CA Paris, Pôle 4 ch. 13, 21 octobre 2025, n° 22/17925
PARIS
Autre
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Valay-Briere
Conseiller :
Mme Moreau
Avocat :
Me Martinez
La Sci [Adresse 8] (ci-après, la [9]) a été constituée entre les consorts [M], dont [T] et [D] [M], frère et soeur, chacun associés à hauteur de 33 %. Elle est propriétaire de six logements situés [Adresse 3] et a pour gérant M. [T] [M].
Mme [M], agissant en sa qualité de représentante de la Sci, a donné à bail à M. [S] [V] un de ces logements, soit un duplex, selon contrat du 5 août 2016, puis conclu avec lui, en cette même qualité, un second bail portant sur un logement situé à la même adresse, au rez-de-chaussée droit.
C'est dans ces circonstances que par acte du 31 octobre 2019, la Sci [7], représentée par son gérant M. [M], a assigné Mme [M] devant le tribunal judiciaire de Bobigny aux fins de condamnation de celle-ci à lui rembourser les sommes perçues au titre de ces contrats à hauteur de 12 490 euros et à l'indemniser de son préjudice moral.
Par jugement rendu le 15 septembre 2022, le tribunal judiciaire de Bobigny a :
- condamné Mme [M] à payer à la Sci [Adresse 8] la somme de 9 300 euros,
- condamné la Sci [7] à payer à Mme [M] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles,
- condamné la Sci [Adresse 8] aux dépens.
Par déclaration du 18 octobre 2022, la Sci [7] a interjeté appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 9 janvier 2023, la Sci [Adresse 8] représentée par son gérant M. [T] [M] demande à la cour de :
- recevoir son appel et le déclarer bien fondé en ce qu'il critique le jugement :
- ayant condamné Mme [M] à lui payer la somme de 9 300 euros,
- l'ayant condamnée à payer à Mme [M] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles,
- l'ayant condamnée aux dépens,
statuant à nouveau,
- dire et juger que Mme [M] a manifestement violé le contrat de société en s'appropriant les pouvoirs du gérant, d'une part, et, d'autre part, en encaissant ou en bénéficiant directement par ses man'uvres frauduleuses de l'intégralité des loyers versés par M. [V] pour un montant de 12 490 euros,
à titre liminaire,
- rejeter la pièce adverse n°1 constitutive d'une prétendue attestation de Mme [W] comme étant non conforme à l'article 202 du code de procédure civile,
- dire et juger que l'écriture de l'attestation ne correspond pas à celle de Mme [W],
en conséquence,
- rejeter purement et simplement ladite pièce,
- réformer la décision sur ce point,
sur le fond,
- condamner Mme [M] à lui régler en indemnisation de son préjudice les sommes suivantes:
- 12 490 euros outre intérêts de droit à compter de la délivrance de l'assignation,
- 4 000 euros au titre du préjudice moral,
- 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 en cause de première instance et la même somme en cause d'appel ainsi que les entiers dépens, dont distraction au profit de Me Xavier Martinez,
- réformer la décision concernant l'ensemble de ses autres dispositions, notamment au titre de sa condamnation à la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles et aux dépens,
- débouter purement et simplement Mme [M] de toutes demandes et moyens contraires, y compris en cas d'appel reconventionnel.
Mme [D] [M], à laquelle la déclaration d'appel et les premières conclusions ont été signifiées en l'étude le 24 mars 2023, n'a pas constitué avocat. L'arrêt sera par conséquent rendu par défaut la concernant.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 20 mai 2025.
SUR CE,
Sur la demande de rejet d'une pièce des débats :
Mme [M] n'ayant pas constitué avocat, n'a produit aucune pièce au soutien de ses prétentions en sorte que la demande de rejet des débats de la pièce adverse n°1 constitutive d'une prétendue attestation de Mme [W] comme étant non conforme à l'article 202 du code de procédure civile est dépourvue d'objet.
