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Décisions

CA Nîmes, 4e ch. com., 17 octobre 2025, n° 23/02450

NÎMES

Arrêt

Autre

CA Nîmes n° 23/02450

17 octobre 2025

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°250

N° RG 23/02450 - N° Portalis DBVH-V-B7H-I4UP

AV

TRIBUNAL DE COMMERCE DE NIMES

01 juin 2023

RG:2021J00413

[N]

[V]

S.A.S. [13]

C/

S.A.S. [17]

S.A.S. [23]

Copie exécutoire délivrée

le 17/10/2025

à :

Me Jean-pascal PELLEGRIN

Me Olivier CONSTANT

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

4ème chambre commerciale

ARRÊT DU 17 OCTOBRE 2025

Décision déférée à la cour : Jugement du Tribunal de Commerce de NIMES en date du 01 Juin 2023, N°2021J00413

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre,

Madame Agnès VAREILLES, Conseillère,

Mme Nathalie ROCCI, Présidente,

GREFFIER :

Madame Isabelle DELOR, Greffière à la Chambre commerciale, lors des débats et du prononcé de la décision

DÉBATS :

A l'audience publique du 18 Septembre 2025, où l'affaire a été mise en délibéré au 17 Octobre 2025.

Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.

APPELANTS :

M. [Y] [N]

né le [Date naissance 1] 1968 à [Localité 16]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représenté par Me Jean-pascal PELLEGRIN de la SELARL CABINET PELLEGRIN AVOCAT-CONSEIL, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES

Mme [F] [V] épouse [N]

née le [Date naissance 3] 1968 à [Localité 7]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Jean-pascal PELLEGRIN de la SELARL CABINET PELLEGRIN AVOCAT-CONSEIL, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES

S.A.S. [13] immatriculée au RCS de NIMES sosu le N° [N° SIREN/SIRET 5] dont le siège social est [Adresse 4],prise en la personne de son représentant légal en exercice, domiciliée en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Adresse 4]

Représentée par Me Jean-pascal PELLEGRIN de la SELARL CABINET PELLEGRIN AVOCAT-CONSEIL, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES

INTIMÉES :

S.A.S. [17], société par actions simplifiée, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Nanterre sous le numéro 450 953 997, prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège,

[Adresse 6]

[Adresse 6]

Représentée par Me Franck BENHAMOU de la SELEURL FB AVOCAT, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

Représentée par Me Olivier CONSTANT, Postulant, avocat au barreau de NIMES

S.A.S. [23], société par actions simplifiée à associé unique, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Nanterre sous le numéro 801 982 141, prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège,

[Adresse 6]

[Adresse 6]

Représentée par Me Franck BENHAMOU de la SELEURL FB AVOCAT, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

Représentée par Me Olivier CONSTANT, Postulant, avocat au barreau de NIMES

ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 04 Septembre 2025

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre, le 17 Octobre 2025,par mise à disposition au greffe de la cour

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Vu l'appel interjeté le 18 juillet 2023 (instance n° RG 23/02450) par Monsieur [Y] [N], Madame [F] [V] épouse [N] et la SAS [13] à l'encontre du jugement rendu le 1er juin 2023 par le tribunal de commerce de Nîmes, dans l'instance n° RG 2021J00413 ;

Vu l'appel interjeté le 28 juillet 2025 (instance n° RG 23/02598) par la SAS [17] et la SAS [23] à l'encontre de ce même jugement;

Vu l'ordonnance rendue le 15 septembre 2023 par la présidente de la 4ème chambre commerciale de la cour d'appel de Nîmes prononçant la jonction des deux procédures, l'affaire étant désormais enrôlée sous le n° RG 23/02450 ;

Vu l'ordonnance (n° RG 23/00096) rendue le 24 novembre 2023 par le magistrat délégué par le premier président de la cour d'appel de Nîmes prononçant l'arrêt de l'exécution provisoire assortissant le jugement du tribunal de commerce de Nîmes du 1er juin 2023;

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 5 janvier 2024 par Monsieur [Y] [N], Madame [F] [V] épouse [N] et la SAS [13], appelants à titre principal, intimés à titre incident, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 10 octobre 2023 par la SAS [17] et la SAS [23], intimées à titre principal, appelantes à titre incident, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;

Vu l'ordonnance du 15 janvier 2025 de clôture de la procédure à effet différé au 4 septembre 2025.

Sur les faits

La société par actions simplifiée [17] est une société spécialisée dans le secteur des télécommunications et propose à sa clientèle les solutions de téléphonie suivantes :

- l'installation de matériel de téléphonie acheté par le client ou loué par la société [17] avec intervention possible d'une société de financement ;

- la vente de crédits de communications à ses clients ;

- l'installation et la location de liaisons d'accès internet ou de téléphonie.

Par acte du 12 décembre 2018, la société par actions simplifiée à associé unique [23], représentée par Monsieur [Z], a fait l'acquisition des 760 actions composant le capital de la société [17] auprès de la société [13], laquelle était représentée par Madame [F] [V] épouse [N], sa gérante.

Il a été stipulé dans l'acte de vente que : 'le prix de cession des titres a été déterminé d'un commun accord entre les Parties en prenant pour base d'une part, et compte tenu des déclarations du CEDANT, les énonciations du Bilan du 31 décembre 2017 et de la situation comptable arrêtée au 30 avril 2018, et d'autre part, la fixation conventionnelle de l'ensemble des immobilisations incorporelles et corporelles à la somme forfaitaire et irréductible de QUATRE CENT QUARANTE MILLE EUROS (440.000 €). »

Parallèlement, la société [17] a conclu le 10 décembre 2018 avec la société [13] un contrat de prestation de services pour une durée de vingt-quatre mois portant sur des missions de consultant et d'accompagnement de la clientèle avec l'engagement de cette dernière de ne pas s'intéresser, ni de participer, directement et indirectement, sous quelque forme et quelque titre que ce soit, pendant la durée du contrat, à toute activité similaire ou susceptible de concurrencer les activités développées par la société [17].

A la suite de l'acquisition des actions de la société [17], le commissaire aux comptes a formulé une réserve sur l'exercice clos le 31 décembre 2018.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 19 septembre 2019, la société [23] a actionné la garantie de passif pour couvrir un litige avec les sociétés [14] et [15]. La société [13] a répondu le 2 octobre 2019 que les créances litigieuses étaient postérieures au 30 avril 2018, date des comptes de cession, et que la garantie ne pouvait jouer.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 5 décembre 2019, la société [17] s'est prévalue de dix-neuf contrats conclus irrégulièrement par elle-même en 2017 et 2018 et a mis fin au contrat de prestation de services conclu avec la société [13].

