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Décisions

CA Toulouse, 2e ch., 21 octobre 2025, n° 21/01898

TOULOUSE

Arrêt

Autre

CA Toulouse n° 21/01898

21 octobre 2025

21/10/2025

ARRÊT N° 25/365

N° RG 21/01898 - N° Portalis DBVI-V-B7F-OEAN

VS/IA

Décision déférée du 31 Mars 2021

TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de FOIX 19/01004

M.ANIERE

INFIRMATION PARTIELLE

Grosse délivrée

le 04/11/2025

à

Me Nicolas DALMAYRAC de la SCP CAMILLE ET ASSOCIES

Me Anne PONTACQ de la SCP DEGIOANNI - PONTACQ - GUY-FAVIER

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

2ème chambre

***

ARRÊT DU VINGT ET UN OCTOBRE DEUX MILLE VINGT CINQ

***

APPELANTE

Société SMAS TOURISME

[Adresse 13]

[Localité 12]

Représentée par Me Nicolas DALMAYRAC de la SCP CAMILLE ET ASSOCIES, avocat postulant au barreau de TOULOUSE

Représentée par Me Christian BEER, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE

Madame [S] [W]

[Adresse 8]

[Localité 7]

Représentée par Me Anne PONTACQ de la SCP DEGIOANNI - PONTACQ - GUY-FAVIER, avocat au barreau d'ARIEGE

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 juin 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant V. SALMERON, présidente et M.NORGUET, conseillère, chargés du rapport. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

V. SALMERON, présidente

M. NORGUET, conseillère

S. MOULAYES, conseillère

qui en ont délibéré.

Greffière : lors des débats A. CAVAN

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

- signé par V. SALMERON, présidente et par A. CAVAN, greffière

Exposé des faits et procédure :

La Sas Smas Tourisme, filiale du groupe Lagrange, a pour activité la gestion et l'exploitation de résidences de tourisme.

Le 28 septembre 2009, Madame [S] [W] a acquis en V.E.F.A (vente en l'état de futur achèvement) un appartement et une place de parking situés dans un ensemble immobilier dénommé « Les Chalets d'[Localité 16] » sis à [Localité 16].

Par acte sous seing privé du 28 septembre 2009, [S] [W] a consenti un bail commercial à la Sas Privilège Hotels et Resorts portant sur l'appartement et la place de parking.

Par acte du 1er janvier 2015, la Sas Privilège Hotels & Resorts a cédé son fonds de commerce à la Sas Smas Tourisme.

Par acte d'huissier du 9 février 2018, [S] [W] a fait délivrer un congé avec refus de renouvellement à la Sas Smas Tourisme, avec effet au 28 mai 2019.

Par courrier du 11 juin 2019, la Sas Smas Tourisme a indiqué contester le congé délivré tant que le montant de l'indemnité d'éviction ne serait pas fixé et a proposé la somme de 14.541 euros.

En réponse, par l'intermédiaire de son conseil, [S] [W] a indiqué ne pas avoir été informée de l'existence d'une indemnité d'éviction en cas de non-renouvellement du bail et a proposé la somme de 5.000 euros.

Par acte d'huissier en date du 30 octobre 2019, Madame [S] [W] a assigné la Sas Smas Tourisme devant le tribunal de grande instance de Foix aux fins qu'il ordonne sous astreinte son expulsion et fixe l'indemnité d'éviction à la somme de 5.000 euros.

La Sas Smas Tourisme a demandé au tribunal de fixer l'indemnité d'éviction et les sommes accessoires à la somme de 23.838,81 euros, de fixer l'indemnité d'occupation due à compter du 29 mai 2019 à 75% de la valeur locative, et subsidiairement d'ordonner une expertise.

