Cass. com., 7 février 2018, n° 16-12.808
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Banque calédonienne d'investissement (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocats :
SCP Thouin-Palat et Boucard, SCP Waquet, Farge et Hazan
Joint les pourvois n° X 16-24.004 et C 16-12.808, qui attaquent le même arrêt ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 4 mars 2014, n° 12-26.983), que M. X..., gérant de la société Votre Villa (la société Villa), a souscrit à titre personnel auprès de la société Banque calédonienne d'investissement (la banque), deux prêts, le premier sous la condition de l'affectation des fonds au compte de la société Villa, le second destiné à rembourser par anticipation le concours consenti à cette société et à apurer le solde débiteur de son compte courant ; que Mme X... s'est rendue caution de ce second prêt ; que, le 2 octobre 2006, la société Villa ayant été mise en liquidation judiciaire, la banque, après avoir déclaré sa créance au seul titre du solde débiteur du compte courant de la société Villa, a assigné en paiement des sommes dues au titre des prêts M. et Mme X..., qui ont recherché sa responsabilité pour manquement à ses devoirs de conseil et de mise en garde ;
Sur le premier moyen du pourvoi n° X 16-24.004, pris en ses première, deuxième, troisième, quatrième et cinquième branches :
Attendu que la banque fait grief à l'arrêt de dire qu'elle a manqué à ses obligations de conseil, d'information et de mise en garde à l'égard de M. X... et que cette faute justifiait sa condamnation à lui payer la somme de 7 millions FCFP à titre de dommages-intérêts alors, selon le moyen :
1°/ que le banquier dispensateur de crédit n'est pas, en cette seule qualité, tenu à l'égard de son client à une obligation de conseil et n'a pas à s'immiscer dans la gestion de ses affaires ; qu'en énonçant que la banque avait manqué, dans le cadre de l'octroi à M. X... de deux prêts personnels, avec stipulations expresses d'affectation au compte d'une société dont elle avait connaissance des difficultés, à une obligation de conseil et, qu'à ce titre, elle aurait dû l'informer de l'évolution négative des comptes de la société Villa vers une situation irrémédiablement compromise, le mettre en garde contre le risque de voir engager sa responsabilité personnelle par le mandataire liquidateur pour poursuite d'exploitation déficitaire avec la possibilité d'une action en comblement de passif et d'une condamnation pour faillite personnelle et s'interdire de participer à une opération de soutien abusif par personne interposée, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;
2°/ que le devoir d'information du banquier se limite à transmettre au client les caractéristiques du crédit qu'il lui consent ; qu'en considérant que la banque avait manqué à son obligation d'information à l'égard de M. X... et qu'à ce titre, elle aurait dû l'informer de l'évolution négative des comptes de la société Villa vers une situation irrémédiablement compromise et le mettre en garde contre le risque de voir engager sa responsabilité personnelle par le mandataire liquidateur pour poursuite d'exploitation déficitaire avec la possibilité d'une action en comblement de passif et d'une condamnation pour faillite personnelle, la cour d'appel a encore violé à ce titre l'article 1147 du code civil ;
3°/ qu'au titre du devoir d'information auquel il est tenu, le banquier dispensateur de crédit n'a pas à porter à la connaissance de son client une circonstance connue de lui et dont il peut se convaincre lui-même ; qu'en considérant que la banque aurait été tenue d'informer M. X... de l'évolution négative des comptes de la société Villa vers une situation irrémédiablement compromise et de le mettre en garde contre le risque de voir engager sa responsabilité personnelle par le mandataire liquidateur pour poursuite d'exploitation déficitaire avec la possibilité d'une action en comblement de passif et d'une condamnation pour faillite personnelle, tout en relevant expressément que M. X... était dirigeant de fait de ladite société et avait une parfaite connaissance de la situation financière de celle-ci, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 1147 du code civil ;
4°/ que l'établissement dispensateur de crédit n'est tenu à un devoir de mise en garde qu'à l'égard d'un emprunteur non averti ; que la cour d'appel a expressément relevé que M. X... était dirigeant de fait de la société Villa et avait une parfaite connaissance de la situation financière de celle-ci, faisant ainsi ressortir sa qualité d'emprunteur averti ; que la banque, qui ne disposait pas d'informations dont il n'avait pas connaissance, n'était dès lors tenue à son égard à aucun devoir de mise en garde ; qu'en considérant que le fait que M. X... ait, en sa qualité de dirigeant de fait de la société Villa, eu une parfaite connaissance de la situation financière de la société et ait pu trouver intérêt, au regard de sa situation personnelle, à diminuer la dette commerciale quitte à voir augmenter sa dette personnelle, n'était pas de nature à soustraire la banque à son obligation de mise en garde, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;
