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Décisions

CA Versailles, 16e ch., 29 avril 2014, n° 13/01771

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Crédit du Nord (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Avel

Conseillers :

Mme MASSUET, Mme LELIEVRE

Avocats :

Me François PETIT, Me Martine DUPUIS

CA Versailles n° 13/01771

28 avril 2014

Vu l'appel interjeté le 1er mars 2013 par M. Julien G. du jugement rendu le 25 janvier 2013 par le Tribunal de grande instance de PONTOISE qui :

- l'a condamné, solidairement avec Guillaume A. et Fabienne C., à payer à la société CRÉDIT DU NORD la somme de 95.593,58 € avec intérêts au taux légal à compter du 10 septembre 2010 sur la somme de 92.840,34 € ,

- a accordé à Guillaume A. un délai de paiement de 24 mois,

- a dit que Guillaume A. pourra s'acquitter de sa dette en 23 versements de 300 € , et une 24ème mensualité soldant sa dette, sauf meilleur accord des parties,

- a dit que les paiements ainsi effectués s'imputeront en premier lieu sur le capital,

- a rejeté toute autre demande,

- l'a condamné, solidairement avec Guillaume A. et Fabienne C., aux dépens;

Vu les dernières conclusions signifiées le 30 avril 2013 par lesquelles M. Julien G., appelant, demande à la cour de :

A titre principal,

- débouter le CRÉDIT DU NORD de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu que l'acte de prêt du 14 juin 2006 a été repris par la SARL ZABAR,

- dire que l'obligation de restituer les fonds est à la charge d'une partie distincte de la personne morale prévue tant par le contrat de prêt que par le cautionnement garantissant l'exécution de celui ci,

- dire que le cautionnement ne peut fonder la condamnation de la caution à garantir la dette d'une personne autre que le débiteur prévu,

- en conséquence, le décharger de cet engagement de caution donné par acte sous seing privé du 28 février 2007,

A titre subsidiaire,

- constater que le montant de 143.000 € est disproportionné au regard de ses capacités financières lors de la signature de l'engagement,

- constater qu'il n'est pas plus en mesure aujourd'hui de faire face à ses engagements en tant que caution,

- en conséquence, prononcer la nullité du cautionnement,

- débouter le CRÉDIT DU NORD de ses demandes à l'encontre de la caution,

En tout état de cause,

- lui accorder un échelonnement de la dette,

- dire qu'il y a lieu d'imputer les paiements en priorité sur le capital,

- condamner le CRÉDIT DU NORD à lui payer la somme de 5.980 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 18 juin 2013 par lesquelles la SA CRÉDIT DU NORD, intimée, demande à la cour de :

- débouter M. Julien G. de son appel,

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné solidairement Julien G., Guillaume A. et Fabienne C. à lui payer la somme de 95.593,58 € avec intérêts au taux légal à compter du 10 septembre 2010 sur la somme de 92.840,34 € ,

- dire n'y avoir lieu à l'octroi de délais,

- condamner M. G. à lui payer la somme de 10.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, et le condamner aux entiers dépens ;

SUR CE, LA COUR :

Par contrat en date du 14 juin 2006, le CRÉDIT DU NORD a consenti à la société ZABAR un crédit de 110.000 € au taux nominal de 4,5% l'an, destiné à financer le prix d'acquisition d'un fonds de commerce de café brasserie.

Ce prêt était remboursable sur un an, les intérêts payables le 14 de chaque mois pour un montant de 412,50 € et le capital 110.462,91 € lors de la dernière mensualité de juin 2007.

Avant l'expiration du délai d'un an, les associés de la société ZABAR ont cédé leurs parts sociales et les repreneurs ont négocié de nouvelles conditions avec le CRÉDIT DU NORD.

Ainsi, le 28 février 2007, deux actes ont été signés :

- un acte de cession des parts sociales aux termes duquel Guillaume A., Fabienne C. et Julien G. ont acquis les parts sociales de la SARL ZABAR,

- un avenant au contrat de prêt dont la durée a été allongée à 7 ans, le taux d'intérêt élevé à 5,08%, la mensualité fixée à 1.601 € ; les nouveaux associés de la société ZABAR se sont portés cautions solidaires afin de garantir le règlement de toute somme pouvant être due par la société ZABAR dans la limite de 143.000 € en principal, intérêts et frais sur une durée de 96 mois.

