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Décisions

TUE, 6e ch., 15 octobre 2025, n° T-306/23

TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Red Bull GmbH, Red Bull France SASU, Red Bull Nederland BV

Défendeur :

Commission européenne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

J. Costeira

Juges :

M. Kancheva, E. Tichy-Fisslberger

Avocats :

H. Wollmann, F. Urlesberger, J. Schindler, F. Dethmers, A. Visontai-Knor

TUE n° T-306/23

14 octobre 2025

Arrêt

1 Par leur recours fondé sur l’article 263 TFUE, les requérantes, Red Bull GmbH, Red Bull France SASU et Red Bull Nederland BV, demandent l’annulation de la décision C(2023) 1689 final de la Commission, du 8 mars 2023, ordonnant à Red Bull GmbH ainsi qu’à toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle, dont Red Bull France et Red Bull Nederland, de se soumettre à une inspection conformément à l’article 20, paragraphe 4, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil (affaire AT.40819 – WINGS) (ci-après la « décision attaquée »), ainsi que de toute mesure ordonnée par la Commission européenne dans le cadre de cette inspection.

 Antécédents du litige

2 Les requérantes sont trois sociétés faisant partie du groupe Red Bull (ci-après « Red Bull ») et exerçant leur activité dans le secteur de la production de boissons énergisantes, notamment sous la marque du même nom que ce groupe, qu’elles commercialisent dans l’Union européenne et dans l’Espace économique européen (EEE). Elles sont membres de plusieurs associations de producteurs de boissons (énergisantes), dont Energy Drinks Europe (ci-après « EDE »).

3 Il ressort du considérant 2 de la décision attaquée que la Commission a reçu des informations laissant supposer que Red Bull aurait mis en place des pratiques dans le cadre de la fourniture de ses boissons énergisantes au secteur off-trade (à emporter), c’est-à-dire soit à des détaillants spécialisés dans la vente à emporter (tels que des supermarchés et des boutiques de stations-service) soit à des grossistes, afin de restreindre les ventes par ses concurrents de boissons énergisantes, en particulier celles vendues en unités d’une contenance supérieure à 250 millilitres (ml) au sein de l’Union et de l’EEE.

4 Selon le considérant 3 de la décision attaquée, premièrement, ces pratiques concerneraient en particulier l’octroi d’incitations financières (telles que des paiements, des rabais ou des bonus), potentiellement accompagnées de menaces de refus de fourniture, en particulier en Belgique, en Estonie, en France, en Lituanie et aux Pays-Bas, au moins depuis 2019 (ci-après le « soupçon de pratiques d’éviction »). Ces incitations financières seraient octroyées en contrepartie d’un déréférencement des boissons énergisantes concurrentes, en particulier celles vendues en unités d’une contenance supérieure à 250 ml, ou en contrepartie d’une distorsion de la concurrence des prix entre ces boissons énergisantes concurrentes et les boissons énergisantes de Red Bull. Deuxièmement, les informations reçues laisseraient supposer que, au moins depuis 2020, Red Bull se serait engagé dans une campagne de dénigrement visant les boissons énergisantes vendues en unité de contenance supérieure à 250 ml envers les détaillants et grossistes du secteur off-trade au sein de l’Union et de l’EEE, en particulier en Allemagne et aux Pays-Bas, dans le but apparent de restreindre les ventes de ces boissons énergisantes (ci-après le « soupçon de pratiques de dénigrement »). Troisièmement, les informations reçues laisseraient supposer que, au moins depuis 2014, Red Bull ainsi que les autres membres d’EDE se seraient mis d’accord pour s’engager à limiter leurs ventes, au sein de l’Union et de l’EEE, de boissons énergisantes en unités d’une contenance supérieure à 250 ml (ci-après le « soupçon d’accord anticoncurrentiel au sein d’EDE »).

5 Le 8 mars 2023, la Commission a adopté la décision attaquée, ordonnant aux requérantes de se soumettre à une inspection conformément à l’article 20, paragraphe 4, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 et 102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1).

6 Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision attaquée, Red Bull GmbH, ainsi que toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle, est tenue de se soumettre à une inspection concernant son éventuelle participation à des accords ou à des pratiques concertées contraires à l’article 101 TFUE ou à l’article 53 de l’accord EEE, ou encore à un comportement unilatéral contraire à l’article 102 TFUE ou à l’article 54 de l’accord EEE dans le secteur de la fourniture de boissons énergisantes à des détaillants de la vente à emporter ou à des grossistes. Les accords ou pratiques concertées ou le comportement unilatéral allégués viseraient à empêcher ou à restreindre la concurrence des boissons énergisantes des concurrents de Red Bull et incluraient des incitations financières dont l’octroi serait conditionné au déréférencement des boissons énergisantes concurrentes, en particulier celles vendues en unités d’une contenance supérieure à 250 ml, ou à une distorsion de la concurrence par les prix pour les boissons énergisantes concurrentes, en particulier celles vendues en unités d’une contenance supérieure à 250 ml, une campagne de dénigrement dirigée contre les boissons énergisantes vendues en unités d’une contenance supérieure à 250 ml et un accord avec d’autres concurrents au sein d’EDE afin de restreindre la vente de boissons énergisantes vendues en unités d’une contenance supérieure à 250 ml.

7 L’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée précise que l’inspection peut avoir lieu dans n’importe quel local de Red Bull GmbH, y compris toute entreprise directement ou indirectement contrôlée par elle et, en particulier, dans les locaux situés à Fuschl am See (Autriche), dans les locaux de Red Bull France à Paris (France) et dans les locaux de Red Bull Nederland à Amsterdam (Pays-Bas).

8 L’article 2 de la décision attaquée rappelle le pouvoir, conféré aux agents de la Commission lors du déroulement de l’inspection, d’examiner et de prendre et obtenir copie des documents professionnels de Red Bull GmbH ou toute entreprise directement ou indirectement contrôlée par elle.

9 L’article 3 de la décision attaquée dispose que l’inspection peut débuter le 20 mars 2023 ou peu après cette date.

10 L’article 4 de la décision attaquée dispose que ladite décision est adressée à Red Bull GmbH, établie à Fuschl am See, ainsi qu’à toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle, en particulier Red Bull France et Red Bull Nederland, établies respectivement à Paris et à Amsterdam.

11 L’inspection dans les locaux des requérantes à Fuschl am See, à Paris et à Amsterdam a débuté le 20 mars 2023, vers 14 heures, et s’est terminée le 24 mars suivant.

12 Lors de la réunion du 24 mars 2023 clôturant l’inspection dans les locaux sis en Autriche, les agents de la Commission ont précisé que l’inspection se poursuivrait dans les locaux de la Commission, probablement jusqu’à la fin du mois de septembre 2023, afin de pouvoir examiner les données électroniques copiées ou demandées par cette institution.

 Conclusions des parties

13 Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

– annuler la décision attaquée ;

– annuler toute mesure ordonnée par la Commission dans le cadre de l’inspection et notamment déclarer irrecevable la poursuite de l’inspection et ordonner à la Commission la restitution de toutes les copies de documents réalisées et emportées dans le cadre de l’inspection ;

– condamner la Commission aux dépens.

14 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter le recours ;

– condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

15 Il convient, tout d’abord, d’énoncer certaines observations liminaires portant sur le déroulement, sur le plan procédural, de la présente affaire avant d’examiner, ensuite, le deuxième chef de conclusions tendant à obtenir du Tribunal qu’il annule toute mesure ordonnée par la Commission dans le cadre de l’inspection et, enfin, le premier chef de conclusions visant l’annulation de la décision attaquée.

 Observations liminaires

16 À titre liminaire, sur le plan procédural, il y a lieu de relever que, dans leur requête, les requérantes ont, notamment, demandé au Tribunal d’ordonner à la Commission de produire toute pièce relative à la présente affaire afin de déterminer si elle disposait, au moment où elle a adopté la décision attaquée, d’indices suffisamment sérieux permettant de suspecter une infraction aux règles de concurrence.

17 Par ordonnance du 3 octobre 2024 prise sur le fondement de l’article 91, sous b), de son règlement de procédure, le Tribunal a partiellement fait droit à cette demande et a enjoint à la Commission de produire les documents faisant apparaître les indices sérieux qui avaient conduit à l’adoption de la décision attaquée.

18 Le 18 octobre 2024, la Commission a déféré à la mesure d’instruction en soumettant un mémoire accompagné de 17 annexes, tout en précisant que les annexes 1 à 16 contenaient les indices demandés par le Tribunal et que l’annexe 17 comportait un aperçu des différentes pièces ainsi que leur description et leur classification dans le contexte des infractions visées dans la décision attaquée. Dans son mémoire, la Commission a souligné que l’ensemble des pièces produites devait être qualifié de confidentiel et ne devait pas être communiqué aux requérantes à ce stade.

19 Par une mesure d’organisation de la procédure du 19 décembre 2024, le Tribunal a invité les avocats des requérantes à signer l’engagement de confidentialité annexé à cette mesure.

20 Le 7 janvier 2025, les avocats des requérantes ont transmis au greffe du Tribunal l’engagement de confidentialité dûment complété et signé (ci-après l’« engagement de confidentialité »).

21 Par ordonnance du 3 février 2025 prise sur le fondement de l’article 103, paragraphes 2 et 3, du règlement de procédure, le Tribunal a enjoint à la Commission de produire une liste et un résumé des indices sur la base desquels elle avait ordonné aux requérantes, dans la décision attaquée, de se soumettre à une inspection, en indiquant sur cette liste, à laquelle des trois infractions soupçonnées se rapportait chacun de ces indices. Par cette ordonnance, le Tribunal a également décidé, d’une part, que cette liste et ce résumé, puisqu’ils concernaient une instruction en cours qui pourrait être compromise par la communication de ces documents aux requérantes, seraient transmis aux seuls avocats de ces dernières ayant signé l’engagement de confidentialité afin qu’ils puissent soumettre des observations et, d’autre part, que les annexes 1 à 17 du mémoire de la Commission du 18 octobre 2024 seraient retirées du dossier.

22 À cet égard, il découle de l’emploi du terme « notamment » à l’article 103, paragraphe 3, du règlement de procédure, selon le Tribunal, que les mesures que celui-ci énumère ne sont qu’indicatives et qu’il dispose d’une certaine marge d’appréciation quant au type de mesures à adopter afin de permettre à une partie principale, qui ne s’est pas vu communiquer des informations confidentielles provenant de l’autre partie principale, de soumettre des observations portant sur lesdites informations. Il ressort d’ailleurs du point 103, sous ii), a), des dispositions pratiques d’exécution du règlement de procédure que, en présence de renseignements ou de pièces pertinents pour la solution du litige, mais présentant un caractère confidentiel, le Tribunal peut, s’il estime que la communication non intégrale desdits renseignements ou desdites pièces pourrait suffire à assurer le respect du principe du contradictoire, ordonner que cette information soit transmise sous une forme résumée, le cas échéant moyennant la souscription, par les représentants des parties autres que celle qui a produit les données confidentielles, d’un engagement de confidentialité.