Par ordonnance du 1er juillet 2020, le juge des référés du tribunal de commerce de Nîmes a condamné la société [17] à verser à la société [13] une provision de 17 565,74 euros au titre des échéances du contrat de prestation de services du 31 juillet 2019 au 31 octobre 2019.

Par ordonnance du 2 juin 2021, le juge des référés du tribunal de commerce de Nîmes a condamné la société [17] à verser à la société [13] une provision complémentaire de 9 245 euros correspondant à la différence entre le compte courant d'associé de la société [13] et les échéances postérieures du contrat de prestation de services.

Par courrier recommandé du 13 octobre 2020, la société [17] a mis en demeure la société [13] de cesser tout démarchage illicite de clientèle.

Sur la procédure

Par exploit du 15 avril 2021, les sociétés [17] et [23] ont fait assigner devant le tribunal de commerce de Nîmes la société [13], ainsi que les époux [N] aux fins de les voir condamner solidairement, sur le fondement du dol, au paiement de diverses sommes au titre du manque à gagner, du surcoût à l'achat des actions de la société [17] et de litiges engendrant une dissimulation de passif.

Par jugement du 1er juin 2023, le tribunal de commerce de Nîmes a, au visa des articles 1112-1, 1130, 113, 1315, 1217, 1231-1, 1231-2, 1231-3, 1103, 1104, 1194 du code civil, statué et :

« Déclare recevable et bien fondée la demande de la société [23] concernant le dol commis par la société [13] dans le cadre de la cession d'actions en date du 12 décembre 2018.

Juge que la dissimulation volontaire de 18 contrats est constitutive d'un dol à l'encontre de la société [23].

Condamne la société [13], solidairement avec Monsieur et Madame [N] à payer à la société [23] la somme de 79 000.00 euros au titre du manque à gagner sur les exercices postérieurs à 2018.

Condamne la société [13], solidairement avec Monsieur et Madame [N] à payer à la société [23] la somme de 145 000.00 euros au titre du surcoût lié à l'achat des actions de la société [17].

Condamne la société [13] à payer à la société [17] la somme de 23.755,59 euros, au titre du remboursement du compte courant figurant dans les comptes de la société [17],

Déboute la société [17] de ses autres demandes concernant le dol.

Déboute la société [17] de ses demandes au titre de la responsabilité contractuelle de la société [13] au titre du contrat de prestation de service.

Condamne la société [17] à payer à la société [13] au titre du contrat de prestations de services toutes les factures dues jusqu'à la fin du contrat en rappelant que de ce chef, des sommes ont déjà été réglées en application des ordonnances de référé rendues par le tribunal de commerce de Nîmes en juillet 2020 et juin 2021 et qu'elles devront être déduites,

Rejette les autres demandes de la société [17],

Condamne la SAS [13] à régler à la société [23] la somme de 1500,00 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société [17] à régler à la société [13] la somme de 1500,00 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette toutes autres demandes, fins et conclusions contraires ;

Condamne la SAS [13] aux dépens de l'instance que le tribunal liquide et taxe à la somme de 147,07 euros en ce non compris le coût de la citation introductive d'instance, le coût de la signification de la présente décision, ainsi que tous autres frais et accessoires. ».

Monsieur [Y] [N], Madame [F] [V] épouse [N] et la société [13] ont relevé appel le 18 juillet 2025 de ce jugement pour le voir réformer ou infirmer en ce qu'il a :

- déclaré recevable et bien fondée la demande de la société [23] concernant le dol commis par la société [13] dans le cadre de la cession d'actions en date du 12 décembre 2018,

- jugé que la dissimulation volontaire de 18 contrats est constitutive d'un dol à l'encontre de la société [23],

- condamné la société [13], solidairement avec Monsieur et Madame [N] à payer à la société [23] la somme de 79 000 euros au titre du manque à gagner sur les exercices postérieurs à 2018,

- condamné la société [13], solidairement avec Monsieur et Madame [N] à payer à la société [23] la somme de 145 000 euros au titre du surcoût lié à l'achat des actions de la société [17],

- condamné la société [13] à payer à la société [17] la somme de 23 755,59 euros au titre du remboursement du compte courant figurant dans les comptes de la société [17],

- condamné la société [13] à régler à la société [23] la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société [13] aux dépens de l'instance que le tribunal a liquidés et taxés à la somme de 147,07 euros, en ce non compris le coût de la citation introductive d'instance, et la signification du jugement dont appel, ainsi que tous autres frais et accessoires.

Par la suite, les sociétés [17] et [23] ont également relevé appel le 28 juillet 2025 du jugement du 1er juin 2023, pour le voir réformer ou infirmer en ce qu'il a :

- débouté la société [17] de ses autres demandes concernant le dol ;

- débouté la société [17] de ses demandes au titre de la responsabilité contractuelle de la société [13] au titre du contrat de prestation de service ;

- condamné la société [17] à payer à la société [13] au titre du contrat de prestations de services toutes les factures dues jusqu'à la fin du contrat en rappelant que de ce chef, des sommes ont déjà été réglées en application des ordonnances de référé rendues par le tribunal de commerce de Nîmes en juillet 2020 et juin 2021 et qu'elles devront être déduites ;

- rejeté les autres demandes de la société [17].

Par ordonnance du 15 septembre 2023, la présidente de la 4ème chambre commerciale de la cour d'appel de Nîmes a prononcé la jonction des procédures n°RG 23/02450 et 23/02598 et dit que l'instance se poursuivra sous le seul et unique numéro 23/02450.

Par ordonnance d'incident rendue le 24 novembre 2023 (n° RG 23/00096), le magistrat délégué par le premier président de la cour d'appel de Nîmes a :

- Ordonné l'arrêt de l'exécution provisoire assortissant le jugement du tribunal de commerce de Nîmes du 1er juin 2023 ;

- Dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné la SAS [13] et les consorts [N] à supporter la charge des entiers dépens.

EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Dans leurs dernières conclusions, Monsieur [Y] [N] et Madame [F] [N] et la société [13], appelants à titre principal, intimés à titre incident, demandent à la cour de :

« Sur l'appel principal

Déclarer recevable l'appel de la société [13] et de Monsieur et Madame [N] et le déclarer bien-fondé ;

Infirmer dans toutes ses dispositions le jugement rendu le 1er juin 2023 par le tribunal de commerce de Nîmes en ce qu'il a :

- déclaré recevable et bien fondée la demande de la société [23] concernant le dol commis par la société [13] dans le cadre de la cession d'actions en date du 12 décembre 2018,

- jugé que la dissimulation volontaire de 18 contrats est constitutive d'un dol à l'encontre de la société [23],

- condamné la société [13], solidairement avec Monsieur et Madame [N] à payer à la société [23] la somme de 79 000 euros au titre du manque à gagner sur les exercices postérieurs à 2018,

- condamné la société [13], solidairement avec Monsieur et Madame [N] à payer à la société [23], la somme de 145 000 euros au titre du surcoût lié à l'achat des actions de la société [17],

- condamné la société [13] à payer à la société [17] la somme de 23 755,59 euros au titre du remboursement du compte courant figurant dans les comptes de la société [17],

- condamné la société [13] à régler à la société [23] la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société [13] aux dépens de l'instance que le tribunal a liquidés et taxés à la somme de 147,07 euros, en ce non compris le coût de la citation introductive d'instance, et la signification du jugement dont appel, ainsi que tous autres frais et accessoires

Confirmer en tant que de besoin le jugement rendu le 1er juin 2023 par le tribunal de commerce de Nîmes pour le surplus ;

Sur l'appel incident

Débouter la société [23] et la société [17] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions.

En tout état de cause

Condamner la société [23] et la société [17] à payer à la société [13], Monsieur et Madame [N] la somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel. ».

Au soutien de leurs prétentions, Monsieur [Y] [N], Madame [F] [N] et la société [13], appelants à titre principal, intimés à titre incident, exposent queMonsieur [N] ne s'est pas comporté durant les opérations de cession comme le véritable maître de la société [13] aux lieu et place de son représentant légal. Aucune preuve concrète n'est apportée d'une faute intentionnelle de Madame [N] d'une particulière gravité, incompatible avec l'exercice normal de ses fonctions sociales. L'article 1137 du code civil qui définit le dol ne vise que le contractant, soit en l'espèce, la société [13]. La responsabilité de Monsieur [Y] [N] en qualité de dirigeant de fait et de Madame [F] [N] en qualité de dirigeant de droit ne peut être recherchée.

Les appelants expliquent que Monsieur [Z] est un professionnel du monde de la téléphonie, rompu aux affaires, assisté par des conseils expérimentés et de banquiers qui l'ont aidé à financer son projet. Il n'a pas jugé utile de poser des questions sur les contrats de la société [17] durant les discussions. A la date de cession, la société [23] disposait de tous les documents utiles et nécessaires pour valoriser objectivement la société [17], étant rappelé qu'aucune information n'est due lorsqu'il s'agit d'évaluer une prestation. La société [23] ne se trouvait donc pas au moment de la cession dans un état d'ignorance légitime. A aucun moment, la société [13] n'a cherché à dissimuler délibérément une quelconque information.

Les appelants précisent que les litiges antérieurs à la vente relevaient d'une garantie d'actif et de passif que la société [23] n'a pas jugé utile d'actionner et qui s'est éteinte le 31 décembre 2021. La société [23] n'a fait l'objet d'aucune poursuite judiciaire et ne démontre pas avoir indemnisé qui que ce soit. Son préjudice est inexistant. La thèse du dol est de pure circonstance. C'est à juste titre que le tribunal s'est placé sur le terrain de la garantie de passif et a rappelé que les faits étaient postérieurs au 30 avril 2018, que la société [13] n'avait pas été informée dans les quinze jours de la connaissance des litiges par la société [17] et qu'aucun matériel n'avait été livré au client [10].

S'agissant des dix-huit prétendus contrats douteux, les opérations ne relèvent pas de la législation applicable aux crédits-baux et de l'article L. 313-7 du code monétaire et financier en particulier. De toute façon, ce texte ne prévoit aucune sanction. Il n'est pas interdit pour une entreprise d'encaisser par avance le prix de prestations restant à livrer. Aucune perte de chiffres d'affaires ne peut être revendiquée par la société [23] dont le préjudice est inexistant. La société [17] a bien encaissé le prix des abonnements litigieux, de sorte que le préjudice en termes de trésorerie est inexistant. Dans son rapport du 27 juillet 2023, le cabinet [...] a estimé le manque à gagner en rappelant qu'il se calcule, en cas de perte de chiffres d'affaires, en fonction de la perte de marge nette d'IS, à 8 635 euros. Rien ne permet d'affirmer que le bénéfice généré par cette prétendue perte estimé à 2 640 euros par le commissaire aux comptes aurait été distribué à la société [23]. En matière de dol, seule la perte de chance est indemnisable.

Les appelants rappellent que le prix de cession a été fixé sur la base du chiffre d'affaires des prestations récurrentes, soit 38 000 euros par mois à l'époque. Le chiffre d'affaires réalisé sur ces 18 contrats représentait lui-même à peine 7,5 % du chiffre d'affaires total encaissé sur les périodes où ils avaient été souscrits. Il est donc impossible que la prétendue révélation de ces contrats déclenche une décote du prix de 33 % comme le tribunal de commerce l'a jugé à tort. La société [23] a reconnu en annexe de son bilan 2019, certifié par son commissaire aux comptes, n'avoir subi strictement aucun préjudice.

S'agissant du contrat de prestation du 10 décembre 2018, les appelants soutiennent que la société [17] n'apporte aucune preuve tangible de la défaillance de la société [13] dans l'exécution de ses obligations. La société [17] a résilié le 5 décembre 2019 le contrat de prestation, sans se prévaloir d'une faute grave ou d'un cas de force majeure. La clause de non concurrence ne fixe aucune limitation spatiale. Elle est donc nulle. La société [13] n'a commis aucun acte susceptible de caractériser un comportement déloyal. Il n'y a eu aucun démarchage systématique de clients. Les résiliations (10 au total) sont intervenues deux années après la vente et de la propre initiative des clients à l'échéance de leur contrat comme ils en avaient parfaitement le droit. En tout état de cause, rien n'empêchait Monsieur [N] de renouer avec son ancienne clientèle. Connaissant nécessairement le portefeuille de clients qu'elle avait elle-même constitué, la société [13] n'a pas violé le secret des affaires. Evoquant la perte de 15 clients sur un portefeuille de 622 au moment de la vente, la société [17] ne peut avoir été victime d'un démarchage massif.