Les résultats financiers de la société ZABAR ne lui permettant plus de faire face à son passif exigible, celle ci a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de PARIS du 10 décembre 2009.

Les 9 et 10 septembre 2010, la société CRÉDIT DU NORD a fait assigner en paiement les cautions de la société ZABAR.

Sur la reprise de l'acte de prêt par la société ZABAR :

Selon l'article 2313 du code civil, la caution peut opposer au créancier toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur principal, et qui sont inhérentes à la dette.

Les statuts constitutifs de la société ZABAR ont été signés le 14 juin 2006 et déposés au greffe du tribunal de commerce le 17 juillet suivant ; il s'en déduit que le prêt accordé par le CRÉDIT DU NORD a été conclu avec une société en formation.

Le 28 février 2007, date de l'acquisition des parts sociales par Guillaume A., Julien G. et Fabienne C., un avenant au contrat de prêt a été signé afin de prévoir le rééchelonnement du crédit sur 7 ans ; à cet égard, la banque soutient que la société ZABAR a contracté un nouveau prêt dont les clauses et conditions se substituent à celui du 14 juin 2006.

Toutefois, l'avenant du 28 février 2007 précise qu'il est consenti sans qu il soit apporté aucune novation ni dérogation aux autres clauses, charges et conditions de l'acte sous seing privé du 14 juin 2006 ; il n emporte donc pas novation au sens de l article 1271 du code civil.

Il en résulte que la volonté des parties était de conserver le prêt initialement accordé à une société en formation ; par conséquent, il importe de vérifier si cet acte a été valablement repris par la SARL ZABAR.

Il ressort de l'article R. 210-5 du code de commerce que l'état des actes accomplis pour le compte de la société en formation, avec l'indication de l'engagement qui en résulterait pour la société, doit être présenté aux associés avant la signature des statuts et y être annexé ; la signature de ceux ci emporte reprise des engagements par la société, lorsqu'elle a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés.

L'article 27 des statuts de la SARL ZABAR indique qu' un état des actes accompli pour le compte de la société pendant sa formation avec l'indication pour chacun d'eux de l'engagement qui en résulterait pour la société, a été présenté aux associés qui le reconnaissent, préalablement à la signature des statuts' ;

M. G. fait valoir que la société ZABAR n'a jamais repris l'acte de prêt conclu pour le compte de la société en formation, de sorte que le cautionnement est devenu caduc.

Si les statuts mentionnent un état conforme aux prescriptions de l'article R. 210-5 précité, aucun document correspondant n'est effectivement annexé aux statuts ; ainsi n'est pas rapportée la preuve du respect des exigences légales.

En outre, l'acte de prêt n'a pas été souscrit sous un quelconque mandat donné aux associés fondateurs, ni repris postérieurement à l'immatriculation de la société ; aucune des trois procédures de reprise prévue par la loi n'a donc été observée.

L'annexion d'un état des actes accomplis pour le compte d'une société en formation n'emporte substitution automatique de la société dans les droits et obligations nés des engagements annexés qu'à la condition que soient détaillés précisément l'objet de l'engagement, sa date et son montant, ainsi que l'identité des cocontractants ; une clause générale de reprise ne saurait satisfaire à cette exigence. Dès lors, la seule mention d'un tel état à l'article 27 des statuts ne répond pas aux exigences légales.

Il n'existe pas d'autre modalité de reprise des actes accomplis au nom d'une société en formation ; aucune reprise tacite n'est envisageable. Au surplus, une telle reprise ne saurait résulter d'un commencement de remboursement du prêt par la société après son immatriculation et d'une démarche en vue d'en renégocier les termes.

En l'absence de reprise de l'acte par la société, le débiteur de l'obligation de restitution des fonds prêtés demeure l'associé fondateur qui a souscrit le prêt ; le cautionnement ne peut fonder la condamnation d'une caution à garantir la dette d'une personne autre que le débiteur prévu.

Il est, par ailleurs, de jurisprudence constante que le cautionnement souscrit pour une société en formation est privé de toute efficacité si le contrat, objet de la sûreté, n'est pas régulièrement repris par la société une fois définitivement constituée.

En l'espèce, Julien G. s'est porté caution de la SARL ZABAR, et non des associés fondateurs ; il s'ensuit que le cautionnement souscrit le 28 février 2007 au bénéfice du CRÉDIT DU NORD est frappé de caducité.

