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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 21 octobre 2025, n° 24/06729

RENNES

Autre

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Contamine

Conseillers :

Mme Ramin, Mme Desmorat

Avocats :

Me Laroque Brezulier, Me Naudin

CA Rennes n° 24/06729

20 octobre 2025

La société [9] exerce une activité de capitonnage pour cercueils, habillages de mobilier et accessoires de décoration pour les salons funéraires.

En septembre 2017, la société [14] dont les titres étaient détenus par M. [I], président, et son épouse, directrice générale, a acquis 100% des titres de la société [9].

La société [14] est devenue présidente de la société [9].

M. [H] a été nommé directeur général de la société [9]. Selon jugement du tribunal correctionnel du 13 novembre 2020, celui-ci a été reconnu coupable d'abus de biens sociaux au préjudice de la société « [12] » pour des faits commis entre le 23 septembre 2016 et le 31 décembre 2018 et de détournements au préjudice des sociétés [14] et [I] [10].

Le 8 mars 2021, M. [I] a demandé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire de la société [9], en faisant valoir, outre les agissements de M. [H], les détournements réalisées par son ancienne comptable, Mme [O], en 2020, ainsi que les conséquences de la période de pandémie.

Par jugement du 10 mars 2021, le tribunal de commerce de Rennes a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société [9], fixé la date provisoire de cessation des paiements au 10 septembre 2019 « compte tenu de dettes fiscales ». Il a nommé la société [5], prise en la personne de M. [C], comme administrateur judiciaire, et M. [M] comme mandataire judiciaire.

Le 26 mai 2021, le tribunal de commerce de Rennes a converti le redressement judiciaire en liquidation judiciaire, désigné M. [M] en qualité de liquidateur judiciaire, et maintenu l'administrateur judiciaire.

Par jugement du 22 juin 2021, le tribunal de commerce de Rennes a arrêté le plan de cession de la société [9] au profit de la société [7].

La société [13], prise en la personne de M. [M], a été nommé liquidateur judiciaire en remplacement de M. [M].

Estimant que M. [I] avait commis des fautes de gestion (tardiveté de la déclaration de cessation des paiements, errements dans l'établissement et le suivi de la comptabilité, détournements d'actif à son profit) ayant contribué à l'insuffisance d'actif, la société [13] ès qualités l'a assigné en responsabilité pour insuffisance d'actif afin qu'il soit condamné au paiement d'une somme de 918 579,99 euros.

Par jugement du 12 novembre 2024, le tribunal de commerce de Rennes a :

- dit la société [13] prise en la personne M. [M] en qualité de liquidateur judiciaire de la société [9] recevable et bien fondé en l'ensemble de ses fins et conclusions,

- condamné M. [I] à payer à la société [13] prise en la personne M. [M] ès qualités la somme de 356 109 euros en réparation de l'insuffisance d'actif avec intérêts au taux légal à compter de la date d'assignation jusqu'à complet paiement,

- débouté la société [13] prise en la personne M. [M] ès qualités du surplus de sa demande,

- débouté M. [I] de sa demande de délai de paiement,

- condamné M. [I] à payer à la société [13] prise en la personne M. [M] ès qualités la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et déboute la société [13] du surplus de sa demande,

- condamné M. [I] aux entiers dépens de la présente instance y compris les frais de greffe,

- ordonné que le présent jugement soit publié conformément à la loi,

- liquidé les frais de greffe à la somme de 33,46 euros tel que prévu aux articles 695 et 701 du code de procédure civile.

Par déclaration du 17 décembre 2024, M. [I] a interjeté appel de cette décision.

Les dernières conclusions de l'appelant ont été déposées le 22 mai 2025 ; celles de l'intimée, le 17 juin 2025.

L'avis du ministère public a été adressé le 12 mai 2025.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 juin 2025.

