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Décisions

CA Lyon, ch. 08, 12 mai 2020, n° 18/03528

LYON

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

PAVONIS AIN (SCI)

Défendeur :

MJ SYNERGIE (SELARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme CHAUVE

Conseillers :

Mme ZAGALA, Mme CLERC

Avoués :

Me Romain LAFFLY, Me Gaël SOURBE

Avocats :

Me Sarah TAIEB, Maître BELAT, Maître DESPRAT, Me Vincent CROSET

CA Lyon n° 18/03528

11 mai 2020

La notification du présent arrêt est opérée par tout moyen en application de l'article 10 de l'ordonnance n°2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale, tel que précisé par l'article 2.i de la circulaire du 26 mars 2020 CIV/02/20 - C3/DP/2020030000319/FC.

* * * *

Dans le cadre de l'extension et de la restructuration d'une maison de retraite médicalisée de type EHPAD située à Hauteville Lompnes, la SCI Pavonis Ain a conclu le 20 mai 2014 un contrat avec la société Perrotin pour le lot plâtrerie peinture pour un montant total de 442 530,66 euros TTC comprenant les travaux suivants : démolition et dépose des ouvrages existants, pose de cloisons, plafonds, etc, installation de gaines de désenfumage, peinture de murs, tuyaux, etc.

Le 8 janvier 2015, la société Perrotin a sollicité sur le fondement de l'article 1799-1 du code civil la délivrance par la SCI Pavonis Ain soit d'une copie du contrat de crédit spécifique pour financer l'intégralité des travaux, soit à défaut, d'un cautionnement fourni par l'établissement bancaire de son choix.

La société Perrotin a proposé la mise en place d'une clause de renonciation à l'accession foncière comme garantie équivalente, proposition refusée par la SCI Pavonis Ain.

Le 17 mars 2015, la SCI Pavonis Ain proposait en lieu et place d'une clause de renonciation à l'accession foncière, la caution solidaire de la SARL JIPG, ce qu'a refusé la société Perrotin qui a considéré que le marché était rompu par le maître de l'ouvrage et l'a assigné en indemnisation.

Par jugement en date du 29 mars 2018, le tribunal de grande instance de Bourg en Bresse a :

condamné la SCI Pavonis Ain à payer à la société Perrotin la somme de 110 632,80 euros TTC, outre intérêts de droit à compter du jugement,

• dit que les intérêts dus depuis une année entière pourront eux mêmes produire des intérêts dans les conditions prévues par la loi,

• débouté la SCI Pavonis Ain de sa demande reconventionnelle de dommages intérêts compensatoires,

• dit qu'il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire du présent jugement, condamné la SCI Pavonis Ain à payer à la société Perrotin la somme de 3 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et aux dépens.

Par déclaration d'appel enregistrée en date du 11 mai 2018, la SCI Pavonis Ain a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions, elle demande à la cour de :

A titre principal :

déclarer son appel recevable, infirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Bourg en Bresse le 29 mars 2018 en ce qu'il l'a condamnée à payer à la société Perrotin la somme évaluée toutes taxes comprises de 110 632,80 euros avec intérêts de droit à compter du présent jugement, avec capitalisation des intérêts, l'a déboutée de sa demande reconventionnelle de dommages intérêts compensatoires, et l'a condamnée à payer à la société Perrotin la somme de 3 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,

• dire et juger qu'aucune résiliation à ses torts n'est intervenue au sens des dispositions de l'article 1794 du code civil,

• dire et juger que faute de défaut de règlement des travaux sollicités par la société Perrotin, celle ci ne pouvait abandonner le chantier, qu'en refusant d'exécuter le marché et en abandonnant le chantier, la société Perrotin a commis une faute.

A titre subsidiaire :

confirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé la norme NFP 03-001 inapplicable à l'évaluation du préjudice allégué par la société Perrotin,

• confirmer le jugement déféré en ce qu'il a retenu d'une part que « le préjudice commercial invoqué par la société Perrotin est seulement affirmé et nullement prouvé » et d'autre part que « les frais qu'elle qualifie « d'anormaux en expertise officieuse » ne sont pas un préjudice indemnisable, mais un élément de ses frais de procédure ».