Sur la responsabilité de la gérante de fait :
Pour condamner Mme [M] à payer la somme de 9 300 euros à la Sci [7], les premiers juges ont retenu que :
- elle a géré de fait la société de 2011 à 2017, à la suite de soucis familiaux du gérant en titre M. [M], ses actes de gestion ne s'analysant pas en une immixtion fautive car ils étaient nécessaires au fonctionnement de la société en raison de l'empêchement et de la carence du gérant,
- au vu des quittances produites par Mme [M] établissant qu'elle a perçu au titre des deux baux la somme totale de 12 620 euros, de ce que la société reconnaît le versement par Mme [M] des sommes de 1 470 euros au 1er juillet 2016 et de 2 025 euros au titre des loyers de septembre à novembre 2016, la créance de la société serait de 9 125 euros,
- les autres versements qui auraient été réalisés au profit de Mme [M] ne sont pas démontrés car d'une part, il n'est pas établi que le premier bail aurait pris fin le 31 décembre 2016 et l'attestation du locataire n'est pas probante et, d'autre part, Mme [M] ne peut avoir perçu des loyers pour les mois de novembre et décembre 2017 au titre du second bail qui n'a pris effet que le 5 janvier 2018 et la Sci ne produit pas les relevés bancaires ayant trait aux mouvements réalisés sur son compte,
- Mme [M] qui reconnaît détenir la somme de 9 300 euros pour le compte de la société ne peut invoquer une quelconque compensation de cette dette avec de prétendus dividendes à lui revenir à défaut de toute délibération d'assemblée générale à ce titre et doit donc être condamnée au paiement de cette somme.
La Sci expose que :
- le tribunal ne pouvait se fonder sur les quittances établies sans droit par Mme [M] et dépourvues de valeur probante,
- les sommes versées le 1er juillet 2016, soit antérieurement au premier bail, et qui ont été déduites par le tribunal n'ont rien à voir avec le montant du loyer du 5 août 2016,
- l'attestation de M. [V] est probante car il est en capacité d'attester malgré ses difficultés en langue française,
- Mme [M] a commis une faute en s'appropriant illégalement les pouvoirs du gérant, en établissant sans son accord un contrat de bail avec M. [V] et en percevant personnellement le montant des loyers versés en espèces,
- Mme [M] n'a pas perçu la somme de 9 300 euros mais celle de 12 510 euros soit 1 350 euros au titre du contrat de bail du 5 août 2016 et 17 mois de loyers d'un montant de 620 euros sur la période du 1er novembre 2017 au 31 mars 2019 au titre du second bail, et elle doit être condamnée au paiement de cette somme en réparation de son préjudice matériel,
- en raison du comportement de l'intimée traduisant un manquement d'affectio societatis en sa qualité d'associé et une tentative de satisfaire ses intérêts personnels, elle subit un préjudice moral devant être indemnisé à hauteur de 4 000 euros.
Selon l'article 1850 du code civil, 'Chaque gérant est responsable individuellement envers la société et envers les tiers, soit des infractions aux lois et règlements, soit de la violation des statuts, soit des fautes commises dans sa gestion (...)'.
Il ressort de l'attestation de Mme [E] [M], fondatrice de la Sci avec son époux et associée de celle-ci, qu'en raison de difficultés familiales éprouvées par son fils [T], gérant de droit de la Sci, sa fille [D] en a été la gérante de fait entre 2011 et 2017.
La gérance de fait de Mme [M] étant connue des associés, la violation par ses soins du contrat de société en s'appropriant des pouvoirs du gérant n'est pas démontrée.
La conclusion par Mme [M] des baux litigieux au nom de la société, qui entre dans les pouvoirs de la gérance, n'est pas fautive.
En revanche, l'appropriation personnelle des loyers de la Sci par Mme [M] constitue une faute détachable de ses fonctions de gérante de fait, qui lui est imputable personnellement et qui est de nature à engager sa responsabilité délictuelle envers la société.
Le premier bail a été conclu le 5 août 2016, avec prise d'effet le même jour et moyennant un loyer mensuel de 675 euros, et le second le 5 janvier 2018, avec prise d'effet le 1er janvier 2018 et moyennant un loyer mensuel de 620 euros.
M. [V] atteste le 19 mai 2019 avoir réglé les loyers et dépôt de garantie en espèces, soit une somme de 3 375 euros du 5 août au 31 décembre 2016 au titre du premier bail et, s'agissant du second bail, une somme de 11 140 euros du 1er novembre 2017 à ce jour, et que depuis le 1er avril 2019, il règle ses loyers par virement bancaire.