23 Le 26 février 2025, la Commission a déféré à la demande du Tribunal et a produit la liste et le résumé des indices demandés, lesquels ont été signifiés aux avocats des requérantes ayant signé l’engagement de confidentialité (ci-après le « résumé des indices »).

24 Le 30 avril 2025, les avocats des requérantes ayant signé l’engagement de confidentialité ont présenté leurs observations quant au résumé des indices produit par la Commission.

 Sur le deuxième chef de conclusions tendant à l’annulation de toute mesure ordonnée par la Commission dans le cadre de l’inspection

25 Par leur deuxième chef de conclusions, les requérantes demandent au Tribunal d’annuler toute mesure ordonnée par la Commission dans le cadre de l’inspection et notamment de déclarer irrecevable la poursuite de l’inspection et d’ordonner à la Commission la restitution de toutes les copies de documents réalisées et emportées dans le cadre de l’inspection.

26 À cet égard, d’une part, s’agissant de la demande visant à obtenir du Tribunal qu’il annule toute mesure ordonnée par la Commission dans le cadre de l’inspection, il importe de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, la définition de l’objet du litige dans la requête déposée au titre de l’article 263 TFUE doit permettre au Tribunal d’identifier avec précision les actes dont la partie requérante demande l’annulation, étant entendu que le Tribunal ne saurait, en tout état de cause, statuer ultra petita, en prononçant une annulation qui excède celle sollicitée par la partie requérante. Ainsi, une telle requête qui ne vise pas expressément l’acte ou les actes concrets dont l’annulation est demandée et ne permet pas d’identifier avec suffisamment de précision ledit acte ou lesdits actes en cause ne saurait satisfaire aux exigences de l’article 76, sous d), du règlement de procédure (voir arrêt du 5 décembre 2018, Bristol-Myers Squibb Pharma/Commission et EMA, T‑329/16, non publié, EU:T:2018:878, point 33 et jurisprudence citée).

27 Partant, il n’appartient pas au Tribunal d’identifier les mesures ordonnées par la Commission dans le cadre de l’inspection qui pourraient faire l’objet du présent recours et, à défaut d’une telle identification dans la requête, il convient de considérer que le recours est irrecevable en ce qu’il tend à obtenir l’annulation de telles mesures.

28 D’autre part, s’agissant de la demande visant à obtenir du Tribunal qu’il déclare irrecevable la poursuite de l’inspection et qu’il ordonne à la Commission la restitution de toutes les copies de documents réalisées et emportées dans le cadre de l’inspection, force est de constater qu’une telle demande vise, en substance, à obtenir du Tribunal qu’il prononce un arrêt déclaratoire ou qu’il prononce une injonction à l’encontre de la Commission.

29 Toutefois, il est de jurisprudence constante que, dans le cadre du contrôle de légalité fondé sur l’article 263 TFUE, le juge de l’Union n’est pas compétent pour prononcer des arrêts déclaratoires (voir ordonnance du 3 décembre 2019, WB/Commission, C‑271/19 P, non publiée, EU:C:2019:1037, point 21 et jurisprudence citée) ou des injonctions à l’encontre des institutions, des organes et des organismes de l’Union (voir arrêt du 14 mars 2024, D & A Pharma/Commission et EMA, C‑291/22 P, EU:C:2024:228, point 160 et jurisprudence citée).

30 Il découle de ce qui précède que le deuxième chef de conclusions doit être en partie déclaré irrecevable et en partie rejeté en raison de l’incompétence du Tribunal pour en connaître.

 Sur le premier chef de conclusions, tendant à l’annulation de la décision attaquée

31 À l’appui de leur demande d’annulation de la décision attaquée, les requérantes présentent cinq moyens, tirés, le premier, du caractère manifestement infondé de la décision attaquée, le deuxième, de l’insuffisance des indices pour l’adoption de la décision attaquée, le troisième, d’un défaut de motivation et de l’imprécision de la décision attaquée, le quatrième, d’une violation du principe de proportionnalité et, le cinquième, d’une violation de règles de procédure fondamentales et des droits de la défense.

32 Il convient d’examiner, tout d’abord, le troisième moyen invoqué par les requérantes, ensuite, le deuxième moyen et, enfin, les premier, quatrième et cinquième moyens.

 Sur le troisième moyen, tiré d’un défaut de motivation et de l’imprécision de la décision attaquée

33 À l’appui de leur troisième moyen, tiré d’un défaut de motivation et de l’imprécision de la décision attaquée, les requérantes invoquent, en substance, les griefs suivants.

34 En premier lieu, les requérantes font valoir que la décision attaquée n’est conforme ni à l’article 296 TFUE ni à la jurisprudence y afférente, étant donné qu’elle n’est pas suffisamment claire quant au but et à l’objet de l’inspection, ce qui ne permettrait pas à Red Bull de saisir les faits qui lui sont reprochés.

35 Ainsi, la Commission n’expliquerait ni ce qu’elle entend par « campagne de dénigrement », ni quelle en serait la cible, ni les raisons pour lesquelles, d’une part, elle fait référence, s’agissant de l’octroi d’incitations financières, à cinq États membres, dont trois dans lesquels Red Bull ne possèderait pas de filiale, et, d’autre part, elle mentionne, à l’article 1er de la décision attaquée, un marché à l’échelle de l’Union ou de l’EEE pour chacune des trois infractions soupçonnées. De plus, la Commission n’affirmerait même pas disposer d’indices d’une position dominante de Red Bull. En outre, la décision attaquée ne permettrait pas de déterminer si la Commission soupçonne une coopération abusive, mais non secrète au sein d’EDE, ou une entente secrète caractérisée.

36 Dans la réplique, les requérantes ajoutent que, bien que la décision attaquée soit potentiellement la première mesure d’enquête prise par la Commission en l’espèce, cette dernière disposait déjà de nombreuses informations du fait de la plainte informelle, d’enquêtes antérieures et d’informations publiques, avec pour conséquence que des exigences plus strictes s’appliquaient s’agissant de la motivation de la décision attaquée, ainsi que cela découle de l’arrêt du 10 mars 2016, HeidelbergCement/Commission (C‑247/14 P, EU:C:2016:149, point 39).

37 En second lieu, les requérantes soutiennent que la décision attaquée viole l’interdiction, établie dans la jurisprudence, d’ordonner une expédition exploratoire (fishing expedition), dont l’objet serait indéterminé, ce qui enfreindrait leurs droits de la défense. À cet égard, les requérantes reconnaissent que la Commission cite, dans la décision attaquée, les présumées pratiques abusives de Red Bull, mais lui reprochent ensuite de relativiser chacune de ces accusations, en utilisant à plusieurs reprises le terme « en particulier » et en adoptant un vocabulaire spéculatif, tel que le terme « potentiellement », laissant ainsi l’objet de l’inspection abusivement ouvert et imprécis.

38 Le mode opératoire des agents de la Commission lors de l’inspection confirmerait qu’il s’agissait d’une expédition exploratoire, puisque ces derniers auraient identifié plusieurs collaborateurs de Red Bull comme faisant l’objet de l’enquête et copié leurs données, alors que ceux-ci n’auraient aucun rapport avec les pays visés par la décision attaquée.

39 La Commission conteste les arguments des requérantes.

40 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la motivation des actes des institutions de l’Union exigée à l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteure de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit en outre être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires de l’acte ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par celui-ci peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 25 juin 2014, Nexans et Nexans France/Commission, C‑37/13 P, EU:C:2014:2030, points 31 et 32 et jurisprudence citée).

41 S’agissant des décisions de la Commission ordonnant une inspection, l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003 définit les éléments essentiels devant figurer dans une telle décision, en imposant à la Commission de la motiver en indiquant l’objet et le but de l’inspection, la date à laquelle celle-ci commence, les sanctions prévues aux articles 23 et 24 dudit règlement et le recours ouvert devant la Cour de justice de l’Union européenne contre la décision d’inspection.

42 Il ressort de la jurisprudence que la Commission doit, pour ce faire, indiquer, avec autant de précision que possible, les présomptions qu’elle entend vérifier, à savoir ce qui est recherché et les éléments sur lesquels doit porter l’inspection. Plus précisément, la décision d’inspection doit contenir une description des caractéristiques de l’infraction suspectée, en indiquant le marché présumé en cause et la nature des restrictions de concurrence suspectées, ainsi que les secteurs couverts par la prétendue infraction concernée par l’enquête et des explications quant à la manière dont l’entreprise est présumée être impliquée dans l’infraction (voir, en ce sens, arrêt du 8 mars 2007, France Télécom/Commission, T‑339/04, EU:T:2007:80, points 58 et 59 et jurisprudence citée).

43 Cette obligation de motivation spécifique constitue, ainsi que la Cour l’a précisé, une exigence fondamentale en vue non seulement de faire apparaître le caractère justifié de l’intervention envisagée à l’intérieur des entreprises concernées, mais aussi de mettre celles-ci en mesure de saisir la portée de leur devoir de collaboration tout en préservant en même temps les droits de la défense (voir arrêt du 30 janvier 2020, České dráhy/Commission, C‑538/18 P et C‑539/18 P, non publié, EU:C:2020:53, point 40 et jurisprudence citée). Il est, en effet, important de mettre en mesure les entreprises visées par les décisions d’inspection leur imposant des obligations, qui comportent des ingérences dans leur sphère privée et dont le non-respect peut les exposer à de lourdes amendes, de percevoir les motifs de ces décisions sans efforts d’interprétation démesurés, de façon qu’elles puissent exercer leurs droits efficacement et en temps opportun (voir, par analogie, conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire HeidelbergCement/Commission, C‑247/14 P, EU:C:2015:694, point 42).

44 Néanmoins, les inspections interviennent par définition à un stade préliminaire, auquel la Commission ne dispose pas d’informations précises lui permettant de qualifier les comportements en cause d’infraction. Ces inspections impliquent ainsi la faculté de rechercher des éléments d’information divers qui ne sont pas encore connus ou pleinement identifiés (voir, en ce sens, arrêts du 25 juin 2014, Nexans et Nexans France/Commission, C‑37/13 P, EU:C:2014:2030, point 37, et du 26 octobre 2010, CNOP et CCG/Commission, T‑23/09, EU:T:2010:452, points 40 et 41 et jurisprudence citée). Ainsi, pour sauvegarder l’effet utile des inspections et pour des raisons tenant à leur nature même, il a été admis que la Commission n’était tenue ni de communiquer au destinataire d’une telle décision toutes les informations dont elle disposait à propos d’infractions présumées, ni de délimiter précisément le marché en cause, ni de procéder à une qualification juridique exacte de ces infractions, ni d’indiquer la période au cours de laquelle ces infractions auraient été commises (voir, en ce sens, arrêts du 25 juin 2014, Nexans et Nexans France/Commission, C‑37/13 P, EU:C:2014:2030, points 35 et 36, et du 30 janvier 2020, České dráhy/Commission, C‑538/18 P et C‑539/18 P, non publié, EU:C:2020:53, points 41 et 42).