• ordonner une expertise judiciaire dont les frais devront être partagés par moitié entre elle même et la société Perrotin et fixer la mission de l'expert comme suit :

• recueillir les documents lui permettant d'évaluer le taux de marge brut sur coûts variables de la société Perrotin,

♦ déterminer et chiffrer la marge brute sur coûts variables de la société Perrotin.

En tout état de cause :

fixer au passif de la société Perrotin la somme de 5 000 euros à titre de participation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

• fixer l'intégralité des dépens de première instance et d'appel, en frais privilégiés de la procédure collective au passif de la société Perrotin.

Elle fait valoir que :

l'article 1799-1 du code civil permet aux parties de convenir librement de la garantie dans le respect de ce texte à condition qu'elle soit réelle et sérieuse,

• la clause de renonciation à l'accession initialement proposée par la société Perrotin ne constituait pas une garantie contractuelle valable,

• la société Perrotin est de mauvaise foi dans la mesure où elle n'a jamais contesté la solvabilité de la caution solidaire proposée par la société Pavonis Ain, qu'à l'approche du début des travaux elle n'avait effectué aucune commande de fournitures et matériaux de sorte qu'elle n'a jamais entendu exécuter le marché et se sert du prétexte de la résiliation pour obtenir une indemnisation plus élevée que le gain qu'elle aurait pu retirer de l'exécution du marché,

• en l'absence de défaut de règlement des travaux réalisés, la société Perrotin ne pouvait ni suspendre le contrat ni abandonner le chantier,

• la norme NF P03-001 n'est applicable qu'au paiement du prix des travaux effectués ou des acomptes mais non aux dommages et intérêts fixés par le juge,

• la société Perrotin ne fournit aucun élément de nature à permettre l'évaluation de son préjudice et se contente d'opérer par voie d'affirmations péremptoires,

• la résiliation ayant été faite à l'initiative de la société Perrotin, celle ci ne peut se prévaloir d'aucun préjudice,

• si un préjudice devait être retenu au profit de la société Perrotin par la cour, l'évaluation de son montant ne pourrait intervenir que dans le cadre d'une expertise judiciaire visant à déterminer le taux de marge brut sur coût variable et non en retenant un taux de 25% non justifié,

• elle même a subi un préjudice économique et financier dans la mesure où elle a été contrainte de rechercher dans l'urgence un nouvel entrepreneur pour le lot n°11 générant un surcoût important (523 269 euros TTC au lieu de 442 530,66 euros TTC),

• l'admissibilité ou non de la créance au passif de la société Perrotin relève de la compétence exclusive du juge commissaire désigné par le tribunal de commerce en charge de la procédure collective.

En réponse, la SELARL MJ SYNERGIE, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Perrotin conclut à :

la confirmation du jugement en ce qu'il a jugé que la société Perrotin était fondée à solliciter la réparation de son préjudice du fait de la résiliation unilatéralement décidée et du fait de la SCI Pavonis Ain,

• sa réformation en ce qu'il a rejeté l'application de la norme NFP 03-001 pour l'appréciation du préjudice subi par l'entreprise Perrotin,

• la condamnation de la SCI Pavonis Ain à lui payer la somme de 113 863 euros HT en principal, soit 136 635,60 euros TTC.

Subsidiairement :

la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la SCI Pavonis Ain à verser à la société Entreprise Perrotin la somme de 110 632,80 euros TTC,

• la condamnation de la SCI Pavonis Ain à lui payer la somme évaluée toutes taxes comprises de 110 632,80 euros avec intérêts à compter du jugement du 29 mars 2018 en disant que les intérêts dus depuis une année entière pourront eux mêmes produire des intérêts dans les conditions prévues par la loi,

• la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté la SCI Pavonis Ain de ses demandes reconventionnelles de dommages et intérêts compensatoires déclarant de plus fort cette demande irrecevable par défaut de déclaration de créances à la liquidation de la société Entreprise Perrotin,

• la confirmation du jugement en ce qu'il a alloué à la société Entreprise Perrotin la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

• l'allocation à la SELARL MJ Synergie, Maître Jean Claude Belat et Maître Jean Charles Desprat, es qualités de liquidateurs de la société Entreprise Perrotin, de la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile s'agissant de la procédure d'appel,