Dans leurs dernières conclusions, les sociétés [17] et [23], intimées à titre principal, appelantes à titre incident, demandent à la cour, au visa des articles 1112-1, 1130 et 1137 du code civil, de l'article 1315 du même code, et des articles 1217, 1231-1, 1231-2, 1231-3, 1103, 1104 et 1194 du même code, de :

« Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Nîmes du 1er juin 2023 en ce qu'il a :

déclaré recevable et bien fondée la demande de la société [23] concernant le dol commis par la société [13] dans le cadre de la cession d'actions en date du 12 décembre 2018

jugé que la dissimulation volontaire de 18 contrats est constitutive d'un dol à l'encontre de la société [23]

condamné la société [13], solidairement avec Monsieur et Madame [N] à payer à la société [23] la somme de 79.000 euros au titre du manque à gagner sur les exercices postérieurs à 2018

condamné la société [13], solidairement avec Monsieur et Madame [N] à payer à la société [23] la somme de 145.000 euros au titre du surcoût lié à l'achat des actions de la société [17]

condamné la société [13] à payer à la société [17] la somme de 23.755,59 euros au titre du remboursement du compte courant figurant dans les comptes de la société [17]

- Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Nîmes du 1er juin 2023 en

ce qu'il a:

débouté la société [17] de ses autres demandes concernant le dol

débouté la société [17] de ses demandes au titre de la responsabilité contractuelle de la société [13] au titre du contrat de prestation de service

condamné la société [17] à payer à la société [13] au titre du contrat de prestations de services toutes les factures dues jusqu'à la fin du contrat en rappelant que de ce chef, des sommes ont déjà été réglées en application des ordonnances de référé rendues par le tribunal de commerce de Nîmes en juillet 2020 et juin 2021 et qu'elles devront être déduites

rejeté les autres demandes la société [17]

condamné la société [17] à régler à la société [13] la somme de 1500,00 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

Et, statuant à nouveau,

- Condamner la société [13], solidairement avec Monsieur et Madame [N], à réparer le préjudice subi par la société [23] à hauteur de 56.000 euros concernant les litiges engendrant une dissimulation de passif ;

Concernant la responsabilité de la société [13]

A titre principal, sur la responsabilité contractuelle de la société [13] au titre du contrat de prestation de services en date du 10 décembre 2018 :

- Constater les multiples fautes et inexécutions contractuelles de la société [13] dans l'exécution du contrat de prestation de services en date du 10 décembre 2018 ;

- Juger que ces inexécutions et fautes ont causé un dommage considérable à la société [17], mettant à mal tant sa santé financière que sa réputation ;

- Condamner en conséquence la société [13], solidairement avec Monsieur [N], au paiement de la somme de 21.600 euros à titre de dommages et intérêts, correspondant à la marge qu'auraient générée les contrats perdus par la société [17] du fait du détournement de clientèle sciemment opéré par la société [13] et Monsieur [N] ;

- Condamner la société [13], solidairement avec Monsieur [N], au remboursement de la somme totale de 30.065,74 euros au profit de la société [17] ;

- Rejeter toutes les demandes adverses formées au titre dudit contrat.

A titre subsidiaire, sur la responsabilité délictuelle de la société [13] :

- Juger que la société [13] et Monsieur [N] ont commis des actes de concurrence déloyale en s'appropriant par des procédés déloyaux et en utilisant illicitement des informations confidentielles de la société [17];

- Condamner en conséquence la société [13], solidairement avec Monsieur [N], au paiement de la somme de 21.600 euros à titre de dommages et intérêts, correspondant à la marge qu'auraient générée les contrats perdus par la société [17] du fait du détournement de clientèle sciemment opéré par la société [13] et Monsieur [N] ;

- Condamner la société [13], solidairement avec Monsieur [N], au paiement de la somme totale de 39.310,74 euros au profit de la société [17], correspondant aux investissements engagés à perte par cette dernière.

Concernant le compte courant d'associé débiteur de la société [13]

- Dire recevable et bien fondée la demande de la société [17] ;

- Condamner la société [13] au paiement de la somme de 23.755,59 euros au titre du remboursement de sa dette au profit de la société [17] ;

- Rejeter toute demande de compensation.

En tout état de cause,

- Rejeter l'ensemble des demandes adverses ;

- Condamner la société [13] et les consorts [N] à verser aux sociétés [17] et [23] la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société [13] et les consorts [N] aux entiers dépens. ».

Au soutien de leurs prétentions, les sociétés [17] et [23], intimées à titre principal, appelantes à titre incident, répliquent que la garantie conventionnelle d'actif ou de passif ne prive aucunement le cessionnaire de la possibilité d'invoquer le droit commun des vices du consentement, et, plus particulièrement, le dol du cédant. A l'occasion de la conclusion de la convention de cession d'actions du 12 décembre 2018, la société [13] a sciemment maintenu son cocontractant, la société [23], dans l'ignorance de l'existence de contrats conclus de manière frauduleuse, en infraction à l'article L.313-7 du code monétaire et financier, par Monsieur [N], en son temps dirigeant de fait de la société [17]. Pour dix-huit contrats identifiés, au lieu de passer par deux contrats distincts, l'un au titre de la fourniture de matériel conclu entre le client final et l'organisme de crédit-bail, et l'autre au titre de la prestation de services conclu entre le client final et la société [17], Monsieur [N] a additionné les deux montants, relatifs d'une part à la fourniture de matériel et d'autre part à l'abonnement téléphonique, ce qui est légalement proscrit, un organisme de crédit-bail ne pouvant pas financer de l'immatériel. Les consorts [N] et la société [13] ont intentionnellement dissimulé ces produits constatés d'avance, caractérisant une absence de sincérité et de fiabilité de la comptabilité au préjudice de la société [23], cessionnaire. La man'uvre frauduleuse était extrêmement difficile à identifier pour la société [23]. Les contrats litigieux ont été conclus après les échanges du mois de juin 2015 invoqués par la société [13]. La société [23], cessionnaire, se trouve privée d'un chiffre d'affaires de 79 000 euros facturé par anticipation, ce qui impacte directement la marge des trois à quatre exercices suivants. Le surcoût à l'achat des actions de la société [17] est évalué à la somme de 145 000 euros. Dans les échanges entre les parties qui datent de 2015, Monsieur [R] [Z] se contente de faire référence au chiffre d'affaires récurrent, sans en faire un critère essentiel de valorisation. Le comptable de la société [13] qui se livre à une analyse fantaisiste et nécessairement interprétative, des années après, ne figure nullement dans ces échanges. Les bénéfices réalisés par la société [17] ont vocation in fine à revenir à la société [23] sous forme de dividendes en sa qualité d'associée.