Par jugement du 31 mars 2021, le tribunal judiciaire de Foix a :

déclaré valable le congé délivré le 8 février 2018 à la Sas Smas Tourisme,

dit que la société Smas Tourisme a droit au maintien dans les lieux jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction, date à partir de laquelle elle sera occupante sans droit ni titre,

fixé l'indemnité d'éviction due par [S] [W] à la Sas Smas Tourisme à la somme de 5.000 euros,

dit que le montant de l'indemnité d'occupation est égal au montant du loyer,

débouté [S] [W] de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive,

condamné la société Smas Tourisme aux dépens,

condamné la société Smas Tourisme au paiement de la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles,

ordonné l'exécution provisoire de la présente décision.

Par déclaration en date du 26 avril 2021, la Sas Smas Tourisme a relevé appel du jugement. La portée de l'appel est la réformation des chefs du jugement qui ont :

fixé l'indemnité d'éviction due par [S] [W] à la Sas Smas Tourisme à la somme de 5.000 euros,

dit que le montant de l'indemnité d'occupation est égal au montant du loyer,

condamné la Sas Smas Tourisme aux dépens

condamné la Sas Smas Tourisme au paiement de la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles.

Le 5 août 2021, le conseiller de la mise en état a adressé aux parties une proposition de médiation, que Madame [S] [W] a refusée le 11 août 2021.

Par arrêt en date du 4 janvier 2023, la Cour d'appel de Toulouse a :

confirmé le jugement en ce qu'il a déclaré valable le congé délivré le 8 février 2018 à la société Smas Tourisme et a dit que la société Smas Tourisme a droit au maintien dans les lieux jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction, date à partir de laquelle elle sera occupante sans droit ni titre,

avant dire droit sur les autres demandes,

ordonné une mesure d'expertise confiée à :

Madame [K] [Y]

[Adresse 9]

[Localité 10]

Tél : [XXXXXXXX03] Fax : [XXXXXXXX04]

Port. : [XXXXXXXX05] Mèl : [Courriel 15]

ou à défaut,

Madame [O] [Z]

[Adresse 17]

[Localité 11]

Tél : [XXXXXXXX02] Fax : [XXXXXXXX01]

Port. : [XXXXXXXX06] Mèl : [Courriel 14]

avec pour mission de

visiter en présence des parties ou celles-ci dûment convoquées et leurs conseils étant avisés, les locaux donnés à bail,

recueillir tous documents et renseignements utiles à sa mission,proposer et justifier une méthode de calcul de l'indemnité d'éviction selon les usages de la branche d'activité concernée, et proposer une évaluation de cette indemnité,

proposé une évaluation de l'indemnité d'occupation, en justifiant de la méthode de calcul,

rappelé qu'en application de l'article 278 du code de procédure civile, l'expert pourra, en cas de besoin, prendre l'initiative de recueillir l'avis d'un autre technicien, dans une spécialité distincte de la sienne, à charge pour lui de joindre à son mémoire de frais et honoraires celui de son homologue

dit que l'Expert devra communiquer un projet de son rapport aux parties en leur impartissant un délai de trois semaines pour émettre tout dire écrit le cas échéant.

dit que l'Expert devra communiquer aux parties et déposer au Greffe de la cour son rapport définitif comportant réponse aux dires éventuels, avant le 15 juillet 2023.

dit que la société Smas Tourisme devra consigner entre les mains du Régisseur d'Avances et de Recettes de la cour d'appel de Toulouse une provision de 4.000 euros à valoir sur la rémunération de l'Expert, et ce avant le 15 février 2023,

rappelé qu'en vertu des dispositions de l'article 271 du code de procédure civile, à défaut de consignation dans le délai et selon les modalités impartis, la désignation de l'Expert sera caduque, à moins que la partie à laquelle incombe la consignation n'obtienne judiciairement la prorogation du délai de consignation, ou le relevé de caducité,

réservé les dépens,

renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état du 14 septembre 2023 à 14 heures.

Par courrier du 27 janvier 2023, Me Anne Pontacq a indiqué révoquer Me [I] [H] et se constituer en ses lieu et place pour Madame [S] [W].

Le 26 septembre 2023, Madame [O] [Z], expert judiciaire, a déposé son rapport définitif dans lequel il est proposé de fixer:

l'indemnité d'éviction à la somme de 6.612 euros,

l'indemnité d'occupation mensuelle à la somme de 337,71 euros à compter du 1er juin 2019 et 352,91 euros à compter du 1er août 2022.

