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme CLAUDE MIZRAHI
Conseillers :
Mme GUIOT MLYNARCZYK, M. BRISQUET
Avocats :
Me Valérie BACH WASSERMANN, Me Alain CHARDON
Par acte sous seing privé du 3 septembre 2007, la SA BNP Paribas a consenti à la société Albinajosy, société en commandite simple, un prêt d'un montant de 25.000 euros remboursable en 84 mensualités. En garantie de ce prêt, M. S. associé commanditaire de la société s'est engagé au blocage de son compte courant d'associé pour un montant de 20.000 euros. Mme D., associée et gérante de la société, s'est engagée au blocage de son compte courant d'associé pour un montant de 5.000 euros, outre la signature d'un acte de cautionnement.
Par jugement du tribunal de commerce d'Epinal du 24 mars 2009, la société Albinajosy a été placée en liquidation judiciaire. La SA BNP Paribas a régulièrement déclaré sa créance auprès du mandataire liquidateur le 9 avril 2009 pour un montant de 21.516 euros et celle ci a été déclarée irrecouvrable par le mandataire liquidateur.
Par jugement du 23 novembre 2010, le tribunal de commerce d'Epinal a condamné Mme D. en sa qualité de caution à verser à la SCS Albinajosy la somme de 21.516 euros.
Par courrier du 8 juillet 2009, la SA BNP Paribas a mis en demeure M. S. de lui verser la somme de 20.000 euros en vertu de son engagement. En l'absence de réponse, elle l'a assigné le 13 juillet 2010 devant le tribunal de grande instance d'Epinal aux fins de le voir condamner à lui verser 20.000 euros avec intérêt au taux légal à compter de la mise en demeure outre une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
M. S. s'est opposé aux demandes et a sollicité une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 8 juillet 2011, le tribunal a condamné M. S. à verser à la SA BNP Paribas 20.000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 8 juillet 2009 et 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
Le tribunal a considéré que la demande était fondée sur un engagement contractuel et qu'en signant la clause de garantie, M. S. et l'autre associée Mme D., avaient renoncé à venir en concours avec le créancier de la société et accepté de n'être remboursés de leur avance en compte courant qu'après le remboursement de la banque. Il a ajouté que le contrat ne prévoyait pas que la SA BNP
Paribas doive faire jouer une autre garantie au préalable et a fait droit à sa demande.
M. S. a régulièrement interjeté appel de cette décision et conclut à l'infirmation du jugement. Il sollicite :
- à titre principal le rejet des demandes de la SA BNP Paribas
- à titre subsidiairement la limitation de sa condamnation à 8.000 euros
- en tout état de cause la condamnation de la SA BNP Paribas à lui verser 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
Il expose qu'il n'était pas tenu par son engagement contractuel, au remboursement du prêt en cas de défaillance de l'emprunteur, contrairement au cautionnement souscrit par Mme D. et estime qu'il s'est seulement engagé à ne pas empêcher voire à favoriser le remboursement de ce prêt. Il en déduit que la SA BNP Paribas ne pouvait l'assigner aux fins de remboursement du prêt sans dénaturer les termes de son engagement. L'appelant ajoute qu'il n'est pas démontré qu'il aurait manqué à ses obligation contractuelles et qu'il était seulement prévu que la société Albinajosy ne pouvait lui rembourser son compte courant fixé à 20.000 euros pendant la durée du prêt, ce qui a été respecté. Selon lui, le contrat ne prévoyait pas l'attribution préférentielle de son compte courant d'associé au remboursement du solde du prêt en cas de défaillance de l'emprunteur et de la caution, et la garantie qu'il a consentie n'était destinée qu'à assurer à la société une somme d'argent alimentant sa trésorerie et à renforcer ses chances de rembourser le prêt. Il rappelle que le blocage du compte courant ne signifie pas que la somme avancée par les associés figure sur un compte bloqué et que l'apport en compte courant ne se matérialise que par une dette de la société envers ses associés apporteurs. Il considère que l'engagement qu'il a pris était seulement de faire en sorte que la société ne rembourse pas ses dettes de compte courant avant d'avoir remboursé son prêt et estime que les mentions manuscrites figurant à l'acte de prêt confirment cette analyse, puisqu'il s'est engagé à accepter le blocage de son compte courant et ne s'est pas engagé selon les termes de l'article 1326 du code civil envers une autre à lui payer une somme d'argent.
