CA Versailles, ch. soc. 4-3, 20 octobre 2025, n° 23/00350
VERSAILLES
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80M
Chambre sociale 4-3
ARRET N°
RÉPUTÉ CONTRADICTOIRE
DU 20 OCTOBRE 2025
N° RG 23/00350 -
N° Portalis DBV3-V-B7H-VVJU
AFFAIRE :
[O] [S]
C/
Société PJA
et
Caisse CGEA D'[Localité 12]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu
le 13 Décembre 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de DREUX
N° Section : E
N° RG : F 22/00044
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me [Localité 10] CARE
Me Antoine GUEPIN
le :
Copie numérique adressée à:
FRANCE TRAVAIL
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT OCTOBRE DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d'appel de VERSAILLES a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [O] [S]
né le 27 Mai 1971 à [Localité 9]
nationalité française
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentant : Me François CARE de la SCP CARE PETITJEAN PERSON, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000039
APPELANT
****************
Société PJA représenté par Maître [W], en sa qualité de liquidateur de la Société SENONCHE AGRICOLE
[Adresse 8]
[Localité 5]
Représentant : Me Antoine GUEPIN de la SELARL GIBIER FESTIVI RIVIERRE GUEPIN, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000021
AGS CGEA D'[Localité 12]
[Adresse 3]
[Localité 7]
INTIMÉES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 07 Mai 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Mme Florence SCHARRE, Conseillère chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Aurélie PRACHE, Présidente,
Madame Florence SCHARRE, Conseillère,
Madame Aurélie GAILLOTTE, Conseillère,
Greffier lors des débats : Monsieur Mohamed EL GOUZI,
Greffière en préaffectation lors du prononcé : Meriem EL FAQIR
FAITS ET PROCÉDURE
La société [Localité 13] Agricole est une société par actions simplifiée (SAS) immatriculée au registre du commerce et des sociétés (RCS) de Chartres.
La société [Localité 13] Agricole est spécialisée dans la vente de matériel agricole et de matériel de jardin.
Elle emploie moins de 11 salariés.
Par contrat de travail à durée indéterminée en date du 2 novembre 2010, M. [S] a été engagé par la société [Localité 13] Agricole, en qualité de représentant de la société, statut VRP, à temps plein, à compter du 2 novembre 2010.
Par avenant au contrat de travail en date du 3 avril 2014, M. [S] a été nommé responsable adjoint de l'atelier et du magasin de [Localité 13] à compter du 1er avril 2014.
La relation contractuelle était régie par les dispositions de l'accord national interprofessionnel des VRP du 3 octobre 1975 et pour certaines dispositions par la convention collective des entreprises de commerce, de location, et de répartition de tracteurs, machines et matériels agricoles, de matériel de travaux publics, de bâtiment et de manutention, de motoculture de plaisance, de jardins et d'espaces verts.
Par jugement en date du 8 mars 2018 rendu par le tribunal de commerce de Chartres, la société [Localité 13] a été placée en redressement judiciaire. La Selarl PJA représentée par Me [W] a été nommée comme mandataire judiciaire et Me [Z] comme administrateur judiciaire.
Par jugement en date du 28 février 2019, le tribunal de commerce de Chartres a homologué un plan de continuation.
Par requête introductive reçue au greffe en date du 23 septembre 2020, M. [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Dreux d'une demande tendant à ce que la résiliation judiciaire de son contrat de travail soit prononcée aux torts de l'employeur, et à obtenir le versement de diverses sommes au titre de rappel de salaires et de dommages et intérêts.
Par jugement en date du 25 février 2021, le tribunal de commerce de Chartres a prononcé la liquidation judiciaire immédiate avec poursuite de l'activité jusqu'au 25 mai 2021, et désigné la Selarl PJA représentée par Me [W] en qualité de liquidateur judiciaire.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 27 mai 2021, le liquidateur judiciaire a convoqué M. [S] à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour motif économique en ces termes :
« M.,
Par jugement en date du 25 février 2021, le tribunal de commerce de Chartres a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la SAS Senonches Agricole ayant exploité, un fonds de commerce de : négoce de matériel agricole au [Adresse 4].
Ce même jugement a désigné la SELARL P.J.A, que je représente, en qualité de liquidateur.
Le tribunal de commerce de Chartres a autorisé une poursuite d'activité jusqu'au 25/05/2021.
J'ai le regret de vous informer que je suis amenée à envisager, à votre égard, une mesure de licenciement pour motif économique (article L.641-4 du code de commerce).
Par la présente je vous convoque à l'entretien préalable, au cours duquel vous seront présentées les modalités pratiques sur cette éventuelle mesure de licenciement collectif pour motif économique et ce conformément aux dispositions du code du travail, article L.1232-2. Au cours de ce même entretien, vous sera remis en main propre et ce sous certaines conditions, un contrat de sécurisation professionnelle (CSP).
Je vous prie de bien vouloir vous présenter le :
Vendredi 4 juin 2021 à 15 :30 H à mon étude.
Si vous le désirez, vous pourrez vous faire assister au cours de cet entretien par un salarié de votre choix appartenant obligatoirement au personnel de l'entreprise ou par un conseiller extérieur à l'entreprise à choisir sur une liste dressée à cet effet que vous pourrez consulter :
A l'inspection du travail : [Adresse 2],
A la mairie de votre domicile : [Adresse 11]
Je vous prie d'agréer, M., l'expression de mes sentiments distingués. »
L'affaire pendante devant le conseil de prud'hommes a été radiée le 29 mars 2022.
Par requête reçue au greffe le 31 mars 2022, M. [S] a sollicité la réinscription de l'affaire.
Par jugement rendu le 13 décembre 2022, auquel renvoie la cour pour l'exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Dreux a :
En la forme :
- Déclaré M. [S] recevable en ses demandes,
- Déclaré la société [Localité 13] Agricole, représentée par son mandataire liquidateur la SELARL PJA ' Me [W] recevable en sa demande reconventionnelle,
En droit :
- Dit qu'il n'y a pas lieu de prononcer la résiliation judiciaire aux torts de l'employeur du contrat de travail de M. [S],
- Débouté M. [S] de sa demande de fixer au passif de la société [Localité 13] Agricole :
. 4 152,51 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
. 415,25 euros au titre des congés y afférents,
. 931,95 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,
. 3 861,84 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,
. 57 138 euros à titre d'indemnité pour licenciement abusif,
- Débouté M. [S] de sa demande de condamner la société [Localité 13] Agricole Coopérative à lui payer les rappels de salaires du 23 septembre 2017 au 7 juin 2021,
- Débouté M. [S] de sa demande de fixer au passif de la société [Localité 13] Agricole :
. 17 522,07 euros à titre de rappel de salaires du 23 septembre 2017 au 31 octobre 2018,
. 1 752,20 euros au titre des congés y afférents,
. 43 232,30 euros à titre de rappel de salaires du 1er novembre 2018 au 7 juin 2021,
. 4 323,20 euros au titre des congés y afférents,
- Ordonné de fixer au passif de la société [Localité 13] Agricole la somme de 3 000 euros pour l'indemnité d'utilisation du véhicule personnel de M. [S] pour les mois de septembre 2020 et janvier à mai 2021,
- Dit que cette somme est assortie des intérêts de retard légaux à compter de la décision,
- Dit qu'il n'y a pas lieu de déclarer la décision opposable à l'Unédic délégation AGS CGEA d'[Localité 12],
- Dit qu'il n'y a pas lieu à remise des bulletins de salaire et d'une attestation pôle emploi rectifiée,
- Ordonné l'exécution provisoire de droit,
- Rejeté les demandes des parties fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Rejeté les demandes plus amples ou contraire des parties,
- Condamné in solidum la SELARL PJA ès-qualité de liquidateur de la société [Localité 13] Agricole aux entiers dépens.
Par déclaration d'appel reçue au greffe le 3 février 2023, M. [S] a interjeté appel de ce jugement.