La clôture est intervenue le 19 mai 2025.

L'affaire a été fixée en lecture du rapport d'expertise à l'audience du 24 juin 2025.

Prétentions et moyens des parties :

Vu les conclusions notifiées le 13 décembre 2023 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la Sas Smas Tourisme demandant, au visa des articles L145-14 et L145-28 du code de commerce, 143 et suivants, 699 et 700 du code de procédure civile, de :

à titre principal,

infirmer les dispositions du jugement du 19 février 2021 du tribunal judiciaire d'Albertville et, jugeant à nouveau, de :

fixer le montant global des indemnité d'éviction et indemnités accessoires à la somme de 31.318 euros ;

fixer l'indemnité d'occupation due par la société Smas Tourisme à la somme de 337,71 euros par mois, à compter du 1er juin 2019 et de 352,91 euros par mois à compter du 1er août 2022 ;

autoriser la société Smas Tourisme à compenser l'indemnité d'occupation due avec les sommes déjà versées ;

à titre subsidiaire,

fixer le montant global des indemnité d'éviction et indemnités accessoires à la somme de 31.173 euros ;

ou de fixer le montant global des indemnité d'éviction et indemnités accessoires à la somme de 23.489 euros ;

ou de fixer le montant global des indemnité d'éviction et indemnités accessoires à la somme de 23.380 euros ;

dans tous les cas,

condamner Madame [W] à rembourser à la société Smas Tourisme les frais de l'expert judiciaire, soit la somme de 4.000 euros ;

condamner Madame [W] à payer à la société Smas Tourisme la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du cpc ;

condamner Madame [W] à payer à la société Smas Tourisme en tous les dépens, qui seront recouvrés par la Scp Camille, en application de l'article 699 du cpc.

Vu les conclusions devant la Cour d'appel de Toulouse notifiées le 28 avril 2025 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de Madame [S] [W] demandant, au visa des articles L145-14 et L145-28 du code de commerce, de :

rejeter toutes conclusions contraires et débouter la Smas Tourisme de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

à titre principal :

confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Foix en date du 31 mars 2021 en ce qu'il a fixé l'indemnité d'éviction due par Madame [W] à la Smas Tourisme à la somme de 5.000 euros et dit que le montant de l'indemnité d'occupation est égal au montant du loyer et en ce qu'il a condamné la Smas Tourisme au paiement de la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles,

condamner Smas Tourisme à payer à Madame [W] la somme de 9.449,31 euros arrêté au 30 avril 2025,

à titre subsidiaire,

fixer le montant de l'indemnité d'éviction dû par Madame [W] à 6.549 euros,

limiter l'abattement de la valeur locative au titre de l'indemnité d'occupation à 10%,

condamner Smas Tourisme à payer à Madame [W] la somme de 4.837,74 euros suivant décompte arrêté au 30 avril 2025,

à titre infiniment subsidiaire,

fixer le montant de l'indemnité d'éviction à 6.612 euros conformément au calcul de l'expert judiciaire,

fixer le montant de l'indemnité d'occupation après un abattement de 20 % de la valeur locative,

condamner Smas Tourisme à payer à Madame [W] la somme de 1.690,10 euros suivant décompte arrêté au 30 avril 2025,

en toute hypothèse :

condamner Smas Tourisme à régler à Madame [W] la somme de 5.000 euros en application des dispositions du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens en ce compris les frais d'expertise judiciaire.

Motifs de la décision :

Préalablement, la cour précise sur l'orthographe du prénom de la partie intimée qu'elle décide qu'elle mentionne l'orthographe conformément à la déclaration d'appel et à la carte nationale d'identité produite par la partie elle-même.

Par arrêt mixte du 4 janvier 2023, la cour a dit que le preneur avait droit au maintien dans les locaux jusqu'au versement de l'indemnité d'éviction (IE) et a ordonné une expertise pour déterminer le montant de l'IE et celui de l'indemnité d'occupation jusqu'au versement de l'IE.