Les sociétés intimées et appelantes à titre incident soutiennent que la société [13] a tu, de manière mensongère, les dettes et litiges de la société [17] antérieurs à la cession du 12 décembre 2018 qui n'apparaissent pas dans les comptes sociaux. C'est la réalité globale de la société [17] et de sa valeur qui doit être appréciée pour déterminer le dol. Antérieurement à la cession, Madame [N] et Monsieur [N] n'étaient autres que les dirigeants de la société [13], justifiant qu'ils soient condamnés solidairement avec cette dernière. Le dirigeant qui se livre à des man'uvres et réticences dolosives commet une faute détachable de ses fonctions. La responsabilité personnelle de Monsieur et Madame [N] doit être retenue pour avoir commis des fautes d'une particulière gravité, incompatibles avec l'exercice normal de leurs fonctions.

Les sociétés intimées et appelantes à titre incident exposent que, dans le cadre de l'exécution du contrat de prestation de services du 10 décembre 2018, Monsieur [Y] [N] a commis des fautes dans la gestion des clients de la société [17], qui compromettent la pérennité des relations contractuelles de cette dernière et nuisent à sa réputation commerciale. Monsieur [Y] [N] a, en outre, été interpellé à plusieurs reprises dans le cadre de l'utilisation du véhicule mis à sa disposition par la société [17]. La société [13], par l'intermédiaire de Monsieur [N], se livre à un démarchage intensif de la clientèle de la société [17]. Il a détourné le fichier clients de la société [17] pour ses propres besoins. La société [13] a développé une activité d'opérateur de service télécom et internet, qui concurrence directement celle de la société [17]. Le contrat de prestation de services est accessoire au contrat de cession, qui en est le principal, de sorte que les manquements des parties dans le cadre du contrat principal de cession ont nécessairement des conséquences sur le sort du contrat accessoire. Les manquements commis ont littéralement vidé le contrat de prestation de services de toute substance, et ont causé à la société [17] une perte de clientèle et donc de chiffre d'affaires considérable, évaluée à ce jour à la somme de 72 000 euros.

La somme de 9 245 euros allouée par le juge des référés à la société [13] ne l'a été qu'à titre de provision. La société [17] est fondée à solliciter le remboursement de la somme de 23.755,59 euros représentant le montant du compte courant que la société [13] n'a pas contesté devoir.

Pour un plus ample exposé, il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.

MOTIFS

1) Sur le dol

Aux termes de l'article 1137 du code civil, le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des man'uvres ou des mensonges.

Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie.

Néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation.

L'assimilation du silence au dol se justifie par l'obligation de contracter de bonne foi et d'être loyal à l'égard de son cocontractant.

L'obligation d'information est régie par l'article 1112-1 du code civil qui dispose que celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.

Néanmoins, ce devoir d'information ne porte pas sur l'estimation de la valeur de la prestation.

La validité du consentement des contractants est appréciée au moment de la formation des contrats, c'est à dire, en l'espèce, au jour où la société [23] a acquis les titres de la société [13] au capital de la société [17], le 12 décembre 2018 (Civ 1è 12 juillet 2007 n°06-15.090). Pour autant, les événements postérieurs, s'ils n'ont évidemment pas pu avoir une incidence sur le consentement, peuvent être utilisés pour apprécier l'existence d'un vice du consentement au moment de la formation du contrat (Com 1er mars 2011 n°10-11.260).

Enfin, c'est à la partie qui prétend que son consentement a été vicié d'apporter la preuve du dol (Com 5 octobre 2004 n°03-12.006).

Il appartient donc à la société [23], pour obtenir l'indemnisation du préjudice susceptible d'être résulté du dol qu'elle invoque, de démontrer qu'elle a acquis des actions de la société [17] parce que son consentement a été vicié par des man'uvres ou une dissimulation intentionnelle de ses cocontractants ou d'un tiers de connivence avec eux, sur un élément que ces cocontractants seuls connaissaient et qu'ils savaient déterminant pour elle.

En outre, en vertu de l'article 1139 du code civil, l'erreur provoquée par le dol est toujours excusable et il n'y a pas lieu d'écarter l'existence d'un dol parce que la victime, quand bien même serait-elle un professionnel, aurait pu éviter d'être trompée sur la situation de la société en se renseignant elle-même alors qu'elle était en droit d'attendre de son cocontractant par loyauté une information utile (Com 8 mars 2016 n°14-23.135).

Ainsi, même si la société [23] exerçait déjà une activité dans le même secteur que celle de la société [17] dont elle se portait acquéreuse des parts, rien ne permet de retenir qu'elle était aguerrie en matière de reprise d'entreprises et de cession d'actions.

Mais encore faut-il pour qu'il y ait dol que la société [13] et les époux [N] aient eu pour leur part connaissance des éléments qu'il leur est reproché d'avoir dissimulés et que ces éléments soient avérés.

En l'occurrence, la société [23] reproche à la société [13] et aux époux [N] de l'avoir délibérément trompée au moment de la vente sur la valeur de la société [17] en dissimulant volontairement des litiges et en souscrivant dix-huit contrats frauduleux.

La dissimulation volontaire de litiges

Lors de la cession du 12 décembre 2018, ont été remis au cessionnaire, la société [23], les comptes annuels complets des exercices clos les 31 décembre 2016, 31 décembre 2017, ainsi qu'une situation comptable arrêtée au 30 avril 2018, ces états financiers étant « réguliers, sincères et véritables » et reflétant « fidèlement la situation financière de la Société et ses résultats au cours de la période considérée ».

Il est mentionné dans l'acte qu'aucune action, aucun procès ou aucune procédure judiciaire, arbitrale ou administrative quelconque n'est en cours ou sur le point d'être engagé devant un tribunal ou une administration, un organisme gouvernemental ou arbitral concernant la société, ses biens ou les opérations visées aux présentes.

En l'occurrence, les courriers de réclamations qui sont versés au débat, hormis ceux de la société [14], n'ont été transmis par les clients que postérieurement à la cession d'actions et aucun n'a été suivi d'aucune action, procès ou procédure judiciaire, arbitrale ou administrative.

S'agissant du client [8], la société [17] a fait établir deux contrats de financement auprès de la société [15] pour le même matériel, ce qui s'apparente à un procédé de cavalerie. Monsieur [N] reconnaît dans son message électronique du 21 août 2019 que la société [17] s'est engagée à prendre en charge le financement de l'un des contrats. Toutefois, il n'est pas démontré que ce financement soit intervenu avant le 30 avril 2018 et ait eu un impact sur les documents comptables présentés à l'acquéreur en vue de la fixation du prix de vente.