5°/ que l'établissement dispensateur de crédit n'est pas tenu à une obligation de mise en garde s'il établit que son client a la qualité d'emprunteur averti ; que, dans ses conclusions d'appel, la banque se prévalait expressément de la qualité d'emprunteur averti de M. X... et faisait valoir à cet égard que celui-ci, ingénieur de formation et expert près la cour d'appel de Nouméa, était associé fondateur et gérant de fait de la société Villa, qu'il avait une parfaite connaissance de la situation économique et financière de cette entreprise qu'il était à même d'appréhender compte tenu tant de son niveau intellectuel que de sa formation professionnelle et des fonctions réelles de gestion qu'il y exerçait et que c'est en parfaite connaissance de cause qu'il avait décidé d'en assumer la recapitalisation ; qu'en énonçant que le fait que M. X... ait, en sa qualité de dirigeant de fait de la société Villa, eu une parfaite connaissance de la situation financière de la société et ait pu trouver intérêt, au regard de sa situation personnelle, à diminuer la dette commerciale quitte à voir augmenter sa dette personnelle, n'était pas de nature à soustraire la banque à son obligation de mise en garde sans rechercher, comme il lui était expressément demandé, si M. X... n'avait pas la qualité d'emprunteur averti, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir relevé que c'est à l'initiative de la banque, qui reconnaît avoir eu connaissance des difficultés de la société et de l'objectif des prêts, que ceux-ci ont été demandés à titre personnel par M. X... avec stipulation expresse d'affectation au compte de la société Villa, la cour d'appel, qui n'a pas mis à la charge de la banque un devoir de conseil en raison de sa seule qualité de dispensateur de crédit, a pu retenir que la banque, qui avait délivré un conseil, avait engagé sa responsabilité à ce titre ;
Attendu, en deuxième lieu, que l'arrêt n'a pas retenu que la banque avait manqué à un devoir d'information à l'égard de M. X... ;
Attendu, enfin, que l'arrêt constate qu'à l'initiative de la banque, qui lui avait indiqué qu'elle n'était plus en mesure de financer la société Villa en raison de sa situation financière, M. X... avait souscrit les deux prêts à titre personnel avec affectation au compte de la société, ce dernier, confronté à un risque de sanction de sa gestion, préférant minimiser le passif de sa société avant le dépôt de bilan, qui lui paraissait à ce moment précis inéluctable ; qu'il relève que cette opération a profité essentiellement à la banque qui aurait dû s'interdire de participer à une opération de soutien abusif par personne interposée ; qu'il relève encore qu'il existait un risque pour M. X... de voir sa responsabilité personnelle engagée par le mandataire liquidateur pour poursuite d'exploitation déficitaire avec la possibilité d'une action en comblement de passif et d'une condamnation pour faillite personnelle ; qu'il retient, enfin, que le fait que M. X..., dirigeant de fait de la société Villa, ait eu une parfaite connaissance de la situation financière de la société et pu trouver intérêt, au regard de sa situation personnelle, à diminuer la dette commerciale tout en augmentant sa dette personnelle, n'est pas de nature à soustraire la banque à ses obligations ; que par ces constatations et appréciations, faisant ressortir que M. X... ne mesurait pas le risque d'endettement né de l'octroi de ces prêts qu'il encourait en souscrivant à une telle opération de crédit et n'était dès lors pas un emprunteur averti, la cour d'appel, qui a effectué la recherche prétendument omise, a pu retenir que la banque aurait dû le mettre en garde contre un tel risque et avait manqué à ce devoir ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le moyen unique du pourvoi n° C 16-12.808 :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de limiter à la somme de 7 000 000 FCFP le montant des dommages-intérêts mis à la charge de la banque pour avoir manqué à ses obligations de conseil, d'information et de mise en garde à son égard alors, selon le moyen :
1°/ que le propre de la responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que possible l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit ; qu'en limitant à la somme de 7 millions FCFP le montant des dommages-intérêts dus par la banque à M. X... pour manquement à son obligation de conseil et de mise en garde, après avoir constaté que c'est à l'initiative de la banque, qui connaissait les difficultés de la société Villa et l'évolution négative de ses comptes vers une situation financière irrémédiablement compromise, que les deux prêts ont été sollicités par M. X... avec stipulation expresse d'affectation au compte de la société Villa, laquelle était d'ores et déjà en état de cessation des paiements, que cette opération a essentiellement profité à la banque qui, tout en évitant de tomber sous le coup d'une action en responsabilité pour soutien abusif à une société en état de cessation des paiements, s'est ainsi désengagée d'une situation irrémédiablement compromise tout en obtenant des garanties de paiement sur son débiteur direct, ce dont il résulte que, sans la faute de la banque, M. X... n'aurait pas conclu les prêts litigieux et que son préjudice, qui ne peut être limité à la perte d'une chance, est au moins équivalent à l'intégralité de son endettement résultant de ces deux prêts, la cour d'appel n'a pas replacé la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit, en violation de l'article 1147 du code civil et du principe de la réparation intégrale du préjudice ;
2°/ qu'en statuant comme elle l'a fait par des motifs impropres à établir que le montant alloué constituait la réparation d'une perte de chance et que cette réparation était mesurée à la probabilité de la chance perdue par M. X... de ne pas souscrire les contrats de prêt litigieux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;