Madame [Z], expert judiciaire, a remis son rapport et proposé de fixer l'IE à concurrence de 6.612 euros et l'indemnité d'occupation à 337,71 euros/mois puis à 352,91 euros/mois jusqu'au départ effectif du preneur .

- Sur la fixation de l'IE :

En appel, les parties s'opposent sur son montant entre 31.318 euros d'IE pour le preneur, qui ne demandait que 14.541 euros avant le litige, et 5.000 euros pour la bailleresse.

L'expert judiciaire a rappelé que l'IE est représentative du préjudice subi par la cessation d'activité et comprend notamment, en rappelant les dispositions de l'article L145-14 du code de commerce « la valeur marchande du fonds de commerce déterminée selon les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation ainsi que les frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre ».

Elle a rappelé qu'en l'espèce, le fonds de commerce a disparu pour la partie louée par la bailleresse et qu'il convenait pour calculer la valeur du fonds de commerce, base de l'indemnité, d'appliquer un barème pour cette catégorie d'activité , barème qui fixe la valeur à 83,62% du chiffre d'affaires annuel hors taxe.

Entre 2016 et 2022, et en écartant les années 2020 et 2021, le chiffre d'affaires moyen par appartement était de 6.874,99 euros ; la valeur du fonds était donc de 5750 euros (= 6874,99 x 83,62%).

Ensuite pour les indemnités accessoires, l'expert judiciaire n'a retenu que :

- les frais de mutation ou indemnités de remploi, soit un taux habituel de 10% ; en l'èspèce 575 euros (= 5748,86 X 10%)

- le trouble commercial correspondant à une fraction du chiffre d'affaire entre 2 et 5% ; en l'espèce elle retient 5% soit 287 euros (= 5748,86 x 5%)

L'expert judiciaire fixe donc l'IE totale à 6.612 euros (= 5750+ 575+287).

Préalablement, la bailleresse fait observer que les dispositions de l'article L321-2 du code du tourisme n'ont pas été respectées et se plaint de ne pas avoir été informée des comptes de gestion de la résidence hôtelière conformément aux exigences dudit article pour lui permettre d'affiner les calculs de l'indemnité d'éviction à la sortie, la SAS Smas Tourisme lui ayant adressé de vagues tableaux récapitulatifs de bilans non certifiés.

L'article L321-2 du code du tourisme dispose que « L'exploitant d'une résidence de tourisme classée doit tenir des comptes d'exploitation distincts pour chaque résidence. Il est tenu de les communiquer aux propriétaires qui en font la demande.

Une fois par an, il est tenu de communiquer à l'ensemble des propriétaires un bilan de l'année écoulée, précisant les taux de remplissage obtenus, les évènements significatifs de l'année ainsi que le montant et l'évolution des principaux postes de dépenses et de recettes de la résidence ».

D'une part, madame [W] ne justifie pas avoir sollicité la communication de comptes d'exploitation de la résidence si les documents reçus s'avéraient insuffisants et d'autre part, ce texte ne prévoit aucune sanction précise pour manquement à l'obligation prescrite.

Le moyen est donc inopérant dans le cadre du litige en fixation de l'indemnité d'éviction et ne pourrait prospérer que dans le cadre d'une action indemnitaire de la propriétaire à l'encontre de l'exploitant de la résidence de tourisme.

L'expertise judiciaire visait sur ce point à rechercher les éléments notamment comptables pour établir le montant de l'IE.

Par ailleurs, l'expertise judiciaire est critiquée par le preneur sur 3 points : le défaut de communication du barème retenu, l'incohérence de la méthode selon les années de référence et la date d'évaluation de l'indemnité d'éviction.

- Sur le défaut de barème, le preneur reproche à l'expert d'avoir appliqué un barème sans l'expliquer davantage et de ne pas avoir eu recours à la méthode hôtelière qui consiste à appliquer au chiffre d'affaires moyen annuel réalisé un coefficient multiplicateur compris entre 2 et 5.