S'agissant du client [25], le raisonnement est identique. Monsieur [N] lui a fait souscrire deux financements pour le même matériel, l'un auprès de [15], l'autre auprès de [11], mais en juin 2018, soit après l'arrêt de la situation comptable remise à l'acquéreur.

La société [14] a sollicité, par courrier du 28 novembre 2018, le règlement de ses factures de juillet à octobre 2018 de 25 326,58 euros, puis, par courrier du 13 décembre 2018, le règlement de ses factures d'août à novembre 2018 de 25 076,85 euros. Monsieur [N] prétend que ces factures et le courrier du 13 décembre 2018 ne lui ont pas été transmis lors de la vente.

Les premiers juges ont rappelé que la situation comptable ayant servi de base à la cession a été arrêtée au 30 avril 2018. Dans ces conditions, il n'est pas démontré que la société [13] et les époux [N] aient voulu volontairement tromper le cessionnaire sur la valeur de la société [17] en s'abstenant de lui transmettre des factures qui n'avaient pas à apparaître dans la situation comptable au 30 avril 2018. De plus, il ne s'agissait pas d'un événement dans l'activité de la société revêtant une ampleur ou une singularité telle qu'elle justifiait une alerte à ce sujet.

S'agissant du client [22], il résulte de son courrier du 14 octobre 2019 que Monsieur [N] n'a pas procédé à la résiliation du précédent contrat conclu avec un autre opérateur et n'a donc pas payé les indemnités de résiliation, comme il s'y était engagé le 8 mars 2018. Il n'est toutefois pas établi le caractère intentionnel de l'omission de la société [17] dans la résiliation du contrat du client [22] qui aurait engendré le paiement d'indemnités de résiliation anticipée.

S'agissant du client [10], il s'est plaint le 30 mars 2020 de ce que la société [17] n'avait pas procédé à la résiliation de son contrat en juin 2018 auprès de la société [12] qui l'avait reconduit pour une année supplémentaire. Là encore, l'intention de la société [13] et des époux [N] de tromper le cessionnaire n'est pas avérée, pas plus que n'est démontré son impact sur la situation comptable de la société [17] au 30 avril 2018.

Par courrier du 24 octobre 2019, la société [20] a résilié le contrat d'abonnement de téléphonie souscrit le 12 février 2018 avec la société [17] et demandé la prise en charge de la moitié des sommes restant à devoir à la société [15]. La société [20] a fondé sa demande de résiliation sur le fait que le commercial de la société [17] n'avait pas vérifié la capacité de son employé à signer le dit contrat.

La preuve d'une dissimulation du litige par la société [13] et les époux [N], lors de la vente du 12 décembre 2018, n'est pas rapportée alors que, précisément, le litige n'est né que lorsque la société [20] a pris l'initiative de résilier le 24 octobre 2019 le contrat d'abonnement de téléphonie, soit postérieurement à la cession des actions de la société [17].

Les contrats frauduleux

Il résulte des contrats d'abonnement de téléphonie et de location [15] et [12] versés au débat que la société [17] a fait financer par des organismes de crédit la fourniture d'abonnements de téléphonie, ce qui lui a permis d'encaisser, au cours des exercices 2017 et 2018, par avance, le prix des prestations non encore exécutées.

La dirigeante de la société [17], la société [13], a masqué volontairement cette perception anticipée de sommes qui enfreint le principe de l'indépendance des exercices comptables dès lors qu'elle ne l'a pas fait apparaître, dans le bilan de l'exercice 2017 et la situation arrêtée au 30 avril 2018, en tant que produits constatés par avance. Sa volonté d'améliorer les résultats des exercices comptables, précédant la cession, et de tromper ainsi son co-contractant sur la valeur de la société cédée est ainsi caractérisée.

La société [15] a indiqué, dans un message électronique du 24 août 2020, qu'elle ne préfinançait pas et n'intervenait pas dans la gestion pour compte des consommations et abonnements téléphoniques. Le financement de l'immatériel par la société de crédit ne constitue donc pas une pratique habituelle à laquelle pouvait s'attendre l'acquéreur de la société [17].

Les informations communiquées à Monsieur [Z], dirigeant de la société [23], lors des premiers pourparlers de 2015, ne lui ont pas permis d'avoir connaissance de la fraude dès lors que le financement par avance des prestations immatérielles a eu lieu postérieurement aux cours des années 2017 et 2018.

Si Monsieur [Z] a été à nouveau destinataire des documents comptables de la société [17] et du fichier clients, lors de la reprise des négociations en 2018, il ne peut lui être reproché de n'avoir réalisé qu'un audit de la situation de la société cédée en procédant à des sondages et non d'avoir étudié minutieusement chacun des six cent vingt deux contrats qui composaient le portefeuille clients de la société [17] au moment de la cession.

Le prix de cession a été déterminé en fonction des documents comptables transmis par la société [13] qui ne reflètent pas la situation réelle de la société [17]. La manoeuvre commise était de nature à affecter, de manière suffisamment conséquente, les résultats et les perspectives de la société cédée, pour laquelle, si elle les avait connus, l'acquéreur n'aurait offert qu'un prix substantiellement moindre, lors de la vente.

A l'occasion de l'examen des comptes de l'exercice 2019, le commissaire aux comptes de la société [23] a mentionné que l'acquisition récente des titres de la société [17] pour une valeur de 440 000 euros reflètait toujours la valeur comptable malgré les pertes attendues. Toutefois, cette opinion repose sur l'activité économique de la société [17] postérieurement à la vente qui est sans incidence sur le prix que la société [23] aurait donné si elle avait eu connaissance des manoeuvres frauduleuses.

Selon les mentions figurant dans l'acte de vente, le prix de cession des titres a été déterminé d'un commun accord entre les parties en prenant pour base, d'une part, les énonciations du bilan du 31 décembre 2017 et de la situation comptable arrêtée au 30 avril 2018, et d'autre part, la fixation conventionnelle de l'ensemble des immobilisations incorporelles et corporelles.

Le tableau des contrats douteux établi par le commissaire aux comptes de la société [17] ne permet d'établir que le montant des sommes qui auraient du figurer au passif du bilan de l'année 2018 dans les produits constatés d'avance alors que la période considérée pour la fixation du prix de vente est celle du 1er janvier 2017 au 30 avril 2018. De même, le cabinet d'expertise comptable [...] n'a comptabilisé que le chiffre d'affaires manquant au cours des exercices 2019 à 2023.