PRÉTENTIONS ET MOYENS

M. [I] demande à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il a :

- dit la société [13] prise en la personne M. [M] en qualité de liquidateur judiciaire de la société [9] recevable et bien fondé en l'ensemble de ses fins et conclusions,

- condamné M. [I] à payer à la société [13] prise en la personne M. [M] ès qualités la somme de 356 109 euros en réparation de l'insuffisance d'actif avec intérêts au taux légal à compter de la date d'assignation jusqu'à complet paiement,

- débouté M. [I] de sa demande de délai de paiement,

- condamné M. [I] à payer à la société [13] prise en la personne M. [M] ès qualités la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et déboute la société [13] du surplus de sa demande,

- condamné M. [I] aux entiers dépens de la présente instance y compris les frais de greffe,

- ordonné que le présent jugement soit publié conformément à la loi,

Statuant à nouveau,

A titre principal,

- débouter la société [13], ès qualités, de toutes ses demandes, fins et conclussions et notamment de sa demande de condamnation de M. [I] à combler l'insuffisance d'actif de la société [9] à hauteur de 918.579,99 euros,

A titre subsidiaire,

- en cas de condamnation à combler l'insuffisance d'actif, accorder à M. [I] deux ans pour s'acquitter de sa condamnation, en application de l'article 1343-5 du code civil,

En toute hypothèse,

- condamner la société [13], ès qualités, à payer à M. [I] la somme de 8.000 euros au titre des frais irrépétibles, ou en cas de condamnation à combler l'insuffisance d'actif,

- juger qu'il ne sera pas fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de M. [I],

- dépens comme de droit.

La société [13], ès qualités, demande à la cour de :

- dire et juger la société [13], prise en la personne de M. [M], ès qualités, recevable et bien fondé en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- la recevoir en son appel incident,

- débouter intégralement M. [I],

En conséquence,

- réformer le jugement du tribunal de commerce de Rennes en ce qu'il a limité le montant des condamnations prononcées à l'encontre de M. [I] à la somme de 356 109 euros en réparation de l'insuffisance d'actif avec intérêts au taux légal à compter de la date d'assignation jusqu'à complet paiement,

- réformer le jugement du tribunal de commerce de Rennes en ce qu'il a débouté la société [13] prise en la personne de M. [M], ès qualités, du surplus de sa demande,

Statuant à nouveau,

- constater que la liquidation judiciaire de la société [9] révèle une insuffisance d'actif de 918 579,99 euros,

- dire et juger que M. [I] a commis des fautes de gestion ayant contribué intégralement à l'insuffisance d'actif de la société [9],

- condamner M. [I] à payer à la société [13], prise en la personne de M. [M], ès qualités, une somme de 918 579,99 euros, en réparation de l'insuffisance d'actif,

- dire que les condamnations prononcées seront productives des intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation et jusqu'à parfait paiement,

- condamner M. [I] à payer à la société [13], prise en la personne de M. [M] ès qualités, une somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- le condamner aux entiers dépens.

Le ministère public est d'avis de confirmer le jugement dont appel.

Il est renvoyé aux dernières écritures des parties visées supra pour l'exposé complet de leurs moyens et prétentions.

DISCUSSION

Sur la responsabilité pour insuffisance d'actif

Aux termes de l'article L. 651-2 du code de commerce :

« lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. (...) Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée. »

Il appartient au liquidateur de démontrer l'existence d'une insuffisance d'actif et de prouver la faute de gestion, antérieure au jugement d'ouverture, imputable au dirigeant, hors une simple négligence, et sa relation de causalité avec l'insuffisance d'actif. Il suffit que la faute de gestion ait seulement contribué à l'insuffisance d'actif.

- sur le montant de l'insuffisance d'actif

L'insuffisance d'actif est égale à la différence entre le montant du passif (créances antérieures au jugement d'ouverture, vérifiées et admises) et le montant de l'actif, disponible ou non.

Son existence et son montant doivent être appréciés au moment où la juridiction saisie de l'action en responsabilité statue.

La société [13] ès qualités produit l'état des créances admises pour un montant total de 1 183 645,78 euros. Ce chiffre n'est pas contesté par M. [I].

La société [13] ès qualités produit également la comptabilité de son mandat, laquelle fait apparaître au 3 avril 2024 un actif réalisé, des recouvrements et des liquidités à hauteur de 265 065,79 euros :

- recouvrements : 81 819,28 euros

- stock : 30 000 euros

- fonds : 103 000 euros

- solde compte bancaire : 37 624,02 euros

- compte administrateur judiciaire : 12 622,49 euros

M. [I] fait valoir que le liquidateur judiciaire ne justifie pas de ses démarches pour recouvrer les créances clients établies à 323 273 euros dans le rapport « bilan économique et social » de l'administrateur judiciaire du 14 mai 2021. Toutefois, ce montant ne correspond pas aux créances à recouvrer à l'ouverture de la liquidation judiciaire mais aux créances simplement mentionnée à la clôture de l'exercice comptable 2019. L'administrateur précise d'ailleurs, dans ce rapport, avoir demandé en vain à la société [9] une « balance âgée clients à l'ouverture de la procédure et actualisée ».