• la condamnation de la SCI Pavonis Ain aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Elle soutient que :

la caution solidaire proposée par la SCI Pavonis Ain n'est ni un établissement de crédit, ni une société de financement, ni une entreprise d'assurances ou un organisme de garantie collective, de sorte qu'elle ne remplit pas les conditions posées par l'article 1799-1 du code civil,

• la garantie de paiement est d'ordre public et peut être sollicitée à tout moment dans le cadre du marché, de sorte qu'il est inopérant de prétendre que la société Perrotin souhaitait résilier le marché,

• le préjudice a été accepté par le maître de l'ouvrage dans le cadre du processus de clôture des comptes tel que défini au CCAG des marchés privés, norme NFP 03-001, applicable à ce marché,

• le manque à gagner de la société Perrotin se calcule sur la marge perdue, de sorte que le taux de marge brut attendu pour un tel marché était de 25 % du chiffre d'affaire et que ce taux est par ailleurs inférieur au taux moyen pour les travaux de plâtrerie peinture,

• les dépenses sont justifiées et correspondent au coût des études de prix outre les diligences de l'entreprise et de ses consultants externes pour tenter d'obtenir l'exécution de ses obligations par le maître de l'ouvrage,

• la demande de condamnation à des dommages et intérêts de la part de la société Pavonis Ain doit être déclarée irrecevable en raison de l'absence de déclaration de créance dans les délais.

Les parties sont en désaccord sur l'imputabilité de la rupture du contrat, la SELARL MJ Synergie, en qualité de liquidateur judiciaire de la Société Perrotin soutenant que celle ci est imputable au maître d'ouvrage qui a refusé de remplir ses obligations, ce que conteste celui ci.

L'article 1799-1 du code civil dont les dispositions sont d'ordre public prévoit que le maître de l'ouvrage qui conclut un marché de travaux privé visé au 3° de l'article 1779 doit garantir à l'entrepreneur le paiement des sommes dues lorsque celles ci dépassent un seuil fixé par décret en Conseil d'Etat, ce qui est le cas en l'espèce. Les parties ne peuvent y déroger.

Le cautionnement solidaire prévu à l'alinéa 3 de cet article doit être donné par un établissement de crédit, une société de financement, une entreprise d'assurance ou un organisme de garantie collective.

Cette garantie peut être demandée à tout moment par l'entrepreneur, y compris en fin de chantier et a fortiori avant le commencement des travaux.

Il ne peut donc être reproché à la société Perrotin d'avoir réclamé à son co contractant une telle garantie tardivement alors qu'elle l'a demandée le 8 janvier 2015, soit certes près de huit mois après la conclusion du contrat mais avant le début d'exécution des travaux commandés.

La SCI Pavonis Ain n'a jamais pu satisfaire à cette obligation légale, s'étant contentée de proposer la caution de la société JIPG laquelle n'est ni une société de financement, ni un établissement de crédit, ni une entreprise d'assurance, ni un organisme de garantie collective. Elle ne peut reprocher à l'intimée de ne pas avoir accepté un tel cautionnement qui ne correspond pas à ce qui est prévu par les textes précités.

Elle a également refusé la proposition de mise en place d'une clause de renonciation à l'accession foncière comme garantie équivalente.

Par courrier en date du 13 janvier 2015, elle a fait suite au courrier du 8 janvier 2015 en indiquant : 'Nous sommes au regret de ne pas pouvoir vous fournir les garanties demandées. Nous considérons que le marché est rompu'.

Par courriers en date du 22 janvier 2015, 12 mars 2015 ou encore du 23 mars 2015, la Société Perrotin prend non seulement acte de la volonté de résilier le contrat par la SCI Pavonis Ain mais l'informe également « qu'à défaut de réponse positive à cette solution palliative et à défaut de remise d'une garantie sous 15 jours, nous seront contraints de considérez que vous maintenez votre décision unilatérale du 13.01.15 de résiliation à vos frais et risques de notre marchés ».

Ces courriers dont les termes sont clairs et qui ne nécessitent pas d'interprétation établissent que la SCI Pavonis Ain en indiquant que le contrat est rompu, a résilié le contrat unilatéralement, faute d'avoir pu répondre favorablement aux mises en demeure de la Société Perrotin de fournir une garantie, comme elle le mentionne dans le courrier du 13 janvier 2015.

