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CA Bordeaux, 1re ch. civ., 20 octobre 2025, n° 23/02435

BORDEAUX

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CA Bordeaux n° 23/02435

20 octobre 2025

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

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ARRÊT DU : 20 OCTOBRE 2025

N° RG 23/02435 - N° Portalis DBVJ-V-B7H-NIWG

[E] [V]

c/

S.A.R.L. [S]

Nature de la décision : AU FOND

Copie exécutoire délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 14 avril 2023 par le Tribunal de proximité de COGNAC (RG : 11-22-000129) suivant déclaration d'appel du 24 mai 2023

APPELANTE :

[E] [V]

née le 10 Mai 1935 à [Localité 3] (28)

de nationalité Française

demeurant [Adresse 1]

Représentée par Madame [X] [J], désignée en qualité de mandataire spécial par le Tribunal de Proximité de COGNAC suivant ordonnance de sauvegarde de justice en date du 22 mars 2023.

Représentée par Me Patrick HOEPFFNER de la SELARL HOEPFFNER, avocat au barreau de CHARENTE

INTIMÉE :

S.A.R.L. [S]

représentée par son gérant en exercice domicilié ès-qualités audit siège

[Adresse 2]

Représentée par Me Claude MOULINES de la SELARL TEN FRANCE BORDEAUX, avocat au barreau de BORDEAUX

et assistée de Me Alexis BAUDOUIN de la SELARL TEN FRANCE, avocat au barreau de POITIERS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 septembre 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Bénédicte LAMARQUE, conseiller, qui a fait un rapport oral de l'affaire avant les plaidoiries,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Laurence MICHEL, présidente,

Bénédicte LAMARQUE, conseiller,

Tatiana PACTEAU, conseiller

Greffier lors des débats : Vincent BRUGERE

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

Selon devis acceptés n°210217, 210218 et 210330 signés le 19 février 2021 et avril 2021, Mme [E] [V] a sollicité la SARL [S], sous l'enseigne commerciale Cuisimeuble, aux fins de fabrication et pose d'une cuisine à son domicile pour le prix de 11.257 euros TTC.

Mme [V] a versé un acompte de 4.000 euros.

Le 10 septembre 2021, la société [S] a été établie une facture n°210910N1 pour la somme de 6 967 euros TTC à l'attention de Mme [V].

Par courrier du même jour, la société [S] a exposé à Mme [V] différents motifs d'entrave au chantier, notamment son refus de laisser pénétrer les ouvriers en indiquant qu'elle ne pourrait procéder à la pose des plans de travail définitifs que lorsqu'elle serait disposée à lui ouvrir la porte.

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 22 septembre 2021, Mme [V] a sollicité la société [S] aux fins d'annulation du contrat relatif à la cuisine, et la restitution de la somme de 4 000 euros perçue à titre d'acompte.

Après plusieurs échanges entre Mme [V] et la société [S] par l'intermédiaire de leurs conseils, aucune issue amiable n'est intervenue.

Par requête 1er mars 2022, la société [S] a sollicité qu'il soit fait à Mme [V] injonction de lui payer la somme de 6 967 euros en principal, et la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ordonnance du 5 mai 2022, le juge des contentieux de la protection à partiellement fait droit à cette demande, et a condamné Mme [V] à payer à la société [S] la somme de 6 967 euros en principal.

Selon exploit d'huissier du 2 juin 2022, la société [S] a fait signifier l'ordonnance portant injonction de payer.

Le 13 juin 2022, Mme [V] a formé opposition à ladite ordonnance.

Par jugement contradictoire du 14 avril 2023, le tribunal de proximité de Cognac a :

- déclaré recevable l'opposition à l'ordonnance d'injonction de payer du 5 mai 2022 formée par Mme [V] le 13 juin 2022 et statuant à nouveau :

- rappelé que le jugement se substitue à l'ordonnance d'injonction de payer ;

- déclaré les demandes de la société [S] bien fondées ;

- condamné Mme [V] à payer à la société [S] la somme de 6 967 euros au titre de la facture n°210910N1 ;

- enjoint à Mme [V] de prendre livraison du plan de travail définitif qu'elle a commandé selon devis du 19 février 2021 ;

- condamné Mme [V] aux dépens de l'instance ;

- condamné Mme [V] à payer à la société [S] la somme de 800 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté les parties de l'ensemble de leurs autres demandes ;

- rappelé que la décision est exécutoire à titre provisoire.

Mme [V] a relevé appel de ce jugement par déclaration du 24 mai 2023, en ce qu'il a :

- déclaré les demandes de la société [S] bien fondée ;

- condamné Mme [V] à payer à la société [S] la somme de 6 967 euros au titre de la facture n°210910N1 ;

- enjoint à Mme [V] de prendre livraison du plan de travail définitif qu'elle a commandé selon devis du 19 février 2021 ;

- condamné Mme [V] aux dépens de l'instance ;

- condamné Mme [V] à payer à la société [S] la somme de 800 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté les parties de l'ensemble de leurs autres demandes.