M. S. fait également valoir que suite à la liquidation judiciaire de la société, il n'a pas récupéré le montant de son compte courant mais a seulement perçu la somme de 2.558,66 euros au titre de l'ensemble de ses créances à l'encontre de la société. Il considère que le tribunal a dénaturé les termes du contrat en disant qu'il était tenu de rembourser le prêt en lieu et place de l'emprunteur. A supposer qu'il se serait fait indûment payer sa créance sur le compte courant par la société, il estime que la SA BNP Paribas doit rapporter la preuve d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité pour obtenir des dommages et intérêts et qu'en aucun cas, la violation d'une disposition contractuelle ne peut justifier qu'il soit personnellement tenu de rembourser le prêt pour lequel il n'était ni co débiteur, ni caution.
L'appelant soutient encore que la banque a été négligente à l'égard de la société Albinajosy. Il expose que sa garantie en compte courant constitue une garantie accessoire au contrat principal de prêt et qu'il peut légitimement opposer au prêteur l'ensemble des exceptions que la société aurait pu lui opposer. Il indique que dès 2008, la gérante de la société, Mme D., a agi dans un intérêt contraire à celui de la société, qu'il a d'ailleurs initié une procédure pour voir désigner un administrateur provisoire et que la banque a été négligente en ne donnant pas suite à la demande de blocage des comptes de la société. Il ajoute que le comportement fautif de la gérante a été à l'origine de la dette de la société et qu'il ne peut en être tenu pour responsable. Enfin, à titre subsidiaire, M. S. fait valoir qu'il ne peut être responsable des dettes de la société qu'à hauteur de son apport en numéraire en application de l'article 1844-1 du code civil, soit la somme de 8.000 euros.
La SA BNP Paribas conclut à la confirmation du jugement de première instance, au rejet des demandes de M. S. et sollicite sa condamnation à lui verser 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
Sur la nature de l'engagement de l'appelant, elle reprend les termes du contrat, de l'article L.221-1 du code de commerce et des statuts de la société Albinajosy et précise que son action est fondée sur l'engagement contractuel de blocage de compte courant et d'affectation de celui ci consenti par M. S. le 3 septembre 2007, et non sur son seul statut d'associé commanditaire. Elle estime exacte la motivation du jugement qu'elle reprend à son compte et soutient que l'appelant cherche à semer la confusion entre son engagement et l'engagement de caution de Mme D., qui sont totalement autonomes s'agissant d'un contrat et d'une garantie. Elle précise qu'au moment de l'engagement, le compte courant d'associé de M. S. était créditeur de 20.000 euros et que celui ci s'est engagé personnellement au lieu et place de la société en acceptant que cette somme soit affectée au remboursement des sommes dues par l'emprunteur à la banque par préférence à celles qui pourraient lui être dues.
A titre subsidiaire, sur les prétendues négligences de la banque, l'intimée expose que l'obligation de M. S. résulte de son engagement contractuel et que les éventuels malversations de la gérante sont sans conséquence sur son engagement, ajoutant que son absence de réaction justifie d'autant plus l'action engagée. Sur la limitation de la somme due, elle soutient qu'en s'engageant à rendre les sommes indisponibles pendant plusieurs années, la convention de blocage constitue un mode de renforcement des fonds propres considéré comme un apport, de sorte que c'est à juste titre que le tribunal a condamné M. S. à lui verser 20.000 euros.