En revanche, dans ses écritures, le liquidateur judiciaire admet qu'il a recouvré au total 100 721,12 euros, une partie des sommes ayant été directement versée sur d'autres comptes de la société. Ce montant doit être pris en compte au titre des recouvrements au lieu de la somme de 81 819,28 euros sus mentionnée.

Par ailleurs, le liquidateur judiciaire indique qu'il reste à recouvrer 39 630,35 euros dont 21 325,90 euros au titre d'une créance à l'encontre de Mme [O] pour les détournements de cette ancienne comptable de la société [9] et qu'une instance est en cours la concernant. Cette somme de 39 630,35 euros doit donc être prise en compte comme faisant partie de l'actif à recouvrer, même non disponible, de la société [9].

M. [I] fait encore valoir que le liquidateur judiciaire aurait dû prendre en compte un restant dû sur les détournements de M. [H]. La société [13] soutient toutefois que M. [H] a déjà remboursé la société [9].

Il ressort de la proposition de rectification de la direction des finances publiques du 30 avril 2021 que M. [H] a établi une reconnaissance de dette le 17 janvier 2019 de 192 270,77 euros au profit de la société [9] sur un montant déterminé par M. [I] lui-même.

M. [H] a remboursé 191 712,42 euros par chèques et virements les 4 décembre 2018, 8 janvier 2019 et 16 avril 2019.

Par la suite, si M. [H] a été condamné pour ces détournements et ceux au préjudice de la société [14] notamment, il n'a été condamné par le tribunal correctionnel de Rennes qu'à rembourser la société [14] et non la société [9].

S'il était mentionné en comptabilité au 31 août 2019 des dépenses personnelles de M. [H] pour un solde de 37 224,05 euros, la direction des finances publiques a considéré qu'il s'agissait d'une créance imputable à M. [I] en ce qu'il ne les a pas comptés dans la reconnaissance de dettes. Sans autres éléments de vérification présentés par M. [I], il n'y a pas de sommes à recouvrir auprès de M. [H] constituant un actif à prendre en compte.

En conséquence, il convient de retenir une insuffisance d'actif de 860 047,80 euros (1 183 645,78 euros - 323 597,98 euros).

- sur les fautes de gestion reprochées à M. [I]

La société [13], ès qualités, reproche plusieurs fautes de gestion à M. [I] :

- d'avoir tardé à déclarer l'état de cession des paiements et poursuivi abusivement une activité déficitaire,

- le défaut de tenue de la comptabilité,

- des détournements d'actifs à son profit, directement ou indirectement.

- sur l'omission de déclaration de l'état de cessation des paiements et la poursuite de l'activité déficitaire

Selon l'article L.631-4 du code de commerce,

« l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire doit être demandée par le débiteur au plus tard dans les quarante-cinq jours qui suivent la cessation des paiements s'il n'a pas, dans ce délai, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation ».

L'état de cessation des paiements a été fixé rétroactivement au 10 septembre 2019 par le tribunal de commerce à l'ouverture de la procédure collective, notamment en raison des dettes fiscales anciennes. Cette date n'a pas été judiciairement remise en cause.

M. [I] n'a déclaré l'état de cessation des paiements que le 8 mars 2021.

Le délai légal de déclaration a été largement dépassé.

M. [I] soutient en substance qu'il n'a pu prendre la mesure des difficultés de la société en raison des détournements des salariés et de leur maquillage de la comptabilité, qu'à compter de l'établissement du bilan comptable pour l'exercice 2019 en janvier 2020 et qu'il s'est rapidement retrouvé dans une période d'incertitude en raison des injonctions contradictoires gouvernementales pendant la pandémie de Covid-19, laquelle a également fortement dégradée l'activité de la société.

Il ressort du bilan économique et social de l'administrateur judiciaire que les exercices clôturés en août 2017, août 2018 et août 2019, révélaient une baisse significative des capitaux propres, malgré une compensation en 2018 par un abandon de compte-courant.

Les capitaux propres sont ainsi passés de 773 000 euros à 352 000 euros entre 2017 et août 2019.

Le chiffre d'affaires a perdu 21 % entre 2018 et 2019.

Le résultat des exercices entre 2017 et août 2019 est passé de 92 000 euros à

- 312 000 euros et les dettes sociales et fiscales, déjà très importantes, sont passées de 95 000 euros à 325 000 euros.