45 En l’espèce, en premier lieu, les requérantes font valoir que la motivation de la décision attaquée n’est pas suffisamment claire quant à l’indication de l’objet et du but de l’inspection litigieuse, ce qui ne permettrait pas à Red Bull de saisir les faits qui lui sont reprochés et ne serait conforme ni à l’article 296 TFUE ni à la jurisprudence y afférente.

46 Force est toutefois de constater que la décision attaquée décrit bien l’objet de l’inspection, puisqu’elle contient une description des caractéristiques essentielles des infractions suspectées qui indique :

– le secteur couvert par les prétendues infractions concernées par l’enquête, à savoir, ainsi que cela ressort de l’article 1er de la décision attaquée, la fourniture de boissons énergisantes à des détaillants de la vente à emporter ou à des grossistes ;

– le marché géographique présumé en cause, à savoir, ainsi que cela ressort des considérants 2 et 3 de la décision attaquée, le territoire de l’Union et de l’EEE et, en particulier, s’agissant du soupçon de pratiques d’éviction, la Belgique, l’Estonie, la France, la Lituanie et les Pays-Bas et, s’agissant du soupçon de pratiques de dénigrement, l’Allemagne et les Pays-Bas ;

– la nature des restrictions de concurrence suspectées, à savoir, ainsi que cela ressort de l’article 1er de la décision attaquée, lu à la lumière de son considérant 3, premièrement, des pratiques d’éviction des boissons énergisantes concurrentes, en particulier celles vendues en unités d’une contenance supérieure à 250 ml, deuxièmement, une campagne de dénigrement dans le but de restreindre les ventes des boissons énergisantes vendues en unités d’une contenance supérieure à 250 ml et, troisièmement, un accord avec des concurrents au sein d’EDE en vue de limiter la vente de boissons énergisantes en unités d’une contenance supérieure à 250 ml. La Commission a par ailleurs indiqué, au considérant 4 de la décision attaquée que de telles pratiques, si elles étaient avérées, pourraient être contraires aux articles 101 et 102 TFUE et aux articles 53 et 54 de l’accord EEE ;

– des explications quant à la manière dont Red Bull est présumé être impliqué dans l’infraction, à savoir, ainsi que cela ressort de l’article 1er de la décision attaquée, lu à la lumière de son considérant 3, s’agissant du soupçon de pratiques d’éviction, par l’octroi d’incitations financières, potentiellement accompagnées de refus de fourniture, en contrepartie d’un déréférencement des boissons énergisantes visées ou d’une distorsion de la concurrence par les prix, s’agissant du soupçon de pratiques de dénigrement, par son engagement dans une campagne de dénigrement et, s’agissant du soupçon d’accord anticoncurrentiel au sein d’EDE, par sa participation à un accord avec d’autres concurrents au sein d’EDE.

47 Quant au but de l’inspection, il est décrit au considérant 5 de la décision attaquée comme étant de permettre à la Commission de vérifier tous les faits relatifs aux accords, aux pratiques concertées et au comportement unilatéral allégués ainsi que le contexte dans lequel ils se sont déroulés.

48 Il s’ensuit que la motivation figurant dans la décision attaquée est adaptée à la nature de l’acte en cause, à savoir une décision d’inspection, et fait apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de la Commission, de manière à permettre aux requérantes de connaître les justifications de ladite décision et au Tribunal d’exercer son contrôle, de sorte qu’elle est conforme à l’article 296 TFUE, mais également à l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003 et à la jurisprudence y afférente.

49 Contrairement aux allégations des requérantes, le but et l’objet de l’inspection sont décrits de manière suffisamment précise dans la décision attaquée pour permettre à Red Bull de comprendre ce qui était recherché par la Commission et les éléments sur lesquels devait porter l’inspection, au sens de la jurisprudence citée aux points 40 et 42 à 44 ci-dessus et, partant, de saisir la portée de leur devoir de collaboration.

50 Il convient par ailleurs de constater qu’aucun des arguments spécifiques avancés par les requérantes n’est susceptible de remettre en cause le caractère suffisant de la motivation de la décision attaquée.

51 Premièrement, en ce qui concerne la prétendue absence d’explications portant sur la signification du concept de « campagne de dénigrement », force est de constater que, dans le contexte de la présente affaire, il est possible de comprendre, sans efforts d’interprétation démesurés, qu’un dénigrement consiste à jeter le discrédit sur un produit ou un service identifié. Plus précisément, ainsi que l’a fait valoir la Commission, l’association du mot « dénigrement » avec le terme « campagne » dans la décision attaquée permet de comprendre qu’il s’agit d’une pratique durable ou planifiée. En outre, il ressort du considérant 3 de la décision attaquée que la campagne de dénigrement suspectée aurait visé la vente de boissons énergisantes d’une contenance supérieure à 250 ml, ce qui permet aux requérantes de discerner la cible présumée d’une telle campagne.

52 Deuxièmement, en ce qui concerne l’octroi d’incitations financières, et notamment la référence à cinq États membres, dont trois dans lesquels Red Bull ne possèderait pas de filiale, alors que le marché potentiellement affecté serait un marché à l’échelle de l’Union ou de l’EEE, force est de constater que, à la lecture du considérant 3 de la décision attaquée, il est possible de comprendre, sans efforts d’interprétation démesurés, que la Commission suspectait Red Bull d’avoir octroyé de telles incitations à des détaillants ou à des grossistes du secteur de la vente de boissons énergisantes off-trade se trouvant notamment en Belgique, en Estonie, en France, en Lituanie et aux Pays-Bas, c’est-à-dire des États membres où ce groupe commercialisait ses boissons énergisantes même s’il n’y disposait pas de filiales, et que des détaillants ou des grossistes actifs dans d’autres États membres de l’Union ou de l’EEE pouvaient également être concernés.

53 Troisièmement, en ce qui concerne la prétendue absence, dans la décision attaquée, d’indices d’une position dominante de Red Bull, force est de constater qu’il n’est pas contesté que les parts de marchés du groupe au niveau national ou dans l’Union, lesquelles constituent un bon indicateur du pouvoir de marché de celui-ci, étaient connues des requérantes lorsque la décision attaquée leur a été notifiée et que l’inspection a eu lieu. Or, conformément à la jurisprudence citée au point 40 ci-dessus, la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte. En outre, il convient de souligner que, à ce stade précoce de son enquête, la Commission n’était pas tenue de démontrer que Red Bull se trouvait en situation de position dominante.

54 Quatrièmement, en ce qui concerne l’allégation des requérantes selon laquelle la décision attaquée ne permet pas de déterminer si la Commission soupçonnait une coopération abusive, mais non secrète, au sein d’EDE ou une entente secrète caractérisée, il convient de rappeler qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 44 ci-dessus que la Commission n’est pas tenue, dans une décision ordonnant une inspection, de procéder à une qualification juridique exacte des infractions soupçonnées. Il s’ensuit que, dans la décision attaquée, la Commission n’avait pas à qualifier le comportement des requérantes au sein d’EDE d’entente secrète caractérisée ou de coopération abusive, mais non secrète. Étant donné que la Commission cherche, par la décision attaquée, à infirmer ou à confirmer un certain soupçon, une appréciation de l’infraction n’était, au moment de son adoption, ni possible ni juridiquement nécessaire.

55 Quant aux exigences de motivation plus strictes qui devraient, selon les requérantes, s’appliquer en l’espèce selon l’arrêt du 10 mars 2016, HeidelbergCement/Commission (C‑247/14 P, EU:C:2016:149), il y a lieu de constater que, dans cette affaire, si la Cour a considéré que la Commission aurait pu exposer avec davantage de précision les soupçons d’infraction qui pesaient sur les entreprises en cause et a conclu à l’existence d’un défaut de motivation, c’est après avoir constaté, d’une part, que la motivation de la demande de renseignements litigieuse était excessivement succincte, vague et générique et, à certains égards, ambiguë et, d’autre part, que cette demande était intervenue plus de deux années après les premières inspections dans les locaux de la partie requérante, alors que la Commission lui avait déjà adressé plusieurs demandes de renseignements, et plusieurs mois après la décision d’ouverture de la procédure (arrêt du 10 mars 2016, HeidelbergCement/Commission, C‑247/14 P, EU:C:2016:149, points 4 et 39), ce qui diffère du cas d’espèce.

56 Il s’ensuit que le contexte factuel dans lequel s’inscrit l’arrêt du 10 mars 2016, HeidelbergCement/Commission (C‑247/14 P, EU:C:2016:149), diffère substantiellement de celui entourant la présente affaire. En effet, en l’espèce, au moment où elle a adopté la décision attaquée, la Commission ne disposait pas d’informations obtenues lors de précédentes inspections dans les locaux des requérantes et elle ne leur avait pas adressé de demandes de renseignements portant sur les infractions soupçonnées. De plus, la motivation de la décision attaquée est relativement détaillée et claire, notamment en ce qui concerne l’objet et le but de l’inspection, ainsi que cela ressort de l’analyse effectuée aux points 46 et 47 ci-dessus. Il s’ensuit que, contrairement aux allégations des requérantes, il n’est pas nécessaire, en l’espèce, d’appliquer des exigences de motivation plus strictes.

57 En second lieu, les requérantes prétendent que l’utilisation à plusieurs reprises, par la Commission, dans la décision attaquée, du terme « en particulier » et d’un vocabulaire spéculatif, tel que le terme « potentiellement » a eu pour conséquence de laisser l’objet de l’inspection abusivement ouvert et imprécis, ce qui révèlerait, à l’instar du mode opératoire des agents de la Commission au cours de l’inspection contestée, qu’il s’agissait d’une expédition exploratoire et enfreindrait l’article 20 du règlement no 1/2003, de même que leurs droits de la défense.

58 À cet égard, force est de constater que de telles allégations sont inopérantes dans le cadre du présent moyen, tiré d’un défaut de motivation. En tout état de cause, il ressort de l’examen du premier grief soulevé par les requérantes à l’appui du présent moyen que la décision attaquée, qui contient une description des caractéristiques essentielles des infractions suspectées, indique de ce fait de manière suffisamment précise l’objet de l’inspection, ce qui permet d’écarter l’allégation des requérantes selon laquelle l’objet de l’inspection serait abusivement ouvert et imprécis.