Vu les écritures déposées le 28 octobre 2016 par M. S. et le 7 octobre 2016 par la SA BNP Paribas, auxquelles la Cour se réfère expressément pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens ;
Vu l'ordonnance de clôture en date du 2 novembre 2016 ;
Sur la demande en paiement
Attendu que selon l'article 1134 du code civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi entre les parties ;
Qu'en l'espèce, aux termes du contrat de prêt signé le 3 septembre 2007, il était prévu en page 3 la clause suivante :
'Blocage des comptes courants d'associés : les livres de l'emprunteur font ressortir des comptes courants créditeurs pour un montant au moins égal à 5.000 euros pour Mme D. et 20.000 euros pour M. S.. Ces comptes courants devront, à concurrence de ce montant, rester bloqués pendant la durée du prêt global, dans les conditions ci après prévues sous l'article 'blocage des comptes courants d'associés ouverts sur les livres de l'emprunteur', sauf incorporation au capital social ou accord préalable de la banque pour leur déblocage' ;
Qu'en page 8 la clause blocage des comptes courants d'associés ouverts sur les livres de l'emprunteur est ainsi rédigée : Mme D. et M. S. déclarent :
- consentir pendant toute la durée du prêt à ce que toutes les sommes dues par l'emprunteur à la banque au titre du contrat soient payées par préférence et par antériorité à toutes celles que l'emprunteur pourrait leur devoir en principal, intérêts frais et accessoires au titre de la restitution des soldes créditeurs de leurs comptes courants d'associés mais dans la mesure seulement où ces règlements auraient pour conséquence de porter lesdits soldes créditeurs à un montant inférieur à 5.000 euros pour Mme D. et à 20.000 euros pour M. S.
- s'interdire de recevoir de l'emprunteur de quelque manière que ce soit et même par compensation, aucun paiement au titre desdits comptes courants d'associés sans l'accord préalable et écrit de la banque
- céder et transporter à la banque tous dividendes ou toutes sommes qui pourraient être attribuées à l'affectant jusqu'à concurrence du montant du prêt
- renoncer par avance à tout concours avec la banque et à toute subrogation tant que celle ci n'aura pas été intégralement désintéressée de toutes sommes dues
- n'avoir consenti aucune stipulation de non concurrence ni aucune cession d'antériorité, ni aucune délégation, cession ou transport de garantie concernant chacun des comptes courants d'associés et s'engager à n'en consentir à l'avenir au profit de quiconque ;
Qu'enfin, en page 14, M. S. a apposé la mention manuscrite 'bon pour acceptation de blocage de compte courant à concurrence de 20.000 euros sur les livres de la SCS Albinajosy' et sa signature ;
Attendu qu'il résulte de ces éléments que M. S. ne s'est pas engagé à rembourser le prêt souscrit par la SCS Albinajosy en cas de défaillance de la société et ne s'est pas porté caution de ce prêt, contrairement à Mme D. ; que son engagement contractuel portait uniquement sur le blocage de son compte courant d'associé pendant la durée du prêt ce qui l'empêchait de percevoir de la société la restitution du solde créditeur de son compte courant d'associé ou le paiement de toute somme au titre de ce compte ; qu'il n'est ni prétendu ni démontré par la banque que, pendant la durée du prêt, la SCS Albinajosy a versé à M. S. des sommes au titre de son compte courant d'associé, ni que celui ci aurait violé l'une des obligations de la clause contractuelle susvisée ; qu'en conséquence, M. S. ne peut être condamné à verser à la SA BNP Paribas la somme de 20.000 euros en application de la clause de blocage de compte courant d'associé ; que le jugement déféré est infirmé ;
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Attendu que la SA BNP Paribas, partie perdante, devra supporter les dépens et qu'il est équitable qu'elle soit condamnée à verser à M. S. la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; qu'il convient en outre de la débouter de sa propre demande de ce chef ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
INFIRME le jugement déféré et statuant à nouveau,
DEBOUTE la SA BNP Paribas de sa demande en paiement et de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la SA BNP Paribas à verser à M. S. la somme de mille cinq cents euros (1.500 €) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la SA BNP Paribas aux entiers dépens ;
Le présent arrêt a été signé par Madame CLAUDE MIZRAHI, Président de chambre à la Cour d'Appel de NANCY, et par Monsieur Ali ADJAL, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.