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Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 6, 13 octobre 2017, n° 16/06476

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

CREDIT INDUSTRIEL ET COMMERCIAL (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme CHANDELON

Conseillers :

Mme GONAND, M. Bailly

Avocats :

Me Nathalie MASSART, Me Hervé BROSSEAU, Me Nathalie MASSART

CA Paris n° 16/06476

12 octobre 2017

Par acte sous seing privé du 23 février 2011 le Crédit Industriel et Commercial (CIC) a consenti à la société L et Nous, indiquée comme en cours de formation, un prêt de 220 000 €, destiné à financer la création d'un fonds de commerce de prêt à porter dans le centre commercial « Le Millénaire » sis à Aubervilliers.

Sont intervenus à l'acte pour cautionner ce concours, chacun à hauteur de 264000€, Madame L. Sim, gérante de la société ainsi que son compagnon et associé, Monsieur Clément D..

Ce prêt, d'une durée de 7 ans, portait intérêt au taux de 3,75 % l'an, les échéances de remboursement mensuels s'élevant à 3 058,89 €.

Par avenant du 13 mars 2012, la société acceptait de conférer une nouvelle garantie au prêteur lequel produisait un nouveau tableau d'amortissement démontrant que cette modification est intervenue dans le cadre d'une révision des échéances, réduites à 1000 € du 5 avril 2012 au 5 décembre 2012 inclus et augmentés à compter du 1er janvier 2013, la durée du prêt restant inchangée.

Le 24 août 2012 Madame Sim se portait caution au titre de tous les engagements de la société dans la limite de 6 600 €.

Enfin, le 10 décembre 2012, le CIC accordait à la société L et Nous un crédit de trésorerie de 20 000 € d'une durée de 4 ans, au taux de 4,50 % garanti par le cautionnement de Madame Sim à hauteur de 24 000 €.

Plusieurs échéances étant impayées au titre des deux prêts, le CIC notifiait à la société L et Nous, par courrier recommandé du 6 mars 2014, la déchéance du terme. Le 7 mars 2014, il sollicitait de chaque caution qu'elle honore son engagement. Ces mises en demeure restant infructueuses, il engageait la présente procédure par exploits des 26 et 27 mai 2014.

Le 7 novembre 2014, il se désistait de ses demandes dirigées contre la société L et Nous, dont la liquidation judiciaire avait été prononcée par jugement du tribunal de commerce de Bobigny en date du 17 septembre 2014.

Par jugement du 16 février 2016, le tribunal de commerce de Bobigny a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, condamné Madame Sim au paiement :

- de la somme de 342,96 €, montant du solde débiteur du compte courant de la société L et Nous, en exécution de son engagement de caution du 24 août 2012,

- de 12 538,28 € au titre de la garantie du crédit de trésorerie.

Avant dire droit sur les sommes dues par les deux cautions du prêt principal, la juridiction consulaire a ordonné, avant dire droit, la réouverture des débats pour permettre au CIC de présenter un décompte du capital restant dû au titre des stipulations d'origine, jugeant que l'avenant du 13 mars 2012 ne saurait être opposé aux cautions qui n'ont pas renouvelé leur engagement lors de sa conclusion.

Par déclaration du 15 mars 2016, Madame Sim et Monsieur C. ont interjeté appel de cette décision.

Dans leurs dernières conclusions du 13 avril 2017 ils demandent à la cour d'infirmer ce jugement et :

- d'annuler l'engagement du 23 février 2011,

- subsidiairement, de juger la disproportion de l'engagement et de prononcer la déchéance de la banque à s'en prévaloir,

- de juger que la banque n'a pas prononcé la déchéance du terme à l'endroit des cautions, - de revoir le quantum de la demande qui opère capitalisation des intérêts pour le prêt, ne justifie pas des intérêts facturés au titre du compte courant, dont la déchéance est sollicitée, en substituant, pour les prêts le taux légal au taux conventionnel en raison de l'irrégularité du TEG,

- très subsidiairement de condamner la banque au paiement de 264 000 € au titre de ses manquements à son obligation de mise en garde,

- de condamner la banque au paiement d'une indemnité de 5 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions du 19 avril 2017, le CIC sollicite la confirmation du jugement et la condamnation solidaire des appelants au paiement de la somme de 202.109,06€ au titre du prêt principal, portant intérêts au taux de 3,75 % à compter du 7 mars 2014 et réclame une indemnité de 2 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 mai 2017.