Par dernières conclusions déposées le 8 août 2023, Mme [V] demande à la cour de :

- infirmer le jugement rendu par le tribunal de proximité de Cognac le 14 avril 2023 en ce qu'il a :

- déclaré les demandes de la société [S] bien fondée ;

- condamné Mme [V] à payer à la société [S] la somme de 6 967 euros au titre de la facture n°210910N1 ;

- enjoint à Mme [V] de prendre livraison du plan de travail définitif qu'elle a commandé selon devis du 19 février 2021 ;

- condamné Mme [V] aux dépens de l'instance ;

- condamné Mme [V] à payer à la société [S] la somme de 800 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté les parties de l'ensemble de leurs autres demandes.

Statuant à nouveau :

- prononcer la nullité du contrat passe entre la société [S] et Mme [V] ;

- condamner la société [S] à régler à Mme [V] la somme de 4 000 euros au titre du remboursement de l'acompte verse par cette dernière ;

- débouter la société [S] de l'ensemble de ses prétentions ;

- condamner la société [S] à régler à Mme [V] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société [S] aux entiers dépens.

Par dernières conclusions déposées le 18 octobre 2023, la société [S] demande à la cour de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 14 avril 2023 par le tribunal de proximité de Cognac.

Subsidiairement :

- prononcer la compensation entre les créances réciproques des parties au titre des

restitutions ;

- condamner Mme [V] à payer à la société [S] le solde de 6 967 euros TTC.

En tout état de cause :

- condamner Mme [V] à payer à la société [S] la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'instance.

L'affaire a été fixée à l'audience rapporteur du 8 septembre 2025.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 25 août 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La recevabilité de l'opposition à l'ordonnance portant injonction de payer n'est pas contestée. La cour n'est saisie que de la contestation de la demande en paiement en ce que le jugement déféré a déclaré valide le contrat sans faire droit à la demande en nullité soulevée par Mme [L] pour insanité d'esprit et abus de sa faiblesse.

Sur la nullité du contrat de travaux

L'appelante soulève deux moyens de nullité du contrat, le premier reposant sur son trouble mental au moment de l'acte, ayant été placée sous sauvegarde de justice par le juge des tutelles le 22 mars 2023, son comportement décalé ayant été relevé par la société de travaux au moment de leur intervention et consigné dans le courrier du 21 septembre 2021. Elle soutient ainsi qu'elle n'avait pas compris ce à quoi elle s'engageait en signant les devis.

Le second moyen de nullité repose sur l'absence de respect des dispositions impératives devant figurer dans un contrat conclu hors établissement, conformément aux règles du code de la consommation : absence de remise d'un exemplaire du contrat, versement d'un acompte de 4.000 euros le jour même de la signature des devis, absence de mention des articles et absence de précision du délai de rétractation. Elle soutient ainsi que la société intimée a profité de sa faiblesse pour lui forcer la main sur la signature des travaux de réfection de sa cuisine, ayant par la suite refusé l'entrée des ouvriers.

L'intimée sollicite la confirmation de l'ordonnance

Sur ce :

Selon l'article 1129 du code civil, 'conformément à l'article 414-1, il faut être sain d'esprit pour consentir valablement à un contrat.', à savoir 'pour faire un acte valable, il faut être sain d'esprit. C'est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l'existence d'un trouble mental au moment de l'acte.'

Selon l'article L. 221-1 du code de la consommation : 'I. - Pour l'application du présent titre, sont considérés comme :

1° Contrat à distance : tout contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, dans le cadre d'un système organisé de vente ou de prestation de services à distance, sans la présence physique simultanée du professionnel et du consommateur, par le recours exclusif à une ou plusieurs techniques de communication à distance jusqu'à la conclusion du contrat ;

2° Contrat hors établissement : tout contrat conclu entre un professionnel et un consommateur :

a) Dans un lieu qui n'est pas celui où le professionnel exerce son activité en permanence ou de manière habituelle, en la présence physique simultanée des parties, y compris à la suite d'une sollicitation ou d'une offre faite par le consommateur ;

b) Ou dans le lieu où le professionnel exerce son activité en permanence ou de manière habituelle ou au moyen d'une technique de communication à distance, immédiatement après que le consommateur a été sollicité personnellement et individuellement dans un lieu différent de celui où le professionnel exerce en permanence ou de manière habituelle son activité et où les parties étaient, physiquement et simultanément, présentes ;

c) Ou pendant une excursion organisée par le professionnel ayant pour but ou pour effet de promouvoir et de vendre des biens ou des services au consommateur.'

En l'espèce, trois devis ont été édités et signés:

- le 19 février 2021, portant le numéro 210217 pour un montant de 11.257 euros TTC avec versement d'un acompte de 4.000 euros,

- le 19 février 2021, portant le numéro 210218 pour un montant de 1.991 euros sur des travaux de carrelage sol cuisine,

- en avril 2021 (édité le 30 mars) portant le numéro 210330 sur la fourniture et la pose du carrelage pour un montant de 1.428,77 euros.