En conséquence, le jugement entrepris sera infirmé du chef de l'efficacité du cautionnement.

En tout état de cause, sur la disproportion :

A supposer que le prêt soit déclaré valablement repris par la société ZABAR, Julien G. a encore soulevé la disproportion de son engagement de caution.

Il ressort de l'article L. 341-4 du code de la consommation qu'un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation ;

Pour l'application de cet article, la disproportion doit être manifeste, c'est-à- dire flagrante ou évidente pour un professionnel raisonnablement diligent ; elle ne saurait résulter du seul fait que le montant du cautionnement excède la valeur du patrimoine de la caution.

Le caractère disproportionné s'apprécie tout d'abord à la date de la souscription, dans la limite de l'engagement souscrit.

M. G. fait valoir qu'à cette date, il avait indiqué à la banque qu'il n'avait ni patrimoine, ni épargne, ni ressource, ainsi qu'en atteste sa fiche de renseignements remplie le 25 septembre 2008. Or il s'est engagé dans la limite de 143.000 € en principal, intérêts et frais.

Pour retenir que l'engagement n'était pas disproportionné, le tribunal a énoncé que la caution disposait d'un recours contre les deux autres cautions solidaires pour qu'elles payent leur part de cette dette.

Cependant en présence d'une pluralité de cautions solidaires, la proportionnalité de l' engagement de chacune doit être appréciée séparément puisque chaque caution est tenue au paiement intégral de la dette sans pouvoir opposer le bénéfice de discussion ou de division ; en conséquence, cet argument ne saurait prospérer.

Le CRÉDIT DU NORD affirme qu'il y a lieu de prendre en considération les ressources auxquelles pouvait prétendre M. G. dans le cadre de l'exploitation du fonds de commerce, et les rémunérations qui permettraient aux cautions de faire face à leurs engagements.

Or pour l'appréciation du patrimoine et des revenus de la caution, il ne doit pas être tenu compte des perspectives de succès de l'opération, ni des revenus escomptés de l'opération garantie ; ce moyen doit être écarté. Le caractère manifestement disproportionné de l'engagement de caution de M. G. est donc établi.

Même en cas de disproportion manifeste lors de la souscription du cautionnement, l'article L. 341-4 n'emporte déchéance des droits du créancier que si, au moment où la caution est appelée, sa situation financière ne lui permet toujours pas de faire face à son obligation ; il convient d'étudier la situation financière actuelle de M. G..

Il ressort des pièces versées aux débats par l'appelant qu'il perçoit un revenu net mensuel de 1.700 € , tandis qu'il doit s'acquitter de charges courantes d'environ 1.800 € ; à ce jour, le montant réclamé par la banque s'élève à 95.593,58 € avec intérêts au taux légal à compter du 10 septembre 2010. Il en résulte que si le cautionnement était disproportionné lors de sa souscription, les ressources actuelles de l'appelant ne lui permettent pas davantage de faire face à son engagement.

Les conditions d'application de l'article L. 341-4 du code de la consommation étant réunies, M. G. doit être déchargé de son engagement de caution.

Il n'y a dès lors pas lieu de statuer sur les autres demandes.

Le jugement entrepris est infirmé en toutes ses dispositions.

Sur l'indemnité de procédure et les dépens :

Il apparaît inéquitable au vu des circonstances de la cause de laisser à la charge de Julien G. les frais qu'il a dû engager pour faire valoir ses droits ; la somme de 1.000 € lui sera allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de la première instance et de l'instance d'appel.

Succombent en son argumentation et en ses demandes incidentes, le CRÉDIT DU NORD, partie perdante, est condamné aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :

INFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 25 janvier 2013 par le Tribunal de Grande Instance de PONTOISE ;

Statuant à nouveau,

Déclare caduc le cautionnement souscrit le 28 février 2007 par MM. Julien G. et Guillaume A. au bénéfice de la SA CRÉDIT DU NORD ;

Condamne le CRÉDIT DU NORD à payer à Julien G. la somme de 1.000 € en application des dispositions de l'article 700 du C. P.C.;

Rejette toutes demandes plus amples ou contraires des parties ;

Condamne la SA CRÉDIT DU NORD aux dépens de première instance ainsi qu'à ceux d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du C. P.C. ;

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Jean Baptiste AVEL, Président et par Madame RUIZ DE CONEJO, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

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