3°/ que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages-intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part ; qu'en limitant la réparation du préjudice subi par M. X... à la somme de 7 millions FCFP sans caractériser une faute commise par ce dernier à l'origine de son préjudice et en relevant, par un motif au contraire exclusif de sa faute, que c'est largement à l'initiative de la banque que les deux prêts ont été successivement sollicités par M. X..., la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1147 du code civil ;
Mais attendu que le préjudice né du manquement de l'établissement de crédit à son obligation de conseil ou de mise en garde lors de l'octroi d'un prêt s'analyse en la perte de la chance de ne pas souscrire celui-ci et que la réparation d'une perte de chance, qui doit être mesurée à la chance perdue, ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée ; qu'après avoir relevé que la banque avait manqué à ses obligations de conseil et de mise en garde à l'égard de M. X..., l'arrêt retient que cette faute justifie qu'elle soit condamnée à lui payer la somme de 7 millions FCFP à titre de dommages-intérêts ; qu'en cet état, la cour d'appel, qui, n'ayant pas opéré de partage de responsabilité, n'était pas tenue de caractériser l'existence d'une faute de la part de M. X..., a apprécié souverainement le montant du préjudice qu'il a subi par l'évaluation qu'elle en a faite ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le second moyen du pourvoi n° X 16-24.004, pris en ses première et cinquième branches :
Attendu que la banque fait grief à l'arrêt de juger qu'elle a manqué à ses obligations de conseil, d'information et de mise en garde à l'égard de Mme X..., caution non avertie, de rejeter sa demande à l'égard de celle-ci et de la condamner à lui payer la somme de 500 000 FCFP à titre de dommages-intérêts alors, selon le moyen :
1°/ que la sûreté réelle consentie pour garantir la dette d'un tiers, n'impliquant aucun engagement personnel à satisfaire à l'obligation d'autrui, n'est pas un cautionnement et que, s'agissant d'une hypothèque sur un bien, elle est limitée à ce bien et nécessairement adaptée aux capacités financières du constituant et aux risques de l'endettement né de l'octroi du crédit ; que la banque qui fait souscrire une telle sûreté n'est dès lors pas tenue à un devoir de mise en garde à l'égard du constituant, que celui-ci soit ou non averti ; que Mme X... avait consentie à la banque une caution hypothécaire, ce que la cour d'appel a expressément relevé ; qu'il en résultait qu'aucun manquement à son obligation de mise en garde ne pouvait être reproché à cette dernière ; qu'en retenant le contraire, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 1147 du code civil ;
2°/ que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; que la banque a été condamnée à payer à Mme X... une somme de 500 000 FCFP à titre de dommages-intérêts en réparation d'un « préjudice moral causé par les tracas et soucis depuis 2009 » qui n'avait pas été allégué ; qu'en statuant ainsi, sans inviter les parties à s'expliquer sur l'existence de ce préjudice moral, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie ;
Mais attendu, d'une part, qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni de ses conclusions que, devant la cour d'appel, la banque se soit prévalue de ce que Mme X... lui avait consenti une sûreté réelle pour garantir la dette de M. X..., de sorte qu'elle n'aurait pas été tenue à un devoir de mise en garde à son égard ; que si l'arrêt relève qu'elle s'est engagée en qualité de "caution hypothécaire", il constate également qu'elle s'est engagée à garantir la totalité de la somme prêtée suivant acte authentique du 7 août 2006 ; qu'il ne résulte dès lors pas de ces motifs que Mme X... ait uniquement consenti une sûreté réelle pour garantir la dette de M. X... et n'ait pas consenti un engagement personnel de caution, garanti en tout ou partie par une hypothèque ; que le grief de la première branche est nouveau et mélangé de fait et de droit ;
Et attendu, d'autre part, que dès lors qu'en réparation du préjudice causé par le manquement de la banque à son obligation de mise en garde à son égard, Mme X... demandait la condamnation de la banque à lui payer deux sommes à titre de dommages-intérêts, la première d'un montant équivalent à celui dont le paiement lui était demandé et la seconde d'un autre montant, cette seconde demande ne pouvait que s'analyser en une demande de réparation d'un préjudice moral ; que la cour d'appel, qui, après avoir retenu le manquement de la banque, a rejeté les demandes de celle-ci et l'a condamnée à lui payer une somme à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral causé par les tracas et soucis depuis 2009, date de son assignation en paiement, n'était pas tenue d'inviter les parties à s'expliquer sur l'existence de ce préjudice moral, qui était dans le débat ;
D'où il suit qu'irrecevable en sa première branche, le moyen n'est pas fondé pour le surplus ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen du pourvoi n° X 16-24.004, pris en ses sixième, septième, huitième, neuvième et dixième branches, ni sur le second moyen de ce pourvoi, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ;
Laisse à chacune des parties la charge de ses dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;