59 Par ailleurs, il convient de relever que l’emploi de l’adverbe « notamment » a été jugé par le Tribunal comme ne posant pas de problème au regard de l’obligation de motivation de la Commission à propos de la description des comportements anticoncurrentiels (voir arrêt du 30 avril 2025, Symrise / Commission, T-263/23, EU:T:2025:417, point 46 et jurisprudence citée), de sorte qu’il peut être considéré qu’il en est a de même s’agissant de l’utilisation du terme « en particulier ».

60 De plus, il importe de relever que, à la lumière des considérants 2 et 3 de la décision attaquée, l’utilisation du terme « en particulier » dans ladite décision vise à inclure la totalité des formes et des modalités des pratiques soupçonnées et expressément mentionnées à l’article 1er de cette décision. Il s’agit des formes et des modalités dont la Commission soupçonne qu’elles ont un lien étroit avec les pratiques commerciales des requérantes, lesquelles sont elles‑mêmes bien délimitées audit article.

61 Quant à l’utilisation d’un vocabulaire prétendument spéculatif, dont le terme « potentiellement », il y a lieu d’observer qu’il ne révèle aucune indécision de la part de la Commission, mais découle plutôt du fait qu’une décision d’inspection est nécessairement adoptée à un stade relativement précoce de l’enquête de la Commission, à un moment où elle ne fait que vérifier des soupçons, mais n’a pas établi l’existence d’une infraction au droit de la concurrence. Il s’ensuit que, dans la décision attaquée, la Commission ne prétend pas que les requérantes ont commis une infraction, ce qui justifie l’utilisation du conditionnel.

62 Quant au mode opératoire des agents de la Commission pendant l’inspection, force est de constater qu’il ne peut être révélateur du fait que la décision attaquée aurait un objet insuffisamment déterminé. En effet, la question de savoir si les agents de la Commission auraient illégalement copié des données qui ne seraient pas visées par la décision d’inspection ne relève pas du domaine d’application de l’exigence de motivation que doit respecter la Commission. Il convient par ailleurs de souligner que le mode opératoire des agents de la Commission pendant l’inspection relève du déroulement de celle-ci et que le déroulement d’une inspection n’est pas de nature à affecter la légalité de la décision attaquée, de sorte que cet argument est inopérant.

63 Il découle de ce qui précède que les griefs invoqués par les requérantes à l’appui de leur troisième moyen et, partant, le troisième moyen en tant que tel doivent être rejetés.

 Sur le deuxième moyen, tiré de l’insuffisance d’indices pour l’adoption de la décision attaquée

64 À l’appui de leur deuxième moyen, les requérantes font valoir que la description vague et incomplète, dans la décision attaquée, des trois présumées pratiques anticoncurrentielles révèle que la Commission ne disposait pas des indices nécessaires permettant de suspecter l’existence de telles pratiques. Si les requérantes admettent que la Commission disposait de certains éléments de base, comme la plainte informelle, elles estiment que, sur la base d’autres informations, la Commission aurait dû aboutir à la conclusion que ladite plainte était infondée et qu’il n’existait aucun indice sérieux d’infraction.

65 Par ailleurs, les avocats des requérantes ayant signé un engagement de confidentialité ont fait valoir, en substance, que la Commission ne disposait pas d’indices suffisamment sérieux permettant de suspecter une infraction aux règles de concurrence afin d’adopter la décision attaquée.

66 Lors de l’audience de plaidoiries, les requérantes ont fait valoir que, même si le dossier de la Commission contenait déjà plus de 700 pages au moment de l’adoption de la décision attaquée, cette dernière ne disposait pas d’indices suffisamment sérieux. De plus, les informations sur lesquelles s’est fondée la Commission pour adopter la décision attaquée ne proviendraient que d’une seule source, à savoir le plaignant qui a déposé la plainte informelle (ci-après le « plaignant informel »), qui défendrait ses propres intérêts. Les requérantes ont également reproché à la Commission de ne pas avoir vérifié les informations transmises par le plaignant informel, en questionnant directement les tiers mentionnés dans les documents transmis par celui-ci.

67 La Commission conteste les arguments des requérantes.

68 À cet égard, il convient de relever que le juge de l’Union peut être amené à effectuer un contrôle d’une décision prise en vertu de l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003 afin de s’assurer que celle-ci ne présente pas un caractère arbitraire, c’est-à-dire qu’elle n’a pas été adoptée en l’absence de toute circonstance de fait susceptible de justifier une inspection. Il convient en effet de rappeler que les inspections entreprises par la Commission visent à recueillir la documentation nécessaire pour vérifier la réalité et la portée d’une situation de fait et de droit déterminée à propos de laquelle la Commission dispose déjà d’informations. Dans le cadre de ce contrôle, le juge de l’Union doit s’assurer de l’existence d’indices suffisamment sérieux permettant de suspecter une infraction aux règles de concurrence par l’entreprise concernée (voir arrêt du 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans/Commission, T‑135/09, EU:T:2012:596, point 43 et jurisprudence citée).

69 Il ressort toutefois d’une jurisprudence constante que, aux fins de préserver l’efficacité de son enquête, la Commission n’est pas tenue d’indiquer à l’entreprise inspectée, dans la décision d’inspection ou au cours de l’inspection, les indices ayant justifié ladite inspection (voir, en ce sens, arrêts du 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans/Commission, T‑135/09, EU:T:2012:596, point 69, et du 25 novembre 2014, Orange/Commission, T‑402/13, EU:T:2014:991, point 81).

70 Il importe également de rappeler que les différents indices permettant de suspecter une infraction doivent être appréciés non isolément, mais dans leur ensemble, et qu’ils peuvent se renforcer mutuellement (voir arrêts du 27 novembre 2014, Alstom Grid/Commission, T‑521/09, EU:T:2014:1000, point 54 et jurisprudence citée, et du 29 février 2016, EGL e.a./Commission, T‑251/12, non publié, EU:T:2016:114, point 150 et jurisprudence citée).

71 En l’espèce, force est d’emblée de constater qu’il ressort de l’examen du troisième moyen (voir points 33 à 63 ci-dessus) que la décision attaquée est suffisamment précise et motivée s’agissant de l’objet de l’inspection, de sorte que les requérantes ne sauraient invoquer une description vague et incomplète dans ladite décision des trois pratiques anticoncurrentielles présumées.

72 En ce qui concerne les indices permettant de suspecter l’existence des trois pratiques anticoncurrentielles présumées, il y a lieu de constater que le mémoire de la Commission du 18 octobre 2024, déposé en réponse à la demande de production de documents formulée dans l’ordonnance du Tribunal du 3 octobre 2024 et communiqué aux requérantes, contient un bordereau des 16 pièces annexées à celui-ci, que la Commission considère comme étant les indices demandés par le Tribunal. Il ressort de ce bordereau d’annexes inclus dans ledit mémoire que les indices sur lesquels elle s’est fondée pour adopter la décision attaquée sont les suivants :

– une plainte informelle de 80 pages déposée le 9 avril 2022 ;

– un courriel du plaignant informel de 3 pages du 4 mai 2022 ;

– un premier exposé complémentaire de 46 pages déposé par le plaignant informel le 30 mai 2022, en réponse à des questions posées par la Commission ;

– un procès-verbal de 4 pages d’un entretien téléphonique entre la Commission et le plaignant informel le 15 juin 2022 ;

– un deuxième exposé complémentaire de 52 pages déposé par le plaignant informel le 4 juillet 2022, en réponse à des questions posées par la Commission ;

– un troisième exposé complémentaire de 155 pages déposé par le plaignant informel le 7 août 2022, en réponse à des questions posées par la Commission ;

– un courriel du plaignant informel de 5 pages du 25 août 2022 ;

– un procès-verbal de 5 pages d’un entretien téléphonique entre la Commission et le plaignant informel le 1er septembre 2022 ;

– un quatrième exposé complémentaire de 270 pages déposé par le plaignant informel le 30 septembre 2022, en réponse à des questions posées par la Commission ;

– un procès-verbal de 5 pages d’un entretien téléphonique entre la Commission et le plaignant informel le 10 novembre 2022 ;

– un procès-verbal de 6 pages d’un entretien téléphonique entre la Commission et le plaignant informel le 6 décembre 2022 ;

– un cinquième exposé complémentaire de 9 pages déposé par le plaignant informel le 14 décembre 2022, en réponse à des questions posées par la Commission ;

– un courriel du plaignant informel de 3 pages du 15 décembre 2022 ;

– un courriel du plaignant informel de 15 pages du 11 janvier 2023 ;

– un courriel du plaignant informel de 5 pages du 13 janvier 2023 ;

– un courriel du plaignant informel de 3 pages du 1er mars 2023.

73 En ce qui concerne plus particulièrement la plainte informelle, il ressort du résumé des indices produit par la Commission que celle-ci a été déposée par l’un des principaux concurrents de Red Bull et qu’elle contient une définition du marché géographique et de produits concerné, des informations sur la position de Red Bull sur ce marché ainsi que des indications sur l’état de la concurrence. Il ressort également du résumé des indices que la plainte informelle contient une description détaillée des différents types de comportements qui sont reprochés à Red Bull.

74 En effet, s’agissant des pratiques d’éviction alléguées, il ressort du résumé des indices que le plaignant informel a fait valoir dans sa plainte, d’une part, que Red Bull offrait des incitations financières à certains de ses clients, qui seraient subordonnées au déréférencement (c’est-à-dire au retrait des rayons) par ces clients des canettes d’une contenance supérieure à 250 ml. Le plaignant informel a précisé que ces paiements pouvaient prendre différentes formes : des primes liées au retrait des boissons énergisantes vendues dans des canettes d’une contenance supérieure à 250 ml, des rabais supplémentaires sur les produits de Red Bull, qui auraient été subordonnés au déréférencement des boissons énergisantes vendues en canettes d’une contenance supérieure à 250 ml et des paiements destinés à compenser les pertes subies par les détaillants en cas de déréférencement desdits produits. D’autre part, Red Bull aurait fait des offres de paiement en faveur de détaillants, à condition que ces détaillants fixent artificiellement un prix pour les boissons énergisantes en canettes de 500 ml du plaignant informel au-dessus d’un certain pourcentage du prix fixé pour les boissons énergisantes en canettes de 250 ml de Red Bull. Pour étayer de tels propos, il ressort du résumé des indices que le plaignant informel a cité dans sa plainte des exemples de clients concernés, joint des communications provenant desdits clients attestant desdites pratiques et présenté certains documents commerciaux internes.

75 S’agissant des pratiques de dénigrement alléguées, il ressort du résumé des indices que le plaignant informel a fait valoir dans sa plainte que Red Bull se livrait à une campagne de dénigrement anticoncurrentielle dans le but de restreindre les ventes de ses boissons énergisantes. Plus particulièrement, Red Bull ciblerait certains clients dans le but de supplanter le plaignant informel au moyen d’allégations prétendument exagérées, trompeuses et fausses. Selon le résumé des indices, la plainte informelle renverrait à cet égard à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et à la pratique décisionnelle de plusieurs autorités nationales de concurrence pour démontrer que de tels comportements pourraient constituer une infraction aux règles de concurrence, contiendrait plusieurs exemples de clients concernés et citerait de la correspondance émanant de clients et de distributeurs.