Ainsi que le fait observer le cabinet [...], dans sa note du 27 juillet 2023, sur les dix-huit contrats considérés comme dolosifs par l'acquéreur, doivent être exclus les contrats conclus avec les clients [9], [21], [18],[25] et SCM [19] qui ont été financés postérieurement au 30 avril 2018. En revanche, les treize autres contrats auraient du donner lieu à des produits constatés d'avance d'un montant de 50 405 euros au 30 avril 2018.

Il résulte des messages électroniques échangés entre les parties en juin 2015 que la première proposition de prix de 410 000 euros en 2015 s'est faite sur la base d'une valorisation de la société [17] en fonction du chiffre d'affaires récurrent de l'ordre de 38 000 euros par mois (permettant de compter sur un montant annuel de 450 000 euros) et du risque encouru, étant précisé que l'acheteur avait fait observer que les créances clients de 118 000 euros du dernier exercice étaient particulièrement élevées mais qu'il espérait atteindre un chiffre d'affaires de 460 000 euros.

En 2018, l'acquéreur a fait une nouvelle proposition de prix de 440 000 euros qui a été acceptée par le vendeur. Rien ne permet d'affirmer qu'il ait utilisé la méthode de calcul exposée par son expert-comptable consistant à évaluer les fonds propres au 30 avril 2018 et la valeur du fonds de commerce sur la base de trois ou quatre ans de l'excédent brut d'exploitation moyen.

Les produits d'un montant de 50 405 euros qui auraient du être constatés d'avance représentent environ 8,29 % du chiffre d'affaires récurrent de 608 140 euros sur la période du 1er janvier 2017 au 30 avril 2018 et 4,80% du chiffre d'affaires total de 1 050 721 euros de la même période.

Le préjudice de la société [23] constitué par la perte d'une chance d'avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses sera ainsi évalué à la somme de 20 000 euros. Ce préjudice ne saurait se cumuler avec le manque à gagner invoqué sur les exercices postérieurs à 2018 qui fait double emploi.

Il résulte de l'extrait d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés du 1er août 2023 que Madame [N] était la gérante de la société à responsabilité limitée [13] jusqu'au 30 avril 2019, date à laquelle la société a pris la forme d'une société par actions simplifiée dont Monsieur [Y] [N] est devenu le président.

Les messages électroniques échangés, lors des premiers pourparlers de mars à juin 2015, montrent que Monsieur [Y] [N] a été l'interlocuteur unique de Monsieur [Z] ; Monsieur [Y] [N] a fait parvenir à Monsieur [Z] les documents comptables sollicités et répondu à toutes ses questions portant notamment sur le chiffre d'affaires récurrent, les créances clients, le dettes fiscales. De plus, c'est Monsieur [Y] [N] qui a donné son accord de principe et celui de son épouse, le 4 juin 2015, sur le versement de la moitié du prix de vente dans deux années. C'est également lui a demandé le 27 juillet 2015 à Monsieur [Z] de compléter sa lettre d'intention concernant la reprise de la société [17].

C'est encore Monsieur [Y] [N] qui a adressé le 16 juin 2017 à Monsieur [Z] le bilan de la société [17] de 2016 et le 19 mars 2018 le projet de bilan de 2017.

C'est toujours Monsieur [Y] [N] qui a mené avec le futur acquéreur entre le 25 mars et le 17 avril 2018 les nouvelles négociations ayant abouti à la transaction litigieuse tandis que Madame [N] ne s'est jamais manifestée.

Ces éléments concordants qualifient une gestion de fait en démontrant avec certitude que Monsieur [Y] [N] a assumé, de manière indépendante, un véritable rôle décisionnel dans la direction de la société [13], excèdant l'intervention que peut faire un simple associé dans les affaires de la société.

L'article 1138 du code civil précise que le dol est également constitué s'il émane du représentant, gérant d'affaires, préposé ou porte-fort du contractant.

Il l'est encore lorsqu'il émane d'un tiers de connivence.

La responsabilité personnelle du dirigeant à l'égard d'un tiers ne peut être retenue que s'il a commis une faute séparable de ses fonctions et qui lui soit imputable personnellement. La faute doit être intentionnelle, d'une particulière gravité et incompatible avec l'exercice normal de ses fonctions de dirigeant.

Monsieur et Madame [N] ont, en leur qualité de dirigeants de la société [13], vendu la société [17]. En ne présentant pas des comptes fidèles et sincères, ils ont commis des fautes intentionnelles, d'une particulière gravité et incompatibles avec l'exercice normal de leurs fonctions, leur responsabilité personnelle doit être retenue.

Par conséquent, les époux [N] seront condamnés in solidum avec la société [13] à verser à la société [23] la somme de 20 000 euros en réparation de son préjudice au titre du prix d'achat des actions de la société [17].

2) Sur le compte courant

La société [13] ne conteste pas être redevable de 23 755,59 euros au titre du compte courant figurant dans les comptes de la société [17]. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société [13] au remboursement de cette somme.

3) Sur le contrat de prestations de services

La société [17] a mis fin le 5 décembre 2019 au contrat de prestations de services conclu le 10 décembre 2018 avec la société [13].

L'article 15-3 du contrat de prestations de services prévoit sa résiliation immédiate et de plein droit en cas de faute grave ou de force majeure.

La lettre de résiliation est motivée par la découverte de l'existence de contrats litigieux faisant l'objet de la plainte pour dol.

Il existe un lien de dépendance certain entre la cession des parts sociales et le contrat de prestations de services qui lui est accessoire puisque ce dernier vise à accompagner la cession aux fins de transmission de la connaissance du terrain, des clients, du fonctionnement interne de l'entreprise.

La personne du prestataire, Monsieur [Y] [N], qui avait la connaissance des éléments considérés, était une condition de l'engagement du bénéficiaire. Les manoeuvres frauduleuses commises par Monsieur [Y] [N], lors de la cession des parts sociales, ont entraîné une perte totale de confiance incompatible avec la poursuite des relations contractuelles, justifiant la résiliation pour faute grave et sans préavis, du contrat de prestations de services.

La résiliation ne produisant ses effets que pour l'avenir, il ne sera pas fait droit à la demande de remboursement de la somme de 12 500 euros versée par la société [17] avant de mettre fin au contrat. En revanche, la société [13] devra lui rembourser les provisions allouées par le juge des référés de 17 565,74 et 9 245 euros, soit de 26 810,74 euros au total, au titre des échéances postérieures à la résiliation du contrat de prestations de services.