Le preneur propose un coefficient de 3 appliqué à un chiffre d'affaires moyen de 6.808 euros par logement à partir des comptes des années 2016 à 2018 inclus ou à un chiffre d'affaires moyen de 6.777 euros s'il est tenu compte de l'exercice 2019.

- sur les années de référence par rapport à la date d'évaluation de l'IE , l'expert est critiqué sur les années de référence retenues qui ne sont pas logiques 2016 à 2018 ou encore 2019 alors que l'indemnité d'éviction s'analyse à la date de prise d'effet du congé donné.

Il est ainsi rappelé que le congé a été donné le 8 février 2018 pour le 28 mai 2019.

La cour relève préalablement, comme le fait la bailleresse, qu'aucun dire n'a été adressé à l'expert judiciaire par les parties et notamment le preneur au stade du pré-rapport pour lui permettre de s'expliquer plus avant sur son estimation.

Sur la méthode employée pour estimer la valeur du fonds de commerce, aucun texte n'impose la méthode hôtelière comme le propose le preneur. En revanche, l'expert judiciaire doit se fonder sur les usages de la profession.

En l'espèce, l'expert judiciaire fait référence en application de l'article L145-14 du code de commerce, à un barème professionnel avec des références précises « résidence de tourisme de catégorie 3 étoiles » classifiée en « hébergement touristique et autre hébergement de courte durée » avec le code 5520Z soit « un taux de : 83,62 % ».

Ce barème est issu des barèmes d'évaluation de fonds de commerce par code Naf (insee). Le grief sur la méthode employée par l'expert judiciaire doit donc être écarté.

S'agissant des années de référence, il convient de rappeler que l'article L145-14 du code de commerce n'impose aucune règle impérative pour le calcul de l'indemnité d'éviction. Si les juges du fond doivent préciser les éléments du préjudice qu'ils entendent réparer, ils sont souverains pour apprécier ce préjudice , selon le mode de calcul le plus approprié en se plaçant au moment le plus proche de la réalisation du préjudice soit en principe au jour du départ effectif du locataire, ou à la date à laquelle les juges statuent si l'éviction n'est pas réalisée . En revanche, la consistance du fonds doit être appréciée à la date du refus de renouvellement . (cf 3e Civ., 1 mars 1995, pourvoi n° 93-11.703 ; Com, 21 avril 1966, Bull 184 ; 3e Civ., 24 novembre 2004, pourvoi n° 03-14.620, Bull 212 ; 3ème Civ., 20 octobre 1971, pourvoi n°70-12.102, Bull 501, 3ème Civ., 21 janvier 1998, pourvoi n° 96-12.998, Bull 12,).

En l'espèce, l'indemnité d'éviction était due au plus tard fin mai 2019 mais le départ effectif du locataire n'avait pas eu llieu en 2023 à la date de l'expertise. C'est donc à bon droit que l'expert judiciaire a calculé l'indemnité d'éviction en faisant une moyenne du chiffre d'affaires sur les exercices de 2016 à 2022 en écartant les exercices atypiques de 2020 et 2021 liés à la période Covid.

Elle parvient à un chiffre plus favorable au preneur que celui qui serait retenu si l'évaluation était faite uniquement sur les exercices de 2016 à 2018 inclus.

La cour retiendra donc le montant de l'indemnité principale retenu par l'expert judiciaire arrondi à 5.750 euros.

Sur les indemnités accessoires :

La bailleresse critique les frais de mutation ou d'indemnité de remploi de 575 euros alors que la perte de l'appartement ne fait pas disparaître le fonds de commerce du preneur, qui n'a pas cherché un nouveau fonds à exploiter.

Il convient de rappeler que l'indemnité de remploi correspond aux frais et droits de mutation commissions et honoraires pour l'acquisition d'un nouveau fonds ou d'un nouveau droit au bail. A défaut de réinstallation effective, elle est appréciée forfaitairement en proportion de l'indemnité principale.

La sas Smas Tourisme devait nécessairement engager des frais pour souscrire un nouveau bail.

C'est donc à bon droit que l'expert judiciaire a appliqué cette indemnité accessoire de 575 euros.