Dans ces conditions, et comme l'ont justement retenu les premiers juges, la Société Perrotin est parfaitement fondée à obtenir la réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de la résiliation unilatérale par le maître de l'ouvrage.

L'intimée reproche aux premiers juges d'avoir écarté l'application de la norme NF P 03-001 pour le calcul de son préjudice.

L'article 14 du cahier des clauses administratives particulières régissant le chantier précise qu'en cas de résiliation du marché, seules les stipulations du CCAG travaux relatives à la résiliation du marché sont applicables. Or, ces dispositions qui figurent sous l'article 22 du CCAG n'opèrent aucun renvoi ni aucune référence au décompte définitif prévu par l'article 19 du CCAG dont se prévaut l'intimée.

La norme NF P n'a vocation à s'appliquer qu'au paiement du prix des travaux effectués ou des acomptes tel qu'il résulte de l'article 19 intitulé « Constatations des droits à paiement ».

En revanche, l'article 22.1.3.2 du CCAG, norme NF P 03-001 précise que dans le cas où le maître de l'ouvrage résilierait le marché dans les conditions prévues à l'article 1794 du code civil, l'indemnité à verser à l'entrepreneur sera calculée conformément aux dispositions de cet article.

C'est donc à juste titre que les premiers juges ont écarté l'application de cette norme au calcul de l'indemnité et ont retenu l'application des dispositions du droit commun.

L'intimée ne conteste pas la somme retenue par les premiers juges au titre de son indemnisation si la norme NFP précitée était écartée.

Elle a été calculée en appliquant un taux de marge brute de 25% sur la base du montant total hors taxe du marché de 368 775,55 euros. Si l'appelante considère ce taux comme excessif, elle ne produit aucun document de nature à établir ce qu'elle allègue alors que l'intimée s'est fondée sur le taux raisonnablement attendu pour cette activité en référence au bordereau BATIPRIX.

Sa demande tendant à l'instauration d'une mesure d'expertise sera rejetée, la cour ayant les éléments suffisants pour apprécier le préjudice résultant de la résiliation au regard du montant du marché conclu et de la marge pouvant être espérée.

Le montant ainsi obtenu correspond à ce que la société Perrotin aurait pu gagner si le contrat avait été totalement exécuté. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a estimé à la somme de 110 632,80 euros le préjudice subi par l'intimée.

Compte tenu de la procédure collective dont bénéficie la société Perrotin, la condamnation devra cependant être prononcée désormais au bénéfice des liquidateurs judiciaires de celle ci.

L'appelante sollicite encore en appel la fixation d'une créance de 70 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice lié à la résiliation du contrat.

Il convient cependant de relever qu'elle ne justifie pas avoir adressé une déclaration de créance au mandataire judiciaire contrairement aux exigences de l'article L.622-24 du code de commerce dont se prévaut la société MJ Synergie ès qualité.

En l'absence de déclaration de créance, les conditions de la reprise d'instance n'étant pas réunies, et la créance dont se prévaut la SCI Pavonis Ain étant de ce fait inopposable à la liquidation judiciaire de la société Entreprise Perrotin, l'appelante ne peut prétendre à la fixation d'une créance à l'encontre de cette dernière. Sa demande à ce titre doit être rejetée.

Il convient donc, par substitution de motif, de confirmer la décision déférée sur ce point.

L'appelante supportera les dépens d'appel et devra régler en outre la somme de 2 000 euros à l'intimée sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement, sauf sur le créancier de la condamnation compte tenu de la liquidation judiciaire de la société Entreprise Perrotin,

Statuant à nouveau,

Condamne la SCI Pavonis Ain à payer à payer à la société MJ Synergie, Maître Jean Claude Belat et Maître Jean Charles Desprat en qualité de liquidateurs de la société Entreprise Perrotin, la somme de 110 632,80 euros TTC, outre intérêts de droit à compter du 29 mars 2018.

Condamne la SCI Pavonis Ain aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Condamne la SCI Pavonis Ain à payer à payer à la société MJ Synergie, Maître Jean Claude Belat et Maître Jean Charles Desprat en qualité de liquidateurs de la société Entreprise Perrotin, la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

 

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