76 S’agissant de l’accord anticoncurrentiel au sein d’EDE allégué, il ressort du résumé des indices que le plaignant informel a fait valoir dans sa plainte que Red Bull avait, par l’intermédiaire d’EDE, tenté de faire pression sur plusieurs autorités afin d’obtenir l’interdiction de la vente de boissons énergisantes dans des unités d’une contenance supérieure à 250 ml dans les pays où ledit plaignant avait acquis une force d’attraction concurrentielle et a cité plusieurs exemples pour étayer ses allégations.

77 Il s’ensuit que, au moment d’adopter la décision attaquée, la Commission disposait, contrairement aux allégations des requérantes, d’une plainte dûment étayée, déposée par l’un des principaux concurrents de Red Bull qui, en raison de ses activités, était très bien informé du fonctionnement du secteur pertinent. À cet égard, il importe de rappeler qu’une dénonciation faite dans le cadre d’une plainte écrite formulée de manière cohérente a été considérée comme pouvant, en principe, constituer des indices justifiant valablement une inspection (voir, en ce sens, arrêt du 20 juin 2018, České dráhy/Commission, T‑325/16, EU:T:2018:368, point 95).

78 Force est de constater également que la Commission ne s’est pas contentée de se rallier aux indications contenues dans la plainte informelle, mais qu’elle a procédé à diverses démarches pour en vérifier la plausibilité, notamment en adressant au plaignant informel plusieurs demandes de renseignements supplémentaires.

79 À cet égard, il ressort du résumé des indices que :

– dans son premier exposé complémentaire, le plaignant informel a notamment fourni des informations supplémentaires sur le marché en cause, les données relatives aux parts de marché et la stratégie anticoncurrentielle présumée de Red Bull, ainsi que d’autres indices concernant les infractions présumées ;

– dans son deuxième exposé complémentaire, le plaignant informel a notamment fourni des informations supplémentaires sur la définition du marché, des informations actualisées sur les déréférencements, des indices supplémentaires et une chronologie de la prétendue stratégie anticoncurrentielle de Red Bull ;

– dans son troisième exposé complémentaire, le plaignant informel a notamment fourni des informations supplémentaires sur le fonctionnement du marché des boissons énergisantes et le paysage compétitif, de même qu’une estimation des parts de marché des membres d’EDE dans certains États membres ;

– dans son quatrième exposé complémentaire, le plaignant informel a notamment fourni des informations supplémentaires sur la structure de l’entreprise et le processus décisionnel de Red Bull, une estimation de la valeur des ventes réalisées par Red Bull dans certains États membres, des informations sur le fait qu’il n’existerait aucune autre explication plausible concernant les prix de détail excessifs de ses produits dans certains États membres ainsi que d’autres indices de pratiques anticoncurrentielles présumées de Red Bull ;

– dans son cinquième exposé complémentaire, le plaignant informel a fourni des indices supplémentaires ;

– la Commission a également obtenu certaines clarifications supplémentaires dans le cadre de plusieurs courriels et conversations téléphoniques avec le plaignant informel.

80 Il découle de ce qui précède que, contrairement aux allégations des requérantes, les indices à disposition de la Commission étaient suffisamment sérieux pour lui permettre de soupçonner Red Bull d’avoir commis les trois pratiques décrites dans la décision attaquée, de sorte que ladite décision ne présente pas un caractère arbitraire, étant donné qu’elle n’a pas été adoptée en l’absence de toute circonstance de fait susceptible de justifier une inspection au sens de la jurisprudence citée au point 68 ci-dessus.

81 S’agissant du reproche formulé par les requérantes à l’encontre de la Commission, en ce que cette dernière n’aurait pas pris contact directement avec les tiers mentionnés dans les documents transmis par le plaignant informel aux fins de s’assurer de la véracité des éléments factuels contenus dans lesdits documents, force est de constater que la Commission n’est pas tenue de procéder à de telles vérifications à un stade aussi précoce de son enquête, puisqu’elle doit, conformément à la jurisprudence, pour pouvoir légitimement ordonner une inspection, être en possession uniquement d’indices suffisamment sérieux permettant de suspecter une infraction aux règles de concurrence par l’entreprise concernée (voir, en ce sens, arrêt du 20 juin 2018, České dráhy/Commission, T‑325/16, EU:T:2018:368, point 36), et non de preuves concrètes et avérées de l’existence d’une telle infraction. De plus, procéder à ce stade à de telles vérifications entraîne un risque important que ladite entreprise soit informée de la démarche de la Commission, compromettant ainsi l’effet de surprise essentiel à toute inspection, et qu’elle détruise les preuves éventuelles de sa participation à une telle infraction.

82 Il découle de ce qui précède que, au moment de l’adoption de la décision attaquée, la Commission disposait d’indices suffisamment sérieux, provenant du plaignant informel, mais également de tiers, y compris de clients de Red Bull, permettant de suspecter les requérantes d’avoir commis les trois pratiques potentiellement contraires au droit de la concurrence décrites dans ladite décision, de sorte que le deuxième moyen doit être rejeté comme étant non fondé, sans qu’il soit nécessaire d’ordonner à la Commission de produire toute pièce relative à la présente affaire autre que celles déjà produites.

 Sur le premier moyen, tiré du caractère manifestement infondé de la décision d’inspection

83 À l’appui de leur premier moyen, les requérantes font valoir que, quand bien même elles seraient avérées, les pratiques alléguées dans la décision attaquée ne constitueraient pas une violation des articles 101 ou 102 TFUE, de sorte que ladite décision ne serait pas fondée et devrait être annulée.

84 Dans le cadre des réponses aux questions du Tribunal, les requérantes ont indiqué lors de l’audience de plaidoiries que le premier moyen était fondé sur l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003 et qu’il visait tant une erreur de droit qu’une erreur d’appréciation des faits. Il s’ensuit qu’il convient de comprendre ce premier moyen comme étant tiré d’une violation de l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003 et d’une erreur d’appréciation des faits qu’aurait commises la Commission en raison de l’absence d’éléments convaincants quant à l’existence d’infractions au sens des articles 101 et 102 TFUE, qui aurait dû la conduire à exclure tout soupçon d’infraction et à ne pas procéder à une inspection.

85 En premier lieu, en ce qui concerne le soupçon d’accord anticoncurrentiel au sein d’EDE, les requérantes estiment que l’engagement no 5 du code de pratiques d’EDE, publiquement connu depuis des années, que la Commission qualifie d’infraction à l’article 101 TFUE dans la décision attaquée, vise à rendre la consommation de boissons énergisantes compatible avec les exigences d’une alimentation saine, de sorte qu’il ne présente aucun risque pour la collectivité ou pour la réalisation des objectifs de l’Union et ne peut, partant, relever d’une entente secrète caractérisée. En outre, les requérantes reprochent à la Commission de ne pas avoir précisé, dans la décision attaquée, les sources d’information sur lesquelles elle s’appuyait.

 

86 Selon les requérantes, la Commission n’a pas cherché ni trouvé le site Internet d’EDE sur lequel cette association justifie les engagements pris par ses membres à l’aide de nombreuses références à des publications scientifiques, de sorte qu’elle a manqué à son devoir de diligence en ne s’informant pas de façon détaillée sur le contexte des décisions d’EDE. Les requérantes ajoutent que la Commission aurait dû tenir compte des aspects sanitaires liés aux engagements d’EDE, lesquels seraient conformes à l’article 168 TFUE dont l’objectif est d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine, lequel serait applicable en matière de politique concurrentielle. De plus, les membres d’EDE ne seraient actifs que dans certains États membres, de sorte que l’hypothèse d’une restriction de la concurrence visant toute l’Union ou l’EEE ne serait pas convaincante.

87 En deuxième lieu, en ce qui concerne le soupçon de pratiques de dénigrement, les requérantes prétendent qu’il est manifestement infondé. En effet, l’action de souligner la nécessité de réduire la taille du conditionnement des aliments sucrés ne pourrait être considérée comme participant d’une campagne de dénigrement anticoncurrentielle du seul fait que cette action émane d’un fabricant de boissons. Ce faisant, Red Bull ne ferait que réagir aux préoccupations et aux recommandations des autorités sanitaires. En outre, l’hypothèse selon laquelle Red Bull occupe une position dominante dans l’Union ou l’EEE ne serait pas convaincante.

88 En troisième lieu, en ce qui concerne le soupçon de pratiques d’éviction, même s’il était avéré, il ne pourrait, pour les raisons suivantes, donner lieu à une violation du droit de la concurrence. Premièrement, Red Bull ne serait pas en position dominante, eu égard, d’une part, à la puissance d’achat considérable du secteur alimentaire en Europe qui l’empêcherait d’imposer des prix ou des conditions commerciales ou de dicter aux commerçants les produits qui devraient figurer en rayons et, d’autre part, au fait que les produits de Red Bull ne seraient pas incontournables et que les supermarchés et stations-service pourraient très bien s’en passer. Deuxièmement, les mesures allant dans le sens d’une réduction de la taille des portions de boissons énergisantes pour des raisons de santé publique seraient dans l’intérêt évident de tous les fournisseurs et des consommateurs et relèveraient d’une concurrence fondée sur les mérites, laquelle serait autorisée même si elle a pour effet d’évincer des concurrents. Troisièmement, les pratiques visées par la Commission contribueraient à la promotion de la santé des consommateurs, de sorte qu’elles seraient objectivement justifiées et ne pourraient constituer une infraction au droit de la concurrence.

89 Dans la réplique, les requérantes ajoutent que, eu égard aux nombreuses informations disponibles avant l’adoption de la décision attaquée, à savoir la plainte informelle, de précédentes enquêtes portant sur le marché des boissons, les données portant sur ce marché provenant d’autres opérateurs et des documents publics attestant des préoccupations des autorités sanitaires s’agissant de la consommation de grandes portions de boissons énergisantes, la Commission aurait pu adresser une demande de renseignements à Red Bull afin de réunir les éventuelles données manquantes, plutôt que de la soumettre à une mesure aussi intensive et intrusive qu’une inspection.

90 La Commission conteste les arguments des requérantes.

91 À cet égard, ainsi que cela ressort de la jurisprudence citée au point 68 ci-dessus, le juge de l’Union peut être amené à effectuer un contrôle d’une décision prise en vertu de l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003 aux fins de s’assurer que celle-ci ne présente pas un caractère arbitraire, c’est-à-dire qu’elle n’a pas été adoptée en l’absence de toute circonstance de fait susceptible de justifier une inspection. Dans le cadre de ce contrôle, le juge de l’Union doit s’assurer de l’existence d’indices suffisamment sérieux permettant de suspecter une infraction aux règles de concurrence par l’entreprise concernée.