Par acte de commissaire de justice en date des 6 avril et 12 mai 2023, M. [S] a signifié sa déclaration d'appel et ses conclusions à l'AGS CGEA d'[Localité 12], qui n'a pas constitué avocat.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 26 février 2025.
MOYENS ET PRÉTENTIONS
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 2 mai 2023, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens et prétentions conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, M. [S], appelant, demande à la cour de :
- Déclarer M. [S] recevable en son appel,
Y faisant droit,
- Infirmer la décision entreprise,
Statuant à nouveau :
- Prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail à effet du 7 juin 2021,
- Fixer au passif de la société [Localité 13] Agricole les sommes de :
. 17 522,07 euros à titre de rappel de salaire à compter du 23 septembre 2017 au 31 octobre 2018 (12 mois 7 jours),
. 1 752,20 euros au titre des congés payés (10 %) sur cette somme,
. 43 232,30 euros à titre de rappel de salaire pour la période du 1er novembre 2018 jusqu'au 7 juin 2021 (date du licenciement) soit 31 mois et 7 jours,
. 4 323,20 euros au titre des congés payés (10 %) sur cette somme,
Ces sommes assorties des intérêts de retard dans les conditions légales à compter de la date d'introduction de la demande (23 septembre 2020) pour celles qui sont dues antérieurement à cette date, et de chaque échéance mensuelle pour celles dues postérieurement,
. 4 152,51 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
. 415,25 euros au titre des congés payés afférents sur préavis,
. 931,95 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,
. 3 861,84 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,
Ces sommes assorties des intérêts de retard dans les conditions légales à compter du 7 juin 2021,
. 57 138 euros à titre d'indemnité pour licenciement abusif,
- Confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a fixé la créance de M. [S] à 3 000 euros au titre d'indemnité pour utilisation du véhicule personnel,
- Condamner la SELARL PJA ès-qualités à payer la somme de 4 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Ces sommes assorties des intérêts de retard dans les conditions légales à compter de la décision à intervenir,
- Déclarer la décision à intervenir opposable à l'Unedic Délégation AGS CGEA d'[Localité 12] et rejeter les demandes de cet organisme tendant à voir dire et juger qu'en application de l'article L 3253-8 du code du travail, la garantie de l'AGS ne couvre les créances résultant de la rupture des contrats de travail que dans l'hypothèse où cette rupture est intervenue dans les quinze jours de la liquidation judiciaire ainsi qu'à se voir déclarer inopposable toute fixation d'indemnités de rupture,
- Constater au contraire que la rupture du contrat de travail est intervenue dans ces limites,
- Ordonner la remise par la SELARL PJA ès-qualités de bulletins de salaires et d'une attestation pôle emploi rectifiée,
- Condamner in solidum la SELARL PJA ès-qualités de liquidateur de la société [Localité 13] Agricole aux entiers dépens, et dire qu'au cas où il devrait être recouru à un huissier de justice pour l'exécution de la décision, les frais de son intervention seront intégralement supportés par les défendeurs.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 11 juillet 2023, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la Selarl PJA prise en la personne de Me [W], en sa qualité de mandataire liquidateur de la société [Localité 13] Agricole, demande à la cour de :
- Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Dreux le 13 décembre 2022,
- Déclarer irrecevables comme prescrites les demandes de M. [S] pour les rappels de salaire antérieurs au 23 septembre 2017,
- Déclarer mal fondée sa demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail et en conséquence le débouter de l'ensemble de ses demandes financières,
- Condamner M. [S] au paiement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
MOTIFS
Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail
M. [S] soutient que la société [Localité 13] Agricole n'a pas respecté deux de ses obligations essentielles à savoir celle de fournir du travail à son salarié et celle de payer son salarié. Il considère que la résiliation judiciaire de son contrat de travail est fondée eu égard à ces deux manquements de la société [Localité 13] Agricole qui présentent une gravité telle que la poursuite du contrat est rendu impossible.
Le mandataire liquidateur de la société [Localité 13] Agricole objecte que la partie de salaire impayée résulte d'un abandon volontaire et spontané de M. [S] et que bien que l'activité de vente de tracteurs ait décliné, la vente de matériels agricoles et de tracteurs d'occasion a perduré, et qu'ainsi M. [S] avait effectivement du travail fourni par la société [Localité 13] Agricole. Ainsi, il considère que l'employeur n'a nullement manqué à ses obligations contractuelles et que M. [S] doit être débouté de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail.
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Lorsque le salarié demande la résiliation du contrat de travail, il doit apporter la démonstration de manquements de l'employeur à l'exécution de ses obligations contractuelles et que ces manquements présentent une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation de travail.
Si les manquements sont établis et présentent un degré de gravité suffisant, la résiliation est alors prononcée aux torts de l'employeur et produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. La résiliation produit effet au jour où le juge la prononce si à cette date, le salarié est toujours au service de son employeur (et en cas d'arrêt confirmatif, à la date du jugement de première instance).
Si en revanche le salarié a été licencié à la date du prononcé de la résiliation, alors c'est à la date d'envoi de la notification du licenciement qu'est fixée la prise d'effet de la résiliation judiciaire.
Si les manquements invoqués par le salarié ne sont pas établis ou ne présentent pas un caractère de gravité suffisant, alors le juge doit débouter le salarié de sa demande.
Selon l'article L. 1221-1 du code du travail, le contrat de travail, qui est un contrat synallagmatique, impose à l'employeur de fournir du travail au salarié et au salarié de se tenir à la disposition de l'employeur.
Il appartient à l'employeur de fournir un travail au salarié qui se tient à sa disposition et de payer la rémunération (Soc., 11 mai 2022, n°20-18.372 ; Soc., 23 octobre 2013, n°12-14.237).
Sur l'obligation de fournir une prestation de travail
M. [S] soutient qu'en raison des difficultés économiques de la société [Localité 13] Agricole, cette dernière s'est vue retirer plusieurs mandats de représentation de marchés agricoles et que de fait il s'est trouvé privé de matériel neuf à vendre et ne pouvait donc pas exercer ses fonctions de représentant d'activité. De plus, il soutient que l'activité du magasin de [Localité 13] a fortement décliné et que les clients étaient devenus rares, qu'ainsi, en tant que responsable adjoint du magasin, il n'avait plus de tâches et plus d'activités proposées par la société [Localité 13] Agricole.
Le mandataire liquidateur de la société [Localité 13] Agricole objecte que l'activité commerciale pour le matériel agricole a bien perduré et, qu'en réalité, c'est M. [S] qui a manqué d'investissement dans son travail. Il produit plusieurs attestations de témoins de salariés de la société qui affirment que M. [S] était souvent absent sur le lieu de travail, qu'il ne répondait pas aux appels des clients, ni à ceux de ses collègues. Ces témoins expliquent par ailleurs qu'il y avait encore de l'activité commerciale comme notamment la vente de machines, à la suite de nouveaux partenariats avec des marques.
Ayant fait le même constat que ses salariés, la société [Localité 13] Agricole produit une lettre adressée à M. [S] le 26 octobre 2020 pour lui dire qu'il était « peu visible dans l'entreprise depuis plusieurs semaines », et lui demandait alors de « justifier son travail », avec des éléments matériels tels que des rapports journaliers, visites de clients, etc.
M. [S], quant à lui, produit la lettre en réponse adressée à M. [D], le directeur général des établissements de la société, le 4 novembre 2020 pour lui demander des instructions pour proposer aux potentiels clients le matériel à vendre et en lui joignant ses rapports journaliers d'activité du 27 octobre au 2 novembre 2020.
Dans ces rapports journaliers d'activité, il est constaté que M. [S] parcourt de 48 à 116 kilomètres par jour et que différentes activités y sont inscrites comme par exemple : « estimation du matériel », « projet tracteur occasion », « visite client », « paiement des factures », etc. Il ressort donc de ces documents que M. [S] avait du travail sur la période du 27 octobre au 2 novembre 2020 et que ce dernier devait parcourir des dizaines de kilomètres par jour pour mener à bien ses tâches.