Les termes de cette attestation diffèrent cependant de celle, également dressée par M. [V], versée en première instance par Mme [M], non produite à la procédure mais discutée par l'appelante en ce que M. [V] indique avoir versé la somme de 9 300 euros, soit 15 loyers de 620 euros pour la période du 1er janvier 2018 au 31 mars 2019. De plus, le second bail ayant été conclu en janvier 2018, M. [V] ne peut avoir versé de loyer à ce titre à compter du 1er novembre 2017.
Cette attestation ne revêt donc aucun caractère probatoire.
Les quittances de loyers, dressées par le bailleur et portant mention des loyers acquittés, constituent la preuve du versement du loyer par le locataire. La circonstance que les quittances de loyers versées aux débats aient été dressées par Mme [M], ayant perçu les loyers au nom de la société, est impropre à écarter leur valeur probante.
Au vu des quittances produites, Mme [M] a perçu, pour le premier bail, quatre loyers de 675 euros en août, septembre, octobre et novembre 2016 et, pour le second bail, 16 loyers de 620 euros entre janvier 2018 et mars 2019, soit une somme totale de 12 620 euros.
Le tribunal n'a pas pertinemment déduit de ce montant la somme de 1 470 euros que la société reconnaît avoir perçue de Mme [M] par virement bancaire du 1er juillet 2016, alors que les baux litigieux ont été conclus ultérieurement.
En revanche, il a soustrait avec exactitude de ce montant la somme de 2 025 euros que la société reconnaît avoir perçue en règlement des loyers de septembre à novembre 2016.
Il en résulte que Mme [M] s'est appropriée sans droit la somme totale de 10 595 euros (12 620-2025) perçue à titre de loyers pour le compte de la Sci.
La Sci ne démontre pas une créance envers Mme [M] d'un montant supérieur en faisant valoir, sans l'établir, la perception par cette dernière de deux mois de loyer à 675 euros réglés en espèces sur la période du 5 août 2016 au 31 décembre 2016 au titre du premier contrat de location et de 17 mois de loyers d'un montant de 620 euros sur la période du 1er novembre 2017 au 31 mars 2019 concernant le second bail, alors que celui-ci a été conclu le 5 janvier 2018 avec prise d'effet au 1er janvier 2018.
Il convient, en conséquence, de condamner Mme [M] à payer à la Sci une somme de 10 595 euros en réparation de son préjudice matériel au titre des loyers perçus pour son compte et non restitués, laquelle somme est assortie des intérêts au taux légal à compter du jugement s'agissant d'une créance indemnitaire.
Le tribunal a omis de statuer sur la demande indemnitaire de la Sci au titre du préjudice moral.
Si Mme [M] a failli dans ses obligations en sa qualité de gérante de fait de la Sci en faisant prévaloir son intérêt personnel sur celui de la société, l'appelante ne démontre aucun préjudice moral personnel à ce titre, distinct du préjudice matériel réparé, la perte d' affectio societatis n'étant pas établie et l'attestation de Mme [E] [M] se disant blessée de la situation actuelle étant inopérante.
La demande indemnitaire de la Sci au titre du préjudice moral doit donc être rejetée.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Mme [M] échouant en ses prétentions est condamnée aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés selon les modalités de l'article 699 du code de procédure civile, et à payer à la Sci une somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et une somme équivalente au titre de ceux exposés en appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Dit que la demande de rejet des débats de la pièce adverse n°1 est dépourvue d'objet,
Infirme la décision en ses dispositions,
statuant de nouveau,
Condamne Mme [D] [M] à payer à la Sci [Adresse 8] la somme de 10 595 euros en réparation de son préjudice matériel au titre des loyers perçus pour son compte et non restitués, avec intérêts au taux légal à compter du jugement,
réparant une omission de statuer,
Déboute la Sci [7] de sa demande au titre du préjudice moral,
Condamne Mme [D] [M] à payer à la Sci [Adresse 8] une somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et une somme de 2 000 euros pour ceux exposés en appel,
Condamne Mme [D] [M] aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés selon les modalités de l'article 699 du code de procédure civile.