92 Il convient également de relever que, compte tenu du fait que les inspections interviennent au début de l’enquête, la Commission ne dispose pas encore d’informations précises pour émettre un avis juridique spécifique et doit d’abord vérifier le bien-fondé de ses soupçons ainsi que la portée des faits survenus, le but de l’inspection étant précisément de recueillir des preuves relatives à une infraction soupçonnée (voir arrêt du 25 juin 2014, Nexans et Nexans France/Commission, C‑37/13 P, EU:C:2014:2030, point 37 et jurisprudence citée). Il s’ensuit qu’une décision d’inspection, qui s’inscrit dans le contexte de la phase d’instruction préliminaire, c’est-à-dire à un moment où la Commission n’a pas encore pris position sur la réalité de l’infraction soupçonnée, ne contient pas une accusation ni ne présuppose une telle accusation et que, à ce stade, seule la description d’un soupçon d’infraction est nécessaire. Il importe ainsi de rappeler que les requérantes bénéficient de la présomption d’innocence et qu’il appartiendra à la Commission, le cas échéant, dans la décision finale de prouver l’existence des infractions soupçonnées aux articles 101 et 102 TFUE mentionnées dans la décision attaquée.

93 La Cour a également déjà précisé que, en présence d’indices suffisamment sérieux permettant de soupçonner une violation des règles de concurrence, la Commission ne saurait être tenue d’apprécier également tous les indices allant en sens inverse. Cela vaut d’autant plus que de tels indices peuvent être avancés par l’entreprise concernée dans le cadre de sa défense dans la suite éventuelle de la procédure administrative ou, le cas échéant, juridictionnelle contre la décision mettant fin à l’enquête (arrêt du 30 janvier 2020, České dráhy/Commission, C‑538/18 P et C‑539/18 P, non publié, EU:C:2020:53, point 64).

94 En l’espèce, les requérantes soutiennent que, à supposer que les trois pratiques potentiellement contraires au droit de la concurrence décrites dans la décision attaquée soient avérées, elles ne sont pas contraires aux articles 101 ou 102 TFUE, de sorte que la Commission ne pouvait pas légitimement soupçonner une infraction à ces dispositions ni ordonner l’inspection contestée.

95 Force est toutefois de constater que, contrairement aux allégations des requérantes, les trois pratiques mentionnées dans la décision attaquée, dans l’hypothèse où elles seraient avérées, pourraient être contraires aux articles 101 et 102 TFUE.

96 En effet, premièrement, le fait pour une entreprise de s’accorder avec des concurrents par le biais d’une association professionnelle afin de restreindre la vente d’un type de produits qu’elle commercialise elle-même dans une moindre mesure, en l’espèce les boissons énergisantes vendues en unités d’une contenance supérieure à 250 ml, mais qui constitue le produit phare de l’un de ses principaux concurrents, à savoir le plaignant informel, pourrait constituer une infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, puisqu’il n’est pas exclu qu’une telle pratique puisse avoir pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur au sens de cette disposition.

97 Deuxièmement, le fait pour une entreprise potentiellement en position dominante de mener une campagne de dénigrement à l’encontre du produit phare de son principal concurrent, en l’espèce les boissons énergisantes vendues en unités d’une contenance supérieure à 250 ml, pourrait constituer une infraction à l’article 102 TFUE. En effet, il ne pourrait être exclu qu’une telle pratique puisse relever d’une exploitation abusive par Red Bull de sa potentielle position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci, au sens de l’article 102 TFUE, ayant pour objet ou pour effet d’évincer complètement ou de marginaliser un concurrent spécifiquement visé, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une concurrence fondée sur les mérites.

98 Troisièmement, le fait pour une entreprise potentiellement dominante, de mettre en œuvre des pratiques, unilatérales ou concertées, visant à empêcher ou restreindre la concurrence des produits commercialisés par son principal concurrent, en l’espèce les boissons énergisantes vendues en unités d’une contenance supérieure à 250 ml, en accordant des incitations financières à certains clients en échange du déréférencement de ces produits ou en influençant le prix de vente aux consommateurs desdits produits concurrents, pourrait constituer une infraction à l’article 102 ou à l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Il ne pourrait en effet être exclu qu’une telle pratique puisse relever d’une exploitation abusive par Red Bull de sa potentielle position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci, au sens de l’article 102 TFUE, ayant pour objet ou pour effet d’évincer complètement ou de marginaliser un concurrent spécifiquement visé, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une concurrence fondée sur les mérites, ou que ladite pratique puisse avoir pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

 

99 Il s’ensuit que, dans l’hypothèse où les trois pratiques mentionnées dans la décision attaquée seraient avérées, elles pourraient être constitutives d’infractions aux règles de concurrence, de sorte que la Commission n’a commis aucune erreur de droit ou d’appréciation des faits et n’a pas enfreint l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003 en soupçonnant Red Bull d’avoir commis de telles infractions et en ordonnant l’inspection contestée. Le premier moyen doit dès lors être écarté comme étant non fondé.

100 En tout état de cause et à titre surabondant, force est de constater qu’aucun des arguments invoqués par les requérantes n’est de nature à ébranler les soupçons d’infractions allégués par la Commission dans la décision attaquée.

101 En premier lieu, en ce qui concerne le soupçon d’accord anticoncurrentiel au sein d’EDE, il convient d’observer que les requérantes se contentent de faire valoir que l’engagement no 5 du code de pratiques d’EDE ne pourrait être contraire à l’article 101 TFUE, sans tenir compte du fait qu’il ressort de la décision attaquée que ce soupçon d’entente n’est pas uniquement fondé sur ledit engagement.

102 En effet, tout d’abord, dans la décision attaquée, la Commission n’a pas décrit quel accord horizontal conclu avec des concurrents en vue de restreindre la vente de boissons énergisantes en unités d’une contenance supérieure à 250 ml pouvait constituer une infraction à l’article 101 TFUE. Ainsi que l’a fait valoir la Commission, non contredite sur ce point par les requérantes, le soupçon d’accord anticoncurrentiel au sein d’EDE décrit dans la décision attaquée inclut l’engagement no 5 du code de pratiques d’EDE, mais ne se limite pas à cet engagement. En effet, il ressort de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision attaquée que ledit soupçon concerne un potentiel accord avec d’autres concurrents au sein d’EDE afin de restreindre la vente de boissons énergisantes vendues en unités d’une contenance supérieure à 250 ml, ce qui englobe ledit engagement, mais ne s’y limite pas. Dès lors, le fait, pour les requérantes, de se focaliser sur cet engagement et de remettre en question sa nocivité pour la collectivité ou pour la réalisation des objectifs de l’Union ne suffit pas pour écarter un soupçon d’infraction.

103 En outre, force est de constater que l’allégation des requérantes, selon laquelle l’engagement no 5 du code de pratiques de l’EDE a pour objectif de protéger la santé humaine, est vague, non étayée et est contredite par l’indication, dans la requête, selon laquelle les limitations de taille des emballages poursuivies par les requérantes ne sont pas motivées par un pur altruisme, mais principalement pour des raisons d’ordre économique, à savoir pouvoir continuer à commercialiser le plus librement possible leur produit phare.

104 Par ailleurs, contrairement aux allégations des requérantes, la Commission n’était pas tenue, à ce stade précoce de son enquête, de s’informer de façon détaillée sur le contexte des décisions d’EDE en consultant le site Internet de celle-ci ou de tenir compte des prétendus aspects sanitaires liés aux engagements de cette association.

105 De plus, l’argument des requérantes selon lequel les membres d’EDE ne sont actifs que dans certains États membres, de sorte que l’hypothèse d’une restriction de la concurrence visant toute l’Union ou l’EEE n’est pas convaincante, ne saurait prospérer, puisqu’il n’est pas contesté que Red Bull, qui est membre d’EDE, commercialise ses produits dans l’ensemble de l’Union et de l’EEE.

106 Enfin, l’argument des requérantes selon lequel la Commission a erronément omis de mentionner ses sources dans la décision attaquée ne saurait prospérer, dans la mesure où pareil argument n’a aucune conséquence sur le bien‑fondé de l’existence en tant que telle du soupçon d’accord anticoncurrentiel au sein d’EDE. En effet, un tel soupçon peut très bien exister même si la Commission n’a pas détaillé ses sources dans la décision attaquée.

107 En deuxième lieu, en ce qui concerne le soupçon de pratiques de dénigrement, force est de constater que le fait que Red Bull ne fasse prétendument que réagir aux préoccupations et aux recommandations des autorités sanitaires, en soulignant la nécessité de réduire la taille du conditionnement des aliments sucrés, pourrait le cas échéant permettre d’apporter une justification objective à un tel comportement, mais ne permet pas d’empêcher que ledit comportement puisse potentiellement être qualifié d’abus au sens de l’article 102 TFUE.

108 Quant à la prétendue absence de position dominante de Red Bull, il y a lieu de constater que, lors de l’audience de plaidoiries, les requérantes ont indiqué que, dans certains États membres, la part de marché de Red Bull se situait sous le seuil de 40 %, ce qui ne fait en réalité que confirmer que ce dernier pourrait bénéficier d’une part de marché permettant de présumer qu’il se trouve en position dominante dans d’autres États membres. En tout état de cause, il importe de rappeler que, à ce stade précoce de son enquête, la Commission n’est pas tenue de démontrer que Red Bull se trouve dans une situation de position dominante, l’inspection lui permettant précisément d’obtenir des informations et des éléments de preuve supplémentaires sur cet élément de fait.

109 En troisième lieu, en ce qui concerne le soupçon de pratiques d’éviction, il importe de rappeler, ainsi que cela ressort du point 108 ci-dessus, que, lors de l’audience de plaidoiries, les requérantes ont indirectement reconnu que, dans certains États membres, Red Bull disposait d’une part de marché permettant de présumer qu’il se trouvait en situation de position dominante, avec pour conséquence qu’il ne pouvait être exclu, à ce stade, que ce dernier se trouvait en situation de position dominante dans le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci. Il convient également de rappeler que le fait que Red Bull adopte des mesures en vue de réduire la taille des portions des boissons énergisantes dans l’intérêt des fournisseurs et des consommateurs pourrait, le cas échéant, permettre d’apporter une justification objective aux pratiques d’éviction soupçonnées, mais ne permet pas d’exclure que celles-ci puissent potentiellement être qualifiées d’abusives. Il en est de même s’agissant de l’allégation des requérantes selon laquelle lesdites pratiques contribuent à la promotion de la santé.