M. [S] produit de nombreuses captures d'écran de sa boîte de réception de ses courriels de 2016 à 2020, échangés avec des fournisseurs et d'autres salariés de la société, mais sans produire le contenu de ses courriels. Il ressort de ces éléments que M. [S] avait du travail fourni par la société [Localité 13] Agricole puisqu'il y avait de nombreux courriels échangés notamment avec des fournisseurs au sujet de ventes, d'estimations de matériels, etc.
Ainsi, il ressort de tous les éléments produits que malgré les difficultés économiques de la société [Localité 13] Agricole, placée en liquidation judiciaire immédiate avec poursuite de l'activité jusqu'au 25 mai 2021, par jugement du 25 février 2021, M. [S] avait toujours du travail fourni par la société [Localité 13] Agricole et en particulier au titre de sa fonction de responsable adjoint de l'atelier et du magasin.
Par conséquent, la société [Localité 13] Agricole n'a pas manqué à son obligation de fournir du travail à M. [S].
Sur le paiement des salaires depuis le mois de novembre 2016
M. [S] soutient qu'il n'a pas perçu l'intégralité de son salaire depuis le mois de novembre 2016 inclus (30% de moins) et ce sans qu'il ait donné son accord pour une diminution de sa rémunération.
Le mandataire liquidateur de la société [Localité 13] Agricole objecte que c'est M. [S] qui a renoncé de manière volontaire et spontanée à une partie de sa rémunération dès novembre 2016, en raison des difficultés économiques de la société, et qui a donc proposé à son employeur de réduire son salaire mensuel de 1 300 euros brut, et que cet accord des deux parties pour la modification du contrat de
M. [S] s'est donné à l'oral.
**
Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
La rémunération contractuelle constitue par nature un élément du contrat de travail du salarié. L'employeur ne peut donc pas modifier son montant sans l'accord du salarié.
La simple poursuite du travail aux conditions modifiées n'emporte pas acceptation de la modification du contrat de travail (Soc., 18 février 2015, n°13-23.586).
L'employeur doit obtenir l'accord clair et non équivoque du salarié avant de modifier sa rémunération. A défaut d'accord, la modification de la rémunération contractuelle peut, en fonction des cas, justifier une prise d'acte de la rupture du contrat de travail, ou sa résiliation judiciaire aux torts de l'employeur, si elle constitue un manquement grave empêchant la poursuite du contrat (Soc. 12 juin 2014, n° 13-11.448).
Selon l'article L. 3245-1 du code du travail, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.
Sur la demande de rappels de salaire pour la période antérieure au 23 septembre 2017,
M. [S] ayant saisi le conseil de prud'hommes le 23 septembre 2020, la demande de rappels de salaires portant sur la période du 1er novembre 2016 au 23 septembre 2017 est prescrite.
Sur la demande de rappels de salaire pour la période postérieure au 23 septembre 2017,
Il résulte du contrat de travail de M. [S] que sa rémunération mensuelle s'élève à 4 450 euros bruts. Or, il ressort des bulletins de salaire de M. [S] à partir du mois de novembre 2016 et jusqu'à la rupture du contrat de travail, que le salaire de base mentionné est de 3 156,38 euros. Il en résulte l'existence d'une modification du contrat de travail de M. [S], puisque sa rémunération contractuelle a diminué. Or, aucun avenant au contrat de travail de M. [S] n'est produit aux débats faisant état d'un accord des deux parties pour diminuer cette rémunération.
Le liquidateur de la société [Localité 13] Agricole produit aux débats une attestation de Mme [P], salariée de la société, qui affirme que M. [S] a « pris la décision de baisser son salaire de 1 300 euros brut et ça sans subir aucune pression de quiconque. A ce moment, aucun avenant de contrat n'a été fait car nous espérions tous que la situation allait s'améliorer. » La société [Localité 13] Agricole n'a donc pas établi d'avenant au contrat de travail de M. [S], et la seule attestation de Mme [P], salariée sous la subordination de la société [Localité 13] Agricole ne suffit pas à établir l'accord clair et non-équivoque de M. [S] à voir diminuer sa rémunération.
Cependant, le liquidateur de la société [Localité 13] Agricole indique que M. [S] n'a jamais fait de demandes de rappels de salaires pendant plusieurs années à la suite de cette diminution de salaire. De fait, M. [S] n'apporte aucun élément à ce sujet.
Le liquidateur produit également un courriel écrit par M. [S] à la société le 20 octobre 2020 à propos d'une discussion de signature d'une rupture conventionnelle, dans lequel il liste les indemnités qu'il aimerait percevoir, dans lequel il ne formule aucune demande de rappels de salaire depuis novembre 2016. et M. [S] a poursuivi son contrat de travail sans solliciter de rappels de salaire avant le 23 septembre 2020, soit la date de saisine du conseil de prud'hommes.
Par conséquent, certes, l'accord clair et non-équivoque de M. [S] à la modification de sa rémunération n'est pas établi, mais ce dernier ne démontre aucunement que cette modification a constitué un manquement grave de l'employeur empêchant la poursuite du contrat de travail, puisqu'il n'a fait aucune demande en ce sens pendant plus de trois ans d'exécution de la relation contractuelle ainsi modifiée.
Ainsi, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [S] de sa demande de résiliation judiciaire aux torts de la société [Localité 13] Agricole.
Sur le licenciement pour motif économique
En l'absence de production de la lettre de licenciement et les parties ne donnant pas la même date, il convient de constater que la date de l'entretien préalable au licenciement était le 4 juin 2021. Par conséquent, conformément aux dispositions de l'article L.1232-6 du code du travail, il convient de retenir la date du 7 juin 2021 pour la notification du licenciement.
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L'article L. 1233-3 du code du travail prévoit que constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment : 4° A la cessation d'activité de l'entreprise. La matérialité de la suppression, de la transformation d'emploi ou de la modification d'un élément essentiel du contrat de travail s'apprécie au niveau de l'entreprise.
Lorsque l'entreprise n'appartient pas à un groupe et a cessé son activité, le liquidateur n'est pas tenu de rechercher le reclassement des salariés avant de procéder aux licenciements (Soc., 4 octobre 2017, n°16-16.441).
En l'espèce, la société [Localité 13] Agricole ayant fait l'objet d'une liquidation judiciaire à effet au 25 mai 2021, il s'agissait bien d'une cessation totale et définitive d'activité de l'entreprise, motif valable de licenciement pour motif économique.
La société [Localité 13] Agricole n'appartenant à aucun groupe, le liquidateur judiciaire n'était pas tenu à une obligation de reclassement de M. [S] avant de le licencier.
A la suite de la liquidation judiciaire de la société [Localité 13] Agricole prenant effet au 25 mai 2021, le liquidateur judiciaire, la Selarl PJA, représentée par Me [W], a convoqué M. [S] a un entretien préalable à un éventuel licenciement le 27 mai 2021, pour un entretien fixé le 4 juin 2021 et l'a licencié par la suite pour motif économique.
La procédure de licenciement pour motif économique a été respectée et le licenciement est fondé sur un motif économique réel et sérieux.
Par conséquent, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [S] de ses demandes indemnitaires au titre de la rupture de son contrat de travail.
Sur la demande de rappels de salaire
Comme rappelé précédemment, M. [S] soutient qu'il n'a pas été payé de l'intégralité de son salaire de novembre 2016 jusqu'à la rupture de son contrat, soit le 7 juin 2021. Il demande donc un rappel de salaires sur cette période.
Néanmoins, comme expliqué plus haut, la demande de rappel de salaires pour la période antérieure au 23 septembre 2017 est prescrite. Cependant, comme développé plus haut, n'ayant aucun élément démontrant l'accord clair et non-équivoque de M. [S] de diminuer sa rémunération et dans la mesure où il conteste avoir demandé la diminution de sa rémunération, la modification de sa rémunération a donc été opérée unilatéralement par la société [Localité 13] Agricole, et ce de manière illicite.