L'EBE, le résultat d'exploitation et le résultat courant étaient négatifs à compter de l'exercice 2018, révélant une absence de maîtrise des charges d'exploitation et laissant craindre une impossibilité à s'acquitter des dettes exigibles.

Une partie des difficultés résulte directement des détournements du directeur général, qui n'a remboursé la somme de 191 712,42 euros détournée qu'après la clôture de l'exercice 2018, et de la comptable, à l'insu de M. [I]. Leurs dissimulations ont pu limiter sa perception des causes de la dégradation de la situation de la société. Toutefois, dès la prise de connaissance du détournement du directeur général, au plus tard fin 2018, M. [I] aurait dû prendre la mesure de l'insincérité de l'exercice 2018 et s'inquiéter du montant du passif déjà non remboursé (passif social et fiscal visé supra). La lecture du bilan 2018 était de nature à l'inquiéter et surtout, connaissance prise du bilan 2019 en janvier 2020, il lui appartenait de réagir immédiatement.

Mais surtout, il sera vu ci-après qu'il est reproché des détournements et abus de biens sociaux à l'encontre de M. [I] lui-même pour des montants bien supérieurs à ce qui était reproché à M. [H] et à l'ex-comptable.

Ainsi, au lieu de prendre les mesures nécessaires fasse à la dégradation de la situation de sa société, il y a participé.

M. [I] ne justifie pas avoir pris les mesures nécessaires à compter de janvier 2020 telles la déclaration d'état de cessation des paiements, la réduction de la masse salariale, la recherche d'accords avec les créanciers, notamment fiscaux.

Il a ainsi laissé se poursuivre une activité déficitaire.

La tardiveté de sa réaction, l'absence de déclaration de l'état de cessation des paiements et la poursuite concomitante de l'activité déficitaire constituent des fautes de gestion qui ont conduit la société à devoir affronter la crise de la pandémie alors que la situation de la société était déjà fortement dégradée.

Ces fautes de gestion ont ainsi participé à l'insuffisance d'actif.

- le défaut de tenue de la comptabilité et les détournements et/ou abus des biens de la société

Il n'est pas contesté que la comptabilité de la société [9] était incomplète lors de l'ouverture de la procédure collective.

Selon les explications données par l'expert-comptable de la société [9] au liquidateur judiciaire par courriel du 7 mai 2021, M. [I], connaissance prise de l'impossibilité d'établir une comptabilité faute de transmission de documents cohérents à l'expert comptable par l'ex comptable de la société à l'origine de détournements, a désigné un nouvel expert comptable pour reprendre l'ensemble de la comptabilité.

Dans ces circonstances particulières, le défaut de comptabilité ne peut être considéré comme une faute de gestion de M. [I].

Le liquidateur judiciaire fait également valoir le caractère incomplet ou insincère de la comptabilité pour les années antérieures.

Les manquements de M. [I] dans l'établissement des comptes ont été relevés par le service de la direction des finances publiques (page 6 et 32 de la proposition de rectification). Ils sont essentiellement liés aux détournements et/ou abus des biens de la société à son profit ou par l'intermédiaire de son compte courant dans la société [14] ou au profit de son épouse et de sociétés dans lesquelles ils étaient intéressés, et/ou aux dépenses personnelles de M. [I], dépenses étrangères à l'intérêt de la société. Ces manquements lui sont personnellement reprochés dans le cadre d'une enquête pénale.

Reprenant les constatations faites par la direction générale des finances publiques, la société [13] évalue ses détournements et/ou abus à une somme totale de 531 488,93 euros comprenant :

- travaux d'aménagement de la maison personnelle : 100 000 euros

- loyers : 54 600 euros (trois ans et demi de majoration de loyers indue pour financer les locaux appartenant à une autre société)

- prestations fictives pour le compte de la société [14] : 96 000 euros

- revente d'une Maserati achetée par la société mais dont le prix de revente de 52 000 euros a été versé sur les comptes de la société [14], puis sur le compte courant d'associé de M. [I],

- dépenses personnelles : 11 849,78 euros

- flux financiers anormaux : 217 039,93 euros.

Les montants annoncés dans la procédure de saisie pénale à la suite de l'enquête pénale engagée à l'encontre de M. [I] sont moindre, ils atteignent toutefois un montant total le concernant directement de 356 109,32 euros.