110 En outre, en ce qui concerne l’allégation des requérantes selon laquelle, eu égard aux nombreuses informations disponibles, la Commission aurait dû recourir à une demande de renseignements plutôt qu’à une inspection, il convient de relever que ladite allégation ne permet pas de démontrer le caractère manifestement infondé de la décision attaquée puisqu’elle viserait des pratiques qui ne seraient pas contraires au droit de la concurrence, faisant l’objet du présent moyen, mais qu’elle porte sur la proportionnalité de la décision attaquée, laquelle sera examinée dans le cadre du quatrième moyen. Force est d’ailleurs de constater que les requérantes réitèrent ces arguments à l’appui de leur quatrième moyen. Cette allégation est, partant, inopérante dans le cadre du présent moyen.

111 Il découle de ce qui précède que le premier moyen doit être rejeté.

 Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation du principe de proportionnalité

112 À l’appui de leur quatrième moyen, tiré d’une violation du principe de proportionnalité, les requérantes invoquent deux griefs.

113 En premier lieu, les requérantes soutiennent que l’adoption de la décision attaquée est disproportionnée. Plus particulièrement, les requérantes reprochent à la Commission d’avoir opté pour une mesure d’inspection, alors qu’il aurait existé des moyens moins contraignants, tels qu’une demande à Red Bull de formuler des observations sur la plainte informelle ou des demandes de renseignements aux partenaires commerciaux de Red Bull. Les requérantes ajoutent que, avant d’ordonner l’inspection, la Commission disposait déjà de nombreuses informations du fait de la plainte informelle, d’affaires antérieures de concentrations et de précédentes enquêtes en droit des ententes, de même que d’informations publiquement accessibles, telles que l’initiative « Small Portions » de Red Bull et les engagements pris par les membres d’EDE, de sorte qu’une inspection n’était pas nécessaire.

114 En second lieu, les requérantes font valoir que la décision de poursuivre l’inspection dans les locaux de la Commission à Bruxelles (Belgique) est également disproportionnée, tant en ce qui concerne son intensité que sa durée.

115 Premièrement, s’agissant de l’intensité de la poursuite de l’inspection à Bruxelles, les requérantes font valoir que les agents de la Commission ont copié « en bloc » une quantité importante de documents électroniques et matériels et de courriers électroniques, sans connaître la pertinence de ces données pour l’objet de l’enquête et sans entreprendre un tri préalable raisonnable des données saisies. De plus, la Commission aurait refusé de remettre à Red Bull une liste des mots clés utilisés, ce qui lui aurait permis de s’assurer que seuls les éléments pertinents étaient copiés. Les requérantes demandent dès lors au Tribunal d’ordonner à la Commission, dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure au titre de l’article 88 du règlement de procédure, de produire une liste des mots clés utilisés ou à utiliser pour le tri des données pertinentes pour l’enquête.

116 Deuxièmement, la durée de la poursuite de l’inspection à Bruxelles aurait été excessive, n’aurait pas répondu à l’intérêt de l’efficacité de l’inspection et n’aurait pas empêché une ingérence excessive dans le fonctionnement de Red Bull. En effet, la Commission aurait demandé aux requérantes de veiller à ce que leurs collaborateurs n’effacent aucune donnée jusqu’à la fin de l’inspection, quelle qu’en soit la date, ce qui aurait été extrêmement pesant pour lesdits collaborateurs tout comme pour le fonctionnement de l’entreprise. Les requérantes ajoutent qu’une inspection n’est, en général, efficace que si la consultation des données saisies a lieu peu de temps après la saisie. Or, en l’espèce, la Commission aurait estimé qu’il fallait au moins six mois pour poursuivre l’inspection, ce qui équivaudrait à un délai manifestement disproportionné. De plus, la décision de la Commission de poursuivre l’inspection à Bruxelles aurait contraint les requérantes à y envoyer une équipe de collaborateurs et de conseillers externes aux fins de surveiller la Commission lors de l’examen des données saisies. Cette démarche aurait entraîné des périodes d’inactivité prolongées et donc une perte d’efficacité pour ces collaborateurs, contrairement à ce qui se serait passé si l’inspection avait continué dans les locaux des requérantes.

117 La Commission conteste les arguments des requérantes.

118 À titre liminaire, il convient de rappeler que, en application d’une jurisprudence constante, le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante, et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir arrêt du 25 novembre 2014, Orange/Commission, T‑402/13, EU:T:2014:991, point 22 et jurisprudence citée).

119 En outre, s’agissant d’une décision ordonnant une inspection, le respect du principe de proportionnalité suppose que les mesures envisagées n’engendrent pas des inconvénients démesurés et intolérables par rapport aux buts poursuivis par l’inspection en cause (voir, en ce sens, arrêt du 22 octobre 2002, Roquette Frères, C‑94/00, EU:C:2002:603, point 76). Cependant, le choix à opérer par la Commission entre une inspection effectuée sur simple mandat et une inspection ordonnée par voie de décision ne dépend pas de circonstances telles que la gravité particulière de la situation, l’extrême urgence ou la nécessité d’une discrétion absolue, mais des nécessités d’une instruction adéquate, eu égard aux particularités de l’espèce. Partant, lorsqu’une décision d’inspection vise uniquement à permettre à la Commission de réunir les éléments nécessaires pour apprécier l’existence éventuelle d’une violation du traité, une telle décision ne méconnaît pas le principe de proportionnalité (voir arrêt du 25 novembre 2014, Orange/Commission, T‑402/13, EU:T:2014:991, point 23 et jurisprudence citée).

 

120 Il ressort également d’une jurisprudence constante que c’est à la Commission qu’il appartient, en principe, d’apprécier si un renseignement est nécessaire en vue de pouvoir déceler une infraction aux règles de concurrence et, même si elle dispose déjà d’indices, voire d’éléments de preuve, relatifs à l’existence d’une infraction, la Commission peut légitimement estimer nécessaire d’ordonner des vérifications supplémentaires lui permettant de mieux cerner l’infraction ou sa durée (voir arrêt du 25 novembre 2014, Orange/Commission, T‑402/13, EU:T:2014:991, point 24 et jurisprudence citée).

121 En l’espèce, en premier lieu, les requérantes reprochent, en substance, à la Commission d’avoir adopté une décision ordonnant une inspection, alors qu’elle aurait pu, selon elles, opter pour une mesure moins contraignante, telle que l’envoi de demandes de renseignements, dans un contexte où la Commission disposait déjà de nombreux éléments du fait, notamment, de la plainte informelle, d’informations provenant d’affaires antérieures de concentrations et de précédentes enquêtes en droit des ententes, de même que d’informations publiquement accessibles, telles que l’initiative « Small Portions » de Red Bull et les engagements pris par les membres d’EDE.

122 S’agissant de la possibilité qu’aurait eue la Commission d’opter pour une mesure d’enquête moins contraignante, il importe de relever, comme cela ressort de la jurisprudence citée au point 120 ci-dessus, qu’il lui appartient d’apprécier si un renseignement est nécessaire en vue de pouvoir déceler une infraction aux règles de concurrence et, même si elle dispose déjà d’indices, voire d’éléments de preuve, relatifs à l’existence d’une infraction, elle peut légitimement estimer nécessaire d’ordonner des vérifications supplémentaires lui permettant de mieux cerner l’infraction ou sa durée.

123 Il y a également lieu de rappeler que, en vertu de la jurisprudence citée au point 119 ci-dessus, le choix effectué par la Commission entre une inspection ordonnée par voie de décision et une autre mesure d’enquête moins contraignante dépend des nécessités d’une instruction adéquate, en fonction des particularités de l’espèce.

124 Dans le cas d’espèce, comme le fait valoir à juste titre la Commission, seule une inspection permettait de recueillir des informations qui, de par leur nature, n’auraient pas été fournies volontairement par les requérantes.

125 En effet, dans la mesure où les informations recherchées par la Commission comprenaient des éléments tendant à révéler d’éventuels comportements visant à empêcher ou à restreindre la concurrence pour les boissons énergisantes des concurrents de Red Bull, y compris d’éventuelles incitations financières dont l’octroi était conditionné au déréférencement des boissons énergisantes concurrentes ou à une éventuelle distorsion de la concurrence par les prix pour les boissons énergisantes concurrentes, de même qu’une éventuelle campagne de dénigrement et un éventuel accord avec d’autres concurrents afin de restreindre la vente de certaines boissons énergisantes, la Commission pouvait, aux fins d’une instruction adéquate de l’affaire, légitimement décider de cette inspection. Il semble en effet difficilement concevable que des informations portant sur de tels comportements éventuels aient pu entrer en possession de la Commission autrement que par le biais d’une inspection.

126 Ainsi, même si l’article 23, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1/2003 prévoit que la Commission peut infliger une amende à une entreprise qui aurait, en réponse à une demande de renseignements au titre de l’article 18 dudit règlement, fourni un renseignement inexact, incomplet ou dénaturé, il est très peu probable que Red Bull ait volontairement transmis à la Commission de telles informations potentiellement incriminantes dans le cadre d’une telle demande, notamment parce qu’une amende bien plus importante pouvait lui être imposée en cas de constat d’infraction au droit de la concurrence.

127 Par ailleurs, il y a lieu de relever que les facultés d’enquête de la Commission seraient dépourvues d’utilité si cette dernière devait se limiter à demander la production de documents qu’elle serait à même d’identifier au préalable de façon précise. Le droit de la Commission de procéder à une inspection dans les locaux d’une entreprise présente une importance particulière dans la mesure où il doit lui permettre de recueillir des preuves d’infractions aux règles de la concurrence. Or, ce droit implique la faculté de rechercher des éléments d’informations divers qui ne sont pas encore connus ou pleinement identifiés (voir, en ce sens, arrêts du 21 septembre 1989, Hoechst/Commission, 46/87 et 227/88, EU:C:1989:337, points 26 et 27, et du 11 décembre 2003, Ventouris/Commission, T‑59/99, EU:T:2003:334, point 122).

128 S’agissant de l’allégation des requérantes, selon laquelle la Commission disposait déjà de suffisamment d’éléments, dont la plainte informelle, de sorte qu’une inspection n’était pas nécessaire, il convient de rappeler que, en vertu de la jurisprudence citée au point 120 ci-dessus, même si la Commission dispose déjà d’indices, voire d’éléments de preuve, relatifs à l’existence d’une infraction, elle peut légitimement estimer nécessaire d’ordonner des vérifications supplémentaires lui permettant de mieux cerner l’infraction ou sa durée.

129 Il découle de ce qui précède que l’adoption de la décision attaquée était de nature à assurer la réalisation d’un objectif légitime, à savoir le fait pour la Commission de recueillir des preuves d’infractions éventuelles aux règles de la concurrence que ne lui aurait très probablement pas remises volontairement Red Bull, ni ses partenaires commerciaux, dans le cadre d’une demande de renseignements, et n’a pas dépassé les limites de ce qui était nécessaire à la réalisation dudit objectif, de sorte que la Commission n’a pas enfreint le principe de proportionnalité en adoptant la décision attaquée.