M. [S] est donc fondé à solliciter le versement de la totalité de son salaire du 24 septembre 2017 jusqu'à la date de la rupture de son contrat de travail soit jusqu'au 7 juin 2021.
M. [S] soutient que le salaire perçu sur la période du 24 septembre 2017 jusqu'au 7 juin 2021 était de 3 156,38 euros et qu'il a perdu par mois une somme de 1 358,30 euros du fait de la diminution de sa rémunération décidée par l'employeur.
Le liquidateur de la société [Localité 13] Agricole objecte que le salaire perçu sur la période du 24 septembre 2017 au 31 octobre 2018 était de 3 314,20 euros et, après le 1er novembre 2018, de
3 377,33 euros.
La différence entre ces montants est due à l'intégration ou non de la prime d'ancienneté.
Il ressort des bulletins de salaire de M. [S] qu'il a perçu la somme de 3 314,20 euros bruts sur la période du 24 septembre 2017 jusqu'au 31 octobre 2018, puis 3 377,33 euros brut à partir du 1er novembre 2018, du fait de l'augmentation, à partir du 1er novembre 2018, du montant de sa prime d'ancienneté.
En effet, conformément à l'article 4.23 de la convention collective applicable au litige, « Chaque salarié bénéficie d'une prime d'ancienneté qui s'ajoute à son salaire réel. Son taux est calculé en pourcentage du salaire minimum mensuel conventionnel garanti du salarié selon les modalités suivantes :
' 5 % après 5 ans d'ancienneté révolus ;
' 7 % après 8 ans d'ancienneté révolus ; ['] »
Pour calculer le rappel de salaire pour la période du 24 septembre 2017 au 31 octobre 2018, il convient alors de soustraire 3 314,20 euros à 4 450 euros (salaire contractuel), montant auquel il convient d'ajouter le pourcentage de la prime d'ancienneté associée, qui est de 5% puisqu'à cette période
M. [S] avait plus de cinq mais moins de huit ans d'ancienneté, soit un rappel de salaires d'un montant total de 14 589,34 euros bruts.
Pour calculer le rappel de salaire pour la période du 1er novembre 2018 au 7 juin 2021, il convient alors de soustraire 3 377,33 euros à 4 450 euros (salaire contractuel), montant auquel il faut ajouter le pourcentage de la prime d'ancienneté associée, qui est de 8% puisqu'à cette période M. [S] avait plus de huit ans d'ancienneté, soit un rappel de salaires d'un montant total de 36 183,19 euros bruts.
Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a débouté M. [S] de sa demande de fixer au passif de la société [Localité 13] Agricole ces sommes au titre de rappels de salaire.
Il sera ainsi fixé au passif de la société [Localité 13] Agricole la somme de 14 589,34 euros bruts au titre de rappels des salaires dus à M. [S] pour la période du 24 septembre 2017 au 31 octobre 2018 et de 36 183,19 euros bruts pour la période du 1er novembre 2018 au 7 juin 2021.
Il sera également fixé au passif de la société [Localité 13] Agricole les sommes de 1 458,93 euros bruts et de 3 618,31 euros bruts au titre des congés payés afférents à ces rappels de salaires.
Sur l'utilisation du véhicule personnel
M. [S] soutient qu'il bénéficiait d'une indemnité contractuelle mensuelle de 500 euros et qu'il ne l'a pas perçue en septembre 2020, puis de janvier à mai 2021. Il demande donc un rappel de salaire à ce titre à hauteur de 3 000 euros.
Le liquidateur de la société [Localité 13] Agricole ne fournit aucune explication à ce sujet.
***
Il ressort du contrat de travail produit, qu'en son article 9, il prévoit le versement d'une indemnité mensuelle de 500 euros au titre de l'utilisation du véhicule personnel de M. [S] pour se déplacer dans le cadre de son travail.
Il ressort des bulletins de salaire produits par M. [S], qu'il n'a effectivement pas perçu cette indemnité de 500 euros de janvier à mai 2021. Cependant, M. [S] ne fournit pas de bulletin de salaire au titre du mois de septembre 2020.
Par conséquent, par voie d'infirmation, il convient de fixer au passif de la société [Localité 13] Agricole la créance de M. [S] à la somme de 3 000 euros, au titre de l'indemnité d'utilisation de son véhicule personnel de janvier à mai 2021.
Sur les intérêts
Le jugement d'ouverture de la procédure collective arrête le cours des intérêts légaux et conventionnels ainsi que de tous intérêts de retard et majorations. La demande au titre des intérêts de retard sera donc rejetée.
Sur la rectification des bulletins de salaire et de l'attestation France travail
M. [S] est bien fondé à solliciter la remise par la société [Localité 13] Agricole d'une attestation destinée à France Travail (anciennement Pôle emploi) et des bulletins de salaire rectifiés, l'ensemble de ces documents devant être conforme aux termes du présent arrêt. Le jugement est infirmé de ce chef.
Sur les frais et les dépens
Par voie d'infirmation, les dépens de première instance, et également ceux d'appel, seront mis à la charge de la liquidation judiciaire de la société [Localité 13] Agricole et leur emploi en frais de justice privilégiés sera ordonné.
Il conviendra de dire n'y avoir lieu de fixer au passif de la société aucune somme sur le fondement de l'article 700 code de procédure civile au titre des frais engagés en appel.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant, publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, réputé contradictoire et en dernier ressort,
CONFIRME le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Dreux le 13 décembre 2022, sauf en ce qu'il déboute M. [O] [S] de sa demande de fixation au passif de la société [Localité 13] Agricole de diverses sommes à titre de rappel de salaires du 23 septembre 2017 au 31 octobre 2018, congés payés afférents, rappel de salaires du 1er novembre 2018 au 7 juin 2021, congés payés afférents, en ce qu'il ordonne de fixer au passif de la société [Localité 13] Agricole la somme de 3 000 euros pour l'indemnité d'utilisation du véhicule personnel de M. [O] [S] pour les mois de septembre 2020 et janvier à mai 2021, en ce qu'il dit que cette somme est assortie des intérêts de retard légaux à compter de la décision, en ce qu'il dit qu'il n'y a pas lieu de déclarer la décision opposable à l'Unedic délégation AGS CGEA d'Orléans, qu'il n'y a pas lieu à remise des bulletins de salaire et d'une attestation pôle emploi rectifiée, et en ce qu'il condamne in solidum la SELARL PJA ès-qualité de liquidateur de la société [Localité 13] Agricole aux entiers dépens,
Statuant à nouveau des chefs infirmés, y ajoutant,
DÉCLARE irrecevable comme prescrite la demande de M. [O] [S] de rappel de salaires du 1er novembre 2016 au 23 septembre 2017 inclus,
FIXE au passif de la liquidation judiciaire de la société [Localité 13] Agricole la créance de M. [O] [S] aux sommes suivantes :
14 589,34 euros bruts à titre de rappel de salaires pour la période du 24 septembre 2017 au 31 octobre 2018, outre 1 458,93 euros bruts de congés payés afférents,
36 183,19 euros bruts à titre de rappel de salaires pour la période du 1er novembre 2018 au 7 juin 2021, outre 3 618,31 euros bruts de congés payés afférents,
2 500 euros au titre de l'indemnité d'utilisation du véhicule personnel de M. [O] [S] pour les mois de janvier à mai 2021,
RAPPELLE que le jugement d'ouverture de la procédure collective a arrêté le cours des intérêts légaux et conventionnels ainsi que de tous intérêts de retard et majorations,
ORDONNE la remise par la Selarl PJA pris en la personne de Me [W], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [Localité 13] Agricole, des bulletins de salaires et d'une attestation France travail rectifiés,
REJETTE les demandes des parties fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
METS les dépens de première instance, et également ceux d'appel à la charge de la liquidation judiciaire de la société [Localité 13] Agricole et ordonne leur emploi en frais de justice privilégiés.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Aurélie PRACHE, Présidente et par Madame Meriem EL FAQIR, greffière en préaffectation, à quil la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La greffière La Présidente
DE
VERSAILLES
Code nac : 80M
Chambre sociale 4-3
ARRET N°
RÉPUTÉ CONTRADICTOIRE
DU 20 OCTOBRE 2025
N° RG 23/00350 -
N° Portalis DBV3-V-B7H-VVJU
AFFAIRE :
[O] [S]
C/
Société PJA
et
Caisse CGEA D'[Localité 12]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu
le 13 Décembre 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de DREUX
N° Section : E
N° RG : F 22/00044
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me [Localité 10] CARE
Me Antoine GUEPIN
le :
Copie numérique adressée à:
FRANCE TRAVAIL
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT OCTOBRE DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d'appel de VERSAILLES a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [O] [S]
né le 27 Mai 1971 à [Localité 9]
nationalité française
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentant : Me François CARE de la SCP CARE PETITJEAN PERSON, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000039
APPELANT
****************
Société PJA représenté par Maître [W], en sa qualité de liquidateur de la Société SENONCHE AGRICOLE
[Adresse 8]
[Localité 5]
Représentant : Me Antoine GUEPIN de la SELARL GIBIER FESTIVI RIVIERRE GUEPIN, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000021
AGS CGEA D'[Localité 12]
[Adresse 3]
[Localité 7]
INTIMÉES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 07 Mai 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Mme Florence SCHARRE, Conseillère chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Aurélie PRACHE, Présidente,
Madame Florence SCHARRE, Conseillère,
Madame Aurélie GAILLOTTE, Conseillère,
Greffier lors des débats : Monsieur Mohamed EL GOUZI,
Greffière en préaffectation lors du prononcé : Meriem EL FAQIR
FAITS ET PROCÉDURE
La société [Localité 13] Agricole est une société par actions simplifiée (SAS) immatriculée au registre du commerce et des sociétés (RCS) de Chartres.