CELA ETANT EXPOSE,

LA COUR

Considérant qu'il résulte des pièces produites que la société L et Nous a été créée pour ouvrir un magasin de prêt à porter dans un nouveau centre commercial ouvert en avril 2011 à Aubervilliers lequel, selon les coupures de presse produite, n'a pas eu le succès escompté, la zone de chalandise n'étant pas adaptée à une construction décrite comme trop luxueuse ;

Que des enseignes comme La Fnac ou Desigual ont déserté les lieux pour laisser la place à des commerces comme Tati, plus adaptés à la localisation du site ;

Considérant que les appelants évoquent en premier lieu l'absence de cautionnement de l'avenant du 13 mars 2012 avant d'aborder la question de la disproportion de leur engagement puis la nullité du contrat de prêt principal ;

Considérant toutefois que les deux premiers arguments ne pouvant prospérer que sous réserve de la validité du contrat de prêt principal, il convient de traiter en premier lieu des moyens de nullité soulevés ;

Sur la nullité du contrat pour absence de cause

Considérant que les appelants exposent s'être engagés en raison du succès escompté du commerce de sorte que son échec rendrait le contrat sans cause et qu'il conviendrait en conséquence d'en prononcer la nullité ;

Mais considérant que la cause du contrat s'apprécie au moment de sa formation et réside, pour le cautionnement, dans l'engagement pris par le créancier d'ouvrir un crédit au débiteur ;

Que le moyen sera donc rejeté ;

Sur le dol

Considérant que les appelants reprochent encore à la banque une réticence dolosive, celle ci ne leur ayant pas communiqué les éléments en sa possession sur la viabilité du projet financé ;

Considérant que pour établir que le CIC ne pouvait ignorer l'échec du Millénaire, ils soutiennent que l'agence était proche du centre et que la banque savait que nombre de tentatives identiques s'étaient soldées par un échec ;

Mais considérant que la chronologie des événements :

- inauguration du Millénaire le 24 avril 2011,

- immatriculation de la société pour s'y installer le 17 février 2011,

- souscription du prêt le 23 février 2011 , ruine cette argumentation, le CIC ne pouvant connaître les difficultés des commerces installés, par hypothèse, à compter du second trimestre 2011 ni anticiper l'échec d'un projet ambitieux dans la construction duquel des financiers expérimentés avaient investi près de 400 millions d'euros, alors encore que l'emprunteuse lui remettait un prévisionnel d'activité et un business plan particulièrement sérieux et documentés ;

Sur la disproportion des engagements

Considérant qu'aux termes de l'article L332-1 du code de la consommation, « un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle ci est appelée, ne lui permette de faire face à cette obligation » ;

Considérant que la disproportion doit être analysée pour chaque caution dans le cadre de chacun des engagements souscrits ;

Sur les cautionnements souscrits à hauteur de 264 000 € par Madame Sim

Considérant qu'il résulte de la fiche patrimoniale produite par le CIC qu'au moment de son engagement de caution, Madame Sim avait pour seul patrimoine un contrat d'assurance vie de 1 200 € ;

Qu'elle escomptait tirer de son activité de gérante un revenu annuel de 21 000 € et déclarait une seule charge, des frais de loyers de 330 € mensuels ;

Considérant que si, s'agissant d'une création d'entreprise, les revenus attendus peuvent être pris en compte pour ne pas entraver toute initiative, les banques n'accordant pas de crédit sans garantie, force est de constater d'une part que le revenu ainsi déclaré, de 1 750 € mensuels plaçait Madame Sim dans l'impossibilité de se substituer à la société L et Vous et de régler des échéances mensuelles de l'ordre de 3 000 € en cas de défaillance, tandis que même en considérant qu'elle doive, au regard de sa prise de risque, consacrer 50% de son revenu mensuel hors charge soit 710 € pour honorer son engagement, il lui faudrait consacrer plus de trente ans de sa vie pour régler la somme de 264 000 € de sorte que cet engagement est manifestement disproportionné au sens du texte précité et qu'il convient de prononcer la déchéance de la banque à s'en prévaloir, celle ci ne démontrant pas que Madame Sim serait revenue à meilleure fortune ;

par Monsieur C.