L'indemnité pour trouble commercial fixée par l'expert judiciaire, qui n'est pas précisément critiquée dans son principe, sera donc confirmée.

Le jugement sera donc infirmé sur le montant de l'indemnité d'éviction totale et fixé à 6.612 euros.

- sur la fixation de l'indemnité d'occupation :

La bailleresse conteste la réduction de 20% d'abattement de valeur locative proposé par l'expert judiciaire en expliquant qu'aucun motif d'abattement de précarité ne doit s'appliquer dès lors que l'appartement a été exploité en attendant la fixation de l'indemnité d'éviction. Elle précise qu'aucun loyer n'est plus versé depuis le 31 juillet 2023.

L'expert judiciaire expose que la minoration de la valeur locative par abattement de 20% s'explique « par la qualité de l'occupant et l'origine de l'occupation par rapport à une location classique car l'occupant n'expose pas le propriétaire aux charges afférentes à la location et à l'aléa de celle-ci et elle ajoute qu'elle a pris en compte : « le taux de vacance, les frais d'agence et les frais de gestion. Ces postes représentent pour une location à un tiers un abattement de 20% sur le loyer encaissé ».

Le preneur prend acte de cet abattement sur l'indemnité d'occupation sans le justifier davantage.

Il convient de relever que l'activité exercée est plutôt de nature saisonnière s'agissant d'un appartement situé à [Localité 16] et que les réservations de l'appartement se font avec un délai suffisant pour écarter le caractère précaire de l'activité du preneur après le congé jusqu'à la fixation de l'indemnité d'éviction.

La cour d'appel ne retiendra donc pas le principe d'un abattement de l'indemnité d'occupation par rapport au loyer courant alors que la SAS Smas Tourisme ne conteste pas avoir continué à exploiter le bien de [S] [W] comme elle le faisait avant le congé et ce en attendant de percevoir l'indemnité d'éviction et de quitter les lieux.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a fixé l'indemnité d'occupation comme étant égal au montant du loyer.

- sur la demande de compensation de créances :

Selon l'article 1347-1 du code civil, la compensation n'a lieu qu'entre deux obligations fongibles, certaines, liquides et exigibles ; sont fongibles les obligations de somme d'argent, même en différentes devises, pourvu qu'elles soient convertibles, ou celles qui ont pour objet une quantité de choses de même genre.

À la date de l'audience au fond, la sas SMAS Tourisme n'avait pas quitté les locaux appartenant à [S] [W]. Il n'est donc pas possible de déterminer précisément le montant de la créance d'indemnité d'occupation de la bailleresse à la date où la cour statue.

Toutefois, la cour ordonne la compensation du montant de la créance de [S] [W] au titre des indemnités d'occupation restant dues par le preneur au jour de son départ effectif avec la créance du preneur la SAS Smas Tourisme au titre de l'indemnité d'éviction.

- sur les demandes accessoires :

eu égard à l'issue du litige, la masse des dépens sera partagée par moitié par les parties en ce compris les frais d'expertise judiciaire et chacune des parties conservera ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Vu l'arrêt mixte du 4 janvier 2023, et dans la limite des demandes restant à trancher,

- Infirme le jugement sur le montant de l'indemnité d'éviction, sur les dépens et sur les frais irrépétibles

- Confirme le jugement sur le montant de l'indemnité d'occupation

Et statuant à nouveau et y ajoutant,

- Fixe l'indemnité d'éviction due par [S] [W] à la SAS Smas Tourisme à la somme de 6.612 euros.

- Ordonne la compensation des créances réciproques entre les parties au titre d'une part de l'indemnité d'éviction et au titre d'autre part des indemnités d'occupation restant dues jusqu'au départ effectif de la SAS Smas Tourisme des locaux

- Fait masse des dépens de première instance et d'appel en ce compris les frais d'expertise judiciaire

- Dit que chaque partie prendra en charge la moitié de la masse des dépens ainsi calculée avec distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile

- Déboute les parties de leurs demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles de première instance et d'appel

La greffière Le président

A. CAVAN V. SALMERON

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