La société [Localité 13] Agricole est spécialisée dans la vente de matériel agricole et de matériel de jardin.
Elle emploie moins de 11 salariés.
Par contrat de travail à durée indéterminée en date du 2 novembre 2010, M. [S] a été engagé par la société [Localité 13] Agricole, en qualité de représentant de la société, statut VRP, à temps plein, à compter du 2 novembre 2010.
Par avenant au contrat de travail en date du 3 avril 2014, M. [S] a été nommé responsable adjoint de l'atelier et du magasin de [Localité 13] à compter du 1er avril 2014.
La relation contractuelle était régie par les dispositions de l'accord national interprofessionnel des VRP du 3 octobre 1975 et pour certaines dispositions par la convention collective des entreprises de commerce, de location, et de répartition de tracteurs, machines et matériels agricoles, de matériel de travaux publics, de bâtiment et de manutention, de motoculture de plaisance, de jardins et d'espaces verts.
Par jugement en date du 8 mars 2018 rendu par le tribunal de commerce de Chartres, la société [Localité 13] a été placée en redressement judiciaire. La Selarl PJA représentée par Me [W] a été nommée comme mandataire judiciaire et Me [Z] comme administrateur judiciaire.
Par jugement en date du 28 février 2019, le tribunal de commerce de Chartres a homologué un plan de continuation.
Par requête introductive reçue au greffe en date du 23 septembre 2020, M. [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Dreux d'une demande tendant à ce que la résiliation judiciaire de son contrat de travail soit prononcée aux torts de l'employeur, et à obtenir le versement de diverses sommes au titre de rappel de salaires et de dommages et intérêts.
Par jugement en date du 25 février 2021, le tribunal de commerce de Chartres a prononcé la liquidation judiciaire immédiate avec poursuite de l'activité jusqu'au 25 mai 2021, et désigné la Selarl PJA représentée par Me [W] en qualité de liquidateur judiciaire.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 27 mai 2021, le liquidateur judiciaire a convoqué M. [S] à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour motif économique en ces termes :
« M.,
Par jugement en date du 25 février 2021, le tribunal de commerce de Chartres a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la SAS Senonches Agricole ayant exploité, un fonds de commerce de : négoce de matériel agricole au [Adresse 4].
Ce même jugement a désigné la SELARL P.J.A, que je représente, en qualité de liquidateur.
Le tribunal de commerce de Chartres a autorisé une poursuite d'activité jusqu'au 25/05/2021.
J'ai le regret de vous informer que je suis amenée à envisager, à votre égard, une mesure de licenciement pour motif économique (article L.641-4 du code de commerce).
Par la présente je vous convoque à l'entretien préalable, au cours duquel vous seront présentées les modalités pratiques sur cette éventuelle mesure de licenciement collectif pour motif économique et ce conformément aux dispositions du code du travail, article L.1232-2. Au cours de ce même entretien, vous sera remis en main propre et ce sous certaines conditions, un contrat de sécurisation professionnelle (CSP).
Je vous prie de bien vouloir vous présenter le :
Vendredi 4 juin 2021 à 15 :30 H à mon étude.
Si vous le désirez, vous pourrez vous faire assister au cours de cet entretien par un salarié de votre choix appartenant obligatoirement au personnel de l'entreprise ou par un conseiller extérieur à l'entreprise à choisir sur une liste dressée à cet effet que vous pourrez consulter :
A l'inspection du travail : [Adresse 2],
A la mairie de votre domicile : [Adresse 11]
Je vous prie d'agréer, M., l'expression de mes sentiments distingués. »
L'affaire pendante devant le conseil de prud'hommes a été radiée le 29 mars 2022.
Par requête reçue au greffe le 31 mars 2022, M. [S] a sollicité la réinscription de l'affaire.
Par jugement rendu le 13 décembre 2022, auquel renvoie la cour pour l'exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Dreux a :
En la forme :
- Déclaré M. [S] recevable en ses demandes,
- Déclaré la société [Localité 13] Agricole, représentée par son mandataire liquidateur la SELARL PJA ' Me [W] recevable en sa demande reconventionnelle,
En droit :
- Dit qu'il n'y a pas lieu de prononcer la résiliation judiciaire aux torts de l'employeur du contrat de travail de M. [S],
- Débouté M. [S] de sa demande de fixer au passif de la société [Localité 13] Agricole :
. 4 152,51 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
. 415,25 euros au titre des congés y afférents,
. 931,95 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,
. 3 861,84 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,
. 57 138 euros à titre d'indemnité pour licenciement abusif,
- Débouté M. [S] de sa demande de condamner la société [Localité 13] Agricole Coopérative à lui payer les rappels de salaires du 23 septembre 2017 au 7 juin 2021,
- Débouté M. [S] de sa demande de fixer au passif de la société [Localité 13] Agricole :
. 17 522,07 euros à titre de rappel de salaires du 23 septembre 2017 au 31 octobre 2018,
. 1 752,20 euros au titre des congés y afférents,
. 43 232,30 euros à titre de rappel de salaires du 1er novembre 2018 au 7 juin 2021,
. 4 323,20 euros au titre des congés y afférents,
- Ordonné de fixer au passif de la société [Localité 13] Agricole la somme de 3 000 euros pour l'indemnité d'utilisation du véhicule personnel de M. [S] pour les mois de septembre 2020 et janvier à mai 2021,
- Dit que cette somme est assortie des intérêts de retard légaux à compter de la décision,
- Dit qu'il n'y a pas lieu de déclarer la décision opposable à l'Unédic délégation AGS CGEA d'[Localité 12],
- Dit qu'il n'y a pas lieu à remise des bulletins de salaire et d'une attestation pôle emploi rectifiée,
- Ordonné l'exécution provisoire de droit,
- Rejeté les demandes des parties fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Rejeté les demandes plus amples ou contraire des parties,
- Condamné in solidum la SELARL PJA ès-qualité de liquidateur de la société [Localité 13] Agricole aux entiers dépens.
Par déclaration d'appel reçue au greffe le 3 février 2023, M. [S] a interjeté appel de ce jugement.