M. [I] conteste ces détournements, soutenant qu'il s'agit soit d'omission de passation d'écritures comptables soit de dépenses pour partie utiles à la société [9] soit qu'ils ne sont pas fondés, et fait valoir qu'il a abandonné plus d'argent à la société qu'il n'en aurait indûment prélevé.

Les flux financiers pour 217 039,15 euros correspondent à des avances en compte courant d'associé pour 2017 et 2018, lesquelles ont été distribuées à M. [I] via son compte détenu dans la société [14] et qui proviennent du compte détenu dans la société [9] par la société [14]. La direction des finances a considéré que ces flux financiers n'avaient aucune cause.

M. [I] soutient qu'il s'agit de flux normaux en vue de sa rémunération et ajoute à cet égard que la proposition de rectification fiscale vise d'ailleurs à les réintégrer comme des revenus imposables.

Toutefois, ni les statuts de la société [9], ni les statuts de la société [14] ne prévoient sa rémunération. Ces derniers renvoient pour sa fixation à la « décision de nomination », laquelle n'est pas produite.

Par ailleurs, M. [I] admet avoir effectué des dépenses de 100 000 euros pour son logement financées par la société [9] (date comptable du 17 novembre 2019). Il soutient avoir omis de faire passer des écritures comptables lui permettant de bénéficier de ces sommes au titre de rémunération.

M. [I] ne justifie nullement l'octroi d'un tel montant de rémunération.

Un tel abus ne peut s'apparenter à une négligence dans l'établissement de la comptabilité.

Il n'est pas allégué que cette somme ait été remboursée.

En outre, M. [I] ne conteste pas avoir utilisé les fonds de la société [9] pour des dépenses personnelles à hauteur de 11 849,78 euros entre le 14 septembre 2017 et le 17 juin 2018.

Ces prélèvements sur le compte de la société à des fins personnelles non causés constituent au minimum des fautes de gestion.

L'ensemble de ces prélèvements non causés ont rendu les comptes sociaux insincères ce qui ne permettaient plus à M. [I] d'évaluer justement la situation de la société sans que la seule responsabilité de M. [H] puisse être invoquée à cet égard.

M. [I] ne peut se prévaloir de l'abandon d'une forte somme en compte courant en 2018 pour compenser une insuffisance d'autofinancement de 421 108 euros, laquelle n'a fait que masquer les difficultés déjà perceptibles (exercice 2018 : dettes fournisseurs en augmentation de 91 %, dettes fiscales et sociales en augmentation de 116 %, + 734 073 euros de charges d'exploitation), pour se dédouaner de ces prélèvements non causés.

Ces prélèvements ont nécessairement participé à la dégradation de l'état économique de la société et partant, ont contribué à l'insuffisance d'actif quand bien même cette insuffisance n'a été révélée que postérieurement.

L'augmentation des loyers de la société [9] au profit de la société civile immobilière familiale (SCI [B] [8]) a été de près de 31 % à compter du 11 septembre 2017 et a été considérée par la direction des finances publiques comme nettement supérieure aux loyers pratiqués dans le secteur, exemples à l'appui.

M. [I] soutient en substance que l'augmentation du loyer des locaux par la société familiale bailleresse dont il est le gérant ne lui a pas directement bénéficié et que la société [9] aurait pu voir la valeur de son droit au bail augmenter.

Comme le rappelle M. [I] lui-même, le service des Domaines a retenu un possible abus de bien social à hauteur de 31 282 euros. Il importe peu que cette surévaluation n'ait pas directement bénéficié à M. [I].

En acceptant un tel montage, il a, en sa qualité de dirigeant, à nouveau fragilisé la société [9] en augmentant ses charges de manière indue et sans aucun bénéfice escompté. Cet abus a ainsi contribué à l'insuffisance d'actif révélé postérieurement.

Quant à la facturation de prestations de la société [14], M. [I] rappelle qu'il existait une convention entre les deux sociétés et que la présomption de la direction des finances publiques selon laquelle la société [14] n'avait pas de ressources humaines pour assurer les prestations de services visées par la convention au profit de la société [9] ne vaut pas preuve.

Toutefois, la direction des finances publiques, outre cette assertion, rappelle qu'elle n'a pu obtenir aucun justificatif de l'intervention de salariés de la société [14] au profit de la société [9] ni que ceux-ci aient pu avoir la compétence nécessaire pour l'attribution des missions confiées par la convention. M. [I] ne produit aucune pièce utile pour vérifier le contraire.