Les travaux ayant débuté, la société intimée a adressé le courrier suivant à l'appelante le 21 septembre 2021 :

'Madame

Vous nous avez chargé de réaliser des travaux de cuisine avec fournitures et pose, devis signé du 19/02/2021.

Le chantier rencontre plusieurs complications :

- l'équipe chargée de la dépose et la pose du carrelage n'avait pas pu travailler convenablement. Tout d'abord en les insultants, puis en refusant de leur ouvrir la porte le deuxième jour en prétextant que vous ne les connaissiez pas. J'ai du intervenir a'n de les laisser travailler dans un cadre serein.

- Vous avez refusez l'électricien qui devait intervenir chez vous, retardant considérablement le chantier.

Mlle [H] [I], chargée de clientèle, vous avait prévenue et organisé la pose des plans de travail le 09/09/202.

L'équipe de pose s'est présentée à votre porte à 13.50. Vous avez répondu a l'interphone que vous veniez ouvrir, mais la porte resta close. Mlle [I], sur place, tenta de vous appeler à de nombreuses reprises et sonna à votre porte sans que vous souhaitiez l'ouvrir. Même les voisins ne pouvaient vous joindre. Par souci de votre sécurité, il a été décidé d'appeler la police. Vous avez fini par leur ouvrir mais en interdisant l 'accès au chantier, et en prétextant que vous ne connaissiez pas Mlle [I] et refusant tout dialogue.

Dans ces conditions, nous ne pouvons effectuer notre travail convenablement. Comme toute entreprise, nous réglons nos fournisseurs et nos salariés. Vous trouverez en pièce jointe la facture de la cuisine. Je vous remercie par avance de son règlement dans un délai de 30 jours. Il serait regrettable d'ajouter un litige de règlement qui serait évidemment porté sans attendre devant le juge compétent.

Nous interviendrons pour terminer le chantier lorsque vous serez disposée a ouvrir la porte'.

La facture jointe du même jour porte sur le montant restant à régler de 6.967 euros.

En l'espèce, la seule circonstance que l'appelante ait été placée sous le régime de la sauvegarde de justice le 22 mars 2023 suivant certificat médical du 8 février 2023, ne permet pas de déterminer l'existence d'un trouble mental deux ans plus tôt, au moment de la conclusion de l'acte. Si le comportement étonnant de Mme [V] cherchant à s'opposer à l'entrée dans les lieux des ouvriers, décrit dans le courrier de la société intimée du 3 novembre 2021, en réponse à la demande en annulation du contrat sollicitée par l'appelante le 22 septembre, ou en changeant d'avis dans la même journée, peut questionner sur son état mental, aucun élément médical ne permet d'attester de ce que Mme [L] ne disposait pas de toute sa capacité de signer un contrat de travaux en février et avril 2021.

Pour établir que le contrat a été souscrit à son domicile, l'appelante relève les incohérences des conclusions de l'intimée, n'ayant pu se rendre dans l'établissement de la société le 1er février 2021 qui était un lundi jour de fermeture et un des trois devis qui aurait été signé le 19 février 2021 serait en réalité daté du 31 mars 2021.

Toutefois, il n'est contesté par aucun élément objectif que l'appelante a bien été à l'initiative de la réalisation de travaux, que si la société s'est déplacée le 2 février 2021 au domicile de Mme [V], les devis n'ont été signés que le 19 février suivant et que le devis édité le 30 mars 2021 correspond à la pose du carrelage qui ne fait pas l'objet de contestation.

En conséquence, il n'est pas démontré que le contrat ait été signé hors établissement au domicile de Mme [V], ni que pour signer le contrat dans les bureaux de la société, elle aurait été personnellement sollicitée dans un autre lieu que son domicile et les dispositions du code de la consommation relatives aux contrats conclus hors établissement ne sont donc pas applicables.

Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

Sur la demande en paiement

Selon l'article 1103 du code civil, 'les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits'.

Au vu des devis signés par Mme [V], des travaux pour partie réalisés à l'exception de la pose du plan de travail définitif dont l'exécution n'a été rendue impossible que du fait de l'appelante, de la facture éditée le 10 septembre 2021 conformément aux devis signés et des mises en demeure, il convient de confirmer le jugement déféré qui a condamné l'appelante à régler le solde des travaux, soit la somme de 6.987 euros tout lui enjoignant de prendre livraison du plan de travail définitif.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

L'appelante succombant en son appel sera condamnée aux dépens ainsi qu'au versement de la somme de 2.000 euros à la société [S] au titre des frais irrépétibles engagés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement déféré,

Y ajoutant

Condamne Mme [V] à verser à la société [S] la somme complémentaire de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles engagés en cause d'appel.

Condamne Mme [V] aux dépens.

Le présent arrêt a été signé par Laurence MICHEL, présidente, et par Vincent BRUGERE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, La Présidente,

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