Par acte de commissaire de justice en date des 6 avril et 12 mai 2023, M. [S] a signifié sa déclaration d'appel et ses conclusions à l'AGS CGEA d'[Localité 12], qui n'a pas constitué avocat.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 26 février 2025.
MOYENS ET PRÉTENTIONS
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 2 mai 2023, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens et prétentions conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, M. [S], appelant, demande à la cour de :
- Déclarer M. [S] recevable en son appel,
Y faisant droit,
- Infirmer la décision entreprise,
Statuant à nouveau :
- Prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail à effet du 7 juin 2021,
- Fixer au passif de la société [Localité 13] Agricole les sommes de :
. 17 522,07 euros à titre de rappel de salaire à compter du 23 septembre 2017 au 31 octobre 2018 (12 mois 7 jours),
. 1 752,20 euros au titre des congés payés (10 %) sur cette somme,
. 43 232,30 euros à titre de rappel de salaire pour la période du 1er novembre 2018 jusqu'au 7 juin 2021 (date du licenciement) soit 31 mois et 7 jours,
. 4 323,20 euros au titre des congés payés (10 %) sur cette somme,
Ces sommes assorties des intérêts de retard dans les conditions légales à compter de la date d'introduction de la demande (23 septembre 2020) pour celles qui sont dues antérieurement à cette date, et de chaque échéance mensuelle pour celles dues postérieurement,
. 4 152,51 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
. 415,25 euros au titre des congés payés afférents sur préavis,
. 931,95 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,
. 3 861,84 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,
Ces sommes assorties des intérêts de retard dans les conditions légales à compter du 7 juin 2021,
. 57 138 euros à titre d'indemnité pour licenciement abusif,
- Confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a fixé la créance de M. [S] à 3 000 euros au titre d'indemnité pour utilisation du véhicule personnel,
- Condamner la SELARL PJA ès-qualités à payer la somme de 4 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Ces sommes assorties des intérêts de retard dans les conditions légales à compter de la décision à intervenir,
- Déclarer la décision à intervenir opposable à l'Unedic Délégation AGS CGEA d'[Localité 12] et rejeter les demandes de cet organisme tendant à voir dire et juger qu'en application de l'article L 3253-8 du code du travail, la garantie de l'AGS ne couvre les créances résultant de la rupture des contrats de travail que dans l'hypothèse où cette rupture est intervenue dans les quinze jours de la liquidation judiciaire ainsi qu'à se voir déclarer inopposable toute fixation d'indemnités de rupture,
- Constater au contraire que la rupture du contrat de travail est intervenue dans ces limites,
- Ordonner la remise par la SELARL PJA ès-qualités de bulletins de salaires et d'une attestation pôle emploi rectifiée,
- Condamner in solidum la SELARL PJA ès-qualités de liquidateur de la société [Localité 13] Agricole aux entiers dépens, et dire qu'au cas où il devrait être recouru à un huissier de justice pour l'exécution de la décision, les frais de son intervention seront intégralement supportés par les défendeurs.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 11 juillet 2023, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la Selarl PJA prise en la personne de Me [W], en sa qualité de mandataire liquidateur de la société [Localité 13] Agricole, demande à la cour de :
- Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Dreux le 13 décembre 2022,
- Déclarer irrecevables comme prescrites les demandes de M. [S] pour les rappels de salaire antérieurs au 23 septembre 2017,
- Déclarer mal fondée sa demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail et en conséquence le débouter de l'ensemble de ses demandes financières,
- Condamner M. [S] au paiement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
MOTIFS
Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail
M. [S] soutient que la société [Localité 13] Agricole n'a pas respecté deux de ses obligations essentielles à savoir celle de fournir du travail à son salarié et celle de payer son salarié. Il considère que la résiliation judiciaire de son contrat de travail est fondée eu égard à ces deux manquements de la société [Localité 13] Agricole qui présentent une gravité telle que la poursuite du contrat est rendu impossible.
Le mandataire liquidateur de la société [Localité 13] Agricole objecte que la partie de salaire impayée résulte d'un abandon volontaire et spontané de M. [S] et que bien que l'activité de vente de tracteurs ait décliné, la vente de matériels agricoles et de tracteurs d'occasion a perduré, et qu'ainsi M. [S] avait effectivement du travail fourni par la société [Localité 13] Agricole. Ainsi, il considère que l'employeur n'a nullement manqué à ses obligations contractuelles et que M. [S] doit être débouté de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail.
**
Lorsque le salarié demande la résiliation du contrat de travail, il doit apporter la démonstration de manquements de l'employeur à l'exécution de ses obligations contractuelles et que ces manquements présentent une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation de travail.
Si les manquements sont établis et présentent un degré de gravité suffisant, la résiliation est alors prononcée aux torts de l'employeur et produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. La résiliation produit effet au jour où le juge la prononce si à cette date, le salarié est toujours au service de son employeur (et en cas d'arrêt confirmatif, à la date du jugement de première instance).
Si en revanche le salarié a été licencié à la date du prononcé de la résiliation, alors c'est à la date d'envoi de la notification du licenciement qu'est fixée la prise d'effet de la résiliation judiciaire.
Si les manquements invoqués par le salarié ne sont pas établis ou ne présentent pas un caractère de gravité suffisant, alors le juge doit débouter le salarié de sa demande.
Selon l'article L. 1221-1 du code du travail, le contrat de travail, qui est un contrat synallagmatique, impose à l'employeur de fournir du travail au salarié et au salarié de se tenir à la disposition de l'employeur.
Il appartient à l'employeur de fournir un travail au salarié qui se tient à sa disposition et de payer la rémunération (Soc., 11 mai 2022, n°20-18.372 ; Soc., 23 octobre 2013, n°12-14.237).
Sur l'obligation de fournir une prestation de travail
M. [S] soutient qu'en raison des difficultés économiques de la société [Localité 13] Agricole, cette dernière s'est vue retirer plusieurs mandats de représentation de marchés agricoles et que de fait il s'est trouvé privé de matériel neuf à vendre et ne pouvait donc pas exercer ses fonctions de représentant d'activité. De plus, il soutient que l'activité du magasin de [Localité 13] a fortement décliné et que les clients étaient devenus rares, qu'ainsi, en tant que responsable adjoint du magasin, il n'avait plus de tâches et plus d'activités proposées par la société [Localité 13] Agricole.
Le mandataire liquidateur de la société [Localité 13] Agricole objecte que l'activité commerciale pour le matériel agricole a bien perduré et, qu'en réalité, c'est M. [S] qui a manqué d'investissement dans son travail. Il produit plusieurs attestations de témoins de salariés de la société qui affirment que M. [S] était souvent absent sur le lieu de travail, qu'il ne répondait pas aux appels des clients, ni à ceux de ses collègues. Ces témoins expliquent par ailleurs qu'il y avait encore de l'activité commerciale comme notamment la vente de machines, à la suite de nouveaux partenariats avec des marques.
Ayant fait le même constat que ses salariés, la société [Localité 13] Agricole produit une lettre adressée à M. [S] le 26 octobre 2020 pour lui dire qu'il était « peu visible dans l'entreprise depuis plusieurs semaines », et lui demandait alors de « justifier son travail », avec des éléments matériels tels que des rapports journaliers, visites de clients, etc.
M. [S], quant à lui, produit la lettre en réponse adressée à M. [D], le directeur général des établissements de la société, le 4 novembre 2020 pour lui demander des instructions pour proposer aux potentiels clients le matériel à vendre et en lui joignant ses rapports journaliers d'activité du 27 octobre au 2 novembre 2020.
Dans ces rapports journaliers d'activité, il est constaté que M. [S] parcourt de 48 à 116 kilomètres par jour et que différentes activités y sont inscrites comme par exemple : « estimation du matériel », « projet tracteur occasion », « visite client », « paiement des factures », etc. Il ressort donc de ces documents que M. [S] avait du travail sur la période du 27 octobre au 2 novembre 2020 et que ce dernier devait parcourir des dizaines de kilomètres par jour pour mener à bien ses tâches.