La facturation de prestations non réalisées pour 96 000 euros est suffisamment établie.

En acceptant un tel montage, M. [I] a, en sa qualité de dirigeant, à nouveau fragilisé la société [9] en augmentant ses charges de manière excessive par rapport à la réalité de ses capacités économiques, sans bénéfice escompté. Cet abus a ainsi contribué à l'insuffisance d'actif révélé postérieurement.

Quant au détournement du prix de revente de la Maserati, M. [I] fait valoir que l'inscription des 52 000 euros sur son compte courant d'associé dans la société [14] a été réalisée par M. [H], sans que la preuve ne soit rapportée qu'il lui en ait donné l'ordre.

Il convient toutefois de relever qu'il appartenait à M. [I], en sa qualité de dirigeant, de vérifier l'état de la comptabilité et qu'il n'explique nullement comment cet apport de 52 000 euros a pu passer inaperçu. Il ne justifie d'aucune rectification postérieure ni d'un remboursement à la société [9].

Il s'agit d'une perte directe pour la société [9] qui avait financé l'achat du véhicule. Cet abus a ainsi contribué à l'insuffisance d'actif révélé postérieurement.

La multiplicité et la diversité des types de détournements et abus reprochés ne peuvent s'apparenter à de la négligence. Ces détournements et abus établissent des fautes graves de gestion de M. [I] et ont participé grandement à l'insuffisance d'actif de la société [9] comme vu supra.

Sur la condamnation à prendre en charge l'insuffisance d'actif

Le montant de la contribution du dirigeant à l'insuffisance d'actif s'apprécie en fonction du nombre et de la gravité des fautes de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif sans qu'il y ait lieu de prendre en considération le patrimoine et les revenus du dirigeant fautif.

M. [I] soutient que les actions du liquidateur judiciaire devant le tribunal de commerce et l'enquête pénale concourent aux mêmes fins, à savoir l'obtention d'une indemnisation au profit de la société [9].

Les actions en responsabilité pour insuffisance d'actif et pénale pour abus de biens sociaux et/ou détournements se cumulent en ce que leur cause et leur objet sont distincts

En revanche, les montants qui sont obtenus dans le cadre de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif s'imputeront nécessairement sur l'éventuelle condamnation civile qui serait prononcée en cas d'aboutissement de la procédure pénale.

A ce stade, aucune information n'est donnée quant à l'avancée de cette procédure pénale.

Il convient de tenir compte de la multiplicité et de la gravité des fautes de gestion, dont certaines susceptibles de constituer des infractions pénales, ayant contribué à l'insuffisance d'actif.

En conséquence, au vu de l'incidence des fautes de gestion retenues supra sur l'aggravation du passif mais en tenant compte des sommes injectées par M. [I] et/ou son épouse pour la préservation de la société en 2018, M. [I] sera condamné à prendre en charge la somme de 400 000 euros au titre de l'insuffisance d'actif.

Il n'y a pas lieu de prévoir que le point de départ des intérêts soit fixé rétroactivement à la date de l'assignation. Les intérêts courront à la date du présent arrêt en application de l'article 1231-7 du code civil.

Le jugement sera infirmé sur ce point.

M. [I] demande des délais de paiement compte tenu de la saisie pénale de sa maison. Il ne donne toutefois aucun élément quant à l'avancement de la procédure pénale. Sans autre élément sur sa situation personnelle et compte tenu des délais ayant déjà couru depuis la première instance, il convient de rejeter sa demande de délais.

Dépens et frais irrépétibles

Il convient de confirmer le jugement de première instance.

M. [I], succombant principalement à l'instance, sera condamné aux dépens de l'appel.

L'équité commande de ne pas faire droit à la demande de la société [13] au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Infirme le jugement en ce qu'il a :

- condamné M. [I] à payer à la société [13] prise en la personne M. [M] ès qualités la somme de 356 109 euros en réparation de l'insuffisance d'actif avec intérêts au taux légal à compter de la date d'assignation jusqu'à complet paiement,

Confirme le jugement pour le surplus des dispositions soumises à la cour,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne M. [B] [I] à payer à la société [13] prise en la personne de M. [V] [M] en qualité de liquidateur judiciaire de la société [9] la somme de 400 000 euros au titre de l'insuffisance d'actif, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

Condamne M. [B] [I] aux dépens de l'instance d'appel,

Rejette toute autre demande des parties,

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