Considérant que la fiche patrimoniale le concernant établit qu'il gagne, comme salarié de la compagnie Axa un salaire de 36 000 €, qu'il dispose d'un patrimoine mobilier de 6 000 €, ses charges mensuelles s'élevant à 654 € ;

Considérant que la même observation s'impose que pour Madame Sim sur son incapacité de rembourser les mensualités du prêt avec un salaire mensuel de 3000 € tandis que son endettement ne pouvant dépasser 1/3 de ses revenus hors charges, il pourrait consacrer 782 € mensuels au remboursement du CIC, lui imposant, comme à sa compagne une obligation viagère de sorte que la disproportion est également avérée et entraîne les mêmes conséquences ;

Sur le cautionnement souscrit le 24 août 2012

Considérant que le CIC ne produit pas ce contrat, mais que Madame Sim reconnaît dans ses écritures avoir souscrit cet engagement omnibus le 24 août 2012 ;

Que ce cautionnement n'étant pas disproportionné à ses ressources déclarées, il convient d'accueillir la demande de condamnation de la banque à hauteur de cette somme portant intérêts dans les termes sollicités au titre de la somme restant due sur le prêt principal ;

Que la contestation sur le quantum de la somme due au titre du découvert en compte courant se trouve ainsi sans objet ;

Sur le cautionnement souscrit le 10 décembre 2012

Considérant que le CIC ne produit pas davantage le contrat de prêt du 10 décembre 2012 mais que Madame Sim reconnaît avoir souscrit pour ce concours un engagement de caution à hauteur de 24 000 € ;

Considérant que pour un créateur d'entreprise et pour les raisons précitées, un tel cautionnement n'apparaît pas disproportionné aux ressources déclarées, Madame Sim pouvant se substituer à l'emprunteuse principale pour régler les échéances, d'un montant mensuel de 416,76 € et s'acquitter de la somme de 24 000 € dans un délai raisonnable de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné Madame Sim au paiement de la somme de 12 538,28 € portant intérêts au taux de 4,5% l'an à compter du 7 mars 2014 avec capitalisation des intérêts ;

Sur l'obligation de mise en garde

Considérant qu'elle suppose soit un concours disproportionné aux ressources de la caution soit un crédit inadapté aux besoins de l'emprunteur principal en raison de son montant excessif ou de l'absence évidente de toute viabilité du projet ;

Considérant que la cour venant de juger que seuls les cautionnements du prêt principal étant disproportionnés, le manquement de la banque au titre du devoir de mise en garde ne peut concerner que les deux engagements de caution souscrits par Madame Sim ;

Et considérant qu'à la date de ces cautionnements, août et décembre 2012, la situation de la société L et Vous ne paraissait pas irrémédiablement compromise, sa liquidation ne devant intervenir que deux années plus tard ;

Sur les autres demandes

Considérant que Madame Sim n'étant tenue au paiement du solde du prêt que dans les limites de son engagement à hauteur de 6 600 €, le problème du quantum de la somme restant due sur le prêt principal est sans objet, le montant de la condamnation étant très en deçà du seul capital restant dû ;

Et considérant que ne s'étant pas substituée à l'emprunteuse lorsqu'elle a été avisée de sa défaillance, elle n'a pas repris le versement des échéances, ce qu'elle ne propose pas dans le cadre de la présente instance, elle ne peut contester la déchéance du terme notifiée par le CIC au titre du second prêt ;

Sur l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

Considérant que le CIC ne pouvant se prévaloir des cautionnements souscrits pour le prêt principal, l'équité commande d'infirmer la condamnation prononcée à ce titre ;

Que chaque partie succombant partiellement en cause d'appel, il ne saurait davantage être fait application de ce texte devant la cour ;

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné Madame L. Sim à verser au Crédit Industriel et Commercial au titre du cautionnement du prêt du 10 décembre 2012 la somme de 12 538,28 € portant intérêts au taux de 4,5 % l'an à compter du 7 mars 2014 avec capitalisation des intérêts ;

L'infirme sur le surplus ;

Statuant à nouveau ;

Dit que la banque ne peut se prévaloir des cautionnements souscrits par Madame L. Sim et

Monsieur Clément D. le 23 mars 2011 ;

En conséquence,

La déboute de ses demandes dirigées contre Monsieur Clément D. ;

Condamne Madame L. Sim à verser au Crédit Industriel et Commercial la somme de 6 600 € au titre de son engagement de caution du 24 août 2012 portant intérêts au taux de 3,75 % l'an à compter du 7 mars 2014 avec capitalisation des intérêts selon les modalités prévues par l'article 1154 du code civil ;

Rejette toute autre demande ;

Condamne Madame L. Sim aux dépens.

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