M. [S] produit de nombreuses captures d'écran de sa boîte de réception de ses courriels de 2016 à 2020, échangés avec des fournisseurs et d'autres salariés de la société, mais sans produire le contenu de ses courriels. Il ressort de ces éléments que M. [S] avait du travail fourni par la société [Localité 13] Agricole puisqu'il y avait de nombreux courriels échangés notamment avec des fournisseurs au sujet de ventes, d'estimations de matériels, etc.
Ainsi, il ressort de tous les éléments produits que malgré les difficultés économiques de la société [Localité 13] Agricole, placée en liquidation judiciaire immédiate avec poursuite de l'activité jusqu'au 25 mai 2021, par jugement du 25 février 2021, M. [S] avait toujours du travail fourni par la société [Localité 13] Agricole et en particulier au titre de sa fonction de responsable adjoint de l'atelier et du magasin.
Par conséquent, la société [Localité 13] Agricole n'a pas manqué à son obligation de fournir du travail à M. [S].
Sur le paiement des salaires depuis le mois de novembre 2016
M. [S] soutient qu'il n'a pas perçu l'intégralité de son salaire depuis le mois de novembre 2016 inclus (30% de moins) et ce sans qu'il ait donné son accord pour une diminution de sa rémunération.
Le mandataire liquidateur de la société [Localité 13] Agricole objecte que c'est M. [S] qui a renoncé de manière volontaire et spontanée à une partie de sa rémunération dès novembre 2016, en raison des difficultés économiques de la société, et qui a donc proposé à son employeur de réduire son salaire mensuel de 1 300 euros brut, et que cet accord des deux parties pour la modification du contrat de
M. [S] s'est donné à l'oral.
**
Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
La rémunération contractuelle constitue par nature un élément du contrat de travail du salarié. L'employeur ne peut donc pas modifier son montant sans l'accord du salarié.
La simple poursuite du travail aux conditions modifiées n'emporte pas acceptation de la modification du contrat de travail (Soc., 18 février 2015, n°13-23.586).
L'employeur doit obtenir l'accord clair et non équivoque du salarié avant de modifier sa rémunération. A défaut d'accord, la modification de la rémunération contractuelle peut, en fonction des cas, justifier une prise d'acte de la rupture du contrat de travail, ou sa résiliation judiciaire aux torts de l'employeur, si elle constitue un manquement grave empêchant la poursuite du contrat (Soc. 12 juin 2014, n° 13-11.448).
Selon l'article L. 3245-1 du code du travail, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.
Sur la demande de rappels de salaire pour la période antérieure au 23 septembre 2017,
M. [S] ayant saisi le conseil de prud'hommes le 23 septembre 2020, la demande de rappels de salaires portant sur la période du 1er novembre 2016 au 23 septembre 2017 est prescrite.
Sur la demande de rappels de salaire pour la période postérieure au 23 septembre 2017,
Il résulte du contrat de travail de M. [S] que sa rémunération mensuelle s'élève à 4 450 euros bruts. Or, il ressort des bulletins de salaire de M. [S] à partir du mois de novembre 2016 et jusqu'à la rupture du contrat de travail, que le salaire de base mentionné est de 3 156,38 euros. Il en résulte l'existence d'une modification du contrat de travail de M. [S], puisque sa rémunération contractuelle a diminué. Or, aucun avenant au contrat de travail de M. [S] n'est produit aux débats faisant état d'un accord des deux parties pour diminuer cette rémunération.
Le liquidateur de la société [Localité 13] Agricole produit aux débats une attestation de Mme [P], salariée de la société, qui affirme que M. [S] a « pris la décision de baisser son salaire de 1 300 euros brut et ça sans subir aucune pression de quiconque. A ce moment, aucun avenant de contrat n'a été fait car nous espérions tous que la situation allait s'améliorer. » La société [Localité 13] Agricole n'a donc pas établi d'avenant au contrat de travail de M. [S], et la seule attestation de Mme [P], salariée sous la subordination de la société [Localité 13] Agricole ne suffit pas à établir l'accord clair et non-équivoque de M. [S] à voir diminuer sa rémunération.
Cependant, le liquidateur de la société [Localité 13] Agricole indique que M. [S] n'a jamais fait de demandes de rappels de salaires pendant plusieurs années à la suite de cette diminution de salaire. De fait, M. [S] n'apporte aucun élément à ce sujet.
Le liquidateur produit également un courriel écrit par M. [S] à la société le 20 octobre 2020 à propos d'une discussion de signature d'une rupture conventionnelle, dans lequel il liste les indemnités qu'il aimerait percevoir, dans lequel il ne formule aucune demande de rappels de salaire depuis novembre 2016. et M. [S] a poursuivi son contrat de travail sans solliciter de rappels de salaire avant le 23 septembre 2020, soit la date de saisine du conseil de prud'hommes.
Par conséquent, certes, l'accord clair et non-équivoque de M. [S] à la modification de sa rémunération n'est pas établi, mais ce dernier ne démontre aucunement que cette modification a constitué un manquement grave de l'employeur empêchant la poursuite du contrat de travail, puisqu'il n'a fait aucune demande en ce sens pendant plus de trois ans d'exécution de la relation contractuelle ainsi modifiée.
Ainsi, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [S] de sa demande de résiliation judiciaire aux torts de la société [Localité 13] Agricole.
Sur le licenciement pour motif économique
En l'absence de production de la lettre de licenciement et les parties ne donnant pas la même date, il convient de constater que la date de l'entretien préalable au licenciement était le 4 juin 2021. Par conséquent, conformément aux dispositions de l'article L.1232-6 du code du travail, il convient de retenir la date du 7 juin 2021 pour la notification du licenciement.
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L'article L. 1233-3 du code du travail prévoit que constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment : 4° A la cessation d'activité de l'entreprise. La matérialité de la suppression, de la transformation d'emploi ou de la modification d'un élément essentiel du contrat de travail s'apprécie au niveau de l'entreprise.
Lorsque l'entreprise n'appartient pas à un groupe et a cessé son activité, le liquidateur n'est pas tenu de rechercher le reclassement des salariés avant de procéder aux licenciements (Soc., 4 octobre 2017, n°16-16.441).
En l'espèce, la société [Localité 13] Agricole ayant fait l'objet d'une liquidation judiciaire à effet au 25 mai 2021, il s'agissait bien d'une cessation totale et définitive d'activité de l'entreprise, motif valable de licenciement pour motif économique.
La société [Localité 13] Agricole n'appartenant à aucun groupe, le liquidateur judiciaire n'était pas tenu à une obligation de reclassement de M. [S] avant de le licencier.
A la suite de la liquidation judiciaire de la société [Localité 13] Agricole prenant effet au 25 mai 2021, le liquidateur judiciaire, la Selarl PJA, représentée par Me [W], a convoqué M. [S] a un entretien préalable à un éventuel licenciement le 27 mai 2021, pour un entretien fixé le 4 juin 2021 et l'a licencié par la suite pour motif économique.
La procédure de licenciement pour motif économique a été respectée et le licenciement est fondé sur un motif économique réel et sérieux.
Par conséquent, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [S] de ses demandes indemnitaires au titre de la rupture de son contrat de travail.
Sur la demande de rappels de salaire
Comme rappelé précédemment, M. [S] soutient qu'il n'a pas été payé de l'intégralité de son salaire de novembre 2016 jusqu'à la rupture de son contrat, soit le 7 juin 2021. Il demande donc un rappel de salaires sur cette période.
Néanmoins, comme expliqué plus haut, la demande de rappel de salaires pour la période antérieure au 23 septembre 2017 est prescrite. Cependant, comme développé plus haut, n'ayant aucun élément démontrant l'accord clair et non-équivoque de M. [S] de diminuer sa rémunération et dans la mesure où il conteste avoir demandé la diminution de sa rémunération, la modification de sa rémunération a donc été opérée unilatéralement par la société [Localité 13] Agricole, et ce de manière illicite.