130 En second lieu, en ce qui concerne le grief des requérantes portant sur le caractère prétendument disproportionné de la décision de la Commission de poursuivre l’inspection au sein de ses locaux, force est de constater que ledit grief vise des événements postérieurs à l’adoption de la décision attaquée, relevant du déroulement de l’inspection, qui ne sont pas de nature à affecter la légalité de ladite décision.

131 En effet, il ressort d’une jurisprudence constante que la légalité d’un acte doit être appréciée en fonction des éléments de droit et de fait qui existaient à la date à laquelle cet acte a été adopté. Il s’ensuit que des actes postérieurs à l’adoption d’une décision ne peuvent pas affecter la validité de celle-ci (voir arrêt du 17 octobre 1989, Dow Chemical Ibérica e.a./Commission, 97/87 à 99/87, EU:C:1989:380, point 35 et jurisprudence citée).

132 Par conséquent, la façon dont une décision ordonnant une inspection a été appliquée est sans incidence sur la légalité de cette décision (arrêt du 20 juin 2018, České dráhy/Commission, T‑325/16, EU:T:2018:368, point 22), ce que les requérantes admettent elles-mêmes dans leur requête. Dans le cadre d’un recours introduit contre une décision ordonnant une inspection, il n’y a dès lors pas lieu d’examiner les griefs soulevés à l’égard du déroulement des vérifications (voir, en ce sens, arrêt du 17 octobre 1989, Dow Chemical Ibérica e.a./Commission, 97/87 à 99/87, EU:C:1989:380, point 35).

133 En l’espèce, les requérantes indiquent dans la réplique que la Commission a décidé, le dernier jour de l’inspection sur place, de poursuivre cette inspection à Bruxelles, soit le 24 mars 2023. Une telle décision est, partant, postérieure à la décision attaquée, adoptée le 8 mars 2023. Il s’ensuit que, en application du principe général selon lequel la légalité d’un acte doit être appréciée au regard des circonstances de droit et de fait existant au moment où cette décision a été adoptée, même si la décision de poursuivre l’inspection dans les locaux de la Commission à Bruxelles était effectivement disproportionnée, comme le font valoir les requérantes, cela n’aurait pas pour conséquence d’affecter la légalité de la décision attaquée.

134 Par conséquent, le grief des requérantes tiré du caractère prétendument disproportionné de la décision de la Commission de poursuivre l’inspection dans ses locaux à Bruxelles doit être rejeté comme étant inopérant.

135 Il découle de ce qui précède que le quatrième moyen doit être écarté comme étant partiellement non fondé et partiellement inopérant, sans qu’il soit nécessaire d’adopter une mesure d’organisation de la procédure, au titre de l’article 88 du règlement de procédure, aux fins d’ordonner à la Commission de produire une liste des mots clés utilisés ou à utiliser pour le tri des données pertinentes pour l’enquête.

 Sur le cinquième moyen, tiré d’une violation des règles de procédure fondamentales et des droits de la défense

136 À l’appui de leur cinquième moyen, tiré d’une violation des règles de procédure fondamentales et des droits de la défense, les requérantes invoquent, en substance, les griefs suivants.

137 En premier lieu, les requérantes font valoir que l’inspection dans les locaux de Red Bull GmbH s’est déroulée de manière arbitraire. Plus particulièrement, les requérantes reprochent à la Commission le comportement inapproprié de certains de ses agents au début de l’inspection.

138 Ainsi, tout d’abord, la responsable de l’accueil de Red Bull GmbH et ses collaboratrices auraient été victimes d’un comportement agressif de la part des agents de la Commission. D’une part, ces derniers auraient refusé de décliner leur identité et auraient, en dépit de cela, exigé d’être conduits auprès d’un gérant. D’autre part, un agent de la Commission aurait physiquement empêché la tentative de la responsable de l’accueil de prévenir le service de sécurité en raccrochant le combiné de téléphone. Ensuite, les agents de la Commission auraient interdit aux collaborateurs de Red Bull GmbH, y compris au responsable des affaires de concurrence, de contacter un avocat externe. Celui-ci n’aurait été autorisé à le faire que 45 minutes après l’arrivée des agents de la Commission, à la condition que l’appel soit effectué sur haut-parleur, en présence de ces agents. Enfin, le responsable de l’inspection de la Commission aurait refusé de faire enregistrer dans un procès-verbal le déroulement de l’inspection.

139 De tels comportements donnent lieu, selon les requérantes, à une violation de l’article 20 du règlement no 1/2003 et portent atteinte aux droits de la défense de Red Bull GmbH, sous l’angle du droit à l’assistance d’un avocat en vertu de l’article 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et à la protection de la confidentialité des communications entre avocats et clients, à son droit au respect du domicile ainsi qu’à son droit à un recours effectif, garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux.

140 Étant donné que ces comportements auraient eu lieu avant la notification effective de la décision attaquée à Red Bull GmbH et que, aux termes de l’article 297 TFUE, une décision individuelle de la Commission prend effet à partir de sa notification à son destinataire, les requérantes soutiennent que ces comportements peuvent être contestés avec la décision attaquée. Quant au refus du droit à l’assistance d’un avocat, il produirait un effet juridique direct et serait donc directement attaquable.

141 Étant donné que la Commission dément l’exposé des faits portant sur le début de l’inspection dans les locaux de Red Bull GmbH, les requérantes demandent au Tribunal de procéder à une audition de témoins, c’est‑à‑dire des personnes présentes, ou d’adopter une mesure d’organisation de la procédure au titre de l’article 88, lu en combinaison avec l’article 91, sous d), du règlement de procédure.

142 En deuxième lieu, les requérantes invoquent une absence de protection contre l’arbitraire. Plus particulièrement, les requérantes font valoir que la décision attaquée est entachée d’illégalité en raison d’un « vice de procédure substantiel », et ce puisque la Commission n’a pas veillé à ce qu’il existe une instance vers laquelle Red Bull GmbH aurait pu se tourner pour faire cesser les atteintes aux droits fondamentaux perpétrées par elle au cours de l’inspection, avec pour conséquence que ses droits de la défense ont été violés. La Commission aurait, certes, invité un fonctionnaire de l’autorité de concurrence autrichienne à assister à l’inspection. Toutefois, cette autorité ne serait pas compétente pour superviser la Commission lors d’une inspection.

143 En troisième lieu, les requérantes reprochent à la Commission d’avoir porté atteinte arbitrairement à leur réputation en publiant, le 21 mars 2023, alors que la perquisition sur place était toujours en cours, un communiqué de presse laissant transparaître que Red Bull était l’entreprise faisant l’objet de l’inspection. Les requérantes ajoutent que le principe de proportionnalité et les droits fondamentaux imposent à la Commission de ne pas révéler au public sans nécessité l’identité d’une entreprise faisant l’objet d’une inspection.

144 Lors de l’audience de plaidoiries, les requérantes ont également reproché à la Commission d’avoir saisi et consulté les téléphones portables d’un grand nombre d’employés de Red Bull, sans avoir obtenu l’autorisation préalable des autorités nationales compétentes.

145 La Commission conteste les arguments des requérantes.

146 À cet égard, force est de constater que les comportements allégués par les requérantes, même s’ils étaient avérés, ne sont pas de nature à affecter la légalité de la décision attaquée.

147 En effet, ainsi que cela ressort des points 131 et 132 ci-dessus, il découle d’une jurisprudence constante que la légalité d’un acte doit être appréciée en fonction des éléments de droit et de fait qui existaient à la date à laquelle cet acte a été adopté. Il s’ensuit que des actes postérieurs à l’adoption d’une décision ne peuvent pas affecter la validité de celle-ci (arrêt du 17 octobre 1989, Dow Chemical Ibérica e.a./Commission, 97/87 à 99/87, EU:C:1989:380, point 35).

148 Par conséquent, la façon dont une décision ordonnant une inspection a été appliquée est sans incidence sur la légalité de cette décision (arrêt du 20 juin 2018, České dráhy/Commission, T‑325/16, EU:T:2018:368, point 22), ce que les requérantes admettent elles-mêmes dans leur requête. Dans le cadre d’un recours introduit contre une décision ordonnant une inspection, il n’y a dès lors pas lieu d’examiner les griefs soulevés à l’égard du déroulement des vérifications (voir, en ce sens, arrêt du 17 octobre 1989, Dow Chemical Ibérica e.a./Commission, 97/87 à 99/87, EU:C:1989:380, point 35).

149 Une entreprise ne saurait donc se prévaloir de l’illégalité dont serait entaché le déroulement de procédures de vérification au soutien de conclusions en annulation dirigées contre l’acte sur le fondement duquel la Commission a procédé à cette vérification (voir arrêt du 17 septembre 2007, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission, T‑125/03 et T‑253/03, EU:T:2007:287, point 55 et jurisprudence citée).

150 Cette impossibilité de se prévaloir de l’illégalité dont serait entaché le déroulement des opérations d’inspection au soutien de conclusions dirigées contre une décision d’inspection ne fait que refléter le principe général selon lequel la légalité d’un acte doit être appréciée au regard des circonstances de droit et de fait existant au moment où cette décision a été adoptée, de telle sorte que des actes postérieurs à une décision ne peuvent pas en affecter la validité (ordonnance du 30 octobre 2003, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission, T‑125/03 R et T‑253/03 R, EU:T:2003:287, points 68 et 69 ; voir également, en ce sens, arrêt du 17 octobre 2019, Alcogroup et Alcodis/Commission, C‑403/18 P, EU:C:2019:870, points 45 et 46 et jurisprudence citée).

151 En l’espèce, il y a lieu de constater que les griefs formulés par les requérantes à l’appui de leur cinquième moyen, y compris la saisie et la consultation de téléphones portables de nombreux employés de Red Bull, portent tous sur des événements postérieurs à l’adoption, le 8 mars 2023, de la décision attaquée. En application de la jurisprudence rappelée au point 150 ci-dessus, ces griefs ne peuvent donc pas affecter la validité de la décision attaquée, et ce même si certains des comportements reprochés à la Commission ont eu lieu avant la notification de ladite décision à Red Bull GmbH et, partant, avant qu’elle ne prenne effet.

152 Il découle de ce qui précède que les griefs invoqués par les requérantes à l’appui de leur cinquième moyen et, partant, le cinquième moyen en tant que tel doivent être rejetés comme étant inopérants, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une audition de témoins ou d’adopter une mesure d’organisation de la procédure aux fins d’établir les faits entourant le déroulement de l’inspection dans les locaux de Red Bull GmbH, avec pour conséquence que la demande des requérantes en ce sens doit être rejetée.

153 Il résulte de l’ensemble de ce qui précède qu’il y a lieu de rejeter le présent recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

154 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, y compris ceux afférents à la procédure de référé, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

1) Le recours est rejeté.

2) Red Bull GmbH, Red Bull France SASU et Red Bull Nederland BV sont condamnées aux dépens, y compris ceux afférents à la procédure de référé.

 

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