L'article 10 du contrat de prestations de services institulé 'Non-concurrence' stipule que :

'Le prestataire s'interdit expressément de s'intéresser ou de participer, directement ou

indirectement, sous quelque forme et à quelque titre que ce soit, pendant toute la durée

du contrat, à toute activité similaire ou susceptible de concurrencer les activités

développées par la société [17] au titre du présent contrat. (')

La présente interdiction s'applique pendant toute la durée du présent contrat et pendant

les deux (2) années qui suivront sa cessation pour quelque cause qu'elle survienne ».

La société [13] soulève la nullité de la clause de non concurrence.

Pour être valable, une clause de non-concurrence doit être non seulement limitée dans le temps et dans l'espace, mais aussi proportionnée par rapport à l'objet du contrat et nécessaire à la protection des intérêts légitimes de son bénéficiaire (Com., 11 mai 2017, n° 15-12.872).

S'agissant de la condition de validité de la clause de non-concurrence liée à sa nécessaire limitation dans le temps et l'espace, il est de principe que le juge doit rechercher si le débiteur de l'obligation est ou non, du fait du périmètre fixé, dans l'impossibilité d'exercer une activité conforme à sa formation, ses connaissances et à son expérience professionnelle et s'il est porté une atteinte excessive à la liberté de travail ou d'entreprendre.

En l'espèce, les premiers juges ont relevé, de manière pertinente, que la clause considérée ne contenait aucune précision sur l'étendue de la zone géographique protégée. La condition tenant à la limitation de la portée géographique de la clause n'étant pas respectée, c'est à bon droit qu'ils ont considéré que la clause de non-concurrence inserrée dans le contrat de prestations de services ne pouvait donc recevoir application.

Le jugement entrepris sera, par conséquent, confirmé en ce qu'il a écarté la responsabilité contractuelle de la société [13] pour non respect de la clause de non concurrence.

La société [17] invoque, à titre subsidiaire, la responsabilité délictuelle de la société [13] pour développement d'une activité concurrente.

Le parasitisme invoqué par la société [17] consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts, de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis. Il appartient à celui qui se prétend victime d'actes de parasitisme d'identifier la valeur économique individualisée qu'il invoque (Com., 26 juin 2024, pourvoi n° 23-13.535) ainsi que la volonté d'un tiers de se placer dans son sillage (Com., 3 juillet 2001, n° 98-23.236, 99-10.406).

Or, en l'espèce, la société [17] ne rapporte pas la preuve d'investissements spécifiques qu'elle aurait effectués pour produire une valeur économique individualisée dont la société [13] aurait tiré profit.

La société [17] verse au débat trois attestations de clients qui indiquent avoir été démarchés par Monsieur [Y] [N]. De plus, Madame [I], assistante administrative et technique, affirme que deux autres clients de la société [17] ont contracté avec la société [13], après avoir été contactés par Monsieur [Y] [N].

Pour démarcher ces cinq clients qu'elle connaissait déjà de par sa qualité de cédant de la société [17] et de son activité antérieure de prestataire de services, la société [13] n'a pas eu besoin d'avoir accès à la base clients de la société [17], postérieurement à la résiliation du contrat de prestations de services. Ainsi, il n'est pas établi que la société [13] se soit appropriée, de manière illégale, le fichier client de la société [17], ni qu'elle l'ait divulgué au mépris de la clause de confidentialité.

La société [17] ne peut se prévaloir d'aucun droit privatif sur sa clientèle. Le démarchage de ses clients pas un concurrent n'est donc pas en soi illicite. Madame [I] indique, dans son attestation, que le camping de [Localité 24] aurait été abusé par Monsieur [Y] [N] qui lui aurait fait croire que la 'procédure' y compris les prélèvements du client serait gérée par la société [17]. Cependant, ce témoignage d'une subordonnée de la société [17], qui ne contient aucune précision sur la date des faits qu'elle rapporte, ne présente pas une valeur probante suffisante pour établir à lui seul l'usage de procédés déloyaux accompagnant le démarchage de la clientèle.

La société [17] sera, par conséquent, déboutée de ses demandes en dommages-intérêts au titre de la responsabilité délictuelle de la société [13].

4) Sur les frais du procès

Le jugement critiqué sera confirmé en ce qu'il a condamné la société [13] aux dépens de première instance, liquidés à la somme de 147,07 euros, et fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit des sociétés[23] et [13].

Chacune des parties qui a obtenu partiellement satisfaction en appel, conservera à sa charge les dépens exposés au cours de la présente instance. Pour les mêmes motifs, l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou de l'autre.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Confirme le jugement en ce qu'il a :

- condamné la société [13] à payer à la société [23] la somme de 23.755,59 euros, au titre du remboursement du compte courant figurant dans les comptes de la société [17],

- débouté la société [17] de ses autres demandes concernant le dol, s'agissant des litiges entraînant une dissimulation de passif,

- débouté la société [17] de ses demandes en dommages-intérêts au titre de la responsabilité contractuelle de la société [13] au titre du contrat de prestations de services,

- condamné la SAS [13] à régler à la société [23] la somme de 1500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société [17] à régler à la société [13] la somme de 1500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SAS [13] aux dépens de l'instance liquidés et taxés à la somme de 147,07 euros en ce non compris le coût de la citation introductive d'instance, le coût de la signification de la décision, ainsi que tous autres frais et accessoires

L'infirme sur le surplus des dispositions soumises à la cour,

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Condamne in solidum Monsieur [Y] [N], Madame [F] [V] épouse [N] et la société [13] à verser à la société [23] la somme de 20 000 euros en réparation de son préjudice résultant du prix d'achat des actions de la société [17],

Déboute la société [23] de sa demande au titre du manque à gagner sur les exercices postérieurs à 2018,

Condamne la société [13] à rembourser à la société [17] les provisions allouées par le juge des référés de 26 810,74 euros, au titre des échéances postérieures à la résiliation du contrat de prestations de services,

Déboute la société [17] de ses demandes en dommages-intérêts fondées sur la responsabilité délictuelle de la société [13] au titre du contrat de prestations de services,

Y ajoutant,

Dit que chacune des parties conservera les dépens d'appel qu'elle a exposés,

Déboute les parties de leurs demandes d'indemnités au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Arrêt signé par la présidente et par la greffière.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,

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