M. [S] est donc fondé à solliciter le versement de la totalité de son salaire du 24 septembre 2017 jusqu'à la date de la rupture de son contrat de travail soit jusqu'au 7 juin 2021.
M. [S] soutient que le salaire perçu sur la période du 24 septembre 2017 jusqu'au 7 juin 2021 était de 3 156,38 euros et qu'il a perdu par mois une somme de 1 358,30 euros du fait de la diminution de sa rémunération décidée par l'employeur.
Le liquidateur de la société [Localité 13] Agricole objecte que le salaire perçu sur la période du 24 septembre 2017 au 31 octobre 2018 était de 3 314,20 euros et, après le 1er novembre 2018, de
3 377,33 euros.
La différence entre ces montants est due à l'intégration ou non de la prime d'ancienneté.
Il ressort des bulletins de salaire de M. [S] qu'il a perçu la somme de 3 314,20 euros bruts sur la période du 24 septembre 2017 jusqu'au 31 octobre 2018, puis 3 377,33 euros brut à partir du 1er novembre 2018, du fait de l'augmentation, à partir du 1er novembre 2018, du montant de sa prime d'ancienneté.
En effet, conformément à l'article 4.23 de la convention collective applicable au litige, « Chaque salarié bénéficie d'une prime d'ancienneté qui s'ajoute à son salaire réel. Son taux est calculé en pourcentage du salaire minimum mensuel conventionnel garanti du salarié selon les modalités suivantes :
' 5 % après 5 ans d'ancienneté révolus ;
' 7 % après 8 ans d'ancienneté révolus ; ['] »
Pour calculer le rappel de salaire pour la période du 24 septembre 2017 au 31 octobre 2018, il convient alors de soustraire 3 314,20 euros à 4 450 euros (salaire contractuel), montant auquel il convient d'ajouter le pourcentage de la prime d'ancienneté associée, qui est de 5% puisqu'à cette période
M. [S] avait plus de cinq mais moins de huit ans d'ancienneté, soit un rappel de salaires d'un montant total de 14 589,34 euros bruts.
Pour calculer le rappel de salaire pour la période du 1er novembre 2018 au 7 juin 2021, il convient alors de soustraire 3 377,33 euros à 4 450 euros (salaire contractuel), montant auquel il faut ajouter le pourcentage de la prime d'ancienneté associée, qui est de 8% puisqu'à cette période M. [S] avait plus de huit ans d'ancienneté, soit un rappel de salaires d'un montant total de 36 183,19 euros bruts.
Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a débouté M. [S] de sa demande de fixer au passif de la société [Localité 13] Agricole ces sommes au titre de rappels de salaire.
Il sera ainsi fixé au passif de la société [Localité 13] Agricole la somme de 14 589,34 euros bruts au titre de rappels des salaires dus à M. [S] pour la période du 24 septembre 2017 au 31 octobre 2018 et de 36 183,19 euros bruts pour la période du 1er novembre 2018 au 7 juin 2021.
Il sera également fixé au passif de la société [Localité 13] Agricole les sommes de 1 458,93 euros bruts et de 3 618,31 euros bruts au titre des congés payés afférents à ces rappels de salaires.
Sur l'utilisation du véhicule personnel
M. [S] soutient qu'il bénéficiait d'une indemnité contractuelle mensuelle de 500 euros et qu'il ne l'a pas perçue en septembre 2020, puis de janvier à mai 2021. Il demande donc un rappel de salaire à ce titre à hauteur de 3 000 euros.
Le liquidateur de la société [Localité 13] Agricole ne fournit aucune explication à ce sujet.
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Il ressort du contrat de travail produit, qu'en son article 9, il prévoit le versement d'une indemnité mensuelle de 500 euros au titre de l'utilisation du véhicule personnel de M. [S] pour se déplacer dans le cadre de son travail.
Il ressort des bulletins de salaire produits par M. [S], qu'il n'a effectivement pas perçu cette indemnité de 500 euros de janvier à mai 2021. Cependant, M. [S] ne fournit pas de bulletin de salaire au titre du mois de septembre 2020.
Par conséquent, par voie d'infirmation, il convient de fixer au passif de la société [Localité 13] Agricole la créance de M. [S] à la somme de 3 000 euros, au titre de l'indemnité d'utilisation de son véhicule personnel de janvier à mai 2021.
Sur les intérêts
Le jugement d'ouverture de la procédure collective arrête le cours des intérêts légaux et conventionnels ainsi que de tous intérêts de retard et majorations. La demande au titre des intérêts de retard sera donc rejetée.
Sur la rectification des bulletins de salaire et de l'attestation France travail
M. [S] est bien fondé à solliciter la remise par la société [Localité 13] Agricole d'une attestation destinée à France Travail (anciennement Pôle emploi) et des bulletins de salaire rectifiés, l'ensemble de ces documents devant être conforme aux termes du présent arrêt. Le jugement est infirmé de ce chef.
Sur les frais et les dépens
Par voie d'infirmation, les dépens de première instance, et également ceux d'appel, seront mis à la charge de la liquidation judiciaire de la société [Localité 13] Agricole et leur emploi en frais de justice privilégiés sera ordonné.
Il conviendra de dire n'y avoir lieu de fixer au passif de la société aucune somme sur le fondement de l'article 700 code de procédure civile au titre des frais engagés en appel.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant, publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, réputé contradictoire et en dernier ressort,
CONFIRME le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Dreux le 13 décembre 2022, sauf en ce qu'il déboute M. [O] [S] de sa demande de fixation au passif de la société [Localité 13] Agricole de diverses sommes à titre de rappel de salaires du 23 septembre 2017 au 31 octobre 2018, congés payés afférents, rappel de salaires du 1er novembre 2018 au 7 juin 2021, congés payés afférents, en ce qu'il ordonne de fixer au passif de la société [Localité 13] Agricole la somme de 3 000 euros pour l'indemnité d'utilisation du véhicule personnel de M. [O] [S] pour les mois de septembre 2020 et janvier à mai 2021, en ce qu'il dit que cette somme est assortie des intérêts de retard légaux à compter de la décision, en ce qu'il dit qu'il n'y a pas lieu de déclarer la décision opposable à l'Unedic délégation AGS CGEA d'Orléans, qu'il n'y a pas lieu à remise des bulletins de salaire et d'une attestation pôle emploi rectifiée, et en ce qu'il condamne in solidum la SELARL PJA ès-qualité de liquidateur de la société [Localité 13] Agricole aux entiers dépens,
Statuant à nouveau des chefs infirmés, y ajoutant,
DÉCLARE irrecevable comme prescrite la demande de M. [O] [S] de rappel de salaires du 1er novembre 2016 au 23 septembre 2017 inclus,
FIXE au passif de la liquidation judiciaire de la société [Localité 13] Agricole la créance de M. [O] [S] aux sommes suivantes :
14 589,34 euros bruts à titre de rappel de salaires pour la période du 24 septembre 2017 au 31 octobre 2018, outre 1 458,93 euros bruts de congés payés afférents,
36 183,19 euros bruts à titre de rappel de salaires pour la période du 1er novembre 2018 au 7 juin 2021, outre 3 618,31 euros bruts de congés payés afférents,
2 500 euros au titre de l'indemnité d'utilisation du véhicule personnel de M. [O] [S] pour les mois de janvier à mai 2021,
RAPPELLE que le jugement d'ouverture de la procédure collective a arrêté le cours des intérêts légaux et conventionnels ainsi que de tous intérêts de retard et majorations,
ORDONNE la remise par la Selarl PJA pris en la personne de Me [W], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [Localité 13] Agricole, des bulletins de salaires et d'une attestation France travail rectifiés,
REJETTE les demandes des parties fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
METS les dépens de première instance, et également ceux d'appel à la charge de la liquidation judiciaire de la société [Localité 13] Agricole et ordonne leur emploi en frais de justice privilégiés.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Aurélie PRACHE, Présidente et par Madame Meriem EL FAQIR, greffière en préaffectation, à quil la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La greffière La Présidente